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liberté

Suspendre le jugement moral ce n'est pas l'immoralité du roman, c'est sa morale. La morale qui s'oppose à l'indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et tout le monde, de juger avant et sans comprendre. Cette fervente disponibilité à juger est, du point de vue de la sagesse du roman, la plus détestable bêtise, le plus pernicieux mal. Non que le romancier conteste, dans l'absolu, la légitimité du jugement moral, mais il le renvoie au-delà du roman. Là, si cela vous chante, accusez Panurge pour sa lâcheté, accusez Emma Bovary, accusez Rastignac, c'est votre affaire ; le romancier n'y peut rien.

Auteur: Kundera Milan

Info: Les Testaments trahis, 1995

[ littérature ] [ ouverture ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

existence noviciat

Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est la vie même? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même "esquisse" n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau.

Auteur: Kundera Milan

Info: L'insoutenable légèreté de l'être

[ instant ] [ grandir ] [ nouveauté ] [ vivre ] [ expérience ] [ question ]

 

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tendresse

La tendresse prend naissance à l'instant où nous sommes rejetés sur le seuil de l'âge adulte et où nous nous rendons compte avec angoisse des avantages de l'enfance que nous ne comprenions pas quand nous étions enfants. La tendresse, c'est la frayeur que nous inspire l'âge adulte. La tendresse, c'est la tentative de créer un espace artificiel où l'autre doit être traité comme un enfant. La tendresse, c'est aussi la frayeur des conséquences physiques de l'amour ; c'est une tentative de soustraire l'amour au monde des adultes (où il est insidieux, contraignant, lourd de chair et de responsabilité) et de considérer la femme comme un enfant.

Auteur: Kundera Milan

Info: La vie est ailleurs, p.171, Folio no834

 

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Éternel

De deux choses l'une : ou bien l'homme a été créé à l'image de Dieu et alors Dieu a des intestins, ou bien Dieu n'a pas d'intestins et l'homme ne lui ressemble pas.[...]

Valentin, Grand Maître de la Gnose du IIe siècle, affirmait que Jésus "mangeait, buvait, mais ne déféquait point".

La merde est un problème théologique plus ardu que le mal. Dieu a donné la liberté à l'homme et on peut donc admettre qu'il n'est pas responsable des crimes de l'humanité. Mais la responsabilité de la merde incombe entièrement à celui qui a créé l'homme, et à lui seul. 


Auteur: Kundera Milan

Info: L'insoutenable légèreté de l'être, Sixième partie - La Grande Marche, chap 3, p 362

[ miroir ] [ homothétique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

être humain

Tout au début de la Genèse, il est écrit que Dieu a créé l'homme pour qu'il règne sur les oiseaux, les poissons et le bétail. Bien entendu, la Genèse a été composée par un homme et pas par un cheval. Il n'est pas du tout certain que Dieu ait vraiment voulu que l'homme règne sur les autres créatures. Il est plus probable que l'homme a inventé Dieu pour sanctifier le pouvoir qu'il a usurpé sur la vache et le cheval. Oui, le droit de tuer un cerf ou une vache, c'est la seule chose sur laquelle l'humanité toute entière soit fraternellement d'accord, même pendant les guerres les plus sanglantes.

Auteur: Kundera Milan

Info: L'insoutenable légèreté de l'être

[ religion ] [ anthropocentrisme ]

 

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conformisme

Émigré de fraîche date, je bavardais en France avec un jeune homme qui tout à trac m’a demandé : Aimez-vous Barthes ? À l’époque, je n’étais plus naïf. Je savais que je passais un examen. Et je savais aussi que Roland Barthes, à ce moment-là, figurait en tête de toutes les listes d’or. J’ai répondu : Bien sûr que je l’aime. Et comment ! Vous parlez, n’est-ce pas, de Karl Barth ! Le créateur de la théologie négative ! Un génie ! L’œuvre de Kafka est inconcevable sans lui ! Mon examinateur n’avait jamais entendu le nom de Karl Barth mais, vu que je l’avais lié à Kafka, l’intouchable des intouchables, il n’avait plus rien à dire.

Auteur: Kundera Milan

Info: Une rencontre

[ challenge ] [ dévotion ] [ intellectualisme parisien ] [ vache sacrée ]

 

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Ajouté à la BD par Plouin

illumination

L'extase signifie être "hors de soi", comme le dit l'étymologie du mot grec : action de sortir de sa position (stasis). Être "hors de soi" ne signifie pas qu'on est hors du moment présent à la manière d'un rêveur qui s'évade vers le passé ou vers l'avenir. Exactement le contraire : l'extase est identification absolue à l'instant présent, oubli total du passé et de l'avenir. Si on efface l'avenir ainsi que le passé, la seconde présente se trouve dans l'espace vide, en dehors de la vie et de sa chronologie, en dehors du temps et indépendante de lui (c'est pourquoi on peut la comparer à l'éternité qui, elle aussi, est la négation du temps).

Auteur: Kundera Milan

Info: Les Testaments trahis

[ instant ] [ nirvana ]

 

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credo

[...] il faut que celui qui pense ne s'efforce pas de persuader les autres de sa vérité ; il se trouverait ainsi sur le chemin d'un système ; sur le lamentable chemin de la "conviction" ; des hommes politiques aiment se qualifier ainsi ; mais qu'est-ce qu'une conviction ? c'est une pensée qui s'est arrêtée, qui s'est figée, et l'" homme à conviction " est un homme borné ; la pensée expérimentale ne désire pas persuader mais inspirer ; inspirer une autre pensée, mettre en branle le penser ; c'est pourquoi un romancier doit systématiquement dé systématiser sa pensée, donner des coups de pied dans la barricade qu'il a lui-même érigée autour de ses idées.

Auteur: Kundera Milan

Info: Les testaments trahis, p.212, Folio no2703

 

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dialogue

Vous savez ce qui se passe quand deux personnes bavardent. L'une parle et l'autre lui coupe la parole : c'est tout à fait comme moi, je ... et se met à parler d'elle jusqu'à ce que la première réussisse à glisser à son tour : c'est tout à fait comme moi, je ...
Cette phrase, c'est tout à fait comme moi, je ..., semble être un écho approbateur, une manière de continuer la réflexion de l'autre, mais c'est un leurre : en réalité c'est une révolte brutale contre une violence brutale, un effort pour libérer notre propre oreille de l'esclavage et occuper de force l'oreille de l'adversaire. Car toute la vie de l'homme parmi ses semblables n'est rien d'autre qu'un combat pour s'emparer de l'oreille d'autrui.

Auteur: Kundera Milan

Info: Le livre du rire et de l'oubli, p.128, Folio no1831

[ exister ]

 

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corps-esprit

Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli. Évoquons une situation on ne peut plus banale : un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. À ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Par contre, quelqu’un qui essaie d’oublier un incident pénible qu’il vient de vivre accélère à son insu l’allure de sa marche comme s’il voulait vite s’éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui. Dans la mathématique existentielle cette expérience prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli.

Auteur: Kundera Milan

Info: La lenteur

[ mécanisme mnémonique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel