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chronos

Le temps est une différence de pression : la respiration comme média environnemental dans "Exhalation" de Ted Chiang

Dans la nouvelle de science-fiction "Exhalation" de Ted Chiang, publiée en 2008, le souffle est le médiateur de la fin du monde.

Ce texte raconte l'histoire d'une espèce mécanique alimentée par l'air. Chaque jour, les membres de cette espèce consomment deux poumons d'aluminium remplis d'air, et chaque jour, ils les remplissent à nouveau à partir d'un réservoir caché sous terre. Leur univers comporte de nombreuses villes et quartiers, mais il est délimité par un "mur de chrome solide" qui s'étend jusqu'au ciel. Un jour, une cérémonie traditionnelle du nouvel an, qui dure toujours exactement une heure (chronométrée avec la précision mécanique de l'espèce), dure quelques minutes de plus. C'est surprenant. La nouvelle se répand et ils découvrent que la manifestation s'est prolongée dans tout leur univers. Les horloges elles-mêmes semblent fonctionner correctement ; c'est plutôt le temps lui-même qui s'est ralenti d'une manière ou d'une autre. Le narrateur, un anatomiste, soupçonne que la vérité réside dans le cerveau des espèces et décide de procéder à une autodissection avec un appareil de sa conception. De même que la nature de la conscience échappe aux humains organiques, elle échappe aussi aux automates de Chiang. Certains pensent que leur esprit est inscrit sur d'innombrables feuilles d'or dans leur cerveau ; d'autres soupçonnent que le flux d'air agit sur d'autres supports plus subtils. Au cours de son autodissection, le narrateur découvre la vérité : la conscience n'est pas inscrite dans le cerveau, mais constituée par la circulation de l'air dans le cerveau, qui forme et reforme les connexions électriques avec une plasticité infinie. De cette révélation, le narrateur déduit que le temps lui-même ne ralentit pas, mais que c'est plutôt la force de l'air à travers le cerveau qui ralentit, altérant la cognition. La deuxième loi de la thermodynamique : l'entropie augmente dans un système fermé, ce que l'univers doit être en fait. Chaque action, pensée et mouvement augmente l'entropie de leur univers, "hâtant l'arrivée de cet équilibre fatal", c'est-à-dire la possibilité de la mort.

Comme de nombreuses histoires de Chiang, "Exhalation" explore les conséquences culturelles étendues d'un concept scientifique, en l'occurrence l'entropie. À travers les principes physiques de la thermodynamique, la respiration met en scène une ironie tragique dans le système mondial. Le travail de maintien d'un type particulier de vie rend toute autre vie impossible. Je lis "Exhalation" comme une riche archive de possibilités théoriques médiatiques, car Chiang relie les problèmes de la technologie, de la médiation, de la conscience, de l'incarnation, de la temporalité et de l'environnement. La respiration est le pivot qui maintient ces concepts ensemble, et en particulier, selon moi, la relation de la respiration avec le temps. Dans cet article, je lis "Exhalation" à la fois à travers et en tant que théorie des médias pour suggérer que la mesure et la perception du temps, qui sont depuis longtemps des problèmes fondamentaux pour les études sur les médias, sont devenues des questions environnementales urgentes. Nous pouvons appréhender ces temporalités environnementales par le biais de la respiration, qui ne fonctionne pas de manière linéaire mais plutôt récursive, franchissant une certaine échelle dans sa répétition.

"Exhalation" met en scène deux types de temps différents : celui de la perception intérieure et celui de la comptabilité extérieure. D'une part, le temps est le sentiment incarné qu'un moment suit le suivant. D'autre part, le temps est la comptabilité de technologies théoriquement impartiales, elles-mêmes étalonnées par rapport à des phénomènes physiques. Le fait que le monde d'"Exhalation" soit entièrement mécanique permet à Chiang d'établir une analogie fluide entre ces deux sens du temps. Le drame découle donc de la découverte par le narrateur que ces sens, qui partagent supposément un substrat matériel, sont devenus non calibrés. Le véritable substrat, découvre le narrateur, n'est pas la matière en elle-même, mais plutôt la différence entre les matières. "Voici pourquoi", écrit le narrateur,

...j'ai dit que l'air n'est pas la source de la vie. L'air ne peut être ni créé ni détruit ; la quantité totale d'air dans l'univers reste constante, et si l'air était tout ce dont nous avons besoin pour vivre, nous ne mourrions jamais. Mais en réalité, la source de la vie est une différence de pression atmosphérique, le flux d'air des espaces où il est épais vers ceux où il est mince.... En réalité, nous ne consommons pas d'air.

En tant que matière, l'air ne s'épuise pas. Au contraire, les actions de l'espèce évacuent la différence, augmentent l'aléatoire et éliminent ainsi l'action mécanique et sa temporalité concomitante.

À première vue, l'approche du temps de Chiang est conforme à certains modèles fondamentaux des études sur les médias, pour lesquels le temps est un effet secondaire de sa technologisation. Pour Harold Innis, critique du début du XXe siècle, par exemple, les supports d'enregistrement disponibles dans une civilisation donnée déterminent les relations possibles avec le temps. Une civilisation basée sur le papier favorise la synchronisation sur de grandes distances, facilitée par la vitesse de circulation du papier, tandis qu'une civilisation basée sur la pierre serait plus diachronique, favorisant les supports statiques qui couvrent de grandes étendues de temps. Les idées d'Innis ont inspiré des approches ultérieures des médias numériques. Pour le théoricien des médias Wolfgang Ernst, les médias numériques sont "critiques en termes de temps", dans la mesure où ils dépendent d'un timing précis pour fonctionner. Le temps numérique est mesuré par des cristaux de quartz qui marquent les tics du temps UNIX, qui compte le début de l'histoire à partir du jeudi 1er janvier 1970, lorsque le carbone atmosphérique ne mesurait que 325 ppm. Ernst fait la distinction entre le temps "dur" et le temps "mou", c'est-à-dire le temps imposé aux machines par la physique et le temps inventé par les machines dans leur fonctionnement. Si le temps dur de la physique se poursuit en dehors de l'objet médiatique, notre appréhension de ce temps est inéluctablement liée à la durabilité du temps mou, généré par les machines.

Je suis loin d'être le seul à m'opposer à ces modèles de temporalité des médias. Je pense, par exemple, à l'argument de Sarah Sharma selon lequel ces modèles sont obsédés par la vitesse : l'hypothèse selon laquelle les médias accélèrent la temporalité et réduisent l'espace, rapprochant les cultures et effaçant le temps passé à attendre que les messages soient transmis. Pour Sharma, la vitesse est trop simple ; en revanche, elle affirme que le principal sujet temporel des médias est la synchronicité, dont la négociation et le maintien exigent un travail culturel et matériel constant. La relation au temps, tout comme la relation à l'environnement, est liée à la position politique de chacun. Elle est également liée au corps. John Durham Peters affirme que le corps humain lui-même est un support temporel, qui calibre une multiplicité vertigineuse d'échelles de temps. Les rythmes circadiens intègrent la "pulsation" géophysique du jour et de la nuit dans les êtres vivants. Vu dans ce cadre, le rythme inconscient de la respiration n'est qu'une partie d'un système médiatique complexe de temporalité qui se calibre et se recalibre constamment. Je souhaite faire progresser le rythme dans mon analyse. Shintaro Miyazaki affirme que le rythme a toujours été un aspect central, bien que méconnu, de la culture algorithmique. Le rythme supplante la notion d'"horloge" ou d'"impulsion", qui ne rendent pas compte de la négociation constante entre les états de la matière caractéristiques des médias numériques. Le rythme nomme alors le travail actif de synchronisation de la médiation. Il s'ensuit que nous pourrions caractériser le drame d'"Exhalation", et peut-être notre crise climatique actuelle, comme une désarticulation du rythme.

Au fur et à mesure que la nouvelle de la découverte du narrateur se répand, la panique face à la nouvelle possibilité de mort se répand également. Pendant quelques pages, "Exhalation" devient une allégorie manifeste des réactions humaines au changement climatique. "Nombreux sont ceux qui réclament une limitation stricte des activités afin de minimiser l'épaississement de notre atmosphère", écrit le narrateur, "les accusations de gaspillage d'air ont dégénéré en rixes furieuses". Une secte quasi-religieuse, les Inverseurs, gagne en popularité. Dans une parodie de la géo-ingénierie, ils construisent un moteur qui comprime l'air, augmentant ainsi la pression atmosphérique globale. "Hélas, observe le narrateur, le moteur lui-même était alimenté par l'air du réservoir..... Il n'a pas inversé l'égalisation, mais a permis d'augmenter la pression de l'air. Il n'a pas inversé l'égalisation mais, comme tout ce qui existe dans le monde, l'a exacerbée". Face à l'impossibilité d'empêcher la dégradation de l'atmosphère, les mécaniciens tentent de remodeler le cerveau lui-même, parallèlement aux adaptations transhumaines aux climats inhospitaliers. Tout cela n'aboutit à rien. Le narrateur termine l'histoire en spéculant sur un avenir possible, lorsqu'un explorateur intrépide franchira le mur de chrome et transformera le système fermé en un système ouvert. Les automates pourraient revivre, grâce à l'introduction d'une nouvelle pression, d'un nouveau souffle, mais leur esprit et leur culture ne survivraient pas.

Mais le souffle n'est rien d'autre qu'une technologie de survie. Je pense ici au travail de Jean-Thomas Tremblay sur le souffle en tant que technique féministe, ou aux archives d'Ashton Crawley sur le souffle dans les pratiques culturelles et spirituelles des Noirs. Les logiques médiatisées de sa mise en péril, de sa vulnérabilité et de sa force sont, comme l'affirme Tremblay, "autant une déclaration phénoménologique qu'une déclaration historique et culturelle". À ces archives respiratoires, j'ajouterais le souffle en tant que médiation environnementale. Cette médiation se produit à différents niveaux, depuis le brouillage par la respiration des frontières entre les médias et le corps jusqu'à la respiration en tant que modèle de réflexion sur le temps environnemental. Il est essentiel de noter qu'il ne s'agit pas d'un temps avec un début ou une fin, mais plutôt de cycles imbriqués de naissance et de décomposition, la médiation s'empilant sur elle-même. Quels nouveaux rythmes peuvent émerger ?

La temporalité de la conclusion d'"Exhalation" apporte une réponse provisoire. Les derniers paragraphes offrent une "valédiction"*, le narrateur s'adressant directement au lecteur. "Le même sort que celui qui m'a frappé t'attend-il ?" demandent-ils. Alors que la majeure partie du récit se déroule au passé, la fin s'inscrit dans un futur imaginé et s'adresse au lecteur à l'impératif : "Visualisez tout cela la prochaine fois que vous regarderez le monde gelé qui vous entoure, et il redeviendra, dans votre esprit, animé et vital. Telle est la temporalité de la spéculation, que Chiang présente comme un mode de réflexion sur l'effondrement écologique, qui ne prend pas l'effondrement comme une donnée et ne croit pas naïvement qu'il peut être évité. Il y a une fin, et il y a ce qui vient après la fin. L'après-fin est un espace de possibilités endeuillées :

Notre univers aurait pu glisser vers l'équilibre en n'émettant rien de plus qu'un sifflement silencieux. Le fait qu'il ait engendré une telle plénitude est un miracle, qui n'a d'égal que l'univers qui vous a donné naissance.

Respirer, c'est être médiateur du temps, pour soi mais aussi pour les autres. C'est être le médiateur de la possibilité du prochain souffle à venir, c'est coordonner et relier une multitude de systèmes naturels et culturels. Dans le cadre de la crise climatique, nous savons désormais de manière concluante que nos médias industriels sont à bout de souffle. Le défi que nous lance "Exhalation" est de les refaçonner pour qu'ils puissent soutenir le souffle.

Auteur: Moro Jeffrey

Info: https://jeffreymoro.com/blog/2022-04-01-defense-talk/ - 7 Jan 2021. Présentation faite dans le cadre du panel Environmental Media au MLA 2021, qui s'est tenu virtuellement. Pour les références du texte, voir directement sur le site. Trad Mg et DeepL. *Formule qui recommande le destinataire à la protection divine

[ homme-machine ] [ cadence ] [ science-fiction ] [ analyse de texte ] [ réchauffement climatique ] [ Gaïa ] [ tétravalence ] [ accélérationnisme ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

nanomonde verrouillé

Comment un tour de passe-passe mathématique a sauvé la physique des particules

La renormalisation est peut-être l'avancée la plus importante de la physique théorique depuis 50 ans. 

Dans les années 1940, certains physiciens avant-gardistes tombèrent sur une nouvelle couche de la réalité. Les particules n'existaient plus et les champs - entités expansives et ondulantes qui remplissent l'espace comme un océan - étaient dedans. Une ondulation dans un champ était un électron, une autre un photon, et leurs interactions semblaient expliquer tous les événements électromagnétiques.

Il n'y avait qu'un seul problème : la théorie était constituée d'espoirs et de prières. Ce n'est qu'en utilisant une technique appelée "renormalisation", qui consiste à occulter soigneusement des quantités infinies, que les chercheurs purent éviter les prédictions erronées. Le processus fonctionnait, mais même ceux qui développaient la théorie soupçonnaient qu'il s'agissait d'un château de cartes reposant sur un tour de passe-passe mathématique tortueux.

"C'est ce que j'appellerais un processus divertissant", écrira plus tard Richard Feynman. "Le fait de devoir recourir à de tels tours de passe-passe nous a empêchés de prouver que la théorie de l'électrodynamique quantique est mathématiquement cohérente.

La justification vint des décennies plus tard, d'une branche de la physique apparemment sans rapport. Les chercheurs qui étudiaient la magnétisation découvrirent que la renormalisation ne concernait aucunement les infinis. Elle évoquait plutôt la séparation de l'univers en domaines de tailles distinctes, point de vue qui guide aujourd'hui de nombreux domaines de la physique.

La renormalisation, écrit David Tong, théoricien à l'université de Cambridge, est "sans doute l'avancée la plus importante de ces 50 dernières années dans le domaine de la physique théorique".

L'histoire de deux charges

Selon certains critères, les théories des champs sont les théories les plus fructueuses de toute la science. La théorie de l'électrodynamique quantique (QED), qui constitue l'un des piliers du modèle standard de la physique des particules, a permis de faire des prédictions théoriques qui correspondent aux résultats expérimentaux avec une précision d'un sur un milliard.

Mais dans les années 1930 et 1940, l'avenir de la théorie était loin d'être assuré. L'approximation du comportement complexe des champs donnait souvent des réponses absurdes et infinies, ce qui amena certains théoriciens à penser que les théories des champs étaient peut-être une impasse.

Feynman et d'autres cherchèrent de toutes nouvelles perspectives - éventuellement même susceptibles de ramener les particules sur le devant de la scène - mais ils finirent par trouver un moyen de contourner l'obstacle. Ils constatèrent que les équations QED  permettaient d'obtenir des prédictions respectables, à condition qu'elles soient corrigées par la procédure impénétrable de renormalisation.

L'exercice est le suivant. Lorsqu'un calcul QED conduit à une somme infinie, il faut l'abréger. Mettez la partie qui tend vers l'infini dans un coefficient - un nombre fixe - placé devant la somme. Remplacez ce coefficient par une mesure finie provenant du laboratoire. Enfin, laissez la somme nouvellement apprivoisée retourner à l'infini.

Pour certains, cette méthode s'apparente à un jeu de dupes. "Ce ne sont tout simplement pas des mathématiques raisonnables", écrivit Paul Dirac, théoricien quantique novateur.

Le cœur du problème - germe de sa solution éventuelle - se trouve dans la manière dont les physiciens ont traité la charge de l'électron.

Dans ce schéma la charge électrique provient du coefficient - la valeur qui engloutit l'infini au cours du brassage mathématique. Pour les théoriciens qui s'interrogeaient sur la signification physique de la renormalisation, la théorie QED laissait entendre que l'électron avait deux charges : une charge théorique, qui était infinie, et la charge mesurée, qui ne l'était pas. Peut-être que le noyau de l'électron contenait une charge infinie. Mais dans la pratique, les effets de champ quantique (qu'on peut visualiser comme un nuage virtuel de particules positives) masquaient l'électron, de sorte que les expérimentateurs ne mesuraient qu'une charge nette modeste.

Deux physiciens, Murray Gell-Mann et Francis Low, concrétisèrent cette idée en 1954. Ils ont relié les deux charges des électrons à une charge "effective" qui varie en fonction de la distance. Plus on se rapproche (et plus on pénètre le manteau positif de l'électron), plus la charge est importante.

Leurs travaux furent les premiers à lier la renormalisation à l'idée d'échelle. Ils laissaient entendre que les physiciens quantiques avaient trouvé la bonne réponse à la mauvaise question. Plutôt que de se préoccuper des infinis, ils auraient dû s'attacher à relier le minuscule à l'énorme.

La renormalisation est "la version mathématique d'un microscope", a déclaré Astrid Eichhorn, physicienne à l'université du Danemark du Sud, qui utilise la renormalisation pour ses recherches en théorie de la gravité quantique. "Et inversement, vous pouvez commencer par le système microscopique et faire un zoom arrière. C'est une combinaison de microscope et de télescope".

La renormalisation capture la tendance de la nature à se subdiviser en mondes essentiellement indépendants.

Les aimants sauvent la mise

Un deuxième indice apparut dans le monde de la matière condensée, ici les physiciens s'interrogeaient sur la manière dont un modèle magnétique grossier parvenait à saisir les détails de certaines transformations. Le modèle d'Ising n'était guère plus qu'une grille de flèches atomiques qui ne pouvaient pointer que vers le haut ou vers le bas, mais il prédisait les comportements d'aimants réels avec une perfection improbable.

À basse température, la plupart des atomes s'alignent, ce qui magnétise le matériau. À haute température, ils deviennent désordonnés et le réseau se démagnétise. Mais à un point de transition critique, des îlots d'atomes alignés de toutes tailles coexistent. Il est essentiel de noter que la manière dont certaines quantités varient autour de ce "point critique" semble identique dans le modèle d'Ising, dans les aimants réels de différents matériaux et même dans des systèmes sans rapport, tels que la transition à haute pression où l'eau devient indiscernable de la vapeur d'eau. La découverte de ce phénomène, que les théoriciens ont appelé universalité, était aussi bizarre que de découvrir que les éléphants et les aigrettes se déplacent exactement à la même vitesse de pointe.

Les physiciens n'ont pas pour habitude de s'occuper d'objets de tailles différentes en même temps. Mais ce comportement universel autour des points critiques les obligea à tenir compte de toutes les échelles de longueur à la fois.

Leo Kadanoff, chercheur dans le domaine de la matière condensée, a compris comment procéder en 1966. Il a mis au point une technique de "spin par blocs", en décomposant une grille d'Ising trop complexe pour être abordée de front, en blocs modestes comportant quelques flèches par côté. Il calcula l'orientation moyenne d'un groupe de flèches et  remplaça tout le bloc par cette valeur. En répétant le processus, il lissa les détails fins du réseau, faisant un zoom arrière pour comprendre le comportement global du système.

Enfin, Ken Wilson -  ancien étudiant de Gell-Mann qui avait les pieds tant dans le monde de la physique des particules et de la matière condensée -  réunit les idées de Gell-Mann et de Low avec celles de Kadanoff. Son "groupe de renormalisation", qu'il décrivit pour la première fois en 1971, justifiait les calculs tortueux de la QED et a fourni une échelle permettant de gravir les échelons des systèmes universels. Ce travail a valu à Wilson un prix Nobel et a changé la physique pour toujours.

Selon Paul Fendley, théoricien de la matière condensée à l'université d'Oxford, la meilleure façon de conceptualiser le groupe de renormalisation de Wilson est de le considérer comme une "théorie des théories" reliant le microscopique au macroscopique.

Considérons la grille magnétique. Au niveau microscopique, il est facile d'écrire une équation reliant deux flèches voisines. Mais extrapoler cette simple formule à des trillions de particules est en fait impossible. Vous raisonnez à la mauvaise échelle.

Le groupe de renormalisation de Wilson décrit la transformation d'une théorie des éléments constitutifs en une théorie des structures. On commence avec une théorie de petits éléments, par exemple les atomes d'une boule de billard. On tourne la manivelle mathématique de Wilson et on obtient une théorie connexe décrivant des groupes de éléments, par exemple les molécules d'une boule de billard. En continuant de tourner la manivelle, on obtient des groupes de plus en plus grands - grappes de molécules de boules de billard, secteurs de boules de billard, et ainsi de suite. Finalement, vous voilà en mesure de calculer quelque chose d'intéressant, comme la trajectoire d'une boule de billard entière.

Telle est la magie du groupe de renormalisation : Il permet d'identifier les quantités à grande échelle qu'il est utile de mesurer et les détails microscopiques alambiqués qui peuvent être ignorés. Un surfeur s'intéresse à la hauteur des vagues, et non à la bousculade des molécules d'eau. De même, en physique subatomique, la renormalisation indique aux physiciens quand ils peuvent s'occuper d'un proton relativement simple plutôt que de son enchevêtrement de quarks intérieurs.

Le groupe de renormalisation de Wilson suggère également que les malheurs de Feynman et de ses contemporains venaient du fait qu'ils essayaient de comprendre l'électron d'infiniment près. "Nous ne nous attendons pas à ce que  ces théories soient valables jusqu'à des échelles [de distance] arbitrairement petites", a déclaré James Fraser, philosophe de la physique à l'université de Durham, au Royaume-Uni. Ajoutant : "La coupure absorbe notre ignorance de ce qui se passe aux niveaux inférieurs".

En d'autres termes, la QED et le modèle standard ne peuvent tout simplement pas dire quelle est la charge nue de l'électron à une distance de zéro nanomètre. Il s'agit de ce que les physiciens appellent des théories "effectives". Elles fonctionnent mieux sur des distances bien définies. L'un des principaux objectifs de la physique des hautes énergies étant de découvrir ce qui se passe exactement lorsque les particules deviennent encore plus proches.

Du grand au petit

Aujourd'hui, le "dippy process" de Feynman est devenu aussi omniprésent en physique que le calcul, et ses mécanismes révèlent les raisons de certains des plus grands succès de la discipline et de ses défis actuels. Avec la renormalisation, les câpres submicroscopiques compliqués ont tendance à disparaître. Ils sont peut-être réels, mais ils n'ont pas d'incidence sur le tableau d'ensemble. "La simplicité est une vertu", a déclaré M. Fendley. "Il y a un dieu là-dedans.

Ce fait mathématique illustre la tendance de la nature à se diviser en mondes essentiellement indépendants. Lorsque les ingénieurs conçoivent un gratte-ciel, ils ignorent les molécules individuelles de l'acier. Les chimistes analysent les liaisons moléculaires mais ignorent superbement les quarks et les gluons. La séparation des phénomènes par longueur, quantifiée par le groupe de renormalisation, a permis aux scientifiques de passer progressivement du grand au petit au cours des siècles, plutôt que briser toutes les échelles en même temps.

En même temps, l'hostilité de la renormalisation à l'égard des détails microscopiques va à l'encontre des efforts des physiciens modernes, avides de signes du domaine immédiatement inférieur. La séparation des échelles suggère qu'ils devront creuser en profondeur pour surmonter le penchant de la nature à dissimuler ses points les plus fins à des géants curieux comme nous.

"La renormalisation nous aide à simplifier le problème", explique Nathan Seiberg, physicien théoricien à l'Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New Jersey. Mais "elle cache aussi ce qui se passe à très courte distance. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre".


Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/. Charlie Wood, september 17, 2020

 

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Ajouté à la BD par miguel

covid 1984

Dans un récent entretien avec Vice, le dénonciateur de la NSA, Edward Snowden, a exprimé ses inquiétudes concernant le programme de surveillance à venir, l’appelant "l’architecture de l’oppression". Nous avons demandé à Lucien Cerise son analyse du nouveau contrôle social à venir.



R/ L’état d’urgence sanitaire est-il pour vous un bon moyen pour les gouvernements mondiaux de poursuivre la réduction de nos libertés collectives et individuelles ? Pour vous, le confinement est-il un instrument d’ingénierie sociale ?



- Cet état d’urgence sanitaire est le prétexte idéal pour tenter de fabriquer le consentement des populations à une transformation du lien social sur une base transhumaniste, c’est-à-dire fondée sur un encadrement scientifique général, présentant un fort caractère carcéral et concentrationnaire, et allant dans le sens de l’artificialisation et de la réification du vivant, sa chosification, sa réduction à un objet. On peut reprendre à Michel Foucault et Giorgio Agamben la notion de biopouvoir pour décrire un pouvoir politique qui étudie la biologie, la médecine et les sciences de la vie autant que le droit ou l’économie. Le biopouvoir, qui n’est qu’une mise à jour de la notion d’eugénisme, se caractérise donc par une intrusion toujours croissante dans l’intimité physique des gens pour la modifier et surtout la contrôler.



En effet, ce qui dérange le biopouvoir, c’est la prolifération de la vie et de l’organique, impossible à contrôler totalement. Le transhumanisme est une tentative d’enfermement de l’organique dans une forme prétendument augmentée, mais surtout aseptisée, standardisée et sous contrôle, tentative de meurtre du vivant et de son aspect toujours imprévisible et débordant. Les gens normaux se refusent donc naturellement au transhumanisme. Pour parvenir à les emprisonner là-dedans malgré tout, il faut les séduire ou leur faire peur, afin de les soumettre volontairement par des manœuvres d’ingénierie sociale du type "pompier pyromane" et triangle de Karpman, consistant à exploiter les projections psycho-émotionnelles de la trilogie bourreau/victime/sauveur.



Cela commence par le déclenchement d’une crise, suivi d’une opération d’hameçonnage (phishing), c’est-à-dire un piratage de l’esprit par usurpation d’identité et abus de confiance, où le responsable de la crise, en position de "bourreau", se présente comme le "sauveur" qui va protéger les "victimes" de la crise. Quand le piratage est accompli, que le bourreau a gagné la confiance de la population victime et qu’elle s’ouvre à lui en abaissant ses défenses parce qu’elle le perçoit comme un sauveur, alors le pirate-bourreau peut passer à la deuxième phase sans rencontrer de résistance, c’est-à-dire la réécriture de l’architecture sociale selon un nouveau plan présenté comme une solution de sortie de crise. Cette restructuration du lien social consiste à prendre le contrôle des relations que les gens entretiennent librement pour les recomposer à leur place. Comment ? Cela se fait toujours en jouant sur les relations de confiance et de méfiance, afin de prendre le contrôle des relations de proximité et de distance. Avec cette crise du coronavirus, la relation à autrui et au monde est réécrite pour être fondée sur la méfiance et la paranoïa, selon une sorte de conflit triangulé généralisé, où chacun est potentiellement bourreau de chacun. Je dois apprendre à me méfier d’autrui et de la nature, avec le maintien d’une distance entre moi, autrui et le monde, et cette distance m’est dictée par le biopouvoir auquel, en revanche, je suis tenu d’accorder une confiance aveugle, au risque d’être accusé de "conspirationnisme" et d’encourir des représailles judiciaires. En résumé : pour le biopouvoir, cette crise du Covid-19 doit couper l’Histoire en deux et faire entrer l’humanité dans une nouvelle ère où l’auto-organisation du vivant sera progressivement abolie pour être entièrement subordonnée et rationalisée par un pouvoir scientifique eugéniste.



R/ La surveillance numérique de masse passe par les fameuses applications d’Apple ou de Google de contrôle sanitaire. Comment les États et les grandes multinationales de la Silicon Valley se partagent les informations et les rôles dans cette opération ?



Les États et les grandes multinationales sont toujours en fait dirigés directement ou indirectement par ce que l’on appelle le complexe militaro-industriel, qui n’est pas exclusivement américain, chaque pays possède le sien, mais celui des USA est le plus agressif. L’avant-garde de la recherche scientifique est toujours sponsorisée, surveillée et récupérée en premier lieu par les unités de "recherche et développement" militaires. Au niveau géopolitique international, tout est militarisé (weaponized, comme disent les anglophones), tout est rapport de forces, tout est volonté de puissance et relations dominant/dominé. Les applications de géolocalisation et de surveillance numérique de masse sont des outils de contrôle social, c’est-à-dire en fait de militarisation des comportements.



Nous sommes dans une guerre hybride mondiale. Par exemple, la Chine, qui est sous attaque permanente des USA et des réseaux de George Soros, a besoin de militariser et discipliner sa population par un encadrement informatique global. Afin de conserver sa souveraineté numérique et le contrôle de sa population, la Chine doit aussi prévenir et limiter les risques de piratages informatiques de l’étranger, d’où la campagne lancée par Pékin pour débarrasser totalement son parc informatique des systèmes d’exploitation étrangers, dont le plus connu est Windows de Microsoft, et développer de nouveaux systèmes d’exploitation et outils informatiques de conception chinoise et fabriqués en Chine, et qui seront dépourvus des backdoors et autres logiciels espions de la NSA.



À terme, la Chine va donc devenir un trou noir pour les services de renseignement anglophones, les Five Eyes de l’accord UKUSA et du système Echelon, et leurs associés israéliens et autres. Dans quelques années, il sera pratiquement impossible de pirater, espionner et attaquer le parc informatique chinois, qui sera beaucoup mieux sécurisé qu’aujourd’hui. Cet exemple chinois aura une forte capacité d’entraînement à l’internationale et fera des émules par effet domino en Asie et partout dans le monde. On comprend que cette émancipation chinoise de l’hégémonie numérique occidentale provoque un vent de panique de la Silicon Valley à Washington en passant par Tel-Aviv : c’est la fin du projet néoconservateur de domination mondiale. Ce qui ne veut pas dire que le gouvernement chinois va instaurer le paradis sur Terre, mais qu’il pourra certainement relâcher la surveillance de sa population quand les risques de déstabilisation de la Chine par des attaques extérieures et intérieures de cinquièmes colonnes pro-occidentales auront été jugulés.



R/ Les Français auront-ils le choix de refuser le traçage numérique ?



Pour le biopouvoir, il n’est pas prévu que nous ayons le choix. Comme beaucoup de gens, je vois les pièces du puzzle s’assembler depuis un certain temps, mais c’est l’affaire de Tarnac en 2008 qui a joué pour moi un rôle de catalyseur et m’a poussé à rédiger un texte que j’ai publié sous anonymat, Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation.



J’exposais dans cet opuscule comment certaines forces politiques et économiques cherchaient à implémenter une dictature numérique au moyen d’une stratégie du choc qui pouvait être une épidémie, et je citais à l’appui de cette prospective un texte manifeste de 2004, le Livre Bleu, rédigé par le lobby du numérique en France, le GIXEL (devenu ACSIEL en 2013), dans lequel étaient exposés certains stratagèmes pour faire accepter dans l’opinion publique le développement de l’identité numérique. Dans le cadre de sa fondation ID-2020, Bill Gates élabore aussi un système d’identification numérique pour le monde entier et cherche à le vendre ainsi : à cause du coronavirus, il faut vacciner toute la planète, et nous devons tous recevoir un certificat numérique de vaccination. Plusieurs technologies de certificat numérique plus ou moins invasives sont à l’étude : dans votre Smartphone ; dans un bracelet électronique ; sur la peau sous forme de tatouage à points quantiques ; sous la peau sous forme de puces électroniques. Si finalement nous pouvons avoir le choix et échapper à ce sort, c’est parce que nous aurons remporté le rapport de forces pour dire "Non !" Tout est axé autour de la formule confinement/distanciation sociale/vaccination/surveillance électronique, dont il faut attaquer chaque point.



R/ Que nous réserve la suite des événements, selon vous ?



En fait, il faut se poser la question : comment vais-je peser sur la suite des événements ? Il faut sortir du rôle de spectateur ou d’analyste des événements, il faut créer les événements. Le biopouvoir mondialiste a de gros moyens financiers pour créer des événements au niveau international, impacter le réel et écrire l’Histoire. Il possède des millions, donc, en face, nous devons être des millions.



Nous n’avons pas le capital économique, mais nous avons le capital humain. Pour créer l’événement, impacter le réel et écrire l’Histoire contre le biopouvoir, pour faire dérailler son programme, il faut se poser deux questions concrètes : comment gagner la bataille de l’opinion publique et comment organiser les masses politiquement ?



La bataille de l’opinion publique se gagne en se formant aux méthodes de communication stratégique et d’ingénierie sociale, rhétorique et retournement de l’opinion (spin), dans le réel ou sur les réseaux sociaux, du moins tant que c’est possible, car la prochaine crise devrait être cyber et toucher Internet, comme l’a annoncé Alain Bauer. Cette grande crise cybernétique et numérique, d’ampleur géopolitique et déclenchée par un virus informatique qui provoquerait le "bug du siècle", permettra au pouvoir de couper Internet au moins partiellement, et surtout de mettre fin à la réinformation indépendante avec un bon prétexte. C’est le programme du Grand Confinement, par l’addition du confinement physique et du confinement mental – cognitif et informationnel.



Le but ultime est d’abolir toute auto-organisation du peuple, donc toute autonomie dans l’organisation horizontale de la société. Pour cela, il faut d’abord couper les gens physiquement les uns des autres dans le réel, par le confinement physique, la distanciation sociale, le télétravail, et tenter de pérenniser ce nouvel ordre social en annonçant que "plus rien ne sera comme avant", comme on nous le martèle depuis des semaines. Puis, dans un deuxième temps, au prétexte d’une crise numérique globale, le pouvoir coupera les gens les uns des autres dans le virtuel aussi, avec un Internet en mode dégradé, limité au télétravail et à quelques messageries et portails inoffensifs, usages qui seront malgré tout conservés, ce qui sera présenté comme une victoire. Il faut essayer d’imaginer l’enfer que serait un confinement physique sans Internet, c’est-à-dire sans aucun accès à la réinformation, sans aucune possibilité de comprendre ce qui se passe car nous serions enfermés physiquement à domicile, ou dans un périmètre limité, et enfermés mentalement dans la narration exclusive du pouvoir, dans une seule version des événements. Dans d’autres publications, j’ai baptisé cette fabrique de l’aliénation mentale "reality-building", car elle repose sur le principe de l’hypnose : la parole de l’hypnotiseur devient la réalité de l’hypnotisé. 



Comment cela est-il possible ? Parce que l’hypnotisé, qui n’est pas forcément endormi, n’a pas d’autre source d’information que la parole de l’hypnotiseur. Avant d’en arriver là, avant qu’il ne soit trop tard, il y a urgence à gagner le combat politique, ce qui signifie prendre le pouvoir, et ne pas se contenter des contre-pouvoirs, dans la rue ou sur Internet, qui risquent fort de devenir impraticables de toute façon. Prendre le pouvoir signifie être en capacité de se faire obéir par les forces de l’ordre. L’activité métapolitique n’est donc pas suffisante, il faut investir aussi le champ politique du pouvoir légal. Les forces de l’ordre, qui ont une capacité de contrainte sur votre corps et votre esprit, n’obéissent pas à la métapolitique mais au gouvernement et à ses représentants locaux, c’est-à-dire à l’État. Il faut donc reprendre le contrôle de l’État si nous voulons sortir de l’impuissance à laquelle la métapolitique nous limite. Ceci suppose d’organiser les masses de manière structurée dans une perspective de conquête du pouvoir, ce qui suppose à son tour, et inévitablement, de jouer le jeu quelque peu ingrat de la politique politicienne et des organisations politiques de masse.

Auteur: Cerise Lucien

Info: Sur rebellion-sre.fr, 6 mai 2020

[ géopolitique ] [ anti-mondialisme ] [ manipulation des masses ]

 
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bêtise bipolaire

Il ne fait aucun doute que les IA sont biaisées. Mais beaucoup déclarent que ces problématiques de l'IA existent parce que nous humains sommes imparfaits, plus que les machines. "Les machines sont-elles condamnées à hériter des préjugés humains ?", titrent les journaux. "Les préjugés humains sont un énorme problème pour l'IA. Voilà comment on va arranger ça." Mais ces récits perpétuent une dangereuse erreur algorithmique qu'il faut éviter.

Oui, les humains sont subjectifs. Oui, malgré les efforts conscients et inconscients de ne pas l'être, nous faisons de la discrimination, nous stéréotypons et portons toutes sortes de jugements de valeur sur les gens, les produits et la politique. Mais nos préjugés ne sont pas correctement mesurés ou modélisés par les machines. Non, les tendances machine sont dues à la logique même de la collecte des données : le système binaire.

Le système binaire est la chaîne de 0 et 1 à la base de tous les systèmes informatiques. Cette méthode mathématique permet de réduire et de calculer efficacement les grands nombres et, deuxièmement, elle permet la conversion de l'alphabet et de la ponctuation en ASCII (American Standard Code for Information Interchange).

Mais ne vous laissez pas berner : Ces 0 et 1 ne signifient pas que la machine comprend le monde et les langages comme nous le faisons : "La plupart d'entre nous, la plupart du temps, suivons des instructions qui nous sont données par ordinateur plutôt que l'inverse ", explique l'historien des technologies George Dyson. Afin de pouvoir communiquer avec les ordinateurs, nous sommes ajustés et orientés vers leur logique, et non vers la nôtre.

Le système binaire réduit tout à des 0 et des 1 insignifiants, quand la vie et l'intelligence font fonctionner XY en tandem. lui rend la lecture et le traitement des données quantitatives plus pratiques, plus efficaces et plus rentables pour les machines. Mais c'est au détriment des nuances, de la richesse, du contexte, des dimensions et de la dynamique de nos langues, cultures, valeurs et expériences.

Il ne faut pas accabler ici les développeurs de la Silicon Valley pour ce système binaire biaisé - mais plutôt Aristote.

Le parti pris binaire d'Aristote
Si vous pensez à Aristote, vous pensez probablement au philosophe grec antique comme à un des pères fondateurs de la démocratie, et non comme l'ancêtre de siècles de logique mécanique et de méthodes scientifiques erronées. C'est cependant sa théorie du "dualisme", selon laquelle quelque chose est soit vrai soit faux, logique ou illogique, qui nous a mis dans cette situation délicate en premier lieu.

Vers 350 av. J.-C., Aristote voulut réduire et structurer la complexité du monde. Pour ce faire, il fit des emprunts à la Table des Opposés de Pythagore, dans laquelle deux éléments sont comparés :

fini, infini... impair, pair... un, beaucoup... droite, gauche... repos, mouvement... droit, tordu... etc.

Mais au lieu d'appliquer ce dualisme à la géométrie neutre comme l'avait fait Pythagore, Aristote l'appliqua aux personnes, aux animaux et à la société. Ce faisant, il conçut un patriarcat hiérarchique social polarisé clivant, enraciné dans ses valeurs internes et ses préjugés : Les objets qu'il ordonnait avoir plus de valeur devinrent des 1, et ceux de moindre importance des 0. En ce qui concerne les femmes, par exemple, il écrivit : "La relation de l'homme à la femme est par nature une relation de supérieur à inférieur et de souverain à gouverné."

Hélas, le système de classification hiérarchique d'Aristote a été implémenté dans l'IA, la pondérant en faveur d'hommes comme lui. Le système même sur lequel toute la technologie moderne est construite contient les artefacts du sexisme d'il y a 2 000 ans.

1 = vrai = rationnel = droit = masculin
0 = faux = émotionnel = gauche = féminin
Si Aristote avait créé la démocratie - et la démocratie est censée être une véritable représentation - femmes et gens de couleur auraient dû avoir un accès égal à l'éducation, avoir voix au chapitre dans les forums et avoir le droit de vote en 350 av. JC. Il n'aurait pas été nécessaire de se battre jusqu'en 1920 pour que le vote féminin soit ratifié aux Etats-Unis. Il n'y aurait pas eu d'esclavage et pas besoin du mouvement pour les droits civiques. Tout le monde aurait été classé et considéré comme égal dès le départ.

Le classement biaisé d'Aristote est maintenant verrouillé et renforcé par plus de 15 millions d'ingénieurs.
Aristote aurait dû lire les notes de son prédécesseur, Socrate. Selon les souvenirs de Platon, Socrate considérait les oracles féminins de Delphes comme "un guide essentiel du développement personnel et de l'état". De plus, dans le Symposium de Platon, Socrate se souvient de l'époque où il était l'élève de Diotima de Mantinea, une femme philosophe dont il tenait en haute estime l'intelligence. Dans le livre V, Socrate est crédité d'avoir suggéré que les femmes sont également qualifiées pour diriger et gouverner : "Il n'y a pas de pratique des gouverneurs d'une ville qui appartient à une femme parce qu'elle est une femme, ou à un homme parce qu'il est un homme."

Mais au lieu que les idées de Socrate sur l'égalité enracinent les idées occidentales sur l'intelligence, nous nous sommes retrouvés avec la logique d'Aristote et son classement biaisé sans être conscients de ses origines binaires et anti-démocratiques.

Mais ne blâmons pas seulement Aristote. Deux autres coquins ont contribué à ces problèmes sociaux et scientifiques : Descartes et Leibniz.

Descartes - philosophe français du XVIIe siècle qui a inventé l'expression "je pense, donc je suis" -, a implanté l'idée qu'un sujet n'a ni matière ni valeur autre que ce que le visiteur attribue et déduit. (S'il avait dit "Nous pensons, donc nous sommes", cela aurait mieux reflété comment nous sommes symbiotiquement informés par les perceptions les uns et des autres.)

En outre, Descartes a proposé une plus grande séparation de l'esprit du corps et des émotions dans son traité de 1641, Méditations sur la Première Philosophie. Il a soutenu que nos esprits sont dans le domaine du spirituel tandis que nos corps et nos émotions sont dans le domaine du physique, et que les deux royaumes ne peuvent pas s'influencer mutuellement. Ce qui a causé des problèmes en IA parce que maintenant nous empilons des unités d'émotions sur des couches de classification binaires d'une manière artificielle et non intégrée. Encore du binaire.

La logique déductive-inductive de Descartes, qu'il explora dans son discours sur la méthode de 1637, fut créée parce qu'il était désabusé par les méthodes non systématiques des scientifiques de son temps. Il fit valoir que les mathématiques ont été construites sur une "base solide", et a donc cherché à établir un nouveau système de vérité fondée sur Aristote 1 = vrai = valide, et 0 = faux = invalide. La différence étant qu'il a mis les lignes de la logique syllogistique d'Aristote au sein d'une structure arborescente. Structures arborescentes qui sont maintenant utilisées dans les réseaux neuronaux récurrents du NLP (Natural Language Processing)

Vint ensuite Leibniz, le philosophe et avocat allemand inventa le calcul indépendamment de son contemporain, Newton. Il créa le système binaire entre 1697 et 1701 afin d'obtenir des verdicts "oui/non" plus rapides et ainsi réduire les grands nombres en unités plus faciles à gérer de 0 et 1.

Contrairement aux autres, Leibniz était sinophile. En 1703, le prêtre jésuite Bouvet lui avait envoyé une copie du Yi King (le Livre des Changements), artefact culturel chinois dont l'origine remonte à 5.000 ans. Il était fasciné par les similitudes apparentes entre les lignes horizontales et les intervalles des hexagrammes du Yi King et les 0 et 1 des lignes verticales de son système binaire. Il interpréta faussement ces intervalles comme étant du vide (donc zéro) croyant (à tort) que les hexagrammes confirmaient que son système binaire était la bonne base pour un système logique universel.

Leibniz fit trois autres erreurs majeures. Tout d'abord, il a fit pivoter les hexagrammes de leurs positions horizontales naturelles vers les positions verticales pour les faire correspondre à ses lignes binaires. Deuxièmement, il les sépara du contexte des symboles chinois et des chiffres correspondants. Troisièmement, puisqu'il n'était pas chinois et qu'il ne comprenait pas l'héritage philosophique ou la langue, il supposa que les hexagrammes représentaient les nombres 0 et 1 lorsqu'ils représentent des énergies négatives et positives, Yin Yang, homme et femme. Erreurs qui signifient que Leibniz perdit beaucoup d'informations et de connaissances venant des codes du Yi King et de la vraie signification de ses hexagrammes.

Au lieu de créer un système universel cohérent, le système binaire de Leibniz renforça les modèles de pensée occidentale de Descartes amplifiant la base biaisée d'Aristote, nous verrouillant davantage, nous et les machines que nous avons créées, vers une logique non naturelle.

Le système binaire dans l'informatique moderne
Les classifications binaires d'Aristote sont donc maintenant évidentes dans tous les systèmes de données d'aujourd'hui, servant, préservant, propageant et amplifiant les biais partout dans les couches d'apprentissage machine.

Exemples de biais binaires dans les front-end utilisateur et le traitement des données :

glissement à droite = 1, glissement à gauche = 0
cliquer sur "like" sur Facebook = 1, pas cliquer sur like = 0
nos émotions complexes étant attribuées grossièrement comme positives = 1, négatives = 0 dans les cadres du NPL
convertir des paires d'objets comparés et leurs caractéristiques en 0 ou 1, par exemple pomme = 1, orange = 0, ou lisse = 1, bosselé = 0
lignes et colonnes pleines de 0 et de 1 dans des graphes géants "big data"
Mais le problème de la logique binaire est qu'elle ne permet pas de comprendre et de modéliser pourquoi et comment les gens ont choisi une option plutôt qu'une autre. Les machines enregistrent simplement que les gens ont fait un choix, et qu'il y a un résultat

Les machines sont donc étalonnées à partir de ces biais binaires, pas à partir des nôtres. Bien sûr, nous sommes remplis de nos propres défauts et faiblesses très humains, mais les cadres conceptuels informatiques existants sont incapables de corriger ces erreurs (et les ingénieurs n'écrivent que du code qui correspond aux limites de l'ancienne logique).

Heureusement, il existe une alternative. Les philosophies occidentales d'Aristote, de Descartes et de Leibniz sont opposées aux philosophies orientales, elles fondées sur l'équilibre naturel, la cohérence et l'intégration. Le concept chinois de Yin Yang, par exemple, met l'accent sur la dynamique égale et symbiotique du masculin et du féminin en nous et dans l'univers. Ces idées décrites dans le Yi King, que Leibniz n'a pas reconnues.

La nature rejette également le binaire. Des milliards d'années avant que le parti pris d'Aristote ne s'imprime dans la logique informatique occidentale, la nature codifiait l'intelligence comme la coexistence entrelacée de la femme X et de l'homme Y dans notre ADN. De plus, la recherche quantique a montré que les particules peuvent avoir des états de superposition enchevêtrés où elles sont à la fois 0 et 1 en même temps, tout comme le Yin Yang. La nature ne fonctionne pas en binaire, pas même avec les pigeons. Alors pourquoi le faisons-nous en informatique ?

Nous ne classons et ne qualifions pas nécessairement le monde qui nous entoure avec les préjugés hiérarchiques binaires d'Aristote. Mais la façon dont les données sont recueillies est noir (0) et blanc (1), avec des nuances de gris fournies par des pourcentages de ces données, alors que la nature et les philosophies orientales montrent que nos perceptions ne sont que vagues de couleurs mélangées ou arc-en-ciel.

Tant que nous n'aurons pas conçu des modes de catégorisation non binaires et plus holistiques en IA, les ordinateurs ne seront pas en mesure de modéliser l'image animée en technicolor de notre intelligence. Ce n'est qu'alors que les machines représenteront nos divers langages, raisonnements, valeurs, cultures, qualités et comportements humains.

Auteur: Twain Liu

Info: https://qz.com/1515889/aristotles-binary-philosophies-created-todays-ai-bias/?utm_source=facebook&utm_medium=partner-share&utm_campaign=partner-bbc

[ rationalisme occidental ] [ logique formelle ] [ intelligence artificielle ] [ Asie ] [ sciences ]

 
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legos protéiques

De nouveaux outils d’IA prédisent comment les blocs de construction de la vie s’assemblent

AlphaFold3 de Google DeepMind et d'autres algorithmes d'apprentissage profond peuvent désormais prédire la forme des complexes en interaction de protéines, d'ADN, d'ARN et d'autres molécules, capturant ainsi mieux les paysages biologiques des cellules.

Les protéines sont les machines moléculaires qui soutiennent chaque cellule et chaque organisme, et savoir à quoi elles ressemblent sera essentiel pour comprendre comment elles fonctionnent normalement et fonctionnent mal en cas de maladie. Aujourd’hui, les chercheurs ont fait un grand pas en avant vers cet objectif grâce au développement de nouveaux algorithmes d’apprentissage automatique capables de prédire les formes rdéployées et repliées non seulement des protéines mais aussi d’autres biomolécules avec une précision sans précédent.

Dans un article publié aujourd'hui dans Nature , Google DeepMind et sa société dérivée Isomorphic Labs ont annoncé la dernière itération de leur programme AlphaFold, AlphaFold3, capable de prédire les structures des protéines, de l'ADN, de l'ARN, des ligands et d'autres biomolécules, seuls ou liés ensemble dans différentes configurations. Les résultats font suite à une mise à jour similaire d'un autre algorithme de prédiction de structure d'apprentissage profond, appelé RoseTTAFold All-Atom, publié en mars dans Science .

Même si les versions précédentes de ces algorithmes pouvaient prédire la structure des protéines – une réussite remarquable en soi – elles ne sont pas allées assez loin pour dissiper les mystères des processus biologiques, car les protéines agissent rarement seules. "Chaque fois que je donnais une conférence AlphaFold2, je pouvais presque deviner quelles seraient les questions", a déclaré John Jumper, qui dirige l'équipe AlphaFold chez Google DeepMind. "Quelqu'un allait lever la main et dire : 'Oui, mais ma protéine interagit avec l'ADN.' Pouvez-vous me dire comment ?' " Jumper devrait bien admettre qu'AlphaFold2 ne connaissait pas la réponse.

Mais AlphaFold3 pourrait le faire. Avec d’autres algorithmes d’apprentissage profond émergents, il va au-delà des protéines et s’étend sur un paysage biologique plus complexe et plus pertinent qui comprend une bien plus grande diversité de molécules interagissant dans les cellules.

" On découvre désormais toutes les interactions complexes qui comptent en biologie ", a déclaré Brenda Rubenstein , professeure agrégée de chimie et de physique à l'Université Brown, qui n'a participé à aucune des deux études. " On commence à avoir une vision plus large."

Comprendre ces interactions est " fondamental pour la fonction biologique ", a déclaré Paul Adams , biophysicien moléculaire au Lawrence Berkeley National Laboratory qui n’a également participé à aucune des deux études. " Les deux groupes ont fait des progrès significatifs pour résoudre ce problème. "

Les deux algorithmes ont leurs limites, mais ils ont le potentiel d’évoluer vers des outils de prédiction encore plus puissants. Dans les mois à venir, les scientifiques commenceront à les tester et, ce faisant, ils révéleront à quel point ces algorithmes pourraient être utiles.

Progrès de l’IA en biologie

L’apprentissage profond est une variante de l’apprentissage automatique vaguement inspirée du cerveau humain. Ces algorithmes informatiques sont construits à l’aide de réseaux complexes de nœuds d’information (appelés neurones) qui forment des connexions en couches les unes avec les autres. Les chercheurs fournissent au réseau d’apprentissage profond des données d’entraînement, que l’algorithme utilise pour ajuster les forces relatives des connexions entre les neurones afin de produire des résultats toujours plus proches des exemples d’entraînement. Dans le cas des systèmes d'intelligence artificielle protéique, ce processus amène le réseau à produire de meilleures prédictions des formes des protéines sur la base de leurs données de séquence d'acides aminés.

AlphaFold2, sorti en 2021, a constitué une avancée majeure dans l’apprentissage profond en biologie. Il a ouvert la voie à un monde immense de structures protéiques jusque-là inconnues et est déjà devenu un outil utile pour les chercheurs qui cherchent à tout comprendre, depuis les structures cellulaires jusqu'à la tuberculose. Cela a également inspiré le développement d’outils supplémentaires d’apprentissage biologique profond. Plus particulièrement, le biochimiste David Baker et son équipe de l’Université de Washington ont développé en 2021 un algorithme concurrent appelé RoseTTAFold , qui, comme AlphaFold2, prédit les structures protéiques à partir de séquences de données.

Depuis, les deux algorithmes ont été mis à jour avec de nouvelles fonctionnalités. RoseTTAFold Diffusion pourrait être utilisé pour concevoir de nouvelles protéines qui n’existent pas dans la nature. AlphaFold Multimer pourrait étudier l’interaction de plusieurs protéines. " Mais ce que nous avons laissé sans réponse ", a déclaré Jumper, " était : comment les protéines communiquent-elles avec le reste de la cellule ? "

Le succès des premières itérations d'algorithmes d'apprentissage profond de prédiction des protéines reposait sur la disponibilité de bonnes données d'entraînement : environ 140 000 structures protéiques validées qui avaient été déposées pendant 50 ans dans la banque de données sur les protéines. De plus en plus, les biologistes ont également déposé les structures de petites molécules, d'ADN, d'ARN et leurs combinaisons. Dans cette expansion de l'algorithme d'AlphaFold pour inclure davantage de biomolécules, " la plus grande inconnue ", a déclaré Jumper, "est de savoir s'il y aurait suffisamment de données pour permettre à l'algorithme de prédire avec précision les complexes de protéines avec ces autres molécules."

Apparemment oui. Fin 2023, Baker puis Jumper ont publié les versions préliminaires de leurs nouveaux outils d’IA, et depuis, ils soumettent leurs algorithmes à un examen par les pairs.

Les deux systèmes d'IA répondent à la même question, mais les architectures sous-jacentes de leurs méthodes d'apprentissage profond diffèrent, a déclaré Mohammed AlQuraishi , biologiste des systèmes à l'Université de Columbia qui n'est impliqué dans aucun des deux systèmes. L'équipe de Jumper a utilisé un processus appelé diffusion – technologie qui alimente la plupart des systèmes d'IA génératifs non basés sur du texte, tels que Midjourney et DALL·E, qui génèrent des œuvres d'art basées sur des invites textuelles, a expliqué AlQuraishi. Au lieu de prédire directement la structure moléculaire puis de l’améliorer, ce type de modèle produit d’abord une image floue et l’affine de manière itérative.

D'un point de vue technique, il n'y a pas de grand saut entre RoseTTAFold et RoseTTAFold All-Atom, a déclaré AlQuraishi. Baker n'a pas modifié massivement l'architecture sous-jacente de RoseTTAFold, mais l'a mise à jour pour inclure les règles connues des interactions biochimiques. L'algorithme n'utilise pas la diffusion pour prédire les structures biomoléculaires. Cependant, l'IA de Baker pour la conception de protéines le fait. La dernière itération de ce programme, connue sous le nom de RoseTTAFold Diffusion All-Atom, permet de concevoir de nouvelles biomolécules en plus des protéines.

" Le type de dividendes qui pourraient découler de la possibilité d'appliquer les technologies d'IA générative aux biomolécules n'est que partiellement réalisé grâce à la conception de protéines", a déclaré AlQuraishi. "Si nous pouvions faire aussi bien avec de petites molécules, ce serait incroyable." 

Évaluer la concurrence

Côte à côte, AlphaFold3 semble être plus précis que RoseTTAFold All-Atom. Par exemple, dans leur analyse dans Nature , l'équipe de Google a constaté que leur outil est précis à environ 76 % pour prédire les structures des protéines interagissant avec de petites molécules appelées ligands, contre une précision d'environ 42 % pour RoseTTAFold All-Atom et 52 % pour le meilleur. outils alternatifs disponibles.

Les performances de prédiction de structure d'AlphaFold3 sont " très impressionnantes ", a déclaré Baker, " et meilleures que celles de RoseTTAFold All-Atom ".

Toutefois, ces chiffres sont basés sur un ensemble de données limité qui n'est pas très performant, a expliqué AlQuraishi. Il ne s’attend pas à ce que toutes les prédictions concernant les complexes protéiques obtiennent un score aussi élevé. Et il est certain que les nouveaux outils d’IA ne sont pas encore assez puissants pour soutenir à eux seuls un programme robuste de découverte de médicaments, car cela nécessite que les chercheurs comprennent des interactions biomoléculaires complexes. Pourtant, " c'est vraiment prometteur ", a-t-il déclaré, et nettement meilleur que ce qui existait auparavant.

Adams est d'accord. "Si quelqu'un prétend pouvoir utiliser cela demain pour développer des médicaments avec précision, je n'y crois pas", a-t-il déclaré. " Les deux méthodes sont encore limitées dans leur précision, [mais] les deux constituent des améliorations spectaculaires par rapport à ce qui était possible. "

(Image gif, tournante, en 3D : AlphaFold3 peut prédire la forme de complexes biomoléculaires, comme cette protéine de pointe provenant d'un virus du rhume. Les structures prédites de deux protéines sont visualisées en bleu et vert, tandis que les petites molécules (ligands) liées aux protéines sont représentées en jaune. La structure expérimentale connue de la protéine est encadrée en gris.)

Ils seront particulièrement utiles pour créer des prédictions approximatives qui pourront ensuite être testées informatiquement ou expérimentalement. Le biochimiste Frank Uhlmann a eu l'occasion de pré-tester AlphaFold3 après avoir croisé un employé de Google dans un couloir du Francis Crick Institute de Londres, où il travaille. Il a décidé de rechercher une interaction protéine-ADN qui était " vraiment déroutante pour nous ", a-t-il déclaré. AlphaFold3 a craché une prédiction qu'ils testent actuellement expérimentalement en laboratoire. "Nous avons déjà de nouvelles idées qui pourraient vraiment fonctionner", a déclaré Uhlmann. " C'est un formidable outil de découverte. "

Il reste néanmoins beaucoup à améliorer. Lorsque RoseTTAFold All-Atom prédit les structures de complexes de protéines et de petites molécules, il place parfois les molécules dans la bonne poche d'une protéine mais pas dans la bonne orientation. AlphaFold3 prédit parfois de manière incorrecte la chiralité d'une molécule – l'orientation géométrique distincte " gauche " ou " droite " de sa structure. Parfois, il hallucine ou crée des structures inexactes.

Et les deux algorithmes produisent toujours des images statiques des protéines et de leurs complexes. Dans une cellule, les protéines sont dynamiques et peuvent changer en fonction de leur environnement : elles se déplacent, tournent et passent par différentes conformations. Il sera difficile de résoudre ce problème, a déclaré Adams, principalement en raison du manque de données de formation. " Ce serait formidable de déployer des efforts concertés pour collecter des données expérimentales conçues pour éclairer ces défis ", a-t-il déclaré.

Un changement majeur dans le nouveau produit de Google est qu'il ne sera pas open source. Lorsque l’équipe a publié AlphaFold2, elle a publié le code sous-jacent, qui a permis aux biologistes de reproduire et de jouer avec l’algorithme dans leurs propres laboratoires. Mais le code d'AlphaFold3 ne sera pas accessible au public.

 " Ils semblent décrire la méthode en détail. Mais pour le moment, au moins, personne ne peut l’exécuter et l’utiliser comme il l’a fait avec [AlphaFold2] ", a déclaré AlQuraishi. C’est " un grand pas en arrière. Nous essaierons bien sûr de le reproduire."

Google a cependant annoncé qu'il prenait des mesures pour rendre le produit accessible en proposant un nouveau serveur AlphaFold aux biologistes exécutant AlphaFold3. Prédire les structures biomoléculaires nécessite une tonne de puissance de calcul : même dans un laboratoire comme Francis Crick, qui héberge des clusters informatiques hautes performances, il faut environ une semaine pour produire un résultat, a déclaré Uhlmann. En comparaison, les serveurs plus puissants de Google peuvent faire une prédiction en 10 minutes, a-t-il déclaré, et les scientifiques du monde entier pourront les utiliser. "Cela va démocratiser complètement la recherche sur la prédiction des protéines", a déclaré Uhlmann.

Le véritable impact de ces outils ne sera pas connu avant des mois ou des années, alors que les biologistes commenceront à les tester et à les utiliser dans la recherche. Et ils continueront à évoluer. La prochaine étape de l'apprentissage profond en biologie moléculaire consiste à " gravir l'échelle de la complexité biologique ", a déclaré Baker, au-delà même des complexes biomoléculaires prédits par AlphaFold3 et RoseTTAFold All-Atom. Mais si l’histoire de l’IA en matière de structure protéique peut prédire l’avenir, alors ces modèles d’apprentissage profond de nouvelle génération continueront d’aider les scientifiques à révéler les interactions complexes qui font que la vie se réalise.

" Il y a tellement plus à comprendre ", a déclaré Jumper. "C'est juste le début."

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/new-ai-tools-predict-how-lifes-building-blocks-assemble-20240508/ - Yasemin Saplakoglu, 8 mai 2024

[ briques du vivant ] [ texte-image ] [ modélisation mobiles ] [ nano mécanismes du vivant ]

 

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homme-animal

La signification des meuglements des vaches, et autres histoires animales surprenantes
Vous pensez bien connaître les animaux? Pourtant les scientifiques qui les étudient leur découvrent régulièrement de nouvelles habiletés, intelligences et savoir-être étonnants.

C'est ce que raconte la journaliste spécialiste des sciences Aline Richard Zivohlava dans son ouvrage "Dans la peau des bêtes", paru en mai aux éditions Plon. Elle se glisse dans la peau de différents animaux pour un récit à la première personne. Nous en publions ci-dessous des extraits. Le titre et les intertitres sont de la rédaction de Slate.

Les corbeaux clairvoyants
L’histoire des Corneilles noires de la ville de Sendai, au Japon, a fait le tour du monde. À des branches de noyer plantés le long des routes pendaient de savoureuses noix, mais elles étaient, dans leurs coques vertes, inaccessibles à nos becs. C’est alors que mes congénères ont appris le code de la route. Au feu rouge, l’oiseau dépose sa noix devant la voiture, qui l’écrase au feu vert, et dont les fragments sont récupérés au feu rouge suivant. Malin, non? Et même carrément intelligent.

Les recherches scientifiques de ces dernières années ont révélé des capacités insoupçonnées chez les corvidés, en particulier dans le domaine de la cognition. Certains de nos savoir-faire avaient pourtant été remarqués dans le passé, mais vous n’aviez pas su les analyser… Vous rappelez-vous d’Ésope, le fabuliste qui a commis "Le Corbeau et le Renard", que nous critiquions tout à l’heure? Nous lui avons volontiers pardonné son écart puisqu’il a rendu hommage à l’ingéniosité de la corneille dans la comptine suivante: "La Corneille ayant soif, trouva par hasard une cruche où il y avait un peu d’eau; mais comme la cruche était trop profonde, elle n’y pouvait atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d’abord de rompre la cruche avec son bec; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’avisa d’y jeter plusieurs petits cailloux, qui firent monter l’eau jusqu’au bord de la cruche. Alors elle but tout à son aise."

Deux douzaines de siècles plus tard, en 2014, cette fable a été reproduite dans un laboratoire de l’université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Des chercheurs ont voulu savoir si différents corvidés –Corbeaux calédoniens, Corbeaux freux et Geais des chênes– se montraient aussi clairvoyants que l’oiseau du fabuliste. Expérience réussie: soit deux tubes de verre, un large et un étroit, reliés entre eux par un mécanisme de vases communicants et à moitié remplis d’eau. Dans le premier, un morceau de liège flotte, agrémenté d’un morceau de viande. Tube trop étroit pour y plonger le bec. Les oiseaux ont dû trouver un moyen d’atteindre la nourriture: ils ont jeté des petits cailloux dans le tube large ne contenant pas le morceau de viande, pour faire monter l’eau dans le second tube étroit, et récupérer la récompense. C’est ce que l’on appelle effectuer une relation de cause à effet. Incroyable, quand on sait que, soumis au même test, les petits humains ne le réussissent que vers l’âge de 7 ans.

Les corbeaux sont capables de se priver dans l’immédiat pour une meilleure récompense dans le futur, une opération cognitive complexe.

La conclusion semble couler de source: des corbeaux aussi intelligents que vous, à l’âge de raison des petits humains! Mais au risque de décevoir mes congénères, je n’irai pas jusque-là. Rien ne prouve en effet que les mécanismes mentaux mis en jeu soient les mêmes pour nos deux espèces. Et la faculté spontanée de raisonner dans l’abstrait par le biais d’un processus d’association n’est pas forcément équivalente à ce que vous, humains, entendez généralement par "intelligence".

Il fallait en savoir plus. Les scientifiques qui nous étudient ont d’abord observé nos capacités cognitives liées à la vie en société. Tout comme vous, les corvidés activent leurs neurones pour améliorer leur cadre de vie, interagir avec leurs semblables, obtenir le meilleur pour eux-mêmes et leurs proches… La gestion de la nourriture est un enjeu majeur pour tout être vivant, et, pour nous autres corbeaux, l’occasion d’exercer notre mémoire et même de se projeter dans l’avenir. Des chercheurs britanniques ont par exemple montré que des geais, qui ont l’habitude de cacher leur nourriture, étaient capables de "classer" leurs aliments en fonction du temps écoulé avant la consommation: ils déterraient d’abord les caches de vers de terre, très appréciés mais périssables, avant celles des cacahuètes, moins goûteuses mais plus durables.

Les corbeaux sont aussi capables de se priver dans l’immédiat pour une meilleure récompense dans le futur, une opération cognitive complexe que vous pensiez réservée aux humains et aux grands singes. Une expérience menée en 2017 à l’université de Lund, en Suède, sur des corbeaux dressés consistait à leur faire choisir une friandise à dévorer tout de suite, ou bien un outil permettant d’ouvrir une boîte contenant une friandise plus grosse, au prix de quinze minutes d’efforts. La plupart des corbeaux ont choisi l’outil. Cela suggère la capacité de contrôle de soi et celle d’anticipation.

S’alimenter, c’est aussi coopérer mais parfois se fâcher quand un comportement est jugé incorrect. Dans une expérimentation menée dans un laboratoire à Vienne, des grands corbeaux ont su s’allier en tirant de concert deux bouts de ficelle pour récupérer deux parts de fromage: si l’un des oiseaux n’avait pas joué le jeu, aucun des deux n’aurait pu en profiter. Mais, dans une autre série d’expériences, il est arrivé qu’un des oiseaux ruse pour s’approprier tout le fromage. L’autre a alors refusé de coopérer plus avant avec le tricheur.

Les poulpes farceurs
Ces dernières années, nombre de nos capacités cognitives ont été découvertes par les scientifiques qui nous observent. Par exemple, notre dextérité au maniement des outils, faculté que l’on pensait réservée aux animaux "supérieurs". En 2009, quatre pieuvres de l’espèce Amphioctopus marginatus, habitantes des eaux chaudes de l’ouest du Pacifique, ont été filmées en train de manipuler des coquilles de noix de coco pour s’en faire une armure de protection contre les prédateurs, puis se balader, ainsi équipées, sur le plancher marin. La vidéo a intéressé les chercheurs…

Et enchanté le grand public: sans être encore aussi populaires que ceux consacrés aux chatons mignons, les films de poulpes malins font les beaux jours de votre Internet. Sur YouTube, 3 millions de vidéos sont disponibles! C’est ainsi que les humains ont pu découvrir les talents d’Inky, notre maître-poulpe de l’évasion. Cantonné dans son aquarium de Nouvelle-Zélande, Inky a profité de l’inattention d’un gardien qui n’avait pas bien fermé son réceptacle pour déverrouiller le dispositif, glisser au sol, et emprunter un tuyau d’un diamètre de 15 centimètres (!) se déversant dans l’océan Pacifique.

Stratégie, adaptation, innovation… Autant de qualités qui marquent, pour le moins, une belle intelligence des situations.Nous sommes aussi capables d’apprendre par observation et de manipuler des règles logiques: facultés d’autant plus étonnantes que nous n’avons pas eu de parents pour nous les enseigner. Des chercheurs ont installé des pieuvres devant un labyrinthe, elles ont su s’orienter en observant des congénères, puis en fonction d’indices visuels mis à leur disposition. Dans une autre expérience, on nous a placées devant cinq portes fermées, chacune marquée d’un symbole. Il fallait trouver celle donnant accès à un crabe, friandise que nous apprécions parmi toutes. Nous avons réussi à repérer la bonne porte, et appris à reconnaître son symbole même quand les scientifiques le changeaient de place. Et nous sommes capables de retenir plusieurs jours ces informations apprises, signe d’une bonne mémoire.

De même, nous jouons: un comportement évolué, peu commun chez les invertébrés. Sarah Zylinski, biologiste à l’université de Leeds, au Royaume-Uni, a observé un poulpe de l’espèce Octopus bimaculoides se livrer au jeu du chat et de la souris avec un crabe. En pleine mer, plusieurs plongeurs qui nous observaient ont eu la surprise de voir un tentacule taquin tenter de leur retirer leur masque à oxygène… En captivité, nous jonglons dans l’aquarium avec les petits cubes en plastique que vous nous envoyez. Et ne croyez pas que nous ne savons pas qui vous êtes.

En 2010, à l’aquarium de Seattle, aux États-Unis, deux membres de l’équipe soignante se sont livrés au jeu bien connu du "bad cop-good cop": l’un nous nourrissait avec douceur, l’autre nous touchait avec un bâton piquant. Après deux semaines, racontent les scientifiques qui ont organisé cette expérience, les huit pieuvres de l’aquarium se comportaient différemment avec l’un et l’autre, habillé pourtant du même uniforme.

En captivité, nous savons parfaitement vous faire passer des messages. La chercheuse de Leeds rapporte que des seiches, impatientes d’être nourries, aspergeaient d’eau leur gardien s’il tardait. Et, dans un parc zoologique en Allemagne, un poulpe est monté sur le bord de son aquarium pour inonder un spot dont la lumière devait le gêner.

La science n’a pas fini de dévoiler tout ce qu’il y a d’extraordinaire en nous. En avril 2017, un article scientifique, fort technique puisqu’il a été publié dans la revue Cell (dédiée à la biologie moléculaire et cellulaire), a suggéré que nous évoluions différemment de presque tous les êtres vivants de la planète: certains d’entre nous sont en effet capables de modifier à plusieurs reprises leur séquence d’ARN (acide ribonucléique, l’autre "molécule du vivant" avec l’ADN) et de l’éditer, pour mieux s’adapter à notre environnement. S’ensuivent, par exemple, des modifications de notre cerveau pour pouvoir prospérer dans des eaux aux températures différentes. Bien pratique en cette période de changements climatiques! Ludovic vous l’avait bien dit: nous sommes de véritables extraterrestres du fond des mers.

Les vaches communiquantes
La vache a ses sens en éveil. À l’inverse de ce que certains stupides imaginent, un regard bovin est un regard expert: une vision à 330 degrés, sans bouger la tête, qu’en dites-vous? Il est vrai que nous sommes plutôt myopes, et distinguons bien mieux les tendres pousses dans le pré qu’un véhicule arrivant au loin. Mais notre ouïe très fine y pallie. Les vaches distinguent les ultrasons (jusqu’à 35.000 hertz), tout comme les basses fréquences et les très faibles volumes sonores. Et puis, il y a notre odorat. C’est notre sens premier, il nous distingue et organise notre vie sociale. Les odeurs disent notre âge, nos besoins sexuels, notre place dans la hiérarchie du troupeau, notre niveau de stress. On se renifle et on se lèche entre vaches, et on approche nos mufles des humains à l’approche: il s’agit de flairer l’éleveur, le vétérinaire que l’on connaît, et de s’inquiéter de la présence d’un intrus à l’odeur inconnue.

En 2015, en Suisse, des chercheurs de l’École polytechnique de Zurich se sont livrés à une analyse acoustique de troupeaux pour tenter de comprendre ce que les vaches se disent. Lors des naissances de nos veaux et cela durant trois à quatre semaines, nous parlons à nos petits le mufle à moitié fermé pour produire un son grave. Et à l’inverse, quand on nous les retire, nous produisons un meuglement dans les fréquences hautes. De même, les veaux nous appellent plutôt dans les aigus.

De l’avis des scientifiques et des professionnels, fermiers et éleveurs qui nous côtoient, notre cri d’espèce, émis jusqu’à une cinquantaine de fois dans la journée, exprime une grande variété de situations et d’états: faim, soif, chaud, froid, souffrance, désir, appels…

Quant à vous, on dirait que nos "meuh" vous fascinent. Vous tentez parfois de nous imiter, bizarre! des humains qui singent les vaches! Mais vous n’êtes même pas fichus de vous entendre sur le son à produire… "Meuh" en France ; "moo" chez les Anglo-Saxons; "muh" pour les Allemands et les Danois; et "mō" du côté du Japon. Un plaisantin est même allé jusqu’à fabriquer ce qu’il a appelé une "boîte à meuh" pour faire rire ses semblables, on se demande vraiment pourquoi. Laquelle boîte a au moins eu une utilité: le docteur Lucien Moatti l’a calibrée pour le dépistage néonatal de la surdité des bébés humains. Si l’enfant tourne la tête au son de la vache, c’est qu’il entend bien…

Auteur: Internet

Info: Slate, Aline Richard, 30 mai 2019

[ anecdotes ]

 

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nord-sud

L’Âge de la colère Parfois, après une longue attente, apparaît un livre qui écorche l’esprit du temps, brillant comme un diamant fou. Age of Anger, de Pankaj Mishra, auteur aussi du livre fondateur From the Ruins of Empire, pourrait bien en être le dernier avatar.

Pensez à ce livre comme à une ultime arme – conceptuelle – mortelle, fichée dans les cœurs et les esprits d’une population dévastée d’adolescents cosmopolites déracinés 1 qui s’efforcent de trouver leur véritable vocation, au fur et à mesure que nous traversons péniblement la plus longue période – le Pentagone dirait infinie – de guerres mondiales ; une guerre civile mondiale – que dans mon livre 2007 Globalistan j’ai appelée " Liquid War " : Guerre nomade.

L’auteur, Mishra, est un pur produit, subtil, de East-meets-West 2. Il soutient, pour l’essentiel, qu’il est impossible de comprendre le présent si nous ne reconnaissons pas la prégnance souterraine de la nostalgie du mal du pays, qui contredit l’idéal du libéralisme cosmopolite, incarné dans une " société commerciale universelle d’individus rationnels, conscients de leurs intérêts personnels ", conceptualisée par les Lumières via Montesquieu, Adam Smith, Voltaire et Kant.

Le vainqueur de l’histoire est finalement le récit aseptisé des Lumières bienveillantes. La tradition du rationalisme, de l’humanisme, de l’universalisme et de la démocratie libérale était censée avoir toujours été la norme. Il était " manifestement trop déconcertant ", écrit Mishra, " de reconnaître que la politique totalitaire cristallisait des courants idéologiques – racisme scientifique, rationalisme chauvin, impérialisme, technicisme, politique esthétisée, utopie, ingénierie sociale " qui bouleversaient déjà l’Europe à la fin du XIXe siècle. Ainsi, évoquant " le regard furtif en arrière, au-dessus de l’épaule, vers la terreur primitive ", de T.S. Eliot –, qui a finalement conduit l’Ouest à se dresser contre Le Reste du Monde –, nous devons regarder les précurseurs. Fracasser le Palais de Cristal

Entre en scène Eugène Onéguine de Pouchkine, " le premier d’une grande lignée d’hommes inutiles dans la fiction russe ", avec son chapeau de Bolivar, tenant une statue de Napoléon et un portrait de Byron, allégorie de la Russie essayant de rattraper l’Occident, " une jeunesse spirituellement déchaînée avec une conception quasi-byronienne de la liberté, encore pleine du romantisme allemand ". Les meilleurs critiques des Lumières devaient être Allemands et Russes, derniers venus à la modernité politico-économique. Deux ans avant de publier ses étonnants Carnets du sous-sol, Dostoïevski, dans sa tournée en Europe occidentale, voyait déjà une société dominée par la guerre de tous contre tous, où la plupart étaient condamnés à être perdants.

À Londres, en 1862, à l’Exposition internationale au Palais de Cristal, Dostoïevski eut une illumination : " Vous prenez conscience d’une idée colossale […] qu’il y a ici la victoire et le triomphe. Vous commencez même vaguement à avoir peur de quelque chose. " Tout stupéfié qu’il était, Dostoïevski, plutôt astucieux, a pu observer comment la civilisation matérialiste était tout autant renforcée par son glamour que par sa domination militaire et maritime.

La littérature russe a finalement cristallisé le crime de hasard comme le paradigme de l’individualité savourant son identité et affirmant sa volonté – thème repris plus tard, au milieu du XXe siècle, par l’icône de la Beat Generation William Burroughs, qui prétendait que tirer au hasard était son frisson ultime.

Le chemin avait été tracé pour que le festin des mendiants commence à bombarder le Palais de Cristal – même si, comme Mishra nous le rappelle : " Les intellectuels du Caire, de Calcutta, de Tokyo et de Shanghai lisaient Jeremy Bentham, Adam Smith, Thomas Paine, Herbert Spencer et John Stuart Mill " pour comprendre le secret de la bourgeoisie capitaliste en perpétuelle expansion.

Et ceci après que Rousseau, en 1749, a posé la pierre angulaire de la révolte moderne contre la modernité, aujourd’hui éparpillée dans un désert où les échos se répondent, le Palais de Cristal est de facto implanté dans des ghettos luisants partout dans le monde.

Le Bwana des Lumières : lui mort, Missié

Mishra crédite l’idée de son livre à Nietzsche, en commentant la querelle épique entre l’envieux plébéien Rousseau et Voltaire, l’élitiste serein – qui a salué la Bourse de Londres, quand elle est devenue pleinement opérationnelle, comme l’incarnation laïque de l’harmonie sociale.

Mais ce fut Nietzsche qui finit par devenir l’acteur central, en tant que féroce détracteur du capitalisme libéral et du socialisme, faisant de la promesse séduisante de Zarathoustra un Saint Graal attractif pour les bolcheviks – Lénine le haïssait –, le gauchiste Lu Xun en Chine , les fascistes, anarchistes, féministes et hordes d’esthètes mécontents.

Mishra nous rappelle également comment " les anti-impérialistes asiatiques et les barons voleurs américains empruntent avec empressement " à Herbert Spencer, " le premier penseur véritablement mondial " qui a inventé le mantra de " la survie du plus apte " après avoir lu Darwin.

Nietzsche était le cartographe ultime du ressentiment. Max Weber a prophétiquement décrit le monde moderne comme une " cage de fer " dont seul un leader charismatique peut permettre l’évasion. De son côté, l’icône anarchiste Mikhaïl Bakounine avait déjà, en 1869, conceptualisé le révolutionnaire coupant " tout lien avec l’ordre social et avec tout le monde civilisé […] Il est son ennemi impitoyable et continue de l’habiter avec un seul but : Détruire ".

S’échappant du " cauchemar de l’histoire " du suprême moderniste James Joyce – en réalité la cage de fer de la modernité – une sécession, viscéralement militante, hors " d’une civilisation fondée sur un progrès éternel sous l’administration des libéraux-démocrates " est en train de faire rage, hors de contrôle, bien au-delà de l’Europe.

Des idéologies, qui pourraient être radicalement opposées, ont néanmoins grandi en symbiose avec le tourbillon culturel de la fin du XIXe siècle, depuis le fondamentalisme islamique, le sionisme et le nationalisme hindou jusqu’au bolchevisme, au nazisme, au fascisme et à l’impérialisme réaménagé.

Dans les années trente, le brillant et tragique Walter Benjamin, avait non seulement prophétisé la Seconde Guerre mondiale mais aussi la fin de la partie, alors qu’il était déjà en train d’alerter sur la propre aliénation de l’humanité, enfin capable " d’expérimenter sa propre destruction comme un plaisir esthétique du premier ordre ". La version pop actuelle en live-streaming, style bricolage, comme ISIS, essaie de se présenter comme la négation ultime des piétés de la modernité néolibérale.

L’ère du ressentiment

Tissant les fils savoureux de la politique et de la littérature par pollinisation croisée, Mishra prend son temps pour poser la scène du Grand Débat entre ces masses mondiales en développement, dont les vies sont forgées par " l’histoire largement reconnue de la violence " de l’Occident atlantiste, et des élites modernes nomades (Bauman) tirant profit du rendement de la partie – sélective – du monde qui a fait les percées cruciales depuis les Lumières dans la science, la philosophie, l’art et la littérature.

Cela va bien au-delà d’un simple débat entre l’Orient et l’Occident. Nous ne pouvons pas comprendre la guerre civile mondiale actuelle, ce " mélange intense d’envie, de sentiment d’humiliation et d’impuissance post-moderniste et post-vérité ", si nous n’essayons pas de " démanteler l’architecture conceptuelle et intellectuelle des gagnants de l’histoire en Occident ", issue du triomphalisme des exploits de l’histoire anglo-américaine. Même au summum de la Guerre froide, le théologien américain Reinhold Niebuhr se moquait des " ternes fanatiques de la civilisation occidentale " dans leur foi aveugle selon laquelle toute société est destinée à évoluer exactement comme une poignée de nations occidentales – parfois – l’ont fait.

Et cela – ironie ! – tandis que le culte internationaliste libéral du progrès imitait le rêve marxiste de la révolution internationaliste.

Dans sa préface de 1950 aux Origines du totalitarisme – un méga best-seller ressuscité –, Hannah Arendt nous a essentiellement dit d’oublier la restauration éventuelle du Vieil ordre mondial. Nous avons été condamnés à voir l’histoire se répéter, " l’itinérance à une échelle sans précédent, l’absence de racines à une profondeur sans précédent ".

Pendant ce temps, comme Carl Schorske l’a noté dans son spectaculaire Fin-de-Siècle à Vienne : Politique et Culture, l’érudition américaine a " coupé le lien de conscience " entre le passé et le présent, carrément aseptisé l’Histoire, des siècles de guerre civile, de ravage impérial, de génocide et d’esclavage en Europe et en Amérique ont ainsi tout simplement disparu. Seul le récit TINA (il n’y a pas d’alternative) a été autorisé, voici comment les atlantistes, avec le privilège de la raison et l’autonomie de la personne, ont fait le monde moderne.

Entre maintenant en scène Jalal Al-e-Ahmad, né en 1928 dans le sud pauvre de Téhéran, et l’auteur de Westoxification (1962), un texte majeur de référence sur l’idéologie islamiste, où il écrit que " l’Érostrate de Sartre tire au revolver, avec les yeux bandés, sur les gens dans la rue ; le protagoniste de Nabokov précipite sa voiture dans la foule ; et l’Étranger, Meursault, tue quelqu’un en réaction à un mauvais coup de soleil ". Vous pouvez parler d’un croisement mortel – l’existentialisme rencontre les bidonvilles de Téhéran pour souligner ce que Hanna Arendt a appelé la " solidarité négative ".

Arrive ensuite Abu Musab al-Suri, né en 1958 – un an après Osama ben Laden – dans une famille de la classe moyenne dévote, à Alep. C’est Al-Suri, et non l’Égyptien Al-Zawahiri, qui a conçu une stratégie de djihad mondial sans leader dans The Global Islamic Resistance Call, basée sur des cellules isolées et des opérations individuelles. Al-Suri était le " choc des civilisations " de Samuel Huntington appliqué à al-Qaïda. Mishra le définit comme le " Michel Bakounine du monde musulman ".

Cette " syphilis des passions révolutionnaires

Répondant à cette ridicule affaire néo-hégélienne de " fin de l’histoire ", après la Guerre froide, Allan Bloom a averti que le fascisme pourrait être l’avenir ; et John Gray a télégraphié le retour des " forces primordiales, nationalistes et religieuses, fondamentalistes et bientôt, peut-être, malthusiennes ".

Et cela nous amène à expliquer pourquoi les porteurs exceptionnels de l’humanisme et du rationalisme des Lumières ne peuvent expliquer l’agitation géopolitique actuelle – de ISIS au Brexit et à Trump. Ils ne peuvent jamais arriver à penser quelque chose de plus sophistiqué que l’opposition binaire de libre et non libre ; les mêmes clichés occidentaux du XIXe siècle sur le non-Occident ; et la diabolisation incessante de cet éternel Autre arriéré : l’islam. De là la nouvelle " longue guerre " (terminologie du Pentagone) contre l’islamofascisme. Ils ne pourraient jamais comprendre, comme le souligne Mishra, les implications de cette rencontre d’esprits dans une prison de Supermax au Colorado entre l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City, l’Américain pur jus Timothy McVeigh et le cerveau de la première attaque contre le World Trade Center, Ramzi Yousef (musulman normal, père pakistanais, mère palestinienne).

Ils ne peuvent pas comprendre comment les concepteurs d’ISIS arrivent à enrégimenter, en ligne, un adolescent insulté et blessé d’une banlieue parisienne ou d’un bidonville africain et le convertir en narcissique – baudelairien ? – dandy fidèle à une cause émergente, pour laquelle il vaut la peine de se battre. Le parallèle entre le bricolage djihadiste et le terrorisme russe du XIXe siècle – incarnant la " syphilis des passions révolutionnaires ", comme l’a décrit Alexander Herzen – est étrange.

Le principal ennemi du djihad de bricolage n’est pas même chrétien; c’est le shi’ite apostat. Les viols massifs, les meurtres chorégraphiés, la destruction de Palmyre, Dostoïevski avait déjà tout identifié. Comme le dit Mishra, " il est impossible pour les Raskolnikov modernes de se dénier quoi que ce soit, mais il leur est possible de justifier tout ".

Il est impossible de résumer tous les feux croisés rhizomatiques – salut à Deleuze et Guattari – déployés à l’Âge de la colère. Ce qui est clair, c’est que pour comprendre la guerre civile mondiale actuelle, la réinterprétation archéologique du récit hégémonique de l’Occident des 250 dernières années est essentielle. Sinon, nous serons condamnés, comme des gnomes de Sisyphe, à supporter non seulement le cauchemar récurrent de l’Histoire, mais aussi son coup de fouet perpétuel.

Auteur: Escobar Pepe

Info: Février 2017, CounterPunch. Beaucoup d'idées sont tirées de son ouvrage : Globalistan, How the Globalized World is Dissolving into Liquid War, Nimble Books, 2007

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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affrontement racial

J'ai juste eu le temps de percevoir un rai brutal de lumière, un bruit de rires bizarres, une espèce d'exclamation rauque. Je suis devant la vitre, médusé. Des rideaux dissimulent tout l'intérieur, mais laissent passer une lueur assez forte. Je distingue contre la porte, à droite, un écriteau de bois : "A la ville d'Oran, café-hôtel. Chambres au mois et à la journée." Un bouge à sidis. Elle est là-dedans. Je suis interdit, épouvanté. Mais ma main est déjà sur la poignée. Ce qui m'a poussé (je crois pouvoir le dire, maintenant, après coup) c'est un dernier sentiment d'incrédulité, le refus d'admettre qu'une telle chose soit possible. J'ouvre la porte avec décision. Je fais deux pas. C'est bien un bistrot à sidis, pareil du reste à tous les bistrots de faubourg, assez exigu, éclairé très crûment. Mes yeux vont aussitôt à la petite. Elle est bien là, elle se tourne vers moi. Tout le monde me regarde. Ce sont des Bicots. Je vois des gueules bistrées, des tignasses crépues, des nez en bec d'aigle. Ils sont presque tous debout, autour du zinc qui reluit, ils doivent être sept ou huit. J'en repère deux, trois, à chapeaux mous, complets prétentieux ; un autre, en noir, de mine assez noble, peut-être. Au bout du groupe, il y a un gros type assis d'une trentaine d'années, frisottant, le mieux habillé, en bleu marine. J'aperçois un képi de sous-officier de tirailleurs, et dessous une tête maigre de Sarrasin, belle, ma foi ! Je vois aussi une seconde fille, près du type en bleu, un peu plus grande que l'autre, vingt-quatre ou vingt-cinq ans, mince, bien faite, semble t-il, mise avec simplicité, sans mauvais goût. C'est sur elle peut-être que mon regard s'arrête avec le plus de stupeur. Elle est d'une décence de silhouette invraisemblable dans un tel lieu. Et avec cela, des mèches de cheveux désordonnées, les pupilles agrandies et égarées, sa blouse claire dépoitraillée sur le creux de deux seins palpitants.

- Qu'y c'qu'y c'est ?

Un affreux asticot, debout, derrière le zinc, m'interpelle aigrement. Le tenancier sans doute.

J'articule d'une voix aussi naturelle que possible :

- Je désirerais boire un verre.

J'ai les yeux vissés sur la petite. C'est pourtant bien elle, son chapeau, ses boucles, sa petite jupe plissée, ses yeux clairs et rieurs. Je distingue vaguement une autre salle, au fond, plus grande, avec des festons de bois découpés à la morisque.

L'asticot a demandé je ne sais quoi, en arabe, à un des macaques. Il aboie, à mon adresse :

- Pas di verr. Ci fermé ici.

Je vois sur moi les yeux féroces et perçants de tous ces coquins. Je suis sans armes, dans ce coupe-gorge. Je me tourne d'instinct vers l'individu en bleu, le plus civilisé, apparemment, de la bande. C'est un Levantin de je ne sais quel Levant, déjà empâté, très infatué. Ce pourrait être un de ces "étudiants" qu'on voit au quartier autour des restaurants orientaux. Etudiant, barbeau, trafiquant de je ne sais quoi, le tout à la fois, sans doute. Il y a des raies rosâtres, trop larges, sur son complet bien coupé. Il s'est levé nonchalamment, il me toise avec une mine supérieure. Il laisse tomber trois ou quatre mots d'arabe qui font éclater tous les macaques d'un rire énorme. je vois ces gueules de pirates fendues, leurs grandes dents jaunes. Ils se foutent de moi devant la petite. Je dois pâlir brusquement : la colère, en même temps que la peur, mais la colère plus forte que la peur. Je les dévisage, j'arrête mon regard sur les deux filles :

- Il me semble que ce n'est pas fermé pour tout le monde...

Un hurlement de toute la bicaillerie. Je suis en un instant encerclé. La figure du sous-off est à trois pouces de la mienne. J'enregistre machinalement qu'il a quatre rubans à sa tunique.

Il me saisit le bras :

- Allez, dehors !

La petite lève la main :

- Non ! c'est un amoureux. Il me suit depuis le boulevard des Belges.

- Suivi ? Mouche ! Poulice ! Kha Poulice...

Ils glapissent à plein gosier. Je suis happé par dix pattes terribles : "mais non de Dieu ! écoutez-moi !" J'essaie d'atteindre mon portefeuille pour brandir ma carte d'étudiant. Une main lève une bouteille, un couteau jaillit. Ils ont dû croire que j'allais sortir un feu. Ce sont eux qui m'arrachent le portefeuille. J'ai les poignets immobilisés, je m'accroche où je peux avec les ongles. Ils me traînent jusqu'à la porte, j'encaisse trois ou quatre coups de poings. Je suis précipité dans les ténèbres extérieures, mes papiers lancés sur le sol, à demi déshabillé, ma chemise déchirée. Je tremble de la tête aux pieds. Les salauds m'ont attient à la mâchoire, derrière l'oreille. Une grande bordée de leur affreux rire. La porte se referme brusquement derrière moi.

Je fais une quarantaine de mètres en flageolant. Je reprends haleine, je me rajuste et me remets un peu. Je suis encore tout tremblotant de rage et de trouille : "Je vais chercher les flics !" Je voudrais me ruer avec une troupe en armes à l'assaut de cet effroyable repaire... Mais depuis quand ai-je recours aux flics ? D'ailleurs, que leur dirais-je ? Je m'en tire en somme à bon compte. Tout seul parmi parmi ces sauvages, aux poches pleines de rasoirs, de surins, de revolvers. Ma carte les aura rassurés ! Ils m'ont évacué par mépris. Toute récidive de ma part serait folle. Au reste, du coin de la place où je me suis embusqué, je vois l'asticot ouvrir la porte, accrocher un volet de bois, rentrer par-dessous. Le bouge est bouclée, barricadé. Je n'ai plus rien à faire ici.

Mais la petite est derrière cette porte, derrière ces fenêtres. Il y a cinq fenêtres au moins qui sont éclairées, aux deux étages plus voilées que celles du bas, tout à fait louches. Quinze ans. Cette petite perfection. Et elle traverse tout Lyon pour venir se faire mettre, pour venir se faire bitter dans cet immonde claque... Le petit ange aux cils innocents... La petite gaupe, oui ! ... Gaupette : voilà son nom.

Ses parents sont sortis, pour toute la nuit, peut-être. Elle a couru chez elle pour s'en assurer, se donner l'alibi de les embrasser. Ah ! sur le chapitre de la rouerie... Et puis elle s'envole ; ça la tient. Et moi qui l'imaginais déjà en tournée de charité ! Toujours conjecturer le vice plutôt que la vertu. Mais à ce point-là ! Quel roman noir, quel tréfonds ! mais comment expliquer le début ? Dans quelles pattes a-t-elle pu tomber ? Y revenir toute seule ! Une entremise de cette autre fille ?... Celle-là aussi, quelle apparition ! Ce tailleur de chaste et modeste petite bourgeoise. Et ces seins affolés ! Elle venait déjà de se faire branler en attendant l'autre ? Sa moule toute ouverte, pendant qu'elle me regardait, du jus plein le poil, jusqu'aux cuisses...

Mais elles sont là-dedans toutes les deux. Comment parvenir à penser ça ? Lequel de ces singes, avec Gaupette ? L'espèce d'étudiant ? Mais c'était lui, quand je suis entré, qui avait l'air de tenir l'autre fille.

La bagarre m'a fait débander un moment. Mais mes images, mes convoitises ont été trop violentes, à la fin de cette poursuite, dans ces rues noires. Je suis repris par cette excitation furibonde. Je ne peux plus m'en aller. L'autre fille a amené Gaupette. Elle l'a sans doute branlée, gougnottée avant. Le gros métèque se les farcit toutes les deux. Il a déjà du déculotter Gaupette. Ses pattes sur la petite jupe plissée, la petite culotte blanche, chaude, les deux cuisses roses, déjà femelles, le petit derrière. Le petit con doré. Le métèque l'enfile, pendant que l'autre fille s'astique, ou qu'un des sidis la tronche, le rempilé peut-être sur Gaupette. Ce n'est pas une invention répugnante de ma cervelle, c'est la vérité exacte. Ces bougres en rut perpétuel, montés comme des ânes. Son con de petite fille avec ces manches-là dedans ! C'est horrible, c'est ignoble. Et pourtant plus c'est ignoble et plus ça me chauffe, m'incendie. On comprend que dans de telles passes, s'il n'y avait pas les mécanismes et les habitudes de la civilisation, on se mettrait à bramer, à hurler au con. Je suis un moment sur le point de me taper un rassis, dans le noir, contre le mur d'une des baraques aveugles.

... Je suis là depuis plus d'une heure, sur cette espèce de carrefour d'assassinat, totalement sourd et désert, dans cette nuit crapuleuse. La petite Gaupette est en train de forniquer, de s'en faire mettre plein le vagin. Elle est sous zob !

Mais je peux l'avoir, moi aussi, je peux me l'envoyer. Elle ne demande que ça ! Elle ne pensait qu'à ça, pendant toute ma chasse, dans le tramway. Et je n'osais pas lui murmurer un "bonsoir"! Elle pensait que j'allais être de la partouze. Elle m'y emmenait. Ça lui allait bien ! elle n'a probablement jamais fait ça de sa vie avec un garçon européen, ça devait l'exciter. Elle a essayé de me tirer du pétrin. Si elle n'avait pas fait cette gaffe : "Il me suit depuis les Brotteaux! " Elle aurait seulement dit "je le connais, c'est un camarade !", je restais. Elle avait envie de moi. En ce moment, je la baiserais, je me frotterais à son ventre, à son poil, à ses fesses, j'aurais ma queue entre ses cuisses.

La porte s'ouvre derrière le volet de bois. Un couple sort, en se baissant. J'aperçois une grosse garce en cheveux, avec un grand bougre. Je m'approche, je ne sais pourquoi, comme si je pouvais leur demander de me réintroduire. Je vois les traits de l'homme, aussi barbares que ceux des sidis. Mais celui-là paraît avoir l'accent espagnol. La femme, elle, est Lyonnaise. Je suis à quatre ou cinq pas d'eux. L'"Espagnol" se retourne, me voit, i la l'air encore plus féroce que les Bics. Je ralentis, je les laisse filer. A la lueur de l'unique bec de gaz du coin, je devine le monumental pétard sur lequel chaloupe la pouffiasse, un gros cul qui vient de s'évaser, de s'enfoutrer, pendant que derrière la cloison, Gaupette...

Oh ! je la veux moi aussi ! Pourquoi les Bics m'ont-ils chassé ? Je ne leur voulais aucun mal. Je suis un salopard, comme eux. Si j'essayais d'entrer de nouveau, de leur expliquer ? Je vais frapper au volet, quelques petits coups, puis plus fort. Il semble que le bistrot soit vide. On ne répond pas, ça ne bouge pas. Je n’ose pas appeler.

Je commence à avoir froid. Mais je n’arrive pas à quitter la place. Gaupette ne couchera tout de même pas là. Si les deux filles sortent seules, je les aborde au coin de la rue. J’attendrai leur sortie, le temps qu’il faut.

Mais personne ne sort plus de ce borgnard. Tout est éteint en bas ; aux étages, il n’y a plus que deux fenêtres vaguement éclairées. Je n’y comprends plus rien. Je m’avise enfin, en contournant les bicoques voisines, d’aller jeter un coup d’œil cinq ou six mètres de la bâtisses, fermant sans doute une sorte de cour. Il y a une porte dans ce mur. En face, une ruelle, toute droite, bordée d’entrepôts noirs, conduit à une espèce de boulevard mieux éclairé que le reste de ce lugubre quartier. Elles ont pu s’en aller par là. Ce doit être la sortie des initiés. A moins qu’elles ne couchent ici. Serait-ce plus incroyable que le reste.

Je suis là depuis près de trois heures, et il en est bientôt onze. Je suis transi, écœuré, furieux. Je n’ai plus qu’à rentrer chez moi. Mais je me perds dans ces "chemins", ces rues inconnues, cet effrayant faubourg où il semble que je sois seul vivant. J’aperçois enfin un taxi. Tant pis pour la dépense.

Auteur: Rebatet Lucien

Info: les deux étendards (1952, 1312 p., Gallimard) p. 722-727

[ vulgarité ] [ laideur ] [ hostilité étrangère ] [ agressivité allogène ] [ fantasme ] [ sexe ] [ baston ] [ tabassage ]

 
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Les insectes et autres animaux ont une conscience, déclarent les experts

Un groupe d'éminents biologistes et philosophes a annoncé un nouveau consensus : il existe " une possibilité réaliste " que les insectes, les poulpes, les crustacés, les poissons et d'autres animaux négligés fassent l'expérience de la conscience.  

En 2022, des chercheurs du Bee Sensory and Behavioral Ecology Lab de l’Université Queen Mary de Londres ont observé des bourdons faire quelque chose de remarquable : ces petites créatures floues se livraient à une activité qui ne pouvait être décrite que comme un jeu. Une fois face à de minuscules boules de bois, les abeilles les poussent et les font tourner. Ce comportement n’avait aucun lien évident avec l’accouplement ou la survie, et n’était pas non plus récompensé par les scientifiques. Apparemment, c'était juste pour s'amuser.

L’étude sur les abeilles joueuses fait partie d’un ensemble de recherches citées aujourd’hui par un groupe d’éminents spécialistes de l’esprit animal, étayant une nouvelle déclaration qui étend le soutien scientifique à la conscience à un plus grand nombre d’animaux que ce qui avait été formellement reconnu auparavant. Depuis des décennies, les scientifiques s’accordent largement sur le fait que les animaux semblables à nous – les grands singes, par exemple – ont une expérience consciente, même si leur conscience diffère de la nôtre. Ces dernières années, cependant, les chercheurs ont commencé à reconnaître que la conscience pourrait également être répandue chez des animaux très différents de nous, notamment des invertébrés dotés d’un système nerveux complètement différent et bien plus simple.

La nouvelle déclaration, signée par des biologistes et des philosophes, adhère formellement à ce point de vue. On y lit notamment : " Les preuves empiriques indiquent au moins une possibilité réaliste d’expérience consciente chez tous les vertébrés (y compris tous les reptiles, amphibiens et poissons) et de nombreux invertébrés (y compris, au minimum, les mollusques céphalopodes, les crustacés décapodes et les insectes). " Inspiré par les résultats de recherches récentes décrivant des comportements cognitifs complexes chez ces animaux et chez d'autres animaux, le document représente un nouveau consensus et suggère que les chercheurs ont peut-être surestimé le degré de complexité neuronale requis pour la conscience.

La Déclaration de New York sur la conscience animale en quatre paragraphes a été dévoilée aujourd'hui, le 19 avril, lors d'une conférence d'une journée intitulée " La science émergente de la conscience animale " qui s'est tenue à l'Université de New York. Menée par la philosophe et spécialiste des sciences cognitives Kristin Andrews de l'Université York en Ontario, le philosophe et spécialiste de l'environnement Jeff Sebo de l'Université de New York et le philosophe Jonathan Birch de la London School of Economics and Political Science, la déclaration a jusqu'à présent été signée par 39 chercheurs, dont les psychologues Nicola Clayton et Irene Pepperberg, les neuroscientifiques Anil Seth et Christof Koch , le zoologiste Lars Chittka et les philosophes David Chalmers et Peter Godfrey-Smith .

La déclaration se concentre sur le type de conscience le plus fondamental, connu sous le nom de conscience phénoménale. En gros, si une créature a une conscience phénoménale, alors c'est " comme quelque chose " qu'être cette créature — une idée énoncée par le philosophe Thomas Nagel dans son essai influent de 1974, " Qu'est-ce que ça fait d'être une chauve-souris ? " Même si une créature est très différente de nous, écrit Nagel, " " Un organisme a fondamentalement des états mentaux conscients qui correspondent à ce qu'est cet organisme, si et seulement si. ... Nous pouvons appeler cela le caractère subjectif de l'expérience. Si une créature est ainsi consciente, elle a la capacité d’éprouver des sentiments tels que la douleur, le plaisir ou la faim, mais pas nécessairement des états mentaux plus complexes comme la conscience de soi.

" J'espère que celà attire une plus grande attention aux problèmes de la conscience non humaine et aux défis éthiques qui accompagnent la possibilité d'expériences conscientes bien au-delà de l'humain", a écrit Seth, neuroscientifique à l'Université du Sussex, dans un e-mail. " J'espère que cela suscitera des discussions, éclairera les politiques et les pratiques en matière de bien-être animal et galvanisera la compréhension et l'appréciation du fait que nous avons beaucoup plus en commun avec d'autres animaux qu'avec des choses comme ChatGPT. "

Une prise de conscience croissante

La déclaration a commencé à prendre forme l’automne dernier, à la suite de conversations entre Sebo, Andrews et Birch. " Nous parlions tous les trois de tout ce qui s'est passé au cours des 10 ou 15 dernières années dans la science de la conscience animale", se souvient Sebo. Nous savons maintenant, par exemple, que les poulpes ressentent de la douleur et que les seiches se souviennent des détails d'événements passés spécifiques. Des études sur les poissons ont montré que les labres (Labroides dimidiatus) semblent réussir une version du " test du miroir ", qui indique un certain degré d'auto-reconnaissance, et que les poissons zèbres montrent des signes de curiosité. Dans le monde des insectes, les abeilles présentent un comportement de jeu apparent, tandis que les mouches des fruits de la drosophile ont des habitudes de sommeil distinctes influencées par leur environnement social. Pendant ce temps, les écrevisses présentent des états de type anxiété – et ces états peuvent être modifiés par des médicaments anti-anxiété.

Ces signes, ainsi que d’autres, d’états de conscience chez des animaux qui ont longtemps été considérés comme moins conscients ont excité et interpellé les biologistes, les spécialistes des sciences cognitives et les philosophes de l’esprit. "Beaucoup de gens acceptent depuis un certain temps que, par exemple, les mammifères et les oiseaux sont soit conscients, soit très susceptibles de l'être, mais moins d'attention a été accordée aux autres taxons de vertébrés et en particulier d'invertébrés", a déclaré Sebo. Lors de conversations et de réunions, les experts ont largement convenu que ces animaux devaient avoir une conscience. Cependant, ce consensus nouvellement formé n’a pas été communiqué au grand public, notamment aux autres scientifiques et décideurs politiques. Les trois chercheurs ont donc décidé de rédiger une déclaration claire et concise et de la faire circuler parmi leurs collègues pour approbation. La déclaration n’est pas censée être exhaustive mais plutôt " indiquer où nous pensons que le domaine se trouve actuellement et où il se dirige ", a déclaré Sebo.

La nouvelle déclaration met à jour les efforts les plus récents visant à établir un consensus scientifique sur la conscience animale. En 2012, des chercheurs ont publié la Déclaration de Cambridge sur la conscience, qui affirmait qu'un grand nombre d'animaux non humains, y compris, mais sans s'y limiter, les mammifères et les oiseaux, ont " la capacité de manifester des comportements intentionnels " et que " les humains ne sont pas les seuls à posséder les substrats neurologiques " qui génèrent la conscience.

La nouvelle déclaration élargit la portée de son prédécesseur et est également rédigée avec plus de soin, a écrit Seth. " Elle n'essaie pas de faire de la science par diktat, mais souligne plutôt ce que nous devrions prendre au sérieux concernant la conscience animale et l'éthique pertinente, compte tenu des preuves et des théories dont nous disposons." Il a écrit qu’il n’était " pas favorable aux avalanches de lettres ouvertes et autres ", mais qu’il était finalement " parvenu à la conclusion que cette déclaration méritait vraiment d’être soutenue ".

Godfrey-Smith, philosophe des sciences à l'Université de Sydney qui a beaucoup travaillé avec les poulpes, estime que les comportements complexes que présentent ces créatures – notamment la résolution de problèmes, l'utilisation d'outils et le comportement de jeu – ne peuvent être interprétés que comme des indicateurs de conscience. "Elles ont cet engagement attentif avec les choses, avec nous et avec de nouveaux objets qui fait qu'il est très difficile de ne pas penser qu'il se passe beaucoup de choses à l'intérieur d'elles", a-t-il déclaré. Il a noté que des articles récents portant sur la douleur et les états oniriques chez les poulpes et les seiches " vont dans la même direction… ".

Même si de nombreux animaux mentionnés dans la déclaration ont un cerveau et un système nerveux très différents de ceux des humains, les chercheurs affirment que cela ne constitue pas nécessairement un obstacle à la conscience. Par exemple, le cerveau d’une abeille ne contient qu’environ un million de neurones, contre environ 86 milliards dans le cas des humains. Mais chacun de ces neurones d’abeille peut être structurellement aussi complexe qu’un chêne. Le réseau de connexions qu’ils forment est également incroyablement dense, chaque neurone en contactant peut-être 10 000 ou 100 000 autres. Le système nerveux d’une pieuvre, en revanche, est complexe à d’autres égards. Son organisation est hautement distribuée plutôt que centralisée ; un bras coupé peut présenter de nombreux comportements de l'animal intact.

(4 photos : Des recherches récentes sur l’esprit des animaux – notamment ceux des écrevisses, des poulpes, des serpents et des poissons – suggèrent que la conscience " peut exister dans une architecture neurale qui semble complètement étrangère " à la nôtre, a déclaré Peter Godfrey-Smith.)

Le résultat, a déclaré Andrews, est que "  nous n’avons peut-être pas besoin d’autant d’équipement que nous le pensions " pour atteindre la conscience. Elle note, par exemple, que même un cortex cérébral – la couche externe du cerveau des mammifères, censée jouer un rôle dans l’attention, la perception, la mémoire et d’autres aspects clés de la conscience – n’est peut-être pas nécessaire pour une conscience phénoménale plus simple comme celle ciblée dans la déclaration.

"Il y a eu un grand débat sur la question de savoir si les poissons sont conscients, et cela était en grande partie dû au fait qu'ils n'avaient pas les structures cérébrales que nous observons chez les mammifères", a-t-elle déclaré. "Mais quand vous regardez les oiseaux, les reptiles et les amphibiens, ils ont des structures cérébrales très différentes et des pressions évolutives différentes - et pourtant certaines de ces structures cérébrales, comme nous le constatons, font le même genre de travail qu'un cortex cérébral chez l'homme. " Godfrey-Smith est d’accord, notant que des comportements révélateurs de conscience " peuvent exister dans une architecture qui semble complètement étrangère à l’architecture des vertébrés ou des humains ".

Relations conscientes

Bien que la déclaration ait des implications pour le traitement des animaux, et en particulier pour la prévention de la souffrance animale, Sebo a noté que l'accent devrait aller au-delà de la douleur. Il ne suffit pas d'empêcher les animaux en captivité de ressentir des douleurs et des inconforts corporels, a-t-il déclaré. " Nous devons également leur offrir le type d’enrichissement et d’opportunités qui leur permettent d’exprimer leurs instincts, d’explorer leur environnement, de s’engager dans les systèmes sociaux et d’être par ailleurs le genre d’agents complexes qu’ils sont. "

Mais les conséquences de l’attribution du label " conscient " à un plus grand nombre d’animaux – en particulier à des animaux dont nous n’avons pas l’habitude de prendre en compte les intérêts – ne sont pas simples. Par exemple, notre relation avec les insectes peut être " inévitablement quelque peu antagoniste ", a déclaré Godfrey-Smith. Certains ravageurs dévorent les récoltes et les moustiques peuvent être porteurs de maladies. " L'idée selon laquelle nous pourrions simplement faire la paix avec les moustiques est une pensée très différente de l'idée selon laquelle nous pourrions faire la paix avec les poissons et les poulpes", a-t-il déclaré.

De même, peu d’attention est accordée au bien-être des insectes comme la drosophile, largement utilisés dans la recherche en biologie. " Dans la recherche, nous pensons au bien-être du bétail et des souris, mais nous ne pensons jamais au bien-être des insectes ", a déclaré Matilda Gibbons , qui étudie les bases neuronales de la conscience à l'Université de Pennsylvanie et a signé la déclaration.

Même si les organismes scientifiques ont créé certaines normes pour le traitement des souris de laboratoire, il n'est pas clair si la déclaration d'aujourd'hui mènera à de nouvelles normes pour le traitement des insectes. Mais les nouvelles découvertes scientifiques suscitent parfois de nouvelles politiques. La Grande-Bretagne, par exemple, a adopté une législation visant à accroître la protection des poulpes, des crabes et des homards après qu'un rapport de la London School of Economics  ait indiqué que ces animaux pouvaient ressentir de la douleur, de la détresse ou être blessés.

Bien que la déclaration ne fasse aucune mention de l’intelligence artificielle, la question d’une éventuelle conscience de l’IA préoccupe les chercheurs en conscience animale. "Il est très peu probable que les systèmes d'IA actuels soient conscients", a déclaré Sebo. Cependant, ce qu’il a appris sur l’esprit animal " me fait réfléchir et me donne envie d’aborder le sujet avec prudence et humilité ".

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Dan Falk  19 avril 2024

[ entités vivantes ] [ monades ] [ animal-végétal ]

 

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Elle étudie la façon dont la toxicomanie interfère avec l'apprentissage dans le cerveau

Erin Calipari cherche à comprendre comment des drogues comme les opioïdes et la cocaïne modifient les circuits d'apprentissage et la neurochimie dans l'un des épicentres nationaux des troubles liés à la consommation de substances psychoactives et de la toxicomanie.

(Photo : La dopamine est mieux comprise comme une molécule " d’apprentissage " que comme une molécule de " plaisir ", déclare Erin. "Tout le monde doit avoir un neuromodulateur préféré dans le cerveau, et pour moi c'est la dopamine.")

À quoi ressemble l’apprentissage dans le cerveau et comment les drogues interfèrent-elles avec cela ?

Notre cerveau est programmé pour nous aider à voir les choses qui sont importantes et à y réagir. Cela détermine si nous devons refaire quelque chose ou non. Devons-nous déménager ou rester ? Est-ce bon ou mauvais? Est-ce quelque chose auquel je dois faire attention ?

Les drogues convainquent notre cerveau : " Oui, c’est important. C’est quelque chose que nous devons refaire. Les drogues déterminent non seulement les décisions concernant la drogue elle-même, mais également les décisions concernant les stimuli non médicamenteux présents dans notre environnement. Elles modifient la façon dont nous apprenons.

Comment ça marche au niveau moléculaire ?

Les médicaments comme les opioïdes agissent sur la dopamine. La plupart des gens considèrent la dopamine comme une " molécule du plaisir ", mais ce n’est pas tout. Oui, la dopamine est libérée par des stimuli enrichissants comme le chocolat ou le sucre. Mais Elle est également libérée par des stimuli aversifs comme le stress ou la douleur. Elle se déclenche lorsque les choses sont nouvelles ou différentes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Et de cette façon, la dopamine est essentielle pour vous aider à apprendre.

Les drogues continuent essentiellement à stimuler la dopamine même lorsque les choses ne sont plus nouvelles ou différentes. Le cerveau continue de penser que quelque chose est important, vous signalant ainsi de continuer à y prêter attention. Mais si les drogues augmentent la dopamine sur le moment, leur consommation à long terme la diminue. Ainsi, avec la consommation croissante de drogues, il y a de moins en moins de dopamine dans le cerveau, ce qui signifie que vous avez du mal à apprendre quelque chose de nouveau.

La dopamine doit-elle être redéfinie comme une molécule " d’apprentissage " plutôt que comme une molécule de " plaisir " ?

Oui. Comprendre la dopamine en tant que molécule qui détermine l’efficacité de notre apprentissage est beaucoup plus précis.

Comment étudiez-vous ce système compliqué ?

Dans mon laboratoire, nous utilisons différentes stratégies pour enregistrer et manipuler différentes cellules du cerveau afin d’essayer de déterminer quelles cellules et quels circuits nous aident à prendre des décisions adaptatives. Et puis, une fois que nous avons identifié ces circuits, nous y allons et disons : Comment l'exposition aux drogues change-t-elle le fonctionnement du système ? Nous effectuons ce travail au niveau physiologique et épigénétique. L’objectif est de comprendre la biologie fondamentale – comment les médicaments détournent les circuits – et ensuite de déterminer si nous pouvons inverser le processus. Nous pouvons utiliser les outils CRISPR*, par exemple, pour inverser une partie de la plasticité de cellules cérébrales spécifiques.

Comprendre le fonctionnement de la dopamine peut-il éventuellement nous aider à développer des traitements contre la dépendance ?

Comprendre ce que fait la dopamine pour aider le cerveau à apprendre est vraiment important. Mais ce sera très difficile à cibler. Vous ne pouvez pas simplement bloquer la dopamine : si vous le faites, les gens ne pourront plus bouger, ils ne pourront plus prêter attention à quoi que ce soit. De nombreux travaux sont en cours sur différentes manières d'affiner le système dopaminergique au lieu de simplement l'activer ou le désactiver. Je pense que c'est ce que nous allons devoir faire.

Qu'est-ce que ça fait de travailler en tant que chercheur en toxicomanie dans l'un des épicentres de la toxicomanie ?

Nashville est mauvais. Au plus fort de l’épidémie d’opioïdes, le Tennessee avait l’un des taux de prescriptions d’opioïdes les plus élevés. Ces dernières années, ce chiffre a diminué, mais pas le problème des opioïdes. Et il ne s’agit pas uniquement d’opioïdes pour nous ; la méthamphétamine est également un problème important. Vanderbilt se trouve donc dans cet espace unique en tant que l’un des plus grands hôpitaux de recherche de la région, au cœur des troubles liés à l’usage de ces substances.

Parfois, il est épuisant de ne pas pouvoir résoudre sa dépendance. C'est écrasant dans un sens pas sympa. Parfois, c'est triste de parler à des personnes qui souffrent de troubles liés à l'usage de substances, et je ne sais pas comment les aider. Elles me posent des questions, mais si je suis experte des changements neurobiologiques spécifiques qui se produisent il m’est difficile de comprendre l’impact de ce trouble sur la vie quotidienne d’un individu puisque je ne l’ai pas vécu personnellement.

Sommes-nous sur le point de comprendre et, à terme, de trouver un remède à la dépendance ?

Guérir de la dépendance est difficile car la dépendance n’est pas une maladie uniforme. Certaines personnes souffrant de dépendance souffrent de troubles comorbides comme l’anxiété et la dépression. Certaines personnes prennent des drogues pour éviter la douleur. Certaines personnes ont un comportement compulsif, d’autres non.

Il sera essentiel de comprendre ce qui est similaire et différent dans le cerveau des individus présentant chacun de ces symptômes uniques pour comprendre comment aborder le traitement en premier lieu. Dans mon laboratoire, par exemple, nous étudions les différences entre les hommes et les femmes.

Qu'avez-vous découvert ?

Lorsque l’on examine les raisons pour lesquelles les gens consomment de la drogue, les femmes sont plus susceptibles de déclarer qu’elles en prennent pour éviter ou échapper à des conséquences négatives, comme le stress et l’anxiété. Les hommes sont plus susceptibles de consommer des drogues de manière impulsive, de planer et de sortir avec des amis. Les deux sexes consomment des drogues et un certain pourcentage d’entre eux développeront un trouble lié à l’usage de substances. Mais ils le font pour différentes raisons.

Les hormones ont beaucoup à voir avec cela. Nous avons découvert que l'estradiol, une hormone ovarienne qui circule avec le cycle menstruel, modifie la façon dont la nicotine agit dans le cerveau en modifiant les fonctions de ses récepteurs.

Nous avons également constaté que si l’on donne aux animaux un accès illimité aux drogues, les mâles et les femelles consomment la même quantité de drogues et leur comportement semble identique. Mais lorsque nous avons examiné les modifications apportées aux protéines de leur cerveau, les hommes et les femmes étaient totalement différents. Beaucoup de ces protéines ont des fonctions cellulaires similaires. Nous pensons que ce médicament augmente la dopamine chez les hommes et les femmes et détermine le comportement de la même manière, mais les voies moléculaires utilisées par chaque sexe sont très différentes.

Pourquoi les cerveaux de sexes différents emprunteraient-ils des chemins différents pour arriver au même point ?

Si vous aviez un système dans lequel vous avez besoin d’un neurone pour coder une information, ce système serait susceptible de tomber en panne. Tout devrait fonctionner parfaitement à chaque fois pour que vous puissiez naviguer dans l'environnement. Mais le cerveau comporte de nombreuses redondances, ce qui signifie que vous n’avez pas besoin que tout fonctionne parfaitement. Il existe de nombreuses façons d’arriver au même but. La raison pour laquelle les mâles et les femelles ont des manières différentes de coder leurs comportements est probablement basée sur l'évolution et la survie de notre espèce.

Cela doit être un domaine difficile dans lequel travailler. Qu'est-ce qui vous motive ?

Ce qui me préoccupe chaque jour, c’est que ce sont des questions importantes. Apprendre la prochaine chose et résoudre des problèmes difficiles est en soi très satisfaisant. Ensuite, lorsque vous respirez, prenez du recul et réalisez que les problèmes difficiles que vous résolvez ont vraiment un impact sur les gens, cela rend le tout encore plus significatif. Mais ma véritable motivation réside dans le mentorat de la prochaine génération. Lorsque je me suis lancé dans la recherche, mon objectif était d’influencer le plus de personnes possible. Je pensais y parvenir en découvrant quelque chose d'important et en changeant la société, ce qui est évidemment le but ultime. Mais ensuite, quand je suis arrivée ici et que j'ai installé mon laboratoire, j'ai réalisé que ce qu'on fait, c'est apprendre aux étudiants qu'ils peuvent faire ce travail. Leur permettre de découvrir ce pour quoi ils sont bons et ce qu'ils aiment me permet de continuer, même lorsque la science ne va pas toujours comme je le souhaite.

Vous êtes un peu comme l'entraîneur de votre propre équipe.

Lorsque vous finissez par diriger un laboratoire, vous réalisez qu’il s’agit d’une grande partie de la science, mais aussi d’une grande partie de la non-science. Il s'agit d'amener les gens à travailler ensemble et de créer l'environnement approprié pour chaque individu, ce qui peut s'avérer difficile. C'est comme constituer une équipe. S'ils travaillent ensemble, c'est moins difficile pour chacun. Et si vous le faites correctement, alors tout le monde y gagne.

Vous défendez également les femmes scientifiques. D’où vient cette motivation ?

Personne dans ma famille n’avait de diplôme d’études supérieures avant moi. Parce que mon père est sportif, l'accent n'était pas mis sur les études. Ensuite, je me suis retrouvé dans un espace dans lequel – je ne veux pas dire que je n’avais rien à faire, mais j’étais entouré d’un groupe de personnes qui, à mon avis, étaient plus intelligentes que moi. Ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils savaient quel chemin ils étaient censés emprunter.  Heureusement j’ai eu des mentors extraordinaires qui m’ont aidé à rester sur un chemin que je ne connaissais pas. Et puis, en vieillissant, j’ai commencé à réaliser que ma place était ici. J'étais aussi intelligente que les gens autour de moi. Cela seul m’a fait réaliser à quel point il est important que les gens se sentent à leur place.

Au lieu de demander aux femmes d'agir comme des hommes pour s'intégrer dans un système construit pour les hommes, peut-être devrions-nous changer le système pour renforcer les éléments qui nous manquent, c'est-à-dire les éléments que les femmes apportent à la table : la façon dont elles naviguent dans le monde, comment elles perçoivent les choses, comment elles accompagnent les étudiants. Nous bénéficions énormément de la création d’un espace pour les femmes.

Vous avez fait du sport toute votre vie, y compris le basket-ball à l'université. Pensez-vous que cela a eu une influence sur votre carrière aujourd’hui ? 

Les choses les plus importantes que l’on apprend dans le sport sont comment se dépasser pour s’améliorer chaque jour, comment se remettre d’un échec et comment compter sur ses coéquipiers. Quand j'étais plus jeune, ces expériences m'ont appris à venir travailler après qu'une expérience n'ait pas fonctionné et à demander de l'aide lorsque j'en avais besoin.

Durant mon entraînement, j’étais l’athlète qui jouait à un jeu. Cependant, lorsque je suis devenu professeur, je suis tout d’un coup devenu entraîneur. Mon travail est différent maintenant. Il se concentre sur la façon dont je peux amener mon équipe à s’améliorer. Je dois identifier les points forts de chacun et les mettre en mesure de réussir. Je suis également là pour les aider à combler les lacunes avec d’excellents coéquipiers qui sont bons dans des domaines pour lesquels ils ne sont peut-être pas bons. Le sport m'a donné les compétences nécessaires pour me concentrer sur le travail acharné et la motivation, et m'a donné un cadre pour créer une équipe efficace et la motiver à donner le meilleur d'elle-même.

Votre père, John Calipari , est un entraîneur de basket-ball professionnel. Était-il un mentor pour vous ?

Il était un mentor extraordinaire, mais plus par les choses qu'il faisait que par les choses qu'il disait. Quand j'étais au collège, il a été viré. Le regarder se faire virer, puis revenir et dire : " Vous savez quoi, tout va bien ; Je vais me lever et recommencer " – c'était vraiment important pour moi de réaliser que même lorsque les choses semblent être d'énormes échecs, c'est parfois le début de quelque chose de nouveau.

Auteur: Internet

Info: Quanta Magazine, Yasemin Saplakoglu, 7 décembre 2023 *système simple, rapide et efficace pour couper l'ADN à un endroit précis du génome, dans n'importe quelle cellule.

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