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philosophie sociale

Au fond, le seul véritable lévi-straussien, celui qui a le mieux compris et le mieux expliqué le structuralisme en anthropologie, était quelqu'un qui a toujours eu un statut un peu marginal dans son entourage, Jean Pouillon. (...) Il était rédacteur à l'Assemblée nationale, son véritable métier, et il n'a jamais cessé d’œuvrer à une clarification des malentendus entre existentialisme et structuralisme, avec l'espoir que l'opposition entre praxis et structure puisse être un jour dépassée au sein d'une totalisation plus vaste qui rendrait leurs rapports enfin pleinement intelligibles. Ce programme est toujours d'actualité ; je dirai même qu'il est le seul qui vaille dans les sciences sociales.


Auteur: Descola Philippe

Info: La composition des mondes : entretiens avec Pierre Charbonnier,  éd. Flammarion, 2014, p. 72-73

[ opposition ] [ orthogonale ] [ synthèse ]

 

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colonialisme religieux

Contrairement à l'attitude détendue et typiquement latine des Dominicains, les missionnaires protestants poursuivaient à plein régime leur combat pour les âmes. Ces évangélistes nord-américains de tendance strictement fondamentaliste combinaient curieusement une adhésion stricte au sens littéral de l'Ancien Testament et la maîtrise des technologies les plus modernes. Issus pour la plupart de petites villes de la Bible Belt, armés d'une bonne conscience inébranlable et d'un bagage théologique rudimentaire, ils étaient convaincus d'être les seuls dépositaires de valeurs chrétiennes aujourd'hui abolies ailleurs. Totalement ignorants du vaste monde, malgré leur transplantation, et prenant pour credo universel les quelques articles de morale acceptés dans l'Amenca rurale de leur enfance, ils s'efforçaient courageusement de répandre ces principes de salut autour d'eux.

Leur foi rustique est bien servie par une flottille d'avions légers, une radio puissante, un hôpital ultramoderne, des véhicules à quatre roues motrices, bref, tout l'équipement nécessaire à un bataillon de croisés largués derrière les lignes ennemies. 

 

Auteur: Descola Philippe

Info: Les lances du crépuscule : Vie et mort dans la jungle amazonienne

[ amazonie ] [ usa ]

 

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rite

Wajari ne revient pas à la maison avec moi, mais m'annonce d'une voix sereine qu'il va déféquer dans la rivière. La purification doit se poursuivre jusqu'à son terme par une immersion dans les eaux encore très froides du Kapawi et l'évacuation au fil du courant des derniers déchets. Je devrais à notre camaraderie naissante de l'accompagner dans cette activité que les hommes liés par l'affection mènent toujours en tandem, mais j'ai renâclé jusqu'à présent devant cette soumission excessive aux obligations de l'observation participante. Légèrement en aval de la petite anse dédiée aux activités ménagères, Wajari fait un tapage de tous les diables : il bat l'eau de ses mains en poussant un hululement soutenu qui s'élève des vapeurs de la rivière comme une corne de brume. Il s'interrompt par moments pour hurler triomphalement : " Je suis Wajari! Je suis Wajari! je suis fort! je suis un jaguar qui va dans la nuit! je suis un anaconda! " Le contraste est saisissant avec la douceur des tableaux domestiques qui précèdent. Evanoui le tendre père, disparu l'hôte attentionné; c'est bien un guerrier qui maintenant exalte sa gloire dans l'aube attentive.

Auteur: Descola Philippe

Info: Les Lances du crépuscule

[ fiente ] [ affirmation ]

 

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sépulture

Les femmes et les enfants sont enterrés quelques pieds à peine sous le peak où ils avaient coutume de dormir, seul espace qui, dans la vie comme dans la mort, leur appartienne en propre au sein de la demeure commune. Il en va autrement pour un homme. C'est toute la maison qui est son domaine, il en est l'origine et le maître, il lui donne son identité et sa substance morale. Elle deviendra donc son sépulcre solitaire lorsque, après avoir enseveli son corps entre les piliers centraux, la famille abandonnera les lieux pour s'éparpiller aux quatre cents de la parentèle. Afin que ce lien entre la maison et celui qui l'a fondée apparaisse de façon plus tangible, l'on dispose parfois le mort dans la posture de l'hôte recevant les visiteurs. Assis sur son chimpui au fond d'une petite fosse circulaire que protège une clôture de pieux, les coudes sur les genoux et la tête posée sur les mains, coiffé de la tawasap et ceint de ses baudriers, il maintiendra sa faction macabre jusqu'à ce que la toiture s'écroule sur ses os blanchis et que commence à disparaître, sous le grouillement conquérant de la végétation, toute trace du site qu'il avait jadis policé.

Auteur: Descola Philippe

Info: Les Lances du crépuscule

[ tribale ] [ femmes-hommes ]

 

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sorcier

Bien souvent, les maux qui affligent le client d'un chaman sont imaginaires ou de type psychosomatique. J'ai vu plusieurs fois des gens quasiment à l'article de la mort, ayant abdiqué toute volonté de vivre tant ils étaient persuadés que rien ne saurait les délivrer de leur ensorcellement, et dont j'aurais pourtant parié qu'ils étaient en parfaite santé, vu l'absence apparente de tout symptôme préoccupant. Entraînés par l'un de leurs proches chez un uwishin renommé dont ils gagnaient la demeure avec une peine infinie, ils s'en revenaient quelques jours plus tard d'un pas vif et la mine florissante, délivrés d'un tourment qui n'avait sans doute jamais eu de base organique. Parce qu'ils apaisent l'angoisse de ceux qui les consultent, parce qu'ils les délivrent de l'aliénation terrible du face-à-face avec la douleur et l'inconnu, les chamans arrivent même à provoquer un mieux-être temporaire chez des gens réellement malades, toute détérioration postérieure de leur état apparaissant moins comme le signe d'un échec que comme l'indice d'un nouvel ensorcellement sans rapport avec le premier. Contrairement à ce que pense avec une certaine naïveté les missionnaires catholiques qui imputent le présent mercantilisme des chamans jivaros à une navrante dégradation des valeurs antiques, il semble bien que le réconfort apporté par la cure soit proportionnel à son prix. Chacun sait ici que la guérison est d'autant plus rapide qu'elle a coûté plus cher, les chamans ayant compris ce que les psychanalystes ont découvert tardivement, à savoir qu'il faut littéralement "payer de sa personne" pour faire d'une situation de dépendance la condition de son propre salut.

Auteur: Descola Philippe

Info: Les Lances du crépuscule

[ soigner ] [ médecine ] [ mage ] [ tribu ]

 

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désensorcellement

 



Bien souvent , les maux qui affligent le client d'un chamane sont imaginaires ou de type psychosomatique. J'ai vu plusieurs fois des gens quasiment à l'article de la mort, ayant abdiqué toute volonté de vivre tant ils étaient persuadés que rien ne saurait les délivrer de leur ensorcellement, et dont j'aurais pourtant parié qu'ils étaient en parfaite santé, vu l'absence apparente de tout symptôme préoccupant. Entraînés par l'un de leurs proches chez un uwishin renommé dont ils gagnaient la demeure avec une peine infinie, ils s'en revenaient quelques jours plus tard d'un pas vif et la mine florissante, délivrés d'un tourment qui n'avait sans doute jamais eu de base organique. Parce qu'ils apaisent l'angoisse de ceux qui les consultent, parce qu'ils les délivrent de l'aliénation terrible du face-à-face avec la douleur et l'inconnu, les chamans arrivent même à provoquer un mieux-être temporaire chez des gens réellement malades, toute détérioration postérieure de leur état apparaissant moins comme le signe d'un échec que comme l'indice d'un nouvel ensorcellement sans rapport avec le premier. Contrairement à ce que pense avec une certaine naïveté les missionnaires catholiques qui imputent le présent mercantilisme des chamans jivaros à une navrante dégradation des valeurs antiques, il semble bien que le réconfort apporté par la cure soit proportionnel à son prix. Chacun sait ici que la guérison est d'autant plus rapide qu'elle a coûté plus cher, les chamans ayant compris ce que les psychanalystes ont découvert tardivement, à savoir qu'il faut littéralement " payer de sa personne " pour faire d'une situation de dépendance la condition de son propre salut.

 

Auteur: Descola Philippe

Info: Les Lances du crépuscule

[ thérapie ] [ désenvoûtement ]

 

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colonialisme

- Quelle réponse des Achuars face aux épidémies ?

PD - Il n’y a pas de souvenirs de la catastrophe. On estime qu’environ 90% de la population amérindienne a disparu entre le XVIe et le XIXe siècle. Il y a une sorte d’imaginaire implicite du contact avec la maladie des "blancs". De ce fait, lorsque les "blancs" arrivent dans les environnements amérindiens reculés, le premier réflexe des Amérindiens est la méfiance par la distanciation. Et la maladie n’était qu’un élément dans un cortège d’abominations apporté par la colonisation. (...)

- Chaque peuple réagit à ses épidémies en fonction de sa conception de contagion. La notion de contagion a mis un certain temps à se propager en Europe, au contraire des peuples amérindiens. C'est ce qui leur a permis d'adopter les bons gestes. Ils se sont dispersés. Lorsqu'on parle de tribus "perdues" sans contacts avec la civilisation c'est au contraire elles qui s'en sont éloignées, afin d'éviter la contagion. Les indiens ont vite réalisé qu'il fallait le faire puisque leurs chamanes ne parvenaient pas à soigner les maladies des blancs.

- Parler de la "nature" : une erreur ?

PD - La nature est un concept occidental qui désigne l’ensemble des non-humains. Et cette séparation entre humain et non-humain a eu pour résultat d’introduire une distance sociale entre eux.

- On peut penser que le virus est une métaphore de l’humanité, non ?

PD - Nous avons vis-à-vis de la terre, le même rapport instrumental qu’un virus. D’une certaine façon, l’être humain est le pathogène de la planète. Cette idée très humaine que la nature est infinie a eu comme conséquence que ce système si singulier basé sur la productivité et la rentabilité a engendré une catastrophe planétaire.

- L'idéal du "Monde d'après" ?

PD - Je forme le vœu que le monde d’après soit différent du monde d’avant. La pandémie nous donne un marqueur temporaire. Cette transformation, je la vois avec intérêt se dessiner et qu’elle aboutisse à ce que des liens avec les non humains soient à nouveau tissés. Il faut vivre avec une mentalité non destructrice de notre environnement. "L’idée n’est pas de posséder la nature mais d’être possédé par un milieu."

Auteur: Descola Philippe

Info: https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/pandemie-la-nature-reprend-ses-droits-philippe-descola-est-linvite-exceptionnel-des-matins. avril 2020

[ anthropocentrisme ] [ pandémie ] [ rationalisme suicidaire ] [ amazonie ]

 
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