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femmes-par-hommes

Maintenant, réfléchissant dans le noir à leur passé, il s'apercevait qu'il ne pouvait y avoir qu'une raison à la façon acrobatique et distante que Nora avait de faire l'amour : comme les prostituées qui vendent leur corps, mais non leur plaisir, Nora, simplement, ne l'aimait pas. Toutefois cette explication ne lui sembla pas satisfaisante : Nora répétait constamment qu'elle l'aimait dans les occasions les plus intimes et les plus désintéressées et il n'avait pas de raison d'en douter. Mais alors ? Il se dit que son manque de participation à l'amour ne pouvait s'expliquer que s'il l'entendait au-delà des limites du rapport sexuel. En réalité, pensa-t-il, la manière qu'avait Nora de faire l'amour sous-entendait une attitude psychologique analogue : aux démonstrations amoureuses de Lorenzo elle répondait, en fait, par l'immobilité, l'indifférence, carrément par l'agacement et la répulsion. Maintenant, à y bien repenser, il se rappela que Nora n'aimait pas être caressée sur le visage, alors que c'est une des caresses les plus affectueuses ; dès qu'il ébauchait ce geste, elle ne pouvait s'empêcher de détourner la tête. Qu'est-ce que cela signifiait ? Comment cela pouvait-il être compatible avec l'affirmation obstinée et sincère de Nora qui prétendait l'aimer ? Lorenzo se souvint du comportement analogue d'un de ses chats, chez ses parents, sauvage et méfiant, habitué à vivre à la maison le jour et sur les toits la nuit, il se dérobait à la caresse ou se retournait et faisait mine de le griffer. Lorenzo avait demandé à sa mère pourquoi l'animal ne voulait pas être caressé. Elle avait répondu :
- Parce que tu ne lui plais pas.
- Mais nous lui donnons une maison, de la nourriture, il devrait au moins se laisser caresser.
- Il est égoïste, il veut recevoir et non pas donner. Ou plutôt, si tu réfléchis un peu, il y a quelque chose qu'il nous donne.
- Quoi ?
- Sa beauté. Il est beau. Il se laisse contempler, il ne veut pas donner davantage.
Maintenant, en repensant aux mots de sa mère, il crut pouvoir expliquer l'attitude de Nora dans l'amour. Comme le chat de sa mère, Nora était simplement égoïste : tout en acceptant son amour, elle ne ressentait pas le besoin d'y répondre, elle se contentait de vivre sous ses yeux, de se laisser regarder.

Auteur: Moravia Alberto

Info: La femme léopard

[ distantes ] [ froides ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

introspection

Des siècles de nombrilisme. Millénaires de masturbation. De Platon à Descartes à Dawkins à Rhanda. Âmes, agents zombies et qualia*. Complexités de Kolmogorov. La conscience comme étincelle divine. L'esprit comme un champ électromagnétique. La conscience en tant que groupe fonctionnel.

J'ai tout exploré.

Wegner la pensait comme un résumé. Penrose l'imaginait telle le chant d'électrons captifs. Tor Nørretranders prétend que c'est une fraude ; Kazim a parlé de fuites provenant d'un univers parallèle. Metzinger ne voulait même pas admettre son existence. Les IA  pensaient l'avoir mis au jour, puis ont annoncé qu'elles ne pouvaient pas nous l'expliquer. Gödel avait raison après tout : aucun système ne peut se comprendre entièrement lui-même.

Même les meilleurs synthésistes n'avaient su en faire quelque chose. Les murs porteurs ne supportaient simplement pas cette charge.

J'ai commencé à réaliser qu'ils avaient tous raté le coche. Toutes ces théories, tous ces rêves de médications, toutes ces expériences et tous ces modèles essayant de prouver ce qu'elle était : aucun pour expliquer à quoi elle servait. Pas besoin : de toute évidence, la conscience fait de nous ce que nous sommes. Elle nous permet de voir la beauté et la laideur. Elle nous élève vers le royaume exalté du spirituel. 

Oh, quelques outsiders - Dawkins, Keogh, écrivain de pacotille qui atteignait à peine l'obscurité - se sont brièvement interrogés sur le pourquoi de la chose : pourquoi pas de simples ordinateurs, rien de plus ? Pourquoi les systèmes non-sensibles devraient-ils être intrinsèquement inférieurs ? Mais leurs voix ne se sont jamais élevées au-dessus de la foule. La valeur de ce que nous sommes était trop trivialement évidente pour être sérieusement remise en question.

Pourtant, les questions persistent, dans l'esprit des chercheurs, à travers l'angoisse de tous les jeunes excités de quinze ans de la planète. Ne suis-je rien d'autre qu'une étincelle chimique ? Suis-je un aimant dans l'éther ? Je suis plus que mes yeux, mes oreilles, ma langue ; je suis la petite chose derrière ces choses, la chose qui regarde de l'intérieur. Mais qui regarde par ses yeux ? A quoi se réduit-il ? Qui suis-je ? Qui suis-je ? Qui suis-je ?

Bonjour la question de merde. J'aurais pu y répondre en une seconde, si Sarasti ne m'avait pas obligé à la comprendre d'abord.

Auteur: Watts Peter

Info: Blindsight. *conscience phénoménale, contenu subjectif de l'expérience d'un état mental.

[ moi ] [ ego ] [ subjectivité ] [ tour d'horizon ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

reines de beauté

[Un samedi soir, le comité syndical organise pour les jeunes travailleurs une soirée ayant pour thème l'élection de "Miss Usine". Mais pour les vigilants activistes, aucun divertissement ne peut avoir lieu sans une finalité éducative, voire idéologique.]

Devant les trognes de tartuffe d'un jury pesamment sérieux, rafraîchi par quelques jeunes qui, au milieu de petites vieilles et de vieux gâteux, avaient l'impression de se trouver comme des gamins au premier jour de maternelle, se succédèrent, à tour de rôle, lentement, avec une certaine grâce, d'authentiques beautés, des jambes sculpturales et les seins d'albâtre, des rousses minces, frêles, aux regards innocents comme ceux des veaux nouveau-nées, des hanches solides, prolétaires, et des jambes charnues, des regards simulant le désarroi ou l'innocence et des salopes à l'air monacal, accompagnées d'un délire d'applaudissements, sifflées et encouragées par leurs connaissances, venues nombreuses, des blondes évaporées et des brunes pécheresses, toutes invitées en chœur à venir dans divers bistrots à la réputation douteuse : "la rousse numéro dix à La Grenouille verte ! ; la rouquine numéro cinq à La Mégère magnifique ! ; la deux au Canonnier ! ; la trois au Porte-Jarretelle rouge ! ; nous fournissons la bière, toi, viens avec ce que tu as de mieux !", ce qui énervait de plus en plus le jury. À la fin, sur le grand nombre de candidates, quatre remportèrent à peu près autant de points. Le jury s'était retiré dans une pièce attenante pour formuler des questions de manière à les départager, les goûts étant tellement divers, la simple beauté n'était pas suffisante pour devenir Miss. Et tandis que Jomo incontournable et insouciant comme toujours installait sa chaise au milieu de la scène, pour pleurer de nouveaux avec son chant et sa guitare les chevaux innocents en si grand nombre sacrifiés en l'honneur de l'apparition des tracteurs, les candidates passaient au second plan, se tenaient grelottantes et malheureuses derrière lui, abandonnées provisoirement même de leurs admirateurs ; la voix de Jomo, claire, puissante dominait la salle, réveillant dans le public des souffrances sans nom, une étrange envie de pleurer, à telle enseigne que la réapparition du jury fut accueillie par des sifflets et des huées ; c'est Jomo qu'ils voulaient, mais celui-ci quitta la scène l'air soumis et absent, laissant aux belles, tirées brusquement de leur torpeur, les applaudissements qui n'en finissaient plus.

Auteur: Buzura Augustin

Info: Vocile nopții, traduit du roumain par Guy Hoedts

[ prolétaires ] [ défilé ] [ spectacles mélangés ] [ malentendu ] [ musique ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

volatiles

Cela fait plus de quarante ans que j'observe les oiseaux et j'ai toujours du mal à expliquer la fascination qu'ils exercent sur moi. Parmi les raisons de cette fascination, je citerais leur immense variété, leur extrême beauté et leurs comportements étonnants. Ainsi, leur capacité à parcourir le monde entier au cours de la migration et à s'adapter à tous les milieux, y compris les déserts arides, le grand large ou même la calotte glaciaire de l'Antarctique excite l'imagination.

Il n'est heureusement pas nécessaire de séjourner dans ces contrées éloignées pour observer quelques-uns de ces oiseaux si remarquables. La première hirondelle du printemps a survécu au long voyage aller et retour d'Europe en Afrique australe. Les bécasseaux qui se rassemblent en automne sur nos estuaires ont survolé le cercle polaire et, seul sur une falaise au printemps, le traquet motteux est peut-être en train de faire escale entre ses quartiers d'hiver au sud du Sahara et son aire de nidification au Groenland.

Les oiseaux de nos jardins sont eux aussi source d'inspiration : la grive musicienne cassant la coquille d'un escargot sur le chemin du verger, le rouge-gorge défendant avec acharnement son territoire, l'hirondelle construisant son nid de boue sous la gouttière et le superbe épervier, qui a échappé aux dégâts causés par l'utilisation des pesticides agricoles, engageant jusque dans nos jardins, avec une étonnante agilité, sa chasse aux petits oiseaux.

Le monde moderne nous isole de plus en plus de la nature, mais les oiseaux restent un lien avec la vie sauvage et, un peu comme le canari emporté au fond de la mine, ils nous renseignent sur l'état de santé de notre planète.

Après la Seconde Guerre mondiale, c'est le déclin dramatique du nombre des oiseaux de proie qui alerta le public et lui lit prendre conscience des risques encourus du fait des pesticides répandus dans la nature ; plus récemment, les fluctuations des populations d oiseaux sur les terres cultivées ont permis de reconnaître les effets sur l'environnement des nouvelles méthodes agricoles.

Mais la meilleure raison que l'on peut trouver pour observer les oiseaux reste le plaisir que l'on y prend. Il v a partout des oiseaux et ce plaisir est donc tout proche, quel que soit le heu où nous vivons. C'est un violon d'Ingres sans limites : il peut intéresser les jeunes comme les "plus très jeunes" et durer toute une vie.

Auteur: Holden Peter

Info: Voir les oiseaux, pourquoi observer les oiseaux

[ éthologie ] [ contemplation ]

 

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hommes médiévaux

Nous appelons fanatisme, exagération leurs vertus chevaleresques, leurs dévouements sublimes : quel nom mérite notre égoïsme ? Ils bâtissaient des églises et des couvents : nous bâtissons des théâtres et des prisons. Avaient-ils commis quelque crime, ils en demandaient publiquement pardon à Dieu et aux hommes : nous nous en faisons gloire. Menacés ou atteints des fléaux du ciel, ils s’humiliaient : nous blasphémons. De leur temps, lorsqu’on éprouvait quelque grand chagrin, on priait : aujourd’hui on se tue. Nous parlons de leur ignorance : où sont nos lumières ? Est-ce dans ces temps de ténèbres ou dans nos siècles éclairés que se trouvent les notions les plus justes du droit, de l’autorité, de la propriété, du bien et du mal ?

Nous vantons la beauté de nos langues modernes : ils les ont créées. Nous avons découvert la vapeur et l’électricité : ils ont découvert la boussole, l’imprimerie et inventé la poudre. Nous avons produit des montagnes de livres : ils ont produit l’Imitation. Nous chantons nos gloires dans la guerre, dans les sciences et dans les arts : étaient-ils aussi barbares que nous nous plaisons à le dire, les siècles qui produisirent dans la guerre Charlemagne, Du Guesclin, Godefroy de Bouillon ; dans les sciences politiques, Alcuin, saint Grégoire VII, saint Louis et Suger ; dans la théologie, saint Bonaventure et saint Thomas ; dans l’éloquence, saint Bernard, saint Antoine de Padoue, saint Vincent Ferrier ; dans la philosophie, saint Anselme ; dans la poésie et la littérature, Dante et Pétrarque ; dans les sciences physiques, Gerbert et Roger Bacon ? Étaient-ils des sauvages, fils et frères de sauvages ceux qui lancèrent dans les nues les flèches de nos cathédrales, qui en découpèrent si délicatement toutes les parties, qui en peuplèrent les clochetons et les galeries d’un peuple de statues, qui écrivirent l’histoire du temps et de l’éternité en caractères d’or, de pourpre et d’azur aux murailles et aux vitraux de leurs magnifiques édifices ?

Mais, dit-on, ils ne jouissaient pas de la liberté de la pensée. Ce que je sais, c’est que nous en avons le dévergondage. Ils vivaient dans l’oppression ; nous sommes ingouvernables. Ils étaient vêtus de bure ; nous portons du calicot. Ils se nourrissaient de pain noir ; nous mangeons des pommes de terre. Ils vivaient dans leurs familles comme des renards dans leurs tanières ; nous vivons dans l’atelier et nous n’avons plus de famille.

Auteur: Gaume Jean-Joseph

Info: "Le Ver rongeur"

[ moyen âge ] [ comparaison ] [ éloge ] [ dévaluation des contemporains ] [ plaidoyer ] [ monde d'hier ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

art religieux

Le genre français, c’est un Jésus glorieux, en robe de brocart pourpré, entr’ouvrant, avec une céleste modestie, son sein, et dévoilant, du bout des doigts, à une visitandine enfarinée d’extase, un énorme cœur d’or couronné d’épines et rutilant comme une cuirasse.

C’est encore le même Jésus plastronné, déployant ses bras pour l’hypothétique embrassement de la multitude inattentive ; c’est l’éternelle Vierge sébacée, en proie à la même recette de désolation séculaire, tenant sur ses genoux, non seulement la tête, mais le corps entier d’un minable Fils, décloué suivant de cagneuses formules. Puis, les innumérables Immaculées Conceptions de Lourdes, en premières communiantes azurées d’un large ruban, offrant au ciel, à mains jointes, l’indubitable innocence de leur émail et de leur carmin.

Enfin, la tourbe polychrôme des subalternes élus : les saints Joseph, nourriciers et frisés, généralement vêtus d’un tartan rayé de bavures de limaces, offrant une fleur de pomme de terre à un poupon bénisseur ; les saints Vincent de Paul en réglisse, ramassant, avec une allégresse réfrénée, de petits monstres en stéarine, pleins de gratitude ; les saints Louis de France ingénus, porteurs de couronnes d’épines sur de petits coussins en peluche ; les saints Louis de Gonzague, chérubinement agenouillés et cirés avec le plus grand soin, les mains croisées sur le virginal surplis, la bouche en cul de poule et les yeux noyés ; les saints François d’Assise, glauques ou céruléens, à force d’amour et de continence, dans le pain d’épice de leur pauvreté ; saint Pierre avec ses clefs, saint Paul avec son glaive, sainte Marie-Madeleine avec sa tête de mort, saint Jean-Baptiste avec son petit mouton, les martyrs palmés, les confesseurs mitrés, les vierges fleuries, les papes aux doigts spatulés d’infaillibles bénédictions, et l’infinie cohue des pompiers de chemins de croix.

Tout cela conditionné et tarifé sagement, confortablement, commercialement, économiquement. Riches ou pauvres, toutes les paroisses peuvent s’approvisionner de pieux simulacres en ces bazars, où se perpétue, pour le chaste assouvissement de l’œil des fidèles, l’indéracinable tradition raphaélique. Ces purgatives images dérivent, en effet, de la grande infusion détersive des madonistes ultramontains. Les avilisseurs italiens du grand Art mystique furent les incontestables ancêtres de ce crépi. Qu’ils eussent ou non le talent divin qu’on a si jobardement exalté sur les lyres de la rengaine, ils n’en furent pas moins les matelassiers du lit de prostitution où le paganisme fornicateur vint dépuceler la Beauté chrétienne. Et voilà leur progéniture !

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "Le Désespéré", Livre de poche, 1962, pages 229-230

[ critique ] [ description dégoûtée ] [ christianisme édulcoré ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

deuil

Une beauté brune dans une petite ville, un passé inavouable, une réputation ruinée, un amour perdu, sacrifié, protégé par l'oubli, le silence, donc éternel. J'envie presque ma mère, parfois, la fidélité, la tendresse avec laquelle elle préservait son amour de jeunesse, sa passion interdite, le père de son enfant illégitime. Au cours de ses dernières semaines encore, dans le service de long séjour, ma mère nous étonne, moi sa fille, et Dieu sait combien d'autres personnes, durant ses nuits effilochées rallongées par la douleur, en appelant un jeune homme, en répétant encore et encore, comme un refrain, dans son sommeil, dans son délire, dans sa souffrance : j'ai eu un jour un tendre amant, un très tendre amant, laissez donc la fenêtre entrouverte, j'aime tant regarder ces lilas blancs, avec la mer derrière, si tu le croises, dis-lui bonjour pour moi, dis bonjour de ma part à mon amour, dis-lui que je l'attends, dis-lui que tout va bien, que nous sommes toutes les deux en bonne santé, dis-lui que la petite à de beaux yeux, des yeux de violette, bleus comme la mer, exactement comme son père. En toute innocence, je couvre de ces fleurs interdites les tables de chevet de ma mère endormie du lourd sommeil du début de la fin, elle ne crie plus, ne proteste plus, entrouvre juste les paupières pour laisser filtrer entre ses longs cils gris un éclat noisette de plus en plus rare, et je continue de lui apporter des fleurs, à pleines brassées, pour une fois, pour trois ans, pour trente ans, jusqu'à la fin. J'en prends soin comme de bouquets de mariée, je les porte avec précaution, je les soigne, je change l'eau des vases. Je deviens la vestale du Grand Amour de ma mère. La servante de son amant inconnu, de ma soeur ignorée. L'accompagnante des accompagnantes. Dans son cercueil encore, je dispose autour du visage de ma mère et sur sa poitrine des violettes bleu nuit et du lilas blanc, trouvés à grand peine en ce mois de janvier. Je fais de sa bière en bouleau doublée de soie son dernier lit d'amour, l'odeur est enivrante, la petite chapelle s'emplit d'effluves presque indécents, du parfum humide et crémeux, trop vite fané, des amours d'été. Assise dans la pâle lumière bleue des bougies de la chapelle, j'ignore combien d'êtres je pleure en réalité, qui sont tous ceux que je perds en même temps que ma mère ensevelie sous les violettes et le lilas.

Auteur: Snellman Anja Kauranen

Info: Le temps de la peau, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Presses Universitaires de Caen

[ émotion ] [ maman ]

 

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religions comparées

La morale socratique se réfère, non a priori à un Code révélé, mais à la conscience en tant que fonction de l’Intellect. Ce caractère immanentiste ne permet nullement de la confondre avec un moralisme laïque, c’est précisément la référence à l’Intellect qui s’y oppose. Selon Socrate, la vertu c’est la science du bien : avoir la vraie notion du bien, celle de la justice par exemple, c’est être juste. Le bien est identique à l’utilité totale, qui est notre destinée spirituelle ; quiconque se fonde sur le bien ne peut être frustré, puisque Dieu est le Bien. Socrate insiste sur la vertu d’obéissance : la justice terrestre des autorités peut être faillible, mais elle est sacrée en vertu de la Loi éternelle, que le sage représente. L’attitude de Socrate à l’égard des mystères d’outre-tombe est celle de Confucius : la garantie d’un au-delà favorable est dans notre conformation à la Norme universelle ; cette conformation prime les conceptualisations des états post-mortem.

Une autre éthique indépendante du Décalogue est celle de l’Inde : elle se fonde sur les notions du dharma ("Loi universelle"), du rita ("détermination" ou "comportement") et du karma ("action"). C’est en vertu du dharma que les choses et les êtres se comportent chacun selon sa nature ; la notion du rita est peut-être moins principielle, elle exprime le comportement même, y compris les actes rituels, bien qu’à d’autres égards dharma et rita soient synonymes. Le karma relève du dharma ; il engendre, suivant sa conformité ou non-conformité à l’Ordre cosmique et divin, tel destin dans la transmigration. La violation de la Norme ou de la Loi est le péché, pâpa ; l’impureté qui détermine, ou accompagne l’acte du péché est le mal, dosha. Il convient du reste de distinguer entre l’amoral (nirdharma) et l’immoral (adharma) : de même que le "surnaturel" est non un "contre-naturel" mais simplement un "naturel" transcendant - en étendant ainsi la logique interne du "naturel" à l’Univers invisible -, de même l’"amoral" est non un "immoral" mais un "moral" transcendant, c’est-à-dire plus vaste que le moral proprement dit et éventuellement contraire à ce dernier. Au demeurant, l’Hindouisme insiste beaucoup sur l’œuvre accomplie sans espoir du fruit (niskhâma-karma) : c’est le point de vue de la morale pure ou quintessentielle, en tant que participation inconditionnelle à l’Équilibre cosmique et à l’Attraction divine ; la conscience du "devoir" humain est remplacée ici par un impératif résultant non de notre intérêt mais de la divine Beauté, pour dire les choses simplement.

Auteur: Schuon Frithjof

Info: Dans "Logique et transcendance", éditions Sulliver, 2007, pages 179-180

[ philosophie pérenne ]

 

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végétaux

Stéphane Perraud : Dans quel état se trouvent les forêts primaires aujourd'hui ?

Francis Hallé : Il n'y en a quasiment plus ! Les forêts sont dites primaires quand elles n'ont jamais subi la moindre destruction humaine. Il y a quarante ans on en trouvait encore beaucoup à la surface du globe. Aujourd'hui, il n'en subsiste que des lambeaux, dans la boucle du fleuve Congo, en Australie, dans le Grand Nord canadien, en Sibérie... Seuls le climat très difficile ou l'absence totale d'accès les protègent encore de la folie destructrice des hommes. En Amazonie, c'est trop tard. On rase les arbres pour les remplacer par du soja transgénique et de l'élevage.

- Pourquoi est-ce si inquiétant ?

- La forêt joue un rôle déterminant pour la survie de l'humanité. Les arbres purifient l'atmosphère en absorbant du gaz carbonique et en rejetant de l'oxygène . Couper un arbre revient à détruire une usine d'épuration naturelle. Les arbres attirent la pluie. Leur feuillage et leur système racinaire filtrent l'eau. Ils jouent également un rôle de stabilisateurs pour les sols. Et bien sûr, ils abritent une flore et une faune exceptionnelle. Ce sont nos alliés, nos protecteurs. La disparition des forêts primaires n'est pas irréversible, mais pour passer d'une forêt secondaire (qui a repoussé après exploitation) à une forêt primaire, il faudrait la laisser tranquille pendant sept siècles !

- On entend souvent qu'une forêt a besoin d'être entretenue pour rester en bonne santé...

- C'est une hérésie ! Les forêts existent depuis plus de 350 millions d'années, elles se portaient très bien avant l'arrivée de l'homme. Elles ont su se reconstituer après chaque évolution climatique majeure. Plus on intervient dans une forêt, plus on la fragilise. Il faut au contraire laisser faire la nature. Le bois mort au sol par exemple préserve les micro-organismes. Une forêt détruite par un incendie repoussera mieux si on n'intervient pas. Sa capacité de régénération est incroyable. Saviez-vous que lorsqu'on coupe une branche, on favorise l'arrivée des maladies ? Au Jardin des Plantes à Paris, on trouve des arbres tricentenaires qui n'ont jamais été taillés. Ils se portent très bien et ne sont pas dangereux pour les visiteurs.

Beauté... Mesurable ? Il serait temps que tu comprennes que vous n'êtes que des principes d'action programmés pour survivre dans un milieu hostile, non prévu. Pour tenter de durer. Par conséquent la notion de beauté est tout à fait relative. Il y a éventuellement accoutumance à quelque chose de rassurant mais "Beauté mesurable", c'est comme si tu disais "vie passive".

Auteur: Hallé Francis

Info: 26 juin 2014

[ arbre ] [ nature ] [ équilibre ] [ écologie. éco-anxiété ]

 

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sorcières

Marguerite fut alors saisie par l'idée qu'au fond, elle avait tort de presser son balai avec tant d'ardeur, qu'elle se privait ainsi de la possibilité de voir les choses comme il convenait, de jouir pleinement de son voyage aérien. Quelque chose lui suggérait que, là où elle allait, on l'attendrait de toute façon, et qu'elle n'avait donc aucune raison de se maintenir à cette hauteur et à cette vitesse, où elle s'ennuyait.
Elle abaissa la brosse de son balai, dont le manche se releva par-derrière, et, ralentissant considérablement son allure, elle descendit vers la terre. Cette glissade - comme sur un wagonnet de montagnes russes - lui procura le plus intense plaisir. Le sol, jusqu'alors obscur et confus, montait vers elle, et elle découvrait les beautés secrètes de la terre au clair de lune. La terre s'approcha encore, et Marguerite reçut par bouffées la senteur des forêts verdissantes. Plus bas, elle survola les traînées de brouillard qui s'étalaient sur un pré humide de rosée, puis elle passa au-dessus d'un étang. A ses pieds, les grenouilles chantaient en chœur. Elle perçut au loin, avec une bizarre émotion, le grondement d'un train. Bientôt, elle put le voir. Il s'étirait lentement, semblable à une chenille, et projetait en l'air des étincelles. Marguerite le dépassa, survola encore un plan d'eau miroitant où flottait une seconde lune, descendit plus bas encore et continua de voler, effleurant des pieds la cime des pins gigantesques.
A ce moment, un affreux bruissement d'air déchiré, qui se rapprochait rapidement, se fit entendre derrière Marguerite. Peu à peu, à ce sifflement d'obus, se joignît - déjà perceptible à des kilomètres de distance - un rire de femme. Marguerite tourna la tête et vit un objet sombre, de forme compliquée, qui la rattrapait. A mesure qu'il gagnait du terrain, l'objet se dessinait avec plus de netteté, et bientôt Marguerite put voir que c'était quelque chose qui volait, chevauchant une monture. Enfin, l'objet ralentit sa course en arrivant à la hauteur de Marguerite, et celle-ci reconnut Natacha.
Elle était nue, complètement échevelée, et elle avait pour monture un gros pourceau qui serrait entre ses sabots de devant un porte-documents, tandis que ses pattes de derrière battaient l'air avec acharnement. De temps à autre, un pince-nez qui avait glissé de son groin et qui volait à côté de lui au bout de son cordon, jetait des reflets de lune, tandis qu'un chapeau tressautait sur sa tête et glissait parfois sur ses yeux. En l'examinant plus soigneusement, Marguerite reconnut dans ce pourceau Nikolaï Ivanovitch, et son rire sonore retentit au-dessus de la forêt, se mêlant au rire de Natacha.

Auteur: Boulgakov Mikhaïl

Info: Dans "Le Maître et Marguerite", trad. Claude Ligny, Editions Laffont, Paris, 1968, pages 341-342

[ sabbat ]

 

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