Citation
Catégorie
Tag – étiquette
Auteur
Info



nb max de mots
nb min de mots
trier par
Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
Résultat(s): 464
Temps de recherche: 0.0486s

dissidence

Les mauvais sentiments ne représentent peut-être pas la garantie absolue de la bonne littérature, mais les bons, en revanche, sont une assurance-béton pour faire perdurer, pour faire croître et embellir tout ce qu’on peut imaginer de plus faux, de plus grotesquement pleurnichard, de plus salement kitsch, de plus préraphaélite goitreux, de plus romantique apathique, de plus victorien-populiste qui se soit jamais abattu sur aucun public. La réalité ne tient pas debout en plein vent caritatif. Un romancier véridique, aujourd’hui, serait traité comme autrefois les "porteurs de mauvaises nouvelles" : on le mettrait à mort séance tenante, dès remise du manuscrit. C’est pour cela exactement qu’il n’y a plus de romanciers. Parce que quelqu’un qui oserait aller à fond, réellement, et jusqu’au bout de ce qui est observable, ne pourrait qu’apparaître porteur de nouvelles affreusement désagréables.

La Littérature ? Il y a des Fêtes du Livre pour ça.

L’air du temps cherche tout ce qui unit. Rien n’est écœurant comme cette pêche obscène aux convergences. Nous vivons sous une arrogance puritaine comme on en a rarement vu. [...]

L’enfer contemporain est pavé de bonnes dévotions qu’il serait si agréable de piétiner. C’est un crime contre l’esprit, c’est une désertion gravissime de ne pas essayer, jour après jour, d’étriller quelques crapuleries. Les gens ne croient plus, dit-on, que ce qu’ils ont vu à la télé ? Ça tombe bien, la littérature a toujours été là, en principe du moins, pour démolir ce que tout le monde croit. S’il en existait encore une, s’il y avait encore des écrivains, au lieu d’"auteurs", au lieu de "livres", on pourrait peut-être se divertir. Toute entreprise d’envergure a toujours été, dans ce domaine, par un bout ou par un autre, franchement démoralisatrice, saccageuse de pastorale. Voyez les niaiseries de chevalerie pulvérisées dans Cervantès ; ou encore la "chimère" religieuse à son plus haut point d’hégémonie pourchassée par Sade de bout en bout ; ou le parti dévot dans Molière… Non, aucun grand écrivain n’a jamais accepté, quels que soient les dangers, de descendre de la constatation des données de la société à l’apologie de la nécessité de cette dernière.

Auteur: Muray Philippe

Info: "Défriser l'être", tiré de L'Empire du Bien

[ démystification ]

 
Mis dans la chaine

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par miguel

anonymat de masse

Supposons que la bombe ait été utilisée.

Il serait déplacé de parler encore ici d’ "acte". Le processus qui aboutirait à un tel fait compterait en fin de compte tant de médiations, il serait si peu transparent, il se composerait de tant d’étapes intermédiaires et ferait intervenir tant d’instances – sans qu’aucune ne soit plus décisive que les autres – que pour finir tout le monde aurait fait quelque chose mais personne n’aurait "fait" cela. En fin de compte, personne n’aurait rien fait.

Pour écarter tout risque d’un ultime sursaut de la conscience, on a construit des êtres sur lesquels rejeter la responsabilité, c’est-à-dire des machines à oracles, des consciences-automates électroniques [...]. [...]

Quand bien même il n’y aurait pas de robots, la complexité de l’organisation moderne à elle seule, le fait que cette chose monstrueuse soit le résultat d’un travail mille fois divisé et médiatisé, suffirait à en faciliter l’exécution. Cela semble paradoxal. Ce n’est pourtant pas un paradoxe parce que les innombrables procédures organisationnelles, en consommant beaucoup d’énergie, affaiblissent ou épuisent les énergies morales contraires, et remplissent ainsi une fonction analogue à celle des résistances électriques.

En outre, lorsqu’une organisation est au travail, l’idée d’une moralité de l’action est automatiquement remplacée par celle d’un parfait fonctionnement. [...] Chacun des innombrables travailleurs spécialisés intégrés au processus considérant exclusivement la tâche qu’il doit accomplir et n’étant lui-même considéré comme consciencieux que dans la mesure où il accomplit consciencieusement la tâche dont il est chargé, il n’y a pas pour lui matière à la moindre considération morale. Autrement dit, s’il n’y a pas là pour lui la moindre perspective d’immoralité, c’est parce qu’il n’a pas de "perspective" du tout. [...]

Et comme il ne sait pas comment sa tâche se combine avec celle des autres, il ne peut prendre conscience du fait que la somme des tâches spécialisées et consciencieusement accomplies pourrait se révéler une monstrueuse absence de conscience morale. [...]

Rien ne peut donc contrecarrer la production et l’utilisation de la bombe : ce sont le grand nombre des participants et la complexité de l’appareil qui empêchent d’empêcher.

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Dans "L'obsolescence de l'homme", trad. de l'allemand par Christophe David, éditions Ivrea, Paris, 2002, pp. 272-274

[ responsabilité diluée ] [ ignorance ] [ totalitarisme ] [ pions ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

double injonction contradictoire

Celui-ci [Gregory Bateson] essaye de situer et de formuler le principe de la genèse du trouble psychotique dans quelque chose qui s’établit au niveau de la relation entre la mère et l’enfant, et qui n’est pas simplement un effet élémentaire de frustration, de tension, de rétention, et de détente, de satisfaction, comme si la relation inter-humaine se passait au bout d’un élastique. Il introduit dès le principe la notion de la communication en tant qu’elle est centrée, non pas simplement sur un contact, un rapport, un entourage, mais sur une signification. Voilà ce qu’il met au principe de ce qui s’est passé d’originairement discordant, déchirant, dans les relations de l’enfant avec la mère. Ce qu’il désigne comme étant l’élément discordant essentiel de cette relation, c’est le fait que la communication s’est présentée sous la forme de double bind, de double relation.

[...] Vous considérez que ce que le sujet dit a pour fin de méconnaître ce qu’il y a de signification quelque part en lui, et qu’il s’annonce lui-même – et vous annonce – la couleur à côté. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de quelque chose qui concerne l’Autre, et qui est perçu par le sujet de telle façon que, s’il répond sur un point, il sait que, de ce fait même, il va se trouver coincé dans l’autre. C’est l’exemple que prenait Mme Pankow – si je réponds à la déclaration d’amour que me fait ma mère, je provoque son retrait, et si je ne l’entends pas, c’est-à-dire si je ne lui réponds pas, je la perds.

[...] La question qui se pose à propos des psychoses, est celle de savoir ce qu’il en est du procès de la communication quand précisément il n’arrive pas à être constituant pour le sujet. C’est un autre repère qu’il faut rechercher. Jusqu’à présent, quand vous lisez M. Bateson, vous voyez que tout est en somme centré sur le double message, sans doute, mais sur le double message en tant que double signification. C’est précisément là que le système pèche, et justement parce que cette conception néglige ce que le signifiant a de constituant dans la signification.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre V", "Les formations de l'inconscient (1957-1958)", éditions du Seuil, 1998, pages 144-145

[ définie ] [ critique ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

structure psychologique

Observez la structure de nos obsessionnels. Ce que l’on appelle effet de surmoi, veut dire quoi ? Cela veut dire qu’ils s’infligent toutes sortes de tâches particulièrement dures, éprouvantes, qu’ils les réussissent d’ailleurs, qu’ils les réussissent d’autant plus facilement que c’est ce qu’ils désirent faire – mais là, ils réussissent très, très brillamment, au nom de quoi ils auraient bien droit à de petites vacances pendant lesquelles on ferait ce qu’on voudrait, d’où la dialectique bien connue du travail et des vacances. Chez l’obsessionnel, le travail est puissant, étant fait pour libérer le temps de la grande voile qui sera celui des vacances – et le passage des vacances se révèle habituellement à peu près perdu. Pourquoi ? Parce que ce dont il s’agissait, c’était d’obtenir la permission de l’Autre. Or l’autre – je parle maintenant de l’autre en fait, de l’autre qui existe – n’a absolument rien à faire avec toute cette dialectique, pour la simple raison que l’autre réel est bien trop occupé avec son propre Autre, et n’a aucune raison de remplir cette mission de donner à l’exploit de l’obsessionnel sa petite couronne, à savoir ce qui serait justement la réalisation de son désir, en tant que ce désir n’a rien à faire avec le terrain sur lequel le sujet a démontré toutes ses capacités. [...]

Il y a dans l’exploit de l’obsessionnel quelque chose qui reste toujours irrémédiablement fictif, pour la raison que la mort, je veux dire là où est le véritable danger, ne réside pas dans l’adversaire qu’il a l’air de défier, mais tout à fait ailleurs. Il est justement du côté de ce témoin invisible, de cet Autre qui est là comme le spectateur, celui qui compte les coups, et va dire du sujet – Décidément [...] c’est un rude lapin ! On retrouve cette exclamation, cette façon d’accuser le coup, comme implicite, latente, souhaitée, dans toute la dialectique de l’exploit. [...] Ce que l’obsessionnel veut avant tout maintenir sans en avoir l’air, en ayant l’air de viser autre chose, c’est cet Autre où les choses s’articulent en termes de signifiant.

[...] La visée essentielle, il est certain que c’est le maintien de l’Autre.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre V", "Les formations de l'inconscient (1957-1958)", éditions du Seuil, 1998, pages 418-419

[ description ] [ accent comique ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

énonciation

[...] partons de l’opposition que met un RUSSELL à marquer quelque chose qui serait contradiction dans la formule qui s’énoncerait ainsi : B < A / (S) W (S). D’un sous ensemble B dont il serait impossible d’assurer le statut, à partir de ceci qu’il serait spécifié dans un autre ensemble A par une caractéristique telle qu’un élément de A ne se contiendrait pas lui-même. Y a-t-il quelque sous-ensemble, défini par cette proposition de l’existence des éléments qui ne se contiennent pas eux-mêmes ?

Il est assurément facile, dans cette condition, de montrer la contradiction qui existe dans ceci puisque nous n’avons qu’à prendre un élément y comme faisant partie de B, comme élément de B : y  B [ : appartient à...,  : n’appartient pas à...] pour nous apercevoir des conséquences qu’il y a dès lors à le faire à la fois, comme tel :

— faire partie, comme élément, de A : y  B, y  A,

— et n’étant pas élément de lui–même : y  y. 

La contradiction se révèle à mettre B à la place de y : B  B, B  A, B  B, et à voir que la formule joue en ceci que chaque fois que nous faisons B élément de B, il en résulte, en raison de la solidarité de la formule, que puisque B fait partie de A, il ne doit pas faire partie de lui-même, si d’autre part - B étant mis, substitué, à la place de cet y - si d’autre part il ne fait pas partie de lui-même, satisfaisant à la parenthèse de droite de la formule, il fait donc partie de lui-même étant un de ces y qui sont éléments de B.

Telle est la contradiction devant quoi nous met le paradoxe de Russell.

La contradiction dont il s’agit à ce niveau où s’articule le paradoxe de Russell, tient précisément, comme le seul usage des mots nous le livre, à ceci que je le dis. Car si je ne le dis pas, rien n’empêche cette formule - très précisément la seconde - de tenir comme telle, écrite, et rien ne dit que son usage s’arrêtera là.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 novembre 1966, Logique du fantasme

[ écriture ] [ fermeture ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

juvéniles divinités

La terre est aujourd'hui comme un radeau qui sombre.

Les dieux, ces parvenus, règnent, et, seuls debout,

Composent leur grandeur de la chute de tout.

Leur banquet resplendit sur la terre et l'affame.

Ils dévorent l'amour, l'âme, la chair, la femme,



Le bien, le mal, le faux, le vrai, l'immensité.

Ils sont hideux au fond de la sérénité.

Quels festins ! Comme ils sont contents ! Comme ils s'entourent

De vertiges, de feux, d'ombre ! Comme ils savourent

La gloire d'être grands, d'être dieux, d'être seuls !

Comme ils raillent les vieux géants dans leurs linceuls !

Toutes les vérités premières sont tuées.



Les heures, qui ne sont que des prostituées,

Viennent chanter chez eux, montrant de vils appas,

Leur offrant l'avenir sacré, qu'elles n'ont pas.



[...]



Toute la terre tremble à leurs métamorphoses ;

La forêt, où le jour pâle pénètre peu,

Quand elle voit un monstre a peur de voir un dieu.

Quelle joie ils se font avec l'univers triste !

Comme ils sont convaincus que rien hors d'eux n'existe !

Comme ils se sentent forts, immortels, éternels !

Quelle tranquillité d'être les criminels,

Les tyrans, les bourreaux, les dogmes, les idoles !



[...]



Et les hommes ? Que font les hommes ? Ils frissonnent.

Les clairons dans les camps et dans les temples sonnent,

L'encens et les bûchers fument, et le destin

Du fond de l'ombre immense écrase tout, lointain ;



Et les blêmes vivants passent, larves, pygmées ;

Ils regardent l'Olympe à travers les fumées,

Et se taisent, sachant que le sort est sur eux,

D'autant plus éblouis qu'ils sont plus ténébreux ;

Leur seule volonté c'est de ne pas comprendre ;

Ils acceptent tout, vie et tombeau, flamme et cendre,

Tout ce que font les rois, tout ce que les dieux font,

Tant le frémissement des âmes est profond !

Auteur: Hugo Victor

Info: La Légende des Siècles. Le cycle des Titans.

[ poème ]

 
Commentaires: 2
Ajouté à la BD par Bandini

réappropriation culturelle

Quelques jours après notre première rencontre, il m'apporta un livre dans la version anglaise qu'il avait lui-même traduite du français. C'était L'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, de René Guénon.

La lecture de ce livre allait radicalement transformer mes façons de penser. Eclairant dans leur vraie perspective les rapports entre l'Orient traditionnel et l'Occident moderne, elle devait m'aider à trouver les réponses aux grandes questions que je me posais depuis l'université et, finalement, à me réintégrer intellectuellement et spirituellement à cet Orient et à ma propre tradition. En fait il s'agissait là de bien plus que des doctrines hindoues et j'y trouvai de quoi réfléchir aux plus grandes questions métaphysiques. René Guénon m'ouvrait des aperçus en comparaison desquels toute la culture académique que nous avions dû assimiler à l'université me paraissait singulièrement bornée. Il m'invitait à une ré ­flexion nouvelle sur les possibilités spirituelles de la condition humaine et le sens de la civilisation. [...]

Ce fut aussi pour moi l'occasion de saisir à quel point j'avais été imprégné par la pensée et les conceptions de l'Occident moderne en dépit du milieu oriental de mon éducation. La notion de supériorité occidentale s 'était en effet insinuée partout, le Tibet "arriéré" faisant sans doute encore exception du fait de son isolement géographique, et personne, à ma connaissance, n'avait encore osé la contester.

A vrai dire, je n'avais eu dans mes jeunes années que peu de contacts directs avec des Occidentaux et, à part les révérends Driver et Bescoe, tous mes maîtres avaient été des Orientaux. Mais, qu'ils en fussent conscients ou non, leur enseignement transmettait des valeurs plus occidentales qu'orientales et leur attitude témoignait généralement d'une admiration implicite pour la civilisation moderne.[...]

Parmi les notions fondamentales que j'en retins à ce stade initial figuraient d'abord la primauté de la métaphysique traditionnelle et universelle, "centre unique de toutes les doctrines de l'Orient". Guénon soulignait que l'Occident s'était rendu étranger à cette connaissance métaphysique pour développer une pensée philosophique ne se situant pas au même niveau d'universalité. Cette constatation d'une importance capitale était à la base de sa critique de la civilisation occidentale dont il dénonçait le manque de principe supérieur et l'incapacité de comprendre ceux auxquels l'Orient demeurait attaché.

Auteur: Radhu Abdul Wahid

Info: Dans "Caravane tibétaine"

[ contamination idéologique ] [ texte révélation ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

femmes-hommes

On ne pouvait m'accuser de pratiquer l'art de la conquête ; à l'encontre des moeurs du temps, c'était Rosa qui m'avait demandé une danse. Ce qui fit de moi le plus grand veinard de tout l'hémisphère Nord, au bas mot. Rosa : j'osais à peine la regarder mais, à un moment donné, je fus bel et bien avec elle sur la piste de danse. Ni dieu ni diable qui comprît comment j'avais mérité ça. Et moi encore moins. J'aurais voulu m'excuser auprès de tous ces garçons qui me regardaient avec envie à travers la fumée de leurs cigarettes Belga. [...] Ensuite, elle a eu chaud, elle a dit qu'elle voulait sortir prendre un peu d'air frais, et m'a demandé de l'accompagner. Jusque là, tous les préliminaires avaient été de son initiative. Le genre entreprenant. Mais à présent, c'était à moi de jouer. Pas besoin de faire le naïf, je savais ce que j'avais à faire. Pas une seule fille ne demande à un garçon d'aller prendre l'air pour des prunes. Et sûrement pas après avoir dansé avec lui. Mais je n'ai rien fait. Je suis resté planté à côté d'elle. Imaginant les questions les plus nulles qu'un garçon puisse imaginer dans des moments aussi cruciaux. Où elle allait à l'école, si elle aimait aller à l'école, quel métier elle pensait choisir et, merde alors, avait-elle la moindre idée si elle voulait avoir des enfants, et si oui, combien... c'était pour ainsi dire ma première soirée, j'avais voulu me montrer un gentleman, montrer que je ne recherchais pas un succès rapide auprès des filles. De tous les grands secrets propres à l'univers féminins de notre espèce souvent répugnante, je pensais en avoir dévoilé un, à savoir que les femmes détestent les types qui se jettent trop vite et de façon trop ciblée sur "la chose".
Rosa s'était bien entendu refroidie entre temps (fallait la réchauffer, imbécile), et a proposé de rentrer. J'ai aussitôt compris que j'avais fichu en l'air avec brio une chance qui m'était offerte sur un plateau d'argent. Elle, qu'a-t-elle bien pu penser ? Que j'aimais les garçons ? Que je ne la trouvais pas assez jolie ? Que j'allais sous peu choisir d'entrer au séminaire, j'étudiais déjà le latin, pas vrai ? Je n'en sais rien, mais l'oiseau s'est envolé et n'est jamais revenu.

Auteur: Verhulst Dimitri

Info: Comment ma femme m'a rendu fou, p. 30-31

[ occasion manquée ] [ séduction ]

 

Commentaires: 0

lutte des classes

Parmi les détenus de longue date du Silo se trouvait un homme nommé Règedié*. Il jouait le rôle de porte-parole et, bien qu’il fût le plus petit, il était reconnu comme un chef spirituel ; car sa ruse était impressionnante et peut-être même était-il profond. Ce qu’il donnait à ses camarades, ce n’étaient pas seulement des conseils occasionnels, mais toute une philosophie. [...]

Mais l’astuce sur laquelle reposaient ses phrases étaient la suivante : il parlait des hommes en général, là où il aurait dû parler spécifiquement des esclaves, ou même plus spécifiquement des esclaves du Silo, de telle sorte que, dans sa bouche, leur vie propre ne devenait qu’un cas parmi d’autres, un cas pas meilleur pas mais non plus pire que n’importe quelle autre vie.

Il ne niait pas qu’ils n’avaient pas eu de chance, mais c’est "l’homme", l’homme en tant que tel, qui n’avait pas eu de chance. Ce qu’ils avaient subi était arrivé à "l’homme" et était imputable à "la vie", à la vie elle-même. […]

Fais attention au singulier des philosophes. […] Il dissimule.

Mais ce qui était bien et bon, […] à savoir les biens matériels et la vie bonne à laquelle ils ne participaient pas, Règedié les niait tout simplement, ou en faisait quelque chose d’ "individuel et de contingent". Il n’y avait au fond qu’une seule bonne fortune : c’était de vivre. Les esclaves du Silo vivaient eux aussi, ils vivaient incontestablement, non ?

Une vie meilleure ou pire ? demanda-t-il un jour ? Plus pleine ou plus vide ? Favorable ou défavorable ? Ce ne sont que des mots ! Comparés à la mort – mais peut-être connaissez-vous un meilleur point de comparaison – l’un et l’autre se valent. La vie est la vie. La nôtre est aussi bonne que la leur. Vous ne vivez pas, vous ? Si. Et même pleinement. Laissez-leur l’illusion qu’ils ont plus vécu. Car même eux ne peuvent pas plus que vivre. Ils se tenaient là, ses compagnons au nom desquels il parlait, ils ne comprenaient ses paroles qu’avec peine et ils auraient dû immédiatement trouver un meilleur critère. Mais comme ils n’en trouvèrent aucun parce qu’ils ne savaient ni où ni comment trouver un critère, ils gardèrent, gênés, les yeux fixés sur le sol et dirent : "Oui, bien sûr".

Auteur: Anders Günther Stern

Info: La catacombe de Molussie, traduit de l’allemand par Annika Ellenberger, Perrine Wilhelm et Christophe David, éditions l’Echappée, Paris, 2021, pages 279-280 *anagramme de Heidegger

[ dénégation ] [ endoctrinement idéologique ] [ résignation ] [ critique ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson

philosophie antique

Le Moyen Âge vivait jusqu’alors sur la philosophie de Platon. Celle-ci ne voit dans la nature que des signes dont la signification se trouve dans le monde idéal, qui serait seul réel, le monde des idées pures. Elle conduit donc à un symbolisme systématique et délirant. Tout est symbole, rien de ce bas monde n’est réel. C’est le "mythe de la caverne", bien connu. On reste stupéfaits devant le succès d’une pensée si absurde et si contraire au bon sens naturel. Mais Aristote, au contraire, naturaliste, considère que la nature est bien réelle et contient en elle son intelligibilité. On découvrait enfin la nature que le XIIe siècle se contentait d’interpréter symboliquement. Aristote usait de la démonstration, procédé propre à la raison. La supériorité de cette métaphysique rationnelle sur les mythes platoniciens était si grande qu’elle devait nécessairement l’emporter. Aristote devint le "Philosophe" par excellence.

Hélas ! Aristote avait été "revu et corrigé" par Averroès. Ce dernier lui avait attribué l’idée d’un intellect-agent unique pour tous les hommes. [...] Cet intellect-agent unique n’est pas autre chose, dans un langage scolastique, que l’âme universelle du monde, enseignée par nos gnostiques. Je ne pense pas par moi-même, mais par une âme divine qui est logée en moi. Mes idées ne sont pas l’œuvre élaborée par ma faculté intellectuelle, elles sont reçues d’une intelligence divine qui agit en moi. Elles sont donc nécessairement vraies. L’erreur est impossible. Notre âme est un Esprit-Saint. Notre corps n’est qu’une carapace de matière unie temporairement à une âme universelle. Au moment de la mort, notre individualité disparaît. C’est le retour au néant, le "Nirvana" des bouddhistes, suivi de la plongée dans le Grand Tout. On ne peut être plus gnostique !

[...] Ce sera la gloire de saint Thomas de comprendre qu’il fallait d’abord rétablir la pensée véritable d’Aristote et pour cela retrouver le texte initial. Il ignorait le grec. Il obtint la traduction directe du grec en latin établie par Guillaume de Moerbeke. Il en soumit le texte à une exégèse rigoureuse, littérale. Quelle différence avec celui d’Averroès ! Ce dernier apparut alors, non pas comme le commentateur élu d’Aristote, mais comme son "dépravateur". Il a fallu un génie et un saint pour "exorciser" au sens propre Aristote et "délivrer" l’Occident de cette invasion gnostique sous étiquette musulmane.

Auteur: Couvert Etienne

Info: "La Gnose universelle", éditions de Chiré, 1983, pages 77 à 79

[ réception médiévale ] [ orient-occident ] [ historique ] [ aristotélisme ]

 

Commentaires: 0

Ajouté à la BD par Coli Masson