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conte
Deux brigands avaient décidé de tuer Silvestro et sa femme pour les dévaliser. Ils se rendirent de nuit à leur domicile et, encouragés par la solitude du lieu, ils cognèrent aux fenêtres tout en intimant l'ordre de se faire ouvrir. Mais Silvestro avait ce soir-là deux gendarmes à dîner. Ceux-ci se cachèrent derrière un rideau et quand les bandits entrèrent, le pistolet au poing, ils furent reçus par une fusillade qui les atteignit l'un et l'autre en pleine poitrine.
Quelque temps après, les fantômes des deux brigands décidèrent de se venger de Silvestro en le faisant mourir de peur. Le sachant à l'auberge, ils l'attendirent dans son jardin, mais comme cette attente les fatiguait, ils se hissèrent sur une corde tendue entre deux perches et s'y installèrent.
Lorsque Silvestro sortit de l'auberge, il était ivre. Pourtant, malgré son ivresse, il comprit que sa femme avait étendu son linge pour le mettre à sécher au vent nocturne. Seulement elle avait oublié de le fixer, courant ainsi le risque qu'on ne le retrouve pas le lendemain. Silvestro entra dans la maison, se saisit de pinces à linge, revint au jardin et pinça les spectres sur la corde à linge.
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
Italia magica, p 253 - Les spectres sur la corde (Enrico Morovich)
[
histoire courte
]
chronos
Le temps
ne bouge pas
il est comme un mulet
assis
au milieu
d’un carrefour
je lui donne des coups de pied
je le tire
par son licou
je le pousse
il ne bouge pas
et pour autant
autour
de cet animal
noir et obtus
tout file
s’écoule
circule
s’agite
je me mets au lit
désespéré
après une journée
immobile
comme
un garde-fou
je m’endors
imaginant
que pendant que je dors
le mulet
se lève
et s’en va
l’aube arrive
je regarde
le mulet
il est toujours là
au milieu
de la chaussée
il n’a pas bougé
toujours là
avec sa tête
penchée
prisonnière
de ses œillères
énormes
avec ses narines
ourlées
de mouches
avec son ventre
gonflé
de foin
sur lequel
aux endroits plus clairs
serpentent
de dégoûtantes
veines
proéminentes
avec ses pattes
pelées
et écorchées
par ses sabots
encombrants.
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
L’homme nu et autres poèmes, préfacé par René de Ceccaty
[
poème
]
roublard
Il y a en effet deux catégories de gens dans ce bas monde : les niais et les malins et, que je sache, personne n'a envie d'appartenir à la première catégorie. Le tout est de savoir certaines choses et d'avoir l'œil bien ouvert. Les gobe-mouches sont ceux qui croient aux balivernes des journaux, qui paient leurs impôts et qui vont à la guerre, voire même y laissent leur peau. Les malins, eh bien ! les malins...sont tout le contraire, voilà tout. Or, nous vivons dans un temps où le gobe-mouches court à sa perte , mais où le malin s'en tire; où le niais ne peut manquer d'être plus roulé qu'à l'ordinaire et où le malin doit devenir plus malin de jour en jour. Vous connaissez le proverbe : " mieux vaut un âne vivant qu'un professeur mort" et cet autre : "plutôt l'œuf aujourd'hui que la poule demain", et cet autre encore : "c'est d'un homme veule de promettre et de tenir". Moi, je dirai plus encore : dorénavant, il n'y aura plus de place en ce monde que pour les malins, la niaiserie sera un luxe qu'on ne pourra plus se permettre, et il faudra devenir encore plus malin, extrêmement malin, car notre époque est dangereuse : à qui donne un doigt, on prend le bras....
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
La Ciociara
[
rusé
]
[
survie
]
[
mariolle
]
[
retors
]
terminer
Je me rappelle fort bien comment je cessai de peindre. Un soir, après être resté huit heures de suite dans mon atelier, peignant de temps à autre pendant cinq, dix minutes, puis me jetant sur mon divan et y restant étendu, les yeux fixés au plafond, pendant une ou deux heures, tout à coup, comme par une inspiration enfin authentique après tant d'efforts infructueux, j'écrasai ma dernière cigarette dans le cendrier rempli de mégots éteints, je fis un bond félin hors du fauteuil dans lequel je restais enfoncé, saisis un canif dont je me servais quelquefois pour racler ma palette et, à coups répétés, je lacérai la toile que j'étais en train de peindre et ne fus content que lorsque je l'eus réduite en lambeaux. Puis je tirai d'un coin une toile intacte de la même grandeur, je jetai celle que j'avais lacérée et posai la nouvelle sur le chevalet. Ceci fait, je m'aperçus pourtant aussitôt que toute mon énergie (comment dirais-je ?) créatrice s'était complètement épuisée dans ce geste de destruction furieux et au fond rationnel. J'avais travaillé à cette toile durant les deux derniers mois, sans trêve, avec acharnement ; la lacérer à coup de couteau équivalait finalement à l'avoir achevée, peut-être d'une manière négative, quant aux résultats extérieurs qui d'ailleurs m'intéressaient peu, mais positivement en ce qui regardait mon inspiration.
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
L'ennui. Incipit
[
recommencer
]
[
pulsion
]
[
création
]
humour
Avant de le renvoyer chez lui, le directeur de l'asile voulut cependant soumettre le fou, désormais guéri, à une épreuve. L'ayant fait appeler, il lui demanda :
- Voyons un peu. Vous voici redevenu un homme normal ; imaginez que vous héritez d'un patrimoine de nombreux millions, qu'en feriez-vous ?
Le fou répondit d'un ton assuré :
- Je m'achèterais une fronde.
Déconcerté, mais non encore résigné à la défaite, le directeur insista :
- Allons, réfléchissez avant de répondre. J'ai parlé de nombreux millions. Une fronde ne coûte que quelques francs. Voyons, réfléchissez un peu, que feriez-vous de ces millions ?
Cette fois, le fou répondit :
- Je me marierai
- Ah ! bravo, voilà qui est bien parlé. Vous vous marierez, et alors que feriez vous ?
- Je me marierais à l'église et puis je partirais avec ma femme en voyage de noces.
- Où cela ?
- A Paris.
- Excellent choix. Et que feriez-vous en arrivant à Paris ?
- J'irais dans un hôtel avec ma femme.
- Fort bien. Et puis ?
- Je m'enfermerais avec elle dans une chambre.
- Et que feriez-vous dans cette chambre ?
- Je déshabillerais ma femme. Je lui enlèverais d'abord sa robe, puis sa combinaison, ensuite son soutien-gorge, sa culotte, ses souliers, et puis ses bas et finalement ses jarretières.
- Et alors ?
- Alors, avec ses jarretières, je ferais une fronde.
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
L'attention
[
histoire courte
]
[
idée fixe
]
femmes-par-hommes
Maintenant, réfléchissant dans le noir à leur passé, il s'apercevait qu'il ne pouvait y avoir qu'une raison à la façon acrobatique et distante que Nora avait de faire l'amour : comme les prostituées qui vendent leur corps, mais non leur plaisir, Nora, simplement, ne l'aimait pas. Toutefois cette explication ne lui sembla pas satisfaisante : Nora répétait constamment qu'elle l'aimait dans les occasions les plus intimes et les plus désintéressées et il n'avait pas de raison d'en douter. Mais alors ? Il se dit que son manque de participation à l'amour ne pouvait s'expliquer que s'il l'entendait au-delà des limites du rapport sexuel. En réalité, pensa-t-il, la manière qu'avait Nora de faire l'amour sous-entendait une attitude psychologique analogue : aux démonstrations amoureuses de Lorenzo elle répondait, en fait, par l'immobilité, l'indifférence, carrément par l'agacement et la répulsion. Maintenant, à y bien repenser, il se rappela que Nora n'aimait pas être caressée sur le visage, alors que c'est une des caresses les plus affectueuses ; dès qu'il ébauchait ce geste, elle ne pouvait s'empêcher de détourner la tête. Qu'est-ce que cela signifiait ? Comment cela pouvait-il être compatible avec l'affirmation obstinée et sincère de Nora qui prétendait l'aimer ? Lorenzo se souvint du comportement analogue d'un de ses chats, chez ses parents, sauvage et méfiant, habitué à vivre à la maison le jour et sur les toits la nuit, il se dérobait à la caresse ou se retournait et faisait mine de le griffer. Lorenzo avait demandé à sa mère pourquoi l'animal ne voulait pas être caressé. Elle avait répondu :
- Parce que tu ne lui plais pas.
- Mais nous lui donnons une maison, de la nourriture, il devrait au moins se laisser caresser.
- Il est égoïste, il veut recevoir et non pas donner. Ou plutôt, si tu réfléchis un peu, il y a quelque chose qu'il nous donne.
- Quoi ?
- Sa beauté. Il est beau. Il se laisse contempler, il ne veut pas donner davantage.
Maintenant, en repensant aux mots de sa mère, il crut pouvoir expliquer l'attitude de Nora dans l'amour. Comme le chat de sa mère, Nora était simplement égoïste : tout en acceptant son amour, elle ne ressentait pas le besoin d'y répondre, elle se contentait de vivre sous ses yeux, de se laisser regarder.
Auteur:
Moravia Alberto
Années: 1907 - 1990
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Italie
Info:
La femme léopard
[
distantes
]
[
froides
]