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diète de Worms

L’atmosphère, à Worms, était chargée d’orage. À Charles, sans ressources ni troupes, les princes tenaient tête. Les nonces s’effrayaient. La populace dans les rues, sous les fenêtres de leur hôtel, venait chanter les Litanies des Allemands, toutes pleines d’injures furieuses. Des troubles éclataient, dans les villes, dans les campagnes aussi, contre le clergé, les religieux, les gens riches. La popularité du moine excommunié ne cessait de grandir. Son portrait s’étalait partout, avec le portrait de Hutten. Celui-ci, du haut des murs d’Ebernbourg, la forteresse de Sickingen, précipitait sur l’Allemagne des monceaux de pamphlets. On sentait frémir, le poing sur l’épée, une noblesse famélique et brutale. On attendait la curée, le signal d’Ebernbourg ...

Alors des conciliabules s’étaient tenus. Si Luther tombait dans toute cette confusion... On redoutait sa venue chez ses amis, chez ses ennemis aussi. Finalement, un projet était né : Aiguiller le voyageur non sur Worms, mais sur Ebernbourg. Là-haut, en sûreté, sous la garde de Sickingen, sous la surveillance de Hutten, Luther ne craindrait pas le sort de Huss. Il pourrait attendre, voir venir, discuter... Voilà ce que Bucer venait lui proposer. Il refusa tout net.

Il allait à Worms. Rien ni personne ne l’empêcherait de s’y rendre. Il entrerait dans la ville. Il planterait son pied dans la gueule, entre les grandes dents du Béhémoth, afin de proclamer Christ et de tout remettre entre ses mains. C’était une force en marche. On ne l’arrêterait point. Le 16 avril au matin, il entrait dans Worms. Cent chevaux escortaient sa voiture. Deux mille personnes le suivaient jusqu’à son logis. Et le lendemain 17, pour la première fois, il était mis en présence de l’empereur.

L’épreuve fut peu brillante. A l’official de Trèves qui lui posait deux questions : s’il reconnaissait pour siens tous les ouvrages publiés sous son nom, et s’il rétractait, ou non, ses affirmations erronées, il répondit d’une voix basse, fort émue semblait-il, qu’il ne reniait aucun de ses livres ; quant au reste, la question était si grave qu’il sollicitait encore, humblement, un délai. Cette demande étonna ; on fut désappointé. On lui octroya vingt-quatre heures, et de mauvaise grâce. Le lendemain, 18 avril 1521, un jeudi, sur les six heures du soir, dans une salle surchauffée, bourrée de monde, à la lueur des torches et tout en fin de séance, Luther fut introduit à nouveau. Cette fois, il parla clair.

Ses livres ? Il y en avait de trois espèces. Les uns : des exposés de doctrine chrétienne, et si évangéliques que ses adversaires eux-mêmes les tenaient pour salutaires... Rien à rétracter de ce côté. Les seconds : des charges à fond contre la papauté et les pratiques du papisme... De ce côté non plus, rien à rétracter. Ou alors, ce serait ouvrir portes et fenêtres à l’Antéchrist. Les derniers : des écrits de circonstance contre des adversaires qui l’avaient provoqué. Un peu trop mordants, sans doute. Mais quoi ? c’étaient la tyrannie et l’impiété que Luther combattait. Au lieu de le condamner sans vouloir l’entendre, qu’on lui donne des juges ; qu’on discute ses idées ; qu’on lui montre en quoi elles étaient pernicieuses.

L’official de Trèves reprit la parole. "Pas de discussion ; oui ou non, rétractait-il ?" Alors ce fut la déclaration fameuse, dont bien des versions circulèrent aussitôt à travers l’Allemagne. Traduisons la plus probable : "A moins qu’on ne me convainque par des témoignages scripturaires ou par une raison d’évidence (car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls : il est constant qu’ils ont erré trop souvent et se sont contredits eux-mêmes), je suis lié par les textes que j’ai apportés ; ma conscience est captive dans les paroles de Dieu. Révoquer quoi que ce soit, je ne le puis, je ne le veux. Car agit contre sa conscience, ce n’est ni sans danger, ni honnête. Que Dieu me soit en aide, Amen !"

Un grand tumulte se fit. Au milieu des injures et des acclamations, Luther se retira. Il regagna l’auberge. Et levant les mains, du plus loin qu’il vit ses amis anxieux : Ich bin hindurch, cria-t-il par deux fois : j’en suis sorti, j’en suis sorti ! Le lendemain, le monde entier apprenait le grand refus du F. Luther, "qui écrit contre le pape". Et ceux qui croyaient le connaître et l’aimaient, s’étonnaient d’une audace dont ils ne devinaient point la raison surhumaine.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 116 à 118

[ protestantisme ] [ déroulement ]

 

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croyances

Le Spectacle a besoin de recréer un milieu obscurantiste qui lui soit entièrement favorable après la débandade des religions, quelque chose comme une "structure" transcendante, un tissu spirituel de remplacement sans lequel il courrait le grand danger de se retrouver anéanti.
Il faut bien dire que, pour ma part, je vis dans une sorte d’extase éveillée depuis que naguère j’ai écrit Le XIXe siècle à travers les âges, et que maintenant je vois mon livre se continuer, s’illustrer tout seul, dans toutes ses dimensions, sans arrêt, et toujours plus brillamment, se confirmer sans cesse, au-delà de mes espérances, se grossir chaque jour de nouveaux chapitres sans que j’aie besoin de me fatiguer… Le crétinisme occulto-orientaliste new age sauce ère du Verseau venu de Californie n’est que la dernière en date des innombrables variantes de l’éternel spiritisme, le dernier marché juteux de l’abrutissement spiritualoïde, avec caissons insonorisés pour séminaires de relaxation d’où ressortent transfigurés des employés du "tertiaire" qui se répandent en cohortes par toute la terre et vont annoncer l’avènement du Millénium de l’Amour et de la Lumière.
On peut voir aussi des businessmen publier leurs réflexions croustillantes sur les "pouvoirs psychiques de l’homme" ; une grande compagnie pétrolière loue les services d’un célèbre tordeur de petites cuillères dans l’espoir de découvrir de nouveaux gisements ; la mégalomanie entrepreneuriale cherche des appuis dans le paranormal, les phénomènes extrasensoriels, la numérologie (attention au numéro de la rue où se trouve votre boîte : vous risqueriez, s’il est mal choisi, d’avoir de sérieux problèmes de trésorerie) ; des managers s’initient aux arts martiaux, au soufisme, au parachute ascensionnel, aux rites des Chevaliers de la Table Ronde, à la spéléologie mystique, au chamanisme télépathique, à la psychokinèse, aux tarots cosmiques, aux néo-cultes dionysiaques, aux croisières subliminales, à la musicothérapie (guérisons à coups de cymbales tibétaines) ; on embauche à partir du groupe sanguin, du thème astral ou de l’étude morphopsychologique.
Ce qu’il y a d’intéressant aujourd’hui, c’est que le Business se trouve lui aussi entièrement envahi par la grande escroquerie occultiste. Le nouveau couple du siècle c’est l’Entrepreneur et le Charlatan. Le requin de haute finance et le faisan numérologue.
Philippulus le Prophète et Rastapopoulos l’Arnaqueur.
Comme je comprends que les Occidentaux s’insurgent, du haut de leur "laïcité" en lambeaux, contre les obscurantismes des autres ! Comme je comprends que nous nous scandalisions à la pensée des tchadors et des ayatollahs ! Comme il est logique que nous nous alarmions de la montée de l’intégrisme islamique ou de la renaissance de l’irrationalisme en Europe centrale et en URSS, alors qu’ici, en France, une biographie d’Edgar Pœ, par exemple, peut paraître, sans faire rire personne, équipée d’une "carte du ciel" ("signe du Capricorne, ascendant Scorpion, triple influence de Saturne, Uranus et Neptune") ! Dans le cafouillage contemporain, il est d’ores et déjà redevenu presque impossible de distinguer les croyants proprement dits (intégristes, fondamentalistes et autres) de la prétendue "société laïque". De même que les terres anciennement cultivées puis abandonnées ne retournent jamais à la friche originelle mais se couvrent de ronces et deviennent "folles", de même cet univers débarrassé de ses vieilles religions réinvente à toute allure des "spiritualités" de seconde main, des dévotions ubuesques de secours qu’il semble tout à fait interdit de trouver seulement dérisoires. Le télévangélisme n’est déjà plus une part limitée de la réalité, comme on voudrait le croire en se moquant, par exemple, des télévangélistes américains ; il a vocation de se révéler, à court terme, le tout du monde. "Croyez, nous ferons le reste !" Le néo-obscurantisme qui s’étale aujourd’hui grâce aux médias est une merveilleuse technique de gouvernement. Il n’y a, en réalité, aucun "retour de la religion", comme le prétendent les maîtres du Show ou leurs esclaves, aucune "réapparition du sacré", aucune "respiritualisation", aucun "renouveau charismatique".
Ce qui s’organise, c’est la mise en scène de résidus religieux, sous leurs formes les plus délirantes si possible, par le Spectacle lui-même et au profit du Spectacle, dans le but d’entretenir ou de réactiver le noyau dur d’irrationnel, la fiction mystique vraiment consistante, sans quoi aucune communauté, aucun collectivisme, aucune solidarité ne pourraient tenir le coup très longtemps.
Le Spectacle a besoin de l’occulte et l’occulte du Spectacle. La Cordicocratie y gagne le supplément de transcendance qui lui est indispensable pour affirmer que la perfection se trouve en elle. D’où la multiplication des bouffonneries télévisées : exhibitions de "messes noires" sur les plateaux, rites vaudou pitoyables, satanismes de banlieue, débats sur les extraterrestres, interviews de "maîtres spirituels" grotesques et loqueteux…

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "L'empire du bien"

[ mythe moderne ] [ dévitalisation ] [ retour du refoulé ]

 

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procréation médicalement assistée

La PMA est promise à devenir l’une de ces techniques qu’on utilise par défaut, à avoir la destinée de l’automobile : plus les gens l’utilisent, plus elle est rentable pour ceux qui la promeuvent et la produisent (eu égard aux infrastructures et institutions nécessaires à son fonctionnement), mais moins elle est utile, c’est-à-dire efficace pour satisfaire les besoins (la voiture allonge les distances, ralentit les déplacements par rapport au temps investi dans son coût et réduit les possibilités de déplacement aux trajets prévus par l’infrastructure, tout en rendant impossibles ou problématiques les autres modes de déplacements). Une telle technique devient aussi de plus en plus indispensable : on ne peut pas s’en passer parce qu’il n’y a plus d’alternatives instituées.

Dans le film Gattaca (1997), des parents décident de faire un enfant de manière "naturelle", c’est-à-dire sans PMA et sans modification des gènes de l’embryon par thérapie génique ; l’enfant né de cette union est parfaitement normal, cependant que dans la société où il naît, l’immense majorité des gens choisissent de modifier leur enfant pour qu’il soit conforme aux critères socialement en vigueur, autrement dit qu’il soit génétiquement compétitif (d’autant qu’il est un investissement).
L’enfant "naturel" se retrouve rejeté des institutions comme anormal, fut-ce parce qu’il ne peut plus être assuré et parce que sa santé présente un risque statistiquement indéfendable pour un employeur. Même les enfants modifiés se retrouvent hiérarchisés en fonction des modifications apportées, des investissements consentis (donc des revenus) des parents, et, finalement, ces mêmes enfants n’ont pas plus de chance qu’auparavant de s’en tirer mieux, puisque leur avantage génétique est comparatif, donc relatif aux normes et modes en vigueur – la technique est dès lors devenue aussi indispensable (c’est-à-dire, au fond, obligatoire) qu’inutile. Ce film met admirablement en scène le processus en jeu dans ces techniques génétiques et le résultat que les choix individuels peuvent avoir sur le fonctionnement global, structurel d’une société.

Le scénario est le suivant : plus les gens vont (pouvoir) utiliser la PMA, moins elle va être chère et plus elle sera techniquement confortable (son principal défaut actuel étant d’être une procédure très lourde et encore fort souvent inefficace), ce qui entraînera plus de gens à l’utiliser et donc plus d’offres de services dans une véritable gamme de produits dérivés, souvent bien plus intéressantes que le produit de base, et déjà très avancées techniquement, telles que le dépistage pré-préimplantatoire et les thérapies géniques germinales (impossibles in utero), ou encore la possibilité, encore à l’étude, du développement de l’embryon hors de l’utérus.

En amont – et sans parler de ce qui concerne la loi, les mentalités, les représentations sociales et la demande –, son infrastructure nécessite des laboratoire, des techniciens et des institutions hospitalières spécialisées, répondant pour partie à des besoins-prétextes bien réels (la pollution chimique amenant de plus en plus de cas de stérilité ou de déficiences spermatiques), ainsi que du sperme (bientôt peut-être des ovules, puisque l’on est en passe d’utiliser un seul ovule pour créer plusieurs gamètes) et tout le travail de classification et de rentabilité autour de sa récolte et de sa distribution.

En aval, ce dispositif conduira à l’utilisation de larges produits dérivés (thérapies géniques, DPI, voire utérus artificiel, etc.), à des techniques de conservation des spermatozoïdes ou des gamètes, ou encore à l’utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherches (qui concernent souvent les techniques dérivées) ou pour la production de cellules souches. Or, à des degrés divers, tout cela est en ordre de bataille : notamment, en aval, le DPI et, désormais, les thérapies géniques (grâce au développement récent de l’outil "crispr cas 9") sont parfaitement au point, même s’il reste des limites (énormes) dans la connaissance des interactions entre gènes, de leur activation ; et la recherche sur les utérus artificiels – qui a notamment pour prétexte le sauvetage des grands prématurés – avance à grands pas.

La consommation de la PMA est le nœud du processus : son augmentation rendra l’infrastructure en amont rentable et plus efficace, et nourrira les produits dérivés, les rendant, là encore, plus rentables et plus efficaces. De plus, concourant avec la panique hygiéniste à laquelle se réduit actuellement la question environnementale, on fait du désir d’enfant un droit à assouvir (comme, par exemple, on en a fait un de l’accès à l’Internet) et un enjeu d’égalité ou de non-discrimination : on légitime, on adoube la technologie, pendant que tout le reste de la structure technique (la pollution qui rend stérile) et économique (les exigences de production et de consommation qui tendent à faire de la naissance de l’enfant un obstacle imprévisible et difficile à gérer s’il n’est pas planifié) la rendent "utile".

Auteur: Dufoing Frédéric

Info: https://linactuelle.fr/index.php/2020/01/22/pma-veritables-enjeux-frederic-dufoing/

[ enjeux sociétaux ] [ marchandisation du vivant ] [ big pharma ] [ fuite en avant ]

 

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communisme

Les théories de Marx sont assez bien connues pour ne nécessiter qu’un résumé. Il commence par définir la valeur des marchandises en tant que fonction du travail nécessaire pour les produire. Ce travail, source de la dignité du travailleur, est la seule marchandise qu’il puisse vendre. Une fois que le capitaliste a acheté assez de travail pour satisfaire ses propres besoins, il exploite le travailleur – par l’oppression directe ou par les améliorations indirectes de la productivité – pour en tirer un profit. Ce profit s’accumule, rendant les capitalistes de plus en plus puissants, jusqu’à ce que la classe moyenne ait été absorbée dans la classe des travailleurs, et que toute cette masse misérable et dégradée se révolte et engendre le socialisme. Pour Marx, ce processus était à la fois nécessaire et inévitable, et c’est pourquoi il vantait le capitalisme et l’État bourgeois, dont il pensait qu’ils préparaient les conditions pour le mode de production supérieur du socialisme. C’est aussi la raison pour laquelle il vouait un culte à la production elle-même, la machinerie de la société, à laquelle il estimait que l’homme devait se soumettre jusqu’au jour où elle cesserait de le détruire. Ensuite, selon Marx, tous les antagonismes sociaux se seraient magiquement arrêtés.

[...]

Pour Marx, l’histoire était une machine téléologique, ou orientée vers la finalité, visant à une société sans classe à laquelle les divers antagonismes que renferme la société devaient inévitablement aboutir. Un tel paradis n’était pas fondamentalement différent du paradis judéo-chrétien standard, promis, mais constamment différé, qu’il rejetait. À cette fin, Marx vantait continuellement le développement du capitalisme – même s’il aboutissait à l’extrême déchéance des travailleurs. Marx défendait l’insistance de David Ricardo sur la production pour la production, sans considération pour l’humanité, comme étant "absolument juste". Suivant le nationalisme quasi fasciste de Hegel, pour qui l’individu était un moyen "subordonné" et consommable au service d’une fin étatique, il a fait l’éloge du saccage de l’Inde par l’Angleterre, écrivant dans son essai "La domination britannique en Inde" que l’empire anglais était "l’outil inconscient de l’histoire" et que nous pouvions regretter les crimes des Britanniques ou l’effondrement d’un empire ancien, mais que nous avions la consolation de savoir que cette torture grotesque finirait par "nous apporter un plaisir plus grand". Il était pareillement sanguinaire concernant la colonisation des États-Unis par l’Europe. De tels événements étaient des étapes nécessaires dans le processus historique linéaire, soumis à des lois, envers lequel il était engagé.

[...]

ce qui se passe en réalité ne correspond simplement pas aux prédictions de Marx. Par exemple, il avait la conviction que la paupérisation du prolétariat l’amènerait à se révolter contre l’oppression capitaliste. Pour autant que nous le sachions, cela n’a pas eu lieu et ne s’annonce pas ; l’homme intègre le monde capitaliste dans un état de soumission qui ne fait qu’empirer tandis que la pauvreté l’abrutit et l’affaiblit (particulièrement dans le tiers-monde), que le professionnalisme l’estropie et le désoriente, que la technologie le domestique, le distrait et l’endort avec les compensations qui lui sont offertes par l’État providence – un mécanisme quasi socialiste qui résonne parfaitement avec l’autoreproduction du capitalisme.

[...]

Nous nous trouvons maintenant dans l’impasse que Bakounine avait prédite et vers laquelle Marx et ses nombreux disciples nous ont dirigés, où ceux qui nous oppriment ne sont plus principalement les rois ou les capitalistes, mais les experts professionnels et techniques, et l’ahurissante supermachine qu’ils dirigent. Le pouvoir militaire et le pouvoir usufruitier des rois et des capitalistes existent toujours, mais ils ont été supplantés par le pouvoir de gestion des techniciens (qui, comme l’a démontré leur acceptation universelle des confinements et de la dernière phase biofasciste du système, sont aussi heureux que l’étaient les capitalistes et les rois de voir les classes ouvrières brutalement disciplinées) et le pouvoir d’absorption de la réalité de l’inculture virtuelle et du monde construit pour la servir.

Tout cela explique pourquoi Marx méprisait la classe sociale la moins touchée par l’industrialisation, à savoir la paysannerie. Marx (comme Platon) n’avait aucun intérêt pour les leçons que la nature sauvage pouvait offrir à l’homme, et préconisait en réalité la fin de la production rurale à petite échelle. Il souhaitait qu’on applique à l’agriculture "les méthodes modernes, telles que l’irrigation, le drainage, le labourage à la vapeur, le traitement chimique et ainsi de suite…" et qu’on cultive la terre "à grande échelle", dans ce que nous appellerions aujourd’hui une ferme "monoculturale". En fin de compte, l’extermination de la nature biodiverse et des vies conscientes de ceux qu’elle nourrissait ne le concernait pas vraiment, comme elle ne concerne pas ceux qui, malgré leur pompeuse rhétorique "écoresponsable", sont toujours engagés dans la destruction de l’autosuffisance et de l’indépendance rurale.

Auteur: Allen Darren

Info: https://expressiveegg.org/2022/11/05/adieu-monsieur-marx/

[ critique ] [ historique ]

 
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intuition intellectuelle

Il faut encore que je vous fasse une autre remarque préliminaire : c’est que, comme je ne vous ai parlé que de la possibilité de la réalisation métaphysique (et je ne pouvais d’ailleurs pas vous parler d’autre chose), vous avez envisagé la question à un point de vue qu’on pourrait dire plus philosophique que vraiment métaphysique. Je veux dire par là que vous discutez comme s’il s’agissait de savoir si cela est ou n’est pas, alors que, pour moi, toute la question est de comprendre que cela est, et comment cela est. [...] Cela dit, je reviens à vos difficultés logiques.

Vous me faites d’abord cette objection : “un être ne peut être simultanément et sous le même rapport individuel et universel”. Assurément non, mais ai-je jamais rien dit de semblable ? Il faut bien que ce soit simultanément, puisque l’un des deux états dont il s’agit est, non seulement extra-temporel, mais en dehors de toute condition de durée ou de succession sous quelque mode que ce soit, donc nécessairement en parfaite simultanéité avec tout le reste. Mais il est bien évident que ce n’est pas sous le même rapport, puisque c’est en tant qu’il est autre chose que l’être qui est un individu humain dans un de ses états n’est plus soumis aux conditions de l’existence humaine. Comme ces conditions sont celles qui définissent l’état d’existence qui est celui de l’individu humain comme tel, elles ne peuvent pas s’appliquer aux autres états, ni par conséquent à l’être en tant qu’on l’envisage dans ces autres états. [...]

Vous dites ceci : “Si vous parlez de l’être universel, sous quel rapport et par rapport à quoi est-il aussi un individu humain ?” [...] Si l’être universel est aussi, en un sens, un individu humain, c’est tout simplement parce qu’il enferme en lui cette possibilité, ou, en d’autres termes, parce que tout individu humain représente une possibilité d’être. Il n’y a donc aucune difficulté si on envisage les choses à ce point de vue, qui est d’ailleurs le point de vue purement théorique, et non celui de la réalisation ; à ce dernier, ce n’est pas proprement de l’être universel qu’il faudrait parler ici, mais de la “personnalité” qui est le principe transcendant d’un individu humain dans un certain état, et d’autre chose dans les autres états. C’est par rapport à cette “personnalité”, principe de tous les états d’un être, que la réalisation doit essentiellement être envisagée ; il me semblait pourtant bien vous en avoir parlé déjà. – Pour revenir au point de vue théorique, je ne vois aucun inconvénient, non pas à “affecter l’Infini de ce prédicat” qui est un individu humain avec ses conditions spéciales d’existence, mais à attribuer ce prédicat à l’Être (sans que celui-ci en soit aucunement “affecté”), car cet individu n’est au fond qu’une “manière d’être” (soit au regard de l’être universel, soit au regard de la “personnalité”), et à l’attribuer non seulement à l’Être, mais à l’Infini, c’est-à-dire à la Possibilité totale, car toute possibilité d’être est aussi, évidemment, une possibilité tout court, l’Être étant inclus dans la Possibilité totale. [...]

J’ai maintenant à répondre à cette question : “Si c’est de l’être universel qu’il s’agit, comment a-t-il à entrer en possession de l’universel, puisqu’il est déjà universel ?” Évidemment, dès lors qu’on se place au point de vue d’un principe immuable et permanent, il ne peut être affecté ou modifié par un changement quelconque ; vous avez donc raison de dire que le mot de “réalisation” implique qu’on se place au point de vue des êtres individuels, qui, comme tels, sont “dans le devenir”, je dirais plutôt dans la manifestation. Seulement, l’être individuel, pour “réaliser”, n’a pas à “se faire infini”, ce qui serait contradictoire ; il a à prendre effectivement conscience (si toutefois ce mot de conscience peut s’appliquer ici), qu’il n’est pas seulement l’être individuel, ou plutôt que l’être qu’il est dans un certain état est aussi autre chose dans d’autres états. – Bien entendu, il ne peut y avoir aucun changement au point de vue de l’universel, ni par conséquent au point de vue de la “personnalité”, qui est un principe d’ordre universel ; cependant, c’est ici qu’il faudrait faire intervenir encore la distinction du “virtuel” et de l’“effectif” ; si peu clair que vous la trouviez.

[...] Pour en revenir au surnaturel, j’ajouterai que, s’il est de l’essence de l’individu humain, ce n’est d’ailleurs que comme possibilité virtuelle et qui ne peut jamais être que virtuelle pour l’individu comme tel, puisque cette possibilité ne peut être effective qu’au-delà du domaine individuel. Je vous accorde donc que l’identification à Dieu n’est pas réalisable, c’est-à-dire ne peut pas être rendue effective, pour la créature en tant que créature, si vous entendez par “créature” l’individu comme tel (et je me demande si vous pouvez entendre autre chose).

Auteur: Guénon René

Info: Lettre à Noële Maurice-Denis Boulet du 16 février 1919

[ éclaircissements logiques ] [ réponses ] [ monade prison ] [ abstraction atemporelle ]

 
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magouille sémantique

Manipulation du savoir : L'intersection de la fenêtre d'Overton et de l'activisme académique

Les frontières de la science sont-elles devenues poreuses avec l'activisme académique ? C'est la question centrale que soulève Jean-François Le Drian dans son nouvel ouvrage, "Activismes" paru chez VA Éditions, et au cours de cette entrevue. Au fil de la discussion, l'auteur dévoile les dessous d'une manipulation subtile du savoir, où l'intersection de la fenêtre d'Overton et de l'activisme académique joue un rôle déterminant. Il décrit avec précision comment de simples idées peuvent être élevées au rang de concepts scientifiquement acceptables, affectant ainsi l’intégrité de la recherche authentique et de la méthodologie scientifique. Cet échange éclairant met en lumière le combat essentiel pour préserver l'authenticité et l'objectivité de la science face à une mer montante de pseudoscience et d'idéologies activiste.

(Q) Pour nos lecteurs qui ne sont pas familiers avec la fenêtre d'Overton, pourriez-vous brièvement expliquer ce concept et comment il peut être utilisé pour changer la perception du public sur certaines idées ?

(R) Pour expliquer ce concept, il est préférable de l’illustrer avec un exemple. Si je vous disais que les djinns existent, peuvent nous posséder, nous adresser des injonctions, vous seriez dans un premier temps tenter de ranger cette thèse dans la catégorie des superstitions et des lubies et vous auriez certainement raison.

Si un philosophe se met à distinguer entre la propriété des pensées et la paternité des pensées et décide d’étudier en employant un jargon académique la possibilité d’une paternité extérieure des pensées, l’impensable devient tout à coup pensable.

Justement, dans mon livre, j’explique comment un philosophe reconnu par ses pairs en arrive à affirmer que la psychologie est nécessairement culturelle et que par conséquent certaines théories psychologiques peuvent valablement affirmer la possibilité d’une paternité extérieure des pensées.

Ici on passe de l’impensable au pensable puis au possible. Il ne reste plus qu’à faire porter ces idées par les activistes de la folie pour les rendre acceptables, le stade suivant étant de loger ces représentations dans le registre du " souhaitable ".

Ainsi, un idéologue activiste doté d’un doctorat peut donc tout à fait, s’il s’y prend bien, faire entrer l’idée la plus absurde dans le registre de l’acceptable voire parfois même du non discuté.

(Q) Dans votre texte, vous mettez en lumière la manière dont certaines idées reçoivent un "sceau académique" sans une vérification empirique rigoureuse. Comment les institutions académiques, selon vous, ont-elles été transformées en vecteurs de diffusion d'idées influencées par l'activisme ?

(R) Selon moi, l’une des grandes erreurs de notre temps consiste à accorder trop d’importance à la sociologie de la connaissance au détriment de la philosophie des sciences. Au lieu de s’intéresser au contenu, la tendance consiste à s’attacher aux intentions présumées du créateur d’idées, de thèses, à son " habitat social ".

Il est malheureusement facile de construire des théories qui font rentrer tous les faits et qui par conséquents ne devraient pas être qualifiées de théories scientifique. C’est le cas de certaines théories dites " normatives " dont le degré de scientificité est généralement très faible.

Le simple usage d’un jargon spécialisé usité au sein d’une mouvance universitaire permettra à un universitaire militant d’obtenir une reconnaissance par ses pairs qui aux yeux du public vaudra reconnaissance du caractère scientifique d’une thèse qui en réalité ne possèdera le plus souvent qu’un caractère normatif.

(Q) Vous évoquez la saturation de l'espace académique avec des "hadiths scientifiques". Comment ce mécanisme fonctionne-t-il et quels sont ses effets sur la recherche authentique ?

(R) Les hadiths scientifiques sont des scripts normatifs sans degré de scientificité auxquels on attache une connotation scientifique le plus souvent parce que leurs inventeurs disposent d’un titre académique et que le hadith possède un vernis académique qui lui confère une apparence de scientificité.

(Q) Face à la montée d'un tel activisme, que recommanderiez-vous aux chercheurs pour préserver l'intégrité de leurs travaux et s'assurer qu'ils ne sont pas noyés dans un "océan de pseudoscience" pour reprendre vos termes ?

(R) La première chose est de bannir le raisonnement téléologique, celui qui consiste à décider à l’avance du résultat à atteindre et à ajuster son raisonnement à ses intentions. Un " vrai " chercheur devrait parfois pouvoir aboutir à des conclusions qui lui déplaisent et qui contredisent ses croyances préexistantes.

Il faut revenir à la méthode qui consiste à chercher continuellement à falsifier, à réfuter ses propres convictions. Aujourd’hui, même dans les milieux universitaires, on procède de manière inverse en produisant les rationalisations ou en sélectionnant les faits qui viendront soutenir une idéologie préexistante.

Le biais de confirmation est exactement le contraire de la méthode scientifique. Malheureusement, il affecte autant les départements de sociologie et de sciences politiques que le grand public.

Auteur: Internet

Info: https://www.journaldeleconomie.fr/, 17 Octobre 2023, par La Rédaction

[ instrumentalisation ] [ onomasiologique ] [ science molle ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

identité

Pour  J-P Winter, la vague de dysphorie de genre qui frappe les adolescents est une épidémie facilitée par l’effacement de l’autorité – parents, profs, médecins… Face à la parole sacralisée, il est interdit d’interdire. Mais si écouter un enfant est une chose, le croire en est une autre.

GM : - Les sciences sociales et après elles la politique se sont saisies de la question du genre à partir des années 1980-1990 comme s’il s’agissait d’une nouveauté radicale. Les tensions entre les rôles sociaux (le genre) et la biologie (le sexe) ne sont-elles pas aux origines de la psychanalyse ?

JPW : -. Bien sûr ! Et ce depuis Freud, le premier à avoir théorisé le fait que le sujet quel qu’il soit n’est pas nécessairement adapté à son anatomie. Il a réfléchi à la question sous l’angle de la bisexualité psychique en postulant qu’être d’anatomie homme ou femme ne signifie pas que, psychiquement, on se range mécaniquement du côté masculin ou du côté féminin. Il peut y avoir une distorsion entre les deux. C’est d’ailleurs très souvent le cas, et accepter que, selon la formule qu’il emprunte à Napoléon, "l’anatomie, c’est le destin" demande une maturation. On ne rejoint pas son "destin" d’un coup de baguette magique. La réalité reste le socle biologique. Quand la distorsion est spectaculaire, le sujet peut être amené à se fabriquer une réalité de substitution, et c’est là que les choses se compliquent.

- Comment ?

- Je pars de Freud ainsi que de travaux pionniers de Robert Stoller qui travaille sur les premiers cas de transsexualité (Sexa and Gender: On the Development of Masculinity and Femininity, et Sex and Gender: the Transsexual Experiment, tous deux publiés en 1968). C’est à lui que l’on doit la première théorie du genre, qui affirme que le sexe et la sexualité ne sont pas la même chose. Le sexe, ce sont les chromosomes XX ou XY. La sexualité, c’est le fait que vous êtes un homme pour une femme, un homme qui "sait" qu’il y a des femmes. Stoller dit qu’il y a un substrat biologique à la certitude de ne pas être né dans le bon corps et que dans certains cas très limités, c’est ce qui conduit à conduit à un malaise que l’on appelle dysphorie de genre.

- Y a-t-il un fondement biologique dans ces cas ?

Oui, mais c’est très rare. On ne peut pas penser la sexualité indépendamment du fait qu’il va falloir, dès les premiers mots, peut-être même dès la naissance, faire l’homme ou faire la femme. Je choisis mon expression à dessein. Il n’y a pas d’essentialité de l’homme ni d’essentialité de la femme. Les extrêmes essentialisent l’homme. Ainsi, si on est d’anatomie homme et qu’on se "sait" être une femme, on demandera à la chirurgie de faire en sorte de conformer l’anatomie à cette réalité-là qu’on "connaît". Mais la majorité des gens, pour l’instant en tout cas, sont poussés à "faire" l’homme ou la femme auquel la biologie les arraisonne, à faire semblant. Cela s’appelle la parade.

Pourriez-vous donner des exemples ?

- Chez les femmes, par exemple, c’est le maquillage, c’est la séduction, sachant qu’il y a toujours un coin de notre psychisme où nous savons que nous nous identifions à un discours convenu qui varie dans le temps et dans l’espace.

Les enfants, j’en ai connu beaucoup, dans leur premier âge, qui jouent avec cela, c’est-à-dire qu’ils cherchent. Un petit garçon, par exemple, peut dire "Moi, je suis une fille" et se déguiser en fille. Cela ne veut pas dire qu’il y croit, mais cela signifie qu’il essaie d’explorer un mode de jouissance qui n’est pas le sien. Mais cela dit aussi qu’il teste son entourage sur le mode du "est-ce que vous me croyez si je vous dis que je suis une fille ?". Et la réponse sera très importante.

- Quand vous dites "enfants", vous pensez aussi aux adolescents ?

Oui ! La période de l’adolescence, c’est le retour de ce qui a été mal assimilé dans l’enfance, qui se métabolise. L’adolescence est le temps d’un immense travail psychique, où on renoue avec les expériences du début de la vie. Dès lors que ces enfants sont identifiés à leur parole, le résultat sera que leur imagination – c’est vraiment, le cœur de la problématique –deviendra la norme du réel. C’est valable dans les histoires de transsexualité, mais aussi dans toutes les affaires de wokisme et dans les théories du complot de manière générale. Le seul fait que j’imagine quelque chose fait que ça devient réel. Je suis un garçon anatomiquement homme, j’imagine que je suis une fille, et la réalité devient cela, c’est mon réel. Et donc je vais demander à la chirurgie de faire advenir mon réel, ma conviction absolue, qui veut que si j’ai l’apparence d’un garçon, en fait je suis une fille. Ce réel-là, qui est mon imaginaire, l’emporte sur mon corps (...) 

Auteur: Winter Jean-Pierre

Info: Interview de Gil Mihaely sur Causeur le 28 mai 2022. "Transgenres. Il faudrait peut-être aussi écouter les gens qui reprochent à leurs parents de les avoir crus"

[ femmes-hommes ]

 

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visionnaires

Le philosophe publie Autodafés : l’art de détruire les livres (Presses de la Cité), qui rassemble ses analyses publiées dans le Point sur quelques penseurs hétérodoxes récents.

Il paraît que des abonnés se seraient retirés de cette excellente revue qu’est Front Populaire au prétexte de la position très lucide et humainement irréfutable de Michel Onfray en faveur de la vaccination.

Je n’ai pas la prétention de les faire revenir mais j’aimerais au moins tenter ma chance parce que Michel Onfray vient de publier aux Presses de la Cité un étincelant essai, qui est aussi un pamphlet dévastateur, dont le titre Autodafés, et le sous-titre : L’art de détruire les livres, révèlent bien la substance.

Celle-ci consiste à dénoncer la manière dont des ouvrages capitaux pour la compréhension de la société et du monde, géniaux à cause de l’anticipation des dangers, salubres pour la révélation des horreurs ignorées ou occultées par l’idéologie, ont été longtemps interdits, censurés, étouffés pour la simple et triste raison qu’ils disaient tous la vérité.

Qu’on en juge : Simon Leys pour les Habits neufs du président Mao, Soljenitsyne et l’Archipel du Goulag, Paul Yonnet contre un certain antiracisme dans Voyage au centre du malaise français, Samuel Huntington prophétisant Le Choc des civilisations, la mise à bas du mythe d’un islam civilisateur de l’Occident dans Aristote au mont Saint-Michel de Sylvain Gouguenheim et enfin, sous la direction de Catherine Meyer, Le Livre noir de la psychanalyse la ridiculisant.

Exercices de démolition

Michel Onfray ne se contente pas de décrire brillamment le bienfaisant scandale que ces bombes ont créé lors de leur publication mais, avec une cruauté jouissive, accable le milieu germanopratin, un mélange prétendument progressiste de philosophes égarés, d’écrivains énamourés, de journalistes perdus, de sociologues confus et d’idéologues aveugles parce qu’ils souhaitaient plus que tout être aveuglés. Pour qui est familier de l’univers de Michel Onfray et de son style qui s’adapte au genre que son infinie curiosité aborde, on devine avec quelle talentueuse et acerbe impétuosité il s’est livré dans ces exercices de démolition qui sont un régal.

Lorsqu’il regrette qu’il n’y ait jamais eu “le Nuremberg du marxisme-léninisme”, il déplore, selon une magnifique formule, que “les atrocités léninistes, trotskistes, staliniennes, bénéficient d’une extraterritorialité morale” avec la jurisprudence qui s’ensuit : on peut avoir pensé, voulu et validé le pire dans l’extrême gauche sous toutes ses latitudes et avec les honteuses complaisances qu’il est facile d’imaginer, ce ne sera jamais “un obstacle dirimant pour faire carrière”! Contrairement à ceux de l’autre bord extrême, nazis, fascistes, pétainistes, franquistes et autres, soutiens de régimes autoritaires, qui, et “c’est heureux”, seront stigmatisés à vie.

Ce qu’énonce Michel Onfray est une évidence mais son expression fait tellement peur qu’il faut lui savoir gré de la proclamer. De même d’ailleurs qu’il ne faut pas manquer d’un vrai courage intellectuel pour affirmer le délétère et malfaisant compagnonnage, malgré les apparences cherchant à sauver la mise de tel ou tel, entre Marx, Lénine, Staline et Trotski.

Michel Onfray blacklisté par France Inter

À lire Autodafés, il ne faut plus que Michel Onfray s’indigne, ou même s’étonne, de ne pas être convié sur certaines radios, par exemple France Inter où le vrai pluralisme et l’authentique liberté intellectuelle sont aussi absents que l’esprit de ses humoristes. Comment l’espace médiatique incriminé, qui n’aura aucun mal à se reconnaître, pourrait-il, avec une tolérance qui serait proche du masochisme, accueillir à bras ouverts, à intelligence curieuse, Michel Onfray qui a dressé un fulgurant acte d’accusation contre les turpitudes d’une époque où de manière indigne on vilipendait des héros de la vérité pour lesquels la littérature était un moyen de se sauver et de nous protéger.

J’aime aussi particulièrement que Autodafés batte en brèche la réputation de narcissisme et d’autarcie que des malintentionnés, des ignorants lui ont faite alors que son livre démontre le contraire. Puisqu’il le consacre à défendre des causes détachées de l’actualité, fondamentales parce qu’elles ont eu des enjeux de haute portée historique, philosophique et politique, et des personnalités qui ont honoré la pensée, le courage, la liberté et la vérité. Je n’imagine pas BHL – et de fait je ne l’ai jamais vu adopter une telle posture – se dépenser dans tous les sens du terme pour de tels combats ne rapportant rien médiatiquement et politiquement, seulement destinés à réparer des injustices anciennes, à promouvoir d’autres écrivains que lui, à rappeler leurs audaces qui n’étaient pas celles (à couvert) des champs de bataille mais infiniment plus périlleuses puisqu’elles avaient pour ennemi essentiel l’immense et étouffante chape d’idéologies que la bienséance interdisait de questionner.

Pourtant ces auteurs, que Michel Onfray a mis à l’honneur, l’ont fait et il convenait qu’avec superbe ils soient sublimés et leurs adversaires dégradés.

J’entends déjà le reproche : encore Michel Onfray, toujours Michel Onfray ! Ce n’est pas ma faute s’il a écrit Autodafés. Je ne pouvais pas me passer de lui rendre cet hommage, lui qui a su si bien se mettre au service du génie intrépide de quelques autres.

Auteur: Bilger Philippe

Info: Causeur, 2 sept 2021. Michel Onfray revient sur quelques crimes de la pensée

[ épuration ] [ damnatio memoriae ] [ baillonnés ]

 

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intelligence artificielle

[...] au début de la guerre de Corée, le général McArthur a proposé des mesures dont l’application aurait pu déclencher une troisième guerre mondiale. Tout le monde sait aussi qu’on lui a retiré le pouvoir de décider s’il fallait ou non prendre un tel risque. Ceux qui lui ont retiré cette possibilité ne l’ont pas fait pour prendre eux-mêmes les décisions à sa place ou pour les confier à d’autres hommes politiquement, économiquement ou moralement qualifiés. Ils l’ont fait pour remettre le pouvoir de décider à un instrument (puisque le "dernier mot" doit être objectif et qu’on ne considère aujourd’hui comme "objectifs" que les jugements prononcés par des objets). Bref, on a confié la responsabilité suprême à un "electric brain", un cerveau électrique. On n’a pas retiré le pouvoir de décision à l’individu McArthur, mais à McArthur en tant qu’homme, et si on a préféré le cerveau-instrument au cerveau de McArthur, ce n’est pas parce qu’on avait des raisons particulières de se méfier de l’intelligence de McArthur mais parce qu’il n’avait, précisément, qu’un cerveau humain.

Dire qu’on lui a "retiré" sa responsabilité en tant qu’homme, c’est bien sûr employer une expression trompeuse. Car la puissance qui l’a privé de son pouvoir de décision n’était pas une instance surhumaine, ce n’était ni "Moïra" (le Destin), ni "Tyché" (la Fortune), ni "Dieu", ni l’ "Histoire", mais c’était l’homme lui-même qui, dépouillant sa main gauche avec sa main droite, déposait son butin – sa conscience morale et sa liberté de décision – sur l’autel de la machine et montrait par cet acte qu’il se soumettait à celle-ci, à ce robot calcultateur qu’il avait lui-même fabriqué et qu’il était prêt à considérer comme une conscience morale de substitution et une machine à oracles, bref une machine littéralement providentielle.

En subordonnant le général à cet instrument, l’humanité s’est en quelque sorte porté atteinte à elle-même. Qu’on ne se méprenne pas. Rien n’est plus éloigné de nos intentions que de nous solidariser avec McArthur. Que l’histoire, en cet instant exemplaire, se soit justement servie de lui pour tenir ce rôle est un pur caprice : n’importe quelle autre personnalité publique aurait aussi bien fait l’affaire. Nous voulons seulement dire que celui qui transfère la responsabilité d’un homme à un instrument lui transfère aussi, par là même, la responsabilité de tous. En cette occasion, l’humanité s’est pour la première fois humiliée elle-même de façon significative et a ouvertement déclaré : "On ne peut pas compter sur nous puisque nous comptons plus mal que nos machines. Qu’on ne tienne donc pas "compte" de nous." Elle n’a, pour la première fois, ressenti aucune honte d’avoir ouvertement honte.

On a donc "nourri" - to feed est le terme technique qu’on emploi pour désigner l’opération par laquelle on introduit dans l’appareil les éléments nécessaires à la décision – cette machine à oracles de touts les données relatives à l’économie américaine et à celle de l’ennemi. "Toutes les données", c’est beaucoup dire. Car les machines possèdent par essence leurs "idées fixes" : le nombre de paramètres qu’elles prennent en compte est artificiellement limité. [...] On les a ainsi exclusivement "nourries" de données susceptibles d’être facilement quantifiées – des données portant donc sur le caractère utile ou dommageable, rentable ou non rentable de la guerre en question. [...]

On sait bien que l’assimilation des données par les intestins mécaniques prend un temps ridiculement court. A peine avait-on nourri l’appareil qu’il délivra son oracle. Sa conclusion ayant valeur de décision, on sut alors si l’on pouvait se lancer dans cette entreprise et déclarer la guerre sainte, ou s’il fallait renoncer à cette mauvaise affaire et la condamner comme immorale.

Après quelques secondes de réflexion ou de digestion électrique, le "brain" donna une réponse qui se révéla, par hasard, plus humaine que les mesures suggérées par l’homme McArthur. Il proclama haut et fort que cette guerre serait une "mauvaise affaire", une catastrophe pour l’économie américaine. Ce fut sans aucun doute une grande chance, peut-être même la chance de l’humanité, puisqu’elle était déjà entrée dans l’ère atomique lorsque l’oracle sortit de la bouche de la machine. Mais le choix de ce mode de décision fut aussi la plus grande défaite que l’humanité se soit jamais infligée à elle-même : car jamais auparavant elle ne s’était abaissée à ce point et n’était allée jusqu’à confier à une chose le soin de statuer sur son histoire – et peut-être même sur son être ou son non-être. Que le jugement ait été cette fois-là un veto, une grâce, cela ne change rien à l’affaire. Ce n’en fut pas moins une sentence de mort puisqu’on avait placé dans une chose la source de toute grâce possible. [...] Si nous voulions bien réaliser que des milliers d’hommes, au nombre desquels nous figurons peut-être nous-mêmes, ne doivent ce que nous appelons aujourd’hui la "vie" - c’est-à-dire leur chance de n’avoir pas encore été tués  - qu’au "non" calculé par un instrument, à ce "non" sélectionné par l’électromécanique, alors nous voudrions rentrer sous terre pour cacher notre honte.

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Dans "L'obsolescence de l'homme", trad. de l'allemand par Christophe David, éditions Ivrea, Paris, 2002, pages 78-81

[ historique ] [ délégation de la responsabilité humaine ] [ instrument médiumnique ]

 
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mutation économique

Cormac McCarthy a intitulé un des ses romans No Country for Old Men, qu’on pourrait traduire par : pas de place ici pour les hommes à l’ancienne. Le remplacement des hommes à l’ancienne par les nouveaux consommateurs s’est opéré partout dans ce qu’on appelle le monde "développé", à des moments et à des vitesses variables. En Europe, une bonne partie de l’Italie est demeurée longtemps en marge du mouvement. La "modernisation", dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, n’en a été que plus spectaculaire. Pasolini a été témoin de l’entrée brusque et massive du petit peuple italien dans l’univers de la consommation – événement qui a aussi signifié sa destruction en tant que peuple. Au début des années 1960, Pasolini a tourné L’Evangile selon saint Matthieu dans des villages du sud de l’Italie. Il avait le sentiment que les personnes qui vivaient là étaient très semblables à celles qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires. Dix ans plus tard, il s’est rendu compte qu’un tel tournage n’aurait plus été possible : les visages des habitants de ces villages étaient devenus des visages de personnes qui regardaient la télévision. Pasolini a été bouleversé par ce basculement anthropologique. Pour lui, "le fossé entre l’univers de la consommation et le monde paléo-industriel est encore plus profond et total que le fossé entre le monde paléo-industriel et le monde préindustriel". Pasolini qualifie donc de paléo-industriel le monde qui va de la révolution industrielle à l’entrée dans la société de consommation. Pour exprimer la même idée que Pasolini en d’autres termes : il y a moins de distance entre le paysan des Travaux et les Jours et l’ouvrier de Germinal qu’entre l’ouvrier de Germinal et le consommateur contemporain. Pasolini nous aide ainsi à percevoir, à prendre conscience de ce fossé gigantesque, ordinairement négligé, précisément parce qu’il est si gigantesque que la pensée peine à l’enjamber.

[...]

Pasolini a vécu l’avènement du consumérisme comme une catastrophe anthropologique. Le consumérisme allant de pair avec le règne de ce qu’on appelle le capitalisme, il a une critique virulente du capitalisme. Pour cette raison, il a été classé et s’est classé lui-même résolument à gauche. Pour autant, la locution "homme de gauche" me semble, concernant Pasolini, inappropriée. Kundera a remarqué que ce qui "unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances", c’est l’idée de la Grande Marche en avant qui, malgré tous les obstacles, nous achemine vers la fraternité, l’égalité, la justice, le bonheur universel : "La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l’augmentation de la production ? La guillotine ou l’abolition de la peine de mort ? Ça n’a aucune importance. Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch appelé Grande Marche." Pasolini n’était pas de ceux qui refusaient la société de consommation parce qu’à son époque, la Grande Marche supposait le rejet de la société de consommation ; il refusait la société de consommation parce qu’il la trouvait monstrueuse – refus qui, dans la période qui va de l’après-guerre aux années 1970, le plaçait à gauche.

Les guerres mondiales ont beaucoup détruit. Mais ces destructions étaient somme toute peu de chose en comparaison des ravages perpétrés, après 1945, par trois décennies de modernisation intensive des modes de vie, des modes de production, des villes, des campagnes, des âmes, de tout. Nulle trace, chez Pasolini, d’une quelconque idéalisation du passé. Mais s’il estimait la révolution nécessaire, ce n’était pas pour se débarrasser du "vieux monde" comme d’une immondice, c’était pour amener ce qui, dans le passé, était déjà là, mais à l’état entravé, opprimé, à son épanouissement, à sa pleine fécondité. Pour Pasolini, la société de consommation avait ceci de terrifiant que, au contraire de celles qui l’avaient précédée, elle ne se contentait pas d’entraver ou d’opprimer, mais détruisait. Elle prétendait libérer, et répandait la dévastation.

De son vivant, Pasolini a été en butte à nombre d’attaques venues de la gauche "progressiste". Un billet le résume, adressé par un lecteur de ses chroniques dans l’hebdomadaire Tempo : "Pier Paolo, tu es un réactionnaire et un conservateur." À quoi Pasolini répond : "Toi, tu es de gauche, d’extrême gauche, plus à gauche entre tous, et pourtant tu es un fasciste : tu es fasciste parce que tu es bête, autoritaire, incapable d’observer la réalité, esclave de quelques principes qui te semblent si inébranlablement justes qu’ils sont devenus une foi (horrible chose, lorsqu’elle ne s’accompagne pas de la charité : autrement dit, d’un rapport concret, vivant et réaliste avec l’histoire)." Après la mort de Pasolini, la gauche a préféré l’oublier, ou l’embaumer, et adhérer à la société de consommation. On a vu se mettre en place, entre droite et gauche, ce que Jean-Claude Michéa appelle un régime d’alternance unique, où les camps prétendument opposés rivalisent en furie modernisatrice. On comprend que dans ce contexte, Pasolini soit passé de mode. Mais c’est précisément pour cela qu’il a quelque chose à nous dire.

Auteur: Rey Olivier

Info: https://linactuelle.fr/index.php/2019/02/08/olivier-rey-pasolini-consumerisme/

[ préjugé politique ] [ mondialisation ] [ TV ] [ abrutissement ]

 

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