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hypocrisie sociétale

Le malheur en tout ceci c’est qu’il n’y a pas de "peuple" au sens touchant où vous l’entendez, il n’y a que des exploiteurs et des exploités, et chaque exploité ne demande qu’à devenir exploiteur. Il ne comprend pas autre chose. Le prolétariat héroïque égalitaire n’existe pas. C’est un songe creux, une FARIBOLE, d’où l’inutilité, la niaiserie absolue, écœurante de toutes ces imageries imbéciles, le prolétaire en cotte bleue, le héros de demain, et le méchant capitaliste repu à chaîne d’or. Ils sont aussi fumiers l’un que l’autre. Le prolétaire est un bourgeois qui n’a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins. Rien de touchant à cela, une larmoyerie gâteuse et fourbe. C’est tout. Un prétexte à congrès, à prébendes, à paranoïsmes… L’essence ne change pas. On ne s’en occupe jamais, on bave dans l’abstrait. L’abstrait c’est facile, c’est le refuge de tous les fainéants. Qui ne travaille pas est pourri d’idées générales et généreuses. Ce qui est beaucoup plus difficile c’est de faire rentrer l’abstrait dans le concret.

Demandez-vous à Brueghel, à Villon, s’ils avaient des opinions politiques ?…

J’ai honte d’insister sur ces faits évidents... Je gagne ma croûte depuis l’âge de 12 ans (douze). Je n’ai pas vu les choses du dehors mais du dedans. On voudrait me faire oublier ce que j’ai vu, ce que je sais, me faire dire ce que je ne dis pas, penser à ma place. Je serais fort riche à présent si j’avais bien voulu renier un peu mes origines. Au lieu de me juger on devrait mieux me copier au lieu de baver ces platitudes — tant d’écrivains écriraient des choses enfin lisibles…

La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste. Sa désertion. Le congrès est sa mort. La louange son collier, d’où qu’elle vienne. Je ne veux pas être le premier parmi les hommes. Je veux être le premier au boulot. Les hommes je les emmerde tous, ce qu’ils disent n’a aucun sens. Il faut se donner entièrement à la chose en soi, ni au peuple, ni au Crédit Lyonnais, à personne.

Bien affectueusement.

Louis DESTOUCHES

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Lettre à Élie Faure, 2 mars 1935

[ bien-pensance ] [ jalousie sociale ] [ épistole ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

tueur

[...] ... Un jour, dans un magasin, j'assiste à un tour de magie, celui de la fausse guillotine. Vous mettez une pomme de terre sous la lame, tandis que quelqu'un passe son cou dans une ouverture prévue à cet effet. La lame tombe et seule la pomme de terre est coupée en deux. Le magicien demande un volontaire et une belle jeune fille blonde se présente, poussée par son petit ami. Tout le monde rigole. Moi, à ce moment, je flippe complètement et je perds contact avec la réalité. Cela n'aurait pas dû m'arriver. Comment imaginer que l'on puisse couper la tête de quelqu'un dans un magasin ? J'étais fasciné, ce concept de décapitation était tellement excitant à mes yeux qu'il m'a hanté pendant des semaines. Bien avant mon premier crime, je savais déjà que j'allais tuer, que cela se terminerait ainsi. Les fantasmes sont trop forts, trop violents. Je sais que je ne serai pas capable de les contrecarrer. Ils reviennent sans cesse à la charge et ils sont trop élaborés ... On parle quelquefois de la face obscure de telle ou telle personne. Tout le monde pense à des choses qu'il garde enfouies au plus profond, parce qu'elles sont par trop cruelles et horribles pour être exprimées : "J'aimerais lui faire sauter la tête, ou tuer ce type." Nous le faisons tous, un jour ou l'autre. Moi, j'y pensais tout le temps. J'avais constamment des pensées négatives. A un moment donné de votre croissance, vous parvenez à surmonter cette phase morbide. Moi, non. Un adulte peut guider un enfant en lui montrant une autre voie. Ma mère était là, au contraire, pour m'humilier et me battre. Elle me montrait à quel point les mâles étaient insignifiants. En quelque sorte, elle a précédé de quelques années les mouvements féministes ! Je sais que ce n'est pas juste de parler ainsi d'une morte qui n'est pas là pour se défendre. Son propre père avait été quelqu'un d'insignifiant et elle avait dû prendre les choses en main dès son plus jeune âge. Maman s'occupait de tout. Elle ne savait pas comment agir autrement. ... [...]

Auteur: Bourgoin Stéphane

Info: Serial Killers: Enquête mondiale sur les tueurs en série

[ psychose ] [ pervers ]

 

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helvétie

A Genève, retour d'Inde et du Japon, je me suis longtemps senti mal à l'aise. Les magasins, les rues m'inspiraient une répulsion irraisonnée. Noël qui approchait, la foule des acheteurs, les faces tartinées de santé, le bruit des sous, la couperose me donnaient le cafard. Le seul endroit où je respirais c'était - tenez-vous bien - l'hôpital. Pourtant c'était mon pays que je m'étais réjoui de revoir, pourtant on m'avait partout accueilli avec une gentillesse qui ne se démentait pas. Alors? Je crois que c'était l'argent qui me gênait. L'argent engorgeait tout. Et à cause de cet argent, il n'y avait plus de foule; elle était rompue, divisée comme une étendue de sable par les mailles éparses d'un filet. Il n'y avait que de petites fortunes, de petites coquilles, de petites solitudes meublées, feutrées, équipées, mais solitudes quand même. Dans les salles de billard, dans les autobus, j'entendais souvent cette phrase qui me paraissait stupéfiante: "Moi, je n'ai besoin de personne." La communauté n'existait plus - communauté: le sentiment profond que le sort de n'importe lequel de vos semblables vous concerne et vous affecte en quelque façon, la conscience d'une interdépendance -, et pour qu'elle se recrée il fallait un de ces chocs - accident mortel sur la route, révolution hongroise - qui montrent bien que l'argent n'est pas tout et que ce qui nous rapproche des autres est plus fondamental que ce qui nous en éloigne. Autrement, et en temps normal, on n'avait besoin de personne. Ce n'était que trop vrai, et quelle indigence. L'Hindou et le Chinois exposés en permanence à manquer de riz ou de galette ont perpétuellement besoin du voisin, et le voisin d'eux. Le paysan du Dekkan a beau avoir l'oeil vide et feindre l'indifférence; mendier de la farine, prêter de la farine, voir - à cause d'une rivière qui déborde à 200 kilomètres de là - sa maison soudain remplie d'inconnus, et pour longtemps, il ne connaît que ça, c'est son ordinaire. Voilà qui fait des foules. La misère se partage, et c'est grâce à cela que les misérables vivent encore. L'égoïsme n'est pas dans leurs moyens, trop coûteux. La prospérité ne se partage pas. Il faut cependant quitter la misère. Les Indiens y travaillent et on leur souhaite de réussir. Je leur souhaite aussi de conserver alors le coeur qu'ils avaient quand ils n'avaient que ça.

Auteur: Bouvier Nicolas

Info: Retour d'Inde, 1955, L'oeil du voyageur

 

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pandémies

À partir du moment où nous disposons d'archives écrites, les preuves de l'occurence d'épidémies mortelles se multiplient et l'on peut en déduire de façon prudente leur existence à des périodes antérieures. L'épopée de Gilgamesh en est peut-être le témoignage le plus parlant, avec le passage où son héros affirme que sa renommée survivra à la mort tout en décrivant le spectacle d'un flot de cadavres descendant l'Euphrate, probablement victimes d'une maladie infectieuse. Il semble bien que les Mésopotamiens aient constamment vécu sous la menace d'épidémies létales. C'est ce dont témoignent les amulettes, les prières, les poupées prophylactiques et l'existence de déesses et de temples aux vertus " curatives " — le plus célèbre étant celui de Nippur — destinés à protéger les humains contre ces maladies collectives. Ces phénomènes étaient, bien entendu, assez mal compris à l'époque, et souvent attribués à la colère meurtrière d'un dieu, ou bien perçus comme la punition d'une transgression qui exigeait un rituel compensatoire, tel le sacrifice de boucs émissaires.
Les premières sources écrites montrent toutefois que les peuples de la Mésopotamie antique comprenaient le principe de la contagion. Chaque fois que c'était possible, ils prenaient des mesures afin de mettre en quarantaine les premiers cas identifiables en les confinant à leurs domiciles sans laisser entrer ni sortir personne. Ils comprenaient que les voyageurs de longue distance, les commerçants et les soldats pouvaient être porteurs de maladies. Leurs pratiques d'isolement et de prévention préfigurent les mesures de quarantaine des lazarets des ports de la Renaissance. Et cette compréhension de la contagion se manifestait non seulement par l'évitement des personnes infectées, mais aussi par celui de leur vaisselle, de leurs vêtements ou de leur literie. Les soldats de retour d'une campagne militaire et soupçonnés d'être porteurs d'infection étaient contraints de brûler leurs vêtements et leurs boucliers avant de pénétrer dans la ville. Lorsque l'isolement et la quarantaine échouaient, ceux qui le pouvaient fuyaient la cité, laissant derrière eux les morts et les agonisants, et ne revenant chez eux, s'ils revenaient, que bien longtemps après la fin de l'épidémie. Ce faisant, il est probable qu'ils aient fréquemment transporté avec eux la maladie dans les régions voisines, engendrant ainsi un nouveau cycle de quarantaines et de fuites. De mon point de vue, il y a peu de doute qu'une bonne partie des abandons précoces et non chroniqués de régions fortement peuplées aient eu des causes épidémiologiques plutôt que politiques.

Auteur: Scott James C.

Info: Homo Domesticus, Chapitre 3. Zoonoses : la tempête épidémiologique parfaite.

[ historique ] [ propagation ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

après coup

J'ai manqué les deux dernière semaines parce que j'ai été enlevé par un groupe d'écureuils complètement cinglés qui m'ont kidnappé avant de m'enfermer dans une pièce sombre et froide. Heureusement il y a eu un tremblement de terre et j'ai pu m'échapper et courir vers une cabine téléphonique pour vous appeler. Mais par dommage, pile au même moment, il y eut une éclipse de soleil, et l'obscurité m'a fait me perdre de sorte que je suis tombé dans une grande caisse en bois qui a été mise immédiatement dans un bateau en partance pour les USA. Là-bas j'ai été arrêté comme illégal et mis en prison pour deux jours avant d'être extradé vers la France. J'allais arriver chez moi quand un camion fou m'a renversé, et j'ai eu les 2 jambes abîmées. L'ambulance qui me conduisait à l'hôpital a alors percuté un van et le choc m'a éjecté et propulsé dans la mer. La, heureusement, un groupe de dauphins a pu me sauver la vie et m'a ramené en Angleterre. Mais du coup je n'avais plus mes papiers. J'ai essayé de l'expliquer mais mon anglais est tellement mauvais qu'ils ont compris que je préparai une mission secrète pour déstabiliser leur gouvernement. Donc je me suis à nouveau retrouvé en prison. Heureusement j'y ai trouvé une cuillère en acier qui m'a permis de creuser un trou pour m'échapper. Après quatre jours de planque à Brighton, j'ai réussi à trouver un bateau et à me cacher dedans. Manque de pot, ce bateau a heurté un rocher et a coulé à mi-chemin dans la manche, ainsi ai-je du m'accrocher à un morceau de bois et attendre et me laisser dériver jusqu'au Havre. Deux jours ont passé et finalement j'ai vu la terre. Sur le rivage, j'étais sans connaissance. Je ne savais plus trop ou j'en étais. Un pêcheur m'a porté dans sa petite maison où, avec son épouse, ils m'ont nourri et redonné la santé. Je souffrais aussi d'un peu d'amnésie. Alors, après trois jours, ils m'ont amené à la police qui m'a arrêté - vous n'allez pas me croire - parce que je ressemble à un gangster célèbre. Bref il a fallu les convaincre que je n'étais pas la bonne personne. Ils m'ont laissé partir et j'ai pu rentrer à la maison. Mais, à cause de tous ces malheurs j'avais perdu mes clefs. Alors j'ai dû escalader le mur pour atteindre une fenêtre ouverte et suis tombé, me cassant un bras. Donc, si tout va bien, je serai là la semaine prochaine.

Auteur: Internet

Info:

[ enfumage ] [ provocation ]

 

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psycho-sociologie post-industrielle

La croyance qui règne aujourd'hui est que la proximité entre les personnes est un bien moral. Le credo en cours aujourd'hui c'est de développer la personnalité individuelle au travers d'expériences de proximité et de chaleur avec les autres. Le mythe qui prévaut aujourd'hui est que les maux de la société peuvent tous être compris comme des problèmes d'impersonnalité, d'aliénation et de froideur. La somme de ces trois éléments consiste en une sorte d'idéologie de l'intimité : les relations sociales de toutes sortes sont réelles, crédibles et authentiques plus elles se rapprochent des préoccupations psychologiques intérieures de chaque personne. Cette idéologie transforme les catégories politiques en catégories psychologiques. Cette idéologie de l'intimité définit l'esprit humanitaire d'une société sans dieux : ce qui est chaleureux représente la divinité. L'histoire de la montée et de la chute de la culture publique remet pour le moins en question cet esprit humanitaire. La croyance en la proximité entre les personnes en tant que bien moral est en fait le produit d'une profonde dislocation que le capitalisme et la croyance laïque ont généré au siècle dernier. Du à cette dislocation les gens ont voulu trouver des significations personnelles au sein de situations impersonnelles, dans des objets ou dans les conditions objectives de la société elle-même. 

Ne parvenant plus à trouver ces significations, à mesure que le monde devenait psychomorphe et donc mystificateur, ils ont alors cherché à fuir, et à trouver dans les domaines privés de la vie, en particulier dans la famille, un principe d'ordre dans la perception de la personnalité. Ainsi, le passé a construit un désir caché de stabilité dans ce désir manifeste de proximité entre  êtres humains. Même si nous nous sommes révoltés contre les rigidités sexuelles sévères de la famille victorienne, nous continuons à faire peser sur les relations étroites avec les autres ces désirs cachés de sécurité, de repos et de permanence. Lorsque les relations ne peuvent supporter ces fardeaux, nous concluons qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la relation, plutôt que dans les attentes non exprimées. Parvenir à un sentiment de proximité avec les autres est donc souvent le résultat d'un processus de mise à l'épreuve ; la relation est à la fois proche et fermée. Si elle change, si elle doit changer, il y a un sentiment de confiance trahi. La proximité chargée d'attente de stabilité rend la communication émotionnelle - déjà assez dure en elle-même - plus difficile d'une marche. L'intimité en ces termes peut-elle vraiment être une vertu ? 

 

Auteur: Sennett Richard

Info: The Fall of Public Man

 
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citation s'appliquant à ce logiciel

L'esprit est enfermé dans la matière (où, comment ? à un niveau vibratoire donné ? Que veut dire le terme vibratoire, par rapport aux atomes par exemple, qu'en est-il des autres niveaux ? mais stop). 

Lorsque la conscience d'un individu se forme (secondéité construite via des mots "quasi-esprits" ?) elle le fait par la succession et le mélange continus d'imprégnations/itérations, cadencées par les  aléas de son existence, expériences concrètes qui semblent présider à des choix que l'esprit imprime/mémorise au-delà de la volonté de la personne. 

Ce qui en résulte (singularité individuelle, parlêtre ?) ne cesse de se coltiner la réalité, mais avec des facultés d'imprégnations qui, avec l'âge, semblent aller en se réduisant. Cet être pensant se voit  lui-même comme une continuité, ego singulier persistant, point unique qui s'affine.  

A l'image des phrases qui précédent la pensée humaine est plutôt linéaire, puisque directement liée avec des formes d'écritures-lectures qui ne sont que l'acceptation de mots/phrases/idées alignés. Lire consistant à se laisser conduire (et y croire ?) le long de mots/paragraphes/textes plus ou moins longs. Alignements qui résonnent en nous. Pensées rectilignes, quasi télépathiques, puisque non polluées par les apparences/mimiques des intervenants. Processus où le lecteur représente une forme de "cassure de linéarité", dans la mesure où il se retrouve confronté à des formulations/mondes qui le heurtent plus ou moins. 

Tel est peut-être le fragile des pensées induites par la lecture. Habitudes d'horizontalité dans la présentation des choses, des actions et de leurs continuités. 

Tout est beaucoup plus enchevêtré que cela. La pensée, si on veut bien s'essayer à voir notre Terre "Gaïa" comme un cerveau matrice qui coordonne l'extraordinaire émergence vitale à sa surface, ressemble à autre chose. Nous sommes partie d'un tout, pas une race/espèce "au-dessus" du reste, destinée à conquérir l'univers pour lui expliquer le sens des choses.

Il est donc probable que cette réflexion-mémoire externalisée des humains, (même si, avec le temps et de continues investigations, elle s'est délinéarisée sous forme de complexes corpus universitaires) est entravée par sa trop grande linéarité. 

Au-delà d'un enfermement anthropocentrique qui ressemble beaucoup à une impasse et qu'il faut maintenant tenter de réduire, FLP - via ses fonctionnalités diverses - propose des voies pour accompagner les "modification d'habitudes de linéarité" amenées par Internet et le numérique. 

Par exemple avec le "nuage de corrélats" - fonction qui ira en s'améliorant - FLP ouvre en direction d'une certaine verticalité syntaxique, non-séquentielle. Un peu comme  l'"heptapod B" de Ted Chiang.

Auteur: Mg

Info: 2 février 2022

[ questions ]

 

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cité imaginaire

Jamais, dans mes voyages je n'avais poussé jusqu'à Adelma. C'était la tombée de la nuit lorsque j'y débarquai. Sur le quai, le marin qui saisit la corde au vol et l'enroula à la bitte ressemblait à un homme qui avait été soldat avec moi, et qui était mort. C'était l'heure du marché de gros. Un vieillard chargeait un panier d'oursins sur un chariot ; je crus le reconnaître ; quand je me retournai, il avait disparu dans une petite rue, mais j'avais compris qu'il ressemblait à un pêcheur, déjà âgé dans mon enfance, qui ne pouvait plus se trouver parmi les vivants. La vue d'un malade atteint par les  fièvres et recroquevillé par terre avec une couverture sur la tête me troubla : peu de jours avant de mourir, mon père avait les yeux jaunes et la barbe hérissée exactement comme lui. Je détournai le regard ; je n'osais plus dévisager personne.

Je pensai : "Si Adelma est une ville que je vois en rêve, où ne se rencontrent que des morts, ce rêve me fait peur. Si Adelma est une ville véritable, habitée par des vivants, il suffira de continuer à la dévisager jusqu'à ce que les ressemblances se dissolvent et qu'apparaissent des figures inconnues, mais porteuses d'angoisse. Dans un cas comme dans l'autre il est préférable que je ne persiste pas à regarder."

Une marchande de quatre-saisons pesait un chou frisé sur une balance romaine avant de le mettre dans un panier suspendu à une corde qu'une jeune fille faisait descendre d'un balcon. La jeune demoiselle était semblable à une fille de mon pays qui était folle d'amour et s'était suicidée. La marchande leva son visage : c'était ma grand mère.

Je pensai : "Il arrive un moment dans la vie où tous ceux qu'on a connus, les mort sont plus nombreux que les vivants. Et l'esprit se refuse à accepter d'autre physionomies, d'autres expressions : sur toutes les nouvelles figures qu'il rencontre il imprime les vieux dessins, pour chacun il trouve le masque qui colle le mieux."

Les débardeurs montaient des escaliers l'un derrière l'autre, ployés sous les dames-jeannes et les barils ; leurs visages étaient dissimulés par des capuches en toile de sac. "Voilà, ils les retirent et je les reconnais", pensais-je à la fois impatient et craintif. Mais je ne les quittais  pas des yeux ; pour peu que je jette un regard sur la foule qui emplissait ces ruelles, je me voyais assailli par des figures inattendues, revenant de loin, comme pour me reconnaître, comme si elles m'avaient reconnu. Peut-être que moi, pour chacun d'eux je ressemblais à quelqu'un qui était mort. A peine étais-je arrivé à Adelma et j'étais déjà un des leurs, j'étais passé de l'autre côté, confondu dans ce flot d'yeux, de rides et de grimaces. Je pensai : "Peut-être qu'Adelma est la ville où l'on arrive quand on meurt et où chacun retrouve ceux qu'il a connus. C'est signe que moi aussi je suis mort." Je pensai encore : "Et c'est signe qu'au delà, ce n'est pas le bonheur?"

Auteur: Calvino Italo

Info: Villes invisibles

[ onirique morbidité ] [ funèbres obsessions ]

 

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barbarie

Alors un de nos cow-boys a pris la parole. Il avait servi dans le 1er régiment de cavalerie du Colorado, et il avait assisté au massacre. Son capitaine, qui s’appelait Silas Soule, avait refusé d’obéir à Chevington qui lui ordonnait d’attaquer un village pacifique dans lequel un des chefs cheyennes, Black Kettle, faisait flotter le drapeau blanc et le drapeau américain sur son tipi. Mais Chevington a donné l’assaut avec les autres régiments. Quand les tirs ont commencé, des dizaines de femmes et d’enfants sont venus à la rencontre des soldats, les mains en l’air ou en agitant des drapeaux blancs en signe de reddition. Certains, à genoux, ont supplié qu’on leur laisse la vie. Les soldats leur ont fracassé le crâne à coups de crosse, tuant les squaws, les vieillards, les enfants, les bébés. D’autres ont tenté de fuir en suivant le lit de la rivière, sec à ce moment de l’année, et le sable les empêchait de courir. Un petit garçon de trois ans, tout seul, essayait de les rattraper. Ses parents étaient sans doute déjà morts. Trois soldats ont parié entre eux pour savoir lequel l’abattrait le premier. Deux l’ont raté, mais pas le troisième. Le gamin a mordu la poussière. Après avoir tué autant d’Indiens qu’ils le pouvaient, les militaires ont scalpé les morts… Femmes, enfants, nourrissons… Ils ont mutilé leurs corps, leur ont tranché les oreilles, les doigts, le nez, les organes génitaux. Chivington et ses hommes s’en sont servis pour décorer leurs chapeaux, leurs uniformes, leurs selles. L’un d’eux a ouvert le ventre d’une squaw enceinte et le fœtus est tombé à terre. Un autre a coupé les testicules d’un chef pour s’en faire une blague à tabac. Voilà ce que nous a raconté notre collègue, ce soir-là, ce qu’il avait vu… Il avait besoin de se décharger de tout ça et il ne pouvait plus s’arrêter. Il s’est mis à pleurer et il en avait encore, des horreurs, à nous dire. Les autres se sont couchés, mais il parlait tout seul, devant les braises en train de s’éteindre. Je n’oublierai jamais ce pauvre gars. Au milieu de la nuit, un coup de feu a retenti. Il s’était tiré une balle dans la tête. Le seul moyen qu’il avait trouvé pour faire taire ces voix qui le hantaient. "Voilà, June, pourquoi je ne veux pas retourner là-bas, encore moins y passer la nuit. Si on y va quand même, tu seras obligée de les voir à genoux, implorer la pitié, ou courir vers le lit de la rivière. Tu entendras les cris, les hurlements, des hommes, des femmes, des gamins, des fillettes… pendant que les soldats leur arrachent la tête et les taillent en morceaux. Tu verras peut-être même les enfants de Gertie s’effondrer. Seulement, il n’y a rien qu’on puisse faire, ni toi, ni moi, ni personne. Tu ne sens pas que ça grouille sous tes pieds, à l’endroit où on est ? Cette terre est maudite depuis le massacre. Le mieux est encore de laisser les morts tranquilles, en espérant qu’ils trouvent un jour la paix."

Auteur: Fergus Jim

Info: May et Chance

[ colonialisme ] [ états-unis ]

 
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dernières paroles

Une fois de plus les forces et les intérêts qui oeuvrent contre le peuple se sont organisés à nouveau contre moi. Ils ne m'accusent pas, ils m'insultent ; ils ne me combattent pas, ils me diffament et ne me donnent pas le droite de me défendre. Ils doivent assourdir ma voix et empêcher mes actions de sorte que je ne continue pas à défendre le peuple comme je l'ai toujours fait, particulièrement les humbles. Je suis mon destin. Après des décennies de domination et de pillage des groupes économiques et financiers internationaux je me suis placé à la tête d'une révolution et ai gagné. J'ai commencé le travail de la libération et j'ai installé un régime de liberté sociale. J'ai une fois dû démissionner mais je suis revenu au gouvernement porté par le peuple. La campagne souterraine des groupes internationaux a rejoint celle des groupes nationaux qui sont contre la politique du plein emploi. La loi contre les bénéfices exceptionnels a été retardée par le congrès. Des attaques ont été lancées contre une juste révision des salaires minima. J'ai souhaité apporter la liberté nationale dans l'utilisation de nos ressources avec Petrobas ; ceci avait à peine commencé à fonctionner quand la vague d'agitation a gonflé. Electrobas a été obstrué au point de désespoir. Ils ne veulent pas que l'ouvrier soit libre. Ils ne veulent pas que les brésiliens soient indépendants.
J'ai assumé le gouvernement au milieu d'une spirale inflationniste qui détruisait les récompenses du travail. Les bénéfices des compagnies étrangères atteignaient parfois 500 pour cent par an. Dans la déclaration des valeurs d'importation, des fraudes de plus de $100 millions par an ont été prouvées. Avec la crise de café la valeur de notre produit principal a monté. Nous avons essayé de protéger son prix et la réponse fut une telle pression violente sur notre économie que nous avons été forcé de céder. J'ai combattu mois après mois, jour après jour, heure après heure, résistant à une pression constante, souffrant tout en silence, m'oubliant afin de défendre le peuple brésiliens. Il n'y a rien que je ne puisse donner de plus excepté mon sang. Si les oiseaux de proie veulent le sang de quelqu'un, s'ils veulent continuer à piller les brésiliens, j'offre ma vie en holocauste. Je choisis ce moyen pour être toujours avec vous. Quand ils vous humilieront, vous entirez mon âme souffrir a votre côté. Quand la faim frappera à votre porte, vous sentirez en votre sein l'énergie pour lutter pour vous-mêmes et vos enfants. Quand vous serez dédaignés, ma mémoire vous donnera la force pour réagir. Mon sacrifice vous maintiendra uni et mon nom sera votre norme de bataille. Chaque goutte de mon sang sera une flamme immortelle dans votre conscience et confirmera la volonté sacrée de résister. À la haine je réponds par le pardon, et à ceux qui pensent qu'ils m'ont défait, je réponds avec ma victoire. J'étais l'esclave des brésiliens, aujourd'hui je me libère dans la vie éternelle. Mais ces personnes dont j'étais l'esclave ne seront plus les esclaves de personne. Mon sacrifice demeurera pour toujours dans leurs âmes et mon sang sera leur rançon. J'ai combattu contre l'exploitation du Brésil. J'ai combattu contre l'exploitation de ses gens. J'ai combattu avec mon coeur entier. La haine, l'infamie et la calomnie n'ont pas conquis mon esprit. Je vous ai donné ma vie. Maintenant je vous offre ma mort. Je ne crains rien. Sereinement je fais mes premiers pas vers l'éternité. Je quitte la vie pour entrer dans l'histoire.

Auteur: Vargas Getúlio Dornelles

Info: Sa lettre pour le peuple brésilien

[ suicide ]

 

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