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femmes-hommes

- Qu'est-ce que vous faites, vous travaillez, vous étudiez ? demanda-t-il de nouveau.
La jeune fille leva la tête. Blokhine découvrit de légères taches de rousseur pâles sur le nez et le front, une très petite bouche vermeille, des yeux purs transparents et, dans ces yeux, un monde à elle, étranger pour lui, une vie à elle, inconnue de lui, et qui lui était inaccessible.
- Je travaille, répondit-elle avec confiance. Comme contrôleuse. Sur l'autre rive... Je me suis présentée à l'École supérieure, je n'ai pas été reçue... J'avais travaillé comme une folle pour préparer l'examen, et voilà, tout ça pour rien.
- Et maintenant, vous vous ennuyez ?
- Pendant la journée, au travail, ça va. Le soir, je m'ennuie beaucoup. Toujours seule, seule. Je sors rarement, seulement au cinéma de temps en temps. Maman n'aime pas rester seule. Et je brode, vous voyez... Ah ! Comme c'est bien que vous ayez loué une chambre chez nous, je déteste les pièces vides ! Je craignais que vous ne vous plaisiez pas ici. C'est un trou perdu... Qu'est-ce qui peut bien plaire chez nous ?
Elle enveloppa la cuisine d'un regard hostile. Ses yeux s'étaient un peu assombris.
" C'est vous qui m'avez plu ", aurait voulu dire Blokhine, mais il se tut.

Auteur: Kazakov Iouri

Info: La Petite Gare, et autres récits, La maison sous la falaise, chapitre II

[ rencontre ] [ retenue ] [ littérature ]

 

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imaginaire

Cette fraîcheur marine apportait avec elle une profusion d'odeurs dont on ne pouvait comprendre le mélange qu'en gardant les yeux fermés, un mélange qui ressemblait à un carnaval de couleurs - les mangues encore bonnes et vert tendre pendues dans les arbres, les mangues à moitié mangées par les chauves-souris, l'odeur verte du sape-sape, la poudre qui enveloppait les goyaves sur le point de tomber, le mélange de l'odeur du pitanguier et celle du néflier, odeurs de la brousse mêlées à celles des poules et des cochons, le cri des perroquets et des chiens, deux ou trois tirs d'AK-47, une radio oubliée par quelqu'un à l'heure des infos en langues nationales, le bruit des gens qui couraient pour arriver à la maison ou au moins quelque part où s'abriter de la pluie et même, si l'heure était avancée, les rumeurs de la boulangerie de la rue derrière où on commençait à travailler très tôt et pendant toute la nuit, pour être sûr que le pain du lendemain arriverait chaud chez ceux qui avait dormi toute la nuit. Ce qui veut dire que l'odeur de la pluie est quelque chose de difficile à faire comprendre à ceux qui ne connaissent pas la salle de bain de la maison de GrandMèreAgnette.

- Tu dors ou quoi ? ils m'ont demandé.

- Ferme-la. Je suis en train de mettre la pluie dans mes pensées.

Auteur: Ondjaki Nadu de Almeida

Info: GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique

[ olfactif ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

guerre

A mesure qu'augmentaient les détonations des obus et les déflagrations des fusées, ils rentraient la tête dans les épaules, psalmodiant et implorant la grâce du ciel. Puis ils distribuaient quelques claques aux enfants qui reprenaient leurs jeux dès qu'une plage de silence si brève fût-elle, parvenait à s'installer entre deux embrasements. Le sentiment d'écrasement, face à la menace extérieur, se retournait contre les enfants. Les parents ne supportaient plus leur neutralité, leurs cabrioles primesautières en marge de la peur omniprésente, leur indifférence à la toute-puissance de la mort. Les enfants ignorent tout ce qui n'est pas la vie et sa célébration. Entre deux diarrhées provoquées par la peur, il leur suffisait de croiser le regard d'autres enfants pour que s'établisse une sorte de fête que rien ne pouvait empêcher. Ils s'agrippaient un instant à leur mère, et, aussitôt la liste de leurs réclamations se dévidait, il leur fallait constamment manger ou boire quelque chose. A croire qu'ils le faisaient exprès pour éviter à leurs parents de se dissoudre dans la peur. Ils les interpellaient pour leur redonner une apparence sécurisante et les protéger de la démence vers la quelle dérapait, brusquement, le regard des adultes. Pour ramener leur mère à celle qui, à la maison, leur servait à manger et les enveloppait de son regard souriant en les mettant au lit. Pour détourner leur père de ses sorties nocturnes et lui défendre de rejoindre les autres hommes.

Auteur: Barakat Hudá

Info: La pierre du rire

[ familles ] [ équilibre ]

 

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portrait

Quand la nature l’a créé, elle lui a donné une dose généreuse de force physique et de santé, et elle l’a étayé, pour ainsi dire, de toutes parts à grand renfort de respect et de confiance – afin qu’il puisse vivre comme un enfant ses trois fois vingt ans plus dix. Il avait environ 28 ans ; il était massif et lent, avec un cou trapu et charnu brûlé par le soleil, des cheveux noirs en broussailles et des yeux bleu terne, assoupis et calmes ; il respirait fort et avait l’odeur de son travail. Il portait une casquette aplatie en tissu gris, un grand manteau miteux couleur laine qui enveloppait et cachait son corps, et des bottes en cuir. Il était très musclé et c’était un gros consommateur de viande, qui emportait généralement son repas à l’endroit où il travaillait – à quelques miles de ma maison -, dans un seau en étain – des repas froids – souvent des marmottes froides que son chien avait capturées, et du café dans une bouteille en pierre qui se balançait au bout d’une corde, et il m’offrait parfois à boire. […]
Si d’autres avaient cultivé des facultés intellectuelles qui le laissaient pantois, son endurance et sa satisfaction physiques, comme le cousin pour le pin et le roc, les laissaient tout aussi pantois. Je lui ai demandé un jour s’il n’était pas fatigué le soir après avoir travaillé toute la journée, et il me répondit, l’air sincère et sérieux, tout à fait authentique : "Tudieu, je n’ai jamais été fatigué dans ma vie !" Cela sonnait comme le triomphe de l’homme physique. Cela montrait ce qu’un entraînement rigoureux et authentique pouvait accomplir chez tout le monde.

Auteur: Thoreau Henry David

Info: Dans "Histoire de moi-même", pages 141-142

[ bûcheron ] [ admiration ]

 
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parabole

Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.

Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.

Auteur: Baudelaire Charles

Info: "Chacun sa chimère" du recueil Petits poëmes en prose

[ inconscient ] [ servitude ] [ fatalité ]

 

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moi

Le fait fondamental que nous apporte l’analyse [...] c’est que l’ego est une fonction imaginaire. [...]

Si l’ego est une fonction imaginaire, il ne se confond pas avec le sujet. Qu’est-ce que nous appelons un sujet ? Très précisément, ce qui, dans le développement de l’objectivation, est en dehors de l’objet.

On peut dire que l’idéal de la science est de réduire l’objet à ce qui peut se clore et se boucler dans un système d’interactions de forces. L’objet, en fin de compte, n’est jamais tel que pour la science. Et il n’y a jamais qu’un seul sujet – le savant qui regarde l’ensemble, et espère un jour tout réduire à un jeu déterminé de symboles enveloppant toutes les interactions entre objets. [...]

Pendant l’analyse, par exemple d’un comportement instinctuel, on peut négliger un certain temps la position subjective. Mais cette position ne peut absolument pas être négligée quand il s’agit du sujet parlant. Le sujet parlant, nous devons forcément l’admettre comme sujet. Et pourquoi ? Pour une simple raison, c’est qu’il est capable de mentir. C’est-à-dire qu’il est distinct de ce qu’il dit.

Eh bien, la dimension du sujet parlant, du sujet parlant en tant que trompeur, est ce que Freud nous découvre dans l’inconscient.

Dans la science, le sujet n’est finalement maintenu que sur le plan de la conscience, puisque le x du sujet dans la science est au fond le savant. [...] Freud au contraire nous montre qu’il y a dans le sujet humain quelque chose qui parle, qui parle au plein sens du mot, c’est-à-dire quelque chose qui ment, en connaissance de cause, et hors de l’apport de la conscience. [...]

Du même coup, cette dimension ne se confond plus avec l’ego.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, pages 301-302

[ discours de l'analyste ] [ discours scientifique ] [ différences ] [ sujet de l'inconscient ] [ subjectif-objectif ]

 
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réel-symbolique-imaginaire

[...] que se passe-t-il si l’agent symbolique, le terme essentiel de la relation de l’enfant à l’objet réel, la mère comme telle, ne répond plus ? Si à l’appel du sujet, elle ne répond plus ?

Donnons la réponse nous-mêmes. Elle déchoit. Alors qu’elle était inscrite dans la structuration symbolique qui la faisait objet présent-absent en fonction de l’appel – elle devient réelle. [...]

Lorsqu’elle ne répond plus, lorsque, en quelque sorte, elle ne répond plus qu’à son gré, elle sort de la structuration, et elle devient réelle, c’est-à-dire qu’elle devient une puissance. [...]

Corrélativement se produit un renversement de la position de l’objet. Tant qu’il s’agit d’une relation réelle, le sein – prenons-le comme exemple – on peut le faire aussi enveloppant que l’on veut. Par contre, à partir du moment où la mère devient puissance, et comme telle réelle, et que c’est d’elle que manifestement dépend pour l’enfant l’accès aux objets, que se passe-t-il ? Ces objets qui étaient jusque-là, purement et simplement, objets de satisfaction, deviennent de la part de cette puissance, objets de don. Et les voilà maintenant, de la même façon, ni plus ni moins, que la mère jusqu’à présent, susceptibles d’entrer dans la connotation présence-absence [ordre symbolique], comme dépendant de cet objet réel qu’est désormais la puissance maternelle. [...] les objets que l’enfant veut retenir auprès de lui, ne sont plus tellement des objets de satisfaction, mais ils sont la marque de la valeur de cette puissance qui peut ne pas répondre, et qui est la puissance de la mère.

En d’autres termes, la position s’est renversée – la mère est devenue réelle, et l’objet symbolique. [...] L’objet a dès lors deux ordres de propriété satisfaisante, il est deux fois objet possible de satisfaction – comme précédemment, il satisfait à un besoin, mais aussi il symbolise une puissance favorable.

Auteur: Lacan Jacques

Info: dans le "Séminaire, Livre IV", "La relation d'objet", éditions du Seuil, 1994, pages 91 à 93

[ toute-puissance maternelle ] [ mère-enfant ]

 

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première fois

Il la saisit à bras le corps, rageusement, comme affamé d’elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l’étourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu’elle faisait, ce qu’il faisait, dans un trouble de pensée qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aiguë la déchira soudain ; et elle se mit à gémir, tordue dans ses bras, pendant qu’il la possédait violemment.

Que se passa-t-il ensuite ? Elle n’en eut guère le souvenir, car elle avait perdu la tête ; il lui sembla seulement qu’il lui jetait sur les lèvres une grêle de petits baisers reconnaissants.

Puis il dut lui parler et elle dut lui répondre. Puis il fit d’autres tentatives qu’elle repoussa avec épouvante ; et comme elle se débattait, elle rencontra sur sa poitrine ce poil épais qu’elle avait déjà senti sur sa jambe et elle se recula de saisissement.

Las enfin de la solliciter sans succès, il demeura immobile sur le dos.

Alors elle songea ; elle se dit, désespérée jusqu’au fond de son âme, dans la désillusion d’une ivresse rêvée si différente, d’une chère attente détruite, d’une félicité crevée : "Voilà donc ce qu’il appelle être sa femme ; c’est cela ! c’est cela !"

Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l’œil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille légende d’amour qui enveloppait sa chambre.

Mais, comme Julien ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s’aperçut qu’il dormait ! Il dormait, la bouche entr’ouverte, le visage calme ! Il dormait !

Elle ne le pouvait croire, se sentant indignée, plus outragée par ce sommeil que par sa brutalité, traitée comme la première venue. Pouvait-il dormir une nuit pareille ? Ce qui s’était passé entre eux n’avait donc pour lui rien de surprenant ? Oh ! elle eût mieux aimé être frappée, violentée encore, meurtrie de caresses odieuses jusqu’à perdre connaissance.

Auteur: Maupassant Guy de

Info: Dans "Une vie", éditions Gallimard, 1974, pages 97-98

[ point de vue féminin ] [ baise ] [ relation sexuelle ] [ déception ]

 

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révélation mystique

Au-dessus de lui, vaste, s’étendait à l’infini le dôme céleste, plein d’étoiles calmes et scintillantes. Du zénith à l’horizon apparaissait la voie lactée, encore indistincte. Une nuit fraîche et calme jusqu’à l’immobilité enveloppait la terre. Les tours blanches et les coupoles dorées de la cathédrale brillaient sur le saphir du ciel. Les somptueuses fleurs d’automne des parterres autour de la maison s’étaient endormies jusqu’au matin. Le silence de la terre semblait se fondre dans celui du ciel, le mystère de la terre rejoindre celui des étoiles... Aliocha, debout, regardait et brusquement, comme fauché, il tomba à terre.

Il ne savait pas pourquoi il étreignait la terre, il ignorait pourquoi il avait irrésistiblement envie de la baiser, de la baiser, tout entière, mais il la baisait en pleurant, en sanglotant, en l’arrosant de ses larmes, et il jurait éperdument de l’aimer, de l’aimer à tout jamais. "Arrose la terre des larmes de ta joie et aime ces larmes..." ces paroles retentirent dans son âme. Pourquoi pleurait-il ? Oh, il pleurait, dans son extase, même sur ces étoiles qui scintillaient vers lui de l’infini, et il "n’avait pas honte de ce paroxysme". Comme si les fils de tous ces innombrables mondes de Dieu convergeaient d’un coup dans son âme, et elle vibrait "au contact des autres mondes". Il aurait voulu pardonner à tous et pour tout, demander pardon, oh ! pas pour lui, mais pour tous, pour tous et tout, "pour moi d’autres le font", entendit-il de nouveau retentir dans son âme. Mais d’instant en instant, il sentait plus nettement et d’une façon en quelque sorte tangible descendre dans son âme quelque chose d’aussi ferme et immuable que cette voûte céleste. Une idée prenait possession de son esprit, cette fois pour la vie et à tout jamais. Il était tombé à terre faible adolescent et il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son extase. Et jamais, plus jamais Aliocha ne put oublier cet instant. "Quelqu’un a visité mon âme à cette heure !" disait-il plus tard en croyant fermement à ses paroles...

Auteur: Dostoïevski Fédor Mikhaïlovitch

Info: Dans "Les Frères Karamazov", volume 2, traduction d'Elisabeth Guertik, le Cercle du bibliophile, pages 48-49

[ métanoïa ] [ renouveau ] [ rédemption ]

 
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french kiss

Nous ne nous sommes même pas embrassés ni regardés dans les yeux. Nos lèvres se sont juste introduites par effraction dans des labyrinthes intérieurs profondément enchâssés entre nos oreilles, les ont remplis de la musique secrète des mots vicieux, les siens dans de nombreuses langues, les miens dans le goût douteux de ma seule langue, jusqu'à ce que nos langues remuent, et nos consonnes ont tourné et crissé, cliqueté plus fort, hésité, foncé plus vite, les syllabes se sont bientôt mêlées aux grognements, ou les grognements ont trouvé une prise dans des mots nouveaux, ou des mots anciens, ou des mots inventés, jusqu'à ce que nous mélangions nos chaleurs et refusions de les libérer, goûtant trop le sombre langage sur lequel nous venions de trébucher, désirant et sidérant, pas vraiment une communication, plutôt une canalisation de nos désirs balbutiés, les siens pour ce que j'en sais partis vers les Forêts Noires et les loups, les miens réintégrant brutalement une forme familière, ce grand mystère spectral dont je ne pouvais qu'entendre la forme, qui en dépit de nos désirs distincts et cris individuels continuait à nous entrainer dans des tonalités plus étrangères, notre désir commun de continuer à étreindre la brûlure alimentée par le bruit, ses hurlements stridents, les miens - je ne les entendais pas - seulement les siens, probablement en contrepoint des miens, un cri haut perché, puis un murmure chutant de manière imprévue et se changeant presque en jappement, en grognement, je ne sais pas trop, et soudain plus la moindre courbe, juste la fuite en avant, une ligne franchie où tous les sons fracturés déjà prononcés finissent par se condenser en un long mot agonisant, qui excède aisément la centaine de lettres, même le tonnerre, et anticipe l'inévitable relâchement, quand la chaleur devient enfin trop pesante, et menace de brûler, marquer, déchirer, mais suffisamment tentante pour qu'on s'y raccroche encore ne serait-ce qu'une seconde, afin d'étirer le tout, si nous le pouvons, comme si en s'approchant autant de la chaleur, en s'en enveloppant à ce point, allait se révéler... ce qui, lorsque nous nous sommes étreints, tenus, retenus, s'était finalement révélé trop, trop de quelques secondes, et impossible à refuser, et donc faisant tout exploser, frissons et tremblements, et donc tout au fond de sa gorge un millier de lettres s'écrasant en une longue chute non modulée, résonnant profondément dans mon oreille et le long du nerf auditif, un dernier sursaut de rage décrivant en détails durables la forme de choses déjà survenues.

Auteur: Danielewski Mark Z.

Info: La Maison des feuilles

[ pelle roulée ]

 

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