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psychanalyse

Il vous suffit d’ouvrir ce petit livre qui s’appelle Moïse et le monothéisme sur lequel FREUD, après l’avoir mijoté depuis quelques dix ans - à partir de Totem et Tabou il ne pensait qu’à ça, à cette histoire de Moïse et de la religion de ses pères - articule ce qui concerne le monothéisme. [...]

Rien ne me paraît en tout cas plus fermement articulé, plus conforme à toute la pensée antérieure de FREUD que ce Moïse et le monothéisme. Autour de quoi porte la question de Moïse et le monothéisme ? Il s’agit évidemment, de la façon la plus claire, du message monothéiste comme tel. C’est cela qui intéresse FREUD. C’est cela d’ailleurs qui d’emblée n’a pas besoin pour lui d’être discuté dans l’ordre de la connotation de valeur.

Je veux dire que pour lui il ne fait pas de doute que le message monothéiste comporte en soi-même un accent incontestable de valeur supérieure à tout autre. Le fait que FREUD soit athée ne change rien à ceci. Il reste que pour un athée, celui qui est FREUD - je ne dis pas pour tout athée : c’est à voir - en tout cas pour lui la visée du message monothéiste saisie dans son fondement radical, est quelque chose qui a une valeur décisive. [...]

[...] dans l’atmosphère païenne, alors qu’on ne l’appelait pas comme cela, qu’elle était en pleine floraison, le numen surgit à chaque pas, si l’on peut dire, à tous les coins des routes, surgit dans la grotte, à la croisée des chemins. Ce numen tisse l’expérience humaine. Nous pouvons encore apercevoir les traces de ce mode de véhicule, beaucoup de champs en existent encore dans l’existence humaine. C’est là quelque chose qui, par rapport à la manifestation, à la profession monothéiste, est dans un certain rapport de contraste. Je dis que le "numineux" surgit à chaque pas et inversement je dirais que chaque pas du "numineux" laisse une trace, engendre, si je puis dire, un mémorial.

Il n’en faut pas beaucoup pour qu’un temple s’élève, qu’un nouveau culte s’instaure. Le "numineux" pullule et agit de partout dans l’existence humaine, si abondant d’ailleurs que quelque chose à la fin doit se manifester tout de même par l’homme de maîtrise qui ne se laisse pas déborder. C’est ce formidable enveloppement, et en même temps une dégradation dans la fable, ces fables antiques, si riches de sens, dont nous pouvons encore nous bercer, et dont nous avons peine à concevoir comment elles étaient compatibles avec quoi que ce soit qui comportât une foi à ces dieux, puisqu’aussi bien ces fables, qu’elles soient héroïques, épiques ou vulgaires sont tout de même marquées : de je ne sais quel désordre, de je ne sais quelle ivresse, de je ne sais quel anarchisme, si l’on peut dire, des passions divines. [...]

En face de cela qu’avons-nous ? Nous avons donc le message monothéiste et c’est à cela que FREUD consacre son examen.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 mars 1960

[ paganisme ] [ résumé ] [ contextualisation ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain

On peut admettre que dans aucune littérature d’aucun temps il y eut un ouvrage aussi scandaleux, que nul autre n’a blessé plus profondément les sentiments et les pensées des hommes. Aujourd’hui que les récits de MILLER nous font trembler, qui oserait rivaliser de licence avec SADE ? Oui, on peut prétendre que nous tenons là l’œuvre la plus scandaleuse qui fut jamais écrite. Et Maurice BLANCHOT que je vous cite, continue : "N’est-ce pas un motif de nous en préoccuper ?"

[…] En fait, il semble qu’il n’y ait pas d’atrocité concevable qui ne puisse être trouvée dans ce catalogue où semblait puiser une sorte de défi à la sensibilité dont l’effet est à proprement parler stupéfiant.

Si le mot stupéfiant veut dire qu’en quelque sorte on abandonne la ligne du sens à l’auteur, qu’on perd les pédales autrement dit, et qu’à ce point de vue on peut même dire que l’effet dont il s’agit est obtenu sans art, c’est-à-dire sans considération de l’économie des moyens, par une sorte d’accumulation des détails, des péripéties auxquelles s’ajoute apparemment un truffage de dissertations, de justifications dont assurément les contradictions nous intéressent beaucoup car nous les suivrons dans le détail, et dont pour l’instant je veux seulement faire remarquer que seuls les esprits grossiers peuvent considérer - ce qui leur arrive - que ces dissertations sont là pour faire en quelque sorte passer des complaisances érotiques.

Même des gens beaucoup plus fins que des esprits grossiers en sont venus à attribuer à ces dissertations, dénommées digressions, la baisse, si l’on peut dire, de la tension suggestive sur le plan où pourtant les esprits fins en question - il s’agit là très précisément de Georges BATAILLE - sur le plan où ils considèrent l’œuvre comme nous donnant proprement l’accès à cette sorte d’assomption de l’être en tant que dérèglement où ils voient la valeur de l’œuvre de SADE.

Attribuer cette espèce d’intérêt à ces dissertations et digressions est pourtant une erreur. L’ennui dont il s’agit est quelque chose d’autre. Il n’est que la réponse de l’être précisément - que ce soit du lecteur ou de l’auteur peu importe - à l’approche d’un centre d’incandescence ou, si je puis dire, de zéro absolu en tant qu’il est psychiquement irrespirable.

Sans doute, que le livre tombe des mains prouve qu’il est mauvais. Mais ici le mauvais littéraire est peut-être le garant de cette mauvaiseté à proprement parler - pour employer un terme qui était encore en usage au XVIIème siècle - qui est l’objet même de notre recherche.

Dès lors SADE se présente dans l’ordre de ce que j’appellerai la littérature expérimentale. À savoir l’œuvre d’art en tant qu’elle est elle–même expérience, et une expérience qui n’est pas n’importe laquelle, une expérience, dirais-je, qui arrache le sujet comme tel, et par son procès, à ce que je pourrais appeler ses amarres psychosociales, et pour ne pas rester dans le vague, je veux dire, à toute appréciation psychosociale de la sublimation dont il s’agit.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 30 mars 1960

[ œuvre ] [ critique ] [ das ding ] [ impossible ]

 

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psychanalyse

À la différence de BREUER - quelle qu’en soit la cause - FREUD prend pour démarche celle qui fait de lui le maître du redoutable petit dieu [Érôs]. Il choisit comme SOCRATE de le servir pour s’en servir. C’est bien là le point où vont commencer pour nous tous les problèmes. Encore s’agissait-il bien de le souligner ce s’en servir de l’Érôs. Et s’en servir pour quoi ? C’est bien là qu’il était nécessaire que je vous rappelle les points de référence de notre articulation de l’année dernière [séminaire sur l'éthique] : s’en servir pour le "bien". Nous savons que le domaine d’Érôs va infiniment plus loin qu’aucun champ que puisse couvrir ce "bien", tout au moins nous tenons pour acquis ceci.

Vous voyez que les problèmes que pose pour nous le transfert, ne vont ici que commencer. Et c’est d’ailleurs une chose perpétuellement présentifiée à votre esprit - c’est langage courant, discours commun concernant l’analyse, concernant le transfert - vous devez bien n’avoir d’aucune façon, ni préconçue ni permanente, comme premier terme de la fin de votre action, le "bien", prétendu ou pas, de votre patient, mais précisément son erôs. Je ne crois pas devoir manquer de rappeler - une fois de plus ici - ce qui conjoint au maximum du scabreux l’initiative socratique à l’initiative freudienne, en rapprochant leur issue dans la duplicité de ces termes où va s’exprimer d’une façon ramassée à peu près ceci : SOCRATE choisit de "servir erôs pour s’en servir" ou en s’en servant.

Cela l’a conduit très loin - remarquez-le - à un "très loin" qu’on s’efforce de camoufler en faisant un pur et simple "accident" de ce que j’appelai tout à l’heure : "le fond grouillant de l’infection sociale". Mais n’est-ce pas lui faire injustice, ne pas lui rendre raison, de le croire : de croire qu’il ne savait pas parfaitement qu’il allait proprement à contre-courant de tout cet ordre social au milieu duquel il inscrivait sa pratique quotidienne, ce comportement véritablement insensé, scandaleux, de quelque mérite que la dévotion de ses disciples ait entendu ensuite la revêtir, en mettant en valeur les faces héroïques du comportement de SOCRATE.

Il est clair qu’ils n’ont pas pu faire autrement qu’enregistrer ce qui est caractéristique majeur et que PLATON lui-même a qualifié d’un mot resté célèbre auprès de ceux qui se sont approchés du problème de SOCRATE, c’est son ἀτοπία [atopia]... dans l’ordre de la cité pas de croyances salubres si elles ne sont point vérifiées ...dans tout ce qui assure l’équilibre de la cité, non seulement SOCRATE n’a pas sa place, mais il n’est nulle part.

Et quoi d’étonnant si une action si vigoureuse, dans son caractère inclassable - si vigoureuse qu’elle vibre encore jusqu’à nous - a pris sa place. Quoi d’étonnant à ce qu’elle ait abouti à cette peine de mort, c’est-à-dire à la mort réelle de la façon la plus claire, en tant qu’infligée à une heure choisie à l’avance avec le consentement de tous et pour le bien de tous, et après tout sans que les siècles aient jamais pu trancher depuis si la sanction était juste ou injuste.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 novembre 1960

[ philosophie ] [ comparaison ] [ inacceptables ] [ condamnation ]

 

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christianisme

Nous avons la dissociation du Moïse rationaliste et du Moïse inspiré dont on parle à peine, du Moïse obscurantiste. Mais FREUD, se fondant sur l’examen des traces de l’histoire, ne peut trouver de voie justifiant, de voie motivée au message de Moïse rationaliste que pour autant que ce message s’est transmis dans l’obscurité. C’est pour autant que ce message s’est trouvé lié, dans le refoulement, au meurtre du Grand Homme, c’est précisément par là, nous dit FREUD, qu’il a pu être véhiculé, conservé dans un état d’efficacité qui est celui que nous pouvons mesurer dans l’histoire.

C’est pour autant... et en ceci je ne dis pas qu’il s’identifie - mais c’est si près que c’en est impressionnant - avec la tradition chrétienne ...c’est pour autant que ce meurtre primordial du Grand Homme vient émerger, selon les Écritures, dans un second meurtre qui, en quelque sorte le traduit, le promeut au jour, celui du Christ, que ce message s’achève et que cette malédiction secrète du meurtre du Grand Homme, qui n’a lui–même son pouvoir que d’être, de s’inscrire, de résonner sur le fond du meurtre primordial, du meurtre inaugural de l’humanité, du meurtre du père primitif, c’est pour autant que ceci vient enfin au jour, que ce qu’il faut bien appeler - parce que c’est dans le texte de FREUD - la rédemption chrétienne, s’accomplit. Seule cette tradition poursuit jusqu’au bout, jusqu’à son terme l’œuvre de révéler de quoi il s’agit dans le crime primitif, inaugural, de la loi primordiale. […]

FREUD, quand il nous parle, dans Moïse et le monothéisme de l’affaire de la loi morale, puisque c’est de cela qu’il s’agit pour lui, l’intègre pleinement à une aventure qui n’a trouvé, écrit-il textuellement, son achèvement, son plein déploiement que dans l’histoire, dans la trame judéo-chrétienne. Il est écrit que pour ce qui est des autres religions qu’il appelle vaguement d’orientales, je pense qu’il fait allusion à toute la lyre : à BOUDDHA, à LAO TSEU et à bien d’autres, elles se caractérisent toutes - dit-il, avec une hardiesse devant laquelle il n’y a qu’à s’incliner, aussi hasardeuse qu’elle nous paraisse - ce n’est en fin de compte - nous dit-il - que le culte du Grand Homme.

Je ne suis pas du tout en train de souscrire à cela. Il dit que simplement les choses sont restées à mi-route, plus ou moins avortées, à savoir qu’est-ce que cela veut dire le meurtre primitif du Grand Homme ? Je pense qu’il pense la même chose à propos du Bouddha. Et bien sûr, dans l’histofire des avatars de BOUDDHA, on trouverait bien des choses où il retrouverait son schéma, légitimement ou non, que c’est pour ne pas avoir, au fond, poussé jusqu’au bout le développement du drame, jusqu’au bout, à savoir jusqu’au terme de la rédemption chrétienne, que ces religions autres en sont restées là.

[...] pour que quelque chose dans l’ordre de la loi donc soit véhiculé, il faut que ceci passe : par le chemin tracé par le drame primordial, par celui qui s’articule dans Totem et Tabou, à savoir celui du meurtre du père et, comme vous le savez, ses conséquences.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 mars 1960

[ judaïsme ] [ spécificité ] [ différence ] [ particularité ] [ hypothèse ]

 

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amour-propre

Il est de la nature du bien en somme d’être altruiste. Mais ce que FREUD ici nous fait sentir, c’est que ce n’est pas là l’amour du prochain. Il ne l’articule pas pleinement, mais nous allons essayer - sans rien forcer - de le faire à sa place, et uniquement sur ce fondement qui fait qu’à chaque fois qu’il s’arrête, comme horrifié devant la conséquence du commandement de l’amour du prochain, ce qui surgit, c’est la présence de cette méchanceté foncière qui habite en ce prochain, mais dès lors aussi en moi-même, car qu’est-ce qui m’est plus prochain que ce cœur en moi-même qui est celui de ma jouissance, dont je n’ose pas approcher ?

Car dès que j’en approche - c’est là le sens du Malaise dans la civilisation - surgit cette insondable agressivité devant quoi je recule, c’est-à-dire, nous dit FREUD, que je retourne contre moi, et qui vient donner son poids, à la place de la loi même évanouie, à ce qui arrête, à ce qui m’empêche de franchir une certaine frontière à la limite de la Chose. Tant qu’il s’agit du bien il n’y a pas de problème, parce que ce qu’on appelle le bien, le nôtre et celui de l’autre, ils sont de la même étoffe. Tant qu’il s’agit du bien il n’y a pas de problème, parce que ce qu’on appelle le bien, le nôtre et celui de l’autre, ils sont de la même étoffe. Saint MARTIN partage son manteau et on en a fait une grande affaire, mais enfin tout de même c’est une simple question d’approvisionnement. L’étoffe est faite pour être écoulée de sa nature, elle appartient à l’autre autant qu’à moi. Sans doute, nous touchons là un terme primitif de besoin qu’il y a à satisfaire.

Le mendiant est nu, mais peut-être au-delà de ce besoin de se vêtir mendiait-il autre chose, que Saint MARTIN le tue, ou le baise. C’est une tout autre question de savoir ce que signifie, dans une rencontre, la réponse, non pas de la bienfaisance, mais de l’amour. Il est de la nature de l’utile, d’être utilisé. Si je puis faire quelque chose en moins de temps et de peine que quelqu’un qui est à ma portée, par tendance je serai porté à le faire à sa place, moyennant quoi je me damne de ce que j’ai à faire pour ce "plus prochain des prochains" qui est en moi. Je me damne pour assurer à celui à qui cela coûterait plus de temps et de peine qu’à moi, quoi ? Un confort qui ne vaut que pour autant que j’imagine que, si moi, j’avais ce confort, c’est-à-dire pas trop de travail, je ferais de ce loisir le meilleur usage. Mais ça n’est pas du tout prouvé que je saurais le faire ce meilleur usage si j’avais tout pouvoir pour me satisfaire. Je ne saurais peut-être que m’ennuyer.

Dès lors, en procurant aux autres ce pouvoir, peut-être simplement que je les égare. J’imagine leurs difficultés, leur douleur au miroir des miennes. Ça n’est certes pas l’imagination qui me manque, c’est plutôt le sentiment, à savoir ce qu’on pourrait appeler cette voie difficile, l’amour du prochain.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 23 mars 1960

[ das ding ] [ deuxième ] [ inconscient ] [ ignorance ] [ répugnance ]

 

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difficulté de vivre

Un certain champ semble indispensable à la respiration mentale de l’homme moderne, celui où s’affirme son indépendance par rapport, non seulement à tout maître, mais aussi bien à tout dieu, celui de son autonomie irréductible comme individu, comme existence individuelle. C’est bien là quelque chose qui mérite en tous points d’être comparé à un discours délirant. C’en est un. Il n’est pas pour rien dans la présence de l’individu moderne au monde, et dans ses rapports avec ses semblables. [...]

Maintenant, comment ce discours peut-il être accordé non seulement avec le discours de l’autre, mais avec la conduite de l’autre, pour peu qu’il tende à la fonder abstraitement sur ce discours ? Il y a là un problème vraiment décourageant. Et les faits montrent qu’il y a à tout instant non pas seulement composition avec ce qu’effectivement chacun apporte, mais bien plutôt abandon résigné à la réalité. [...]

Assurément, nous avons, nous, beaucoup moins confiance dans le discours de la liberté, mais dès qu’il s’agit d’agir, et en particulier au nom de la liberté, notre attitude vis-à-vis de ce qu’il faut supporter de réalité, ou de l’impossibilité d’agir en commun dans le sens de cette liberté, a tout à fait le caractère d’un abandon résigné, d’une renonciation à ce qui est pourtant une partie essentielle de notre discours intérieur, à savoir que nous avons, non seulement certains droits imprescriptibles, mais que ces droits sont fondés sur certaines libertés premières, exigibles dans notre culture pour tout être humain. [...]

Chacun se pose à tout instant des problèmes qui ont d’étroits rapports avec ces notions de libération intérieure et de manifestation de quelque chose qui est inclus en soi. De ce point de vue, on arrive très vite à une impasse, étant donné que toute espèce de réalité vivante immergée dans l’esprit de l’aire culturelle du monde moderne tourne essentiellement en rond. C’est pourquoi on revient toujours sur le caractère borné, hésitant, de son action personnelle [...]. Chacun en reste au niveau d’une contradiction insoluble entre un discours, toujours nécessaire sur un certain plan, et une réalité, à laquelle, à la fois en principe et d’une façon prouvée par l’expérience, il ne se coapte pas. [...]

N'est-il pas manifeste que l’expérience analytique s’est engagée sur ce fait qu’en fin de compte, personne, dans l’état actuel des rapports interhumains dans notre culture, ne se sent à l’aise ? Personne ne se sent honnête à simplement avoir à faire face à la moindre demande de conseil, si élémentaire qu’elle soit, empiétant sur les principes. [...]

C’est précisément d’un renoncement de toute prise de parti sur le plan du discours commun, avec ses déchirements profonds, quant à l’essence des mœurs et au statut de l’individu dans notre société, c’est précisément de l’évitement de ce plan que l’analyse est partie. Elle s’en tient à un discours différent, inscrit dans la souffrance même de l’être que nous avons en face de nous, déjà articulé dans quelque chose qui lui échappe, ses symptômes et sa structure [...]. La psychanalyse ne se met jamais sur le plan du discours de la liberté, même si celui-ci est toujours présent, constant à l’intérieur de chacun, avec ses contradictions et ses discordances, personnel tout en étant commun, et toujours, imperceptiblement ou non, délirant. La psychanalyse vise ailleurs l’effet du discours à l’intérieur du sujet.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre III", "Les psychoses", éditions du Seuil, 1981, pages 212-215

[ objectif ] [ anti guide de conscience ] [ clivage ] [ décentrement ] [ moi-sujet ]

 

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construction psychologique

[...] si l’on généralise à l’excès la notion de libido, [...] ce faisant, on la neutralise. N’est-il pas évident, de plus, qu’elle n’apporte rien d’essentiel à l’élaboration des faits de la névrose si la libido fonctionne à peu près comme ce que M. Janet appelait la fonction du réel ? La libido prend son sens, au contraire, de se distinguer des rapports réels ou réalisants, de toutes les fonctions qui n’ont rien à faire avec la fonction de désir, de tout ce qui touche aux rapports du moi et du monde extérieur. Elle n’a rien à voir avec d’autres registres instinctuels que le registre sexuel, avec ce qui touche par exemple au domaine de la nutrition, de l’assimilation, de la faim pour autant qu’elle sert à la conservation de l’individu. Si la libido n’est pas isolée des fonctions de conservation de l’individu, elle perd tout sens.

Or, dans la schizophrénie, il se passe quelque chose qui perturbe complètement les relations du sujet au réel, et noie le fond avec la forme. Ce fait pose tout d’un coup la question de savoir si la libido ne va pas beaucoup plus loin que ce qui a été défini en prenant le registre sexuel comme noyau organisateur, central. C’est là que la théorie de la libido commence à faire problème.

[...]

Jung [...] introduit la notion d’introversion qui est pour lui – c’est la critique que lui fait Freud – une notion ohne Unterscheidung, sans aucune distinction. Et il aboutit à la notion vague d’intérêt psychique, qui confond en un seul registre ce qui est de l’ordre de la conservation de l’individu et ce qui est de l’ordre de la polarisation sexuelle de l’individu dans ses objets. Il ne reste plus qu’une certaine relation du sujet à lui-même que Jung dit d’être d’ordre libidinal. Il s’agit pour le sujet de se réaliser en tant qu’individu en possession des fonctions génitales.

La théorie psychanalytique a été depuis lors ouverte à une neutralisation de la libido qui consiste, d’un côté, à affirmer fortement qu’il s’agit de libido, et de l’autre, à dire qu’il s’agit simplement d’une propriété de l’âme, créatrice de son monde. Conception extrêmement difficile à distinguer de la théorie analytique, pour autant que l’idée freudienne d’un autoérotisme primordial à partir de quoi se constitueraient progressivement les objets est presque équivalente dans sa structure à la théorie de Jung.

Voilà pourquoi, dans l’article sur le narcissisme, Freud revient sur la nécessité de distinguer libido égoïste et libido sexuelle. [...]

Le problème est pour lui extrêmement ardu à résoudre. Tout en maintenant la distinction des deux libidos, il tourne [...] autour de la notion de leur équivalence. Comment ces deux termes peuvent-ils être rigoureusement distingués si on conserve la notion de leur équivalence énergétique, qui permet de dire que c’est pour autant que la libido est désinvestie de l’objet qu’elle revient se reporter dans l’ego ? [...] De ce fait, Freud est amené à concevoir le narcissisme comme un processus secondaire. Une unité comparable au moi n’existe pas à l’origine, nicht von Anfang, n’est pas présente depuis le début dans l’individu, et l’Inch a à se développer, entwickeln werden. Les pulsions autoérotiques, au contraire, sont là depuis le début. [...] Dans le développement du psychisme, quelque chose de nouveau apparaît dont la fonction est de donner forme au narcissisme. N’est-ce pas marquer l’origine imaginaire de la fonction du moi ?

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, Livre I", "Les écrits techniques de Freud (1953-1954)", éditions du Seuil, 1975, pages 182 à 185

[ historique ] [ déviations ]

 

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philosophie antique

Je crois que pour comprendre ce texte de PLATON, pour le juger, on ne peut pas ne pas évoquer dans quel "contexte du discours" il est, au sens du discours universel concret.

Et là encore, que je me fasse bien entendre : il ne s’agit pas à proprement parler de le replacer dans l’histoire ! Vous savez bien que ce n’est point là notre méthode de commentaire, et que c’est toujours pour ce qu’il nous fait entendre à nous, qu’un discours - même prononcé à une époque très lointaine où les choses que nous avons à entendre n’étaient point en vue - nous l’interrogeons.

Mais il n’est pas possible, concernant le Banquet, de ne pas nous référer à quelque chose qui est le rapport du discours et de l’histoire, à savoir : non pas comment le discours se situe dans l’histoire, mais comment l’histoire elle-même surgit d’un certain mode d’entrée du discours dans le réel. Et aussi bien il faut que je vous rappelle ici, au moment du Banquet où nous sommes, au IIème siècle de la naissance du discours concret sur l’univers, je veux dire qu’il faut que nous n’oubliions pas cette efflorescence philosophique du VIème siècle, si étrange, si singulière d’ailleurs pour les échos ou les autres modes d’une sorte de chœur terrestre qui se font entendre à la même époque en d’autres civilisations, sans relation apparente. Mais laissons cela de côté.

[…] Ce que je veux vous faire sentir, c’est que c’est la première fois que dans cette tradition occidentale […], ce discours s’y forme comme visant expressément l’univers, pour la première fois comme visant à rendre l’univers discursif. C’est-à-dire qu’au départ de ce premier pas de la science comme étant la sagesse, l’univers apparaît comme univers de discours.

Et en un sens, il n’y aura jamais d’univers que de discours. Tout ce que nous trouvons à cette époque, jusqu’à la définition des éléments [terre, eau, air, feu] qu’ils soient quatre ou plus, a quelque chose qui porte la marque, la frappe, l’estampille, de cette requête, de ce postulat, que l’univers doit se livrer à l’ordre du signifiant. Sans doute, bien sûr, il ne s’agit point de trouver dans l’univers des éléments de discours mais des éléments s’agençant à la manière du discours. Et tous les pas qui s’articulent à cette époque entre les tenants, les inventeurs de ce vaste mouvement interrogatoire, montrent bien que si, sur l’un de ces univers qui se forgent, on ne peut discourir de façon cohérente aux lois du discours, l’objection est radicale.

[…] Donc à l’arrière-plan de ce Banquet, de ce discours de PLATON, et dans le reste de son œuvre nous avons cette tentative, grandiose dans son innocence, cet espoir qui habite les premiers philosophes dits "physiciens" de trouver, sous la garantie du discours - qui est en somme toute leur instrumentation d’expérience - la prise dernière sur le réel.

[…] Et c’est ainsi que je dois vous rappeler que ce réel, cette prise sur le réel n’a pas à être conçue à cette époque comme le corrélatif d’un sujet, fût-il universel, mais comme le terme que je vais emprunter à la Lettre VII de PLATON [324a-352a] où dans une courte digression, il est dit ce qui est cherché par toute l’opération de la dialectique : c’est tout simplement la même chose dont j’ai dû faire état l’année dernière dans notre propos sur L’Éthique et que j’ai appelé la Chose […].

Auteur: Lacan Jacques

Info: 21 décembre 1960

[ clé de lecture ] [ historique ] [ approche ] [ structure ] [ épistèmè ]

 

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religion

[…] il y a quelque paradoxe à aboutir à cette position d’exclure pratiquement du débat, de la discussion, de l’examen des choses, des termes, des doctrines qui ont été articulées dans le champ propre de la foi, comme restant dès lors en quelque sorte d’un domaine qui serait réservé aux croyants. […]

Je crois au contraire qu’il n’y a nul besoin de donner cette forme d’adhésion, quelle qu’elle soit, sur laquelle je n’ai pas même à entrer ici, dont l’éventail peut se déployer dans l’ordre de ce qu’on appelle la foi, pour que se pose pour nous analystes, je veux dire pour nous qui prétendons, dans des phénomènes qui sont de notre champ propre, vouloir aller au-delà de certaines conceptions d’une pré-psychologie, à savoir aborder ces réalités humaines sans préjugé, je considère que nous ne pouvons pas non seulement les laisser, mais nous ne pouvons pas ne pas nous intéresser de la façon la plus précise, à ce qui s’est articulé - j’entends ce qui s’est articulé comme tel, dans ces propres termes - dans l’expérience religieuse, sous les termes par exemple du conflit entre la liberté et la grâce.

Une notion aussi articulée, aussi précise, et aussi irremplaçable que celle de la grâce, quand il s’agit de la psychologie de l’acte, est quelque chose dont nous ne trouvons ailleurs - je veux dire dans la psychologie académique classique - rien d’équivalent. Et je considère donc que non seulement les doctrines, mais le texte historique, l’histoire des choix, c’est-à-dire les hérésies qui ont été faites, qui sont attestées au cours de l’histoire dans ce registre, la ligne des emportements qui ont motivé un certain nombre de directions dans l’éthique concrète des générations, est quelque chose qui non seulement appartient à notre examen, mais qui requiert, j’insiste, dans son registre propre, dans son mode d’expression, toute notre attention.

Il ne suffit pas, parce que de certains thèmes ne sont usités, mis en usage, que dans le champ des gens dont nous pouvons dire qu’ils croient croire - après tout qu’en savons-nous ? - que ce domaine leur reste réservé. Pour eux, ce ne sont pas des croyances. Si nous supposons qu’ils y croient vraiment, ce sont des vérités. Ce à quoi ils croient, qu’ils croient, qu’ils y croient ou qu’ils n’y croient pas, rien n’est plus ambigu que la croyance, il y a une chose certaine, c’est qu’ils croient le savoir.

C’est un savoir comme un autre, et à ce titre cela tombe dans le champ de l’examen que nous devons accorder, du point où nous sommes, à tout savoir, dans la mesure même où, en tant qu’analystes, nous pensons qu’il n’est aucun savoir qui ne s’élève sur un fond d’ignorance. C’est cela qui nous permet d’admettre comme tels bien d’autres savoirs que le savoir scientifiquement fondé.

[…]

Je crois qu’il n’y a pas de préjugé plus courant, sinon que FREUD parce qu’il a pris sur le sujet de l’expérience religieuse la position la plus tranchante, à savoir qu’il a dit que tout ce qui dans cet ordre était d’appréhension sentimentale, cet ordre, littéralement ne lui disait rien, que c’était littéralement pour lui aller jusqu’à la lettre morte. Seulement si nous avons ici, vis-à-vis de la lettre, la posture qui est la nôtre, cela ne résout rien, parce que toute morte qu’elle est cette lettre, elle peut néanmoins avoir été une lettre bel et bien articulée et articulée précisément au moins dans certains champs, dans certains domaines, précisément de la même façon que l’expérience religieuse l’a articulée.

Auteur: Lacan Jacques

Info: 16 mars 1960

[ psychanalyse ] [ actualité ] [ inconscient ]

 
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partisanerie

Il y a [...] l'intellectuel de gauche et l'intellectuel de droite.

Je voudrais vous donner des formules qui, pour tranchantes qu'elles puissent paraître au premier abord, peuvent tout de même nous servir à éclairer le chemin.

Le terme de sot, de demeuré, qui est un terme assez joli pour lequel j'ai quelques penchants, tout ceci n'exprime qu'approximativement un certain quelque chose pour lequel je dois dire assurément la langue et la tradition, l'élaboration de la littérature anglaise, me paraît nous fournir un signifiant infiniment plus précieux.

Une tradition qui commence à Chaucer, mais qui s'épanouit pleinement dans le théâtre du temps d'Elisabeth ; qu'une tradition dis-je nous permette de centrer autour du terme de fool -- le fool est effectivement un innocent, un demeuré, mais par sa bouche sortent des vérités qui ne sont pas seulement tolérées, que parce que ce fool est quelquefois revêtu, désigné, imparti, des fonctions du bouffon.

Cette sorte d'ombre heureuse, de foolery fondamentale, voilà ce qui fait à mes yeux le prix de l'intellectuel de gauche.

À quoi j'opposerai [...] un terme employé d'une façon conjuguée [...] c'est le terme de knave.

Le knave, c'est-à-dire quelque chose qui se traduit à un certain niveau de son emploi par le valet, est quelque chose qui va plus loin.

Ce n'est pas non plus le cynique, avec ce que cette position comporte d'héroïque.

C'est à proprement parler ce que Stendhal appelle le coquin fieffé, c'est-à-dire après tout Monsieur Tout-le-Monde, mais Monsieur Tout-le-Monde avec plus ou moins de décision.

Et chacun sait qu'une certaine façon même de se présenter qui fait partie de l'idéologie de l'intellectuel de droite est très précisément de se poser pour ce qu'il est effectivement, un knave.

Autrement dit, à ne pas reculer devant les conséquences de ce qu'on appelle le réalisme, c'est-à-dire, quand il le faut, de s'avouer être une canaille.

Le résultat de ceci n'a d'intérêt que si l'on considère les choses au résultat.

Après tout, une canaille vaut bien un sot, au moins pour l'amusement, si le résultat de la constitution des canailles en troupe n'aboutissait infailliblement à une sottise collective.

C'est ce qui rend si désespérante en politique l'idéologie de droite.

Observons que nous sommes sur le plan de l'analyse de l'intellectuel et des groupes articulés comme tels.

Mais ce qu'on ne voit pas assez, c'est que par un curieux effet de chiasme, la foolery, autrement dit ce côté d'ombre heureuse qui donne le style individuel de l'intellectuel de gauche, aboutit elle fort bien à une knavery de groupe, autrement dit, à une canaillerie collective. [...]

Ce qui me fait le plus jouir, je l'avoue, c'est la face de la canaillerie collective.

Autrement dit, cette rouerie innocente, voire cette tranquille impudence qui leur fait exprimer tant de vérités héroïques sans vouloir en payer le prix.

Grâce à quoi ce qui est affirmé comme l'horreur de Mammon à la première page se finit à la dernière dans les ronronnements de tendresse pour le même Mammon.

Ce que j'ai voulu ici souligner, c'est que Freud n'est peut-être point un bon père, mais en tous cas, il n'était ni une canaille, ni un imbécile.

C'est pourquoi nous nous trouvons devant lui devant cette position déconcertante qu'on puisse en dire également ces deux choses déconcertantes dans leur lien et leur opposition : il était humanitaire, qui le contestera à pointer ses écrits, il l'était et il le reste, et nous devons en tenir compte, si discrédité que soit par la canaille de droite ce terme.

Mais d'un autre côté, il n'était point un demeuré, de sorte qu'on peut dire également, et ici nous avons les textes, qu'il n'était pas progressiste. Je regrette, mais c’est un fait, FREUD n’était progressiste à aucun degré, et il y a même des choses en ce sens chez lui extraordinairement scandaleuses. Le peu d’optimisme manifesté - je ne veux pas insister lourdement - sur les perspectives ouvertes par les masses est quelque chose qui, sous la plume d’un de nos guides, a quelque chose sûrement de bien fait pour heurter.

Auteur: Lacan Jacques

Info: L’éthique de la psychanalyse - 23 mars 1960

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Ajouté à la BD par Coli Masson