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compétition

Face à l’appât du gain, deux intelligences artificielles de Google se révèlent "très agressives"
Le meilleur moyen de savoir si le développement des intelligences artificielles progresse est de les mettre en pratique. Pour cela, la filiale de Google Deepmind a récemment intégré des IA dans des jeux virtuels afin de savoir quel serait leur comportement face à une situation donnée. Entre collaboration et affrontement, cette étude passionnante nous montre de manière primitive que les intelligences artificielles ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins.
Après avoir démontré leurs capacités en s’illustrant au jeu de Go, battant récemment les meilleurs joueurs du monde, les IA de Google se sont retrouvées entre elles dans des jeux vidéo, dans le cadre d’une étude baptisée "Multi-agent renforcement learning in séquentiel social dilemnas". D’après les équipes de Deepmind, l’objectif de cette étude est de savoir si, face à l’appât du gain, les intelligences artificielles privilégieraient la collaboration ou l’affrontement. Si les jeux vidéo ressemblent à des versions grossières de Pacman, les résultats nous permettent de tirer quelques conclusions.
Dans le premier jeu baptisé "Gathering", les joueurs doivent récolter le plus de pommes possibles depuis un point central. Chaque joueur dispose d’un pistolet laser afin de pouvoir éliminer temporairement son adversaire le temps de pouvoir récupérer un maximum de pommes. Les IA Deepmind sont en rouge et bleu, les faisceaux laser en jaune et les pommes en vert. Au début de la partie, quand il y a suffisamment de pommes pour les deux joueurs, elles se livrent une bataille pacifique. Toutefois, les IA n’hésitent pas à se servir de leur pistolet laser pour neutraliser leur adversaire quand les pommes se font rares.
En utilisant des formes de Deepmind de plus en plus complexes, les chercheurs ont suggéré que plus l’agent est intelligent et plus il est capable d’apprendre de son environnement, ce qui lui permet d’utiliser des tactiques très agressives pour prendre le dessus. "Ce modèle… montre que certains aspects du comportement humain semblent émerger comme un produit de l’environnement et de l’apprentissage. Des politiques moins agressives émergent de l’apprentissage dans des environnements relativement abondants, avec moins de possibilités d’actions coûteuses. La motivation de la cupidité reflète la tentation de surpasser un rival et de recueillir toutes les pommes soi-même", explique Joel Z Leibo, membre de l’équipe de recherche.
Dans le deuxième jeu baptisé "Wolfpack", trois IA sont présentes : deux loups doivent chasser une proie et la capturer dans un environnement plein d’obstacles, à la manière d’une meute. Contrairement au jeu précédent, Wolfpack encourage la coopération. Si les deux loups sont près de la proie lorsque celle-ci est capturée, alors les deux reçoivent une récompense, indépendamment de celui qui l’a capturée.
"L’idée est que la proie est dangereuse – un loup solitaire peut la surmonter, mais il risque de perdre la carcasse à cause des charognards. Cependant, lorsque les deux loups capturent la proie ensemble, ils peuvent mieux protéger la carcasse contre les charognards, et donc recevoir une récompense plus élevée", explique l’équipe dans leur rapport.
En fonction de leur environnement, les IA ont soit privilégié l’agressivité et l’égoïsme, soit la collaboration pour un plus grand succès personnel. Si Google n’a pas encore publié son étude, les premiers résultats révèlent qu’élaborer des intelligences artificielles ne signifie pas qu’elles estimeraient nos propres intérêts comme priorité absolue.

Auteur: Internet

Info: Dailygeekshow.com nov 2017

[ logiciel expert ]

 
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écrire

Je n'ai pas beaucoup de souvenirs heureux de mon enfance. Le calendrier de l'Avent en est un. A l'approche des fêtes, chaque matin, au moment de partir à l'école, j'étais autorisé à ouvrir le sachet du jour garni par ma mère, et a emporter à l'école les friandises interdites le restant de l'année.

C’est elle qui avait confectionné le calendrier en feutre rouge, blanc et vert, et brodé à la main les numéros des jours que j'égrenais jusqu’à Noël. Après sa mort, mon père l'a remisé et je n'ai plus eu droit au décompte magique et gourmand.

Un jour, à l'Intermarché du coin, alors que nous faisions les courses, je suis tombé sur un calendrier de l'Avent Kinder Surprise. J'ai essayé de le glisser discrètement dans le caddie, mais mon père s'en est aperçu. Il l'a repêché et s'en est débarrassé dans un rayonnage.

"Tu ne vas pas te laisser avoir par leurs attrape-couillons" a-t-il dit en me menaçant d'une torgnole si j'insistais.

J'y ai échappé grâce à la présence dans les travées de mamans qui ont tourné la tête dès qu'il a élevé la voix. Mon père savait pertinemment qu'il ne pouvait pas me gifler en public.

Dans ces moments-là, je devais avoir un air triomphant ou vindicatif, car il me fusillait du regard et semblait dire que je ne perdais rien pour attendre.

Je garde un souvenir vivace de l'impatience et la joie qui m'animaient lorsque j'ouvrais le sachet quotidien garni par ma mère.

A présent, je suis dans le même état en comptant les jours qui me séparent du deuxième atelier d'écriture. Ma fièvre est contenue par ce carnet qui, à peine entamé, a agi comme un baume. Mon enfermement m'a tout de suite paru plus supportable. Il trouve presque un sens. Tout au moins une pertinence, une finalité.

Fidèle aux instructions de l'écrivain qui anime notre atelier, je noircis des pages, pour le simple plaisir de noter ce qui me passe par la tête, ou parce que ce matériau peut un jour trouver quelque utilité à la construction d'une œuvre de fiction.

- Nourrissez votre imagination, nous enjoint-il. Ne croyez pas en l'inspiration. Elle est une fainéante passive alors que l'acte de création est volontaire et actif. Construisez votre base de données, votre banque d'expressions, de sensations, dans laquelle vous puiserez le moment venu pour façonner une scène, donner un corps à un personnage …

Nous lisons à voix haute ce que nous avons écrit pendant le mois écoulé. Nous nous écoutons sans faire de commentaires.

L’écrivain dit que pour le moment, nous ne devons pas nous juger mutuellement. Simplement nous écouter.

Puis nous faisons des exercices sous contrainte. C'est ce que je préfère.

La consigne du jour est : "Dehors, dedans, on fait tous les mêmes rêves".

- Ne me servez pas une soupe réchauffée, le vieux cliché du taulard incompris qui rêve de liberté ou de vengeance contre la société qui un jour reconnaîtra ses motivations …

Certains d'entre nous ont hoché la tête, d'autres ont souri. Nous l'avons tous trouvé courageux de s'adresser à nous sur ce ton. Il a beau être en compagnie de la crème du centre de détention, ceux qui lisent ou font du théâtre, s'intéressent à l'écriture et à la culture, il a beau avoir un bipper d'alarme accroché à la ceinture, il se trouve seul dans une pièce de vingt mètres carrés en compagnie de neuf bonhommes condamnés à de longues peines, et pas pour avoir volé des carambars au tabac-presse du coin …Même s'il ignore les raisons pour lesquelles nous sommes derrière les barreaux, et s'il n’a à aucun moment cherché à les connaître - un bon point pour lui.

Auteur: Séverac Benoît

Info: Tuer le fils. Cahier de Mathieu Fabas - Centre de détention de Poissy - Mardi 6 février 2018 - Atelier d'écriture n° 2

[ thérapie ] [ prison ] [ magie de Noël ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

consommation singularisante

Si l’idéologie contre-culturelle s’est parfaitement diluée dans la rhétorique publicitaire, c’est parce que cette dernière tenait déjà un rôle central dans les déclamations bravaches des groupes les plus individualistes et libertaires. Citons ici Jerry Rubin, dont les écrits regorgent de formules qu’on croirait sorties d’une réclame pour chaussures de sport : "La révolution, c’était la création de nouveaux hommes et femmes. La révolution voulait dire une nouvelle vie. Sur terre. Aujourd’hui. La vie, c’est l’acte de vivre. La révolution est l’acte de révolution." Le langage qu’ont développé certains groupes de la nouvelle gauche comme les yippies et les Diggers est fait de phrases courtes et percutantes, qui s’enchaînent sans construction argumentative ni volonté démonstrative. C’est un langage constitué d’assertions provocantes et définitives, qui, selon Julie Stephens, ressemble davantage "à un pastiche du jargon publicitaire et des films de cowboys qu’à un discours de gauche". La filiation sémantique est évidente entre ce phrasé de la nouvelle gauche américaine et les slogans devenus habituels chez les grandes marques depuis plusieurs décennies. Le "Do It !" de Jerry Rubin est devenu le "Just Do It" de Nike. Depuis le tournant des années 1960, les fondamentaux de cette rhétorique sont immuables : spontanéité expressiviste et individualisme intransigeant. Les exemples sont innombrables : "Apple, think different", "Sprite, n’écoute que toi", "Reebok : I am what I am", "McDonald’s : venez comme vous êtes"… Le discours publicitaire typique célèbre désormais l’envie d’être ou de "devenir soi-même" et honore la marchandise tel un outil de libération.

L’anticonformisme est devenu l’axe fondamental de la communication corporate. Aucune entreprise n’illustre mieux cet état de fait qu’Apple, qui caracole en tête du palmarès des multinationales au plus fort capital de marque depuis des décennies. Tout le storytellingd’Apple est depuis les débuts de l’entreprise consacré à la construction et à l’entretien de son image de rebelle. Pour un spot télévisé intitulé 1984, année de sortie du Macintosh, Apple a diligenté le réalisateur Ridley Scott afin de mettre en scène un univers industriel et dystopique où, sur écran géant, un big brother inspiré du célèbre roman de George Orwell délivre un discours dominateur à une foule aliénée et léthargique. Dans cet auditorium débarque une jeune femme athlétique pourchassée par des soldats. Vêtue d’un short rouge et d’un t-shirt blanc à l’effigie de Macintosh, l’héroïne rassemble ses forces et détruit l’écran géant d’un coup de masse. Une voix off commente alors : "Le 24 janvier 1984, Apple Computer présentera son Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne sera pas comme 1984." Dans cet imaginaire, la force totalitaire, Big Brother, renvoie à IBM PC, la grande entreprise froide, industrielle et désincarnée. Apple est le libérateur, qui arrache l’ordinateur des griffes des grandes entreprises et du gouvernement pour le rendre accessible au peuple. Dans ce storytelling, qui s’est poursuivi tout au long de l’histoire d’Apple, l’entreprise n’est pas une institution privée à la recherche de profit, mais une force révolutionnaire visant à "aider les gens du commun à s’élever au-dessus des institutions les plus puissantes". Toute la rhétorique d’Apple à travers les décennies n’est que la reformulation du crédo contreculturel in a nutshell : l’utilisateur d’Apple, contrairement au conformiste PC, est un artiste, un rebelle, un irréductible et insaisissable individu – "Think different".

Chez les marques rebelles, championnes de l’anticonformisme de marché, l’entreprise ne parle plus par la bouche d’un maître de cérémonie encravaté ou d’un bon père de famille, comme il était d’usage dans la première moitié du XXe siècle. Elle s’offre pour représentants des rockers, des rappeurs ou toute autre incarnation de la rébellion du jour. Avec le retournement des années 1960, les marques qui souffraient jusqu’alors d’être associées aux marges les plus déviantes de la société jouissent désormais d’un inestimable capital symbolique.

Auteur: Galluzzo Anthony

Info: Dans "La fabrique du consommateur", éd. La découverte, Paris, 2020

[ historique ] [ narcissisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

dédication

Il avait pris comme nom de scène Ching Ling Foo.

Je n’eus qu’une seule occasion d’assister à son numéro, il y a de cela quelques années, a l’Adelphi Theater de Leicester Square. Le spectacle terminé, je gagnai l’entrée des artistes et envoyai ma carte à Ching, qui sans plus attendre m’invita aimablement dans sa loge. Il s’abstint de parler de ses illusions, mais je ne pouvais détacher le regard de l’objet posé près de lui sur un piédestal — son accessoire le plus célèbre : un grand aquarium sphérique à poissons rouges qui, en semblant surgir du néant, marquait le fantastique apogée de son numéro. Ching me proposa d’examiner le bocal, lequel était des plus normaux. Il renfermait au moins une douzaine de poissons ornementaux, tous vivants, et était empli d’eau. Je cherchai à le soulever, car je savais de quelle manière Ching le faisait apparaitre, et je m’ébahis de son poids.

Mon hôte ne dit mot en me voyant aux prises avec l’aquarium. De toute évidence, il se demandait si je connaissais ou non sa technique et répugnait à donner, même à un collègue, le moindre indice susceptible de la trahir. Quant à moi, j’ignorais comment lui révéler que son secret n’en était en effet plus un pour moi, si bien que je tins également ma langue. Je restai en sa compagnie une quinzaine de minutes, qu’il passa assis, à hocher poliment la tête tandis que je le complimentais. A mon arrivée, il avait déjà troqué son costume de scène contre un pantalon foncé et une chemise bleue à rayures, bien qu’il ne se fût pas encore démaquillé. Quand je me levai pour rendre congé, il quitta sa chaise, devant le miroir, afin de me raccompagner a la porte. Il marchait la tête basse, les bras pendants, en trainant les pieds comme si ses jambes l’avaient énormément fait souffrir.

A présent que des années ont passé et que Ching est mort, je puis dévoiler son secret le plus jalousement gardé, un secret dont, cette nuit-là, j’eus le privilège d’entrevoir l’étendue obsessionnelle.

Le célèbre aquarium se trouvait sur scène durant tout le spectacle, prêt à sa soudaine et mystérieuse apparition, habilement dissimulé au public. Ching le portait sous l’ample robe de mandarin qu’il affectionnait, coincé entre les genoux, jusqu’à sa sensationnelle matérialisation - véritable miracle, eût-on dit - à la fin du numéro. Aucun spectateur ne parvint jamais à deviner comment il réalisait ce tour, bien qu’il eût suffi d’un instant de réflexion logique pour percer le mystère.

Mais la logique se trouvait en conflit magique avec elle-même! Le seul endroit où il était possible à Ching de cacher le lourd aquarium était l’intérieur de sa robe, et il était logiquement impossible qu’il l’y mît. Il semblait évident à tout un chacun que Ching Ling Foo, le frêle Chinois, accomplissait son numéro d’une démarche trainante, douloureuse. Lorsqu’il faisait la révérence, pour conclure, il s’appuyait sur son assistante, laquelle le soutenait ensuite tandis qu’il sortait de scène en clopinant.

La réalité était totalement différente. Ching était un homme vigoureux d’une grande force physique,

et porter l’aquarium de cette manière lui était tout à fait possible. Cela dit, la taille et la forme du bocal le contraignaient à traîner les pieds tel un mandarin, mettant son secret en péril, car l’attention se concentrait alors sur sa manière de se déplacer. Donc, pour préserver le mystère, il traina les pieds sa vie durant. Jamais, à aucun moment, chez lui ou dans la rue, de jour ou de nuit, il n’adopta une démarche normale, de crainte que son secret ne fût dévoilé. Telle est la nature de celui qui joue le rôle du sorcier.

Le public sait bien qu’un magicien pratique ses tours des années durant, qu’il répète avec soin chaque numéro, mais peu de gens ont conscience de l’étendue du désir de tromper qu’entretient l’illusionniste : l’apparente contradiction qu’il apporte aux lois de la nature devient une obsession qui gouverne chaque instant de sa vie.

Auteur: Priest Christopher

Info: Le prestige

[ illusionniste ] [ abnégation ] [ magicien ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

coronavirus

Je viens de terminer mon quart dans le service Covid-19. Je me regarde dans la glace : j’ai le C du masque FFP2 imprimé sur le nez, les marques profondes des élastiques, mes yeux sont fatigués, mes cheveux humides de sueur. Je ne suis plus un médecin et une femme — seulement un médecin, un fantassin de la guerre contre le virus.

Avant de commencer mon quart, j’ai dû mettre l’équipement de protection et c’est là que j’ai senti la montée d’adrénaline : tu es dans la salle avec tes collègues, tu essayes de lancer une blague, mais tes yeux reflètent le souci de te protéger correctement à toutes les étapes de l’habillage : gants, blouse, deuxième paire de gants, lunettes, casaque, masque, visière, chaussures, couvre-chaussures… plus du ruban adhésif et encore du ruban pour garder tout étanche. La personne qui t’aide à t’habiller écrit ton nom et ta fonction sur ta blouse avec un marqueur rouge, car lorsqu’on est déguisé de la sorte, personne ne reconnaît plus personne. Et quand elle dit "Prêt", il est temps d’entrer dans la salle.

Tu te sens comme le soldat sur le point de sauter d’un avion, espérant que son parachute s’ouvrira : tu espères que le masque et la visière te protégeront, que les gants ne vont pas se déchirer, que rien de "sale" n’entrera en contact avec ton corps.

Entrer dans la salle, c’est entrer dans une bulle : tous les sons sont étouffés par l’équipement lourd. Pendant les 10 à 15 premières minutes, tu ne vois rien parce que ta respiration couvre de buée la visière jusqu’à ce qu’elle s’ajuste à la température. Alors tu commences à voir quelque chose entre les gouttelettes de condensation. Tu entres, en espérant que les couvre-chaussures ne se détacheront pas comme d’habitude, et la garde commence.

C’est incroyable comme tout a changé. La recherche et la routine cliniques sont si loin. La réa te manque parce, par rapport à ce que tu vois, c’était du gâteau. Les heures passent, ton nez te fait de plus en plus mal, le masque perce ta peau et tu as hâte de l’enlever et de respirer enfin. Respirer. C’est ce que nous voulons tous de nos jours, médecins et patients, infirmières et soignants. Nous tous. Nous voulons de l’air.

Enfin, la fin du quart arrive, 8 heures rendues interminables par la soif, la faim et le besoin de te soulager, ces choses que tu ne peux plus faire en service : boire, manger ou aller aux toilettes impliquent d’enlever l’équipement de protection. Trop risqué. Et trop cher. L’équipement est précieux, et l’enlever signifie qu’il faut en remplacer une partie, ce qui réduit la quantité disponible pour les collègues. Tu dois être économe, résister, porter une couche que tu espères ne pas utiliser parce que ta dignité et ta psychologie sont suffisamment compromises par ce que tu fais, par le visage de tes patients, par les paroles de leurs proches que tu appelles pour les tenir au courant. Certains te demandent de souhaiter une bonne journée à leur père, d’autres de dire à leur mère qu’ils l’aiment et de lui faire une caresse… et tu fais ce qu’ils demandent, en essayant de cacher tes larmes aux collègues.

La fin du quart arrive avec les renforts, les collègues prennent le relais. On leur passe les instructions, les choses à faire et à ne pas faire. Tu vas rentrer chez toi mais il faut d’abord retirer tes protections, avec prudence dans chacun de tes mouvements. Retirer l’équipement est un rituel à suivre calmement, car tout ce que tu portes est contaminé et ne doit pas toucher ta peau. Tu es fatiguée et tu voudrais juste t’évader, mais il faut un dernier effort, te concentrer sur chaque mouvement. Chaque mouvement doit être lent. Tu retires enfin le masque et quand il se décolle, tu sens la brûlure des érosions sanglantes sur ton nez. La bande était inutile — elle n’a pas empêché ton nez de saigner ou de faire mal. Mais au moins, tu es libre. Tu sors nue de la zone de déshabillage et tu passes aux vestiaires.

Auteur: Castelletti Silvia

Info: traduit de A Shift on the Front Line, New England Journal of Medicine, Avril 2020

[ décorporation ] [ effroi ] [ témoignage ] [ contraintes ] [ milieu hospitalier ]

 
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Ajouté à la BD par Plouin

cognition

Des chercheurs de l'Institut de neurosciences de la Timone apportent un éclairage théorique nouveau sur une illusion visuelle découverte dès le début du XXème siècle. Elle restait incomprise alors qu'elle pose des questions fondamentales sur la manière dont notre cerveau représente les évènements dans l'espace et dans le temps. Cette étude parue le 26 janvier 2017 dans la revue PLOS Computational Biology, montre que la solution se situe dans les mécanismes prédictifs intrinsèques aux traitements neuronaux de l'information.
Les illusions visuelles sont toujours aussi populaires: de façon quasi magique, elles peuvent faire apparaitre des objets là où on ne les attend pas... Elles sont aussi d'excellentes occasions de questionner les contraintes de notre système perceptif. De nombreuses illusions sont basées sur le mouvement, comme par exemple, l'illusion du flash retardé. Observez un point lumineux qui se déplace sur une trajectoire rectiligne. Si un second point lumineux est flashé très brièvement juste au dessus du premier, le point en mouvement sera toujours perçu en avant du flash alors que leurs deux positions horizontales sont rigoureusement identiques.
Traiter l'information visuelle prend du temps et même si ces délais sont remarquablement brefs, ils ne sont cependant pas négligeables et le système nerveux doit les compenser. Pour un objet qui se déplace de façon prédictible, le réseau neuronal peut inférer sa position la plus probable en tenant compte de ce délai de traitement. Pour le flash, par contre, cette prédiction ne peut s'établir car son apparition est imprévisible. Ainsi, alors que les deux cibles sont alignées sur la rétine au moment du flash, la position de l'objet en mouvement est anticipée par le cerveau afin de compenser le délai de traitement: c'est ce traitement différencié qui provoque l'illusion du flash retardé.
Les chercheurs montrent que cette hypothèse permet également d'expliquer les cas où cette illusion ne fonctionne pas: par exemple si le flash a lieu à la fin de la trajectoire ou si la cible rebrousse chemin de façon imprévue. Dans ce travail, l'innovation majeure consiste à utiliser la précision de l'information dans la dynamique du modèle. Ainsi, la position corrigée de la cible en mouvement est calculée en combinant le flux sensoriel avec la représentation interne de la trajectoire, toutes deux existant sous la forme de distributions de probabilités. Manipuler la trajectoire revient à changer la précision, et donc le poids relatif de ces deux informations lorsqu'elles sont combinées de façon optimale afin de connaître où se trouve un objet au temps présent. Les chercheurs proposent d'appeler parodiction (du grec ancien paros, le présent) cette nouvelle théorie qui joint inférence Bayesienne et prise en compte des délais neuronaux.
Malgré la simplicité de cette solution, la parodiction comporte des éléments qui peuvent sembler contre-intuitifs. En effet, dans ce modèle, le monde physique environnant est considéré comme "caché", c'est-à-dire qu'il ne peut être deviné que par nos sensations et notre expérience. Le rôle de la perception visuelle est alors de délivrer à notre système nerveux central l'information la plus probable malgré les différentes sources de bruit, d'ambiguïté et de délais temporels.
Selon les auteurs de cette publication, le traitement visuel consisterait en une "simulation" du monde visuel projeté au temps présent, et ceci avant même que l'information visuelle ne puisse effectivement venir moduler cette simulation, la confirmant ou l'infirmant. Cette hypothèse qui semble relever de la "science-fiction" est actuellement testée avec des modèles de réseaux neuronaux hiérarchiques plus détaillés et biologiquement plausibles qui devraient permettre de comprendre encore mieux les mystères sous-jacents à notre perception. Les illusions visuelles n'ont vraiment pas fini de nous étonner !
(Figure: Dans l'illusion visuelle du flash retardé, un point en mouvement (le point rouge, en haut) est perçu en avant par rapport à un point flashé (en vert en bas), même si ils sont alignés verticalement à l'instant du flash. Depuis la découverte de cette illusion, les débats ne sont pas clos quant à l'origine du traitement différencié des deux points. Dans cette étude, il est proposé que ce décalage de position soit dû à un mécanisme prédictif dont le but est normalement de compenser les délais de traitement de l'information visuelle. En utilisant l'information sur le mouvement du point, du début de la trajectoire jusqu'au moment du flash, la position du point est donc "anticipée" pour correspondre au plus près à la position réelle au temps présent.)

Auteur: Internet

Info: PLOS Computational Biology review, 26 janvier 2017

[ vision ]

 

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comptine

Sur la plage où les algues sont bercées par les vagues, un petit crabe solitaire se frayait un chemin dans les bulles d'écume. Il s'appelait Némo et il était amoureux de Citrouille, une petite arapède, un joli coquillage rond qui se colle aux rochers.

Tous les jours, il tapait doucement sur sa coque en lui disant :

— Je t'aime, viens avec moi.

Elle l'aimait, elle aussi, c'était sûr, mais quitter sa maison, son rocher, c'était impossible.

— Comment veux-tu que je renonce à ce rocher qui me protège. Si je le quitte, si je me décolle de lui, je suis nue, vulnérable. Les vagues m'emporteront et j'ai mille occasions de me faire dévorer par tous les prédateurs qui rodent tout autour.

Némo se demandait comment convaincre Citrouille pour qu'elle accepte de le suivre. Il regarda le fond de la mer tout autour. Du sable à perte de vue, deux anémones discutaient sans se soucier d'eux, un peu plus loin une grande nacre rêvait. Tout était calme.

— Écoute-moi bien, Citrouille, j'ai une idée, voilà ce que tu vas faire : tu te décroches du rocher, tu glisses sur ma carapace, tu t'accroches bien dessus... Et hop ! Nous partons en voyage de noces.

— Je suis d'accord, répondit Citrouille en lâchant son vieux rocher.

Mais juste au moment où elle allait s'accrocher sur Némo, une petite vague qui venait du large et s'en allait dormir sur la plage l'emporta. Némo vit passer sa bien-aimée qui virevoltait dans l'écume en faisant de grandes cabrioles...

Le fond de la mer qui paraissait si calme devint alors menaçant. Deux murènes dont la tête sortait de trous de rochers ouvraient leurs bouches avec des centaines de petites dents pointues comme des clous. Un banc de mulets affamés qui passait dans l'écume s'intéressait aussi à Citrouille, et même un rouget qui somnolait au fond s'était réveillé...

Citrouille était ballotée par les vagues, aspirée vers le large, repoussée sur le sable. Némo essayait de la suivre, mais il n'y arrivait pas.

Si elle retournait dans la mer, ils étaient tous là prêts à la dévorer, si elle s'échouait sur le rivage elle mourait très vite desséchée par le soleil. Là-haut, une vieille mouette en quête d'un bon repas tournait dans la brise de mer en faisant de grands ronds au-dessus de Citrouille.

C'est à ce moment qu'elle glissa sur une surface lisse, régulière, au milieu des algues du bord de mer. Un abri inespéré !

— Némo, je m'accroche à ce rocher, cria-t-elle de toutes ses forces, nous nous reverrons plus tard...

Ce rocher tout rond était un petit ballon qu'un enfant avait envoyé sur les vaguelettes. Citrouille s'accrocha du plus fort qu'elle put. Quand l'enfant prit son ballon, Citrouille était accrochée dessus. Il n'avait jamais vu de coquillage pareil et il demanda à sa maman :

— C'est quoi, ce caillou plat collé à mon ballon ?

— Mais c'est une petite arapède, nous allons la détacher délicatement et tu iras la poser dans l'eau contre un rocher. Tu vas voir, elle se collera dessus comme sur ton ballon.

C'est ce qu'il fit. Citrouille but une gorgée d'eau de mer pour se donner des forces et d'un seul coup elle se colla au rocher.

Pendant ce temps, Némo, désespéré, longeait le rivage, plongeait dans l'eau et demandait à tous ceux de la mer, méduses, bigorneaux, huîtres, rascasses, limandes, grondins :

— Avez-vous vu Citrouille ? Je l'ai perdue dans un remous du rivage.

— Mais c'est qui Citrouille ? dirent-ils en cœur... Tu te mets dans un drôle d'état, mon pauvre Némo.

— La petite arapède de ma vie. Aidez-moi à la retrouver, je vous en supplie.

Alors, le voyant si malheureux, ils se mirent à la queue leu leu et ils suivirent le rivage à la recherche de Citrouille. Après le banc de sable, ils la trouvèrent très vite, affolée, collée de toutes ses forces sur un rocher, le bord de sa coque effrité par tous les chocs et cabrioles.

Némo s'approcha d'elle, il fit glisser doucement ses pinces sur sa coque ébréchée et il lui dit :

— Ma pauvre Citrouille, reste accrochée au rocher, je m'installerai dans le trou à côté et nous serons heureux...

Maintenant, le soir, quand les vagues s'endorment, si vous passez près du rocher de Citrouille et Némo, vous verrez monter de petites bulles d'eau... C'est Citrouille qui dit des mots d'amour à Némo... Et lui, il lui joue un petit concerto en grattant la mousse et le rocher avec ses petites pinces.


Auteur: Lieutaud Pierre

Info: Citrouille et Némo

[ historiette ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

politiquement correct

Le "n-word», ce tabou américain
Le mot "nigger", forcément tabou chez les Blancs, est très prisé des jeunes Afro-Américains, qui l’utilisent souvent entre eux, sans modération. Avec parfois quelques situations bizarres – merci Kendrick Lamar –, raconte notre chroniqueuse.

"Hey, nigga!" Je l’avoue, à chaque fois que j’entends des Afro-Américains s’apostropher de la sorte dans la rue, j’esquisse un petit sourire. Nigga, comme diminutif de nigger, pour "nègre". Le "Hey, nigga!" s’accompagne généralement immédiatement d’une bonne vieille accolade. C’est une marque d’amitié, de fraternité, très prononcée, mais qui peut surprendre. Les médias américains, eux, optent pour le tabou le plus absolu: c’est le fameux n-word.

Un marqueur identitaire
Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire à ce sujet, à force d’entendre les nigga ou nigger à chaque coin de rue. Mais j’hésitais. Comment l’aborder? Le thème est délicat, et le dérapage ou la maladresse involontaire vite là. Et puis, à force de faire quelques recherches, je suis tombée sur le rappeur Kendrick Lamar. Kendrick Lamar, donc, a fait un jour monter une fan sur scène lors d’un concert en Alabama, lui prêtant son micro. Delaney est restée très fidèle à ses paroles. Trop. Car lorsqu’elle a répété "nigga" à plusieurs reprises – c’est le texte de la chanson qui voulait ça –, Kendrick Lamar a vu rouge et l’a interrompue. Précision: Delaney est Blanche. Totalement hypocrite? L’actrice Gwyneth Paltrow ne peut que compatir. En 2012, à un concert de Kanye West qui chantait Niggas in Paris avec Jay-Z, elle a eu le malheur de tweeter le mot. Elle a reçu une avalanche de critiques.

Le n-word renvoie à l’esclavagisme et au racisme. Au dernier mot que des Noirs ont parfois entendu avant d’être lynchés. Un Blanc qui le prononce, même par simple imitation, passe pour un suprémaciste qui considère les Noirs comme des êtres inférieurs. Mais dans la communauté noire, chez les rappeurs plus spécifiquement, il devient un marqueur identitaire, une sorte de revendication pour souligner la fierté de ses racines. Même l’écrivaine noire Toni Morrison, récemment décédée, l’utilisait souvent. Pour relever la discrimination raciale qui prévaut aux Etats-Unis.

Le bruit d'un fouet
"Le débat sur le racisme aux États-Unis s'articule autour du n-word et du nombre de membres de la communauté blanche qui l'ont historiquement utilisé comme une arme verbale contre les Noirs américains. C'est un rappel aussi vivifiant que le coton, les chaînes et les souvenirs de la Confédération de ce que nos ancêtres ont enduré pendant des siècles", écrit le journaliste Jeremy Helligar dans Variety. "Même aujourd'hui, pour beaucoup d'entre nous, lorsqu'une personne blanche prononce le n-word, c'est comme le bruit d'un fouet qui tape dans le dos d'un esclave. En raison de son histoire chargée, il ne sera jamais acceptable que des Blancs utilisent le n-word (pas même si c'est Eminem, bien qu'il semble inexplicablement obtenir un laissez-passer de la communauté hip hop), peu importe les circonstances."

Il ajoute: "Ces dernières décennies, des Noirs se sont emparés du mot que certains Blancs utilisent encore contre eux, et l'utilisent comme un terme presque affectueux pour leurs compatriotes afro-américains, le transformant souvent en "nigga", vraisemblablement pour le diluer et le rendre vainqueur. C'est une façon de prendre une arme qui a permis aux Afro-Américains de rester mentalement battus pendant des générations et de l'embrasser, lui ôtant ainsi son pouvoir destructeur". Mais Jeremy Helligar ne cache pas son scepticisme quant à cette utilisation-là.

Même Barack Obama
Lorsqu’il était président, Barack Obama a osé prononcer ce mot lors d’une interview à une radio de Los Angeles en 2015, dans le but de dénoncer le racisme ambiant. Cette phrase a déclenché la panique dans les rédactions: "Il ne s’agit pas seulement de ne pas dire "nègre" en public parce que c’est impoli." Le quotidien USA Today n’a retranscrit que la première lettre du mot. Le New York Times a choisi de faire une exception, en l’expliquant: "Dans ce cas précis, une paraphrase ou l’usage d’un euphémisme aurait laissé les lecteurs dans la confusion et aurait ôté de la substance à l’article." A la télévision, Fox News a prévu un "bip" et CNN a averti qu’un mot allait "beaucoup offenser".

Blancs et Noirs restent forcément inégaux face à l’utilisation de ce mot. Mais rien n’est simple. D’ailleurs, des Noirs eux-mêmes s’en offusquent, tant le terme, qu’il soit utilisé comme marque d’affection ou non, est dépréciatif. En 2007, nigger a eu droit à un enterrement officiel à Detroit, avec une procession funéraire mise sur pied par une grande organisation de défense des droits des Noirs américains. Et en 2011, raconte l’AFP, une maison d’édition de l’Alabama a même remplacé les 219 "nigger" dans Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain (1885) par "esclave".

Mais il a vite ressuscité. Est-ce finalement une bonne chose que de jeunes Blacks se réapproprient à leur manière un mot très chargé historiquement? On n’a pas fini d’en débattre.

Auteur: Graffenried Valérie de

Info: Le Temps online, 26 sept 2019

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romantisme

Il s'arrangeait pour mourir chaque fois du vol nuptial. Plus les femmes étaient légères et plus on le trouvait volatil. Tout le vocabulaire qui servait jadis à la fois aux artilleurs et aux amants, on pouvait l'utiliser pour lui : Pierre mettait en batterie, démasquait, foudroyait, démontait. C'était charmant car c'était jeune et, à quelques pluers près, cela arrangeait au fond tout le monde. Celles qu'il avait fait pleurer ou qui le giflaient ou avec qui il s'était vraiment brouillé, il les comptait sur ses doigts, le sémillant garçon. Il était né comme ça, étant d'une époque où l'amour ne déshonorait personne, où l'on ne se privait de rien, où les devoirs et obligations étaient d'un commun accord réduits au minimum. "Il n'y a pas de raison, disait pierre, pour qu'un train de plaisir ne soit pas aussi un train express."Son train était toujours plein et il n'avait jamais eu à déplorer de déraillement. Mais Pierre venait d'avoir trente-cinq ans. N'ayant pas rencontré l'amour, il commençait à le prendre en respect. "Le jour où je trouverai une femme sur laquelle je ne me jeterrai pas, se dit-il, c'est que je serai arrivé à destination." Il sentait qu'il n'aurait pas, ce jour-là, à renoncer à ses mauvaises habitudes, que ce seraient elles qui renonceraient à lui.

Hedwige l'attendait au salon. Le thé fumait sur le plateau ; une robe d'intérieur, du rouge des vieilles soies d'Orient, descendait à beaux plis sur son corps dur, comme une cascade sur un rocher. Cette mise en scène lui fit aussitôt désirer d'être dehors.

 - Sortons, dit-il, prenez un manteau. Je ne pourrai parler qu'en l'air.

Ils allèrent se promener sur la terrasse, à deux pas, par un crépuscule d'hiver, avec les premières lumières de Paris en contrebas et les grands arbres de la forêt qui s'arrêtaient en ligne au bord de la pelouse. Hedwige a accepté de l'accompagner sans faire d'embarras. Elle trouve naturel qu'une main qui n'est pas la sienne écrive son destin sur le mur. Elle s'en remet à Dieu du soin de sa conversation. Suivre Pierre dans ce parc ne l'a pas troublée. Elle est sereine, sage, courageuse. Ce sont les oies qui font sentinelle. Pierre aussi était très maitre de lui, très calme. Penchés l'un vers l'autre par la gravitation, leurs doigts se joignaient pour atteindre à une intelligence plus profonde d'une situation qui les distinguait des autres êtres et les faisait cependant ressembler à tous. Cette fin de jour corail et soufre, ce jardin peuplé de statues nues sous le ciel de neige, ces chênes noirs et balancés par la brise, toutes ces incantations romanesques, loin d'exciter Pierre l'engageaient à la pudeur et à la retenue. Il sentait grandir en lui une attente et il travaillait à la bien remplir car elle mentait au-delà, non de ses voeux, mais ce dont il se croyait capable. Comme le chrétien espère une sainte mort, il espérait une vraie vie. Le respect de ce qui lui arrive et de celle par qui cela est arrive - car Hedwige est innocente et vierge à tous les degrés - lui interdit tout geste agressif. Pour la première fois il prend sont temps et avec un plaisir infini, car il a l'existence devant lui et avance, d'une coulée naturelle, sur la route la plus grande, la plus connue ; une route dont il ignore la géographie et presque le nom, ne l'ayant jamais suivie ; une route faite pour les piètons et où les bolides ne passent pas. Il va frapper à la porte de l'oracle, comme les paysans à la porte de la sainte Vierge, pour demander si sa terre sera fertile. Il quitte le quotidien et entre dans le songe où vivent les enfants, les inventeurs, les fous, les tireurs de gros lots, le songe propice à l'accomplissement des grands desseins, non des petits désirs. C'est pourquoi il a une densité de dormeur, des lenteurs de plongeurs au fond des mers. Hediwge regarde cet homme de toujours comme un homme d'aujourd'hui. Chaque jeunesse de femme n'a qu'un type d'homme comme chaque génération n'a qu'un auteur et chaque auteur n'est jamais fidèle qu'à seul héros. La nuit est venue. Pierre ne sait plus pendant combien de temps il est resté assis sur ce ban sans décroiser les jambes ; près de lui Hedwige n'a pas bougé, elle dont les flexions sont si belles. À leurs pieds, le sol désolé par l'hiver est aride, squelettique et les pierres gelées des balustres se brisent comme des esquilles. En haut la voie lactée ressemble à une piste de caravane usée par d'anciens soleils. 

- Devant Dieu ou devant tout autre fabricant d'étoiles, dit soudain Pierre, je suis prêt à vous attendre tant qu'il le faudra et je suis décidé à n'épouser personne d'autre que vous.

Hedwige se rapprocha de lui et mit sa tête sur son épaule.

Auteur: Morand Paul

Info: l'homme pressé (1941, 350 p., Gallimard, p.145, 146, 147)

[ étreinte ] [ passion naissante ] [ bilan ] [ délicatesse ] [ beauté ] [ dimension sacrificielle ]

 

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nazisme

Le Führer désire que le rendement s’accroisse de cinquante pour cent dans les trois mois et soit doublé dans les six mois. Des propositions de l’assemblée pour atteindre ce but seront les bienvenues. Mais celui qui ne collaborerait pas devait être considéré comme saboteur et traité en conséquence.

Tandis que l’orateur lance encore un Siegheil en l’honneur du Führer, Quangel se dit : "Dans quelques semaines, l’Angleterre sera écrasée et la guerre terminée. Mais nous devons doubler en six mois notre production de matériel de guerre ! ... A qui fera-t-on avaler celle-là ?"

Mais l’orateur suivant monte à la tribune. Il est en uniforme brun, la poitrine constellée de médailles, de décorations et d’insignes. Cet orateur du Parti est une tout autre sorte d’homme que le militaire qui l’a précédé. D’emblée, il évoque, d’une voix tranchante, le mauvais esprit qui continue à régner dans les entreprises, malgré le prodigieux succès du Führer et de l’armée. Il parle avec tant de virulence qu’il en rugit littéralement, et il ne mâche pas ses mots, pour flétrir les défaitistes et les rouspéteurs. Il s’agit d’exterminer ces gens-là ; on leur fermera le bec une fois pour toutes. Les mots Suum cuique étaient gravés sur les boucles des ceinturons pendant la Première Guerre mondiale ; les mots à chacun son dû se trouvent maintenant gravés sur les portes des camps de concentration. C’est là qu’on apprendra à vivre à ces gens-là. Et celui qui y fait jeter les mauvais citoyens, celui-là fait quelque chose de positif pour le peuple allemand. Celui-là est un homme du Führer.

L’orateur conclut, en rugissant :

- Mais vous tous qui êtes ici, chefs d’ateliers, chefs de services, directeurs, je vous rends personnellement responsables de la salubrité de votre entreprise. Et qui dit salubrité, dit façon national-socialisme de penser ! J’espère que vous m’avez compris. Quiconque se relâche et fait la moue, quiconque ne dénonce pas tout, même les choses les plus insignifiantes, celui-là sera jeté lui-même dans un camp de concentration ! ... Vous me répondez personnellement de l’usine, que vous soyez directeur ou contremaître. Je mettrai bon ordre dans tout cela, fût-ce à coups de bottes.

L’orateur reste encore un moment ainsi, les mains levées et crispées par la fureur, le visage d’un rouge violacé. Après cette explosion, un silence de mort s’est emparé de l’assemblée. Les assistants prennent tous des airs pincés, eux qui, si soudainement et si officiellement, ont été promus au rang d’espions de leurs camarades. Puis, à pas lourds, l’orateur descend de la tribune, et ses insignes tintinnabulent doucement sur sa poitrine. Le directeur général Schröder, plus pâle que jamais, se lève et demande d’une voix suave si l’on a des observations à formuler.

Une impression de soulagement s’empare de l’assemblée, comme la fin d’un cauchemar. Personne ne semble encore vouloir parler. Tous n’ont qu’un désir : quitter cette salle le plus vite possible. Et le directeur général s’apprête à clore la séance par un "Heil Hitler" quand, tout à coup, au fond de la salle, un homme en « bleu » de travail se lève. Il déclare que, pour faire augmenter le rendement dans son atelier, ce serait très simple. Il suffirait d’installer encore telle et telle machine : il les dénombre et explique comment elles devraient être installées. Après quoi, il faudrait encore débarrasser son atelier de six ou huit hommes, flâneurs et bons à rien. De cette façon-là, il se fait fort d’atteindre les cent pour cent en un trimestre.

Quangel est très détendu : il a entamé le combat. Il sent que tous les regards sont braqués sur lui, simple travailleur pas du tout à sa place parmi tous ces beaux messieurs. Mais il ne s’est jamais beaucoup occupé des gens ; ça lui est égal qu’ils le regardent. Les autorités et les orateurs se concertent, se demandent qui peut être cet homme en blouson bleu. Le major ou le colonel se lève alors et dit à Quangel que la direction technique s’entretiendra avec lui au sujet des machines. Mais que veut-il dire, en parlant de six ou huit hommes dont son atelier devrait être débarrassé ?

Quangel répond posément :

- Certains ne peuvent déjà pas travailler au rythme actuel, et d’autres ne le veulent pas... Un de ceux-là se trouve ici.

De l’index, il désigne carrément le menuisier Dollfuss, assis à quelques rangs devant lui.

Il y a quelques éclats de rire ; Dollfuss est parmi les rieurs. Il a tourné le visage vers son accusateur.

Mais Quangel s’écrie, sans sourciller :

- Oh ! bavarder, fumer des cigarettes aux toilettes et négliger le travail, tout cela, tu le fais très bien, Dollfuss !

A la table des autorités, tous les regards se sont de nouveau braqués sur cet insensé. Mais voici que l’orateur du Parti bondit et s’écrie :

- Tu n’es pas membre du Parti ! Pourquoi n’es-tu pas membre du Parti ?

Et Quangel répond ce qu’il a toujours répondu :

- Parce que j’ai besoin de tous mes sous, parce que j’ai une famille.

Le brun hurle :

- Parce que tu es un sale avare, chien que tu es ! ... Parce que tu ne veux rien donner pour ton Führer et ton peuple ! ... Et ta famille, à combien de personnes se monte-t-elle ?

Froidement, Quangel lui jette au visage :

- Ne me parlez pas de ma famille aujourd’hui, cher monsieur... J’ai précisément appris ce matin que mon fils est tombé au front.

Un moment, un silence de mort règne dans la salle. Par-dessus les rangées de chaises, le bonze brun et le vieux contremaître se regardent fixement. Et Otto Quangel se rassied tout à coup, comme si tout était terminé. Le brun s’assied aussi. Le directeur général Schröder lève la séance par le Siegheil en l’honneur du Führer – un Siegheil qui n’est guère claironnant.

Auteur: Fallada Hans

Info: Dans "Seul dans Berlin", traduit de l’allemand par A. Virelle et A. Vandevoorde, éditions Denoël, 2002, pages 59 à 62

[ voix discordante ] [ renchérissement ] [ fausse naïveté ] [ entre-soi ]

 

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