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théologie chrétienne

L’herméneutique augustinienne, on le constate, ne saurait se réduire à un simple guide d’initiation ou de bonne lecture biblique. À moins bien sûr qu’on ne restitue à l’activité de la lecture, coextensive à l’enseignement, comme le sont les autres activités herméneutiques, telles que l’explication de texte, la discussion, la prédication et même la prière, le sens et l’importance principiels qu’elle recouvre dans le De doctrina Christiana : ceux d’un partage et d’un don prenant prétexte de l’Écriture. L’étymologie latine de l’"interprétation" est d’ailleurs consonante avec les déterminations de cette herméneutique charitable ou, si l’on préfère, de cette charité herméneutique, dont la force cohésive rapproche, unit les hommes "entre eux par le nœud de l’unité" et la proximité du sens : l’interpretare renvoie en effet à la relation (inter) de mutuel endettement (pretare), à l’état d’être proche (praesto) et à celui d’être présent (praesto esse*). Les médiations du sens, auxquelles préside l’herméneutique, et les médiations de l’amour, qui relèvent de la charité, décrivent une série de rapports, d’échanges, de transactions et de tractationes interprétables en termes économiques. L’herméneutique et la charité, telles que le prologue les imbrique déjà étroitement l’une dans l’autre, procèdent d’une même économie de partage et de (re)distribution ; elles composent à elles deux, au-delà de leur nature à première vue dissemblable, une seule et unique structure. Cette structure, qu’Augustin articule au livre premier du DDC, transgresse les frontières du texte et du hors-texte : elle greffe la charité à l’interprétation et l’interprétation à l’économie du salut. Augustin en énonce, une première fois, en s’appuyant sur des versets de Jean et de Paul, la loi générale : Nul au demeurant ne doit considérer quoi que ce soit comme son bien propre, sauf peut-être le mensonge. Car toute vérité vient de celui qui a dit : "Je suis la Vérité". Qu’avons-nous en effet que nous n’ayons reçu ? Et si nous l’avons reçu, pourquoi nous en glorifier, comme si nous ne l’avions pas reçu (P, 1, 8) ?

Auteur: Theriault Patrick

Info: Per homines hominibus : charité et herméneutique dans le prologue du De doctrina christiana, p 375.*Julia Kristeva, "Psychoanalysis and the Polis", dans Transforming the Hermeneutic Context. From Nietzsche to Nancy, New York, State University of New York Press (coll. "Intersections"), 1990, p. 92.

[ sincérité ] [ réflexivité ] [ humilité ] [ citation s'appliquant à ce logiciel ] [ langage ]

 
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déni du père réel

Deux phénomènes en témoignent.

D’une part, la mise à l’écart, pour ne pas dire à l’index du père réel en tant qu’il fait de la mère l’objet de son désir. La place actuelle de l’homme dans le désir, telle qu’elle est articulée par les médias, pourrait être décrite comme "appendice du pénis" comme en témoignent les dernières enquêtes sur la sexualité des femmes célibataires made in USA qui, lorsqu’elles ne trouvent pas d’homme pour un acte sexuel, "s’en remettent à leur plus fidèle ami (les vibromasseurs se vendent ici comme des petits pains)". La sexualité est passée dans le registre de la consommation de masse et l’acte sexuel est lui-même traité, dans une bonne majorité des cas, comme un objet de plus-de-jouir nécessaire et consommable. L’homme est renvoyé à une position infantile d’objet du désir des femmes, ou à une position de père des enfants, mais il est de plus en plus rarement considéré comme porteur du phallus, comme détenteur de l’objet du désir. La dimension de l’avoir qui fait le côté masculin de la sexuation semble ne pas avoir de place, dans le discours social construit sur l’égalité des sexes et le féminisme post-moderne.

La deuxième forme de déni de la fonction paternelle [...] apparaît là, dans les us et coutumes modernes, autrement dit dans la mise en place d’une cellule familiale matricentrée dans laquelle la mère reste détentrice du phallus.

Ces deux aspects des transformations sociales (mise à "l’index" du père et familles matricentrées) si elles sont pour l’enfant prépubère perturbantes du fait que le Nom-du-Père est accroché au père de la mère plus qu’à son homme, n’empêchent pas une construction normalisée de la père-version infantile qui pose le phallus comme opérateur du désir. Il en va tout autrement pour le pubère car son passage par la découverte du féminin réactive la jouissance archaïque du lien à la mère, et le discours social ne vient pas borner ce retour.

Auteur: Lesourd Serge

Info: Dans "Comment taire le sujet ?", éditions Érès, 2010, pages 50-51

[ réel-symbolique-imaginaire ] [ rabaissement ] [ conséquences ] [ psychanalyse ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

christianisme

Le mystère de l’Incarnation fait partie des enseignements de la religion. Cet enseignement est en lui-même une grâce, qui nous dispose à croire ce qui nous est révélé – qui nous y oblige aussi. Mais ici, que veut dire "croire" ? ce n’est pas nécessairement avoir l’esprit tout empli de ce qui est cru. Ce croire est à titre essentiel un vouloir-croire et un penser-croire, un tenir-pour-vrai (Fürwahrhalten), mais jamais, sauf sans doute grâce particulière, une persuasion aussi absolue que celle qui procède directement de la lumière naturelle. 

[…] Faut-il tenir ce mode du croire pour définitivement inauthentique, moyennant quoi l’on devrait conclure que Descartes, quoique s’étant déclaré chrétien, n’a proprement rien cru de la matière de la révélation ?

Ce serait aller trop vite. Il existe une modalité faible et traditionnelle du croire, qui n’est pas rien. […]

1) Une fois tracées, comme Descartes s’y est efforcé, des limites précises entre le domaine de la raison et celui de la foi, ce qui est de la foi pourra toujours paraître incroyable à la raison, ou même ne pourra manquer de paraître tel ; mais ce ne sera pas une raison pour que la raison ne se soumette pas.

2) La croyance au sens faible coïncide avec une soumission pratique – celle de la parole et de l’action à une certaine règle. C’est […] une attitude propositionnelle, ou la décision de respecter cette règle ou proposition par toutes les voies observables.

3) Dans aucun de ses écrits, Descartes ne juge de la religion : il ne juge que de la théologie. Sur la religion du peuple, il n’a pas un mot […]. La superstition n’est pas son objet. Quant à la théologie ordinaire, elle est mauvaise parce qu’elle transgresse incessamment les limites de l’usage légitime de la raison ou de l’autorité, ce que ne font ni la bonne et orthodoxe théologie (par exemple celle d’Arnauld), ni la bonne et vraie philosophie, qui s’attache au contraire tout entière à ces démarcations.

Auteur: Kambouchner Denis

Info: La question Descartes, éditions Gallimard, 2023, pages 251 à 253

[ lien ] [ doute ]

 

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déclic

Bonsoir,
A le suite de vos témoignages je me dois de vous dire ce que m'est arrivé à la naissance de mon fils. J'ai été reconnue cliniquement morte - j'ai fait une NDE - et quand je suis revenue dans mon corps j'avais des acouphènes légers mais supportables avec une perte bi-latérale d'audition de 10%. Depuis cette époque, lorsque je me sens très fatiguée physiquement mes acouphènes s'amplifient et surtout lors de malaise de spasmophilie qui ne sont rien d'autre en vérité que la sensation de mourir. Tout cela pour vous dire que je reste convaincue qu'il y a donc un lien entre les acouphènes et la sortie de son corps. Pour ma part, tous les exercices cherchant à nous évader de cette matière grossière dans laquelle nous vivons ne peuvent que nous être néfastes tôt ou tard. (sous le prétexte de nous relaxer et d'oublier ce monde de plus en plus difficile à gérer). L'être humain doit faire l'expérience vivante de ce monde pour devenir conscient de lui-même et pour y arriver il doit utiliser les moyens terrestres qui lui sont donnés pour y arriver même au prix de mille efforts. Restons donc bien ancré dans le terrestre en conservant bien entendu la tête dans le ciel. Pour cela je préconise pour ces êtres de grande sensibilité des minéraux afin que leur corps soit en correspondance parfaite avec le milieu ambiant dans lequel il doivent séjourner pour mûrir durant le temps de leurs incarnations. Attention aux acouphéniques de ne pas par exemple devenir végétarien, ils risques de n'être pas du tout ancré pour l'action concrète dans le terrestrement visible en fait d'avoir la sensation de planer. Là n'est pas le but de la vie terrestre de l'être humain. Il doit y agir en pleines capacités de ses moyens. Je sais que parmi vous beaucoup ne seront pas d'accord. Mais à la suite du témoignage de Benjamin j'ai cru bon de, à mon tour, porter témoignage que jusque là j'avais tenu caché. Bonne soirée. Monique.

Auteur: Anonyme

Info: sur Internet

[ ésotérisme ] [ amorce ] [ cornement ] [ sens-de-la-vie ] [ métaphysique ]

 

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déshumanisation technique

Ayant éliminé l’humain de la sphère de la production (robots, automates, algorithmes), les machines le remplacent dans sa reproduction. Comme dans tous les aspects de la vie 4.0, le progrès est implacable : toujours moins d’humain. Ce que la loi de bioéthique valide en autorisant les femmes à faire des enfants sans partenaire masculin. Comme s’en glorifie Anne, consultante en ressources humaines, à L’Obs : "J’ai fait ma petite fille toute seule, en Belgique." Alice, cinq ans, est sûrement fière d’avoir une maman si forte — Toute seule ! mais avec un laboratoire, des médecins, un traitement de stimulation ovarienne, un dispositif de fécondation in vitro. L’autonomie assistée par la technologie et l’expertise. L’indépendance, c’est la dépendance.

Le plus facile à évincer était le père. Son compte est réglé. Alice en réclame un, paraît-il, mais les générations futures auront oublié ce détail. Qui plus est, cette disparition s’opère au nom du droit, ce qui renforce la bonne conscience de ceux que leur standing politique préoccupe.

Puis il faut dire que ces accouplements à visée reproductrice étaient atrocement mammifères. Pensons aux religieuses et aux "a‑sexuelles", elles aussi victimes de "stérilité sociale" et privées de leur "liberté procréative" en raison de leur chasteté. Grâce à la technologie, elles pourront enfanter comme Marie et devenir des vierges augmentées.

D’après sociologues et gynécologues, les écrans éteignent la vie sexuelle. Selon une étude de l’université de Cambridge, les couples anglais ont 40 % de rapports sexuels de moins en 2010 qu’en 1990. À ce rythme, c’est fini en 2030. Aux États-Unis, les couples ont neuf fois moins de rapports sexuels dans les années 2010 que vingt ans avant, et les "Millenials" (nés après 1990) sont les plus touchés. La plupart reconnaissent consacrer plus de temps à leur smartphone qu’à leur partenaire. On le savait depuis les années soixante, la natalité baisse avec la télé. Avec Internet, le porno est à portée de vue permanente des adolescents. Selon les spécialistes, cela en détourne beaucoup de la sexualité avec des humains en chair et en os.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Alertez les bébés ! ", éditions Service compris, 2020, pages 74-75

[ recomposition parentale ] [ légalité du désir ] [ reproduction ] [ statistiques ]

 

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femmes-hommes

Plusieurs femmes philosophes ont affirmé, depuis une quinzaine d'années, que les dichotomies sont le fait des hommes. Que, sans la "pensée patriarcale" - pensée spécialisée dans les séparations, les divisions, les découpages, les scissions et les fissions (sans doute à cause du caractère "incisif" du pénis?) -, il n'y aurait aucune distinction entre sujet et objet, homme et femme, jour et nuit, esprit et corps, convexe et concave, sec et mouillé. Que l'existence même de ces catégories oppositionnelles est un résultat du machisme. Le pas suivant consiste à revendiquer le côté prétendument "négatif" de cette liste de dichotomies en revalorisant le féminin, l'irrationnel, le ténébreux, le corporel et le liquide (cela a permis, entre autres, d'hallucinants aller-retour entre la théorie de la "négritude" et celle de la "féminitude").
Or cette façon de voir est indéfendable (...). Ce qui est néfaste - et peut-être "machiste" et "patriarcal", ce ne sont pas les dichotomies en tant que telles, mais la superposition mécanique des dichotomies. La plus néfaste de toutes est celle qui est revenue avec insistance dans toutes les histoires de couple que j'ai auscultées ici: homme-esprit/femme-corps. Elle n'a pas été inventée par le christianisme, cette équation (elle est déjà largement présente chez Platon, et plus encore chez Aristote), mais le christianisme lui a imprimé des formes spécifiques dont nous sommes encore tributaires. D'où le "complexe de Jésus-Christ", un des terrains propices à la production de grands hommes en Occident: absence du père, idolâtrie de la mère. Les "grandes femmes" apparaissent avec plus de difficulté, pour la bonne raison qu'elles doivent traverser la barre qui les sépare de l'esprit. (...) Il est sûrement urgent de faire voler en éclats les équations de ce genre, mais pas du tout les distinctions elles-mêmes. Même s'il n'y a pas de frontière absolument nette entre corps et esprit, même si chaque homme contient "du féminin" et chaque femme "du masculin", les distinctions continuent d'être utiles, voire indispensables: renoncer à faire la différence entre sujet et objet serait renoncer à parler.

Auteur: Huston Nancy

Info: Journal de la création

[ analysés ]

 

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carence

Le deuil s'avère être un terrain qu'aucun d'entre nous ne connaît avant d'y être. Nous anticipons (nous savons) qu'un de nos proches pourrait mourir, mais nous ne voyons pas plus loin que les quelques jours ou semaines qui suivent immédiatement pareille mort imaginée. Nous nous méprenons sur la nature même de ces quelques jours ou semaines. Si la mort est soudaine, on peut s'attendre à ressentir un choc. On ne s'attend pas à ce que le choc soit oblitérant, disloquant à la fois le corps et l'esprit. On peut s'attendre à être prostré, inconsolable, fous de douleur. Mais pas à en devenir littéralement fous, comme ces clientes cools qui croient que leur mari est sur le point de revenir et qu'il aura besoin de ses chaussettes. Dans la version du deuil que nous imaginons, le modèle sera "cicatrisant". Aller vers l'avant primera. Les pires jours seront les premiers jours. On s'imagine que le moment qui nous mettra le plus à l'épreuve sera  l'enterrement, ensuite duquel cette hypothétique guérison se produira. Lorsque nous imaginons les funérailles, nous nous demandons si nous pourrons "passer au travers", nous montrer à la hauteur de l'événement, faire preuve de la "force" qui est invariablement mentionnée comme étant la bonne réponse à la mort. On s'attend à devoir s'endurcir pour le moment : pourrai-je saluer les gens, pourrai-je quitter les lieux, pourrai-je même m'habiller ce jour-là ? Nous n'avons aucun moyen de savoir que ce le cas ou pas. Aucun moyen de savoir si les funérailles elles-mêmes seront anodines, une sorte de régression narcotique dans laquelle on est  enveloppé par les attentions des autres et par la gravité et la signification de l'occasion. Nous ne pouvons pas non plus savoir à l'avance (et c'est là que réside le cœur de la différence entre le deuil tel que nous l'imaginons et le deuil tel qu'il est) l'absence sans fin qui suit, le vide, le contraire même du sens, la succession implacable de moments au cours desquels nous serons confrontés à l'expérience de l'absence de sens elle-même.

Auteur: Didion Joan

Info: The Year of Magical Thinking. Trad Mg

[ irrémédiable ] [ définitive ] [ âme-parente ]

 

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folie prométhéenne

Lacan : Il semble que vienne pour les savants le moment de l'angoisse. Dans leurs laboratoires aseptiques, roulés dans leurs blouses empesées, ces vieux bambins qui jouent avec des choses inconnues, en fabriquant des appareils toujours plus compliqués et en inventant des formules toujours plus obscures, commencent à se demander ce qui pourra advenir demain, ce que ces recherches toujours nouvelles finiront par amener. Enfin ! dis-je. Et s'il était trop tard? Les biologistes se le demandent maintenant, ou les physiciens, les chimistes. Pour moi, ils sont fous. Alors qu'ils sont déjà en train de changer la face de l'univers, il leur vient à l'esprit seulement à présent de se demander si par hasard ça ne peut pas être dangereux. Et si tout sautait? Si les bactéries élevées si amoureusement dans les blancs laboratoires se transformaient en ennemis mortels? Si le monde était balayé par une horde de ces bactéries avec toute la merde qui l'habite à commencer par ces savants des laboratoires? Aux trois positions impossibles de Freud, gouvernement, éducation, psychanalyse, j'en ajouterai une quatrième, la science. A ceci près, que les savants ne savent pas que leur position est insoutenable.

Question : C’est une vision assez pessimiste de ce qui communément se définit comme le progrès.

 Lacan : Pas du tout, je ne suis pas pessimiste. Il n’arrivera rien. Pour la simple raison que l’homme est un bon à rien, même pas capable de se détruire. Une calamité totale promue par l’homme, personnellement je trouverais ça merveilleux. La preuve qu’il aurait finalement réussi à fabriquer quelque chose avec ses mains, avec sa tête, sans intervention divine ou naturelle ou autre.

Toutes ces belles bactéries bien nourries se baladant dans le monde, comme les sauterelles bibliques, signifieraient le triomphe de l’homme. Mais ça n’arrivera pas. La science a sa bonne crise de responsabilité. Tout rentrera dans l’ordre des choses, comme on dit. Je l’ai dit, le réel aura le dessus comme toujours, et nous serons foutus comme toujours.


Auteur: Lacan Jacques

Info: Entretien accordé en 1974 au magazine italien Panorama, traduit de l'italien par Paul Lemoine

[ ignorance ] [ conséquences ] [ apprentis sorciers ] [ impuissance ]

 
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ambivalence

Elle n'est pas heureuse, la vie, à Raïssa. Dans les rues, les gens marchent en se tordant les mains, disputent les enfants qui pleurent, s'appuient aux parapets des fleuves en prenant leurs tempes entre leurs mains ; le matin, ils émergent d'un mauvais rêve et en commencent un autre. Dans les ateliers où à chaque instant on se tape à coups de marteau sur les doigts et se pique avec une aiguille, sur les colonnades de chiffres tordus des registres de négociants et de banquiers, devant les verres vides rangés sur le zinc des bistrots, c'est un moindre mal quand les têtes se penchent en t'épargnant des regards torves. Dans les maisons, c'est pire, et il n'est pas nécessaire d'y entrer pour le savoir : l'été, les fenêtres retentissent de disputes et de bris de vaisselle. Et pourtant, à Raïssa, à tout moment, un enfant rit à sa fenêtre, en voyant un chien sauter sur un auvent pour mordre dans le morceau de polenta qu'un maçon à lâché du haut d'un échafaudage, en s'exclamant : "Mon trésor, laisse-moi plonger !" à l'adresse d'une jeune hôtelière qui soulève un plat de ragoût sous sa pergola, contente de le servir au marchand de parapluies qui fête une bonne affaire, l'ombrelle de dentelle blanche avec quoi  va se pavaner aux courses une grande dame amoureuse d'un officier qui lui a souri alors qu'il sautait la dernière haie, heureux lui-même mais plus heureux encore son cheval qui volait par-dessus les obstacles voyant voler dans le ciel un francolin, heureux oiseau libéré de sa cage par un peintre heureux de l'avoir peint plume à plume, tacheté de rouge et de jaune, dans une miniature, à cette page du livre où le philosophe dit : "Même à Raïssa, ville triste, court un fil invisible qui par instants réunit un être vivant à un autre et se défait, puis revient se tendre entre des points en mouvement, dessinant de nouvelles figures rapides, si bien qu'à chaque seconde la ville malheureuse contient une ville heureuse sans même qu'elle le sache."

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ cité imaginaire ]

 

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philosophe-sur-philosophe

C'était dans l'intimité une compagne charmante et pleine d'esprit : elle maniait la plaisanterie sans mauvais goût et l'ironie sans méchanceté. Son érudition extraordinaire et si profondément assimilée qu'on la distinguait à peine de l'expression de sa vie intérieure donnait à sa conversation un attrait inoubliable. Elle avait cependant un grave défaut (ou une rare qualité, suivant le plan où on se place) : c'était de refuser toute concession aux nécessités ou aux convenances de la vie sociale. Elle disait toujours toute sa pensée à tout le monde en toutes circonstances. Cette sincérité, qui procédait avant tout d'un profond respect des âmes, lui valut bien des mésaventures, amusante pour la plupart, mais dont certaines faillirent tourner au tragique à une époque où toute vérité n'était pas bonne à crier sur les toits. 

Il n'est pas question d'établir ici le bilan des sources historiques de sa pensée et des influences qu'elle a pu subir. Indépendamment de l'Evangile dont elle se nourrissait tous les jours, elle avait une profonde vénération pour les grands textes hindous et taoïstes, pour Homère, les tragiques grecs, et surtout Platon qu'elle interprétait dans un sens foncièrement chrétien. Elle haïssait par contre Aristote en qui elle voyait le premier fossoyeur de la grande tradition mystique. Saint Jean de la Croix dans l'ordre religieux, Shakespeare, certains poètes mystiques anglais et Racine dans l'ordre littéraire marquèrent également son esprit. Parmi les contemporains, je ne vois guère que Paul Valéry et Koestler dans le Testament espagnol dont elle m’ait parlé avec une admiration sans mélange. Ses préférences comme ses exclusions, étaient abruptes et sans appel. Elle croyait fermement que la création vraiment géniale exigeait un niveau supérieur de spiritualité et qu'il n'était pas possible d'atteindre à l'expression parfaite sans avoir traversé de sévères purifications intérieures. Ce souci de pureté, d'authenticité intimes la rendait impitoyable pour tous les auteurs en qui elle croyait déceler la moindre recherche de l'effet, le plus léger élément d'insincérité ou de boursouflure : Corneille, Hugo, Nietzsche. Seul comptait pour elle le style parfaitement dépouillé, traduction de la nudité de l'âme.

Auteur: Thibon Gustave

Info: Préface à "La pesanteur et la grâce" de Simone Weil, Librairie Plon, 1988, pages 9-10

[ description ] [ portrait ]

 

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