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propagande

Le livre de Naomi Oreskes et Erik M. Conway vise à montrer comment l'industrie américaine a systématiquement financé des campagnes dont le but était d'invalider des conclusions scientifiques pourtant incontestables et accablantes dans des domaines parallèles : par exemple pour la rentabilité des producteurs de cigarettes quant à la nocivité du tabac, et pour la politique de défense stratégique menée par les Etats-Unis quant au danger militaire représenté par l'Union soviétique.
L'industrie du tabac
Le premier thème examiné systématiquement est celui de la cigarette. Depuis 1930, des découvertes nazies en avaient mis en évidence l'aspect dangereux. C'est ainsi qu'Adolf Hitler refusait que l'on fume autour de lui. Aux Etats-Unis, les premiers constats concernant la dangerosité du produit sont apparus dans les années 50, lorsque des chercheurs ont montré que du goudron de cigarette étalé sur la peau des souris produisait des cancers mortels. On appelle ce cancer aux États-Unis le "cancer de la cartouche".
Ce fut là un tournant pour l'industrie du tabac qui fit appel aux services d'une firme de relations publiques pour contrer les preuves scientifiques que fumer peut tuer. Cette firme suggéra d'inclure le mot "recherche" dans le titre de son nouveau comité parce qu'un message pro-cigarette aurait besoin du soutien de la science. Dès ce moment, l'industrie du tabac s'appuya sur celle-ci et finança des recherches extrêmement coûteuses pour émettre des doutes sur les liens entre tabagisme et cancer. Elle finança aussi de grands programmes de recherche sur des sujets annexes afin de détourner la suspicion.
Cette campagne de désinformation s'appuya sur l'aide de journalistes, chargés d'arbitrer le prétendu pour et contre et d'experts de plus en plus prestigieux, chargés de contrer les arguments pourtant indiscutables et de témoigner lors des procès. L'industrie du tabac n'hésita pas à engager un certain Frederick Seitz, dès 1979, comme directeur et recruteur. Seitz était un scientifique, président de l'Académie nationale des sciences, responsable de la recherche nucléaire, conseiller de la Maison Blanche, connu pour ses positions ultra-libérales, anti-communistes, critiques vis-à-vis des mouvements de révolte de ses pairs et des étudiants face au pouvoir.
L'argument principal des détracteurs du tabac était que celui-ci causait de nombreuses maladies et déficiences, en plus du cancer. L'industrie du tabac répondait qu'on ne pouvait jamais établir un lien sûr, clair, entre la maladie et l'usage du tabac, puisque d'autres facteurs pouvaient être incriminés, comme l'environnement, le stress, la génétique. À cette affirmation la science peut répondre qu'il s'agit d'un facteur adjuvant et que le caractère-même du vivant implique toujours des incertitudes.
Finalement l'Histoire donna raison à la science lors de fameux procès intentés par les consommateurs, où la responsabilité de certaines grandes firmes fut reconnue parce qu'elles avaient caché depuis les années 1950 certaines études financées par elles allant dans un sens contraire à leurs intérêts.

Auteur: Oreskes Naomi

Info: L'industrie du tabac, in Les marchands de doute, 2010, présenté sur le blog Jorion par Madeleine Théodore. Ecrit avec Erik M. Conway

[ mensonge ] [ consumérisme ] [ libéralisme ]

 

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société de surveillance

Il y a vingt ans [dans les années 1920], le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu'alors réservée aux forçats. Oh! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l'évanouissement progressif a passé presque inaperçu, parce que l'Etat Moderne, le Moloch Technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l'ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulaire libéral ses innombrables usurpations. Au petit bourgeois français, refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l'intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain que ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d'identification, qu'on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts. Erreur profonde ! ce n'étaient pas ses doigts que le petit bourgeois français, l'immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c'était sa dignité, c'était son âme. Oh ! peut-être ne s'en doutait-il pas, ou ne s'en doutait-il qu'à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l'instinct. N'importe ! On avait beau lui dire : "Que risquez-vous ? Que vous importe d'être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher..." Il reconnaissait bien que le raisonnement n'était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M. Bertillon n'était en effet redoutable qu'au criminel, et il en est encore de même maintenant. C'est le mot de criminel dont le sens s'est prodigieusement élargi, jusqu'à désigner tout citoyen peu favorable au Régime, au Système, au Parti, ou à l'homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n'avait certainement pas assez d'imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d'Etat guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d'hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. Mais tout en se félicitant de voir la Justice tirer parti, contre les récidivistes de la nouvelle méthode, il pressentait qu'une arme si perfectionnée, aux mains de l'Etat, ne resterait pas longtemps inoffensive pour les simples citoyens. C'était sa dignité qu'il croyait seulement défendre, et il défendait avec elle nos sécurités et nos vies. Depuis vingt ans, combien de millions d'hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l'impossibilité non seulement de nuire aux Tyrans, mais de s'en cacher ou de les fuir ? Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines. L'idée qu'un citoyen qui n'a jamais eu affaire à la Justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d'un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l'esprit de personne. Le jour n'est pas loin peut-être où il semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d'ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l'Etat jugera plus pratique, afin d'épargner le temps de ses innombrables contrôleurs de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L'épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en sera grandement facilitée.

Auteur: Bernanos Georges

Info: La France contre les robots

[ mécanisme d'escalade ] [ consentement forcé ] [ flicage ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

enfant gâté

Mme d'Estourmel, âgée de cinquante-sept ans, avait un fils unique de cinq ans. Cet Isaac de cette moderne Sara était l'enfant le plus gâté et le plus insoutenable que j'aie jamais rencontré. On lui permettait tout, on ne lui refusait rien, il était le maître absolu du salon et du château.
J'arrivai au Frétoy deux heures après le dîner; il y avait beaucoup de monde de Paris. J'avais un chapeau de villageoise, comme on disait alors ; il était neuf, tout couvert de fleurs charmantes, et attaché sur l'oreille gauche avec beaucoup d'épingles. A peine étais je assise, que le terrible enfant du château vint m'arracher des mains un superbe éventail et le mît en pièces. Mme d'Estourmel fit une petite réprimande à son fils, non pas d'avoir brisé mon éventail, mais de ne pas me l'avoir demandé poliment.
Un instant après, l'enfant alla confier à sa mère qu'il avait envie de mon chapeau, et Eh bien, mon fils, répondit gravement madame d'Estourmel, allez le demander bien honnêtement. " Il accourut aussitôt vers moi en disant : et Je veux votre chapeau. " On le reprit d'avoir dit je veux ; c'est ce que sa mère appelait ne lui rien passer. Elle lui dicta sa formule de demande : et Madame, voulez-vous bien avoir la bonté de me prêter votre chapeau ? " Tout ce qui était dans le salon se récria sur cette fantaisie : la mère et l'enfant y persistèrent; M. de Genlis s'en moqua un peu aigrement. Je vis que Mme d'Estourmel allait se fâcher ; alors je me levai, et, sacrifiant généreusement mon joli chapeau, j'allai prier Mme d'Estourmel de me le détacher, ce qu'elle fit avec empressement, car l'enfant s'impatientait violemment. Mme d'Estourmel m'embrassa, loua beaucoup ma douceur, ma complaisance et mes beaux cheveux.
Elle soutint que j'étais cent fois mieux sans chapeau, quoique je fusse tout ébouriffée, et que j'eusse une figure très ridicule, avec une grande parure et celte coiffure en désordre. Mon chapeau fut livré à l'enfant, sous la condition de ne pas le gâter. Mais en moins de dix minutes, le chapeau fut déchiré, écrasé, et hors d'état d'être jamais porté. J'eus grand soin, les jours suivants, de me coiffer en cheveux, sans chapeau et sans fleurs. Mais, par malheur, cet enfant gâté était reconnaissant; il s'attacha à moi avec une passion démesurée et ne voulut plus me quitter. Dès que j'étais dans le salon, il s'établissait sur mes genoux : il était fort gras et fort lourd ; il m'assommait, chiffonnait mes robes, et même les déchirait en posant sur moi des quantités de joujoux. Je ne pouvais ni parler à qui que ce fût ni entendre un mot de la conversation, et il m'était impossible de m'en débarrasser, même pour jouer aux cartes. Dans tous mes petits voyages je portais toujours ma harpe : on voulut m'entendre; il n'y eut pas moyen, tandis que je jouais, d'empêcher l'enfant (qui se tenait debout près de la harpe) de jouer aussi avec les cordes de la basse, ce qui formait un accompagnement peu agréable. Lorsque j'eus fini, on vint prendre ma harpe pour l'emporter : l'enfant s'y opposa en faisant des cris terribles. La harpe resta ; il en joua à sa manière, il égratigna les cordes, en cassa plusieurs, et dérangea totalement l'accord. Quand on représentait à Mme d'Estourmel que cet enfant devait m'importuner beaucoup, elle me demandait si cela était vrai, et elle prenait au pied de la lettre la politesse de ma réponse, en ajoutant qu'à mon âge on était charmé d'avoir un prétexte des amuser d'une manière enfantine, et que je formais avec son fils un tableau délicieux. Au vrai, cet enfant ne m'était pas aussi désagréable que tout le monde le croyait, non que j'aimasse ses jeux, mais sa personne m'intéressait et me divertissait.
Il était joli, caressant, original, et il n'avait rien de méchant. Avec une éducation passable, on en aurait facilement fait un enfant charmant. Sa pauvre mère a bien payé la folie de cette mauvaise éducation : l'année d'ensuite, l'enfant, pour la première fois de sa vie, eut un peu de fièvre ; il refusa toute boisson, et demanda avec fureur les aliments les plus malsains. Une légère indisposition devint une maladie sérieuse, et bientôt, mortelle, parce qu'il fut impossible de lui faire prendre une seule drogue, et que toutes les tentatives en ce genre lui causaient des accès de colère qui allaient jusqu'aux convulsions. Il mourut à six ans, et il était naturellement très robuste et parfaitement bien constitué.

Auteur: Genlis Madame de

Info: Mémoires

[ mort ] [ anecdote ]

 

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mutation économique

Cormac McCarthy a intitulé un des ses romans No Country for Old Men, qu’on pourrait traduire par : pas de place ici pour les hommes à l’ancienne. Le remplacement des hommes à l’ancienne par les nouveaux consommateurs s’est opéré partout dans ce qu’on appelle le monde "développé", à des moments et à des vitesses variables. En Europe, une bonne partie de l’Italie est demeurée longtemps en marge du mouvement. La "modernisation", dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, n’en a été que plus spectaculaire. Pasolini a été témoin de l’entrée brusque et massive du petit peuple italien dans l’univers de la consommation – événement qui a aussi signifié sa destruction en tant que peuple. Au début des années 1960, Pasolini a tourné L’Evangile selon saint Matthieu dans des villages du sud de l’Italie. Il avait le sentiment que les personnes qui vivaient là étaient très semblables à celles qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires. Dix ans plus tard, il s’est rendu compte qu’un tel tournage n’aurait plus été possible : les visages des habitants de ces villages étaient devenus des visages de personnes qui regardaient la télévision. Pasolini a été bouleversé par ce basculement anthropologique. Pour lui, "le fossé entre l’univers de la consommation et le monde paléo-industriel est encore plus profond et total que le fossé entre le monde paléo-industriel et le monde préindustriel". Pasolini qualifie donc de paléo-industriel le monde qui va de la révolution industrielle à l’entrée dans la société de consommation. Pour exprimer la même idée que Pasolini en d’autres termes : il y a moins de distance entre le paysan des Travaux et les Jours et l’ouvrier de Germinal qu’entre l’ouvrier de Germinal et le consommateur contemporain. Pasolini nous aide ainsi à percevoir, à prendre conscience de ce fossé gigantesque, ordinairement négligé, précisément parce qu’il est si gigantesque que la pensée peine à l’enjamber.

[...]

Pasolini a vécu l’avènement du consumérisme comme une catastrophe anthropologique. Le consumérisme allant de pair avec le règne de ce qu’on appelle le capitalisme, il a une critique virulente du capitalisme. Pour cette raison, il a été classé et s’est classé lui-même résolument à gauche. Pour autant, la locution "homme de gauche" me semble, concernant Pasolini, inappropriée. Kundera a remarqué que ce qui "unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances", c’est l’idée de la Grande Marche en avant qui, malgré tous les obstacles, nous achemine vers la fraternité, l’égalité, la justice, le bonheur universel : "La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l’augmentation de la production ? La guillotine ou l’abolition de la peine de mort ? Ça n’a aucune importance. Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch appelé Grande Marche." Pasolini n’était pas de ceux qui refusaient la société de consommation parce qu’à son époque, la Grande Marche supposait le rejet de la société de consommation ; il refusait la société de consommation parce qu’il la trouvait monstrueuse – refus qui, dans la période qui va de l’après-guerre aux années 1970, le plaçait à gauche.

Les guerres mondiales ont beaucoup détruit. Mais ces destructions étaient somme toute peu de chose en comparaison des ravages perpétrés, après 1945, par trois décennies de modernisation intensive des modes de vie, des modes de production, des villes, des campagnes, des âmes, de tout. Nulle trace, chez Pasolini, d’une quelconque idéalisation du passé. Mais s’il estimait la révolution nécessaire, ce n’était pas pour se débarrasser du "vieux monde" comme d’une immondice, c’était pour amener ce qui, dans le passé, était déjà là, mais à l’état entravé, opprimé, à son épanouissement, à sa pleine fécondité. Pour Pasolini, la société de consommation avait ceci de terrifiant que, au contraire de celles qui l’avaient précédée, elle ne se contentait pas d’entraver ou d’opprimer, mais détruisait. Elle prétendait libérer, et répandait la dévastation.

De son vivant, Pasolini a été en butte à nombre d’attaques venues de la gauche "progressiste". Un billet le résume, adressé par un lecteur de ses chroniques dans l’hebdomadaire Tempo : "Pier Paolo, tu es un réactionnaire et un conservateur." À quoi Pasolini répond : "Toi, tu es de gauche, d’extrême gauche, plus à gauche entre tous, et pourtant tu es un fasciste : tu es fasciste parce que tu es bête, autoritaire, incapable d’observer la réalité, esclave de quelques principes qui te semblent si inébranlablement justes qu’ils sont devenus une foi (horrible chose, lorsqu’elle ne s’accompagne pas de la charité : autrement dit, d’un rapport concret, vivant et réaliste avec l’histoire)." Après la mort de Pasolini, la gauche a préféré l’oublier, ou l’embaumer, et adhérer à la société de consommation. On a vu se mettre en place, entre droite et gauche, ce que Jean-Claude Michéa appelle un régime d’alternance unique, où les camps prétendument opposés rivalisent en furie modernisatrice. On comprend que dans ce contexte, Pasolini soit passé de mode. Mais c’est précisément pour cela qu’il a quelque chose à nous dire.

Auteur: Rey Olivier

Info: https://linactuelle.fr/index.php/2019/02/08/olivier-rey-pasolini-consumerisme/

[ préjugé politique ] [ mondialisation ] [ TV ] [ abrutissement ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

éloge funèbre

Roland Jaccard a mis fin à ses jours hier, lundi 20 septembre. Nombre de ses amis ont reçu un courriel matinal indiquant qu’il était sur le point de partir, qu’il tirait sa révérence. Pour moi, c’était à 8h09. Avec pour objet "Une leçon de dandysme helvétique" et les phrases suivantes dans le corps du texte : "Tu es un des seuls à m’avoir compris! Amitiés vives !"

Roland m’a fait beaucoup d’honneur. Nous n’étions peut-être pas beaucoup à l’avoir compris, mais il y en avait tout de même quelques-uns. À l’avoir compris et à l’avoir aimé. J’ai trainé un vilain pressentiment, toute la matinée, mais j’étais face à des étudiants et je me suis promis de l’appeler dès la pause de midi. Deux coups de téléphone de Gil Mihaely puis d’Elisabeth Lévy m’ont indiqué que c’était devenu inutile.

J’ai été sidéré mais pas surpris. Sidéré parce que, tout de même, la mort d’un ami, d’une de ces amitiés littéraires transformée en affection réciproque avec le temps, c’est une espèce de bloc d’abîme au creux de l’âme et des tripes, un bloc d’abîme que connaissent tous ceux qui apprennent la disparition brutale d’un être cher. 

Mais je n’ai pas été surpris : qui connaissait Roland savait que le suicide était chez lui un thème récurrent, une obsession, une porte de sortie presque rassurante. Le suicide est cette liberté terrible des stoïciens, et il y avait du stoïcien chez Roland au-delà de son hédonisme élégant, résumé ainsi par Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même : "Il y a trop de fumée ici, je m’en vais". Le suicide, Roland connaissait : en leur temps son père et son grand-père avaient eux aussi choisi la nuit. Il écrivait dans "Les Carnets de mon père", un de ses "Billets du vaurien" qu’il donnait chaque semaine à Causeur : "Soyons francs : nous avons aimé vivre une fois, mais nous n’aimerions pas recommencer. C’était aussi l’opinion de mon père." C’est à 80 ans que son père avait tiré sa révérence. Roland a écrit et dit, souvent, qu’il n’avait pas l’intention de le dépasser en âge. Et de fait, il allait avoir 80 ans, le 22 septembre. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne l’écoutez pas, ou vous ne voulez pas le croire. C’est oublier que derrière la désinvolture de Roland, derrière son élégante et éternelle dégaine d’adolescent filiforme, il était d’une terrible rigueur. Il n’épargnait personne de ses sarcasmes et surtout pas lui-même. Mais on se rassure comme on peut, quand on aime. Après tout, un de ses maîtres et amis, Cioran, n’avait-il pas dans toute son œuvre parlé du suicide comme seule solution rationnelle à l’horreur du monde sans jamais passer à l’acte ? 

Non, décidément, malheureux comme les pierres mais pas surpris : lundi 13 septembre, après des mois d’absence puisqu’il avait décidé de revenir vivre dans sa ville natale, à Lausanne, depuis le début de la crise sanitaire, il était apparu à une réunion de rédaction suivie d’un pot célébrant le départ d’un des nôtres. Il paraît évident, maintenant, qu’il était venu nous dire au revoir ou plus précisément, car là encore on méconnait trop souvent à quel point celui qui faisait profession de cynisme aimait l’amitié, il avait voulu passer un peu de temps avec nous une dernière fois. De quoi ai-je parlé avec Roland pour ce qui était, sans que je le sache, une ultime rencontre ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à m’en souvenir. Je voudrais vous dire qu’il avait donné des indices implicites, ce ne serait pas vrai. Il avait son flegme habituel, son sourire oriental, son exquise courtoisie d’homme qui a perdu depuis longtemps toute illusion mais qui n’en fait pas un drame, courtoisie héritée de cette civilisation naufragée de la Mitteleuropa à laquelle avait appartenu sa mère autrichienne.

Je voudrais tout de même souligner, maintenant, son importance dans le paysage intellectuel français. Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieur en 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. Il a été aussi une des plus belles plumes du Monde comme critique des essais et surtout un éditeur hors pair aux PUF où sa collection, "Perspectives critiques", présente un catalogue de rêve. On lui doit la découverte d’André Comte-Sponville mais il a aussi publié Clément Rosset ou Marcel Conche et a assuré, à travers plusieurs autres auteurs, les noces de la philosophie et de la littérature : on y trouve ainsi les inclassables et tellement talentueux Romain Slocombe et Frédéric Pajak.

Après, d’autres le réduiront sans doute à une légende qu’il a malicieusement entretenue dans ses journaux intimes dont le monumental Le Monde d’avant (1983-1988) paru au début de l’année dont nous avons rendu compte dans Causeur. Son amitié, jamais reniée, avec Matzneff malgré les brouilles, son goût pour les jeunes filles qui ressemblaient à son idole, Louise Brooks, ou qui venait de l’Empire du Levant. Sa manière de jauger et de juger les hommes à la manière dont ils jouaient au ping-pong et aux échecs. Une de ses grandes tristesses fut d’ailleurs la fermeture pour rénovation du Lutétia, où on pouvait le trouver tous les dimanches dans les salons où il vous mettait très rapidement échec et mat. 

Au-delà de son refus de la postérité, celle qui consiste à avoir des enfants comme celle qui nous fait survivre à notre propre mort en étant encore lu dans vingt ou trente ans, le nihiliste Roland était un homme étonnamment soucieux de transmettre. Il refusait de l’admettre, il disait que je le taquinais, mais pourtant il suffit d’ouvrir un de ses livres pour avoir envie de lire les auteurs dont il parle : Cioran, bien sûr mais aussi son cher Amiel ou encore Paul Nizon. J’en oublie, forcément.

Je ne sais pas où est Roland désormais. Il se riait de mon communisme comme de mon catholicisme qui revient avec l’âge. Il n’empêche, je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. Je vais le relire. C’est encore la meilleure des prières en même temps que le plus beau des hommages que je peux lui rendre. Le plus consolant aussi, car nous allons être un certain nombre, à Causeur et ailleurs, à avoir besoin d’être consolé.

Auteur: Leroy Jérôme

Info: Causeur, 21 sept 2021

[ eulogie ] [ écrivain-sur-écrivain ]

 
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pamphlet

Coucou ! C’est moi, me revoilà. Vous ne me reconnaissez pas ? Pourtant, vous m’avez chaque année dans votre cheminée.

C’est moi, oui, Big Father, avec ma grande barbe hydrophile, mon traîneau à clochettes et des cadeaux dégueulasses plein ma hotte, emballés dans du splendide papier clignotant.

Vous ne m’avez pas vu venir, une fois de plus ? C’est normal. Personne ne sait jamais comment je débarque. Chaque année, je trompe mon monde. On ne m’entend pas arriver, et puis un matin, c’est fait, ça y est, tout est joué. La torture des fééries recommence.

Une fois encore, j’ai réussi à suspendre, pendant la nuit, mes guirlandes grotesques en travers des rues, comme autant d’insultes anonymes. Une fois encore, mes boules multicolores et mes illuminations pernicieuses sont apparues aux vitrines. Sans que personne me voie. Sans que personne me voie jamais. Une fois encore, ma grande terreur s’installe. Les semaines vont se dérouler comme des veilles funèbres. Les gens vont courir partout, épouvantés, le long des façades, avec leurs paquets obligatoires. Il est revenu, ça y est, il s’est réinstallé, celui qu’on redoutait. Celui dont on évitait même de prononcer le nom, de crainte de le voir surgir. C’est fait. La Bête est là. L’Eminence rose est de retour. La ville n’existe plus, ni la vie, ni rien. Tout est redevenu Noël.

Comme je m’amuse, à contempler la joie qu’ils affichent et à connaître le fond noir de leurs âmes angoissées ! Qu’ils me craignent, pourvu qu’ils me célèbrent ! En vérité, ma menace les rend malades bien avant décembre. Chaque année, on voudrait espérer que je ne vais pas revenir. Chaque année, on me sent approcher comme un mal inconnu, un cauchemar, une fièvre. Le Père Noël fait peur. L’année dernière, au restaurant, j’en ai entendu plusieurs, à voix basse, dès la fin d’octobre, qui parlaient de moi avec la trouille au ventre : "Qu’est-ce que tu fais pour les fêtes ? – Mais je ne sais pas. – Comment, tu ne sais pas ? – Non, pas encore. – Tu n’as rien prévu ? Mais tu es fou ! Il faut que tu t’en occupes ! Noël c’est demain ! Et la Saint-Sylvestre ! Tu ne te rends pas compte ! D’ici quinze jours, peut-être huit, il y aura des trucs partout ! Des guirlandes ! Des boules lumineuses !"

Oui, je flanque la panique ; mais il n’y a que depuis quelques années que je commence, chez certains, je le sais, à susciter de la haine.

Oh ! pas une haine bien dangereuse ! Rien de grave. Le monde est beaucoup trop définitivement ensucré, gnangnantifié et sans retour, colonisé par les bonnes intentions, la prudence et les mièvreries, pour que je me sente en péril. L’horreur du bonheur est peut-être une idée neuve en Europe mais elle ne risque pas de faire beaucoup d’émules. Je sais qu’il y en a, chaque année, qui rêvent de vomir tout le mal qu’ils pensent de ma fête du Cœur venimeuse, de cette apothéose ravageante de l’approbation du monde, de cette culmination de la résignation enfestée. Mais je suis bien tranquille. J’ai été si souvent honni pour de mauvaises raisons que les excellentes de maintenant ne risquent pas d’être saisies avant longtemps.

Tout semble avoir été dit contre moi. la critique est recuite. C’est mon plus beau triomphe, d’avoir fatigué jusqu’à ceux qui me détestent. Quel ennui les saisit, quel accablement, dès qu’ils envisagent de me vitupérer ! Quelle sensation effarante d’inutilité ! Ils savent déjà tout ce qu’on va leur balancer ! Les accusations de banalité, de trivialité, qu’ils vont endurer ! Rentrer dans le lard du Père Noël, cette vieille porte ouverte ? Composer le millième rappel de la transformation du rite païen du solstice d’hiver en fête chrétienne à son tour sécularisée par le business ? La cent millième attaque futile contre la Nativité détournée de sa pureté originelle, noyée sous les cadeaux paralysants, les téléphones qui parlent, le super-Nintendo parfumé à la framboise, les chocolats à quartz et toutes les autres saloperies en multiplication galopante ? Vous êtes tombé sur la tête ?

Le Père Noël est une ordure ? Comme vous y allez ! Regardez-vous un peu. C’est tous les jours Noël maintenant. Ma grande réussite, c’est qu’on croit que mon oppression ne dure que quelques semaines par an, alors que je suis le ressort des illuminations des douze mois de l’année. Noël, c’est Noël. Et pâques c’est aussi Noël. Et le 15 août. Et la Saint-Sylvestre. Et le bonheur de merde des vacances, cette paix des grands cimetières sous le soleil. Les mains à Nikons valent les tronches à boudins blancs. Les gueules de camping-cars valent les têtes de bûches au chocolat. Toutes les fiestas conduisent à moi. et toutes les rages, et toutes les ruées, et toutes les foires. Et toutes les roues de la Fortune. Et tous les Manèges de la télé. Et toute la quincaillerie clinquante de l’égalité par la joie, de la fraternité par l’extase niaise, de l’apothéose du Rien tonitruant qu’on étend par couches de plus en plus épaisses sur la violence toujours recommencée, mais de plus en plus niée, du genre humain.

Qui est plus philanthrope, plus humanitaire, plus tartuffien solidaire que moi ? Qui règne davantage sur les plateaux ? L’avenir m’appartient. C’est moi le Cavalier suprême de l’Apocalypse en rose. Je préfigure si parfaitement la société future, l’humanité de demain bien gâteuse, bien transparente et transfrontières, bavante de positivité dans ses centres-villes toilettés, avec ses Twingo fœtales aux chouettes banquettes sièges-bébés, ses cadeaux infantiles, sa classe dominante d’apparatchiks du loisir, de tour-opérateurs, de charlatans de l’urbanisme rigolo, de promoteurs guimauve de la babyphilie définitive, d’entrepreneurs meurtriers de gaieté publique, qu’il faudrait la subtilité géniale d’un Kojève au moins (ce drôle de type qui avait placé sa fortune en actions de la Vache qui rit et qui avait des ennuis avec ses femmes parce qu’il refusait farouchement de leur faire des enfants) pour comprendre ce que je fabrique vraiment ; Kojève qui avait découvert, et dès 1943, qu’avec la fin de l’Histoire allait disparaître l’inégalité juridique entre l’enfant et l’adulte. "Ne pouvant pas supprimer le contrôle de l’action enfantine, on introduira donc un contrôle de l’action adulte", prévoyait-il. Mais c’est ça, Noël ! C’est exactement moi ! Mais ce qu’il n’avait pas deviné, Kojève, c’est que ça se ferait en pleine foire, en plein rideau de fumée de carnaval ! Joyeux Noël ! Bonne santé ! C’est maintenant que mon règne de corso fleuri peut démarrer.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 398 à 400

[ convention sociale ] [ bonheur obligatoire ] [ consumérisme ]

 

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décadence

FORT MCMURRAY, LE TROU DU CUL DU MONDE.
Avant de lire ces quelques lignes, il faut mettre de côté la sensibilité et la compassion pour les gens qui ont perdu leur maison. Sans coeur, aussi immonde que ça puisse paraître, il faut faire abstraction de ces vies chamboulées. Il y a parfois des événements ironiques dans la vie. Des situations qui nous permettent de penser autrement, en perspective, à quelque chose de plus grand.
FortMcMurray : Un court séjour chez Maurice
J'ai déménagé à Fort McMurray en 2009. Comme plusieurs autres canadiens, je cherchais un moyen facile de faire de l'argent. Un salaire de 100,000$ par année, c'était attrayant pour un jeune de 19 ans tout juste gradué du Cégep. "Je vais placer de l'argent de côté, payer mes dettes d'études, et je reviendrai au Québec avec un gros char". C'est la même pensée qui traverse l'esprit de milliers de jeunes canadiens à chaque année. Il n'en fallait pas plus pour nous attirer! Mon ami et moi étions déjà en route pour le trou du cul du monde: Fort McMurray.
Jamais auparavant je n'avais vu autant de pick-ups! Que ce soit dans les rues, les entrées de maisons ou le stationnement du Walmart, il y en avait partout. À Fort McMurray, il y a plus de concessionnaires que d'organismes communautaires, de bibliothèques et d'écoles mis ensemble.
On se le répétait, bientôt, nous allions être riches! Quelques nuits difficiles à dormir dans notre vieille caravan, le temps de trouver un emploi... et le tour est joué!
Quelques jours plus tard, nous avions trouvé une chambre à louer chez une famille de Québécois. Le visage de Fort McMurray, c'était cette famille de la Beauce. Ils avaient déclaré faillite, ils étaient sans ressources et sans moyens. Pour eux, avec leurs deux adolescents, "Le Mac" c'était leur dernier espoir.
Ces Beaucerons n'avaient aucune éducation, toute la famille était obèse, à chaque soir ils commandaient du poulet frit ou de la pizza. Les caisses de Coca-Cola et de Molson Canadian faisaient partie intégrante de la décoration. Bref, une famille colonisée, des truckers de Fort.
Maurice nous demandait 1000$ pour une petite chambre avec deux lits simples. 1 pied séparait les deux lits, on s’entendait péter. Ça allait faire la job! Une maison fièrement achetée 500,000$ par les propriétaires, payé par les chambreurs, nous étions 8! Maurice nous l'avait bien dit: "Le Québec c'est de la marde, jamais j'aurais pu m'acheter une grosse cabane là-bas".
Même après une faillite, c'est très facile de trouver un prêteur dans le Mac, surtout avec un revenu de 100,000$ pour chauffer un camion ou ramasser les ordures.
Maurice allait faire fortune, il était en train de construire 4 nouvelles petites chambres au sous-sol pour les prochains arrivants, il planifiait s'acheter une deuxième maison. Maurice avait des rêves.
Ça ne faisait même pas un mois que nous étions là qu'il augmenta notre loyer à 1,200$ par mois. Si l'on refusait, nous devions quitter le lendemain matin. C'est ce qu'on a fait, salut mon cher Maurice!
À Fort McMurray, il fait toujours gris, les gens boivent beaucoup d'alcool. Cette ville connaît un grave problème de prostitution, de jeu et de drogue. Pour la plupart, des gens peu éduqués qui veulent s'enrichir rapidement, c'est un mélange toxique pour n'importe quelle société. En investissant dans cette ville éloignée, le Canada participe au génocide intellectuel d'une nation.
Comme au Far West, les hommes se promènent en pick up neuf, le menton bien haut, c'est ça la vie. Il y a souvent des bagarres, les gens consomment beaucoup de drogue pour oublier l'ennui, beaucoup de drogue.
Lorsque j'ai commencé à travailler comme agent de sécurité sur une mine, tout le monde avait un seul but: faire fortune sans études en se renseignant le moins possible sur le monde autour. La sélection naturelle renversée.
Fort McMurray, c'est le paradis de l'individualisme et de la bêtise. Jean Chrétien nous l'a dit, c'est ça le plus meilleur pays au monde.
Je me sentais comme dans un livre de Orwell, une société sans culture, sans personnalité, un objectif commun: dépenser son argent dans les bars, les voitures et sur les tables de Blackjack du Boomtown.
C'est là-bas que j'ai rencontré Ashley, une trentenaire de l'Ontario venue habiter à Fort McMurray pour payer ses dettes exubérantes. Elle était là depuis seulement 4 mois, sa première décision fut d'emprunter 50,000$ pour s'acheter une Mustang de l'année. Flambette! Comment vas-tu payer tes dettes Ashley? "Pas grave, avec mon gros salaire, je vais finir par tout payer".
Ces rencontres et constatations furent des événements catalyseurs pour moi. Quant à ma perception de l'économie et de la société canadienne. Je ne me suis jamais senti autant différent, autant Québécois.
Dernièrement, j'ai entendu des politiciens dire à quel point nous devrions être fiers de Fort McMurray. Non, il y a aucune raison d'être fier de Fort McMurray. Il m'est arrivé souvent de penser que cet endroit allait exploser, être abandonné ou même bruler avec tout ce pétrole qui lui sortait par les oreilles.
Non seulement, c'est une tragédie environnementale, mais c'est aussi un poison pour le progrès humain. Lorsqu'on investit dans le pétrole, on détruit des milliers d'âmes créatives. Au lieu d'étudier et participer au progrès, des milliers de jeunes vont mourir là-bas; pour quelques dollars additionnels. Le coût de renonciation pour le Canada est énorme. Ça prend de l'imagination et du cran pour faire autrement.
Nous l'aurions peut-être notre grande innovation, notre grand succès commercial, notre voiture électrique, si ce n'était pas du pétrole. Nous l'aurions peut-être notre indépendance énergétique, notre belle utopie scandinave.
Lorsqu'on fait le choix facile du pétrole, au nom de la productivité, au nom du développement économique, on enterre des futurs scientifiques, on intensifie notre déclin. L'ère des hydrocarbures est révolue au moment où nous devrions investir dans l'économie du 21ème siècle.
Après ce feu, pourquoi reconstruire? Pourquoi réinvestir des milliards de dollars à Fort McMurray. Selon plusieurs études dont celle du National Energy Board, les ressources pétrolières seront totalement épuisées en 2050 et le baril de pétrole restera sous la barre de 100$ jusqu'en 2040. C'est un pari trop risqué.
Fort McMurray n'amène aucune innovation, aucun progrès social, aucune matière grise. Fort McMurray enrichit les concessionnaires et les compagnies de construction, tout cet argent est jeté à la poubelle.
Ce feu remet les choses en perspectives. Je vais vous le dire franchement, Fort McMurray, c'est le trou du cul du monde.
Reconstruire, pourquoi?
Aussi cru que ça puisse paraître, je ne reconstruirais rien, je laisserais le courant naturel des choses faire son oeuvre, le feu de Fort McMurray, c'est l'opportunité de nous sortir des hydrocarbures. Pourquoi dépenser plusieurs milliards, encore, dans une industrie destinée à mourir? Pour stimuler la productivité et le PIB par la dette? Pour créer des emplois dans la construction? Pour épuiser une ressource de moins en moins rentable dans un endroit qui n'existera plus dans 40 ans?
Dans un monde idéal ce serait le moment de recommencer sur de nouvelles bases, dans un monde meilleur il serait temps de relocaliser et former ces gens dans l'économie du 21 ème siècle. Ce feu est une grande ironie.
Monsieur Trudeau, vous avez tout un défi devant vous. Faire le choix facile de l'économie du pétrole et perpétuer cette tradition toxique. Ou alors faire le choix du progrès humain. La balle est dans votre camp.
(Ecrit quelques heures plus tard) Ne méprenez pas mes propos, je suis triste pour les gens éprouvés dans cette tragédie, mais je suis de ceux qui croit que ce malheur en cache un autre bien plus important.

Auteur: Hotte Jean-François

Info: 8 MAI 2016, suite à un gigantesque incendie qui a détruit une partie de cette ville

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