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médecine

L'anorexie se soigne avec douceur et patience
Le Dr Jean Wilkins soigne les adolescentes souffrant d'anorexie depuis 36 ans. Fait assez rare, aucune patiente n'est décédée dans son unité de soins au cours de sa carrière. Son secret ? "La patience, la douceur, le respect, la confiance et la prudence", répond le fondateur de la section de médecine de l'adolescence au CHU Sainte-Justine et professeur de pédiatrie à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
Sa méthode est à contrecourant de la tendance actuelle, qui privilégie les plans de soins, estime-t-il. "On peut traiter la plupart des maladies avec un protocole, mais pas l'anorexie. Parce que chaque cas est unique, parce qu'aucune de ces filles n'est rendue au même stade, parce qu'on doit constamment s'adapter à elles et non le contraire. Si on les force à adopter notre vision, elles ne guériront pas."

À l'aube de la retraite, il a senti le besoin d'expliquer sa pratique. Dans "Adolescentes anorexiques: plaidoyer pour une approche clinique humaine", le Dr Wilkins transmet son expérience aux pédiatres de la relève et offre aux jeunes filles souffrantes "quelques clés de compréhension de leur maladie et des outils pour la transformer". Il a rédigé l'ouvrage en collaboration avec la journaliste scientifique Odile Clerc.
Limiter la reprise de poids
"Quand on visite un patient, celui-ci est alité et le personnel soignant est debout, observe-t-il. Ce n'est pas le cas des filles anorexiques. Elles sont debout, toujours actives, ce qui témoigne de leur volonté de ne pas être piégées dans la thérapie. Elles manifestent une résistance: elles ne veulent pas guérir, car, déclarent-elles, elles ne sont pas malades. C'est sûr que ce serait plus facile de les obliger à se coucher et de les gaver. Mais ce serait aussi sauvage et contreproductif."

Il en veut pour preuve une jeune fille récemment traitée qui avait fait des séjours dans différents hôpitaux avant d'être admise à la Clinique des troubles de la conduite alimentaire du CHU Sainte-Justine. "En deux ans, elle avait gagné 55 kilos et en a perdu 74. Donc, 129 kilos sont entrés et sortis de son corps pendant ce laps de temps. C'est une forme de violence inutile!"

Il attribue ce phénomène aux objectifs de reprise pondérale fixés par les plans de soins. "Cela ne tient compte ni de l'état de la patiente ni de sa capacité à accepter et intérioriser cette prise de poids, s'exclame-t-il. Pour nous, c'est une victoire, mais pour elle, c'est "l'échec de sa réussite"."

Le spécialiste préfère limiter la reprise pondérale à 10 % du poids enregistré au moment de l'admission, laisser la patiente "digérer" ce changement et discuter avec elle de la suite des choses. En effet, le dialogue est extrêmement important pour établir un lien de confiance avec la jeune fille. "Dès la première rencontre, j'explique tout aux patientes et j'y vais avec douceur, indique-t-il. Par exemple, je ne leur demande jamais de se déshabiller au complet pour procéder à l'examen. Je ne découvre que les parties nécessaires. Mon collègue et ami feu le professeur Victor Courtecuisse, père de la médecine de l'adolescence en France, m'a dit un jour: "Tu sais, Jean, on n'entre pas dans un jardin privé avec un bulldozeur." Cette réflexion m'a beaucoup marqué. C'est pourquoi je ne brusque jamais une patiente... à moins qu'il y ait un danger de mort."

Étonnamment, les jeunes filles qui sont au bord du gouffre ne s'opposent jamais aux traitements. "Elles me laissent faire parce qu'elles veulent vivre, affirme le pédiatre. Contrairement à ce qu'on peut croire, l'anorexie est une expression de vie. Il faut leur faire comprendre que ce n'est pas la bonne façon d'y arriver. Et cela prend du temps."

Quand la maladie se déclare à l'adolescence, elle dure en moyenne quatre ans. "J'aimerais que ce soit plus court", admet le Dr Wilkins, qui est peiné à l'idée de transférer ses patientes en milieu adulte lorsqu'elles atteignent 18 ans.

Cela l'inquiète d'autant plus que le passage à l'âge adulte se révèle parfois fatal pour les jeunes femmes qui ne s'en sont toujours pas sorties. Huit de ses anciennes patientes sont mortes entre 20 et 30 ans. Quatre de ces décès ont un lien avec l'anorexie. Le médecin en parle comme si c'était hier. Il se souvient de leur beauté, de leur caractère frondeur, de leurs discussions. "C'est dur", confie-t-il.

La majorité finit toutefois par guérir. Le Dr Wilkins reçoit d'ailleurs de fréquents témoignages, que ce soit par écrit ou en personne, d'anciennes patientes qui le remercient. "Cela me fait toujours très plaisir de savoir qu'elles vont bien et qu'elles ont fondé une famille", dit-il en souriant.

Une de ses patientes lui a déjà écrit: "Merci non pas de m'avoir sauvé la vie, mais de m'avoir remise dans la vie." Et c'est tout ce que ce grand pédiatre espère accomplir.

Qu'est-ce que l'anorexie mentale ?
L'anorexie, c'est-à-dire la perte d'appétit, est fréquente chez les personnes très malades. Ce trouble devient "mental" lorsqu'il relève de la psychopathologie. Il touche essentiellement les filles. Une adolescente sur 100 souffre de cette maladie de manière assez grave pour être hospitalisée. Selon le Dr Wilkins, l'anorexie mentale "est une impasse développementale propre à la période de l'adolescence et assimilable à une conduite de type addictif". Plus l'anorexie est étudiée, plus elle se révèle complexe, constate-t-il. "C'est pourquoi il faut différents intervenants pour en venir à bout: en premier lieu le duo médecin-infirmière, puis des psychologues et des nutritionnistes."
Qui sont les adolescentes anorexiques ?
Ce sont des enfants modèles: "L'anorexique répond à toutes les exigences sociales: elle est brillante sur le plan scolaire, elle excelle dans tout ce qu'elle entreprend, elle sort peu, n'a aucune conduite addictive à risque et nourrit de belles ambitions sur le plan professionnel", écrit le Dr Wilkins. Elles étudient souvent en sciences, évoluent dans le milieu artistique ou pratiquent des sports de compétition. Leur emploi du temps est trop chargé. Elles socialisent peu. Bref, elles mettent leur adolescence en veilleuse, une période pourtant essentielle à la construction identitaire. Résultat: "L'adolescente anorexique, qui avait jusque-là satisfait aux attentes conscientes et inconscientes de son entourage, comme si elle avait construit son identité à partir d'une prescription externe, reprend la maîtrise de son évolution en s'appuyant sur la nouvelle identité qu'elle trouve dans cette maladie", croit le pédiatre.

Auteur: Wilkins Jean

Info: Internet mars 2012

[ empathie ]

 

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hérésie

"La théologie, déclarait le Docteur Martin Luther, est surtout usage et pratique, et ne consiste point en spéculations, ou à réfléchir, selon notre raison, aux choses de Dieu" [Propos de table, page 240]. Dans cette affirmation transparaît le souci premier du Réformateur, qui est d’ordre moral ; le protestantisme est d’abord une révolte contre ce qui lui paraît indigne de Dieu. Son impulsion originelle ne lui est pas donnée par un désaccord d’ordre doctrinal, mais par le souci brûlant de l’honneur de Dieu, ce qui est bien le piège le plus subtil que le diable puisse tendre à notre orgueil. Ce qu’il ne peut supporter, ce n’est pas seulement telle ou telle thèse dogmatique réputée fausse en elle-même, mais c’est qu’on puisse l’attribuer à Dieu ou affirmer qu’elle le concerne. Les dogmes qu’il refuse ne sont pas tellement à ses yeux des erreurs que des blasphèmes et des sacrilèges. Evidemment, dans une telle attitude, c’est le Réformateur qui s’institue lui-même gardien et protecteur de l’honneur de Dieu. Mais l’orgueil qu’elle implique est comme justifié par la noblesse de la tâche qu’il s’arroge. C’est seulement de cette manière que l’on peut saisir l’unité des deux aspects, individuel et communautaire, de la réforme luthérienne.

On sait que la théorie de la justification par la foi est apparue au jeune Luther comme l’intuition libératrice mettant fin à l’épouvantable angoisse qu’engendrait en lui le sentiment de sa damnation. Cette angoisse insurmontable témoigne déjà, chez lui, d’un affaiblissement considérable de la fonction spéculative : les vérités doctrinales, conçues par son intelligence, sont impuissantes pour l’apaisement des troubles de son âme ; les certitudes intellectuelles étant inefficaces, il réclame une certitude existentielle et subjective. Or, relativement à Dieu, il n’y a d’autre certitude existentielle, du côté humain, que celle de la foi vécue et ressentie. Et Luther ne saurait douter de sa propre volonté de croire. Cette foi subjective, réduite au sentiment que l’on a de sa propre volonté de croire, peut-elle constituer un signe certain de salut capable de nous arracher à l’angoisse de la damnation ? Après beaucoup de recherches, Luther pense avoir trouvé la réponse affirmative en saint Paul qui dit, dans l’Epître aux Romains : "le juste vit de la foi". La foi est donc la vie du juste. Qu’est-ce que le juste ? Ce n’est pas celui qui est jugé tel, mais celui qui est rendu tel, qui est établi dans un état de justice ; c’est ce qu’on appelle la justification. Et qu’est-ce que la foi ? C’est croire en Jésus-Christ qui nous a rachetés par sa mort. Or, c’est précisément cette foi qui, selon saint Paul, sera imputée à justice. En conséquence, pour être justifiés (=sanctifiés), il ne nous est rien demandé de plus que de croire au salut dans le Christ, c’est-à-dire de croire à la certitude du salut. En douter, c’est précisément se ranger parmi les réprouvés ; croire que le Christ nous sauve, c’est être sauvé, puisque c’est cette foi seule que Dieu exige de nous.

Cette découverte […] entraîne […] une certaine conception de la justice et de la foi qui est la seule digne de Dieu. […]

Pour la justification, elle fait honneur à Dieu parce qu’elle attribue la justification du pécheur à la seule justice du Christ, celle dont "il nous revêt" : c’est la justice externe ou forensique. […] En effet, nous ne sommes par nous-mêmes capables d’aucun bien. Notre nature est pécheresse et le demeure même dans la justification, car cette justification est uniquement celle de Jésus-Christ. La bonté de la nature humaine étant entièrement détruite, aucune œuvre n’est bonne par elle-même : "toute œuvre du juste est damnable et péché mortel si Dieu la juge telle". […]

Quant à la loi, elle fait honneur à Dieu parce qu’elle consiste uniquement à donner sa confiance à Sa parole évangélique : "Notre foi accorde à Dieu l’honneur de pouvoir et de vouloir faire ce qu’il a promis, à savoir de justifier les pécheurs" [Propos de table, t. 1, page 191]. Autrement dit, si nous voulons rendre justice au texte de l’Ecriture, rendre à sa parole l’honneur qui lui est dû, il nous faut adopter l’exégèse luthérienne, et rejeter le papisme avec sa conception de la "justice inhérente" à la nature de l’être humain, rejeter la doctrine d’une grâce dont l’œuvre propre, pour les catholiques, n’est pas de supprimer la nature, mais de la parfaire.

C’est pourquoi l’impératif morale de l’honneur de Dieu fait obligation au croyant luthérien de rejeter aussi l’Eglise romaine dont, non seulement les péchés, mais la structure même sont une offense à Dieu. Il n’est pas étonnant que la révolte luthérienne se soit essentiellement traduite par la haine de l’institution romaine et la constitution d’une Eglise qui se veut pure communauté spirituelle de croyants. C’est qu’en effet, en vertu de sa nature éthique ou morale, le protestantisme n’envisage l’orthodoxie que sous l’angle de l’orthopraxie. C’est la pratique chrétienne effective qui, pour lui, est le signe de la vraie foi et de la vraie doctrine. Et même, il faut bien le constater, en réduisant l’acte de foi à l’élément de la volonté, il se condamne en même temps à réduire la théologie à la morale, l’orthodoxie à l’orthopraxie. La foi droite s’épuise dans la conduite juste. Or l’Eglise, comme réalité sociale et historiquement définie, exprime l’ensemble des règles qui déterminent la vie et le comportement des chrétiens. Elle est comme la synthèse objective et visible de la foi telle qu’elle est effectivement pratiquée. Il ne peut donc y avoir place, dans l’agir chrétien, pour deux Eglises authentiques, c’est-à-dire pour deux pratiques authentiques du christianisme : l’une exclut l’autre, parce que tout acte, dans le présent de son accomplissement, exclut tout autre acte. Le schisme de l’Eglise grecque a vraiment amputé l’Eglise de Rome d’une partie d’elle-même, et l’on peut souhaiter leurs retrouvailles sous l’autorité du Vicaire du Christ. Mais la constitution du protestantisme en Eglise nouvelle n’a rien ôté à l’Eglise de Rome, elle l’a purement et simplement "supprimée" et "remplacée". […] Le protestantisme n’est pas une portion de l’unique Eglise chrétienne ; c’est le seul "vrai christianisme". Et, qu’on le veuille ou non […], si ce n’est pas le protestantisme qui devient catholique, c’est le catholicisme qui deviendra protestant.

Tel est le deuxième type hérésiologique que nous présente l’histoire. Il révèle principalement l’élément volonté dans l’acte de foi ; il concerne essentiellement l’agir chrétien et s’exprime nécessairement par la constitution d’une nouvelle Eglise à cause de la nature exclusive de toute pratique quand elle est érigée en orthopraxie, alors que le premier type hérésiologique concernait essentiellement le connaître chrétien et s’exprimait nécessairement par la définition de thèses dogmatiques.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 40 à 44

[ caractéristiques ] [ résumé ]

 

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compromission

En mai 68 mai et dans le sillage de l’événement sont apparus de nouveaux thèmes portant sur la sexualité, l’éducation des enfants, la psychiatrie, la culture, qui sont venus interpeller les schémas de la lutte des classes et les idéologies de l’extrême gauche traditionnelle. Le gauchisme culturel naît précisément dans ce cadre et c’est lui qui va le premier déplacer l’axe central de la contestation vers les questions sociétales, à la manière de l’époque, c’est-à-dire de façon radicale et délibérément provocatrice. Il est ainsi devenu le vecteur d’une révolution culturelle qui a mis à mal l’orthodoxie des groupuscules d’extrême-gauche, avant de concerner l’ensemble de la gauche et de se répandre dans la société. Quand on étudie la littérature gauchiste de l’immédiat après-Mai, on est frappé de retrouver nombre de thèmes du gauchisme culturel d’aujourd’hui, mais, en même temps, ces derniers semblent bien mièvres et presque banalisés en regard de la rage dont faisaient preuve les révolutionnaires de l’époque. Leur remise en question radicale a concerné bien des domaines dont nous ne pouvons rendre compte dans le cadre limité de cet article 34. Mais il suffit d’évoquer ce qu’il en fut en matière de mœurs et de sexualité au début des années 1970 pour mieux cerner le fossé qui nous sépare du présent. Le désir était alors brandi comme une arme de subversion de l’ordre établi qui devait faire sauter tous les interdits, les tabous et les barrières. Il s’agissait de faire tomber tous les masques, en pourchassant les justifications et les refoulements au cœur même des discours les plus rationnels et les plus savants. Être "authentique", c’était oser, si l’on peut dire, regarder le désir en face et ne plus craindre d’exprimer en toute liberté le chaos que l’on porte en soi. C’est sans doute pour cette raison que sur le front du désir la classe ouvrière a pu apparaître muette à beaucoup.

Les religions juives et chrétiennes, la "morale bourgeoise", l’idéologie, le capitalisme réprimaient le désir, il s’agissait alors ouvertement de tout mettre à bas pour le libérer. Le mariage et la famille n’échappaient pas à un pareil traitement. Ils étaient considérés comme un dispositif central dans ce vaste système de répression, la cellule de base du système visant à castrer et à domestiquer le désir en le ramenant dans les credo de la normalité. Les lesbiennes et les gays revendiquaient clairement leur différence en n’épargnant pas les " hétéro-flics", la "virilité fasciste", le patriarcat. Il était alors totalement exclu de se marier et de rentrer dans le rang.

On peut mesurer les différences et le chemin parcouru depuis lors. Nous sommes passés d’une dynamique de transgression à une banalisation paradoxale qui entend jouer sur tous les plans à la fois: celui de la figure du contestataire de l’ordre établi, celui de la minorité opprimée, celui de la victime ayant des droits et exigeant de l’État qu’il satisfasse au plus vite ses revendications, celui du Républicain qui défend la valeur d’égalité, celui du bon père et de la bonne mère de famille…

Mais, en même temps, force est de constater que nombre de thèmes de l’époque font écho aux postures d’aujourd’hui. Il en est ainsi du culte des sentiments développé particulièrement au sein du MLF. Renversant la perspective du militantisme traditionnel, il s’agissait déjà de partir de soi, de son "vécu quotidien", de partager ce vécu avec d’autres et de le faire connaître publiquement. On soulignait déjà l’importance d’une parole au plus près des affects et des sentiments. Alors que l’éducation voulait apprendre à les dominer, il fallait au contraire ne plus craindre de se laisser porter par eux. Ils exprimaient une révolte à l’état brut et une vérité bien plus forte que celle qui s’exprime à travers la prédominance accordée à la raison. À l’inverse de l’idée selon laquelle il ne fallait pas mêler les sentiments personnels et la politique, il s’agissait tout au contraire de faire de la politique à partir des sentiments. Trois préceptes du MLF nous paraissent condenser le renversement qui s’opère dès cette période: "Le personnel est politique et le politique est personnel";  "Nous avons été dupés par l’idéologie dominante qui fait comme si “la vie publique” était gouvernée par d’autres principes que la vie privée”; "Dans nos groupes, partageons nos sentiments et rassemblons-les et voyons où ils nous mèneront. Ils nous mèneront aux idées puis à l’action". Ces préceptes condensent une nouvelle façon de faire de la "politique" qui fera de nombreux adeptes.

Resterait à tracer la genèse de ce curieux destin du gauchisme culturel jusqu’à aujourd’hui, la perpétuation de certains de ses thèmes et leur transformation. L’analyse de l’ensemble du parcours reste à faire, mais cette dernière implique à notre sens la prise en compte du croisement qui s’est opéré entre ce gauchisme de première génération avec au moins trois grands courants: le christianisme de gauche, l’écologie politique et les droits de l’homme. C’est dans la rencontre avec ces courants que le gauchisme culturel s’est pacifié, pris un côté boy-scout et faussement gentillet, et qu’il s’est mis à revendiquer des droits. Mais c’est surtout dans les années 1980 que le gauchisme culturel va recevoir sa consécration définitive dans le champ politique, plus précisément au tournant des années 1983-1984, au moment où la gauche change de politique économique sans le dire clairement et entame la "modernisation " Le gauchisme culturel va alors servir de substitut à la crise de sa doctrine et masquer un changement de politique économique mal assumé. À partir de ce moment, la gauche au pouvoir va intégrer l’héritage impossible de mai 68, faire du surf sur les évolutions dans tous les domaines, et apparaître clairement aux yeux de l’opinion comme étant à l’avant-garde dans le bouleversement des mœurs et de la "culture". Nous ne sommes pas sortis de cette situation.

Au terme de ce parcours qui rend compte des glissements opérés par la gauche et de l’influence du gauchisme culturel en son sein, il nous paraît possible de poser sans détour ce qui n’est plus tout à fait une hypothèse: nous assistons à la fin d’un cycle historique dont les origines remontent au XIXe siècle; la gauche a atteint son point avancé de décomposition, elle est passée à autre chose tout en continuant de faire semblant qu’il n’en est rien; il n’est pas sûr qu’elle puisse s’en remettre. Le gauchisme culturel, qui est devenu hégémonique à gauche et dans la société, a été un vecteur de cette décomposition et son antilibéralisme intellectuel, pour ne pas dire sa bêtise, est un des principaux freins à son renouvellement. La gauche est-elle capable de rompre clairement avec lui ? Rien n’est certain étant donné la prégnance de ses postures et de ses schémas de pensée.


Auteur: Le Goff Jean-Pierre

Info: "Du gauchisme culturel et de ses avatars" , Le Débat n° 176, septembre-octobre 2013, p.49-55.

[ hypocrisie ] [ détournement ]

 

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protestantisme

Essentiellement, la thèse luthérienne est née d’une angoisse incoercible, celle de la damnation. Le moine Luther au cours de crises assurément épouvantables et d’une indicible horreur, éprouve le sentiment qu’aucune œuvre, si méritoire soit-elle en elle-même, ne peut apaiser la justice de Dieu : ni jeûnes, ni mortifications, ni actions charitables, ni messes, ni prières, n’ont la moindre valeur au prix de son péché omniprésent. […] Pour échapper à cette obsession, il élabore un "montage psychique" qui lui permet de neutraliser sa peur panique de l’enfer, sans abolir pour autant le mépris haineux et violent de sa propre nature, lequel est en effet constitutif de son être. Ce montage, plus ou moins conscient, se cristallise subitement (en 1518 ?) au cours d’une lecture d’un passage de l’Epître aux Romains (1, 17), cent fois médité, et dont le sens commence subitement à lui apparaître : "la justice de Dieu est révélée dans l’Evangile, comme il est écrit : Le juste vivra par la foi". Cette Justice, comprend-il soudain, n’est pas la justice-acte (rendre la justice, juger), mais la justice-état (être juste). […] La justice-état (ou justice passive) est celle du Christ, est le Christ lui-même, au dire de saint Paul. Comment nous est-elle conférée ? Par pénétration intérieure ? Mais alors, c’est moi qui serais juste ! Or cela est impossible puisque je suis péché. Non, elle nous est imputée de l’extérieur : la rédemption du Christ en laquelle nous sommes justifiés, nous laisse subsister comme pécheurs invétérés, tant que nous vivrons ; simplement, elle nous recouvre comme un manteau et nous sauve de la damnation, en obtenant, non que nous ne péchions plus, mais que nos péchés ne nous soient plus imputés à crime. C’est pourquoi il est normal que les œuvres ne servent de rien. Affirmer un instant qu’une œuvre humaine puisse avoir valeur de coopération rédemptrice, et surtout l’œuvre prétendument sacrificielle de la messe, équivaut à nier la crucifixion : c’est un abominable blasphème, c’est manquer de foi en Jésus-Christ seul. Tel est le premier point.

Maintenant je sais que l’invincible ignominie de ma nature n’est pas la preuve de ma damnation, puisque le Christ nous sauve "malgré nous" de l’extérieur. Encore faut-il, pour guérir l’obsession de l’Enfer, que j’applique cette certitude à moi-même. Comment savoir que moi, je suis sauvé ? Quel signe infaillible peut me l’attester ? Saint Paul nous le dit : c’est la foi. […] Le fait de la foi, en moi, est la preuve que Jésus-Christ m’a bien sauvé, moi. Mais avoir la foi, c’est croire précisément que seul Jésus-Christ me sauve, et donc rejeter avec horreur toute foi dans les œuvres, sinon je ne crois pas en Jésus-Christ mais en moi. Ainsi la justification forensique (extérieure) et la foi-signe de justification se rejoignent et se conditionnent réciproquement. Tel est le deuxième point.

Que seul le Christ nous sauve, l’Eglise l’a toujours su et enseigné ; mais que saint Paul expose clairement la justification forensique et la foi-signe est tout simplement insoutenable. […] L’idée que la nature humaine, dans sa substance propre, reste radicalement extérieure à la grâce de la rédemption, en sorte que nous sommes à la fois pécheurs et justes […] est purement luthérienne. […]

[Conséquences théologiques de la thèse luthérienne] Fondamentalement, et quelle que soit la bonté de ses intentions, cette thèse repose sur l’incompatibilité radicale de la nature et de la grâce, ou plutôt sur l’opposition irréductible et l’exclusion réciproque de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, que la grâce vient précisément accorder l’un à l’autre, puisque cette grâce découle toujours de l’unique Hypostase du Christ en laquelle la divinité s’est unie à l’humanité. Ici, au contraire, la surnature ne peut opérer qu’en détruisant la nature, et il nous est extrêmement difficile de considérer une pareille thèse autrement que comme "dia-bolique", dans la mesure où elle fait œuvre de division (dia-ballein). C’est dans le cœur de chaque chrétien qu’elle introduit une séparation infranchissable entre ce qui relève de la créature et ce qui relève de l’acte rédempteur. Elle ferme la nature sur elle-même, la vouant au péché, et du même coup referme la porte du Ciel que le Christ nous avait ouverte. Par décret luthérien, il est interdit à la grâce divine de prendre racine dans la terre humaine. Voici dès lors notre monde déserté du sacré. […] le symbolique est chassé de notre existence chrétienne, au nom même de l’honneur de Dieu. Aucune forme terrestre, aucune œuvre humaine, aucun acte, ne sont porteurs de la grâce du Christ, d’un Christ jaloux et avare qui ne confie plus la force de son amour rédempteur à la faiblesse mais aussi à la dignité de sa noble créature, et, par l’intermédiaire de l’homme consécrateur, aux choses mêmes. Ce qui disparaît ainsi, c’est "l’immanence de grâce" du Christ rédempteur dans sa création, c’est-à-dire l’ordre sacramentel et rituel, l’ordre ecclésial, le Corps mystique, toute cette sacralisation du cosmos terrestre et humain, qui est l’incarnation prolongée, répandue et communiquée, l’image et les prémices des "nouveaux Cieux et de la nouvelle Terre".

On dirait sans doute que cette profanisation radicale de l’ordre naturel est corrélative d’une intériorisation de la relation au Christ, puisque le seul signe terrestre du divin qui demeure est la foi, et que ce qui était perdu là est gagné ici. Il faut cependant préciser. La foi luthérienne est-elle une réalité surnaturelle dans l’âme humaine ? Un habitus ? La réponse n’est pas aisée, car les textes sont contradictoires. Mais aucun doute n’est possible quant à la tendance générale de sa conception. Ce qui est ici souligné presque exclusivement, c’est la dimension humaine de la foi, la foi comme acte humain, volonté humaine en la miséricorde. C’est la foi sentie par le croyant, la foi réduite à l’expérience subjective de la foi, et non proprement la foi théologale, grâce dont la réalité spirituelle n’est aucunement perceptible à la conscience ordinaire. Or, si la grâce demeure extérieure à l’homme, l’homme ne demeure-t-il pas extérieur à la grâce ? D’où le besoin, chez Luther, de sur-accentuer la dimension volitive et sentimentale de l’acte de foi, bref, de procéder à une psychologisation du spirituel. […]

[Conséquences philosophiques de la thèse luthérienne]

L’exclusion réciproque des ordres naturel et surnaturel n’est pas seulement ruineuse du cosmos sacré et de l’intériorité spirituelle, elle est également destructrice, à la longue, de la réalité humaine comme telle ; car la consistance ontologique de l’ordre humain n’est fondée et n’est assurée que par son ordination à l’ordre divin. Il faut toujours revenir à l’attestation de la Genèse : la nature de l’être humain, c’est sa déiformité. Déiforme par essence, il doit accomplir son destin ontologique d’image de Dieu et devenir ressemblant, car "nous sommes de la race de Dieu" nous apprend saint Paul (Ac 17, 29). Sans doute la nature humaine ne peut-elle, par elle-même – et pas même chez Adam – réaliser sa perfection surnaturelle. Mais c’est uniquement cette possible relation à sa réalisation future qui définit et garantit sa réalité actuelle. C’est pourquoi il n’y a pas d’humanisme purement naturaliste. Réduite à elle-même, la nature humaine ne constitue nullement un fondement. Si l’homme ne se tourne pas vers Dieu, c’est dans le monde et la matière qu’il cherchera sa cause finale et le principe de son illusoire accomplissement.

Profanisation du monde, psychologisation de l’Esprit, sécularisation de l’être humain, telles sont les trois conséquences inéluctables inscrites dans le principe fondateur du luthéranisme.

Auteur: Borella Jean

Info: Le sens du surnaturel, L'Harmattan, 1997, pages 56 à 62

[ critique ] [ naturel-surnaturel ] [ sécularisation ]

 

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décadence

FORT MCMURRAY, LE TROU DU CUL DU MONDE.
Avant de lire ces quelques lignes, il faut mettre de côté la sensibilité et la compassion pour les gens qui ont perdu leur maison. Sans coeur, aussi immonde que ça puisse paraître, il faut faire abstraction de ces vies chamboulées. Il y a parfois des événements ironiques dans la vie. Des situations qui nous permettent de penser autrement, en perspective, à quelque chose de plus grand.
FortMcMurray : Un court séjour chez Maurice
J'ai déménagé à Fort McMurray en 2009. Comme plusieurs autres canadiens, je cherchais un moyen facile de faire de l'argent. Un salaire de 100,000$ par année, c'était attrayant pour un jeune de 19 ans tout juste gradué du Cégep. "Je vais placer de l'argent de côté, payer mes dettes d'études, et je reviendrai au Québec avec un gros char". C'est la même pensée qui traverse l'esprit de milliers de jeunes canadiens à chaque année. Il n'en fallait pas plus pour nous attirer! Mon ami et moi étions déjà en route pour le trou du cul du monde: Fort McMurray.
Jamais auparavant je n'avais vu autant de pick-ups! Que ce soit dans les rues, les entrées de maisons ou le stationnement du Walmart, il y en avait partout. À Fort McMurray, il y a plus de concessionnaires que d'organismes communautaires, de bibliothèques et d'écoles mis ensemble.
On se le répétait, bientôt, nous allions être riches! Quelques nuits difficiles à dormir dans notre vieille caravan, le temps de trouver un emploi... et le tour est joué!
Quelques jours plus tard, nous avions trouvé une chambre à louer chez une famille de Québécois. Le visage de Fort McMurray, c'était cette famille de la Beauce. Ils avaient déclaré faillite, ils étaient sans ressources et sans moyens. Pour eux, avec leurs deux adolescents, "Le Mac" c'était leur dernier espoir.
Ces Beaucerons n'avaient aucune éducation, toute la famille était obèse, à chaque soir ils commandaient du poulet frit ou de la pizza. Les caisses de Coca-Cola et de Molson Canadian faisaient partie intégrante de la décoration. Bref, une famille colonisée, des truckers de Fort.
Maurice nous demandait 1000$ pour une petite chambre avec deux lits simples. 1 pied séparait les deux lits, on s’entendait péter. Ça allait faire la job! Une maison fièrement achetée 500,000$ par les propriétaires, payé par les chambreurs, nous étions 8! Maurice nous l'avait bien dit: "Le Québec c'est de la marde, jamais j'aurais pu m'acheter une grosse cabane là-bas".
Même après une faillite, c'est très facile de trouver un prêteur dans le Mac, surtout avec un revenu de 100,000$ pour chauffer un camion ou ramasser les ordures.
Maurice allait faire fortune, il était en train de construire 4 nouvelles petites chambres au sous-sol pour les prochains arrivants, il planifiait s'acheter une deuxième maison. Maurice avait des rêves.
Ça ne faisait même pas un mois que nous étions là qu'il augmenta notre loyer à 1,200$ par mois. Si l'on refusait, nous devions quitter le lendemain matin. C'est ce qu'on a fait, salut mon cher Maurice!
À Fort McMurray, il fait toujours gris, les gens boivent beaucoup d'alcool. Cette ville connaît un grave problème de prostitution, de jeu et de drogue. Pour la plupart, des gens peu éduqués qui veulent s'enrichir rapidement, c'est un mélange toxique pour n'importe quelle société. En investissant dans cette ville éloignée, le Canada participe au génocide intellectuel d'une nation.
Comme au Far West, les hommes se promènent en pick up neuf, le menton bien haut, c'est ça la vie. Il y a souvent des bagarres, les gens consomment beaucoup de drogue pour oublier l'ennui, beaucoup de drogue.
Lorsque j'ai commencé à travailler comme agent de sécurité sur une mine, tout le monde avait un seul but: faire fortune sans études en se renseignant le moins possible sur le monde autour. La sélection naturelle renversée.
Fort McMurray, c'est le paradis de l'individualisme et de la bêtise. Jean Chrétien nous l'a dit, c'est ça le plus meilleur pays au monde.
Je me sentais comme dans un livre de Orwell, une société sans culture, sans personnalité, un objectif commun: dépenser son argent dans les bars, les voitures et sur les tables de Blackjack du Boomtown.
C'est là-bas que j'ai rencontré Ashley, une trentenaire de l'Ontario venue habiter à Fort McMurray pour payer ses dettes exubérantes. Elle était là depuis seulement 4 mois, sa première décision fut d'emprunter 50,000$ pour s'acheter une Mustang de l'année. Flambette! Comment vas-tu payer tes dettes Ashley? "Pas grave, avec mon gros salaire, je vais finir par tout payer".
Ces rencontres et constatations furent des événements catalyseurs pour moi. Quant à ma perception de l'économie et de la société canadienne. Je ne me suis jamais senti autant différent, autant Québécois.
Dernièrement, j'ai entendu des politiciens dire à quel point nous devrions être fiers de Fort McMurray. Non, il y a aucune raison d'être fier de Fort McMurray. Il m'est arrivé souvent de penser que cet endroit allait exploser, être abandonné ou même bruler avec tout ce pétrole qui lui sortait par les oreilles.
Non seulement, c'est une tragédie environnementale, mais c'est aussi un poison pour le progrès humain. Lorsqu'on investit dans le pétrole, on détruit des milliers d'âmes créatives. Au lieu d'étudier et participer au progrès, des milliers de jeunes vont mourir là-bas; pour quelques dollars additionnels. Le coût de renonciation pour le Canada est énorme. Ça prend de l'imagination et du cran pour faire autrement.
Nous l'aurions peut-être notre grande innovation, notre grand succès commercial, notre voiture électrique, si ce n'était pas du pétrole. Nous l'aurions peut-être notre indépendance énergétique, notre belle utopie scandinave.
Lorsqu'on fait le choix facile du pétrole, au nom de la productivité, au nom du développement économique, on enterre des futurs scientifiques, on intensifie notre déclin. L'ère des hydrocarbures est révolue au moment où nous devrions investir dans l'économie du 21ème siècle.
Après ce feu, pourquoi reconstruire? Pourquoi réinvestir des milliards de dollars à Fort McMurray. Selon plusieurs études dont celle du National Energy Board, les ressources pétrolières seront totalement épuisées en 2050 et le baril de pétrole restera sous la barre de 100$ jusqu'en 2040. C'est un pari trop risqué.
Fort McMurray n'amène aucune innovation, aucun progrès social, aucune matière grise. Fort McMurray enrichit les concessionnaires et les compagnies de construction, tout cet argent est jeté à la poubelle.
Ce feu remet les choses en perspectives. Je vais vous le dire franchement, Fort McMurray, c'est le trou du cul du monde.
Reconstruire, pourquoi?
Aussi cru que ça puisse paraître, je ne reconstruirais rien, je laisserais le courant naturel des choses faire son oeuvre, le feu de Fort McMurray, c'est l'opportunité de nous sortir des hydrocarbures. Pourquoi dépenser plusieurs milliards, encore, dans une industrie destinée à mourir? Pour stimuler la productivité et le PIB par la dette? Pour créer des emplois dans la construction? Pour épuiser une ressource de moins en moins rentable dans un endroit qui n'existera plus dans 40 ans?
Dans un monde idéal ce serait le moment de recommencer sur de nouvelles bases, dans un monde meilleur il serait temps de relocaliser et former ces gens dans l'économie du 21 ème siècle. Ce feu est une grande ironie.
Monsieur Trudeau, vous avez tout un défi devant vous. Faire le choix facile de l'économie du pétrole et perpétuer cette tradition toxique. Ou alors faire le choix du progrès humain. La balle est dans votre camp.
(Ecrit quelques heures plus tard) Ne méprenez pas mes propos, je suis triste pour les gens éprouvés dans cette tragédie, mais je suis de ceux qui croit que ce malheur en cache un autre bien plus important.

Auteur: Hotte Jean-François

Info: 8 MAI 2016, suite à un gigantesque incendie qui a détruit une partie de cette ville

[ fric ] [ abrutissement ]

 

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essai philosophique

On parcourt assez vite l’itinéraire de la conscience proprement dite. Dans les trois premiers chapitres, elle passe des illusions d’un savoir du vrai très primitif, celui de la certitude sensible, à peine capable d’exprimer sa vérité autrement que dans les monosyllabes du genre "ça", "là", ou "moi", à l’illusion plus pernicieuse d’un savoir du vrai identifié (par un jeu de mots sur Wahrnehmung : littéralement la "capture du vrai") à la perception des objets désignés comme choses par des noms particuliers, c’est-à-dire par des catégories universelles qui impliquent déjà, sans que la conscience le sache, le travail du discours de l’entendement ; puis elle se jette dans la troisième illusion de la conscience convaincue de comprendre enfin le cœur des choses du monde qui se tient face à elle, dans le concept scientifique de force, tel que le contrôle de la faculté nommée entendement (soit en allemand Verstand, qui connote immédiatement le verbe verstehen, "comprendre"). Face au règne invisible et universel des forces, des lois et du monde suprasensible, la conscience comme simple entendement s’imagine avoir déniché le talisman du savoir de ce qui est en soi, alors même que son examen vérificateur révèle qu’elle stagne dans l’indépassable va-et-vient tautologique d’un faux dépassement du fini, et que ce qui lui fait face comme une réalité "à même soi" n’est en fait qu’elle-même.

La vérité de cette expérience apparaît de manière développée au chapitre IV, dans le moment suivant, qui déploie la dialectique de la vie, de la mort et du désir, soit celle qui concerne substantiellement le Soi-même (l’identité subjective) reconnu à la fin du chapitre III, avant de la développer dans la dialectique du dominant et de l’asservi longtemps appelée "dialectique du maître et de l’esclave" […]. Hegel s’engage ensuite dans l’examen des trois tentatives philosophiques anciennes, historiquement déterminées, de penser la vie, la mort et le malheur de l’aliénation : le stoïcisme, le scepticisme et le christianisme de la conscience pieuse. Aucune de ces attitudes ne parvient à dépasser la scission dont souffre la conscience malheureuse, condamnée comme l’entendement à stagner dans le face-à-face d’un Soi-même inessentiel et d’une Essence inaccessible au soi. Il faut encore un long travail avant les retrouvailles de l’esprit avec lui-même. Mais "en soi" ou "pour nous", la conscience malheureuse, sans le savoir, est déjà sortie du malheur. 

Ce long travail s’annonce à la fin du chapitre IV et occupe l’ensemble du chapitre V, dans lequel la conscience, qui est aussi et désormais conscience de soi, se tourne de plus en plus agissante, vers le monde avec la conviction que ce qui est (das Sein) est sien (sein ist). Tout le chapitre est habité par ce jeu de mots pédagogiquement fort utile. La Raison n’est pas le simple entendement, encore borné par l’illusion d’un être-en-soi extérieur à lui. L’entendement – c’est un comble – devient même peu à peu dans la Phénoménologie une catégorie polémique, négative, péjorative, synonyme d’illusion ou de tromperie. […] La raison (Vernunft), qui abolit la prétention de l’entendement à être savoir absolu, c’est l’esprit comme identité de la substance et du sujet prise dans le long travail de clarification et de production de cette identité. Elle commence par reconnaître cette identité dans le monde extérieur en se contentant d’observer la nature, selon une posture apparemment objective qui débouche pourtant sur des propositions quasi absurdes, du genre "l’être de l’esprit est un os". Puis elle franchit le pas décisif de l’initiative subjective pratique : elle agit, fait quelque chose pour se rendre elle-même effective dans le grand ouvrage commun, frôlant la folie dans l’infatuation de la Loi du cœur, et accède enfin au dernier moment de la Raison qui n’est raison que dans l’univers social, politique, économique, culturel, etc. où elle s’exprime comme esprit de la Cause universelle continuellement prise dans un processus de production générale (l’œuvre de tous et de chacun), y compris dans les pratiques individuelles apparemment les moins collectives, voire les plus égoïstes (la Chose elle-même, avec un grand C). Puis, franchissant un pas de plus, la raison entreprend de dicter elle-même les lois des hommes, voire, au comble de la prétention, d’en examiner la vérité.

[…] Malgré l’identité apparente de ce qui est et de la raison (de la conscience et de son objet), la contradiction guette encore toutes ces présomptions. Quand la raison prétend dire le vrai de la loi des hommes, c’en est même presque fini de la loi, du moins au sens de substance éthique qu’examine ensuite le chapitre de l’esprit proprement dit (chapitre VII). Dans un mouvement de bascule d’une intelligence ravageuse, Hegel reprend donc la question de la loi à son début, dans le conflit de la loi divine qu’Antigone a la conviction intime de défendre, et de la loi humaine que Créon lui oppose tragiquement. Commence alors une longue remontée historico-spéculative, qui part de l’univers mythique des Grecs et suit la réalité antique (la vie des hommes, des femmes, des enfants et des "jeunes gens") jusqu’aux débuts du christianisme dans le monde romain, où se met en place la catégorie juridique de personne, liée à la propriété, qui marque la fin du moment antique. Cette première phase est le moment du règne de l’ethos, de l’esprit vrai, dont le caractère substantiel se problématise de plus en plus, qui n’est donc que vrai, sans avoir la certitude de cette vérité.

Cet univers rencontre dans l’histoire de l’Europe occidentale […] le phénomène nommé "culture", Bildung, c’est-à-dire aussi "formation" ou "éducation" dans lequel l’humanité du monde germanique, autre nom chez Hegel de chrétien, décide elle-même de ce qui doit devenir sa substance morale et politique, au sens fort du terme : une sorte de réflexe spirituel plus fort et immédiat que la réflexion intelligente. La culture est un monde, le monde historique dans lequel s’affrontent la croyance religieuse et l’intelligence pure, en un combat qui s’achève par le triomphe des Lumières – mais un triomphe fatal et terrible qui est celui de la Liberté absolue dans la Terreur (quand Hegel travaille à la Phénoménologie, il y a seulement dix ans que Robespierre a été guillotiné). Parvenu à ce moment historique si proche, et à l’expression de sa vérité dans la philosophie kantienne de la moralité (l’esprit qui cette fois est certain de sa vérité), on pourrait de nouveau croire que le but, le savoir absolu, est atteint ou presque, que le dépassement (la négation déterminée) du moment kantien – dans de longues analyses critiques de son inconséquence – est déjà en soi le passage au savoir absolu, après l’échec de la belle âme qui s’en inspirait…

Or, une fois de plus, il n’en est rien ! "Patience", semble dire le guide philosophe à son lecteur. Plus de cent pages sont alors consacrées, dans le chapitre VII, à la religion, en ce qu’elle développe de manière exemplaire, et proprement spirituelle, la dialectique phénoménologique, mais dans un univers mental qui demeure celui de la représentation privée du concept : au moment religieux dit naturel (lui-même développé avec ses trois temps : culte de la lumière abstraite, totémisme animal, construction d’édifices) succède le moment non naturel de l’art (de l’artifice niant peu à peu la seule nature et progressant vers la spiritualité du chant religieux d’une communauté), auquel succède le moment chrétien de la religion dite manifeste (ou purement religieuse), qui achève la dialectique de l’esprit en réconciliant sa présence naturelle (celle du fils) et sa présence spirituelle (celle du père).

On pourrait dès lors penser que l’ancien séminariste protestant a enfin, contre Kant et face au danger mortel que la philosophie critique représente pour la religion, subsumé sous l’autorité de celle-ci la totalité du savoir et de l’expérience humaine, réconcilié humblement la philosophie avec l’autorité de la religion. Mais c’est la philosophie qui reprend la parole et prononce le dernier mot, dans le chapitre VIII, celui du "savoir absolu", catégorie ultime qu’il faut entendre dans plusieurs sens indistinctement cumulés. Le premier est le sens quasi trivial du verbe wissen modalisé par l’adverbe absolut […], celui d’un savoir immédiat dont on est absolument sûr. L’autre sens, plus endogène dans la Phénoménologie, désigne un savoir affranchi de toute contingence naturelle et de tout artefact intellectuel, tel qu’il devait être exposé dans la deuxième partie annoncée par le titre et rappelée dans la longue Préface que Hegel rédigea d’un trait, après avoir relu sur épreuves son opus achevé. 

Auteur: Lefebvre Jean-Pierre

Info: Présentation in La Phénoménologie de l'esprit de Hegel, Flammarion, Paris, 2012, pages 36 à 40

[ résumé ] [ structure ] [ progression ] [ explication ] [ définition ]

 

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néo-darwinisme

Pour décoder la manipulation ou le marketing viral : la mémétique

Qu’y a-t-il de commun entre un drapeau de pirates, la chanson Happy birthday to you, un crucifix, des sigles courants (TV, USA, WC...), un jeu de Pokémon, un panneau stop, une histoire belge bien connue et le logo de Nike ? Ce sont des mèmes. C’est à dire des “entités réplicatives d’informations”, autrement dit des codes culturels qui, par imitation ou contagion, transmettent des solutions inventées par une population. Quand vous faites du marketing viral ou du lobbying, quand la télévision manipule votre “temps de cerveau humain disponible” à des fins commerciales ou idéologiques, vous êtes sans le savoir dans le champ de la mémétique comme M. Jourdain était dans celui de la prose.

La vraie vie n’est pas seulement faite de ce qu’on apprend à l’école ou à l’université... Les relations entre spécialités sont au moins aussi utiles que l’approfondissement d’une expertise spécifique... Ce n’est pas parce qu’une discipline n’a pas (encore) de reconnaissance académique qu’elle n’est pas sérieuse... Surtout quand la connaissance évolue plus vite que les mentalités, quand le fossé se creuse entre théorie et pratique, quand l’académisme dépend de normes formelles ou de chasses gardées plus que du progrès de la civilisation... La mémétique en est un bon exemple qui, malgré sa valeur scientifique et son utilité sociale, est méprisée comme ont pu l’être ses ancêtres darwiniens. Dommage, car si elle était mieux connue, nous serions moins faciles à manipuler.

LA MÉMÉTIQUE, C’EST SÉRIEUX !

Le mème est à la culture ce que le gène est à la nature. L’Oxford English Dictionary le définit comme un élément de culture dont on peut considérer qu’il se transmet par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation. Il a pour habitat ou pour vecteur l’homme lui-même ou tout support d’information. Dans les années 1970, des chercheurs de différentes disciplines s’interrogeaient sur la possible existence d’un équivalent culturel de l’ADN*. C’est en 1976, dans Le gène égoïste, que l’éthologiste Richard Dawkins baptisa le mème à partir d’une association entre gène et mimesis (du grec imitation), suggérant aussi les notions de mémoire, de ressemblance (du français même), de plus petite unité d’information. “Bref, un mot génial, bien trouvé, imparable. Un pur réplicateur qui s’ancre davantage dans votre mémoire chaque fois que vous essayez de l’oublier !” (Pascal Jouxtel).

La mémétique applique à la culture humaine des concepts issus de la théorie de l’évolution et envisage une analogie entre patrimoines culturels et génétique : il y a variation (mutation), sélection et transmission de codes culturels qui sont en concurrence pour se reproduire dans la société. Cette réplication a un caractère intra- et inter-humain. Elle dépend de la capacité du mème à se faire accepter : vous l’accueillez, l’hébergez, le rediffusez parce que vous en tirez une gratification aux yeux d’autrui, par exemple en termes d’image (vous avez le 4x4 vu à la télé), de rareté (il a une carte Pikatchu introuvable) ou autre avantage relationnel (petits objets transactionnels attractifs). Elle est stimulée par les technologies de l’information, qui renforcent le maillage des flux échangés et les accélèrent : la réplication est plus forte par les mass media (cf. les codes véhiculés par les émissions de téléréalité) et sur les réseaux (SMS ou Internet) que dans une société moins médiatisée où les flux sont moins foisonnants. 

On ne démontrera pas en quelques lignes la valeur ou l’intérêt de cette science, mais un ouvrage le fait avec talent : Comment les systèmes pondent, de P. Jouxtel (Le Pommier, Paris, 2005). On se bornera ici à extraire de ce livre un complément de définition : “la mémétique revendique une forme d’autonomie du pensé par rapport au penseur, d’antériorité causale des flux devant les structures, et se pose entre autres comme une science de l’auto-émergence du savoir par compétition entre les niveaux plus élémentaires de la pensée... Transdisciplinaire par nature, la mémétique est une branche extrême de l’anthropologie sociale croisée avec des résultats de l’intelligence artificielle, des sciences cognitives et des sciences de la complexité. Elle s’inscrit formellement dans le cadre darwinien tout en se démarquant des précédentes incursions de la génétique dans les sciences humaines classiques, comme la sociobiologie ou la psychologie évolutionniste, et s’oppose radicalement à toute forme vulgaire de darwinisme social”.

RESTER DANS LE JEU, JOUER À CÔTÉ OU AGIR SUR LE JEU ?

Jouxtel veut aussi promouvoir en milieu francophone une théorie qui y est un peu suspecte, coupable d’attaches anglo-saxonnes, masi qui pourtant trouve ses racines dans notre héritage culturel : autonomie du pensé, morphogenèse (apparition spontanée de formes élémentaires), évolution darwinienne dans la sphère immatérielle des concepts (Monod)... Le rejet observé en France tient aussi au divorce qu’on y entretient entre sciences sociales et sciences naturelles ou à la méfiance vis-à-vis de certains aspects de l’algorithme évolutionnaire (mutation, sélection, reproduction), en particulier “on fait une confusion terrible en croyant que la sélection s’applique aux gens alors qu’elle ne s’applique qu’aux règles du jeu”. De fait, cette forme d’intégration de la pensée s’épanouit mieux dans des cultures favorisant l’ouverture et les échanges que dans celles qui s’attachent à délimiter des territoires cloisonnés. Mais conforter notre fermeture serait renoncer à exploiter de précieuses ressources. Renoncer aussi à apporter une contribution de la pensée en langue française dans un champ aussi stratégique. Donc également renoncer à y exercer une influence.

Outre les enjeux de l’acceptation et des développements francophones de cette science, quels sont ceux de son utilisation ? De façon générale, ce sont des enjeux liés au libre-arbitre et à l’autonomie de la personne quand il s’agit de mettre en évidence les codages sous-jacents de comportements sociaux ou de pratiques culturelles. L’image du miroir éclaire cette notion : on peut rester dans la pièce en croyant que c’est là que se joue le jeu, ou passer derrière le miroir et découvrir d’autres dimensions - c’est ce que la mémétique nous aide à faire. De même dans le diaporama Zoom arrière (www.algoric.com/y/zoom.htm) où, après des images suggérant une perception de premier degré (scène du quotidien dans une cour de ferme), on découvre que la situation peut comporter d’autres dimensions... Plus précisément, pour illustrer l’utilité opérationnelle de la mémétique, on pourra regarder du côté des thèmes qui alimentent régulièrement cette chronique - innovation, marketing, communication stratégique, gouvernance... - autour de trois cas de figure : on peut jouer dans le jeu (idéal théorique souvent trahi par les joueurs), jouer à côté du jeu (égarés, tricheurs) ou agir sur le jeu (en changeant de niveau d’appréhension).

D’AUTRES DEGRÉS SUR LA PYRAMIDE DE MASLOW ?

Une analogie avec la pyramide de Maslow montre comment une situation peut être abordée à différents niveaux. Nos motivations varient sur une échelle de 1 (survie) à 5 (accomplissement) selon le contexte et selon notre degré de maturité. Ainsi, un marketing associé à l’argument mode ou paraître - voiture, téléphone, etc. - sera plus efficace auprès des populations visant les niveaux intermédiaires, appartenance et reconnaissance, que chez celles qui ont atteint le niveau 5. De même pour ce qui nous concerne ici : selon ses caractéristiques et son environnement, une personne ou un groupe prend plus ou moins de hauteur dans l’analyse d’une situation - or, moins on s’élève sur cette échelle, plus on est manipulable, surtout dans une société complexe et différenciée. Prenons par exemple la pétition de Philip Morris pour une loi anti-tabac. Quand j’invite un groupe à décoder cette initiative surprenante, j’obtiens des analyses plus ou moins distanciées, progressant de la naïveté (on y voit une initiative altruiste d’un empoisonneur repenti) à une approche de second degré (c’est un moyen d’empêcher les recours judiciaires de victimes du tabac) ou à une analyse affinée (lobbying de contre-feu pour faire obstacle à une menace plus grave). Plus on s’élève sur cette échelle, plus on voit de variables et plus on a de chances d’avoir prise sur le phénomène analysé. Une approche mémétique poursuivra la progression, par exemple en trouvant là des mèmes pondus par le “système pro-tabac” pour assurer sa descendance, à l’instar de ceux qu’il a pondus au cinéma pendant des années en faisant fumer les héros dans les films.

Il est facile de traiter au premier degré les attentats du 11 septembre 2001, par exemple en y voyant une victoire des forces de libération contre un symbole du libéralisme sauvage ou une attaque des forces du mal contre le rempart de la liberté - ce qui pour les mèmes revient au même car ce faisant, y compris avec des analyses un peu moins primaires, on alimente une diversion favorisant l’essor de macro-systèmes : “terrorisme international”, “capitalisme financier” ou autres. Ceux-ci dépassent les acteurs (Bush, Ben Laden...), institutions (Etat américain, Al-Qaida...) ou systèmes (démocratie, islamisme...), qui ne sont que des vecteurs de diffusion de mèmes dans un affrontement entre macro-systèmes.

QUAND CE DONT ON PARLE N’EST PAS CE DONT IL S’AGIT...

Autre cas intéressant de réplicateurs : les traditionnelles chaînes de l’amitié, consistant à manipuler un individu en exploitant sa naïveté, avec un emballage rudimentaire mais très efficace auprès de celui qui manque d’esprit critique : si tu brises la chaîne les foudres du ciel s’abattront sur toi, si tu la démultiplies tu connaîtras le bonheur, ou au moins la prospérité. On n’y croit pas, mais on ne sait jamais... Internet leur a donné une nouvelle vie - nous avons tous des amis pourtant très fréquentables qui tombent dans le piège et essaient de nous y entraîner ! - et a affiné la perversité de la manipulation avec les hoax et autres virus. Le marketing viral utilise ces ressorts. La réplication peut se faire de façon plus subtile, voire insidieuse, par exemple avec des formes de knowledge management (KM) “de premier degré” - en bref : la mondialisation induit un impératif d’innovation ; on veut dépasser les réactions quantitatives et malthusiennes qui s’attaquent aux coûts car elles jettent le bébé avec l’eau du bain en détruisant aussi les gisements de valeur ; on va donc privilégier la rapidité d’adaptation à un environnement changeant, donc innover en permanence, donc mobiliser le savoir et la créativité, donc fonctionner en réseau. Si l’on continue à gravir des échelons, on s’aperçoit que cette approche réactive reste “dans le jeu” alors qu’on a besoin de prendre du recul par rapport au jeu lui-même pour le remettre en question, voire le réinventer. La mémétique éclaire la complexité de cet exercice difficile où il faut pouvoir changer de logique, de paradigme, pour aborder un problème au niveau des processus du jeu et non plus au niveau de ses contenus. Comme dans la communication stratégique.

Déjà dans le lobbying classique, on savait depuis longtemps que le juriste applique la loi, le lobbyiste la change : le premier reste dans le jeu, quitte à tout faire pour contourner le texte ou en changer l’interprétation, alors que le second, constatant que la situation a évolué, s’emploie à faire changer les règles, voire le jeu lui-même. De même dans les appels d’offres, où certains suivent le cahier des charges quand d’autres contribuent à le définir en agissant en amont. De même dans le lobby-marketing, par exemple quand on s’attache à changer la nature de la relation plus que son contenu ou sa forme, pour passer de solliciteur à sollicité : faire que mon interlocuteur me prie de bien vouloir lui vendre ce que précisément je veux lui vendre... comme est aussi supposé le faire tout bon enseignant qui, ne se bornant pas à transférer des savoirs, veut donner envie d’apprendre ! Déjà difficile pour un lobbyiste néophyte, ce changement de perspective n’est pas naturel dans un “monde de l’innovation” où l’on privilégie un “rationnel plutôt cerveau gauche” qui ne prédispose pas à décoder le jeu pour pouvoir le mettre en question et le réinventer. 

L’interpellation mémétique peut conduire très loin, notamment quand elle montre comment l’essor des réseaux favorise des réplications de mèmes qui ne nous sont pas nécessairement favorables. Elle peut ainsi contredire des impulsions “évidentes” en KM, à commencer par celle qui fait admettre que pour innover et “s’adapter” il faut fonctionner en réseau et en réseaux de réseaux. Avec un peu de recul mémétique, on pourra considérer qu’il s’agit moins de s’adapter au système que d’adapter le système, donc pas nécessairement de suivre la course aux réseaux subis mais d’organiser l’adéquation avec des réseaux choisis, voire maîtrisés...

Aux origines de la mémétique

La possibilité que la sphère des humanités s’ouvre au modèle darwinien n’est pas nouvelle. Sans remonter à Démocrite, on la trouve chez le biochimiste Jacques Monod, dans Le hasard et la nécessité. La notion de monde des idées (noosphère) a été introduite par l’anthropologue Pierre Teilhard de Chardin. Alan Turing et Johannes Von Neumann, pères de l’informatique moderne, ont envisagé que les lois de la vie s’appliquent aussi à des machines ou créatures purement faites d’information. L’épistémologie évolutionnaire de Friedrich Von Hayek en est une autre illustration. D’autres parentés sont schématisées dans la carte ci-dessous.

De façon empirique, au quotidien, on peut observer la séparation du fait humain d’avec la nature, ainsi que son accélération : agriculture, urbanisation et autres activités sont visibles de l’espace, émissions de radio et autres expressions y sont audibles ; nos traces sont partout, livres, codes de lois, arts, technologies, religions… Est-ce l’homme qui a propulsé la culture ou celle-ci qui l’a tiré hors de son origine animale ?

En fait, grâce à ses outils, l’homme a favorisé une évolution combinée, un partenariat, un entraînement mutuel entre le biologique et le culturel. André Leroi-Gourhan raconte la co-évolution de l’outil, du langage et de la morphologie. Claude Lévi-Strauss parle de l’autonomie de l’organisation culturelle, par-delà les différences ethniques. Emile Durkheim revendique l’irréductibilité du fait social à la biologie. Parallèlement, l’observation des sociétés animales démontre que la nature produit des phénomènes collectifs, abstraits, allant bien au-delà des corps. Selon certaines extensions radicales de la sociobiologie à l’homme, toutes nos capacités seraient codées génétiquement, donc toute pratique culturelle - architecture, droit, économie ou art - ne serait qu’un phénotype étendu de l’homme. La réduction des comportements à leurs avantages évolutionnaires biologiques s’est atténuée. Le cerveau est modulaire, le schéma général de ses modules est inscrit dans les gènes, mais on a eu du mal à admettre que leur construction puisse se faire sur la base de flux cognitifs, d’apports d’expériences. 

Il y a des façons d’agir ou de penser qui au fil du temps ont contribué à la survie de ceux qui étaient naturellement aptes à les pratiquer : la peur du noir, la capacité de déguiser ses motivations, le désir de paraître riche ; ou plus subtilement la tendance à croire à une continuation de la vie après la mort, à une providence qui aide, à une vie dans l’invisible ; ou même le réflexe intellectuel consistant à supposer un but à toute chose. Mais il existe des idées, des modes de vie, des techniques, bref des éléments de culture indépendants de l’ADN, qui se transmettent par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation : c’est la thèse de Susan Blackmore, pour qui, entre ces mèmes en compétition, la sélection se fait en fonction de leur “intérêt propre” et non de celui des gènes.

L’argument de Pascal Jouxtel s’inspire d’une formule de Luca Cavalli-Sforza : l’évolution naturelle de l’homme est terminée car tous les facteurs naturels de sélection sont sous contrôle culturel. Tout ce qui pourrait influencer la fécondité ou la mortalité infantile est maîtrisé ou dépend de facteurs géopolitiques, économiques ou religieux. En revanche, la culture continue à évoluer : lois, art, technologies, réseaux de communication, structures de pouvoir, systèmes de valeurs. Le grand changement, c’est que les mèmes évoluent pour leur propre compte, en exploitant le terrain constitué par les réseaux de cerveaux humains, mais indépendamment, et parfois au mépris des besoins de leurs hôtes biologiques. 

“Ce sont des solutions mémétiquement évoluées qui sont aujourd’hui capables de breveter un génome. Il en va de même des religions et des systèmes politiques qui tuent. La plus majestueuse de toutes ces solutions s’appelle Internet, le cerveau global... Tout ce qui relie les humains est bon pour les mèmes. Il est logique, dans la même optique, de coder de façon de plus en plus digitalisée tous les modèles qui doivent être transmis, stockés et copiés. C’est ainsi que le monde se transforme de plus en plus en un vaste Leroy-Merlin culturel, au sein duquel il devient chaque jour plus facile de reproduire du prêt-à-penser, du prêt-à-vivre, du prêt-à-être. A mesure que l’on se familiarise avec l’hypothèse méméticienne, il devient évident qu’elle invite à un combat, à une résistance et à un dépassement. Elle nous montre que des modèles peuvent se reproduire dans le tissu social jusqu’à devenir dominants sans avoir une quelconque valeur de vérité ou d’humanité. Elle nous pose des questions comme : que valent nos certitudes ? De quel droit pouvons-nous imposer nos convictions et notre façon de vivre ?... Comment puis-je dire que je pense ?” (P. Jouxtel, www.memetique.org). Et bien sûr : comment les systèmes pondent-ils ?

Auteur: Quentin Jean-Pierre

Info: Critique du livre de Pascal Jouxtel "comment les systèmes..."

[ sociolinguistique ] [ PNL ]

 

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impératif d'expansion économique

L'argent et la corruption des valeurs

La croissance, notre idole, est sans objet et sans fin. Et l’argent ne peut acheter certains biens sans les corrompre. Contre l’obscénité qui consiste à expliquer toutes les conduites par l’économie, il faut rappeler le rôle de l’échange symbolique.

Si scandaleux que cela puisse paraître, l’argent reste une énigme pour la plupart des théories économiques. La théorie dite " néo­classique ", qui est la théorie standard enseignée dans presque toutes les universités du monde, lui donne le rôle de ce qu’on appelle en chimie un catalyseur, c’est-à-dire une substance presque invisible qui facilite le déclenchement et le déroulement des opérations considérées et qu’on trouve inaltérée à la fin. Devant cette impuissance, il est bon de faire un détour par les sciences humaines et la philosophie. Certains des plus grands économistes de l’histoire furent d’ailleurs des philosophes non moins que des représentants de leur discipline.

Il faut s’entendre sur ce mot " argent ". D’une personne riche, riche en biens mobiliers et/ou immobiliers, on dit couramment en français qu’elle " a de l’argent ". C’est évidemment impropre, car si elle avait l’équivalent en argent des biens qu’elle possède, elle ne les posséderait précisément pas. On ne peut avoir en même temps le beurre et l’argent du beurre. C’est dans ce sens que je vais comprendre le mot " argent " dans ce qui suit. Les économistes de langue française préfèrent le mot "monnaie ", équivalent de l’anglais money, et j’utiliserai parfois ce mot comme synonyme d’ "argent ". La liquidité, autre catégorie importante, c’est tout ce qui peut être aisément converti en argent. Beaucoup de titres en font partie. La monnaie est donc la liquidité par excellence.

L’infini et l’indéfini de l’argent

Je vais d’abord m’intéresser à ce géant de la théorie économique, mais aussi de la philosophie des sciences et de la philosophie sociale, morale et politique, que fut John Maynard Keynes. Je ne retiendrai qu’un trait, pas assez connu, de son œuvre : sa critique morale de l’amour de l’argent*. À l’époque du capitalisme financier triomphant, c’est un point qui mérite l’attention. Le but de l’effort théorique de Keynes fut de sauver le capitalisme de son temps. Mais il le fit contre le pouvoir déjà exorbitant de la spéculation financière, qu’il opposait à la logique de ce qu’il appelait " l’entreprise " – nous dirions aujourd’hui l’économie réelle, en contraste avec l’économie de plus en plus abstraite que représentent les titres et l’argent.

Posséder de l’argent, c’est réussir à posséder (virtuellement) tout ce que les autres possèdent et que je désire, tout en ne possédant (réellement) rien, sinon l’incarnation matérielle, sans valeur intrinsèque, d’un signe qui, lui, ne se peut posséder, puisqu’il renvoie à une transcendance (celle du collectif par rapport à ses éléments individuels). La possession de l’argent, c’est le comble du désir de possession se manifestant sous la forme du renoncement à la possession. C’est à contrecœur que Keynes se rapproche ici de Marx et de sa caractérisation de la monnaie comme équivalent universel. En revanche, il aime se référer à Freud. Désirer thésauriser de l’argent, c’est l’équivalent du stade anal du développement de l’enfant. On garde son argent dans un coffre-fort comme le bambin fait de la rétention fécale. Cette comparaison atteint vite sa limite : les boyaux ont une capacité finie, tandis qu’il n’y a pas de limite à l’accumulation de l’argent. Or Keynes est l’héritier de l’économie classique sur un point essentiel. Comme Adam Smith, David Ricardo, John Stuart Mill et aussi Marx, il croyait que la poursuite de l’abondance aurait en principe un terme, qui serait l’équivalent éco­nomique de la fin de l’histoire. Tous ont rêvé de ce moment où l’ensemble des besoins humains seraient satisfaits. Le " problème économique " serait enfin résolu, pensait Keynes. Ce n’est visiblement pas ce qui s’est passé. L’idolâtrie de la croissance indéfinie a remplacé la quête de l’abondance jamais satisfaite. Le rôle exorbitant qu’a pris la finance s’explique ainsi. Dans l’étymologie du mot " finance ", on trouve " fin " : en ancien français, finer signifie " payer, être quitte ". Aujourd’hui, la finance ne joue qu’avec des abstractions, des écritures comptables sans contrepartie réelle, et sa croissance n’a plus de fin, dans tous les sens du mot.

Rien n’illustre mieux la vacuité du discours politique aujourd’hui, droite et gauche confondues, que l’usage grammatical qui est fait du mot " croissance ". Toute croissance est croissance de quelque chose. Sans mention de son objet, le substantif n’a pas de sens, contrairement à des mots comme " république "" amour " ou " liberté ". La " croissance" selon les politiques est sans objet. Elle-même est leur objet : ce qui est placé devant eux, qu’ils veulent saisir, parfois avec les dents, mais qui leur échappe insolemment. Je l’appellerai Croissance.

On objectera que l’usage dont je parle repose sur une omission que tout le monde comprend. La Croissance, c’est la croissance du produit intérieur brut ( Pib ). Sans doute. Mais combien ont réfléchi au fait que nous ne parlons pas alors d’une variable d’état, comme la croissance d’un arbre ou celle d’un enfant, mais d’une variable de flux, comme le débit d’un fleuve ou la vitesse d’un courant d’air. Un enfant qui grandit reste lui-même tout en devenant plus fort. La croissance économique, c’est l’accélération d’un cycle de productions et de consommations (lire : consumations) toujours recommencé. À tout moment, il ne subsiste rien des époques antérieures, ni le pain que l’on a mangé, ni les kilomètres que l’on a parcourus, ni le travail que l’on a fourni. Tout a été englouti dans ce que Marx appelait le grand métabolisme avec la nature.

Mais la Croissance, n’est-ce pas aussi celle du capital, et celui-ci n’est-il pas un stock ? Nous avons pris conscience que nous sommes en train de détruire la partie de ce stock qui nous est donnée par la nature, et que cette perte est irrémédiable car rien de ce que nous pouvons fabriquer et accumuler ne la comblera.

La Croissance est sans objet et elle est aussi sans fin. Elle n’a pas de terme assignable, comme l’indique le fait qu’on la désigne par un pourcentage et non par une grandeur, ce qui suffit à la distinguer radicalement de la croissance d’un enfant. " Que votre petit est devenu grand! " " Oui, il a grandi de 3% depuis l’an dernier. " Jamais on ne dira cela, qui supposerait que la taille d’un être humain croît normalement d’autant plus qu’elle est déjà forte et cela sans limite. La Croissance est aussi sans fin au sens où elle n’a pas de finalité. On lui a reconnu des finalités, mais on a perdu successivement foi en elle. Ce fut d’abord le bonheur, puis l’emploi. Il s’agit aujourd’hui de rembourser la Dette. On s’enfonce dans le dérisoire.

La Croissance est sans objet ni fin ni finalité. Est-ce à dire qu’elle est privée de sens ? Tout au contraire, elle n’est que cela : sens, direction. Mais il serait malséant de s’en moquer, car cette fonction est, ou plutôt aura été, essentielle.

Sans sacré ni Croissance,

qui ou quoi pourra satisfaire

le désir d’Étoile et d’infini

qui est en nous ?


Si l’homme est ce " ver de terre amoureux d’une étoile " dont a parlé notre grand poète, l’économie s’adresse en principe au ver de terre, à sa finitude, à ses besoins limités. Mais avec la Croissance, l’économie est devenue l’Étoile, qui n’est notre guide que parce qu’elle recule à mesure que nous avançons. En vérité, la Croissance a tous les traits d’une panique. De celle-ci, Elias Canetti disait, dans son chef-d’œuvre Masse et puissance"la masse a besoin d’une direction ", d’un but qui soit donné " en dehors de chaque individu "" identique pour tous ". Peu importe alors ce qu’il est, " du moment qu’il n’est pas encore atteint  ". La Croissance sans objet et sans fin a rempli assez bien ce programme pendant de nombreuses années.

Aujourd’hui, l’Étoile s’est éteinte. L’étymologie nous aide à décrire l’état qui en résulte : c’est un dés-astre. Les avocats de la décroissance ne prennent pas assez la mesure du dilemme où nous sommes. On ne prive pas un drogué de sa drogue du jour au lendemain. On ne renonce pas à sa foi sans souffrance. Sans sacré ni Croissance, qui ou quoi pourra satisfaire le désir d’Étoile et d’infini qui est en nous ?

Théorie du chômage

C’est sur ce caractère indéfini, donc potentiellement infini de l’argent, que Keynes a bâti sa théorie générale. On n’y a pas assez réfléchi. Je vais tenter de présenter ces idées difficiles en partant d’un dialogue en partie imaginaire. Imaginons sur les ondes le débat suivant entre un journaliste et deux députés, l’un socialiste, l’autre libéral.

Le journaliste, s’adressant au socialiste : " Comment expliquez-vous que le gouvernement Jospin envisage une augmentation des impôts des plus riches et non pas une réduction? Les plus riches sont ceux qui créent des jobs et vous les étranglez? "

Le socialiste : " Ce qui bloque le système, c’est qu’il n’y a plus de demande. Les gens n’achètent pas! "

Le libéral : " Si les gens n’achètent pas, c’est parce qu’ils anticipent qu’ils vont perdre leur emploi, ou bien qu’ils vont rester au chômage longtemps. Ce qu’il faut, c’est créer des jobs et donc aider les Pme qui en créent! "

Le socialiste : "Mais pourquoi créeraient-elles des jobs puisqu’elles anticipent que la demande ne sera pas là pour acheter ce qu’elles produiront? "

La vivacité du débat, le choc des arguments et des objections donnent à penser que deux visions irréconciliables de la crise s’opposent. Les auditeurs les plus savants croient reconnaître une interprétation keynésienne, de gauche, dans les propos du socialiste : les entreprises anticipent une demande insuffisante et elles produisent moins, donc offrent moins d’emplois, qu’elles le pourraient. Sortir de cette crise de débouchés ou de surproduction requiert que l’on augmente la demande, par exemple en augmentant les salaires. Le libéral défend pour sa part une économie de l’offre, il prend le parti des entreprises, pour qui le coût du travail est toujours trop élevé. Selon son point de vue, de droite, le chômage résulte de cela et d’une imposition trop forte.

Si l’on prend le point de vue du libéral, les deux protagonistes de cette discussion ne peuvent avoir raison tous les deux. S’il y a chômage, c’est que le prix relatif du travail par rapport à celui des marchandises est trop élevé. Le prix relatif des marchandises étant trop faible, on devrait observer non pas une surproduction, mais au contraire une production insuffisante, se manifestant par exemple par des files d’attente devant les magasins. De plus, un tel déséquilibre ne pourrait être que conjoncturel : la loi de l’offre et de la demande s’exerçant sur le marché du travail comme sur celui des marchandises, le prix relatif du travail devrait baisser jusqu’à ce que le chômage et l’excès de demande pour les biens se résorbent.

Pour ce point de vue, donc, une crise généralisée de surproduction est impossible. Cette impossibilité ressemble fort à celle que les éco­nomistes décrivent lorsque – cela arrive – ils se moquent d’eux-mêmes en racontant la blague suivante. Deux professeurs d’économie se promènent dans la rue lorsque l’un avise un billet de cinquante euros dans le caniveau. Impossible, dit l’autre sans même regarder, quelqu’un l’aurait forcément ramassé ! Des travailleurs qui voudraient travailler davantage mais ne trouveraient pas d’embauche, tandis que les producteurs voudraient produire et vendre plus mais ne trouveraient pas de débouchés ? Ce type de crise, que l’on appelle depuis Keynes " déflation ", est impossible. Et pourtant, dit le naïf, les années 1930, comme la crise mondiale aujourd’hui, n’en démontrent-elles pas l’existence ? Mais, si cela était le cas, lui rétorque-t-on, une action évidente permettrait d’en sortir automatiquement et dans l’intérêt de tous, à l’instar d’Henry Ford. Il suffirait que les entreprises embauchent les chômeurs, payent des heures supplémentaires, augmentent les salaires : elles distribueraient ainsi un pouvoir d’achat qui absorberait tout naturellement l’accroissement de la production. Maurice Allais, le seul prix Nobel français d’économie pendant longtemps, présentait cet argument de manière imagée en envisageant qu’une flottille d’hélicoptères déverserait du papier-monnaie sur la population ébahie.

La monnaie, c’est-à-dire l’argent : c’est là que le bât blesse et que le socialiste aurait pu se targuer de faire droit à l’argument de son adversaire tout en l’englobant dans le sien. Les hommes économiques ne communiquent que par l’intermédiaire de la monnaie et ils communiquent mal. L’échange monétaire leur permet de ne pas se parler, il leur évite d’avoir à se concerter pour confronter leurs projets et leurs plans. L’argent sert donc à merveille la stratégie individualiste de l’agent économique. C’est une médiation interface qui permet d’échanger des informations tout en se donnant l’air de ne pas le faire. Mais ce paradoxe d’une non-­communication communicante a un coût. Revenons à Henry Ford. Il embauche des chômeurs, soit. Mais il ne va pas les payer avec des à-valoir sur l’achat de ses propres automobiles ! Il leur verse de l’argent, qui ne fonctionne comme argent que par son abstraction même, son caractère de médiateur universel des échanges, sa propriété d’équivalent général, pour reprendre le mot de Marx salué par Keynes, Keynes à qui nous devons le raisonnement développé ici. L’argent est un à-valoir sur n’importe quelle marchandise. Henry Ford n’a donc aucune garantie que les salaires qu’il paye seront convertis en demande pour ses voitures.

Certes, à ce point, l’économiste libéral peut faire une objection. Ce n’est pas, on peut l’admettre, des automobiles que les chômeurs récemment embauchés achèteront en priorité, mais de la viande ou des logements moins vétustes. Ce faisant, ils accroîtront les profits des bouchers et des promoteurs immobiliers, et ce sont ces profits qui se convertiront, au moins en partie, en demande d’engins motorisés. Cet argument atteint vite ses limites. Dans une économie extrêmement interdépendante, la complication des circuits par où transitent les pouvoirs d’achat est telle que chaque entrepreneur, pris individuellement, n’a aucune assurance qu’un accroissement de sa production ne finira pas dans quelque magasin d’invendus.

Puisque les agents ne se parlent pas, ils doivent se débrouiller au milieu de cette incertitude radicale et se coordonner à l’aide de repères situés dans l’avenir. La déflation keynésienne est l’un de ces repères que le marché peut faire jaillir par un mécanisme d’auto-transcendance. Ce qui lui donne un pouvoir d’attraction considérable est le verrouillage mutuel des deux pôles qui la constituent : le chômage structurel et la crise de débouchés. Le libéral avait raison : les ménages anticipent un chômage élevé et réduisent leur consommation en conséquence. Le socialiste avait raison : les entreprises anticipent une demande insuffisante et réduisent leur offre d’emploi. Chacun donne à l’autre une raison forte de s’en tenir à ses convictions.

La perversion des valeurs

Voici une histoire édifiante et vraie. Elle se passe il y a un nombre respectable d’années, lors d’un dîner que j’organisais en hommage à Ivan Illich à l’occasion d’un de ses passages à Paris. Il y avait là, entre autres, l’éditrice britannique d’Illich, Marion B., et un économiste français d’excellente réputation, que j’appellerai Marc-Antoine. À la fin du repas, Marion sort de son sac un paquet de cigarettes et se met à fumer – c’est une chose que l’on pouvait encore faire à l’époque. Son voisin, Marc-Antoine, lui demande une cigarette, requête à laquelle Marion se prête de bonne grâce. Marc-Antoine pose alors devant elle, sur la table, une pièce de vingt centimes de franc de l’époque. Marion ne comprend pas. Il faut que Marc-Antoine lui explique que tout est réductible à un échange marchand, fût-ce un don sollicité, pour que Marion saisisse que Marc-­Antoine est en train de lui acheter la cigarette qu’elle lui a donnée, non sans avoir d’abord calculé le juste prix de la cigarette individuelle. L’éditrice d’Illich s’est alors fâchée tout rouge, prise d’une colère que l’économiste visiblement n’a pas comprise. J’ajoute que Marc-Antoine était et reste un homme doux et courtois, réservé et modeste pourrait-on dire, à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession.

La prétention de la pensée économique à rendre compte

de toutes les conduites humaines : obscénité.


En insistant pour payer ce qui lui avait été donné, Marc-Antoine traduisait en acte la prétention de la pensée économique à rendre compte de toutes les conduites humaines, même celles qui relèvent d’une sphère anthropologique distincte. Cette méprise sur les genres ou les ordres a un nom : obscénité.

Le thème de la corruption que peut subir une valeur ou un bien par sa mise sur le marché, que celle-ci soit réelle ou virtuelle, est au cœur du livre du philosophe de Harvard, Michael Sandel, What Money Can’t Buy, dont j’ai récemment édité et préfacé la version française. On trouve dans ce livre une illustration saisissante, qui avait déjà fait l’objet de nombreux commentaires de la part des économistes. Il s’agit de crèches israéliennes. À l’heure dite, les parents viennent récupérer leurs enfants, mais certains arrivent en retard, obligeant les puéricultrices à faire des heures supplémentaires. On peut supposer que certains parents en ressentent une certaine culpabilité, mais leurs obligations sont telles que les retards ne cessent pas. Les crèches décident de faire payer une amende aux parents retardataires. Qu’arriva-t-il ? Les parents furent plus nombreux à arriver en retard.

L’amende paraissait a priori une manière plus efficace que la mauvaise conscience de faire sentir aux parents ce que leur retard coûtait en temps perdu aux puéricultrices. Mais elle fut confondue avec le prix d’un service rendu. À ce prix-là, cela valait la peine de se payer le service en question. L’amende se voulait une sanction morale. Le simple fait qu’elle se payât en argent la rabattit sur un échange d’un tout autre type, non plus mal contre mal, mais bien contre bien, analogue à l’achat d’un service marchand.

La réaction des économistes à cette analyse est encore plus révélatrice que le cas lui-même. Sous l’expression " les économistes ", j’entends non seulement les professionnels et les praticiens de cette discipline, mais aussi tous ceux, citoyens lambda, dont l’esprit a été contaminé par le mode de pensée économique, et cela, hélas, fait beaucoup de monde. Cette réaction est la suivante : mais il suffisait d’augmenter la valeur de l’amende et l’on aurait vu les parents faire des efforts pour arriver à l’heure !

Cette réaction ne fait qu’enfoncer le clou : l’amende, comme tout prix, doit assurer l’équilibre entre l’offre et la demande. Or l’offre, ici, est nulle : les puéricultrices qui ne reçoivent évidemment pas le montant de l’amende n’ont aucune incitation à attendre les parents retardataires et, si elles le font, c’est poussées par cette étrange motivation qu’on appelle le devoir. L’amende doit donc être suffisamment pénalisante pour que les parents ne soient plus en retard.

Il y a quelque chose que ce beau raisonnement oublie et en fait un mode de pensée obscène : ce qui se passe à l’origine, je veux dire pour une absence d’amende. Une absence d’amende n’est pas une amende nulle. La preuve en est que, lorsque les crèches israéliennes ont renoncé à recourir à l’amende, les parents ont persisté dans leur retard aggravé. Le mal était fait et au prix nul du service rendu, cela valait la peine d’y recourir. Avant qu’une amende fût instituée, nous étions dans un tout autre contexte anthropologique, où l’idée même d’échange marchand entre crèches et parents ne venait à l’esprit de personne.

Un présupposé de la théorie économique est que le bien et le mal sont de même nature, mais simplement de signes opposés. Selon la logique des vases communicants, cela revient à dire qu’un bien est un moindre mal et qu’un moindre bien est un mal. Un coût, c’est un manque à gagner et un gain, c’est un moindre coût. Cette équivalence n’a pas cours dans les sciences normatives, qu’il s’agisse de l’éthique, de la politique ou du droit. Lorsque ces disciplines se laissent envahir par la logique économique, elles perdent tout simplement leur âme.

Michael Sandel a eu l’occasion de prendre position contre l’idée qu’on pourra lutter contre le changement climatique à coup d’écotaxes ou en donnant un prix au carbone. Il faut que celui qui fait le mal, en contribuant à détruire l’environnement, prenne conscience qu’il fait le mal. Si on le fait payer en argent, c’est le contraire qui se produit. Non seulement on ne le culpabilise pas, mais on étend le domaine de ses droits. Le système cap-and-trade institué par le protocole de Kyoto, qui accorde le droit de polluer au-delà de son quota d’émissions moyennant compensation financière accordée à ceux qui polluent moins, a pour résultat que personne ne voit plus ce qui est en jeu : la préservation d’une vie humaine décente sur Terre.

L’arrogance de l’économie ne connaissant pas de limites, elle ne pouvait pas ne pas s’attaquer au domaine de la gratuité. Elle a développé d’ingénieuses techniques pour donner une valeur marchande non seulement à ce qui n’en a pas mais aussi à ce qui ne peut pas en avoir sous peine de corruption. Par exemple, on valorise tout service non marchand au prix qu’un sujet consent implicitement à payer pour l’acquérir, alors même que s’il le payait effectivement, le service en question en serait dénaturé.

Mesure du bien-être

Dans une livraison passée de son rapport annuel L’Économie française, comptes et dossiers, l’Insee a confirmé ce qu’il nous répète depuis quelque temps : nous sommes beaucoup plus riches que nous le pensions. Suivant les recommandations de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi réunie en 2009 par le président Sarkozy dans le but de mettre au point des indicateurs de bien-être qui n’aient pas les défauts du produit intérieur brut, l’Insee comptabilise désormais les heures passées aux travaux domestiques non rémunérés. Faire la cuisine, s’occuper du ménage, jouer avec les enfants, bricoler, emmener le chien faire ses besoins, c’est de la production autoconsommée. Ne pas en tenir compte, c’est minimiser la production, la consommation et donc la richesse de la nation.

À l’échelle du pays, le temps total consacré à ces activités est éloquent : entre une et deux fois le temps de travail rémunéré. Une grosse proportion de ces heures est le fait des femmes. Mais si l’on veut ajouter au Pib ce qui est ainsi produit, il faut bien convertir les heures en valeur monétaire. L’Insee a essayé plusieurs méthodes. Dans le dernier rapport, on a considéré qu’une heure passée à faire la cuisine valait le salaire qu’on aurait versé à un cuisinier accomplissant la même tâche. La valeur du temps passé avec ses enfants ? C’est ce qu’on aurait versé à une nounou faisant le même " travail ",  etc.

Quand on fait les calculs, on trouve que le Pib augmente de moitié et la consommation des ménages des deux tiers. La plupart des commentateurs semblent épatés. L’extrême gauche applaudit les résultats. Beaucoup considèrent qu’on reconnaît ainsi la dignité des tâches domestiques, le plus souvent accomplies par les femmes. Le principe d’égalité exige qu’on ne valorise pas selon des méthodes différentes le travail des femmes et celui des hommes.

Rares sont les observateurs qui ont vu dans cette opération ce qu’elle est en vérité : je le répète, une obscénité. Les plus lucides ont été ceux qui n’ont pas résisté au plaisir de débiter des gaudrioles. Surtout ne pas omettre dans le Pib élargi, ont-ils plaidé, le service que vous rend votre femme en multipliant le nombre de rapports par le prix de la passe, modulé selon son standing. Le paradoxe est que l’Insee a refusé d’inclure dans le Pib français, résistant ainsi à une injonction européenne que les autres pays ont suivie en général sans maugréer, le chiffre d’affaires de la prostitution.

Les comptables de l’Insee n’ont pas songé un instant que, si l’argent n’achète pas certains biens sans les corrompre, alors il ne peut pas servir de mesure à tout. Donner une valeur monétaire à un bien c’est, au plan symbolique, le rendre convertible en argent. Confondant le symbolique et le réel, des internautes ont inféré de la hausse inespérée du Pib que leur retraite en serait augmentée ; d’autres, plus méfiants, que ce serait leurs impôts.

"  Le temps, c’est de l’argent " : on ne croit pas si bien dire. Sur les autoroutes californiennes, aux heures de pointe, il faut être au moins deux dans sa voiture pour pouvoir emprunter la file de gauche. Il arrive que 90 % des automobiles ne véhiculent que leur seul conducteur. On est bloqués pare-chocs contre pare-chocs, la voie rapide est vide, la tentation de tricher est trop forte. Il serait risqué de placer une poupée gonflable sur le siège du passager. Pour remplir la même fonction, certains ont déjà recours aux services de prostituées sur le retour. La boucle est bouclée.

La liste établie par l’Insee des tâches qui composent la production domestique comporte beaucoup de flou. Si on y place le temps passé à améliorer son habitat et à jouer avec ses enfants, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Toutes les heures hors travail rémunéré contribuent au dur labeur de vivre, le sommeil comme le loisir, qui ne servent qu’à reproduire la force de travail. Toute la vie est un moyen au service d’une fin inexistante. Il n’y a plus de limites à l’écono-mystification du monde et à la confusion de toutes les valeurs. Nous sommes tous complices et victimes de ce cancer éthique.

L’échange symbolique

Michael Sandel met ironiquement en scène ces économistes qui se demandent comment l’on peut encore faire des cadeaux en nature, comme si l’argent, cet équivalent général, n’avait pas été inventé. Et pourtant, rappelle-t-il, il y a des cultures ou des circonstances dans lesquelles il serait extrêmement grossier de faire un don en argent. Il est frappant que le philosophe américain ne songe pas à se référer au débat sur l’échange symbolique lancé par Marcel Mauss avec son Essai sur le don et constamment repris par les plus grands noms des sciences sociales, entre autres Claude Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu, Michel Serres, Maurice Godelier ou René Girard. À le faire, il aurait remarqué qu’il existe parfois un tabou qui pèse encore plus fort que celui qui porte sur le don en argent : c’est le tabou qui porte sur le contre-don en argent.

Dans beaucoup de sociétés paysannes traditionnelles, on aide son voisin pour les travaux des champs et quand ceux-ci sont terminés, le voisin gratifie ceux qui lui ont apporté leur concours d’un grand banquet. Un jour, en grande Kabylie, un ouvrier agricole qui était dans cette situation refusa de participer au banquet et demanda à la place à être payé en espèces. Pierre Bourdieu était là et voici ce qu’il dit de cet audacieux : il ne faisait ainsi que " trahir le mieux et le plus mal gardé des secrets, puisque tout le monde en a la garde "** . Formule brillante qui dit que le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret : tout le monde le connaît, mais on n’en parle jamais sur la place publique. Secret public, secret de Polichinelle, hypocrisie sociale, mensonge collectif à soi-même, toutes ces formules caractérisent une structure cognitive que Mauss déjà décrivait ainsi : dans les sociétés archaïques et traditionnelles, les échanges de dons " ont revêtu presque toujours la forme du présent, du cadeau offert généreusement même quand, dans ce geste qui accompagne la transaction, il n’y a que fiction, formalisme et mensonge social, et quand il y a, au fond, obligation et intérêt économique".

Quel est donc ce secret terrible que tout le monde partage et qui, s’il devait être révélé publiquement, mettrait en péril la structure sociale ? Et pourquoi le simple fait de demander, à l’instar de l’ouvrier kabyle, à recevoir le contre-don en argent plutôt qu’en nature produit-il cette révélation ?

L’échange don/contre-don se présente sous les apparences d’une réciprocité positive, bien contre bien, mais il recouvre et contient – dans le double sens qu’il a en lui et qu’il réprime – la menace d’une réciprocité négative, mal contre mal, celle de la violence. Lévi-Strauss, suivi par l’anthropologue américain Marshall Sahlins, l’a dit en des formules célèbres : le niveau empirique de l’échange de dons est comme le " contrat social des primitifs ". En échangeant des biens plutôt que des coups, les sauvages font la guerre à la guerre. Chaque fois qu’ils traitent, c’est un traité de paix. L’échange symbolique n’est pas guidé par la recherche de l’intérêt privé, mais par la nécessité de reproduire sans cesse le lien social.

Or ce vernis est fragile. Il peut casser aisément. L’oubli du don que la coutume demande de faire, le don refusé, le contre-don jugé insuffisant sont autant de motifs de conflit et de guerre, cette violence que l’échange symbolique devait tenir en échec. René Girard l’a fort bien analysé : " Dans une société qui n’est pas en crise, l’impression de différence résulte à la fois de la diversité du réel et d’un système d’échanges qui diffère et par conséquent dissimule les éléments de réciprocité que forcément il comporte, sous peine de ne plus constituer un système d’échanges, c’est-à-dire une culture. […] Lorsque la réciprocité devient visible en se raccourcissant pour ainsi dire, [elle] n’est [plus] celle des bons mais des mauvais procédés, la réciprocité des insultes, des coups, de la vengeance et des symptômes névrotiques. C’est bien pourquoi les cultures traditionnelles ne veulent pas de cette réciprocité trop immédiate."

Exiger que le contre-don se fasse en argent, c’est évidemment " raccourcir " la réciprocité puisque, lorsqu’un échange monétaire, marchandise contre argent, a eu lieu, les partenaires sont quittes, ils n’auront la plupart du temps plus l’occasion ni de se parler ni encore moins de s’aimer. Au contraire, l’échange de dons n’est jamais clos, il oblige les partenaires à constamment renouer le lien qui les unit, tout contre-don étant aussi un don qui demande à son tour un rendu. Celui qui voudrait arrêter cette séquence en un point afin de faire les comptes et en vérifier l’équilibre ferait s’écrouler l’institution.

Lorsque les prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Amartya Sen proposent d’inclure dans la richesse nationale l’équivalent monétaire des travaux domestiques, nul doute qu’ils sont animés de bonnes intentions progressistes. Leur économisme étriqué, cependant, les rend aveugles aux données anthropologiques que je viens de rapporter. Les sociologues du travail domestique ne craignent pas de ranger leur objet d’étude sous la bannière de l’échange de dons. Nul angélisme ici, si l’on garde en tête que cette institution ruse avec la violence dans laquelle elle peut à tout moment retomber. Il s’agit de dire la non-clôture de l’échange symbolique, son irréductibilité à une quelconque comptabilité. À l’obscénité déjà mentionnée, la valorisation monétaire de la gratuité ajoute la bévue anthropologique. 

 

Auteur: Dupuy Jean-Pierre

Info: https://esprit.presse.fr/article/jean-pierre-dupuy/l-argent-et-la-corruption-des-valeurs-42207 juil./août 2019. *Philosophical pages on the love of money. **Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972, p. 230 (rééd. " Points Seuil  ", 2015)

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