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chape médiatique

À partir de ce moment-là, à l'exception de quelques commentaires isolés, inévitables, le récit du vieillard cessera d'être écouté attentivement et sera remplacé par une réorganisation de son discours en fonction du vocabulaire utilisé, dans le but d'évaluer l'information reçue. La raison de ce changement imprévu d'attitude est à chercher dans l'emploi du verbe maîtriser, passablement recherché, par le narrateur, qui faillit presque le disqualifier de sa fonction de narrateur complémentaire, important, certes, car sans lui nous n'aurions aucun moyen de savoir ce qui s'est passé dans le monde extérieur, de sa fonction de narrateur complémentaire, disions-nous, de ces événements extraordinaires, alors que chacun sait que la description d'un fait, quel qu'il soit, a tout à gagner de l'utilisation de termes rigoureux et appropriés. […] Un commentateur de télévision trouva la métaphore appropriée et compara l'épidémie, ou quel que soit le nom du phénomène, à une flèche lancée très haut dans les airs qui, ayant atteint l'apogée de son ascension, s'arrête un moment comme en suspens et commence aussitôt après l'inéluctable descente que la gravité s'efforcera d'accélérer avec le consentement de Dieu jusqu'à la disparition du terrible cauchemar qui nous tourmente, et avec cette invocation le commentateur revenait à la trivialité des échanges humains et à l'épidémie proprement dite. Une demi-douzaine de mots de ce genre était constamment utilisée par les grands moyens d'information qui finissaient toujours par former le vœu pieux que les infortunés aveugles retrouvent promptement leur vue perdue, et en attendant ils leur promettaient la solidarité de l'ensemble du corps social organisé, tant officiel que privé. […] Malheureusement, l'inanité de pareils vœux ne tarda pas à être démontrée, les espoirs du gouvernement et les prédictions de la communauté scientifique s'en allèrent tout bonnement en eau de boudin. […] L'effet conjugué de l'inutilité manifeste des débats et de certains cas de cécité subite en plein milieu des séances où l'orateur s'écriait, Je suis aveugle, je suis aveugle, mena les journaux, la radio et la télévision à cesser presque entièrement de rendre compte de ces initiatives, à l'exception du comportement discret et à tous égards louable de certains organes d'information qui, faisant leurs choux gras du sensationnalisme sous toutes ses formes, des heurs et des malheurs d'autrui, n'étaient pas prêts à manquer la moindre occasion de raconter en direct, avec tout le tragique exigé par la situation, la cécité subite, par exemple, d'un professeur d'ophtalmologie.


Auteur: Saramago José

Info: L'aveuglement

[ culture de l'émotion ] [ minimisation ]

 

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mémétique

... pour la plupart, les mots en français n'ont pas d'auteur, pas plus que de concepteurs délibérés. Ils ont été ré agencés inconsciemment au cours des siècles. Cela est trivial. Mais une fois que vous adoptez le point de vue du mème, vous réalisez que les mots ne sont que certaines pratiques culturelles pour lesquelles tout ça est vrai. Dans une culture, les mots sont des mèmes qui peuvent être prononcés, mais il y a aussi des mèmes très complexes qui ne peuvent pas l'être.

Les mots sont très complexes : ils sont des systèmes et les parties d'un système lui-même très complexe - le langage. Si nous voulons comprendre l'agencement de celui-ci et comment ses parties fonctionnent, reconnaissons qu'il est en fait un genre très curieux d'artefact. C'est un produit de la sélection naturelle, mais pas directement : la différence qui existe entre le français et l'anglais n'est pas dans nos gènes. Nous avons connu l'évolution d'une capacité à être des locuteurs, un processus très puissant, mais il y a aussi eu une évolution culturelle du langage : les langues se sont réagencées elles-mêmes, pour s'ajuster au cerveau, et aucun être humain n'a été le concepteur de cet ajustement !

Nous avons donc besoin des mèmes, ces entités compétitives à réplication différentielle, qui sont en compétition pour du "temps de maintien" dans les cerveaux. Les mèmes établissent des structures, qui jouent ensuite des rôles essentiels dans la tendance des mèmes à se répliquer. J'aime l'idée qu'il existe des mèmes sauvages et des mèmes domestiqués. Les mots sont aussi des mèmes sauvages : l'"Académie française" essaie de domestiquer le français, mais avec très peu de succès... Pas besoin de l'"Académie" ! Mais le calcul, lui, a besoin d'une académie : il ne se diffuserait pas sans une aide importante. Le calcul n'est pas assez "accrocheur" pour se reproduire par lui-même. Il a besoin d'une aide et doit être implanté méticuleusement dans les jeunes esprits, avec beaucoup de pratique. Tels sont les mèmes domestiqués - les mèmes de la science, de la religion, de l'opéra... Les humains ont consciemment projeté de les développer, d'être leurs protecteurs. Nous n'en sommes pas justes les vecteurs - comme pour les maladies ou les préjugés - mais aussi les gardiens. C'est une idée très fédératrice, qui comble le fossé entre Shakespeare et... (rires) la publicité, la propagande, les hymnes populaires, les religions, et tout simplement les habitudes.

Auteur: Dennett Daniel C.

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[ vocabulaire ] [ éphémère ] [ métalangage ] [ phonèmes ] [ mimétisme ] [ modes ] [ consensualités conceptuelles ] [ langage du futur ] [ codages humains ]

 
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mots inexistants

Ni absolu, ni relatif ; ni abstrait ni concret ; ni confus ni complexe ; ni adéquat, que chérira Spinoza, mais en latin ; ni virtuel qu’emploiera Chapelain, mais aux alentours de 1660 ; ni insoluble, intentionnel, intrinsèque, inhérent, occulte, primitif, sensitif, tous mots du XVIIIe siècle ; ni transcendantal qui ornera vers 1698 les périodes de Bossuet : aucun de ces mots, que je cite au hasard, d’après les dictionnaires et Brunot, n’appartient au vocabulaire des hommes du XVIe siècle ; disons, pour fixer les idées, au plus riche de tous, au vocabulaire de Rabelais.

Encore ne sont-ce là que des adjectifs. Quelques adjectifs. Mais les substantifs ? Combien manquent à l’appel ? Ni causalité ni régularité ; ni concept ni critère ; ni condition ; avant la Logique de Port-Royal, ni analyse ni synthèse liées l’une à l’autre ; ni déduction (qui ne signifie encore que narration), ni induction qui ne naîtra qu’au XIXe siècle ; ni non plus intuition qui prendra vie chez Descartes et chez Leibniz ; ni coordination ou classification, "ce mot barbare forgé depuis peu", écrit encore en 1787 le Dictionnaire de Féraud : aucun de ces mots courants, de ces mots dont, pour philosopher, nous ne saurions vraiment nous passer, ne figure non plus dans le vocabulaire des contemporains de Rabelais. Ils n’ont même pas de terme pour exprimer ce que, depuis le milieu du XVIIe siècle seulement, on s’est avisé d’appeler système [...] ; le Rationalisme lui-même, pour commencer, le Rationalisme dont le baptême ne se fera, très tard, qu’au XIXe iècle ; le Déisme qui ne commencera guère sa carrière avant Bossuet, un de ses premiers usagers ; le Théisme que le XVIIIe siècle avancé empruntera un instant aux Anglais ; le Panthéisme dont, au temps de la Régence, on ira chercher le nom chez Toland ; le Matérialisme, qui attendra Voltaire (1734), La Mettrie et l’Encyclopédie pour conquérir droit de cité ; le Naturalisme lui-même, qui apparaît en 1752 seulement, dans le Dictionnaire de Trévoux et, avant, ans La Mettrie (1748), le Fatalisme qui, lui aussi, se trouve dans La Mettrie, cependant que le roman de Diderot ne pourra lancer fataliste qu’à partir de 1796 ; le Déterminisme, ce tard venu, ce Kantien ; l’Optimisme (Trévoux, 1752) et le Pessimisme, son contradicteur : mais les pessimistes n’entreront qu’en 1835 dans le Dictionnaire de l’Académie, et le Pessimisme paraîtra encore plus tard ; le Scepticisme qui, avec Diderot, commence à remplacer le vieux Pyrrhonisme, fils de Balzac et cher à Pascal ; le Fidéisme qui ne sortira qu’en 1838 d’un conflit de théologiens. Et combien d’autres : Idéalisme (Trévoux), Stoïcisme (La Bruyère), Quiétisme (Nicole, Bossuet), Puritanisme (Bossuet), etc.

Auteur: Febvre Lucien

Info: "Le problème de l'incroyance au 16e siècle", éditions Albin Michel, Paris, 1968, pages 329-330

[ apparition ] [ outillage philosophique ] [ historique ] [ diachronie ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

codage du réel

Dans La Naissance de la Conscience dans l’effondrement de l’esprit, le psychologue américain Julian Jaynes soutient que la conscience réflexive, proprement humaine, est permise par un processus métaphorique enraciné dans le mode de perception visuelle. Jaynes met en place une nouvelle terminologie pour étudier le phénomène métaphorique d'un point de vue phénoménologique et cognitif. Pour lui, à la base de tout langage existe la perception brute, qui est le mode de compréhension premier du monde : il s'agit ensuite de parvenir à une métaphore de cette chose, en lui substituant quelque chose qui nous soit plus familier.

Le travail métaphorique de la compréhension implique :

- des métaphrandes (les choses à décrire) ;

- des métapheurs (les choses aidant à décrire les précédentes) ;

- des parapheurs (les mots associés aux métapheurs, sèmes en quelque sorte contenus dans la connotation) ;

- des paraphrandes (les mots associés aux choses à décrire et que la langue possède).

Pour Jaynes, tout découle de ce processus et même les modèles les plus complexes et abstraits : "Une théorie est donc une métaphore entre un modèle et des données" dit-il. Le langage lui-même vient de la métaphore. En cela Jaynes réalise un point de vue révolutionnaire de la conception couramment admise : la métaphore peut en effet se figer, et former le vocabulaire qui peu à peu perd toute référence à l'analogie première (exemple : les "ailes" de l'avion, ou encore le verbe "être", qui vient du sanscrit bhu ("pousser" ou "faire pousser"), renvoyant à la métaphore d'une action réelle s'appliquant à un élément mental). L'étymologie est ainsi pour Jaynes résultat de métaphores. Le langage a peu à peu, du concret à l'abstrait, monté "les marches qu'étaient les métaphores" et a permis ainsi de spatialiser en conscience le Réel :

"Le lexique du langage, donc, est un ensemble fini de termes qui, par le biais de la métaphore, peut s'étendre sur un ensemble infini de situations, allant même jusqu'à en créer ainsi de nouvelles."

La conscience s'entend pour Julian Jaynes avant tout comme un espace mental métaphorique, que l'expérience agrandit à chaque nouvelle prise de conscience. Le processus corollaire de la narratisation vient ensuite lier ces expériences en un tout logique donnant la réflexivité. Jaynes distingue ainsi plusieurs procédés de métaphorisation

" Il y a donc toujours deux termes dans la métaphore: la chose à décrire, que j'appellerai le métaphrande, et la chose ou le rapport utilisé pour l'élucider, que j'appellerai le métapheur. Une métaphore est toujours un métapheur connu s'appliquant à un métaphrande moins connu. j'ai inventé ces termes hybrides par simple référence à la multiplication où un multiplicande* opère sur un multiplicateur*."

Auteur: Internet

Info: https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Jaynes. A propos "La Naissance de la Conscience dans l'effondrement de l'esprit bicaméral". *Dans une multiplication, celui des facteurs qui est énoncé le premier.

[ symbolisation ] [ mise en concepts ] [ catachrèses ] [ paréidolie ] [ sémantique ] [ préhension intellectuelle ] [ tétravalence ] [ imagination ] [ priméité-tiercité ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

homme-animal

Nous avons l'honneur de solliciter votre bienveillance envers cet individu : Elle communique au moyen du langage des signes et utilise un vocabulaire de plus de 1000 mots. Elle comprend aussi l'anglais parlé, et mène souvent des conversations "bilingues", dans lesquelles elle répond par signes aux questions qui lui sont posées en anglais. Elle apprend les lettres de l'alphabet, elle sait lire certains mots imprimés, parmi lesquels son propre nom. Elle a obtenu des scores entre 85 et 95 au test d'intelligence de Stanford-Binet. Elle fait preuve d'une évidente conscience d'elle-même, dans ses comportements spontanés devant un miroir, lorsqu'elle prend des poses ou lorsqu'elle examine ses dents, ou bien lorsqu'elle utilise, à bon escient, un langage autodescriptif. Elle ment pour éviter les conséquences auxquelles l'exposent ses propres écarts de conduite, et elle anticipe les réactions des autres à ses propres actes. Elle s'adonne à des jeux imaginaires, tantôt seule, tantôt en groupe. Elle a déjà réalisé des peintures et des dessins figuratifs. Elle se souvient d'événements passés de sa vie, et est capable d'en parler. Elle comprend des termes relatifs au temps et sait les employer à bon escient, comme par exemple "avant", "après", "plus tard" et "hier". Elle rit de ses propres blagues et de celles des autres. Elle gémit si elle est blessée ou si on la laisse seule, et elle hurle lorsqu'elle est effrayée ou en colère. Elle parle de ses sentiments, en tuilisant des mots tels que "contente", "triste", "peur", "s'amuser", "envie", "déception", "dingue", et, très souvent, "amour". Elle pleure les proches qu'elle a perdus - un chat bien-aimé qui est mort, un ami qui est parti. Elle peut parler de ce qui se passe quand quelqu'un meurt, mais elle devient agitée et mal à l'aise quand on l'interroge sur sa propre mort ou sur la mort de ses compagnons. Elle se montre d'une adorable gentillesse avec les chatons et autres petits animaux. Il lui est même arrivé d'exprimer de la sympathie pour d'autres êtres qu'elle ne voyait que sur des photos. Cet individu peut-il revendiquer des droits moraux élémentaires ? D'après la description qui précède, il paraît difficile d'imaginer un quelconque argument rationnel pour lui dénier ses droits. Elle possède la conscience d'elle-même, a des émotions, elle est intelligente, communicative, elle a ses propres souvenirs et ses propres objectifs, et elle est certainement capable de souffrir profondément. Il n'y a aucune raison de remettre en cause cet accord concernant son statut moral si j'ajoute une information supplémentaire : à savoir, qu'elle ne fait pas partie de l'espèce humaine. La personne que je viens de décrire - et elle n'est rien moins qu'une personne pour ceux qui l'ont déjà approchée - s'appelle Koko, et il s'agit d'un gorille de plaine âgé de vingt ans. Pour que soit reconnue la personnalité des gorilles.

Auteur: Patterson Francine

Info: écrit avec Gordon Wendy

[ racisme ] [ éthique ]

 

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parole

[...] ce n’est pas que le sujet soit absent de la chaîne des signifiants,

– ce n’est pas que nous ne soyons pas dans les mille et un événements qui vont succéder,

– c’est que le sujet est, mais comme effacé, que le sujet "s’aphanise", s’évanouit chez l’Autre.

Si maintenant, nous nous rapportons à la castration et à la distinction établie par Lacan, il y a déjà plusieurs années, entre avoir le phallus et l’être, nous verrons ce concept d’aphanisis* se dédoubler d’après la place que le sujet occupe en référence au signifiant ou bien à l’objet phallique.

Je ne puis entrer ici dans l’examen approfondi d’un point que nous avons traité ailleurs.

Demandons-nous simplement, en manière de rappel, ce que nous voulons dire quand nous utilisons l’expression bien connue d’"être châtré".

Nous y mettons trois significations.

Tout d’abord que l’être parlant ne s’affronte au sexe qu’avec deux moyens :

– le signifiant (symptôme ou pas),

– et le fantasme, moyens artisanaux car incapables de résoudre l’impasse de la jouissance, entendue ici comme inexistence du rapport sexuel.

Ensuite, que le recours au signifiant est une contrainte et une soumission :

– contrainte à une répétition inutile car la suppléance ne s’accomplit pas, elle rate,

– soumission au terme qui ordonne cette répétition : le signifiant phallique.

Avoir le phallus veut dire ceci, n’avoir rien du tout et rester cependant soumis à la fonction phallique.

Et, enfin, voici que ce travail inexorable de mettre des signifiants l’un après l’autre au cours d’une vie, le sujet s’éteint passivement, s’aphanise. C’est là une des formes de disparition.

L’autre forme relative à être le phallus dépend d’une dimension bien différente, celle du fantasme où nous voyons disparaître le sujet caché derrière l’objet fantasmatique.

Il faut donc très sommairement distinguer deux classes d’aphanisis, deux façons de ne plus être là (ce qui est tout autre chose que de ne pas être là) :

– une façon propre à la répétition,

– l’autre propre à l’occultation.

On voit donc que la castration n’est pas, comme on pourrait le croire, une opération négative d’élimination d’un organe.

Au contraire, châtrer est un travail de prolifération inexorable de signifiants successifs.

Et, si quelque chose est affecté de privation, ce n’est pas le pénis, c’est le sujet lui-même.

Châtrer c’est décapiter, car plus les signifiants insistent et se répètent, plus le sujet est en moins.

Si maintenant, pour résumer, nous changeons de vocabulaire et nous demandons à nouveau : qu’est-ce que la castration ? nous dirons qu’elle est une initiation, une entrée de l’enfant dans le monde de l’échec en vue d’aborder la jouissance (même pas la connaître, seulement la signifier), au prix de disparaître.

Une fois de plus, nous aboutissons à la même conclusion : l’enfant entre dans le monde et il pâlit.

Auteur: Nasio Juan David

Info: La topologie et le temps, intervention lors du séminaire de Jacques Lacan, 15 mai 1979 *terme désignant le défaut d'apparition ou la disparition du désir sexuel

[ division subjective ] [ sexuation ] [ définition ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

littérature

[...] les dizaines de milliers de pages que tu as absorbées tournent sans cesse dans les tiroirs et les étagères de ton cerveau, tu te souviens des noms des auteurs, des titres des livres et même du nom des éditeurs et des collections, tu reconnais les couvertures, les tranches colorées, tu distingues les différents éditeurs à la couleur de la couverture, au format du livre, tu repères de loin dans les cartons les logos de tes préférés, tu recopies des paragraphes entiers, tu apprends par coeur des poèmes et des citations, tu lis les biographies et la correspondance de tes favoris, tu cites des phrases et des vers, tu prêtes des livres, tu perds des livres, tu les rachètes, tu ne t'en lasses pas ; quand tu es dans le jardin, tu considères les saisons comme les chapitres d'un livre familier que tu relis régulièrement, chaque année tu écris de nouvelles pages dans la terre du jardin, tu rédiges des brouillons successifs, tu élagues, tu mets au propre, tu relis tu déchires, tu chiffonnes des boules de papier, tu jettes au fumier, tu recommences, l'écriture te nourrit, tu rédiges les versets de la terre, tu graves dans la glaise, ton corps est ton dernier volume, les rides et les cicatrices, les plis et replis, les bosses et les creux racontent ton histoire et celle de tes frères ; il pleut sur le livre abandonné près du fauteuil du jardin, les pages sont trempées, même le vent ne parvient pas à les tourner, l'encre noire coule dans les allées, le ruisseau d'encre grossit, devient une rivière, coule vers la Lys, coule vers l'Escaut, traverse le pays, rejoint la mer du Nord, l'encre glisse dans la mer, les lettres les mots les phrases sont emportés par la bourrasque, par l'érosion incessante, tu les suis des yeux le plus longtemps possible, tu retiens les plus beaux mots, laitue blonde de la passion, reine de mai, mâche ronde verte à coeur plein, tu retiens tous ces mots, tu les retiens par coeur, ton coeur se remplit de mots, il déborde il éclate, les mots se répandent dans ton corps tout entier, ils parcourent tes veines comme des alcaloïdes stupéfiants, ils se nichent dans ton estomac et tes intestins veloutés, ils se cachent au détour d'une articulation, entre tes vertèbres sacrées, ils rampent à l'intérieur de tes os dans la moelle jaune et grasse, ton sang charrie tous les mots de l'amour et de la violence, les pseudopodes de tes globules blancs se saisissent des mots les plus longs, en séparent les syllabes et les digèrent sans coup férir, mais un jour cependant, les choses changent, tu constates l'invasion de ton corps par les profanateurs de littérature, les slogans de la télévision comme de longs vers répugnants s'introduisent dans tes oreilles, rampent entre les osselets, circulent sous les méninges de ton système nerveux, ils s'accouplent tête-bêche à l'intérieur de ta tête, tu regardes l'éclosion dégoûtante des parasites, tu les vois migrer, ton corps devient le champ de bataille de la poésie, ta peau se soulève par endroits, révélant l'ardeur des combats engagés entre les mots du dedans et ceux du dehors, ta température s'élève brutalement, tu te sens impuissant, tu assistes en spectateur à la lutte finale, tu es terrorisé, tu sens venir la fin, tu crains à tout moment de voir apparaître au milieu de l'écran noir sous tes paupières fermées cette sentence ultime THE END, tu voudrais apporter des retouches au script mais toute retouche est interdite, tu ne maîtrises plus rien et de toute façon ton [...]

Auteur: Suel Lucien

Info: Mort d'un jardinier

[ vocabulaire ] [ obsession ]

 

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régression linguistique

Baisse du QI, appauvrissement du langage et ruine de la pensée

L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu jusque dans les année 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI) moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la cause.

A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot "mademoiselle" est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.

Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.

Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.

Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.

L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.

Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses "défauts", abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté.

Auteur: Clavé Christophe

Info: 17.11.2019, l'Agefi

[ décadence culturelle ] [ mutation numérique ] [ simplification ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

société de surveillance

Il y a vingt ans [dans les années 1920], le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu'alors réservée aux forçats. Oh! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l'évanouissement progressif a passé presque inaperçu, parce que l'Etat Moderne, le Moloch Technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l'ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulaire libéral ses innombrables usurpations. Au petit bourgeois français, refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l'intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain que ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d'identification, qu'on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts. Erreur profonde ! ce n'étaient pas ses doigts que le petit bourgeois français, l'immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c'était sa dignité, c'était son âme. Oh ! peut-être ne s'en doutait-il pas, ou ne s'en doutait-il qu'à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l'instinct. N'importe ! On avait beau lui dire : "Que risquez-vous ? Que vous importe d'être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher..." Il reconnaissait bien que le raisonnement n'était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M. Bertillon n'était en effet redoutable qu'au criminel, et il en est encore de même maintenant. C'est le mot de criminel dont le sens s'est prodigieusement élargi, jusqu'à désigner tout citoyen peu favorable au Régime, au Système, au Parti, ou à l'homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n'avait certainement pas assez d'imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d'Etat guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d'hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. Mais tout en se félicitant de voir la Justice tirer parti, contre les récidivistes de la nouvelle méthode, il pressentait qu'une arme si perfectionnée, aux mains de l'Etat, ne resterait pas longtemps inoffensive pour les simples citoyens. C'était sa dignité qu'il croyait seulement défendre, et il défendait avec elle nos sécurités et nos vies. Depuis vingt ans, combien de millions d'hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l'impossibilité non seulement de nuire aux Tyrans, mais de s'en cacher ou de les fuir ? Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines. L'idée qu'un citoyen qui n'a jamais eu affaire à la Justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d'un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l'esprit de personne. Le jour n'est pas loin peut-être où il semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d'ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l'Etat jugera plus pratique, afin d'épargner le temps de ses innombrables contrôleurs de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L'épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en sera grandement facilitée.

Auteur: Bernanos Georges

Info: La France contre les robots

[ mécanisme d'escalade ] [ consentement forcé ] [ flicage ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

linguistique

Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.

Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.

La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.

Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille.

De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?

Absurde!

Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.

Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit: "Madame de Sévigné est un grand écrivain" et "Rémy de Goumont est une plume brillante". On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.

Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.

Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.

Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.

J’ai entendu objecter: "Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française ?". Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues.

Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.

Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.

Auteur: Revel Jean-François

Info: Fin du siècle des ombres, Fayard, 1999

[ vocables sexués ]

 
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Ajouté à la BD par miguel