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tissage

Était-il possible de se moquer d’un métier dont elle avait tiré tant d’années sa subsistance pour elle et ses deux enfants ? Ce n’était possible que pour un esprit inintelligent et superficiel. Edevart se sentait fâché contre elle. Il observait comme elle s’asseyait devant son métier, les genoux rapprochés pour paraître décente, elle qui venait justement de lui promettre une nuit ardente, sans avoir honte. Elle avait désappris la nature et appris l’artifice. Quand elle lui avait montré son jupon de dentelle, elle avait soulevé sa robe du bout de ses doigts, comme avec des pinces. Comment s’installait-elle autrefois à son métier ? Elle passait une jambe d’abord, sa jupe légère se tendait sur sa cuisse, son buste se courbait par deux fois, puis elle s’asseyait. C’était une belle et saine jeune femme qui s’asseyait à califourchon…

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 1124 - description de l'attitude de Lovise qui redécouvre, après un long séjour aux Etats-Unis, le quotidien qu'elle avait délaissé en Norvège

[ mépris ] [ maniérée ] [ érotisme ] [ femme-homme ]

 

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visiteurs inconnus

Deux hommes arrivèrent du hameau voisin. Ils avaient le teint foncé, la barbe rare et grise. L'un d'eux portait un orgue de Barbarie sur son dos.
Personne, dans le pays, ce jour-là, ne s'attendait à quelque chose de particulier, mais les deux étrangers survenaient. Ils choisirent un endroit bien en vue, entre les maisons, fixèrent l'orgue sur un pied et se mirent à jouer. Les gens du voisinage se précipitèrent, femmes et enfants, les adolescents, les boiteux ; on fit cercle autour du concert. A cette époque, en hiver, on avait peu de distractions : tous les hommes étaient aux Lofoten ; on ne dansait pas, on ne chantait pas. La commune était pauvre, misérable. Ces deux joueurs d'orgue représentaient un grand événement, une aventure ; et personne ici, sans doute, ne devait, de sa vie, oublier cette aventure.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 879

[ rupture d'équilibre ] [ éléments perturbateurs ] [ joie ] [ dépaysement ]

 
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tranquillité

Le pauvre village semblait toujours dormir d’un sommeil d’hiver. Aucun esprit d’entreprise, aucun désir de progrès ! Les hommes vivaient au jour le jour. Les champs étroits produisaient de l’herbe, des pommes de terre et du grain. On laissait le bétail dans les prés en été ; à l’étable, en hiver. Les mêmes coutumes s’observaient éternellement et invariablement. Les enfants apprenaient ce que savaient leurs parents, ni plus, ni moins. Les jours passaient, l’existence aussi. Quand les hommes étaient allés en hiver à la pêche aux Lofoten et avaient rentré en automne leurs petites moissons, la tâche était accomplie. Le reste du temps était sans importance. Qu’auraient-ils entrepris ? Qu’auraient-ils fait ? Ah ! ils étaient si nonchalants ! Au fond, c’étaient des flâneurs. Ils rôdaient de maison en maison, bavardaient ensemble, oisifs, endormis et affamés. Ils allaient à l’église pour apprendre les nouvelles.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 909

[ contentement ] [ remise en question ] [ peuple ] [ immobilisme ] [ province ]

 

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deuil amoureux

Petite Ragna n’était pas la même que Lovise Magrete. Non, il n’y en avait pas comme Lovise Magrete, qu’il n’oublierait jamais ! Seulement Ragna était à portée de la main et elle avait une si jolie bouche quand elle riait ! … Edevart était désemparé. Ragna n’était pas indispensable à son bonheur, mais il ne la laissait pas en paix. Lovise Magrete n’avait peut-être pas été un seul jour loin de sa pensée ; mais naturellement il avait renoncé à elle. Pouvait-il faire autrement ? Non, pas plus qu’il ne pouvait s’empêcher de penser à elle ! Elle n’avait marqué d’une empreinte profonde et durable. Des années avaient passé, et il était aussi faible et brisé que la nuit où elle l’avait quitté, après leur dernière entrevue sur le cotre Hermine. Il ne connaissait plus la gaieté ni le plaisir, il ne savait plus rire, il n’était plus qu’une âme ruinée dans un corps vigoureux et bien nourri.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 1086-1087. La femme fardée

[ comparaison ] [ souvenirs ] [ souffrance ]

 

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première fois

Ils restèrent un moment silencieux. Puis Edevart se mit à embrasser la jeune femme et elle le laissa faire. Mais lorsque, timide et inexpérimenté, il voulut aller plus loin, elle dit :
- Non ! … Je n’ose pas !
Confus et très pitoyable, il cacha son visage sur le sein de Lovise, et ils restèrent ainsi quelques temps. Edevart entendait le cœur de la femme battre sous la chemise légère. Soudain elle prit la tête du jeune homme et l’embrassa ; elle murmura près de sa bouche :
- Je n’oserais pas ?
- Si, répondit-il tout bas.
Et oui, elle osa ! Elle s’abandonnait par sentiment maternel, ou par pitié, ou par amour, Dieu le sait ! Elle l’initiait et ce fut pendant des heures une merveilleuse folie, une griserie tout inspirée par la nature, sans artifice ! Et il était insatiable ! et elle ne demanda pas grâce une seule fois !
Le ciel pâlissait quand elle le quitta.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 955

[ relation sexuelle ] [ extase ]

 

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portrait

Edevart, grand et fort, un beau gaillard calme par apathie. De temps en temps il hoche la tête, comme s’il s’était posé une question à laquelle il répondait non, mille pensées lui traversent l’esprit, mais il n’a pas le courage de les démêler. Il porte en lui une lésion interne, il se couche chaque soir et se lève chaque matin sans essayer de la guérir, tant il est devenu mou. Que lui est-il donc arrivé d’extraordinaire ?
Il a reçu un coup, c’est tout ce qu’on peut dire, un autre que lui s’en serait remis. Que diable, était-ce si terrible d’avoir senti s’effondrer les bases de sa vie ? Il pouvait continuer à vivre, comme vivent d’autres qui ont un jour quitté leur pays. Y a-t-il de quoi s’affliger à ce point parce qu’on est sans foyer ?
Oui, mille pensées lui traversent l’esprit et son état d’âme le fait souffrir, mais il est lourd et ignorant, il n’a pas le don de voir clair en soi.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "August le marin", trad. Marguerite Gay et Gerd de Mautort, Le livre de poche, 1999, page 1428

[ psychologique ] [ traumatisme ] [ tristesse ] [ vie opératoire ]

 

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élevage

Pauline est remplie de beaux et clairs souvenirs : - Te rappelles-tu, Grand Frère, quand nous étions petits et que maman venait nous raconter qu’une vache avait vêlé, comme nous étions joyeux !
Edevart : - Oui.
- Tu dois aussi t’en souvenir Joakim ?
- Oui.
- On aurait cru que c’était un jour de fête. Nous étions plus heureux alors qu’à présent où nous avons huit vaches et un cheval. Aussi maman venait-elle nous le dire. Puis il y avait la première traite, le pouding de lait caillé et beaucoup de lait pour tout le monde. A présent il semble que ce ne soit plus un événement lorsqu’une bête vêle. Je ne sais pas, il doit y avoir quelque chose qui va de travers.
August : - Pour que ça en vaille la peine, il faudrait beaucoup, beaucoup de vaches dans chaque ferme. On pourrait avoir ainsi une grande production de lait et une fabrique de fromages, le commerce se développerait par l’exportation de ces deux produits. Sinon, c’est vivre au jour le jour, c’est zéro.
Pauline ne cède pas : - Pourtant nous ne connaissions pas la misère autrefois. Nous avions de la farine, des pommes de terre et du lait ; quand c’était la saison les hommes allaient pêcher de quoi remplir la marmite. Nous étions tous si bien à l’abri du besoin que nous pouvions remercier Dieu chaque jour. Tandis qu’à présent !

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "August le marin", trad. Marguerite Gay et Gerd de Mautort, Le livre de poche, 1999, pages 1419-1420

[ traditionnel ] [ transition capitaliste ] [ paupérisation ] [ fermiers ]

 

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mal du pays

Que faisait-il ici, chez des étrangers ? S’il avait été chez lui, dans son havre de pêche, il aurait pu aller en hiver aux Lofoten et prendre des merlans en été. Il aurait pu faire beaucoup, beaucoup de choses et vivre content. Alors il aurait épousé la petite Ragna et pris la ferme de ses parents ; il y aurait élevé son bétail, cultivé ses champs. Oui, il n’aurait pas eu besoin de rôder un soir d’hiver, comme aujourd’hui, en gémissant de chagrin et d’amour !
Il se sentait abandonné, il avait la nostalgie, il voulait retourner chez lui. Son village était pauvre, mais clair et riant en été : hanté par les nymphes et les génies des eaux ; fertile en légendes l’hiver. Il n’y avait pas un endroit pareil. Et ceci seulement : Ragna avait une si jolie bouche quand elle riait, étant petite et tout le temps qu’elle avait grandi ! Tous les enfants avaient un si joli sourire au village ! Et, s’il voulait penser à quelque chose de plus imposant encore, nulle part dans le monde entier, on ne contemplait d’aussi belles montagnes. Dès le mois de mars, on voyait arriver les étourneaux et, bientôt après, les oies sauvages. O Merveille des vols en soc de charrue et des voix d’oiseaux sous le ciel, devant quoi son père et sa mère lui avaient appris à se découvrir et à se taire ! Oui, il voulait retourner chez lui ! Il voulait faire voile vers le Nord, avec le cotre de Knoff, et retourner des Lofoten chez lui !

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 982-983

[ souvenirs ] [ idéalisation ] [ vie rêvée ] [ regrets ] [ Heimweh ]

 

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transition capitaliste

- […] Il prit la terre pour construire une ville et il nous fit mourir de faim. La ville ne pouvait pas vivre. Il n’y avait plus de quoi manger pour les pies et les corbeaux, rien que des maisons et des humains. Il nous procura ceci et cela : beaucoup de maisons, une banque, une fabrique, des arbres de Noël et toutes ces histoires-là. Ayant appris dernièrement qu’il cultivait du tabac – est-ce un aliment, ça ? lui demandai-je. Non, me répondit-il, mais c’est l’évolution, c’est de l’argent pour acheter de la nourriture ! De l’argent ? Oui, c’était de l’argent et des bénéfices et du progrès, etc. Non, c’est la perdition, voilà ce que c’est, nous ne mangeons plus que des choses recherchées qu’on achète dans les boutiques et nous n’ouvrons la bouche que pour en avoir toujours davantage, c’est du vent que nous avalons, cela ne rassasie pas. Je vois, Hosea, que tu vas dire quelque chose. Tu veux parler du café.
- Oui, dit Hosea, on aurait pu en offrir une tasse à Joakim, mais je n’en ai pas, je n’ai pas de quoi en acheter.
Ezra : - Et tu crois que Joakim y tient ! Donne-lui donc une tasse de lait. Voilà ce qu’avant nous on mettait devant les invités. Et puis toutes ces grandes exigences ridicules, auxquelles August voulait nous habituer, tous ces besoins de friandises coûteuses ! Les gens en sont arrivés à être mécontents, à se figurer qu’ils souffrent la misère s’ils ne mangent pas chaque jour de la viande et des plats du dimanche. Exigences et mécontentement de plus en plus grands chez tous. Le dernier homme content à Polden-sur-Mer a été Martinus Halskar. Il n’était pas trop gâté, mais il avait de la reconnaissance envers Dieu, et il a dépassé quatre-vingt ans.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "August le marin", trad. Marguerite Gay et Gerd de Mautort, Le livre de poche, 1999, page 1485

[ mode de vie traditionnel ] [ dépossession ] [ moyens de production ]

 

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insatisfaction

Joakim, exaspéré :
- Toi, tu parles de gratter d’un bout de l’année à l’autre ? Tu n’as pas honte ? C’est toi qui grattes le pays d’un bout à l’autre et ne t’arrêtes nulle part !
Edevart fit dévier la discussion.
- Tu peux dire que je cours tout le temps d’un endroit à l’autre. Mais vaut-il donc mieux rester ici à pourrir dans la baie, comme vous le faites, Ezra et toi ?
- Ezra ! … Es-tu fou ? s’écria Joakim. Sais-tu qu’Ezra, avec le temps, deviendra propriétaire de la plus grande ferme du pays ?
- Oui. Quand il se sera éreinté à défricher et à bêcher sa ferme !
- Quoi ? Il ne devrait pas travailler, peut-être ?
- Et quand Hosea s’éreinte aussi comme une esclave pour ses vaches et ses champs ! poursuivit Edevart. Elle fait peine à voir.
- Tu es trop bête, grommela Joakim. Tu ne vois donc pas comme ils sont contents tous les deux ?
Une réminiscence passa par l’esprit d’Edevart et il dit :
- Ça vient de ce qu’ils ne connaissent rien de mieux.
- Qu’est-ce qu’il y a de mieux ? Ils se donnent du mal avec ce qu’ils ont ; mais ça fait leur joie et ils ne souhaitent pas autre chose.
- Et avec tout le mal qu’ils se donnent, ils ont tout juste de quoi manger.
- Non. Ils ont commencé les mains vides ; mais maintenant, ils ont une maison et un foyer, ils ont des champs, ils ont trois vaches, et bientôt ils auront un cheval.
- Cause toujours ! railla Edevart.
- En outre, ils vivent en paix. Et toi pas ! ils se couchent le soir et ils dorment.
- Je ne dis pas non.
- Mais c’est ce que tu ne fais pas, toi qui cours partout du Nord au Sud, et t’imagines faire beaucoup mieux ! Je t’ai déjà entendu la nuit : tu te tortilles comme un ver avant de t’endormir ; et quand tu ronfles, à la fin, tu geins dans ton sommeil, à propos de ta chute d’eau, et d’August, et de la Floride en Amérique, et de ta ferme. C’est comme ça que tu te reposes la nuit ! Je ne voudrais pas changer avec toi !

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "Vagabonds", édition Pochothèque, trad. J. Petithuguenin, page 1172

[ simplicité ] [ fuite en avant ] [ dialogue ]

 

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