Si droit record je saurai dire
dans mon jargon la raison
des jours hardis de haire, non haitiés,
endurés d’âpres jours en mer, patientés,
et les âcres maux sur l’esquif eschinés,
au maugré de la male houle marage ;
des veilles à la proue du navoi
drossé contre les falaises
d’anguisables quarts de nuit
j’ai veillé, tourmenté par l’hiver,
les membres roués par le froid,
mis aux fers par le glas ;
la faim menait maints despoirs
et les soupirs raguaient mon cœur.
Hommes qui lamont vivez,
sur terre ferme et de liesse,
sachez que je, sur la mer gelée, vagant,
misérable soucieux, en exil miséreux,
traversai l’hiver séparé de mes frères,
grêlé par les neiges drues, triblé,
hersé par les pluies de grêle, lairré,
au ressac des lames glacées errai,
sur la mer marâtre, vaucrant ;
qu’à seule joie j’odis les cris
des pétrels et des fous
que j’eus pour vin la clameur
des frégates et des cygnes.
Battu contre le roc des falaises
l’estorme refrappait les sternes
et couvrait leurs ailes de gel,
maintes fois l’aigle imbrin clatit
ses ailes portant l’embrun.
Nul conseiller
ne garde en son danger ni console
l’homme qui malheureux marée.
Le bourgeois rougeau ne sait
combien je suis lassé
du travail de navier.
Bruine la nuit, druge la neige,
le frimas bruit la terre,
les grêles gâtent les fonds.
Le cœur m’étonne à vouloir
que je vaucre au maugré des marées.
Du violent désir je gémis
d’aller en hâte au largue
chercher une autre contrée.
Il n’est au monde homme si généreux,
ni si fier à décider et audacieux,
ni si fidèle à son roi,
qui ne souffre à sigler
desrois et détroits,
mais en danger Dieu.
Il n’entend ni vielle ni harpe,
ni vit l’amitié de sa mariée,
ne goûte la bonté des choses,
mais le saccage des vagues
et la détresse du violent vueil
d’aller sur la mer.
Broste le bocage,
les moissons foisonnent
et les vergers fruitient,
en l’homme hausse le désir
d’au large voier.
L’appel piteux du coucou
souleur endeuille son âme
et l’invite à partir.
Le bourgeois négocieux ignore
ce qu’endure l’exilé vaquant.
Ainsi, au cœur amer se fiert
le gré d’au loin cigler
jusqu’aux bancs de baleines.
A terre abrité le désir me point,
invincible et puissant,
aigu comme le cri solitaire
d’un oiseau marin grand voilier,
de siller l’océan,
sachant que mon maître
vie et terre me prête à usure
jusqu’à la mort,
que sur terre nul bien ne dure
toujours mais le malheur,
que la guerre les maladies
les maux de la vieillesse,
sur nous pauvres humains
fatalement s’abattent.
Mais si tu opposes à tes ennemis la ruse,
l’on chantera tes exploits,
tes hardiments à ton trépas,
et tu demeureras par ces honneurs
loué parmi les Angles.
Ces jours d’abondance
n’ont pas duré ni l’arrogance
des riches fonciers,
il n’est plus rois ni césars,
ni princes généreux
comme ceux qui enjouaient
de leur magnificence
la vie du temps passé.
Bonté gaste, vaineté des joies,
veillance vastée, mais le monde se campe !
Tombel voile torbel, mar est le ber.
ses pairs péris le vieil homme gémit
sur les lignages rendus à la terre
qui ne savent plus ni dolor ni joie,
le corps mort, ni manier ni juger.
Et s’il orne d’or ses frères
inhumés sous les tertres,
il dilapide ses ors.