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nativité

C'est une inondation, Noël, et c'est un éboulement. Les guirlandes sont des muscles démesurés qui s'enroulent et gonflent pour étouffer le peu qui restait de la réalité. Les lumières clignotantes rampent vers les immeubles et les escaladent pour les aveugler. Des éboulis de boules hétéroclites deviennent des giboulées de grêlons impitoyables. Les vitrines se couvrent de mille chiures d'étoiles. Des étages sans fin de fausse joie pétillante s'empilent au-dessus des rues. Il n'y a plus d'autre géographie que celle du cataclysme. Qui peut se vanter d'avoir surpris, à l'aube ou en pleine nuit, les malfaiteurs municipaux grimpés dans leurs nacelles pour accrocher toutes ces décorations terrifiques? Lorsqu'on les aperçoit, il est déjà trop tard. Noël vous saute dessus comme une bête féroce. Chaque façade reçoit ses coups de griffe. Des sapins hystériques fument comme des feux d'enfer. Dans les centres-villes meurtris de sonorisations, il ne reste plus qu'à marcher courbé entre des magasins fardés de neige empoisonnée et remplis de post-humains qui se ressemblent tous parce qu'ils sont habités de la même peur qu'ils camouflent en allégresse.

Auteur: Muray Philippe

Info: Après l'Histoire, p 304

[ fêtes de fin d'année ] [ christianisme consumériste ]

 

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philosophe-sur-philosophe

Alors qu'il [Spinoza] se frottait à je ne sais quel souvenir, il se mit à réfléchir à la question de savoir ce qui était demeuré en lui du fameux morsus conscientiæ* — en lui qui avait rangé le bien et le mal parmi les imaginations de l’homme et avait défendu avec colère son Dieu "libre" contre ces blasphémateurs qui prétendaient que Dieu n’agit que sub ratione boni ("ce qui s’appellerait assujettir Dieu au destin et serait la plus étrange des absurdités" — ). Le monde, pour Spinoza, était revenu à cet état d’innocence où il se trouvait avant l’invention de la mauvaise conscience : que devenait alors le morsus conscientiæ ? "L’antithèse du gaudium, se dit-il enfin, — une tristesse accompagnée de l’image d’une chose passée dont l’événement a trompé toute attente." (Eth., III, propos. XVIII, schol. I. II.) Des milliers d’années durant les malfaiteurs n’ont eu, au sujet de leur "méfait", d’autre impression que celle dont parle Spinoza, comme d’une impression non personnelle : "ici il y a eu un accident imprévu", et non : "je n’aurais pas dû faire cela."

Auteur: Nietzsche Friedrich

Info: Généalogie de la morale, §15. *douleur de conscience

[ culpabilité ] [ moralité ] [ anthropocentrisme ]

 

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vélo

Le cyclisme, en tant que sport de compétition, a toujours été laid, et tout spécialement le Tour de France, qui depuis toujours, mais aujourd'hui plus que jamais, déverse le long des routes qu'il sillonne ses traînées de détritus, de gobelets et de pare-soleils publicitaires, de musiquette, de gueulantes et de criailleries, souillant souvent pour des semaines les plus beaux sites. Illustrations supplémentaire de la théorise qui m'est chère selon laquelle l'esthétique est un révélateur en général très précieux et relativement exact de la qualité morale et intellectuelle, cette manifestation si vilaine, le Tour de France, s'affiche depuis plusieurs années, mais tout spécialement cet été, comme la plus irrémédiablement pourrie jusqu'au fond des moelles. Cette activité qui ne fait rien pour le corps et sans doute fort peu pour l'intelligence, disputer des courses cyclistes, se révèle de la façon la plus criante (le vainqueur américain du Tour de France est déchu de son titre, dans des conditions où la farce joue un rôle essentiel) inséparable d ela tricherie, du mensonge, de l'association de malfaiteurs, de la compromission profonde des régulateurs eux-mêmes, des soigneurs et des médecins.

Auteur: Camus Renaud

Info: L'Isolation : Journal 2006, p. 331

[ vacherie ]

 

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procès de Jésus

Pilate dit qu’il avait étudié l’affaire de Yeshoua Ha-Nozri*, et qu’en conclusion, il ratifiait la sentence de mort.
De la sorte, la peine de mort – et l’exécution devait avoir lieu aujourd’hui – se trouvait prononcée contre trois brigands : Dismas, Hestas et Bar-Rabbas, et en outre, contre ce Yeshoua Ha-Nozri. Les deux premiers, qui avaient imaginé d’inciter le peuple à la rébellion contre César et avaient été pris les armes à la main par le pouvoir romain, appartenaient au procurateur, en conséquence de quoi il ne serait pas question d’eux ici. Les deux autres, par contre, Bar-Rabbas et Ha-Nozri – avaient été arrêtés par le pouvoir local et jugés par le Sanhédrin. Selon la Loi et selon la coutume, l’un de ces deux criminels devait être remis en liberté, en l’honneur de la grande fête de Pâque qui commençait aujourd’hui. Aussi le procurateur désirait-il savoir lequel de ces deux malfaiteurs le Sanhédrin avait l’intention de relâcher : Bar-Rabbas, ou Ha-Nozri ?
[…] Or, c’est un fait : les crimes de Bar-Rabbas et de Ha-Nozri ne sont absolument pas comparables, quant à leur gravité. Si ce dernier – un homme manifestement fou – est coupable d’avoir prononcé des discours ineptes qui ont troublé le peuple à Jérusalem et en quelques autres lieux, les charges qui pèsent sur le premier sont autrement plus lourdes. Non seulement il s’est permis de lancer des appels directs à la sédition, mais qui plus est, il a tué un garde qui tentait de l’arrêter. Bar-Rabbas est incomparablement plus dangereux que Ha-Nozri.

Auteur: Boulgakov Mikhaïl

Info: Dans "Le Maître et Marguerite", trad. Claude Ligny, Editions Laffont, Paris, 1968, pages 77-76 * Jésus

[ exposé des faits ] [ délibération ]

 

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grégarisme

Notre raison, par ses vérités propres, fait de notre monde le royaume enchanté du mensonge. Nous vivons tous comme des ensorcelés, et nous le sentons. Mais ce que nous craignons surtout, c’est le réveil, et les efforts que nous faisons pour rester dans notre engourdissement, aveuglés par Dieu ou, pour mieux dire, par les "vérités" que cueillit notre aïeul sur l’arbre défendu, nous les considérons comme l’activité naturelle de notre âme.
Nous considérons comme nos amis et bienfaiteurs ceux qui nous aident à dormir, qui nous bercent, qui glorifient notre sommeil, tandis que dans ceux qui essaient de nous réveiller nous voyons nos pires ennemis et une sorte de malfaiteurs. Nous ne voulons pas penser, nous ne voulons pas étudier nous-mêmes, pour ne pas voir la vraie réalité. C’est pourquoi l’homme préfère tout à la solitude.
Il recherche ses pareils, les hommes qui rêvent, dans l’espoir que les "rêves en commun" (Pascal n’a pas craint de parler de "rêves en commun") l’affermiront encore en ses illusions. Par conséquent, l’homme hait surtout la Révélation, car la Révélation c’est le "réveil", la libération des chaînes imposées par les vérités "immatérielles", auxquelles les descendants d’Adam déchu se sont tellement habitués qu’en dehors d’elles, la vie même leur paraît inconcevable. La philosophie voit le bien suprême dans un repos que rien ne trouble, c’est-à-dire dans un sommeil profond sans visions inquiétantes.
C’est pourquoi elle écarte d’elle avec tant de soin l’incompréhensible, l’énigmatique et le mystérieux, et évite tellement les questions pour lesquelles elle n’a pas de réponses toutes prêtes.

Auteur: Chestov Lév Léon

Info: La nuit de Gethsémani : Essai sur la philosophie de Pascal

[ abrutissement ] [ confort aveuglant ]

 

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sotériologie

Dans ma jeunesse, j’ai rencontré une dernière ramification de cette conception moyenâgeuse du monde, grâce à l’expérience suivante. Nous avions, à cette époque, une cuisinière de la Forêt-Noire souabe, à qui incombait la tâche d’exécuter les victimes de la basse-cour destinées à la cuisine. Il s’agissait de poules naines, dont les coqs se distinguent par leur humeur particulièrement querelleuse et par leur malice. L’un d’eux dépassait tous les autres par sa cruauté et ma mère chargea la cuisinière d’exécuter le malfaiteur pour le repas du dimanche. J’arrivai juste comme elle rapportait le coq décapité et disait à ma mère : "Il est mort en chrétien, bien qu’il ait été si mauvais. Il a encore crié : "Pardonne-moi, pardonne-moi !" avant que je lui coupe la tête. Aussi, maintenant, il est allé au ciel !" Ma mère répondit, indignée : "Ne dites pas de sottises ! Seuls les êtres humains vont au ciel", à quoi la cuisinière étonnée répliqua : "Les poules ont aussi un corps, tout comme les gens ont le leur. – Mais seuls les êtres humains ont une âme immortelle et une religion", dit ma mère, tout aussi stupéfaite. "Non, ce n’est pas vrai, répondit la cuisinière, les animaux ont aussi une âme et tous ont leur propre ciel, les chiens, les chats et les chevaux, et cela parce que, lorsque le sauveur des hommes est descendu sur la terre, le sauveur de la volaille est aussi venu parmi les poules, et c’est pourquoi elles aussi doivent se repentir de leurs péchés avant de mourir, si elles veulent aller au ciel."
La croyance de notre cuisinière est un vestige folklorique de cet esprit qui découvrait le drame de la rédemption à tous les niveaux de l’être et le retrouvait, par conséquent, dans les transformations les plus mystérieuses et les plus incompréhensibles de la matière.

Auteur: Jung Carl Gustav

Info: Dans "Psychologie et alchimie", éd. Buchet-Chastel, 2014, trad. par Henry Pernet et Roland Cahen, pages 553-555

[ panthéisme ] [ bon sens populaire ] [ homme-animal ]

 

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trickster

Dans toutes les variantes de la mythologie nord-américaine apparaît une sorte de démiurge qui se situe au-dessous de l’Esprit Suprême ou du Grand Mystère et qui est à la fois bénéfique et terrible, héros initiateur et bouffon, voire démon. Nous rencontrons les mêmes traits chez Hermès, Hercule, Prométhée, Épiméthée et Pandore ; nous les trouvons également, dans la mythologie nordique, chez Loki — mi-dieu et mi-géant et à la fois ami et ennemi des autres divinités —, sans oublier, dans le cosmos japonais, le terrible Susano-wo-noMikoto, génie de la tempête et, d’une certaine façon, princeps huius mundi. II ne semble pas y avoir de mythologie où le demi-dieu bouffon ou malfaiteur soit tout à fait absent, mais c’est peut- être dans celle des Peaux-Rouges qu’il a le plus attiré l’attention des ethnographes et des missionnaires ; en fait, le Nanabozho ou Minabozho des Algonquins est devenu quelque chose comme une notion-type. Notre intention est toutefois, non d’entrer dans les détails, mais d’énoncer le principe et d’expliquer sa signification essentielle : il nous suffira donc de dire, pour entrer en matière, que le démiurge, qui est aussi le héros fondateur de la civilisation matérielle et spirituelle, donc l’inventeur ou le découvreur, et aussi l’initiateur, apparaît sous les traits soit d’un animal, soit d’un homme, ou encore de quelque créature mystérieuse et indéterminée ; son mythe est une série d’actes ou d’aventures - souvent grotesques et inintelligibles - qui constituent autant d’enseignements symboliques d’une portée parfois ésotérique. Ce démiurge peut apparaître comme une sorte d’émanation du créateur ; il a été décrit comme la vie qui s’incarne dans tous les êtres et assume ainsi toutes leurs possibilités, toutes leurs luttes, tous leurs destins. Il a quelque chose de protéique, de chaotique et d’absurde, le divin se combine chez lui avec le ténébreux ; on lui a attribué un désir de dissimulation et d’"occultation", et il apparaît alors comme un acteur sage jouant volontiers au fou ; ses actes sont incompréhensibles comme les koans du Zenisme. Il faut se rappeler ici que le bizarre, voire le choquant, sert souvent de voile protecteur au sacré, d’où les dissonances dans les Écritures révélées ou, sur un plan plus extérieur, les monstres grimaçants aux portes des sanctuaires.

Auteur: Schuon Frithjof

Info: Dans "Logique et transcendance", éditions Sulliver, 2007, pages 151-152

[ trouble ] [ déstabiliser ] [ défini ]

 
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geek

Ils en ont attrapé un autre aujourd'hui, c'est partout dans les journaux. "Un adolescent arrêté dans un scandale de crime informatique", "Hacker arrêté après une falsification bancaire" ...
Putains les gars. Ils sont tous pareils.
Mais n'avez-vous jamais, dans votre psychologie à trois balle de techno cerveau des années 50, jeté un oeil derrière les yeux du pirate ? Ne vous êtes vous jamais demandé ce qui l'a fait cliquer, quelles forces l'ont façonné, ce qui peut l'avoir moulé?
Je suis un hacker, entrez dans mon monde...
Le mien est un monde qui commence avec l'école... Je suis plus intelligent que la plupart des autres enfants, cette merde qu'ils nous enseignent m'ennuie ...
Putain de mauvais élève. Tous les mêmes.
Je suis au lycée ou au collège. J'ai écouté les enseignants expliquer pour la quinzième fois comment réduire une fraction. Je comprends très bien. "Non, madame Smith, je ne montre pas mon travail, je le fais dans ma tête..."
Putain. Il a probablement copié. Ils sont tous pareils.
J'ai fait une découverte aujourd'hui. J'ai trouvé un ordinateur. Attendez une seconde, c'est cool. Il fait ce que je veux. S'il fait une erreur, c'est parce que j'ai merdé. Pas parce qu'il ne m'aime pas... Ou se sent menacé par moi.. Ou pense que je suis un âne intelligent.. Ou que je n'aime pas l'enseignement et suis à la mauvaise place...
Putain de gamin. Tout ce qu'il fait c'est de jouer à des jeux. Tous pareils.
Et puis c'est arrivé... une porte s'est ouverte vers un monde... surgissant via la ligne téléphonique comme l'héroïne au travers des veines d'un toxicomane, pulsion électronique envoyée, quête du refuge des incompétences au jour le jour... Une planche de salut est trouvée. "C'est ça ... c'est à ça que j'appartiens..." Je connais tout le monde ici... même si je ne les ai jamais rencontrés, n'ai jamais parlé avec eux, peut-être jamais en entendu parler... Je vous connais tous ...
Putain de môme. Encore vissé à sa ligne téléphonique. Tous pareils ...
Tu parles qu'on est tous les mêmes... A l'école on nous a alimentés à la cuillère avec de la nourriture pour bébé alors qu'on avait de l'appétit pour du steak... les morceaux de viande que vous avez laissé passer à travers étaient pré-mâchés et sans saveur. Nous avons été dominés par les sadiques, ou ignorés par les apathiques. Les rares qui avaient quelque chose à enseigner nous trouvaient disposés, mais ces profs là sont comme des gouttes d'eau dans le désert.
C'est notre monde maintenant... monde de l'électron et du commutateur, de la beauté du baud. Nous faisons usage d'un service déjà existant sans payer pour ce qui pourrait être bon marché si ce n'était pas exploité par des gloutons profiteurs, et vous nous nommez criminels. Nous explorons... et vous nous nommez malfaiteurs. Nous cherchons le savoir... et vous nous appelez criminels. Nous existons sans couleur de peau, sans nationalité, sans dénomination religieuse... et vous nous appelez criminels. Vous construisez des bombes atomiques, vous faites des guerres, vous tuez, trichez, nous mentez et essayez de nous faire croire que c'est pour notre propre bien, bref nous sommes des criminels.
Oui, je suis un criminel. Mon crime est d'être plein de curiosité. Mon crime est de juger les gens par ce qu'ils disent et pensent, pas par ce à quoi ils ressemblent. Mon crime est d'être plus malin que vous, quelque chose que vous ne me pardonnerez jamais.
Je suis un pirate, et ceci est mon manifeste. Vous pouvez arrêter cette personne là, mais vous ne pouvez pas nous arrêter tous... après tout, nous sommes tous les mêmes.

Auteur: Loyd Blankenship

Info: Le Manifeste du Hacker, 8 janvier 1986. Sous le pseude de : Le Mentor

[ liberté ] [ refuge ] [ Internet ]

 

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diatribe anti-institutionnelle

Je sais les noms des responsables de ce qui est appelé putsch (et qui est en réalité une série coups d'État organisée en système de protection du pouvoir).

Je sais les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969.

Je sais les noms des responsables des massacres de Brescia et de Bologne des premiers mois de 1974.

Je sais les noms du "sommet" qui a opéré, autrement dit, soit les vieux fascistes organisateurs des coups d'État, soit les néofascistes auteurs matériels des premiers massacres, soit, enfin, les "inconnus" auteurs matériels des massacres plus récents.

Je sais les noms de ceux qui ont géré les deux différentes, et même opposées, phases de la tension : une première phase anticommuniste (Milan 1969), et une seconde phase antifasciste (Brescia et Bologne 1974).

Je sais les noms du groupe de puissants qui, avec l'aide de la Cia (et en deuxième ligne des colonels grecs et de la mafia), ont d'abord créé (du reste pauvrement en échouant) une croisade anticommuniste, pour déconsidérer 1968, et, ensuite, toujours avec l'aide et la direction de la Cia, ils se sont reconstitué une virginité antifasciste, pour rattraper le désastre du référendum.

Je sais les noms qui, entre une messe et l'autre, ont donné les moyens et ont assuré la protection politique à de vieux généraux (tenus en réserve, pour l'organisation d'un potentiel coup d'État), à des jeunes néofascistes, même à des néonazis (pour créer réellement la tension anticommuniste) et enfin aux criminels communs, jusqu'à présent, et peut-être pour toujours, sans nom (pour créer la successive tension antifasciste).

Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière des personnages comiques comme ce général de la Forestière qui passait à l'action, en héros d'opérette, à Città Ducale (pendant que les bois brûlaient), ou derrière des personnages gris et purement opérationnels comme le général Miceli.

Je sais les noms des personnes sérieuses et importantes qui sont derrière les garçons tragiques qui ont choisi les atrocités fascistes suicidaires et derrière les malfaiteurs communs, siciliens ou non, qui se sont mis à leur disposition, comme assassins et tueurs à gages.

Je sais tous ces noms et je sais aussi tous ces faits (attentats aux institutions et massacres) dont ils se sont rendus coupables.

Je sais. Mais je n'en ai pas les preuves. Je n'ai même pas d'indices.

Je sais car je suis un intellectuel, un écrivain, qui cherche à suivre tout ce qui se passe, à connaître tout ce qui s'écrit, à imaginer tout ce qu'on ne sait pas ou qu'on tait ; qui relie des faits même éloignés, qui remet ensemble les pièces désorganisées et fragmentaires d'un ensemble cohérent du cadre politique, qui rétablit la logique là où semblent régner l'arbitraire, la folie et le mystère. Tout cela fait partie de mon métier et de l'instinct de mon métier. Je crois en outre qu'il est difficile que mon "projet de roman" soit erroné, qu'il n'ait pas de rapport avec la réalité, et que ses références à des faits et personnes réelles soient inexactes. Je crois en outre que beaucoup d'autres intellectuels et romanciers savent ce que je sais moi comme intellectuel et romancier. Car la reconstruction de la vérité à propos de ce qui s'est passé en Italie après 1968 n'est finalement pas si difficile…

Probablement les journalistes et les politiciens ont même des preuves, ou au moins, des indices. Alors, le problème est celui-ci : les journalistes et les politiciens, tout en ayant sans doute des preuves et certainement des indices, ne donnent pas de noms.

À qui donc revient-il de donner ces noms ? Évidemment à celui qui a non seulement le courage nécessaire, mais en même temps n’est pas compromis dans sa relation avec le pouvoir et, en outre, par définition, n’a rien à perdre : c’est-à-dire un intellectuel.

Donc un intellectuel pourrait très bien rendre publics ces noms, mais lui n’a ni preuves ni indices.

Le pouvoir, et avec lui le monde qui, même en n’étant pas au pouvoir, entretient des rapports pratiques avec le pouvoir, a exclu les intellectuels libres – justement par la manière dont il est fait – de la possibilité d’avoir des preuves et des indices.

On pourrait m'objecter que moi, par exemple, en tant qu’intellectuel, et inventeur d’histoires, je pourrais entrer dans ce monde explicitement politique (du pouvoir ou autour du pouvoir), me compromettre avec lui, et donc jouir du droit d’avoir, avec une certaine probabilité élevée, des preuves et des indices.
Mais à pareille objection je répondrais que ceci n’est pas possible, car c’est justement à la répugnance à entrer dans un tel monde politique que s’identifie mon courage intellectuel potentiel à dire la vérité : c’est-à-dire à donner les noms.

Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie.

Auteur: Pasolini Pier Paolo

Info: Corriere della Sera, 14 novembre 1974. Io so

[ dénonciation publique ]

 

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