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tiercités
Le corps est quelque chose d’absolument mystérieux, écrivait-il. Le fait que nous puissions le décrire avec une telle exactitude ne signifie nullement que nous le connaissions. C’est la conclusion de l’ouvrage de Spinoza, cet homme qui polit des lentilles, pour que nous puissions mieux voir les choses, et invente une langue archi-difficile pour exprimer sa pensée. Car on dit : voir, c’est savoir.
Moi, je veux savoir, et non pas m’adonner à la logique. Qu’ai-je à faire d’une preuve extérieure, qui prend l’apparence d’une démonstration géométrique ? Une telle preuve n’apporte qu’un semblant de conséquence logique, et cet ordre qui est si agréable à nos esprits. Il y a le A, ensuite vient le B ; d’abord, les définitions, puis les axiomes et les propositions numérotées, et enfin quelques appendices en conclusion. Pareille démonstration ressemble, du moins telle est mon impression, à une planche anatomique parfaitement dessinée où chaque élément est désigné par une lettre et où tout semble clair et limpide. Mais, en définitive, on ne sait toujours pas comment tout cela fonctionne.
Auteur:
Tokarczuk Olga
Années: 1962 -
Epoque – Courant religieux: Récent et libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Pologne
Info:
Les Pérégrins
[
limitées
]
alcoolisme
Mais au milieu de la nuit, peu après une heure, je me trouvai à nouveau dans le cellier, pieds nus et en pyjama, en train de vider à toute vitesse ce qui restait des trois bouteilles. Et alors que la dernière bouteille était encore à ma bouche, je pris conscience avec une certitude effroyable que j’étais perdu, qu’il n’y avait plus rien pour me sauver, que j’appartenais corps et âme à l’alcool. Il était désormais indifférent que j’arrive à maintenir encore pour quelques jours ou quelques semaines un semblant de respectabilité et de bienséance – c’en était fini. Elle n’avait qu’à venir, la Magda, et me regarder boire. Je lui dirais en pleine face que j’étais devenu un vrai buveur, un ivrogne, et que c’était elle qui avait fait ça de moi, elle, avec sa compétence infernale ! Mais elle ne vint pas. Si bien que je laissai les trois bouteilles vides sur la table, leurs bouchons posés à côté ; qu’ils le sachent, que tout le monde le sache, Magda, Else, qui encore : je m’en fichais pas mal !
Auteur:
Fallada Hans
Années: 1893 - 1947
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Allemagne
Info:
Le Buveur
[
introspection
]
[
soiffard
]
[
abandon
]
individualisme
La publicité se met du côté de la femme (ou fait semblant) contre l’oppression masculine, du côté de l’enfant contre l’autorité de ses aînés. Il est logique, du point de vue de la création de la demande que les femmes fument et boivent en public, qu’elles se déplacent librement, qu’elles affirment leurs droits au bonheur, plutôt que de vivre pour les autres. L’industrie de la publicité encourage ainsi une pseudo-émancipation qu’elle flatte en lui rappelant insidieusement “Tu reviens de loin, ma belle”, sur une marque de cigarette, et déguise sa liberté de consommer en autonomie authentique. De même, elle encense et glorifie la jeunesse dans l’espoir d’élever les jeunes au rang de consommateurs de plein droit, avec téléphone, télévision, appareil haute-fidélité dans sa chambre. L’“éducation” des masses a altéré l’équilibre des forces au sein de la famille, affaiblissant l’autorité du mari vis-à-vis de sa femme, et celle des parents vis-à-vis de leurs enfants. Mais si elle émancipe femmes et enfants de l’autorité patriarcale, ce n’est que pour mieux les assujettir au nouveau paternalisme de la publicité, des grandes entreprises industrielles et de l’État.
Auteur:
Lasch Christopher
Années: 1932 - 1994
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: historien, intellectuel et critique social
Continent – Pays: Amérique du nord - Usa
Info:
La Culture du narcissisme (1979), trad. Michel L. Landa, éd. Flammarion
[
libération illusoire
]
[
société de consommation
]
[
consumérisme
]
jeunes-vieux
La jeunesse est le levain qui fait fermenter dans le monde toutes ces attitudes interrogatives, éprouvantes. S'il n'y avait pas cette activité gênante de la jeunesse, avec sa haine des sophismes et des gloses, son insistance sur les choses telles qu'elles sont, la société mourrait par pure décadence. La politique de la génération plus âgée, au fur et à mesure qu'elle s'adapte au monde, est de cacher les choses désagréables là où elle le peut, ou de préserver une conspiration du silence et de faire semblant qu'elles n'existent pas. Mais pendant ce temps, les plaies continuent à suppurer de la même manière. La jeunesse est un antiseptique radical. Elle ne laisse pas les anciens pleurer en paix, là où il n'y a pas de paix. Par ses sarcasmes féroces, elle maintient les problèmes en vie dans le monde jusqu'à ce qu'ils soient réglés correctement. Elle fait sortir les squelettes des placards et insiste pour qu'ils soient expliqués. Il n'est pas étonnant que la vieille génération craigne et se méfie de la jeune. La jeunesse est la Némésis vengeresse à ses trousses.
Auteur:
Bourne Randolph
Années: 1886 - 1918
Epoque – Courant religieux: Industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Amérique du nord - Usa
Info:
republié dans "Left and Right : The Prospects for Liberty", Left and Right : A Journal of Libertarian Thought 1, no 1 (printemps 1965), p. 22.
colonialisme
Mais Pontardier, pris dans son envolée, continuait :
- Vous comprenez, n'est-ce pas, mon cher Mayéla, pourquoi on dit que l'Afrique est mal partie.
Alors Mayéla ne sut plus se contenir.
- Ecoutez, monsieur l'expert, j'en ai assez d'entendre que l'Afrique est mal partie, surtout de votre bouche, vous qui n'avez aucun droit moral à nous donner des leçons. A l'"indépendance", vous vous êtes arrangés pour balkaniser l'Afrique et pour créer des structures facilitant votre mainmise sur les nouveaux Etats où vous avez placés de nouveaux rois nègres à votre service, après avoir éliminé les vrais nationalistes. Et pour camoufler tout cela, vous nous jetez aux yeux la poudre de l'"aide et de la coopération". Et vous faites semblant de vous indigner quand vous savez bien que ce que vous appelez de l'argent gaspillé retourne chez vous, bénéfices en plus !
Vous poussez la malhonnêteté jusqu'à dire à vos concitoyens que si rien ne va plus chez vous dans le domaine social, c'est parce que tout l'argent s'envole en Afrique, où la France est en train de construire un système de tout-à-l'égout dans tous les petits villages !
Auteur:
Dongala Emmanuel Boundzéki
Années: 1941 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain en exil
Continent – Pays: Afrique - Congo - Centrafrique
Info:
Un fusil dans la main, un poème dans la poche
[
.
]
comprendre
On faisait reproche à quelqu'un, devant moi, pour sa curiosité. Je me récriai : "Etre curieux ? Ne blâmez pas ! C'est une qualité. La curiosité est un côté de l'intelligence. Il n'y a que les sots, les niais, les cerveaux inertes, qui ne sont pas curieux. Il faut être curieux le plus possible. Se mêler de ce qui ne vous regarde pas, écouter aux portes, regarder aux fenêtres pour voir ce qui se passe chez les gens, suivre d'autres dans la rue pour écouter ce qu'ils disent, lire les lettres qui traînent, faire parler telle personne sur telle autre, provoquer les confidences, lire au travers des enveloppes, faire semblant de dormir dans une réunion pour amener les autres à parler plus librement, payer des domestiques pour savoir des histoires sur leurs maîtres, épier, écouter, regarder, fouiller, surprendre, découvrir, avec l'air de l'homme le plus indifférent, - le comble de l'adresse en cette matière ! - c'est ainsi qu'on apprend quelque chose dans la vie. Les gens qui ne sont pas curieux sont des sots. La curiosité, c'est le besoin de savoir. Celui qui n'est pas curieux n'apprendra jamais rien."
Auteur:
Léautaud Paul
Années: 1872 - 1956
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Passe-temps/Oeuvres/Mercure de France 1988 <p.302>
décadence
Les Pringsheim et leurs affidés symbolisaient tout ce qu'il avait en horreur. Ils étaient frelatés, superficiels, prétentieux : une bande de clowns dont les excentricités, contrairement aux siennes, n'avaient même pas l'excuse de la naïveté. Ils faisaient non seulement semblant de s'amuser. Ils riaient pour s'entendre rire et faisaient étalage d'un appétit sexuel qui n'avait rien à voir avec un sentiment ou un instinct quelconque et n'était que le fruit sec de leur imagination rabougrie. Copulo ergo sum. Et la Sally Salope qui s'était foutu de lui parce qu'il n'avait pas le courage de ses instincts. Comme si l'instinct consistait à éjaculer dans le corps chimiquement stérilisé d'une femme qu'il avait rencontrée vingt minutes auparavant. Wilt avait réagi tout à fait instinctivement en fuyant devant cette concupiscence faite de goût du pouvoir, d'arrogance et d'un insupportable mépris qui présupposait que ce qu'il était, ce peu de chose qu'il était, ne représentait qu'une extension de son pénis, et que l'expression ultime de ses pensées, de ses sentiments, de ses espoirs et de ses ambitions ne pouvait être atteinte qu'entre les cuisses d'une pute à la mode. Et c'était ça la libération ?
Auteur:
Sharpe Tom
Années: 1928 - 2013
Epoque – Courant religieux: récent et libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain satirique
Continent – Pays: Europe - Angleterre
Info:
Wilt, Tome 1 : Comment se sortir d'une poupée gonflable et de beaucoup d'autres ennuis encore
[
sexe
]
[
obsédé
]
contemplation
Quand il était petit, la mère de Léonard s'était souvent assise dehors sur les marches de leur ferme, restant parfois une demie heure les yeux fixés sur les montagnes qui s'élevaient au-delà de leur pré. C'est si joli que ça m'emporte loin de moi, lui avait-elle expliqué un jour d'une voix douce, avec l'air de lui confier un secret. Une bible ou la messe ne lui suffisait pas toujours, lui avait-elle avoué. Voilà pourquoi avant tout, il faut un monde, avait-elle ajouté. Dans les jours qui avaient suivi le départ d'Emilie et de Kéra, Léonard avait tenté de voir le monde comme l'avait vu sa mère. Il avait pris sa voiture pour aller au bord de la Calumet River, l'unique endroit où il y avait assez d'arbres pour dissimuler un paysage semblant avoir été aplani par un rouleau à pâtisserie géant. Il s'était assis sur la berge et avait scruté les peupliers et les bouleaux, les aulnes noirs et les hamamélis blottis sous les arbres plus grands, l'eau lente et brune, en s'efforçant de trouver la même paix intérieure que sa mère, des années auparavant, sur les marches de la galerie.
Auteur:
Rash Ron
Années: 1953 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Amérique du nord - Usa
Info:
Le monde à l'endroit
[
mimétisme
]
[
maman
]
réalité
Commençons par considérer l'actualité, et essayons de voir en quoi elle consiste. Si je vous demande comment se compose un événement, vous me l'expliquerez en me parlant de quelque un de ses paramètres. Paramètres ou "spécificités" qui impliquent alors toutes leurs relations avec le reste. La vérité de l'événement semblant se situer dans ses relations avec l'univers des autres événements. Un tribunal habilité à émettre des injonctions et des jugements à mon encontre dont je ne me soucie pas plus que d'un simple claquement de doigts. Que je puis voir comme une futile vapeur. Mais lorsque la main du policier se pose sur mon épaule, je commence à avoir un sens d'actualité. Le réel est quelque chose de brutal. On n'y trouve pas grande raison. On s'imagine en train d'appuyer notre épaule contre une porte en essayant de l'ouvrir de force contre une résistance invisible, silencieuse et inconnue. Nous avons une conscience bilatérale de l'effort et de la résistance, qui me semble raisonnablement proche d'un pur sens de l'actualité. Dans l'ensemble, je pense que nous avons ici le mode d'être d'une chose qui prend connaissance d'une autre. Je nommerai ceci Secondéité.
Auteur:
Peirce Charles Sanders
Années: 1839 - 1914
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: sémiologue, mathématicien, logicien et philosophe
Continent – Pays: Amérique du nord - Usa
Info:
Lowell Lectures on Some Topics of Logic Bearing on Questions Now Vexed. Lecture III [R]. MS [R] 460. 1903
[
matérialité
]
[
concret
]
écriture
mon ombre m’espionne à chaque pas
pour rendre son rapport à la Mort
mais moi je fais semblant
d’être calme et obéissant
je regarde les croix qui ne sont autres
qu’emplâtres sur la face de la Terre
et je dis : ça me va, Madame la Mort,
ça me va !
le Temps avale avide
les battements de mon coeur
il me laisse comme pourboire
quelques souvenirs
juste quelques petits souvenirs
et je dis : ça me va, Monsieur le Temps,
ça me va !
heureux et triste à la fois
car je suis encore
une dispersion de la lumière
dans une goutte de sang
je fais ma prière
et je dis : ça me va, Madame la Vie,
ça me va !
je fais semblant
d’être calme et obéissant
mais le soir
ayant l’air d’un rêveur
j’écris
et les mots s’alignent
comme des armées silencieuses
sur la feuille de papier
combattant la fatalité
Auteur:
Caragea Ionut
Années: 1975 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain, poète et essayiste
Continent – Pays: Europe - Roumanie
Info:
Armées silencieuses
[
poème circadien
]