Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 14
Temps de recherche: 0.0442s

dépayser

Vous savez, l'inventeur des menottes, des fers et des chaînes ne se serait jamais douté de l'utilisation que ces conceptions d'un âge plus rude et plus simple que le nôtre auraient un jour dans le monde moderne! Si j'étais à la place des promoteurs immobiliers et des responsables de l'aménagement du territoire en banlieue, j'en prévoirais au minimum une paire au mur de chaque foyer. Quand les banlieusards seraient fatigués de la télévision, du ping-pong ou des autres activités, quelles qu'elles soient, qu'ils pratiquent dans leur foyer, ils pourraient s'enchaîner les uns les autres, se jeter aux fers pour un moment. Tout le monde adorerait ça. On entendrait les épouses: "Mon mari m'a jetée aux fers, hier soir. C'était formidable. Le vôtre ne vous l'a jamais fait?". Les enfants se hâteraient de rentrer de l'école à la maison car leur mère les y attendrait pour les enchaîner. Cela permettrait aux enfants d'enrichir leur imagination, ce que le télé leur interdit, et je ne doute pas que la délinquance juvénile en serait considérablement diminuée. Quand le père rentrerait à son tour, les autres membres de la famille pourraient se saisir de lui et le jeter aux fers pour lui apprendre à être assez stupide pour travailler toute une journée dans le but de subvenir aux besoins du ménage. Les vieux parents ennuyeux pourraient être enchaînés dans le garage. On leur libérerait les mains une fois par mois, pour leur permettre d'endosser leur chèque de sécurité sociale ou leur retraite. Les fers et les chaînes permettraient la construction d'une vie plus belle pour tous.

Auteur: Toole John Kennedy

Info: La conjuration des imbéciles, p.322 Robert Laffont

[ . ]

 

Commentaires: 0

dubitation

« Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire » (parole attribué au Bouddha)

C'est peu de dire que le doute est toujours plus fécond que toutes les certitudes. Le doute fait avancer, découvrir ; les certitudes étouffent. J’évoque ici, bien sûr, le doute constructif, celui qui pousse à vérifier, à mieux comprendre, à mieux décrire, pas le doute destructif qui rejette sans même examiner et sans souci de remplacer. Le doute est le premier moteur de la connaissance. En effet, pour connaître, il faut avoir trouvé ; pour trouver, il faut avoir cherché ; pour chercher, il faut avoir douté. Quand on croit savoir, on n’a plus envie de chercher et quand on ne cherche plus, on n’a plus aucune chance de trouver.

Le doute produit une instabilité qui force à avancer, à chercher, à progresser. C’est cette dynamique qui est à l’origine de tous les progrès dans la connaissance. La foi, au contraire, a tendance à bloquer la raison dans les croyances. Elle finit par inhiber l’esprit critique et peut conduire à l’intégrisme. Historiquement, les croyances de toutes sortes, qu’elles soient religieuses, traditionnelles, superstitieuses, nationalistes, raciales, idéologiques ont toujours été un frein au progrès vers plus d’humanité. C’est, par contre, la remise en question permanente suscitée par le doute qui a conduit à toutes les percées notables en matière de progrès aussi bien scientifique ou technologique que social ou humanitaire.

L’ascèse du doute

Seul le doute permet d’avancer pas à pas vers une connaissance sans cesse plus fine, plus complète, plus proche du réel. Il s’agit là de l’ascèse laborieuse et humble du vrai scientifique qui sait pourtant que la vérité absolue n’est pas atteignable par la raison, son seul outil de travail. Ce qui le conforte dans sa démarche c’est l’ouverture régulière du paysage cognitif qui s’offre à lui à chaque nouveau col passé.

L’apprentissage du doute dès le plus jeune âge est le meilleur rempart contre toutes les formes d’intégrisme et de fanatisme. Pour toujours plus d’humanité, c’est le doute (et la réflexion qu’il engendre) qu’il faut conforter chez les jeunes au lieu d’une quelconque croyance ou obéissance irréfléchie.

Auteur: Santarini Gérard

Info: Extrait de "Croire ou savoir ? Petites graines de réflexion pour un monde meilleur", Librinova, 2019

[ réflexion ]

 
Mis dans la chaine
Commentaires: 1
Ajouté à la BD par SANTARINI

coup d'oeil

Installé au premier rang, je me retournai pour observer en douce les gens. Je notai toutes les nuances de couleur. Toutes les teintes que j'avais pu voir auparavant étaient quelque part dans cette pièce. Les visages derrière moi offraient une palette de dégradés, des coloris fragmentés se reflétant telles les incrustations d'une mosaïque éclaboussée de lumière. Chacune insistant sur sa propre spécificité. Des éclats de chair en tous sens, acajou par ici, noix ou pin par là. Des bouquets de bronze et de cuivre, des étendues de pêche, ivoire et nacre. De temps en temps, des extrêmes : la pâte décolorée des pâtisseries danoises, ou bien la cendre nuit noire de la salle des machines d'un paquebot de l'histoire. Mais dans le milieu du spectre, majoritaire, toutes les traces et les nuances imaginables de marron s'entassaient sur les chaises pliantes. Ils se révélaient mutuellement, par contraste. Le brun-gris taupe révélant l'ambre, l'ocre révélant le fauve, les roses, les roux et les teks faisant mentir tous les noms dont on les avait toujours affublés. Toutes les proportions de miel, de thé, de café, de crème – fauve, renard, ivoire, chamois, beige, baie : j'étais incapable de distinguer un marron d'un autre. Marron comme les épines de pin. Marron comme le tabac séché. Des tons qu'il aurait sans douté été impossible de distinguer à la lumière du jour – châtaigne, roux, rouan – devenaient perceptibles grâce à ceux à côté desquels ils se trouvaient sous les lampes basses.

L'Afrique, l'Asie, l'Europe et l'Amérique se percutaient et ces nuances éclatées constituaient les incrustations de cet impact. Jadis, il y avait eu autant de couleurs de peau qu'il y avait de coins isolés sur terre. À présent, les combinaisons s'étaient multipliées. Combien de gradations un être humain pouvait-il percevoir ? Ce morceau polytonal et polyharmonique joué pour un public sourd comme un pot, qui n'entendait que les toniques et les dominantes, et tremblait même à l'idée de distinguer entre les deux. Il n'empêche, pour ma mère, toutes les notes de la gamme chromatique étaient présentes, et bon nombre de microtons intermédiaires.

Voilà pour le regard furtif que je lançai à la dérobade.

Auteur: Powers Richard

Info: Le temps où nous chantions

[ temps dilaté ] [ littérature ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

père-fils

Très cher père,
Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre, en partie justement à cause de la peur que tu m'inspires, en partie parce que la motivation de cette peur comporte trop de détails pour pouvoir être exposée oralement avec une certaine cohérence. Et si j'essaie maintenant de te répondre par écrit, ce ne sera encore que de façon très incomplète, parce que, même en écrivant, la peur et ses conséquences gênent mes rapports avec toi et parce que la grandeur du sujet outrepasse de beaucoup ma mémoire et ma compréhension.
En ce qui te concerne, le choses se sont toujours présentées très simplement, du moins pour ce que tu en as dit devant moi, et sans discrimination, devant beaucoup d'autres personnes. Tu voyais cela à peu près de la façon suivante: tu as travaillé durement toute ta vie, tu as tout sacrifié pour tes enfants, pour moi surtout; en conséquence, j 'ai "mené la grande vie", j'ai eu liberté entière d'apprendre ce que je voulais, j'ai été préservé des soucis matériels, donc je n'ai pas eu de soucis du tout; tu n'as exigé aucune reconnaissance en échange, tu connais la "gratitude des enfants", mais tu attendais au moins un peu de prévenance, un signe de sympathie; au lieu de quoi, je t'ai fui depuis toujours pour chercher refuge dans ma chambre, auprès de mes livres, auprès d'amis fous ou d'idées extravagantes; je ne t'ai jamais parlé à coeur ouvert, je ne suis jamais allé te trouver au temple, je n'ai jamais été te voir à Franzensbad, d'une manière générale je n'ai eu l'esprit de famille, je ne me suis jamais soucié ni de ton commerce, ni de tes autres affaires, j'ai soutenu Ottla dans son entêtement et , tandis que je ne remue pas le petit doigt pour toi (je ne t'apporte même pas un billet de théâtre), je fais tout pour mes amis. Si tu résumes ton jugement sur moi, il s'ensuit que ce que tu me reproches n'est pas quelque chose de positivement inconvenant ou méchant (à l'exception peut-être de mon dernier projet de mariage), mais de la froideur, de la bizarrerie, de l'ingratitude. Et ceci, tu me le reproches comme si j'en portais la responsabilité, comme s'il m'avait été possible d'arranger les choses autrement - disons en donnant un coup barre -, alors que tu n'as pas le moindre de tort, à moins que ne soit celui d'avoir été trop bon pour moi.
Cette description dont tu uses communément, je ne la tiens pour exacte que dans la mesure où je te crois, moi aussi, absolument innocent de l'éloignement survenu entre nous. Mais absolument innocent, je le suis aussi. Si je pouvais t'amener à le reconnaître, il nous serait possible d'avoir, je ne dis pas une nouvelle vie, nous sommes tous deux beaucoup trop vieux pour cela, mais une espèce de paix, - d'arriver non pas à une suspension, mais à un adoucissement de tes éternels reproches.
Chose singulière, tu as une sorte de pressentiment de ce que je veux dire. Ainsi, par exemple, tu m'as dit récemment : "Je t'ai toujours aimé et quand même je ne me serais pas comporté extérieurement avec toi comme d'autres pères ont coutume de le faire, justement parce que je ne peux pas feindre comme d'autres." Or père, je n'ai jamais, dans l'ensemble, douté de ta bonté à mon égard, mais je considère cette remarque comme inexacte.
Tu ne peux pas feindre, c'est juste; mais affirmer pour cette unique raison que les autres pères le font, ou bien relève de la pure chicane, ce qui interdit de continuer la discussion, ou bien - et selon moi, c'est le cas - exprime de façon voilée le fait qu'il y a chose d'anormal entre nous, quelque chose que tu as contribué à provoquer, mais sans qu'il y ait de ta faute. Si c'est vraiment cela que tu penses, nous sommes d'accord.
Je ne dis pas, naturellement, que ton action sur moi soit la seule cause de ce que je suis devenu. Ce serait exagéré (et je tombe même dans cette exagération). Quand j'aurais été absolument à l'écart de ton influence, il est fort possible que je n'eusse pu devenir un homme selon ton coeur. Sans doute aurais-je tout de même été un être faible, anxieux, hésitant inquiet, ni un Robert Kafka, ni un Karl Hermann, mais j'aurais cependant été tout autre et nous aurions parfaitement pu nous entendre. J'aurais été heureux de t'avoir comme ami, comme chef, comme oncle, comme grand-père, même (encore qu'avec plus d'hésitation) comme beau-père. Mais comme père, tu étais trop fort pour moi, d'autant que mes frères sont morts en bas âge, que mes soeurs ne sont nées que bien plus tard et que, en conséquence, j'ai dû soutenir seul un premier choc pour lequel j'étais beaucoup trop faible. [...]

Auteur: Kafka Franz

Info: 1919

 

Commentaires: 0