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injonction biblique

Dominez sur tout animal… Combien n’a-t-on pas déliré au sujet de ce texte, dans ces dernières décennies, trouvant frénétiquement ici le fondement de la technique, de toute l’entreprise technicienne (moderne) et la légitimation de ce que fait l’homme, glorieusement qualifié de démiurge. Mais on oublie très précisément ce parallélisme des deux textes d’une part, et surtout que Dieu ne donne pas à l’homme un pouvoir incohérent, illimité, totalitaire. Il n’est pas dit qu’il peut utiliser le monde à son gré. Et très particulièrement du moment que cet homme est l’image de Dieu, il a à diriger la terre comme Dieu dirige la création. Il a à dominer sur les animaux comme Dieu domine sur les hommes. […] Et très spécifiquement, si Dieu crée et gouverne par sa parole, si l’homme est l’image de Dieu, s’il est appelé par Dieu à assujettir (gouverner) et dominer (ordonner), cela ne peut être que par le même moyen, à savoir la parole.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 107-108

[ ordre symbolique ] [ mauvaise interprétation ] [ transformation ]

 

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vérité

La vue se rapporte nécessairement à autre chose qu’à Dieu. Et ce Jésus... pour le dire Dieu, il faudra autre chose que la vue. L’Evangile de Jean nous y conduira. Cette déclaration liminaire nous interdit de spéculer sur nos possibilités intrinsèques et de procéder à une construction de Dieu, forcément analogique à ce que nous pouvons voir. Si bien que cet Evangile parfois appelé gnostique, influencé par le gnosticisme, est assurément dès le début le plus antignostique puisque la voie de la lumière gnostique pour la connaissance de Dieu est fermée. [...] "Heureux" ceux-là seuls qui ne voient pas, qui n’ont pas vu, qui ont avec Dieu une relation seule vraie puisque non fondée sur la vue, et que l’on ne peut pas voir Dieu. Jésus nous déclare heureux si on ne l’a pas connu selon la chair, de son vivant, dans sa réalité parce qu’il nous demande le saut absolu, le risque de la foi qui seule atteste que nous l’aimons.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 383-383

[ surnaturelle ] [ confiance ] [ interprétation ] [ vérité ]

 

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imposteur

J’admets fort bien que l’on suive la nécessité. La corde au cou et le pied au cul. Vous ne pouvez faire autrement. Soit ; c’est la simple condition humaine, et la première expérience véritable est celle de l’obstacle auquel je me heurte, de la limite de ma force et de ma résistance, du sommeil invincible, de la peur du lendemain ou du gendarme. Je suis contraint par l’État, par le travail ; je suis conditionné par mon corps et par le corps social : telle est ma faiblesse, telle est ma lâcheté. Il n’y a pas à en faire de drames ni de complexes : elles nous sont communes. Mais ce qui devient inadmissible, c’est, dans cette situation-là, de lancer un glorieux cocorico : voyez comme j’ai vaincu et voyez comme je suis libre ! ou de faire un clin d’œil à la ronde : voyez comme je suis malin, et combien j’ai joué cette nécessité ! Car ici commence le règne du Menteur.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "Exégèse des nouveaux lieux communs"

[ représentation de soi ] [ soumission positive ]

 

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manipulation

Quoique derrière des barbelés le travail vous libère, vous apporte dignité, vertu, justice, vous êtes encore un homme puisque vous travaillez. Vous êtes un homme libre parce que le travail c'est la garantie et l'assouvissement de votre liberté intérieure. Et cette admirable trouvaille, que seuls de mauvais esprits peuvent considérer comme dérision, peut s'appliquer partout : ouvriers soumis au patron, le travail rend libre, c'est la même démonstration. Russe soumis à la dictature stalinienne, le travail rend libre, c'est la même démonstration. Et toi homme tout court, n'importe quel homme, qui vis dans une société absurde, qui n'as plus de foi an Jésus-Christ, qui es livré aux puissances déchaînées, qui ne sais pas si demain existera encore, qui es saisi par l'angoisse de ta condition, et trouves que ta vie n'a pas de sens, tu as de la chance, une bien grande chance : tu travailles, tu travailles beaucoup, tu travailles de plus en plus, et alors par là, tu le vois bien, tout est en place, tu es un homme libre. Même démonstration.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?"

[ survie ]

 
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dépoétisation

Or, quand on a le souci de prendre des photos, le souci du choix de la vue à conserver, qui découpe dans un ensemble le coin à retenir, nous voilà fixés tout entier sur le seul problème visuel, délaissant le global, et ce qui aurait pu être une expérience devient un spectacle. Bien plus, les manipulations et soucis de l’appareil, même si vous êtes un spécialiste, la luminosité, l’angle de vue, vous fixent sur un exercice technique et interdit radicalement le mécanisme intellectuel, la réflexion, l’offrande de soi au vent, à la mer, au flux des gens… et combien plus interdisent la montée de l’exaltation profonde devant ce qui est unique, et combien plus, si l’on est chrétien, l’action de grâce vers Dieu. Non, l’appareil commande. On ne voit plus, on regarde et on cherche ce qu’il faut photographier. Et quand la bonne photo est enfin prise, vous voyez tous ces voyageurs se désintéresser subitement de tout : le boulot à faire a été fait. Que pourraient-ils donc faire de plus au milieu des ruines du Parthénon ? On se demande soudain ce que l’on fait là.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, page 192

[ tourisme ] [ critique ] [ vision productiviste du paysage ]

 

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manifestation divine

Cette théologie de l’Incarnation mutation magique de l’être humain me paraît insoutenable. Théologie du "déjà accompli" sans tenir aucun compte du "pas encore" et que nous vivons sous la Promesse dont nous avons seulement des "arrhes"… […] Mais rien n’est encore réalisé, universellement. Nous ne sommes pas encore ressuscités, nous ne sommes pas encore saints et bienheureux, la réconciliation n’est pas visible, si elle est accomplie avec Dieu. L’homme n’est, en tant qu’homme et hors de la foi, ni assuré de son salut, ni pénétré de la vérité, ni libéré, ni juste dans ces entreprises. Autrement dit il n’y a pas le fameux coup de baguette magique car c’est exactement ce que représente la théologie triomphaliste que je combats […]. […] rien n’a changé, sinon la foi. Rien n’a changé ontologiquement, mais tout au niveau du sens, du signe, de l’évolution. Rien n’a changé du mal et du malheur de l’homme sinon en espérance et en vérité. Mais vérité cachée. […] La mutation produite est celle de l’entrée de la vérité de l’amour dans le monde qui l’a toujours exclu. Mais entrée aussi discrète que la parole de vérité.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 129-131

[ christianisme ] [ quête spirituelle inachevée ]

 

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visuel

La protestation si souvent entendue, de la part des jeunes notamment, de la "récupération" par la société devrait les conduire à la connaissance du rôle des images. Ce n’est pas la société bourgeoise qui est récupératrice, c’est l’univers des images, qui reprend tout ce qui se fait et se vit pour en faire du spectacle. C’est le triomphe absolu des images et de la visualisation qui est stérilisateur et récupérateur. Mais ce n’est pas seulement la TV ! Le triomphe de l’image, c’est aussi celui des comics, des bandes dessinées, fussent-elles révolutionnaires. Le contenu, révolutionnaire ou non, ne change rien. C’est l’abolition de la parole cohérente et sensée, porteuse de sens, qui est l’acte récupérateur par excellence. L’image est toujours abolissante. Et les dessins de Hara-Kiri, de Brétécher, de Wolinski ne sont jamais que les sous-produits de ce triomphe. […] Se situer sur le terrain de l’adversaire, procéder au détournement cher aux situationnistes, c’est se mettre en réalité dans le même courant ; le plein de l’image satisfait, par le spectacle, ma conscience révolutionnaire. J’ai vu, donc j’ai agi. Tout cet ensemble non seulement stérilise l’intervention, mais institue une fausse relation à un faux réel.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 228-229

[ facticité ] [ fausses disgressions ] [ mutins de panurge ]

 
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libre-arbitre

La parole est l’expression de la liberté, suppose la liberté, appelle l’interlocuteur à s’affirmer lui aussi libre en parlant. Dieu est le libérateur. Il ne faut pas cesser de rappeler que le Dieu d’Israël se manifeste historiquement pour la première fois dans l’Exode comme celui qui libère l’homme de l’esclavage établi par l’homme et qu’il choisit son peuple parmi les esclaves, pour le libérer. Et sans cesse, les prophètes renouvellent avant tout cette proclamation : ce Dieu, le seul vrai, libère de toutes les aliénations. Et le même mouvement anime le Nouveau Testament, toute la théologie de Paul est une théologie de la liberté, c’est pour la liberté que Christ vous a affranchis, à quoi répond Jacques (qui n’a certes pas la même théologie !) : "Vous serez jugés selon la loi de la liberté." La liberté est le courant fondamental qui de la première à la dernière page de la Bible lie tout le reste, explique tout le reste, donne sens à toute l’aventure décrite de l’élection, de la grâce et de la rédemption. Ce n’est pas une erreur de déclarer que c’est avec la révélation d’Horeb et l’accomplissement de Jésus-Christ que la liberté est entrée dans le monde. Nulle part ailleurs on n’a ni vécu ni proclamé la liberté. Et il faut le redire avec fermeté en un temps où la mode veut que l’on accuse le christianisme d’avoir été une source d’esclavage et d’avoir répandu la servitude dans le monde.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 93-94

[ émancipatrice terrestre ] [ religion libératrice ]

 

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manifestation divine

[…] la parole est relative à la vérité, alors que l’image est relative à la réalité. L’Incarnation, c’est le point, le seul, de l’histoire terrestre où la vérité rejoint la réalité, où elle pénètre totalement cette réalité, où elle la change, de ce fait, dans ses racines. C’est le point où la réalité cesse d’être le détournement du vrai, où la vérité cesse d’être le jugement mortel sur le réel. A ce moment la Parole peut être vue. La vision peut être crue […]. Ce qui, normalement, n’a aucune force de vérité (l’image) en reçoit une quand c’est Jésus-Christ, l’image du Dieu vivant. Voilà pourquoi Jean insiste tellement sur la vue, c’est la pénétration du réel par la vérité. Mais ceci est temporaire. Le temps de l’Incarnation. L’Incarnation finie, les deux ordres se séparent. "Bientôt, vous ne me verrez plus." A ce moment, nous retombons dans notre infirmité, notre condition d’homme où le réel n’est pas le vrai. C’est pourquoi l’Evangile de Jean s’achève sur l’histoire de Thomas, qui a besoin de voir pour croire. Avec l’Incarnation, cette possibilité est achevée. "Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru." Nous revenons à la nécessité de croire sur parole, seule la parole de ceux qui ont vu, qui ont pu attester qu’en effet la vérité a pénétré la réalité, subsiste, et seule la parole est de nouveau l’expression de la vérité. La vue sera maintenant relative à la réalité seule.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, pages 126-127

[ signification ] [ christianisme ] [ temps anhistorique ] [ interprétation ]

 

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ordre symbolique

On apprend à parler. Quelqu’un, un, des adultes nous apprennent le langage. Donc on nous cadre. On nous modèle. On nous enferme. Dès que j’apprends une langue, je suis privé de ma liberté. Ma liberté de quoi ? Eh bien de créer ex nihilo ma propre langue. Et c’est une privation inacceptable, une violation du plus sacré de mes droits, celui de me faire moi-même. On me fait entrer dans un schéma déjà préparé, on m’apprend à parler selon un certain modèle. Scandale. Je hais cette parole simplement parce que moi adulte je me retourne vers mon enfance, et je m’aperçois que je ne peux plus revenir au stade de l’ingénuité absolue, où rien n’était préfixé, où tous les possibles, absolument tous étaient ouverts. On m’a enlevé ces possibles. J’ai été mis par le langage dans une conduite forcée. J’ai été frustré. Je suis frustré de la création de mon propre langage. On a exercé un pouvoir sur moi alors que j’étais innocent et sans défense. Langage instrument de pouvoir. Dans cette sublime protestation, on néglige seulement une chose : c’est que la parole ne consiste pas à pousser des hurlements inarticulés, dans le vent de la mer, mais elle est, elle n’est que véhicule de l’un à l’autre, relation d’un homme à un homme, et s’il y a une relation, il faut bien qu’il y ait un code, une entente sur la valeur des sons et des signes. Sans quoi aucune relation, aucune communication, aucun rapport ne sont possibles.

Auteur: Ellul Jacques

Info: Dans "La parole humiliée", éditions de la Table Ronde, Paris, 2014, page 271

[ castration symbolique ] [ limitation libératrice ]

 

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