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connaissance

Le COGNITIVISME: résumé en trois Questions/Réponses

Q1 qu'est-ce que la cognition?
R le traitement de l'information; la manipulation de symboles à partir de règles.
Q2 comment cela fonctionne-t-il?
R par n'importe quel dispositif pouvant représenter et manipuler des éléments physiques discontinus: des symboles. Le système n'interagit qu'avec la forme des symboles (leurs attributs physiques), et non avec leur sens.
Q3 comment savoir qu'un système cognitif fonctionne de manière appropriée?
R quand les symboles représentent adéquatement quelque aspect du monde réel, et que le traitement de l'information aboutit à une solution efficace du problème soumis au système.*

CONNEXIONISME ET ÉMERGENCE: résumé en trois Questions/Réponses

Q1 qu'est-ce que la cognition?
R l'émergence d'états globaux dans un réseau de composants simples.
Q2 comment cela fonctionne-t-il?
R des règles locales gèrent les opérations individuelles et des règles de changement gèrent les liens entre les éléments.
Q3 comment savoir qu'un système cognitif fonctionne de manière appropriée?
R quand les propriétés émergentes (et la structure résultante) sont identifiable à une faculté cognitive - une solution adéquate pour une tâche donnée.**

L'ENACTION: résumé en trois Questions/Réponses

Q1 qu'est-ce que la cognition?
R l'action productive: l'historique du couplage structurel qui enacte (fait émerger) un monde.
Q2 comment cela fonctionne-t-il?
R par l'entremise d'un réseau d'éléments inter-connectés, capable de subir des changements structuraux au cours d'un historique non interrompu.
Q3 comment savoir qu'un système cognitif fonctionne de manière appropriée?
R quand il s'adjoint à un monde de signification préexistant, en continuel développement (comme c'est le cas des petits de toutes les espèces), ou qu'il en forme un nouveau (comme cela arrive dans l'histoire de l'évolution).***

Auteur: Varela Francisco

Info: Invitation aux sciences cognitives, *p 42, **p. 76, ***p 112

[ triade ] [ définition ]

 

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recherche extrême

Si le déni du signifiant chez le dépressif rappelle le mécanisme de la perversion, deux remarques s’imposent.

D’abord, dans la dépression, le déni est d’une puissance supérieure à celle du déni pervers, qui atteint l’identité subjective elle-même et non seulement l’identité sexuelle mise en cause par l’inversion (homosexualité) ou la perversion (fétichisme, exhibitionnisme, etc.). Le déni annihile jusqu’aux introjections du dépressif et lui laisse le sentiment d’être sans valeur, "vide". En se dépréciant et en se détruisant, il consume toute possibilité d’objet, ce qui est aussi un moyen détourné de le préserver... ailleurs, intouchable. Les seules traces d’objectalité que conserve le dépressif sont les affects. [...] Aussi l’affect dépressif – et sa verbalisation dans les cures, mais aussi dans les œuvres d’art – est-il la panoplie perverse du dépressif, sa source de plaisir ambiguë qui comble le vide et évince la mort, préservant le sujet aussi bien du suicide que de l’accès psychotique.

Parallèlement, les diverses perversions apparaissent, dans cette optique, comme l’autre face du déni dépressif. [...] Ces actes et relations avec des objets partiels préservent le sujet et son objet d’une destruction totale et procurent, avec l’homéostase narcissique, une vitalité qui contrecarre Thanatos. La dépression est ainsi mise entre parenthèses, mais au prix d’une dépendance souvent vécue comme atroce vis-à-vis du théâtre pervers où se déploient les objets et les relations omnipotentes qui évitent l’affrontement à la castration et font écran à la douleur de la séparation pré-œdipienne. La faiblesse du fantasme qui est évincé par le passage à l’acte témoigne de la permanence du déni du signifiant au niveau du fonctionnement mental dans les perversions. Ce trait rejoint l’inconsistance du symbolique vécue par le dépressif ainsi que l’excitation maniaque par des actes qui ne deviennent effrénés qu’à condition d’être considérés insignifiants.

[...] Le déni dépressif [...] atteint jusqu’aux possibilités de représentation d’une cohérence narcissique et prive, par conséquent, le sujet de sa jubilation auto-érotique, de son "assomption jubilatoire". Seule demeure alors la domination masochique des replis narcissiques par un surmoi sans médiation qui condamne l’affect à rester sans objet, fût-il partiel, et à ne se représenter à la conscience que comme veuf, endeuillé, douloureux. Cette douleur affective, résultante du déni, est un sens sans signification, mais elle est utilisée comme écran contre la mort. Lorsque cet écran cède aussi, il ne reste comme seul enchaînement ou acte possible que l’acte de rupture, de dés-enchaînement, imposant le non-sens de la mort : défi pour les autres ainsi retrouvés au titre de rejetés, ou bien consolidation narcissique du sujet qui se fait reconnaître, par un passage à l’acte fatal, comme ayant toujours été hors du pacte symbolique parental, c’est-à-dire là où le déni (parental ou le sien propre) l’avait bloqué.

Auteur: Kristeva Julia

Info: Dans "Soleil noir", éditions Gallimard, 1987, pages 60-61

[ conjonction impossible ] [ absurde ] [ suicide ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

végétalo-ésotérisme

Ethnobiologiste et baroudeur en Amazonie, Romuald goûta de l'amer breuvage de l'ayahuasca (aujourd'hui courue par les avant-gardistes de la défonce chic) sous la tutelle du chant Icaros d'un chaman. "Son goût était extrêmement amer, et je sentis le liquide descendre dans mon estomac, occasionnant hauts de coeur et nausées. J'espérais ne pas être aussi malade que les autres fois où j'avais cru me vider littéralement de mes organes". Mais bientôt, la douleur s'atténue, laissant place aux visions. Des serpents se dessinent dans le ciel et la conscience éjacule du corps, vaquant au-dessus d'une forêt aux arbres souples comme des flagelles.

Plusieurs questions animent ce livre : les plantes psychotropes trouvent-elles un quelconque intérêt à offrir le plaisir hallucinatoire aux hommes ? Les visions qu'elles procurent ont-elles un sens, et si oui, lequel ? Ces questions étranges se sont imposées à Romuald lorsqu'il remarqua que les hallucinations suscitées par la consommation de DMT végétale sont constituées surtout par des motifs naturels alors que la consommation de DMT synthétique laisse plutôt voir des motifs abstraits. 

Les molécules psychotropes de ces plantes permettent-elles d'accéder à ce qui serait une "mémoire collective de l'espèce" ? On devinera sans mal que cette question est influencée par une lecture quelque peu distraite des hypothèses de l'inconscient collectif de Jung. Mais ne nous arrêtons pas à cette réticence théorique.

Romuald part de l'hypothèse pas inintéressante que les alcaloïdes des plantes psychotropes pourraient être considérés comme des exophéromones* qui annulent la barrière entre les espèces. Un peu comme l'orchidée qui ressemble à s'y méprendre à une abeille et qui dégage des phéromones sexuelles d'abeille pour se faire polliniser par le mâle (il ne suffit donc pas d'être bourré pour baiser n'importe quoi). 

De la même façon, nous dit Romuald, "les esprits des plantes que l'on nomme mères des végétaux sont, pour moi, la résultante de processus mimétiques biochimiques". Il se pourrait même qu'une plante condense en elle l'esprit de plusieurs autres plantes, comme l'ayahuasca que les indigènes considèrent comme l'esprit encyclopédique de la forêt vierge. Si vous avez lu cet incroyable illuminé qu'est Rupert Sheldrake, on peut avancer la notion de champ morphogénétique pour se faire une idée de ce que ça pourrait être, enfin c'est pas sûr non plus. 

Viennent ensuite les arguments proprement biochimiques. L'intentionnalité exophéromonale des plantes psychotropes à destination de l'esprit humain a pu être favorisée, ce qu'expliquent les bien pratiques lois de l'évolution darwinienne : "sous la forme des alcaloïdes messagers, qui lorsqu'ils se connectent à l'ADN neuronal se synchronisent avec un savoir homogène situé dans l'ADN non codant (ADN camelote). Cette mémoire et ce savoir s'expriment à la conscience par une mise en résonance de la stimulation de l'ADN des milliards de neurones de notre cerveau. Ce qui a pour effet de rendre conscient ce savoir sous forme d'images mentales et d'enseignements linguistiques conjoints avec notre cognition".

On en vient à une vision délirante de la réalité. Délirante, mais ô combien réjouissante, ne vous égarez pas ! Ce livre a connu un beau succès dans son milieu et on comprend aisément pourquoi. Les plantes auraient quelque chose à nous dire. Elles auraient traversé des temps immémoriaux pour nous transmettre leur secret – qui est aussi le secret de la vie, car quel citadin ne s'imagine pas aujourd'hui que la nature est la seule chose qui soit vraie ? Grâce à ces plantes, quelque chose comme le savoir universel et absolu deviendrait accessible. Rendez-vous compte ! Une perspective se dessine, la fin d'un égarement apparaît. Plus besoin de perdre du temps et de se fatiguer des vies entières pour creuser, chercher et comprendre dans des voies bien incertaines. le savoir est là et il ne demande, pour se laisser percer, rien d'autre que des investigations en biochimie et en psychologie jungienne, que l'on aura entre-temps redéfinie comme outil de traduction archétypale pour la communication transspéciste, qui succède bien logiquement aux joies asexuées de la réunion transsexiste. 

Les plantes psychotropes tenteraient-elles de réaliser ce que l'homme n'a jamais eu, ne serait-ce que l'idée, de réaliser : comprendre et s'unir à l'esprit des autres espèces vivantes de ce monde, réalisant ce vaste mensonge qu'est l'Unus Mundus ? Ce n'est pas parce que nous préférons ne pas manger de ce pain-là qu'il ne faut pas se poser sérieusement la question, ne serait-ce que pour rire aux larmes des espoirs touchants que nourrit parfois l'humanité.

Auteur: Arcé Alexandra

Info: Critique de l'ouvrage de R.Leterrier : Les plantes psychotropes et la conscience : L'enseignement de l'Ayahuasca. *langage des plantes, inventé par T. McKenna

[ résonances biophysiques ] [ épigénétique ]

 

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greenwashing

La découverte climatique de Zeller-Nikolov utilise les données officielles de la NASA pour quantifier les températures moyennes des corps satellites à surface dure en orbite autour de notre Soleil. La formule n’est pas applicable aux planètes gazeuses: Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Zeller et Nikolov déclarent pouvoir déterminer la température moyenne à long terme de Vénus, de la Terre, de Mars, de Titan (une lune de Saturne) et de Triton (une lune de Neptune) en utilisant seulement deux valeurs informatives: leur distance au Soleil. et leur pression atmosphérique.

Zeller et Nikolov ont constaté que la composition gazeuse des atmosphères n’était pas essentielle pour déterminer les températures moyennes à long terme. Par exemple, l’atmosphère de Vénus est composée à 96,5% de dioxyde de carbone, alors que l’atmosphère terrestre ne contient que 0,04% de dioxyde de carbone, mais ces différences considérables n’ont aucune incidence sur les calculs mathématiques nécessaires pour déterminer les températures moyennes. Cette preuve mathématique nous dit que même si Vénus a 2412 fois plus de dioxyde de carbone que la Terre, mesurée en pourcentage de son atmosphère, le CO2 n’a aucun effet mesurable sur sa température moyenne à long terme. Zeller et Nikolov affirment que le dioxyde de carbone et tous les autres gaz atmosphériques ne contribuent à la température que par leur masse physique et la pression atmosphérique résultante.

La découverte de Zeller-Nikolov signifie que l’atmosphère de la Terre nous maintient au chaud grâce à un chauffage par compression de gaz sous le poids de l’atmosphère de la Terre, d’une épaisseur d’environ 300 milles, et non par effet de serre. Une serre réelle est entourée d’un mur de verre. La Terre n’a pas d’enceinte et est ouverte sur l’espace. Les deux scientifiques suggèrent donc de remplacer le terme "effet de serre" par "rehaussement thermique atmosphérique". La chaleur est créée en comprimant les gaz atmosphériques sous l’effet de la gravité. De même, dans un moteur diesel, un piston est utilisé pour comprimer les gaz afin de générer suffisamment de chaleur pour éliminer le besoin d’une bougie d’allumage. L’attraction gravitationnelle énorme exercée sur la masse énorme de l’atmosphère terrestre combinée au rayonnement solaire réchauffe notre planète suffisamment pour permettre aux formes de vie à base de carbone de s’épanouir.

Si le dioxyde de carbone était le puissant catalyseur de gaz à effet de serre que les alarmistes prétendent, les calculs de Vénus devraient être radicalement différents de ceux de la Terre, mais ils sont identiques. Cela nous indique que le CO2 n’a pas d’effet direct mesurable sur la température de la planète, ce qui est parfaitement logique puisque la Terre a connu de graves périodes glaciaires lorsque les niveaux de CO2 dans l’atmosphère étaient bien plus élevés qu’aujourd’hui.

La théorie des gaz à effet de serre basée sur le dioxyde de carbone Le scientifique suédois Svante Arrhenius, proposé pour la première fois en 1896, n’a jamais été prouvée valide par des tests empiriques. Les idées de Svante semblaient plausibles, alors les gens les acceptèrent sans preuve. Plus récemment, des politiciens américains ont littéralement ordonné au GIEC de dépenser des sommes énormes en dollars des contribuables en concoctant des projections farfelues et fantaisistes de modèles informatiques fondées sur les hypothèses de Svante. Comme le dit le vieil adage de la programmation informatique, "garbage in, garbage out" (GIGO).

Toutes les prévisions climatiques catastrophiques du GIEC ont échoué, en dépit des efforts de nos médias fortement biaisés pour déformer et exagérer. Les vagues de chaleur estivales ordinaires et les tempêtes hivernales ont été faussement décrites comme des précurseurs de la fin du monde, ce qui ne se produira certainement pas si nous n’élisons plus de démocrates. Les gourous du climat continuent à repousser la date de la catastrophe dans l’avenir parce que la catastrophe mondiale qu’ils continuent de prédire n’arrive jamais. Ce qui est arrivé, ce sont des fluctuations ordinaires et attendues du climat de la Terre depuis sa formation. Demandez-vous quand le climat de la Terre était plus agréable et bénéfique pour l’homme que le climat actuel. La réponse honnête est simplement jamais .

Malgré les nombreuses revues techniques effectuées par des scientifiques du monde entier, personne n’a trouvé d’erreur dans les formules mathématiques et les calculs spécifiques de Zeller et Nikolov. Les objections soulevées contre leur découverte portent en grande partie sur le fait que cela ne correspond pas aux théories climatiques acceptées, qui sont populaires sur les plans professionnel et politique. La science du climat est devenue un outil de pouvoir politique orwellien et une énorme activité lucrative pour les scientifiques, les professeurs, les universités, les employés des gouvernements fédéral et des États et de mille et une entreprises écologiques. Il suffit de penser aux milliards de dollars consacrés au "réchauffement de la planète" et aux faux remèdes prescrits. Aucun malheur n’équivaut à aucun recours coûteux ni à aucun profit pour ceux qui vendent la peur.

Auteur: Internet

Info: La terre du futur, https://www.laterredufutur.com/accueil/la-decouverte-climatique-de-zeller-nikolov-pourrait-bouleverser-le-monde/

[ climatosceptique ] [ cycle naturel ] [ catastrophisme ] [ lobbyisme écologique ] [ Gaïa ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

humour

Toujours est-il que la chose m’est apparue d’importance et propre à me hausser d’un cran dans votre estime : vous concevrez que nul travail, cette récompense en vue, n’eût paru d’intérêt suffisant pour retarder la mise en graphie de cette méditation.

Le problème est cette fois, monsieur, celui de la couille. (J’aurais pu dire celui de la coquille, mais je cède au goût du sensationnel, vous voyez, c’est un faible bien inoffensif.) De fait, il s’agit d’un problème de conchyliorchidologie (ou d’orchido-conchyliologie, qui me paraît, si plus orthodoxe, moins expéditif ; donc, je garde le premier).

AXIOME  :  Retirez le Q de la coquille : vous avez la couille, et ceci constitue précisément une coquille.

Je laisse à cet axiome, monsieur, le soin de perforer lui-même, de son bec rotatif à insertions de patacarbure de wolfram, les épaisses membranes dont s’entoure, par mesure de prudence, votre entendement toujours actif. Et je vous assène, le souffle repris, ce corollaire fascinant :

Et ceci est vrai, que la coquille initiale soit une coquille de coquillage ou une coquille d’imprimerie, bien que la coquille obtenue en fin de réaction soit toujours (à moins de marée extrêmement violente) une coquille d’imprimerie en même temps qu’une couille imprimée.

Vous entrevoyez d’un coup, je suppose, les conséquences à peine croyables de cette découverte. La guerre est bien loin.

Partons d’une coquille de coquillage, acarde ou ampullacée, bitestacée ou bivalve, bullée, caniculée ou cataphractée, chambrée, cloisonnée, cucullée… mais je ne vois pas l’intérêt de recopier dans son entier le dictionnaire analogique de Boissière. Bref, partons d’une coquille. La suppression du Q entraîne presque immédiatement la mutation du minéral inerte en un organe vivant et générateur. Et dans le cas d’une coquille initiale d’imprimeur, le résultat est encore plus spectaculaire, car la coquille en question est essence et abstraction, concept, être de raison, noumène. Le Q ôté permet le passage de l’essence à l’existence non seulement existante mais excitable et susceptible de prolongements.

J’aime à croire que parvenu à ce point, vous allez poser votre beau front dans votre main pour imiter l’homme de Rodin – vous conviendrez en passant de la nécessité d’une adéquation des positions aux fonctions, et que vous n’auriez pas l’idée de déféquer à plat ventre sauf caprice. Et vous vous demanderez, monsieur, d’abord, quel est le phénomène qui se produit. Y a-t-il transfert ? Disparition ? Mise en minorité ? ou effacement derrière une partie plus importante, que le trout ? Qui sait ? Qui ? Mais moi, naturellement sans quoi je ne vous écrirais pas. Je ne suis pas de ces brutes malavisées qui soulèvent les problèmes et les laissent retomber sauvagement sur la gueule de leur prochain.

Tiens, pourtant, si, en voilà un autre qui me tracasse, et je vous le dis en passant, car le genre épistolaire permet plus de caprice et de primesaut que le genre oratoire ou dissertatif, lequel je ne me sens pas qualifié pour oser aborder ce jour. L’expression : mettre la dernière main n’implique-t-elle pas, selon vous, que l’une des deux mains – et laquelle – fut créée avant l’autre par le père Ubu ? La dernière main est souvent la droite ; mais d’aucuns sont-ils pas gauchers ? Ainsi, de la dextre ou de la senestre, laquelle est la plus âgée ? Gageons que ce problème va tenter madame de Valsenestre à qui, en passant, vous voudrez bien présenter mes hommages. Et revenons à nos roustons.

Eh bien, monsieur, pour résoudre le mystère de l’absence du Q, nous disposons d’un moyen fécond et qui permet généralement de noyer sans douleur la poiscaille en remplaçant un mystère que l’on ne pénètre point par un mystère plus mou, c’est-à-dire non mystérieux et par conséquent inoffensif. C’est la "comparaison", méthode pataphysique s’il en fût. A cet agent d’exécution puissant, nous donnerons l’outil qui lui manque, c’est-à-dire le terme de.

Le jargon russe en l’espèce, qui sera notre étalon.

Vous le savez, monsieur, et si vous ne le savez pas, vous n’aurez jamais la sottise de le dire en public, il fut procédé en Russie, n’y a pas si longtemps que nos auteurs ne puissent s’en souvenir, à une réforme dite alphabétique, bien qu’en russe, cela ne se prononce point si facilement. Je vous le concède, cette réforme est à l’origine de la mort de Lénine, de la canonisation de sainte Bernadette et de quelques modifications structurales spécifiquement slaves apportées à un Etat de structure d’ailleurs imprécise ; nous passerons sur les épiphénomènes mineurs pour n’en conserver que le plus important. La réforme en question supprimait trois des 36 lettres alors en usage là-bas : le ? ou ’fita, le ? ou ’izitsa et le ? ou is’kratkoï.. [...]

Mais d’ores et déjà, vous voyez comment on peut supprimer le Q : il suffit d’un décret.

La question est de savoir ce que l’on a fait des lettres supprimées. Ne parlons même pas de celles à qui l’on en a substitué d’autres. Le problème est singulièrement précis : Où a-t-on mis les is’kratkoï ?

Vous vous doutez déjà de la suite. Et vous voyez l’origine de certaines rumeurs se découvrir à vos yeux émerveillés d’enfant sage.

D’ailleurs, monsieur, peu importe. Peu importe que l’on ait, par le passé, mésusé des lettres ainsi frappées d’interdit. Sans vouloir faire planer le soupçon sur qui que ce soit, je sais bien où l’on risquerait d’en dénicher quelques muids.

L’expression "lettre morte" n’est pas née de l’écume de la mer du même nom, vous le savez, monsieur. Les vérités les plus désagréables finissent par transpirer, comme l’eau orange d’un chorizo pendu par les pieds ou la sueur délicate d’un fragment d’Emmenthal qui tourne au translucide. Et les cimetières de lettres sont monnaie courante (sans que l’on ait jamais songé à chronométrer cette dernière, ce qui paraît inexcusable en un siècle sportif et ne permet point d’en préciser la vitesse). Nous n’avons pas accoutumé, me direz-vous, de remettre en cause le passé : je sais, et vous savez, que tout y est à refaire. Mais à bien y regarder, on est forcé de constater que c’est sans aucune originalité qu’a été résolu, de notre vivant ou presque, cet ardu problème de l’élimination en masse. Et cela continue.

Avant que la merdecine ait eu l’idée de s’adjoindre des fi ! syciens et des chie-mistes (ou cague-brouillard, comme disent les Anglois), la peste apportait une ingénieuse solution. Et les destructions provoquées parmi la gent corbote et ratière par la chasse, vu l’absence de grenades et de rusées à tête chercheuse, n’étaient point telles que ces bestioles ne fussent à même de procéder hygiéniquement à l’enlèvement des charognes. Il restait les os, que l’on suçait et que l’on perçait pour jouer de la quenia, comme Gaston Leroux l’a soigneusement rapporté dans " L’Epouse du soleil ". Bref, le professeur Yersin imagina de foutre une canule au cul des poux, et vainquit la peste. Le cancer fait des progrès, mais il abêtit, et déprive le frappé du contact de ses semblables – ou plutôt de ses différents – si utile pourtant. Sur quoi l’Allemagne redécouvre le camp de concentration déjà utilisé avant et ailleurs (le premier qui l’a inventé, levez le doigt). Le principe était bon : c’est celui du couvent. Mais si l’on sait où ça mène, l’on se refuse à voir où cela pourrait mener.

Vous avez déjà compris qu’en ce moment, loin de m’égarer, j’arrive à la proposition ferme, concrète et positive. Vous avez vu que, loin de lamenter le révolu, je suggère simplement que l’on améliore. Vous sentez, avec votre grand nez, que si le sort des prisonniers d’autrefois m’indiffère, c’est que la " pataphysique va toujours de l’avant puisqu’elle est immobile dans le temps et que le temps, lui, est rétrograde par définition, puisque l’on nomme “ direct ” celui des aiguilles d’une montre. Et vous voyez que je suis en train de poser les bases du camp de concentration pataphysique, qui est celui de l’avenir.

Grosso modo, une Thélème. Mais une Thélème obligatoire. Une Thélème où tout serait libre, sauf la liberté. Il s’agit bien en l’espèce de cette exception exceptionnelle à laquelle se réfère Le Livre. Un lieu où l’on serait contraint de ne pas s’éloigner du bonheur. Outre que le rendement des divers travaux que l’on pourrait ainsi faire exécuter librement aux détenus serait excellent – mais sachez que cette considération économique n’a pas un instant pesé sur notre choix plus ni moins que son contraire – le camp de concentration paradisiaque satisferait la tendance religieuse profonde qui sommeille au cœur de tout un tas d’individus non satisfaits de leur vie terrestre – et vous concevez qu’un prisonnier a des raisons de ne pas l’être. Il s’y pourrait, naturellement, faire du vélocipède. Vous pensez bien. Je ne développe pas les mille avantages du projet : je me borne à vous dire que, me désintéressant totalement du sort des is’kratkoï, je propose, par la présente, à votre excellence d’accumuler les Q des coquilles dans les camps ainsi com-binés qui prendraient par exemple le nom de camps de cul-centration, et de récupérer outre les coquilles résultantes et régénérées, les bûmes créées de la sorte à partir de rien, ce qui est quelque chose.

Vous ne serez pas sans remarquer que la réaction qui s’établit est assez analogue à celle qui se produirait, selon eux, dans ces breeders autotrophes où se fabrique une espèce de plutonium. Vous prenez la coquille, lui retirez le Q que vous enfermez en liberté, vous obtenez la couille et une nouvelle coquille, et ainsi de suite jusqu’à neuf heures vingt, où un ange passe. Je passe à mon tour sur l’émission de rayons bêta concomitante, d’une part parce qu’elle n’a pas lieu, d’autre part parce que cela ne regarde personne. Que le Q fût en fin de compte bien traité m’importait avant tout, du point de vue moral et parce qu’il est séant de ne point porter atteinte, sauf si l’on se nomme le P. U., à l’intégrité de quelque être que ce soit, (excepté le militaire) vu qu’il peut pêcher à la ligne, boire de l’alcool et s’abonner au Chasseur français, ou les trois. Du moins, c’est une des choses que l’on peut dire, et comme elle diffère de tout ce que l’on pourrait dire d’autre, il me semble qu’elle a sa place ici.

Piste-scrotum 1. Cette lettre vous est personnellement destinée. Néanmoins, au cas où elle n’intéresserait aucun autre membre du Collège, il me paraîtrait urgent de la diffuser. Si vous en décidiez ainsi, il me serait à honneur que vous la fissiez coiffer d’un chapeau à la gloire de Stanislas Leczinski, roi polonais, inventeur de la lanterne sourde à éclairer pendant les tintamarres et autres espèces de révolutions, et dont je ne me sens pas force d’entreprendre la rédaction que j’estime trop au-dessus de mes indignes moyens.

Piste-scrotum 2. En passant, vous constaterez que le principe de la conservation de ce que vous voudrez en prend un vieux coup dans les tabourets.

Auteur: Vian Boris

Info: Lettre au Provéditeur-éditeur sur un problème quapital et quelques autres, 26 mars 1955, In les Cahiers du Collège de Pataphysique.

[ lapsus ]

 

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protérozoïque

Des molécules fossilisées révèlent un monde perdu de vie ancienne

Une nouvelle analyse de sédiments vieux d’un milliard d’années comble une lacune dans les archives fossiles, révélant une dynastie de premiers eucaryotes qui pourraient avoir façonné l’histoire de la vie sur Terre.

Un arbre a quelque chose en commun avec les mauvaises herbes et les champignons qui poussent autour de ses racines, les écureuils qui grimpent sur son tronc, les oiseaux perchés sur ses branches et le photographe qui prend des photos de la scène. Ils ont tous un génome et une machinerie cellulaire soigneusement emballés dans des compartiments reliés par des membranes, un système organisationnel qui les place dans un groupe de formes de vie extrêmement performantes appelés eucaryotes.

Les débuts de l’histoire des eucaryotes fascinent depuis longtemps les scientifiques qui aspirent à comprendre quand la vie moderne a commencé et comment elle a évolué. Mais retracer les premiers eucaryotes à travers l’histoire de la Terre a été difficile. Des données fossiles limitées montrent que leur premier ancêtre est apparu il y a au moins 1,6 milliard d’années. Pourtant, d’autres preuves révélatrices de leur existence manquent. Les eucaryotes devraient produire et laisser derrière eux certaines molécules distinctives, mais les versions fossilisées de ces molécules n'apparaissent dans les archives rocheuses qu'il y a 800 millions d'années. Cet écart inexpliqué de 800 millions d'années dans l'histoire des premiers eucaryotes, période cruciale au cours de laquelle le dernier ancêtre commun de toute la vie complexe d'aujourd'hui est apparu, a enveloppé de mystère l'histoire des débuts de la vie.

"Il existe un énorme écart temporel entre les archives fossiles de ce que nous pensons être les premiers eucaryotes et les premiers biomarqueurs des eucaryotes", a déclaré Galen Halverson , professeur à l'Université McGill de Montréal.

Il existe de nombreuses explications possibles à cet écart paradoxal. Peut-être que les eucaryotes étaient trop rares à cette époque pour laisser derrière eux des preuves de fossiles moléculaires. Ou peut-être étaient-ils abondants, mais leurs fossiles moléculaires n’ont pas survécu aux dures conditions géologiques.

Une étude récente publiée dans Nature propose une explication alternative : les scientifiques ont peut-être recherché les mauvaises molécules fossilisées pendant tout ce temps. Lorsque les auteurs de l’étude ont recherché des versions plus primitives des produits chimiques recherchés par d’autres, ils les ont découverts en abondance – révélant ce qu’ils ont décrit comme " un monde perdu " d’eucaryotes qui vivaient il y a 800 millions à au moins 1,6 milliard d’années.

"Ces molécules ont toujours été là", a déclaré Jochen Brocks , géochimiste à l'Université nationale australienne de Canberra, qui a codirigé l'étude avec Benjamin Nettersheim, alors étudiant diplômé . "Nous ne pouvions pas les trouver parce que nous ne savions pas à quoi elles ressemblaient."

Les résultats apportent une nouvelle clarté à la dynamique de la vie eucaryote précoce. L'abondance de ces fossiles moléculaires suggère que les organismes primitifs ont prospéré dans les océans pendant des centaines de millions d'années avant que les ancêtres des eucaryotes modernes ne prennent le relais, semant des formes de vie qui évolueraient un jour vers les animaux, les plantes, les champignons et les protistes que nous voyons. aujourd'hui.

"C'est une hypothèse élégante qui semble réconcilier ces enregistrements très disparates", a déclaré Halverson, qui n'a pas participé à l'étude. " Cela donne un sens à tout."

Ces découvertes ont été une bonne nouvelle pour des paléontologues comme Phoebe Cohen , présidente de géosciences au Williams College dans le Massachusetts, qui a longtemps pensé qu'il manquait quelque chose dans le dossier des biomarqueurs. "Il existe une histoire riche et dynamique de la vie avant l'évolution des animaux, qui est plus difficile à comprendre car nous ne pouvons pas la voir", a déclaré Cohen. "Mais c'est extrêmement important car cela prépare le terrain pour le monde que nous avons aujourd'hui."

Le casse-tête des protostéroïdes

Lorsque les archives fossiles sont décevantes, les scientifiques disposent d’autres moyens pour estimer le moment où différentes espèces se sont dérivées les unes des autres dans l’arbre évolutif. Parmi ces outils figurent principalement les horloges moléculaires : des fragments d’ADN qui mutent à un rythme constant, permettant aux scientifiques d’estimer le passage du temps. Selon les horloges moléculaires, le dernier ancêtre commun des eucaryotes modernes, qui appartenait à un ensemble diversifié d’organismes appelé groupe couronne, est apparu pour la première fois il y a au moins 1,2 milliard d’années.

Mais l’histoire des eucaryotes ne commence pas là. D’autres eucaryotes primitifs, connus sous le nom de groupe souche, ont vécu des centaines de millions d’années avant l’évolution de notre premier ancêtre commun. Les chercheurs en savent peu sur eux, au-delà du fait qu’ils ont existé. La petite poignée d’anciens fossiles d’eucaryotes découverts sont trop ambigus pour être identifiés comme une tige ou une couronne.

En l’absence de fossiles corporels convaincants, les chercheurs recherchent des fossiles moléculaires. Les fossiles moléculaires, qui se conservent séparément des fossiles corporels, peuvent être difficiles à cerner pour les scientifiques. Ils doivent d’abord identifier quelles molécules auraient pu être produites uniquement par les organismes qu’ils souhaitent étudier. Ensuite, ils doivent composer avec le fait que toutes ces molécules ne se fossilisent pas bien.

La matière organique se désintègre à des rythmes différents et certaines parties des eucaryotes se conservent mieux que d’autres dans la roche. Les tissus se dissolvent en premier. L’ADN peut rester plus longtemps, mais pas trop longtemps : l’ADN le plus ancien jamais découvert a environ 2 millions d’années. Les molécules de graisse, cependant, peuvent potentiellement survivre pendant des milliards d’années.

Les eucaryotes créent de grandes quantités de molécules de graisse appelées stérols, un type de stéroïde qui constitue un composant essentiel des membranes cellulaires. Étant donné que la présence d’une membrane cellulaire est révélatrice des eucaryotes et que les molécules de graisse ont tendance à persister dans la roche, les stérols sont devenus le fossile moléculaire de référence pour ce groupe.

Les eucaryotes modernes fonctionnent avec trois grandes familles de stérols : le cholestérol chez les animaux, les phytostérols chez les plantes et l'ergostérol chez les champignons et certains protistes. Leur synthèse commence par une molécule linéaire, que la cellule façonne en quatre anneaux afin que la forme résultante s'intègre parfaitement dans une membrane, a déclaré Brocks. Ce processus comporte de nombreuses étapes : il faut huit étapes enzymatiques supplémentaires aux cellules animales pour fabriquer du cholestérol, tandis que les cellules végétales nécessitent 11 étapes enzymatiques supplémentaires pour fabriquer un phytostérol.

En route pour fabriquer son stérol avancé, une cellule crée une série de molécules plus simples à chaque étape du processus. Lorsqu’ils sont branchés sur une membrane artificielle, même ces stérols intermédiaires offrent la perméabilité et la rigidité dont une cellule a besoin pour fonctionner comme elle le devrait. Le biochimiste Konrad Bloch, qui a reçu le prix Nobel en 1964 en partie pour avoir découvert les étapes cellulaires de fabrication du cholestérol , "en a été perplexe", a déclaré Brocks. Pourquoi une cellule déploierait-elle des efforts supplémentaires pour fabriquer un stérol plus complexe alors qu’une molécule plus simple ferait le travail ?

En 1994, Bloch a écrit un livre dans lequel il prédisait que chacun de ces stérols intermédiaires avait été autrefois le produit final utilisé dans la membrane d'une cellule eucaryote ancestrale. Chaque étape supplémentaire a peut-être nécessité plus d'énergie de la cellule, mais la molécule résultante constituait une légère amélioration par rapport à la précédente – une amélioration suffisante pour surpasser le précurseur et s'imposer dans l'histoire de l'évolution.

Si cela était vrai, cela expliquerait pourquoi personne n’avait pu trouver de fossiles moléculaires de stérols avant l’expansion rapide des eucaryotes modernes, il y a environ 800 millions d’années. Les chercheurs recherchaient des cholestérols et d’autres structures modernes dans les archives rocheuses. Ils ne se rendaient pas compte que les anciennes voies biochimiques étaient plus courtes et que les organismes des groupes souches ne produisaient pas de stérols modernes : ils  faisaient des protostérols.

Mouture de café moléculaire

En 2005, environ cinq ans après la mort de Bloch, Brocks et ses collègues ont rapporté dans Nature les premiers indices de l'existence de telles molécules intermédiaires. Dans d'anciens sédiments, ils avaient trouvé des stéroïdes de structure inhabituelle qu'ils ne reconnaissaient pas. Mais à l’époque, Brocks ne pensait pas qu’un eucaryote aurait pu les créer. " À l’époque, j’étais assez convaincu qu’ils étaient bactériens ", a-t-il déclaré. "Personne ne pensait du tout à la possibilité d'avoir des eucaryotes du groupe souche."

Il a continué à échantillonner des roches anciennes et à rechercher ces curieuses molécules. Environ une décennie après le début de leurs travaux, Nettersheim et lui ont réalisé que de nombreuses structures moléculaires dans les échantillons de roche semblaient " primitives " et ne ressemblaient pas à celles que fabriquent généralement les bactéries, a déclaré Brocks. Serait-ce les stérols intermédiaires de Bloch ?

(Photo : De rares fossiles microscopiques de la vie ancienne fournissent des horodatages sur l’évolution des eucaryotes.  Satka favosa  (à gauche) et  Valeria lophostriata  datent d'il y a 1,6 milliard d'années. On ne sait pas si les organismes, probablement des protistes, appartiennent au groupe tige ou couronne. )

Il leur fallait davantage de preuves. Au cours de la décennie qui a suivi, Brocks et Nettersheim ont contacté des sociétés pétrolières et minières pour demander des échantillons de tout sédiment ancien qu'elles avaient accidentellement découvert lors d'expéditions de forage.

"La plupart des gens auraient trouvé deux exemples et publiés", a déclaré Andrew Knoll , professeur d'histoire naturelle à l'Université Harvard qui n'a pas participé à l'étude. (Il était le conseiller postdoctoral de Brocks il y a des années.) " Jochen a passé la majeure partie de la décennie à étudier les roches du Protérozoïque du monde entier. "

Pendant ce temps, les chercheurs ont créé un modèle de recherche pour identifier les molécules présentes dans les sédiments. Ils ont converti les molécules intermédiaires modernes fabriquées lors de la synthèse des stérols en équivalents géologiques plausibles des stéroïdes. (Le cholestérol, par exemple, se fossilise sous forme de cholestane.) " Si vous ne savez pas à quoi ressemble la molécule, vous ne la verrez pas 2, a déclaré Brocks.

En laboratoire, ils ont extrait des molécules fossiles des échantillons de sédiments en utilisant un processus qui " ressemble un peu à la préparation du café ", a déclaré Nettersheim. Après avoir broyé les roches, ils ont ajouté des solvants organiques pour en extraire les molécules – tout comme l’eau chaude est utilisée pour extraire le café des grains torréfiés et moulus.

(Photo :Benjamin Nettersheim, géochimiste à l'Université de Brême, examine les cartes moléculaires d'anciens sédiments rocheux à la recherche de biomarqueurs de la vie ancienne.)

Pour analyser leurs échantillons et les comparer à leurs références, ils ont utilisé la spectrométrie de masse, qui détermine le poids des molécules, et la chromatographie, qui révèle leur composition atomique.

Le processus est ardu. "Vous analysez des centaines de roches et ne trouvez rien", a déclaré Brocks. Lorsque l’on trouve quelque chose, il s’agit souvent d’une contamination récente. Mais plus ils analysaient d’échantillons, plus ils trouvaient de fossiles.

Certains échantillons étaient remplis à ras bord de protostéroïdes. Ils ont découvert ces molécules dans des roches datant d'il y a 800 millions à 1,6 milliard d'années. Il semblait que non seulement les eucaryotes anciens étaient présents depuis environ 800 millions d’années avant le décollage des eucaryotes modernes, mais qu’ils étaient également abondants.

Les chercheurs ont même pu reconnaître le processus évolutif des eucaryotes à mesure que leurs stéroïdes devenaient plus complexes. Par exemple, dans des roches vieilles de 1,3 milliard d’années, ils ont découvert une molécule intermédiaire plus avancée que les protostéroïdes vieux de 1,6 milliard d’années, mais pas aussi avancée que les stéroïdes modernes.

"C'était une façon très intelligente de traiter les archives manquantes de fossiles moléculaires", a déclaré David Gold , géobiologiste à l'Université de Californie à Davis, qui n'a pas participé à l'étude. Leur découverte a immédiatement comblé une lacune de 800 millions d’années dans l’histoire de la naissance de la vie moderne.

Un monde perdu

Les découvertes moléculaires, combinées aux données génétiques et fossiles, révèlent l'image la plus claire à ce jour de la dynamique eucaryote précoce d'il y a environ 1 milliard d'années, au cours de la mystérieuse ère médiane du Protérozoïque, ont déclaré les experts. D'après les preuves de Brocks et Nettersheim, les eucaryotes des groupes tige et couronne (stem and crown)  ont probablement vécu ensemble pendant des centaines de millions d'années et se sont probablement fait concurrence pendant une période que les géologues appellent le milliard ennuyeux en raison de sa lente évolution biologique.

L'absence de stéroïdes plus modernes à cette époque suggère que le groupe couronne n'a pas immédiatement pris le dessus. Au contraire, les organismes liés à la membrane ont commencé petit à mesure qu'ils trouvaient des niches dans l'ancien écosystème, a déclaré Gold. " Il faut beaucoup de temps pour que les [eucaryotes] deviennent écologiquement dominants ", a-t-il déclaré.

(Photo : Ces anciens microfossiles partagent un ancêtre avec tous les eucaryotes vivant aujourd’hui. Vieille d’un milliard d’années, l’algue benthique  Proterocladus antiquus  (au centre) est le plus ancien fossile de couronne connu. Il y a 750 millions d'années, les eucaryotes du groupe couronne tels que l'amibozoaire Bonniea dacruchares  (à gauche) et le rhizarien  Melicerion poikilon  (à droite) étaient courants.)

De gauche à droite : Susannah Porter ; Avec l'aimable autorisation de Virginia Tech ; Susannah Porter

Au début, le groupe souche avait peut-être un avantage. Les niveaux d’oxygène dans l’atmosphère étaient nettement inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Étant donné que la construction de protostérols nécessite moins d’oxygène et d’énergie que les stérols modernes, les eucaryotes du groupe souche étaient probablement plus efficaces et plus abondants.

Leur influence déclina lorsque le monde traversa une transition critique connue sous le nom de période tonienne. Il y a entre 1 milliard et 720 millions d’années, l’oxygène, les nutriments et autres matières premières cellulaires ont augmenté dans les océans. Des fossiles d'eucaryotes modernes, comme des algues et des champignons, commencent à apparaître dans les archives rocheuses, et les stéroïdes modernes commencent à dépasser en nombre les protostéroïdes dans les biomarqueurs fossilisés – des preuves qui suggèrent que les eucaryotes du groupe couronne avaient commencé à prospérer, à augmenter en nombre et à se diversifier.

Pourquoi les stérols deviendraient-ils plus compliqués avec le temps ? Les auteurs suggèrent que les stérols les plus complexes confèrent à leurs propriétaires un certain avantage évolutif, peut-être lié à la dynamique des membranes cellulaires des créatures. Quelle que soit la raison, le changement de stérol était significatif sur le plan évolutif. La composition des stérols modernes a probablement donné aux eucaryotes du groupe couronne un avantage par rapport au groupe souche. Finalement, " ce monde perdu d’anciens eucaryotes a été remplacé par les eucaryotes modernes ", a déclaré Brocks.

Une ride bactérienne

L’histoire évolutive des chercheurs sur les stérols est convaincante, mais elle n’est pas solide comme le roc.

"Je ne serais pas surpris" si leur interprétation est correcte, a déclaré Gold. Cependant, il existe une autre possibilité. Bien que les scientifiques aient tendance à associer les stérols aux eucaryotes, certaines bactéries peuvent également les fabriquer. Les fossiles moléculaires de l’étude auraient-ils pu être laissés par des bactéries ?Gordon Love , géochimiste à l'Université de Californie à Riverside, pense que le scénario bactérien est plus logique. "Ces protostéroïdes se retrouvent dans les roches de tous âges", a-t-il déclaré. "Ils ne disparaissent pas tout simplement, ce qui signifie que quelque chose d'autre que les eucaryotes souches est capable de les fabriquer." Il a fait valoir que les bactéries, qui dominaient la mer à cette époque, auraient pu facilement produire des protostéroïdes.

Les auteurs ne peuvent pas exclure cette possibilité. En fait, ils soupçonnent que certaines de leurs molécules fossiles ont été fabriquées par des bactéries. Mais la possibilité que leur vaste collection de protostéroïdes fossilisés, s'étendant sur des centaines de millions d'années, ait été entièrement constituée de bactéries semble peu probable, a déclaré Brocks.


" Si vous regardez l'écologie de ces bactéries aujourd'hui et leur abondance, il n'y a tout simplement aucune raison de croire qu'elles pourraient devenir si abondantes qu'elles auraient pu produire toutes ces molécules", a-t-il déclaré. Dans le monde moderne, les bactéries produisent des protostérols uniquement dans des environnements de niche tels que les sources hydrothermales ou les suintements de méthane.

Cohen, paléontologue du Williams College, est d'accord avec Brocks. L’interprétation selon laquelle ces molécules ont été faites par des eucaryotes " est cohérente avec toutes les autres sources de preuves ", a-t-elle déclaré – des archives fossiles aux analyses de l’horloge moléculaire. " Je ne suis pas aussi inquiète 2 quant à cette possibilité, a-t-elle déclaré.

L’une ou l’autre interprétation présente plus de questions que de réponses. "Les deux histoires seraient absolument folles et bizarres", a déclaré Brocks. Ce sont " des visions différentes de notre monde ", a-t-il ajouté, et il serait bien de savoir laquelle est la vraie.

Faute de machine à remonter le temps, les chercheurs recherchent davantage de preuves pour améliorer leur certitude dans un sens ou dans l’autre. Mais il n’existe qu’un nombre limité de façons de reconstruire ou de percevoir la vie ancienne – et même les meilleures suppositions des scientifiques ne peuvent jamais combler complètement cette lacune. "La plupart des formes de vie n'ont laissé aucune trace sur Terre", a déclaré Nettersheim. " Le bilan que nous voyons est limité. … Pendant la majeure partie de l’histoire de la Terre, la vie aurait pu être très différente. "


Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Yasemin Saplakoglu, 23 octobre 2023

[ unicité ] [ microbiote ] [ palier évolutif ] [ précambrien ] [ protérozoïque ]

 

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Pieuvres et calmars modifient et corrigent (édit en anglais) leur ARN, tout en laissant l'ADN intact. Des changements qui pourraient expliquer l'intelligence et la flexibilité des céphalopodes dépourvus de coquille

De nombreux écrivains se plaignent lorsqu'un rédacteur  vient éditer et donc modifier leur article, mais les conséquences de la modification d'un seul mot ne sont généralement pas si graves.

Ce n'est pas le cas des instructions génétiques pour la fabrication des protéines. Même une petite modification peut empêcher une protéine de faire son travail correctement, ce qui peut avoir des conséquences mortelles. Ce n'est qu'occasionnellement qu'un changement est bénéfique. Il semble plus sage de conserver les instructions génétiques telles qu'elles sont écrites. À moins d'être une pieuvre.

Les pieuvres sont comme des extraterrestres qui vivent parmi nous : elles font beaucoup de choses différemment des animaux terrestres ou même des autres créatures marines. Leurs tentacules flexibles goûtent ce qu'ils touchent et ont leur esprit propre. Les yeux des pieuvres sont daltoniens, mais leur peau peut détecter la lumière par elle-même. Les pieuvres sont des maîtres du déguisement, changeant de couleur et de texture de peau pour se fondre dans leur environnement ou effrayer leurs rivaux. Et plus que la plupart des créatures, les pieuvres font gicler l'équivalent moléculaire de l'encre rouge sur leurs instructions génétiques avec un abandon stupéfiant, comme un rédacteur en chef déchaîné.

Ces modifications-éditions concernent l'ARN, molécule utilisée pour traduire les informations du plan génétique stocké dans l'ADN, tout en laissant l'ADN intact.

Les scientifiques ne savent pas encore avec certitude pourquoi les pieuvres et d'autres céphalopodes sans carapace, comme les calmars et les seiches, sont des modificateurs aussi prolifiques. Les chercheurs se demandent si cette forme d'édition génétique a donné aux céphalopodes une longueur d'avance sur le plan de l'évolution (ou un tentacule) ou si cette capacité n'est qu'un accident parfois utile. Les scientifiques étudient également les conséquences que les modifications de l'ARN peuvent avoir dans diverses conditions. Certaines données suggèrent que l'édition pourrait donner aux céphalopodes une partie de leur intelligence, mais au prix d'un ralentissement de l'évolution de leur ADN.

"Ces animaux sont tout simplement magiques", déclare Caroline Albertin, biologiste spécialiste du développement comparatif au Marine Biological Laboratory de Woods Hole (Massachusetts). "Ils ont toutes sortes de solutions différentes pour vivre dans le monde d'où ils viennent. L'édition de l'ARN pourrait contribuer à donner à ces créatures un grand nombre de solutions aux problèmes qu'elles peuvent rencontrer.

(vidéo - Contrairement à d'autres animaux à symétrie bilatérale, les pieuvres ne rampent pas dans une direction prédéterminée. Des vidéos de pieuvres en train de ramper montrent qu'elles peuvent se déplacer dans n'importe quelle direction par rapport à leur corps, et qu'elles changent de direction de rampe sans avoir à tourner leur corps. Dans le clip, la flèche verte indique l'orientation du corps de la pieuvre et la flèche bleue indique la direction dans laquelle elle rampe.)

Le dogme central de la biologie moléculaire veut que les instructions pour construire un organisme soient contenues dans l'ADN. Les cellules copient ces instructions dans des ARN messagers, ou ARNm. Ensuite, des machines cellulaires appelées ribosomes lisent les ARNm pour construire des protéines en enchaînant des acides aminés. La plupart du temps, la composition de la protéine est conforme au modèle d'ADN pour la séquence d'acides aminés de la protéine.

Mais l'édition de l'ARN peut entraîner des divergences par rapport aux instructions de l'ADN, créant ainsi des protéines dont les acides aminés sont différents de ceux spécifiés par l'ADN.

L'édition modifie chimiquement l'un des quatre éléments constitutifs de l'ARN, ou bases. Ces bases sont souvent désignées par les premières lettres de leur nom : A, C, G et U, pour adénine, cytosine, guanine et uracile (la version ARN de la base ADN thymine). Dans une molécule d'ARN, les bases sont liées à des sucres ; l'unité adénine-sucre, par exemple, est appelée adénosine.

Il existe de nombreuses façons d'éditer des lettres d'ARN. Les céphalopodes excellent dans un type d'édition connu sous le nom d'édition de l'adénosine à l'inosine, ou A-to-I. Cela se produit lorsqu'une enzyme appelée ADAR2 enlève un atome d'azote et deux atomes d'hydrogène de l'adénosine (le A). Ce pelage chimique transforme l'adénosine en inosine (I).

 Les ribosomes lisent l'inosine comme une guanine au lieu d'une adénine. Parfois, ce changement n'a aucun effet sur la chaîne d'acides aminés de la protéine résultante. Mais dans certains cas, la présence d'un G à la place d'un A entraîne l'insertion d'un acide aminé différent dans la protéine. Ce type d'édition de l'ARN modifiant la protéine est appelé recodage de l'ARN.

Les céphalopodes à corps mou ont adopté le recodage de l'ARN à bras-le-corps, alors que même les espèces étroitement apparentées sont plus hésitantes à accepter les réécritures, explique Albertin. "Les autres mollusques ne semblent pas le faire dans la même mesure.

L'édition de l'ARN ne se limite pas aux créatures des profondeurs. Presque tous les organismes multicellulaires possèdent une ou plusieurs enzymes d'édition de l'ARN appelées enzymes ADAR, abréviation de "adénosine désaminase agissant sur l'ARN", explique Joshua Rosenthal, neurobiologiste moléculaire au Marine Biological Laboratory.

Les céphalopodes possèdent deux enzymes ADAR. L'homme possède également des versions de ces enzymes. "Dans notre cerveau, nous modifions une tonne d'ARN. Nous le faisons beaucoup", explique Rosenthal. Au cours de la dernière décennie, les scientifiques ont découvert des millions d'endroits dans les ARN humains où se produit l'édition.

Mais ces modifications changent rarement les acides aminés d'une protéine. Par exemple, Eli Eisenberg, de l'université de Tel Aviv, et ses collègues ont identifié plus de 4,6 millions de sites d'édition dans les ARN humains. Parmi ceux-ci, seuls 1 517 recodent les protéines, ont rapporté les chercheurs l'année dernière dans Nature Communications. Parmi ces sites de recodage, jusqu'à 835 sont partagés avec d'autres mammifères, ce qui suggère que les forces de l'évolution ont préservé l'édition à ces endroits.

(Encadré :  Comment fonctionne l'édition de l'ARN ?

Dans une forme courante d'édition de l'ARN, une adénosine devient une inosine par une réaction qui supprime un groupe aminé et le remplace par un oxygène (flèches). L'illustration montre une enzyme ADAR se fixant à un ARN double brin au niveau du "domaine de liaison de l'ARNdb". La région de l'enzyme qui interagit pour provoquer la réaction, le "domaine de la désaminase", est positionnée près de l'adénosine qui deviendra une inosine.)

Les céphalopodes portent le recodage de l'ARN à un tout autre niveau, dit Albertin. L'encornet rouge (Doryteuthis pealeii) possède 57 108 sites de recodage, ont rapporté Rosenthal, Eisenberg et leurs collègues en 2015 dans eLife. Depuis, les chercheurs ont examiné plusieurs espèces de pieuvres, de calmars et de seiches, et ont à chaque fois trouvé des dizaines de milliers de sites de recodage.

Les céphalopodes à corps mou, ou coléoïdes, pourraient avoir plus de possibilités d'édition que les autres animaux en raison de l'emplacement d'au moins une des enzymes ADAR, ADAR2, dans la cellule. La plupart des animaux éditent les ARN dans le noyau - le compartiment où l'ADN est stocké et copié en ARN - avant d'envoyer les messages à la rencontre des ribosomes. Mais chez les céphalopodes, les enzymes se trouvent également dans le cytoplasme, l'organe gélatineux des cellules, ont découvert Rosenthal et ses collègues (SN : 4/25/20, p. 10).

Le fait d'avoir des enzymes d'édition dans deux endroits différents n'explique pas complètement pourquoi le recodage de l'ARN chez les céphalopodes dépasse de loin celui des humains et d'autres animaux. Cela n'explique pas non plus les schémas d'édition que les scientifiques ont découverts.

L'édition de l'ARN amènerait de la flexibilité aux céphalopodes

L'édition n'est pas une proposition "tout ou rien". Il est rare que toutes les copies d'un ARN dans une cellule soient modifiées. Il est beaucoup plus fréquent qu'un certain pourcentage d'ARN soit édité tandis que le reste conserve son information originale. Le pourcentage, ou fréquence, de l'édition peut varier considérablement d'un ARN à l'autre ou d'une cellule ou d'un tissu à l'autre, et peut dépendre de la température de l'eau ou d'autres conditions. Chez le calmar à nageoires longues, la plupart des sites d'édition de l'ARN étaient édités 2 % ou moins du temps, ont rapporté Albertin et ses collègues l'année dernière dans Nature Communications. Mais les chercheurs ont également trouvé plus de 205 000 sites qui étaient modifiés 25 % du temps ou plus.

Dans la majeure partie du corps d'un céphalopode, l'édition de l'ARN n'affecte pas souvent la composition des protéines. Mais dans le système nerveux, c'est une autre histoire. Dans le système nerveux du calmar à nageoires longues, 70 % des modifications apportées aux ARN producteurs de protéines recodent ces dernières. Dans le système nerveux de la pieuvre californienne à deux points (Octopus bimaculoides), les ARN sont recodés trois à six fois plus souvent que dans d'autres organes ou tissus.

(Photo -  L'encornet rouge recode l'ARN à plus de 50 000 endroits. Le recodage de l'ARN pourrait aider le calmar à réagir avec plus de souplesse à son environnement, mais on ne sait pas encore si le recodage a une valeur évolutive. Certains ARNm possèdent plusieurs sites d'édition qui modifient les acides aminés des protéines codées par les ARNm. Dans le système nerveux de l'encornet rouge, par exemple, 27 % des ARNm ont trois sites de recodage ou plus. Certains contiennent 10 sites ou plus. La combinaison de ces sites d'édition pourrait entraîner la fabrication de plusieurs versions d'une protéine dans une cellule.)

Le fait de disposer d'un large choix de protéines pourrait donner aux céphalopodes "plus de souplesse pour réagir à l'environnement", explique M. Albertin, "ou leur permettre de trouver diverses solutions au problème qui se pose à eux". Dans le système nerveux, l'édition de l'ARN pourrait contribuer à la flexibilité de la pensée, ce qui pourrait expliquer pourquoi les pieuvres peuvent déverrouiller des cages ou utiliser des outils, pensent certains chercheurs. L'édition pourrait être un moyen facile de créer une ou plusieurs versions d'une protéine dans le système nerveux et des versions différentes dans le reste du corps, explique Albertin.

Lorsque l'homme et d'autres vertébrés ont des versions différentes d'une protéine, c'est souvent parce qu'ils possèdent plusieurs copies d'un gène. Doubler, tripler ou quadrupler les copies d'un gène "permet de créer tout un terrain de jeu génétique pour permettre aux gènes de s'activer et d'accomplir différentes fonctions", explique M. Albertin. Mais les céphalopodes ont tendance à ne pas dupliquer les gènes. Leurs innovations proviennent plutôt de l'édition.

Et il y a beaucoup de place pour l'innovation. Chez le calmar, les ARNm servant à construire la protéine alpha-spectrine comportent 242 sites de recodage. Toutes les combinaisons de sites modifiés et non modifiés pourraient théoriquement créer jusqu'à 7 x 1072 formes de la protéine, rapportent Rosenthal et Eisenberg dans le numéro de cette année de l'Annual Review of Animal Biosciences (Revue annuelle des biosciences animales). "Pour mettre ce chiffre en perspective, écrivent les chercheurs, il suffit de dire qu'il éclipse le nombre de toutes les molécules d'alpha-spectrine (ou, d'ailleurs, de toutes les molécules de protéines) synthétisées dans toutes les cellules de tous les calmars qui ont vécu sur notre planète depuis l'aube des temps.

Selon Kavita Rangan, biologiste moléculaire à l'université de Californie à San Diego, ce niveau de complexité incroyable ne serait possible que si chaque site était indépendant. Rangan a étudié le recodage de l'ARN chez le calmar californien (Doryteuthis opalescens) et le calmar à nageoires longues. La température de l'eau incite les calmars à recoder les protéines motrices appelées kinésines qui déplacent les cargaisons à l'intérieur des cellules.

Chez l'encornet rouge, l'ARNm qui produit la kinésine-1 comporte 14 sites de recodage, a découvert Mme Rangan. Elle a examiné les ARNm du lobe optique - la partie du cerveau qui traite les informations visuelles - et du ganglion stellaire, un ensemble de nerfs impliqués dans la génération des contractions musculaires qui produisent des jets d'eau pour propulser le calmar.

Chaque tissu produit plusieurs versions de la protéine. Rangan et Samara Reck-Peterson, également de l'UC San Diego, ont rapporté en septembre dernier dans un article publié en ligne sur bioRxiv.org que certains sites avaient tendance à être édités ensemble. Leurs données suggèrent que l'édition de certains sites est coordonnée et "rejette très fortement l'idée que l'édition est indépendante", explique Rangan. "La fréquence des combinaisons que nous observons ne correspond pas à l'idée que chaque site a été édité indépendamment.

L'association de sites d'édition pourrait empêcher les calmars et autres céphalopodes d'atteindre les sommets de complexité dont ils sont théoriquement capables. Néanmoins, l'édition de l'ARN offre aux céphalopodes un moyen d'essayer de nombreuses versions d'une protéine sans s'enfermer dans une modification permanente de l'ADN, explique M. Rangan.

Ce manque d'engagement laisse perplexe Jianzhi Zhang, généticien évolutionniste à l'université du Michigan à Ann Arbor. "Pour moi, cela n'a pas de sens", déclare-t-il. "Si vous voulez un acide aminé particulier dans une protéine, vous devez modifier l'ADN. Pourquoi changer l'ARN ?

L'édition de l'ARN a-t-elle une valeur évolutive ?

L'édition de l'ARN offre peut-être un avantage évolutif. Pour tester cette idée, Zhang et Daohan Jiang, alors étudiant de troisième cycle, ont comparé les sites "synonymes", où les modifications ne changent pas les acides aminés, aux sites "non synonymes", où le recodage se produit. Étant donné que les modifications synonymes ne modifient pas les acides aminés, les chercheurs ont considéré que ces modifications étaient neutres du point de vue de l'évolution. Chez l'homme, le recodage, ou édition non synonyme, se produit sur moins de sites que l'édition synonyme, et le pourcentage de molécules d'ARN qui sont éditées est plus faible que sur les sites synonymes.

"Si nous supposons que l'édition synonyme est comme un bruit qui se produit dans la cellule, et que l'édition non-synonyme est moins fréquente et [à un] niveau plus bas, cela suggère que l'édition non-synonyme est en fait nuisible", explique Zhang. Même si le recodage chez les céphalopodes est beaucoup plus fréquent que chez les humains, dans la plupart des cas, le recodage n'est pas avantageux, ou adaptatif, pour les céphalopodes, ont affirmé les chercheurs en 2019 dans Nature Communications.

Il existe quelques sites communs où les pieuvres, les calmars et les seiches recodent tous leurs ARN, ont constaté les chercheurs, ce qui suggère que le recodage est utile dans ces cas. Mais il s'agit d'une petite fraction des sites d'édition. Zhang et Jiang ont constaté que quelques autres sites édités chez une espèce de céphalopode, mais pas chez les autres, étaient également adaptatifs.

Si ce n'est pas si utile que cela, pourquoi les céphalopodes ont-ils continué à recoder l'ARN pendant des centaines de millions d'années ? L'édition de l'ARN pourrait persister non pas parce qu'elle est adaptative, mais parce qu'elle crée une dépendance, selon Zhang.

Zhang et Jiang ont proposé un modèle permettant de nuire (c'est-à-dire une situation qui permet des modifications nocives de l'ADN). Imaginez, dit-il, une situation dans laquelle un G (guanine) dans l'ADN d'un organisme est muté en A (adénine). Si cette mutation entraîne un changement d'acide aminé nocif dans une protéine, la sélection naturelle devrait éliminer les individus porteurs de cette mutation. Mais si, par chance, l'organisme dispose d'un système d'édition de l'ARN, l'erreur dans l'ADN peut être corrigée par l'édition de l'ARN, ce qui revient à transformer le A en G. Si la protéine est essentielle à la vie, l'ARN doit être édité à des niveaux élevés de sorte que presque chaque copie soit corrigée.

 Lorsque cela se produit, "on est bloqué dans le système", explique M. Zhang. L'organisme est désormais dépendant de la machinerie d'édition de l'ARN. "On ne peut pas la perdre, car il faut que le A soit réédité en G pour survivre, et l'édition est donc maintenue à des niveaux élevés.... Au début, on n'en avait pas vraiment besoin, mais une fois qu'on l'a eue, on en est devenu dépendant".

Zhang soutient que ce type d'édition est neutre et non adaptatif. Mais d'autres recherches suggèrent que l'édition de l'ARN peut être adaptative.

L'édition de l'ARN peut fonctionner comme une phase de transition, permettant aux organismes de tester le passage de l'adénine à la guanine sans apporter de changement permanent à leur ADN. Au cours de l'évolution, les sites où les adénines sont recodées dans l'ARN d'une espèce de céphalopode sont plus susceptibles que les adénines non éditées d'être remplacées par des guanines dans l'ADN d'une ou de plusieurs espèces apparentées, ont rapporté les chercheurs en 2020 dans PeerJ. Et pour les sites fortement modifiés, l'évolution chez les céphalopodes semble favoriser une transition de A à G dans l'ADN (plutôt qu'à la cytosine ou à la thymine, les deux autres éléments constitutifs de l'ADN). Cela favorise l'idée que l'édition peut être adaptative.

D'autres travaux récents de Rosenthal et de ses collègues, qui ont examiné les remplacements de A en G chez différentes espèces, suggèrent que le fait d'avoir un A modifiable est un avantage évolutif par rapport à un A non modifiable ou à un G câblé.

(Tableau :  Quelle est la fréquence de l'enregistrement de l'ARN ?

Les céphalopodes à corps mou, notamment les pieuvres, les calmars et les seiches, recodent l'ARN dans leur système nerveux sur des dizaines de milliers de sites, contre un millier ou moins chez l'homme, la souris, la mouche des fruits et d'autres espèces animales. Bien que les scientifiques aient documenté le nombre de sites d'édition, ils auront besoin de nouveaux outils pour tester directement l'influence du recodage sur la biologie des céphalopodes.

Schéma avec comparaison des nombre de sites de recodage de l'ARN chez les animaux

J.J.C. ROSENTHAL ET E. EISENBERG/ANNUAL REVIEW OF ANIMAL BIOSCIENCES 2023 )

Beaucoup de questions en suspens

Les preuves pour ou contre la valeur évolutive du recodage de l'ARN proviennent principalement de l'examen de la composition génétique totale, ou génomes, de diverses espèces de céphalopodes. Mais les scientifiques aimeraient vérifier directement si les ARN recodés ont un effet sur la biologie des céphalopodes. Pour ce faire, il faudra utiliser de nouveaux outils et faire preuve de créativité.

Rangan a testé des versions synthétiques de protéines motrices de calmars et a constaté que deux versions modifiées que les calmars fabriquent dans le froid se déplaçaient plus lentement mais plus loin le long de pistes protéiques appelées microtubules que les protéines non modifiées. Mais il s'agit là de conditions artificielles de laboratoire, sur des lames de microscope. Pour comprendre ce qui se passe dans les cellules, Mme Rangan aimerait pouvoir cultiver des cellules de calmar dans des boîtes de laboratoire. Pour l'instant, elle doit prélever des tissus directement sur le calmar et ne peut obtenir que des instantanés de ce qui se passe. Les cellules cultivées en laboratoire pourraient lui permettre de suivre ce qui se passe au fil du temps.

M. Zhang explique qu'il teste son hypothèse de l'innocuité en amenant la levure à s'intéresser à l'édition de l'ARN. La levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae) ne possède pas d'enzymes ADAR. Mais Zhang a modifié une souche de cette levure pour qu'elle soit porteuse d'une version humaine de l'enzyme. Les enzymes ADAR rendent la levure malade et la font croître lentement, explique-t-il. Pour accélérer l'expérience, la souche qu'il utilise a un taux de mutation supérieur à la normale et peut accumuler des mutations G-A. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, il est possible d'obtenir des résultats positifs. Mais si l'édition de l'ARN peut corriger ces mutations, la levure porteuse d'ADAR pourrait se développer mieux que celles qui n'ont pas l'enzyme. Et après de nombreuses générations, la levure pourrait devenir dépendante de l'édition, prédit Zhang.

Albertin, Rosenthal et leurs collègues ont mis au point des moyens de modifier les gènes des calmars à l'aide de l'éditeur de gènes CRISPR/Cas9. L'équipe a créé un calmar albinos en utilisant CRISPR/Cas9 pour supprimer, ou désactiver, un gène qui produit des pigments. Les chercheurs pourraient être en mesure de modifier les sites d'édition dans l'ADN ou dans l'ARN et de tester leur fonction, explique Albertin.

Cette science n'en est qu'à ses débuts et l'histoire peut mener à des résultats inattendus. Néanmoins, grâce à l'habileté des céphalopodes en matière d'édition, la lecture de cet article ne manquera pas d'être intéressante.

 

Auteur: Internet

Info: https://www.sciencenews.org/article/octopus-squid-rna-editing-dna-cephalopods, Tina Hesman Saey, 19 may 2023

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Vers une science de la complexité
La physique quantique n’est pas une théorie de l’univers ; elle n’est qu’un formalisme génial qui permet d’abandonner les vieilles notions simplistes d’objet physique et de force physique, au centre de la physique de Galilée, Newton et Einstein, pour migrer vers les notions plus riches et plus souples de fonctions d’état (que l’on continue d’appeler, à tort, fonctions d’onde) et d’opérateurs. Il n’y a plus d’objet (ni d’onde, ni de particule, ni rien) : il y a un processus qui, à un moment donné, est décrit par une fonction d’état. Cette fonction évolue dans le temps. Faire une mesure (une observation quantifiée) consiste à appliquer à cette fonction d’état un opérateur qui spécifie la mesure que l’on fait, mais qui, en retour, modifie la fonction d’état. Ce formalisme ne dit rien de l’évolution réelle du Réel. Il permet seulement, dans certains cas, de prédire le résultat d’une mesure spécifique sur le Réel.

Le piège relativiste et le piège quantique.
Pour le dire en suivant Niels Bohr, la physique quantique n’est pas une ontologie : elle ne dit rien du Réel, mais explicite seulement certains de nos rapports avec le Réel. Ceci résume d’un mot la célèbre controverse entre ces deux Juifs géniaux que furent Einstein et Bohr. Einstein voulait fonder une ontologie post-newtonienne ("Connaître la pensée de Dieu"), alors que Bohr ne voulait que développer une phénoménologie opératoire et avait renoncé, dans une posture typiquement kantienne, à toute forme d’ontologie ("Ne dites pas à Dieu ce qu’Il doit faire").

Le problème, tel qu’il se présente aujourd’hui, se résume à ceci. L’ontologie relativiste, parce qu’elle n’a pas su quitter le mécanicisme déterministe et analytique des modernes, aboutit à des impasses monstrueuses qui, pour sauver le modèle, appellent des hypothèses de plus en plus invraisemblables et abracadabrantesques. Quant à la phénoménologie quantique, si elle se cantonne à demeurer une pure phénoménologie, elle se réduit à une technique mathématique plus ou moins efficiente dans les cas les plus simples et elle n’est guère satisfaisante pour l’esprit qui, toujours, a soif d’ontologie ; mais, si elle se laisse tenter à se prendre pour une ontologie (ce qui est de plus en plus souvent le cas, surtout en physique des hautes énergies et des "particules" élémentaires), elle aboutit à des absurdités logiques, et des "théories" fumeuses (comme la supersymétrie, les cordes, etc.) tentent en vain de masquer les inconsistances.

Nous sommes au seuil de ce que Thomas Kuhn appela une "mutation paradigmatique" majeure dans le monde de la science fondamentale. Spiritualité et physique sont en train de converger.

Notre époque appelle à refonder radicalement une nouvelle ontologie qui devra prendre garde à éviter, à la fois, le piège relativiste (l’ontologie mécaniciste) et le piège quantique (la phénoménologie subjectiviste). La physique complexe est la seule voie connue actuellement qui puisse tenter de relever ce défi. Mais les institutions physiciennes en place veillent à ne pas laisser saccager leur fonds de commerce. Nous sommes au seuil de ce que Thomas Kuhn appela une "mutation paradigmatique" majeure dans le monde de la science fondamentale. Spiritualité et physique sont en train de converger.

Les sciences modernes.
Toutes les sciences modernes se sont construites à partir du refus de la Renaissance de continuer le paradigme aristotélicien d’un univers organiciste, finaliste, géocentrique, limité, divisé en monde céleste et en monde sublunaire et dirigé par le principe de l’harmonie des sphères. Parmi les premiers, Galilée et Descartes éradiquèrent ce paradigme aristotélicien et le remplacèrent par un paradigme platonicien (donc pythagoricien et atomiste) qui allait devenir le moteur de la pensée entre 1500 et 2000. Ce paradigme moderne repose tout entier sur le mécanicisme. Plongé dans un espace et un temps infinis, l’univers serait un assemblage de briques élémentaires appelées "atomes", interagissant entre eux au moyen de forces élémentaires partout les mêmes (un univers isotrope) et parfaitement quantifiables (un univers mathématique) où tout effet a une cause et où cause et effet sont proportionnés selon des rapports mesurables et permanents, soumis à des lois mathématiques éternelles. Le hasard y joue le rôle central de moteur des évolutions.

Cette vision du monde fut fructueuse et permit de grandes avancées, dont les très nombreuses retombées techniques ont radicalement transformé le monde des hommes et leur ont permis, dans bien des cas, de les libérer des contraintes "naturelles" qui pesaient sur eux. Cependant, les sciences modernes, dès la fin du XIXe siècle, mais surtout depuis 1950, se sont heurtées, partout, au "mur de la complexité".

Le mur de la complexité.
Ce "mur de la complexité" a fait prendre conscience que certains systèmes où le nombre des ingrédients et les densités d’interaction entre eux étaient très grands ne pouvaient plus être compris selon le paradigme mécaniste : ils ne sont pas que des assemblages d’élémentaires, car leur tout est irréductible à la simple somme de leurs parties ; là s’observent des propriétés émergentes qui n’appartiennent à aucun des ingrédients impliqués et qui surgissent sans cause particulière, comme solution globale à un problème global. Aristote ressuscite, et les traditions indiennes et chinoises viennent à sa rescousse…

Ce fut la thermodynamique qui, la première, osa les questions de fond dont la toute première, résolument contradictoire avec les sciences mécanistes, fut celle de l’irréversibilité ; celle de la flèche du temps, celle du Devenir en lieu et place de l’Etre. L’univers réel n’est pas une machine mécanique réversible, soumise à des lois mécaniques prédictibles.

Pour le dire autrement, les sciences classiques font des merveilles pourvu que les systèmes auxquels elles s’intéressent soient d’un niveau de complexité très bas. Alors, l’approximation mécaniste peut être efficace et donne de bons résultats, parfois spectaculaires (il est plus facile d’envoyer une fusée sur Mars que de modéliser la préparation d’un bon cassoulet). Après la thermodynamique, les sciences de la vie et l’étude des sociétés vivantes ont bien dû constater que le "mur de la complexité" était, pour elles aussi, infranchissable si elles restaient à l’intérieur du paradigme mécaniste. Disons-le tout cru : la Vie n’est pas réductible à la Matière, ni la Pensée à la Vie… On commence maintenant à comprendre que même la Matière n’est réductible ni à elle-même, ni à de l’énergie pure. Au fond : rien n’est réductible à rien. Tout ce qui existe n’existe que par soi et pour soi ; c’est l’émergence locale d’un flux cosmique de devenir. Mais tout ce qui existe est aussi partie prenante d’un tout plus grand qui l’englobe… Et tout ce qui existe est, en même temps, le résultat des interactions infinies entre les ingrédients multiples qui le constituent en interagissant entre eux. Rien de ce qui existe n’est un assemblage construit "de l’extérieur", mais bien plutôt quelque chose qui "pousse de l’intérieur".

Cette dernière remarque permet d’alimenter une réflexion de fond. Nous avons pris l’habitude de parler et de penser en termes d’objets : cette table, ce chien, ce nuage, etc. Et il nous semble naturel de faire de ces mots les images de ce qui existe, en leur gardant une atemporalité abstraite et idéalisante qui ne correspond à rien de réel. Cette table, ce chien et ce nuage auront changé – un peu, beaucoup, énormément – dans trois minutes, dans trois jours, dans trois ans, etc. Rien n’est permanent dans le réel, même si nos habitudes de pensée, par l’usage de mots figés et abstraits, alimentent notre illusion que tout reste "fondamentalement" identique à soi. Ce qui est notoirement faux.

Tout cela relève d’un débat métaphysique qui n’a pas vraiment sa place ici. Disons seulement que la philosophie occidentale est obsédée par la notion d’un Etre immuable qui se cacherait "derrière" les accidents et évolutions de tout ce qui existe. Le pensée complexe prend l’exact contre-pied de cette croyance. Il n’y a pas d’Etre ; tout est processus. Ce chien appelé "Médor" est l’image, ici et maintenant, d’un processus canin particulier (un individu chien singulier) qui exprime un processus canin global (une lignée canine remontant à des ancêtres chacals, loups et renards) qui, à son tour, est un mode particulier d’expression du processus Vie sur notre petite Terre. Et cette terre elle-même constitue un processus planétaire, lié au processus solaire, lié au processus d’une galaxie parmi d’autres, appelée "voie lactée". Le processus chien appelé "Médor" est la résultante de milliards de processus cellulaires qui furent tous déclenchés par la rencontre d’un ovule fertile et d’un spermatozoïde.

Les mots s’arrêtent à la surface des choses.
Ce que nos mots appellent un "objet" n’est que la photographie extérieure et instantanée d’un processus qui a commencé, comme tout le reste, avec le big-bang. Il n’y a au fond qu’un seul processus unique : le cosmos pris comme un tout. Ce processus cosmique engendre des processus particuliers, de plus en plus complexes, de plus en plus intriqués les uns aux autres, qui sont autant de processus émergeants. Nous appelons "objet" la surface extérieure apparente d’un processus volumique intérieur qui engendre cette surface. Cette surface objectale n’est que l’emballage apparent de la réalité processuelle sous-jacente.

Les mots s’arrêtent à la surface des choses, à leur apparence, que notre mental débarrasse de tout ce qui change pour n’en garder que les caractéristiques atemporelles qui ne changent pas ou peu. Médor est ce chien qui est un berger noir et feu, couché là au soleil, avec quatre pattes, une queue touffue, une truffe noire, deux yeux pétillants, deux oreilles dressées, etc. "Médor" désigne l’ensemble de ces caractéristiques objectales censées être temporairement permanentes. Mais, en fait, "Médor" désigne l’entrelacs de milliers de milliards de processus cellulaires intriqués et corrélés, fédérés par l’intention commune de survivre le mieux possible, dans un environnement peu maîtrisé mais globalement favorable, appelé domesticité.

La méthode analytique, mise à l’honneur par René Descartes, part d’un principe parfaitement arbitraire – et qui se révèlera faux – que le tout est l’exacte somme de ses parties. Que pour comprendre un système, il "suffit" de le démonter en ses constituants, puis ceux-ci en les leurs, et ainsi de suite, pour atteindre les élémentaires constitutifs du tout et les comprendre, pour, ensuite, les remonter, étage par étage, afin d’obtenir "logiquement" la compréhension du tout par la compréhension de chacune de ses parties. On trouve là le fondement ultime du mécanicisme qui fait de tout, à l’instar de la machine, un assemblage de parties ayant et gardant une identité propre irréfragable. Le piston et la soupape sont piston et soupape qu’ils soient, ou non, montés ensemble ou démontés séparément.

Tout l’analycisme repose sur cette hypothèse largement fausse que les interactions entre éléments n’altèrent pas la nature de ces éléments. Ils restent intègres et identifiables qu’il y ait, ou non, des interactions avec d’autres "objets". Encore une fois, l’analycisme est une approche qui n’est jouable que pour les systèmes rudimentaires où l’hypothèse mécaniste est approximativement acceptable, c’est-à-dire à des niveaux de complexité ridiculement bas.

Un bon exemple de système complexe "simple" où le principe d’analycité est mis à mal est la mayonnaise. Rien de plus simple, en effet : trois ingrédients et un battage à bonne température. Une fois que la réaction d’émulsion s’est enclenchée et que la mayonnaise a pris, on ne pourra pas la faire "déprendre", même en battant le tout en sens inverse. Il y a là une irréversibilité liée aux relations émulsives qui unissent entre elles, selon des schémas complexes, des milliards de molécules organiques intriquées les unes aux autres par des ponts "hydrogène", des forces de van der Waals, des quasi-cristallisations, etc. Dans l’émulsion "mayonnaise", il n’y a plus de molécules d’huile, de molécules de jaune d’œuf, etc. Il y a un tout inextricablement corrélé et intriqué, un magma biochimique où plus aucune molécule ne garde sa propre identité. Le tout a absorbé les particularités constitutives des parties pour engendrer, par émergence, quelque chose de neuf appelé "mayonnaise" qui est tout sauf un assemblage de molécules distinctes.

Un autre exemple typique est fourni par les modèle "en goutte liquide" des noyaux atomiques. Le noyau d’hélium n’est pas un assemblage de deux protons et de deux neutrons (comme le neutron n’est pas un assemblage d’un proton avec un électron avec quelques bricoles de plus). Un noyau d’hélium est une entité unitaire, unique et unitive que l’on peut engendrer en faisant se télescoper violemment nos quatre nucléons. Ceux-ci, une fois entrés en interaction forte, constituent un objet à part entière où plus aucun neutron ou proton n’existe comme tel. Si l’on percute ce noyau d’hélium avec suffisamment de violence, il peut se faire qu’il vole en éclat et que ces fragments, après un très court temps d’instabilité, reconstituent protons et neutrons. Cela donne l’illusion que ces protons et neutrons seraient restés entiers au sein du noyau. Il n’en est rien.

Un système devient d’autant plus complexe que la puissance des interactions en son sein transforme radicalement la nature et l’identité des ingrédients qui y interviennent. De là, deux conséquences majeures. Primo : un système vraiment complexe est un tout sans parties distinctes discernables, qui se comporte et évolue comme un tout unique, sans composant. Les méthodes analytiques y sont donc inopérantes. Secundo : lorsqu’on tente de "démonter" un système vraiment complexe, comme le préconise Descartes, on le tue purement et simplement, pour la bonne raison qu’en le "démontant", on détruit les interactions qui en constituent l’essentiel.

Le processus d’émergence.
Tout ce qui existe pousse "du dedans" et rien n’est assemblé "du dehors". Tout ce qui existe est le développement, par prolifération interne, d’un germe initial (que ce soit un nuage, un flocon de neige, un cristal, un brin d’herbe, un arbre, une méduse, un chien ou un être humain). Rien dans la Nature n’est assemblé comme le seraient les diverses pièces usinées d’un moteur d’automobile. Seuls les artéfacts humains sont des produits d’assemblage qui appellent deux éléments n’existant pas dans le Nature : des pièces usinées préfabriquées et un ouvrier ou robot monteur. Dans la nature, il n’existe pas de pièces préfabriquées exactement selon le plan de montage. Il n’y a d’ailleurs aucun plan de montage. La Nature procède par émergence, et non pas par assemblage.

Le processus d’émergence se nourrit des matériaux qu’il trouve à son contact. Il n’y a pas de plan préconçu et, souvent, la solution trouvée naturellement est approximative et imprécise ; l’à-peu-près est acceptable dans la Nature. Par exemple, il est bien rare qu’un cristal naturel soit exempt d’anomalies, de disruptions, d’anisotropies, d’inhomogénéité, etc.

Si l’on veut bien récapituler, au contraire des procédés d’assemblage des artefacts humains, les processus d’émergence qui forgent tout ce qui existe dans la Nature ne connaissent ni plan de montage, ni pièces préfabriquées, ni ouvrier monteur, ni outillage externe, ni banc d’essai. Tout s’y fait de proche en proche, par essais et erreurs, avec les matériaux qui sont là. C’est d’ailleurs la présence dense des matériaux utiles qui, le plus souvent, sera le déclencheur d’un processus d’émergence. C’est parce qu’une solution est sursaturée qu’un processus de cristallisation pourra se mettre en marche autour d’un germe – souvent hétérogène, d’ailleurs – ; c’est un petit grain de poussière, présent dans un nuage sursaturé et glacial, qui permettra au flocon de neige de se développer et de produire ses fascinantes et fragiles géométries.

Le cerveau humain est autre chose qu’un ordinateur.
Il en va de même dans le milieu humain, où les relations se tissent au gré des rencontres, selon des affinités parfois mystérieuses ; un groupe organisé peut émerger de ces rencontres assez fortuites. Des organisations pourront se mettre en place. Les relations entre les humains pourront rester lâches et distantes, mais des processus quasi fusionnels pourront aussi s’enclencher autour d’une passion commune, par exemple autour d’un projet motivant ou autour d’une nécessité locale de survie collective, etc. La vie quotidienne regorge de telles émergences humaines. Notamment, l’émergence d’une rumeur, d’un buzz comme on dit aujourd’hui, comme celle d’Orléans qu’a étudiée Edgar en 1969 : il s’agit d’un bel exemple, typique d’un processus d’émergence informationnelle qu’aucune technique analytique ou mécanique ne permet de démanteler.

L’assemblage et l’émergence ne participent pas du tout de la même logique. Essayer de comprendre une logique d’émergence au moyen d’une analogie assembliste, est voué à l’échec. Ainsi, toutes les fausses analogies entre le fonctionnement assembliste ou programmatique d’un ordinateur et le fonctionnement émergentiste de la pensée dans un cerveau humain sont définitivement stériles. De façon symétrique, il est absurde de rêver d’un arbre, produit d’on ne sait quelles vastes mutations génétiques, dont les fruits seraient des automobiles toutes faites, pendant au bout de ses branches.

Parce que l’assemblisme est une démarche additive et programmatique, les mathématiques peuvent y réussir des merveilles de modélisation. En revanche, l’émergentisme n’est pas mathématisable puisqu’il n’est en rien ni additif, ni programmatique ; c’est probablement la raison profonde pour laquelle les sciences classiques ne s’y intéressent pas. Pourtant, tout ce qui existe dans l’univers est le fruit d’une émergence !

L’illusion du principe de causalité.
Toute la physique classique et, derrière elle, une bonne part de la pensée occidentale acceptent l’idée de la détermination mécanique de l’évolution de toute chose selon des lois causales universelles et imprescriptibles. Des quatre causes mises en évidence par Aristote, la science moderne n’a retenu que la cause initiale ou efficiente. Tout ce qui se produit serait le résultat d’une cause qui lui serait antérieure. Ceci semble du bon sens, mais l’est bien moins qu’il n’y paraît.

De plus, la vulgate scientifique moderne insiste : tout ce qui se produit serait le résultat d’une cause identifiable, ce qui permet de représenter l’évolution des choses comme des chaînes linéaires de causes et d’effets. Chaque effet est effet de sa cause et cause de ses effets. Cette concaténation des causes et des effets est une représentation commode, par son mécanisme même, mais fausse.

Tout ce qui arrive ici et maintenant est un résultat possible de tout ce qui est arrivé partout, depuis toujours.

Chaque événement local est le résultat d’une infinité de causes. Par exemple, Paul, par dépit amoureux, lance une pierre dans le carreau de la chambre de Virginie. L’effet est le bris de la vitre ; la cause est la pierre. Problème résolu ? Il suffit de poser toute la séries des "pourquoi" pour se rendre compte qu’il faut encore savoir pourquoi la maison de Virginie est là, pourquoi sa chambre donne sur la rue, pourquoi un caillou traînait sur le trottoir, pourquoi Paul a rencontré Virginie et pourquoi il en est tombé amoureux, et pourquoi il a été débouté par Virginie (dont le cœur bat pour Pierre : pourquoi donc ?), pourquoi Paul le prend mal, pourquoi il est violent, pourquoi il veut se venger, pourquoi il lance le caillou efficacement et pourquoi celui-ci atteint sa cible, etc., à l’infini. Si l’on veut bien prendre la peine de continuer ces "pourquoi", on en arrive très vite à l’idée que la vitre de la fenêtre de Virginie a volé en éclat parce que tout l’univers, depuis le big-bang, a comploté pour qu’il en soit ainsi. Pour le dire autrement : tout ce qui arrive ici et maintenant est un résultat possible de tout ce qui est arrivé partout, depuis toujours. Cette conclusion est l’essence même du processualisme, qui s’oppose dans toutes ses dimensions au déterminisme mécaniste.

Processualisme contre déterminisme.
Tout effet possède une vraie infinité de causes… et donc n’en possède aucune ! Toutes ces "causes" potentielles qui convergent en un lieu donné, à un moment donné, induisent un événement contingent et non pas nécessaire. Une myriade de bonnes raisons auraient pu faire que la vitre de Virginie ne soit pas brisée, ne serait-ce que parce que la fenêtre eût été ouverte ou le volet baissé. De plus, lorsqu’une infinité de causes se présentent, on comprend qu’il y ait rarement un seul et unique scénario qui puisse y répondre (ce cas rare est précisément celui du déterminisme mécaniste, qui n’opère que dans des univers pauvres et rudimentaires, sans mémoire locale). En fait, dans un monde complexe, un tel faisceau causal ouvre un faisceau de possibles parmi lesquels un choix devra se faire.

Chacun n’est que cela : le point de jonction entre le cône convergent de tous ses héritages venant du passé et le cône divergent de tous ses legs allant vers le futur.

Dans un petit ouvrage magnifique intitulé Le sablier, Maurice Maeterlinck proposait une vision pouvant se résumer ainsi. Chacun de nous est le goulot étroit d’un sablier avec, au-dessous, tout le sable accumulé venu de tout l’univers, depuis l’aube des temps, qui converge vers soi, et, au-dessus, l’éventail de toutes les influences qui engendreront, au fil du temps, des êtres, des choses, des idées, des conséquences. Chacun n’est que cela : le point de jonction entre le cône convergent de tous ses héritages venant du passé et le cône divergent de tous ses legs allant vers le futur.

Le paragraphe précédent a posé un problème qui a été esquivé et sur lequel il faut revenir : le cône convergent des causes infinies induit, ici et maintenant, un cône divergent de possibles entre lesquels le processus devra choisir. Cette notion de choix intrinsèque est évidemment incompatible avec quelque vision mécaniste et déterministe que ce soit. Mais, qui plus est, elle pose la question des critères de choix. Quels sont-ils ? Pourquoi ceux-là et non d’autres ? S’il y a des choix à faire et que ces choix visent une optimisation (le meilleur choix), cela signifie qu’il y a une "économie" globale qui préside à la logique d’évolution du processus. Chaque processus possède une telle logique intrinsèque, une telle approche économique globale de soi. A un instant donné, le processus est dans un certain état global qui est son présent et qui inclut tout son passé (donc toute sa mémoire). Cet état intrinsèque est confronté à un milieu qui offre des matériaux, des opportunités, des champs causaux, plus ou moins riches. De cette dialectique entre le présent du processus et son milieu, lui aussi au présent, naîtra un champ de possibles (plus ou moins riche selon la complexité locale). Il existe donc une tension intérieure entre ce que le processus est devenu au présent, et ce qu’il pourrait devenir dans son futur immédiat. Cette tension intérieure doit être dissipée (au sens qu’Ilya Prigogine donna à sa notion de "structure dissipative"). Et cette dissipation doit être optimale (c’est là que surgit l’idée d’économie logique, intrinsèque du processus).

L’intention immanente du monde.
Il faut donc retenir que cette tension intérieure est une in-tension, c’est-à-dire une intention. La pensée complexe implique nécessairement un intentionnalisme qui s’oppose farouchement aussi bien au déterminisme qu’au hasardisme propres à la science moderne. "Ni hasard, ni nécessité" fut d’ailleurs le titre d’un de mes ouvrages, publié par Oxus en 2013 et préfacé par… mon ami Edgar Morin – il n’y a pas de hasard !

Cette idée d’intention est violemment rejetée par les sciences modernes qui, malicieusement, mais erronément, y voient une forme d’intervention divine au sein de la machinerie cosmique. Bien entendu, rien de tel n’est supposé dans la notion d’intention qu’il faut comprendre comme résolument intrinsèque et immanente, sans aucun Deus ex machina. Mais quelle est donc cette "intention" cosmique qui guide tous les choix, à tous les niveaux, du plus global (l’univers pris comme un tout) au plus local (chaque processus particulier, aussi infime et éphémère soit-il) ? La plus simple du monde : accomplir tout ce qui est accomplissable, ici et maintenant. Rien de plus. Rien de moins.

Mon lecteur l’aura compris, la pensée complexe repose sur cinq notions-clés (processualisme, holisme, émergentisme, indéterminisme et intentionnalisme) qui, chacune, se placent à l’exact opposé des fondements de la science moderne : atomisme, analycisme, assemblisme, mécanicisme et hasardisme. Cette opposition incontournable marque une profonde révolution épistémologique et une immense mutation paradigmatique.

Auteur: Halévy Marc

Info: 30 mars 2019

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