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être humain

En un certain sens, les humains, ceux de sexe masculin en tout cas, étaient comparables à des véhicules d'occasion. On pouvait reconnaître le modèle et évaluer le kilométrage. Un observateur averti était capable de dire si les amortisseurs étaient encore bons, si l'embrayage patinait, si les cylindres étaient usés. Les hommes étaient comme des poids lourds : les vieux comme de vieux camions et les jeunes comme des camions neufs. Mais il y en avait aussi qui ressemblaient plutôt à des mobylettes ou à des scooters des mers.
Les femmes, elles, à supposer qu'on puisse les comparer à des véhicules, étaient comme des voitures. Une femme jeune et jolie était une décapotable aux lignes fluides, mais si elle pratiquait avec trop d'ardeur la circulation nocturne, la carrosserie ne résistait pas : elle se couvrait de bosselures, la peinture s'écaillait, les béquets rouillaient. Un jour ou l'autre, pendant une marche arrière, un feu arrière se brisait et cela ne valait pas le coup de le changer. Il y avait aussi des voitures féminines qui ne vieillissaient jamais et restaient intemporelles année après année, tout au long de l'histoire de l'automobile. On les bichonnait avec amour et leurs formes suscitaient encore l'intérêt alors que les camions les plus robustes étaient partis à la casse depuis longtemps. Les héroïques mères de familles nombreuses, quant à elles, étaient des autobus parfaitement fiables, toujours à l'heure, qui ne laissaient jamais personne sur le bas-côté.

Auteur: Paasilinna Arto

Info: La cavale du géomètre, p.19, Éd. Folio n°3393

[ voiture ] [ véhicule ] [ automobile ]

 

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élément biographique

En 1914, une de ses lettres est publiée dans le courrier des lecteurs. Les nombreuses réponses qu'il reçoit à cette occasion lui font découvrir un monde qu'il ignorait, celui du "journalisme amateur", composé d'écrivains, poètes et essayistes en herbe publiant leurs propres petites revues et les diffusant par correspondance. Lovecraft adhère à l'une des deux grandes associations actives dans ce domaine, la United Amateur Press Association, par l’intermédiaire de laquelle il se fait de nombreux amis et correspondants. Voici Lovecraft brusquement tiré de son isolement et de sa dépression. Il sort de chez lui pour participer à des conventions ; il rencontre à ces occasions de nombreux autres membres de l'association, et dans certains cas ce sera le début d'une amitié durable. Ses nombreuses contributions sont publiées dans les journaux des autres amateurs, dans sa propre revue amateur, The Conservative, et dans l'organe de l'association, dont il deviendra même président. Les textes qu'il publie dans ces supports comprennent essentiellement des essais dans lesquels il expose des conceptions politiques rétrogrades, marquées par un conservatisme forcené, un militarisme ardent et une xénophobie qui fait plus que friser le racisme ; une poésie tout aussi passéiste (et indigeste), prenant pour référence absolue le XVIIIe siècle anglais et les "couplets héroïques" de Dryden et de Pope ; enfin, de nombreux textes pédagogiques où il tente d'élever le niveau littéraire de ses amis amateurs en leur donnant de véritables petits cours sur la grammaire, la description ou la narration.

Auteur: Thill Christophe

Info: Le guide Lovecraft. Deuxième partie - Biographie

[ réseau libérateur ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

crédit

Une génération a vu s’évanouir le concept de patrimoine et de capital fixe. Jusqu’à la génération passée, les objets acquis l’étaient en toute propriété, matérialisant un travail accompli. Le temps n’est pas loin encore où l’achat de la salle à manger, de la voiture, était le terme d’un long effort d’économie. On travaille en rêvant d’acquérir : la vie est vécue sous le mode puritain de l’effort et de la récompense, mais quand les objets sont là, c’est qu’ils sont gagnés, ils sont quittance du passé et sécurité pour l’avenir. Un capital. Aujourd’hui, les objets sont là avant d’être gagnés, ils anticipent sur la somme d’efforts et de travail qu’ils représentent, leur consommation précède pour ainsi dire leur production. […] Le statut d’une civilisation entière change ainsi avec le mode de présence et de jouissance des objets quotidiens. Dans l’économie domestique patriarcale fondée sur l’héritage et la stabilité de la rente, jamais la consommation ne précède la production. En bonne logique cartésienne et morale, le travail y précède toujours le fruit du travail comme la cause précède l’effet. Ce mode d’accumulation ascétique fait de prévision, de sacrifice, de résorption des besoins dans une tension de la personne, toute cette civilisation de l’épargne a eu sa période héroïque, pour s’achever sur la silhouette anachronique du rentier, et du rentier ruiné qui fait au XXe siècle l’expérience historique de la vanité de la morale et du calcul économique traditionnels. A force de vivre à la mesure de leurs moyens, des générations entières ont fini par vivre bien en dessous de leurs moyens.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: " Le système des objets ", éditions Gallimard, 1968, pages 221-223

[ créancier ] [ conséquences ] [ évolution ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

sécularisation

Il m’est apparu que la non-résistance du christianisme aux épidémies du modernisme résidait dans une perversion de la charité. Tout au moins qu’il s’agissait de la cause essentielle. [...]

[...] la charité, parmi toutes les vertus, est la plus humaine et la plus subjective de toutes, c’est celle qui implique l’engagement le plus total du sujet humain dans sa réalisation de la valeur spirituelle, puisque l’exigence d’amour s’adresse à notre être le plus intime. C’est avec mon propre cœur que je dois aimer. Dès lors, cette vertu, qui est la plus haute de toutes, est aussi la plus fragile et la plus corruptible, puisqu’elle est celle qui renferme la plus grande part d’humanité.

C’est pourquoi la charité peut se dégrader et se réduire à un sentiment purement humain, alors qu’elle doit avoir Dieu pour objet. Cependant, désireuse de se sacrifier – car la tendance oblative est toujours présente dans l’amour – la charité chrétienne, ayant perdu le sens de la transcendance divine, se retourne en quelque sorte contre elle-même. En rejetant toutes les beautés et toutes les formes de la religion pour l’amour du monde, elle a l’impression d’accomplir le plus héroïque sacrifice et de donner sa propre chair pour le salut des hommes. Dieu est vraiment l’Absolu de l’amour, puisqu’aimer Dieu, pour un être créé et relatif, c’est, d’emblée, s’ouvrir au Tout-Autre et donc renoncer totalement à soi. Mais lorsque l’amour ne se porte plus vers Cela seul qui peut l’accomplir, alors il retourne contre lui-même le désir de dépassement et de sacrifice qui l’habite.

Auteur: Borella Jean

Info: "Situation du catholicisme aujourd'hui", éditions L'Harmattan, Paris, 2023, pages 159-160

[ vertu théologale ] [ naturel-surnaturel ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

lire

Chez lui, la lecture avait même pris une place qu'il n'avait jamais accordée à un être humain. Pourquoi perdre son temps dans de vains et quotidiens bavardages quand on peut entrer en communion avec les meilleurs, les plus excitants penseurs de toutes les époques ? Pourquoi peupler sa vie d'êtres médiocres, attachants certes, mais faibles raisonneurs, quand on a le choix de rendre visite à Platon, Sénèque et Proust ? Le culte de ce que le monde appelait communément la réalité, la matière solide de l'existence, lui était étranger. L'air triomphant avec lequel ses contemporains se jetaient dans le combat du quotidien le faisait sourire. Il n'avait jamais compris ce qu'il pouvait y avoir d'héroïque à affronter la surface plane et lisse de la condition humaine dans sa plus banale expression. Enfant, ses parents lui avaient souvent reproché de fuir la réalité comme s'ils avaient décelé quelque couardise dans son comportement qui consistait à s'acquitter le plus vite possible des tâches incontournables de tous les jours afin de pouvoir retourner à ses livres et à sa rêverie. Il s'étaient sentis blessés de l'ennui qu'il affichait ouvertement face à cette dimension de la vie qui était leur unique territoire. [...] Au lieu de fuir, il était en marche vers quelque chose. Mais comment aurait-il pu décrire ce vaste univers de la pensée dans lequel il s'était aventuré à quelqu'un qui n'avait jamais ouvert un livre de sa vie avec plaisir, qui ne savait pas ce que c'était. [...] Kouros s'était alors très vite habitué à voler du temps. Il lisait dans les toilettes où personne ne le dérangeait. il lisait dans la nature prétextant d'autres besognes pour pouvoir s'éloigner.

Auteur: Henrichs Bertina

Info: La joueuse d'échecs

[ motivation ] [ élitisme ] [ cloître littéraire ]

 

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peintre-sur-écrivain

Il y a un truc qui m’a toujours épaté, c’est quand il a fait un mois de griffe, un mois de front, pas plus. Ça a été héroïque, y a eu des reproductions, on en a parlé dans Le Petit journal, toutim, médaillé militaire... Mais il avait la bonne blessure. Ça n’empêche pas qu’il a rempilé pour Londres. Il était patriote, quoi. Il l’a toujours été. Quand il avait sa médaille militaire, il était très fier de la porter. Un jour, il y a Ferdine qui dit à Geoffroy : "Bon, je t’invite à dîner ce soir.". L'autre répond : "C’est pas possible. T’as hérité ?". Il dit : "T’en fais pas.".

Ils vont dans une "French soupe", un restaurant français, et ils bouffent toute la carte. Geoffroy l'attendait, [ se disant ] : "Il va sortir son mornifle.". Il appelle le patron. Il s'était mis en uniforme, Ferdine, et il dit au tôlier : "Est-ce qu’on paie avec une médaille comme ça ?". Alors, l’autre, il a donné le coup de chapeau, tu comprends. Ferdine avait gagné. [ ... ]

Enfin, il aimait le panache... C’est marrant, physiquement, il avait une belle gueule quand il était jeune, mais il avait un corps de gonzesse, dis donc, pas un muscle ! Et des fois, il jouait, il allongeait la jambe comme ça, disant : "J’aurais pu jouer les fées." Puis, il avait une grosse tronche, il chaussait du 60 comme tronche. Il n'a jamais pu mettre un chapeau. Il m'a dit : "Moi, j’ai une bouille à porter la couronne, j’ai une tête de roi.". Je peux pas en dire autant. On m'a toujours dit que j'avais une tête d'épingle. C'est un peu l'esprit de Ferdine, ça lui réussissait pas mal..."


Auteur: Paul Gen Eugène

Info: A propos de Céline - Destouche, recueilli au cours de l'émission Bibliothèque de poche de Michel Polac, diffusée sur l'O.R.T.F. les 8 et 18 mai 1969

[ anecdote parigotte ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

accompagnement final

Naomi est tombée malade d'une encéphalomyélite myalgique/syndrome de fatigue chronique en 1980 et se retrouva  complètement alitée en 1983. Nous avons combattu les plus puissantes compagnies d'assurance américaines devant les tribunaux et dans la presse (voir Lemisch, "Do They Want my Wife to Die ?" New York Times, 15 avril 1992) et défendu ses soins à domicile 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui se sont poursuivis jusqu'au jour de sa mort. Parmi ses œuvres les plus héroïques figurent ses articles créatifs sur la science et le féminisme, écrits par elle à cette époque, entièrement depuis son lit. En mars 2015, on lui diagnostiqua un cancer des ovaires à l'hôpital Lenox Hill de New York. De mille manières LH montra ignorance et son mépris à son endroit et pour son EM/SFC (Syndrome de fatigue chronique) sous-jacent. (Voir "Doctors Strive to do Less Harm" de Gina Kolata, New York Times, 18 février 2015, qui, sans nommer Lenox Hill, explique précisément les préjudices commis par l'institution ; pas une âme rencontrée à LH n'a pris connaissance de cet article en première page, publié pendant l'hospitalisation de Naomi). Quelle que soit la résilience que Naomi avait accumulée au cours de ses 30 ans et plus de soins attentifs, elle fut victime des abus de Lenox Hill et de son inattention totale à l'égard de sa maladie sous-jacente. Sortie de l'hôpital le 17 mars dans un état lamentable, à l'agonie, elle ne fut hospitalisée que deux jours plus tard. Nous avions choisi l'hôpital Mount Sinai, une institution beaucoup plus humaine. Mais il était trop tard : elle est morte à 23 heures le jeudi 26 mars.  Alors que la mort approchait, j'ai chanté pour elle : "September Song", "Swing Low, Sweet Chariot", et, comme elle me l'avait toujours chanté lors de  temps troublés, "Hush, Little Baby, Don't You Cry".

Auteur: Lemisch Jesse

Info: 29 mars 2015. A propos de sa compagne Naomi Weisstein

[ couple ] [ fidélité ] [ femme-par-homme ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

fausses apparences

Un cas terrible de syndrome de l’imposteur est celui du philosophe français Louis Althusser. C’était un homme qui a souffert de problèmes mentaux extrêmement graves ; à vingt-neuf ans, on lui a diagnostiqué une psychose maniaco-dépressive et il a été interné une vingtaine de fois dans différents centres psychiatriques. En 1980, il a commencé à faire un massage à sa femme, la sociologue Hélène Rytmann, avec qui il vivait depuis trente-cinq ans, et il a fini par l’étrangler jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il a été déclaré irresponsable devant la loi pour avoir eu un accès de folie, et il a encore été interné pendant trois ans. En 1992, deux ans après sa mort, on a publié son autobiographie, L’avenir dure longtemps, dans laquelle il raconte d’une façon déchirante qu’il se considérait comme un lâche et un imposteur. Qu’il abritait des désirs homosexuels qu’il n’a jamais concrétisés ; qu’il passait pour un éminent philosophe alors que le fait est qu’il avait des lacunes considérables dans ses connaissances : il ne savait rien sur Aristote, ni sur les sophistes, ni sur les stoïciens, ni sur Kant (je me l’imagine se disant dans un moment de stupeur : Aristote ? Ou est-ce Aristarque ? Ou peut-être Anaxarque ?). Et qu’il avait été considéré comme un héros de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il était resté cinq ans dans un camp de prisonniers allemand, mais qu’en réalité il avait ressenti une “terreur totale” à l’idée de se battre, qu’il s’inventait des maladies pour éviter les missions et que, quand les Allemands l’avaient capturé, il s’était senti soulagé. Pauvre Althusser, qui avait vécu, comme nous l’avons dit avant, écrasé par l’impératif héroïque de cet oncle et premier fiancé de sa mère dont il portait le nom, mort au combat pendant la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, c’est à son retour du camp de prisonniers que la psychose d’Althusser a officiellement éclaté : il avait eu la terrible malchance d’avoir à vivre une autre guerre mondiale dans laquelle se mesurer à son fantôme. Il avait perdu, bien entendu.

Auteur: Montero Rosa

Info: Le danger de ne pas être folle

[ imposture ] [ autoportrait ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

hypocrisie sociétale

Le malheur en tout ceci c’est qu’il n’y a pas de "peuple" au sens touchant où vous l’entendez, il n’y a que des exploiteurs et des exploités, et chaque exploité ne demande qu’à devenir exploiteur. Il ne comprend pas autre chose. Le prolétariat héroïque égalitaire n’existe pas. C’est un songe creux, une FARIBOLE, d’où l’inutilité, la niaiserie absolue, écœurante de toutes ces imageries imbéciles, le prolétaire en cotte bleue, le héros de demain, et le méchant capitaliste repu à chaîne d’or. Ils sont aussi fumiers l’un que l’autre. Le prolétaire est un bourgeois qui n’a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins. Rien de touchant à cela, une larmoyerie gâteuse et fourbe. C’est tout. Un prétexte à congrès, à prébendes, à paranoïsmes… L’essence ne change pas. On ne s’en occupe jamais, on bave dans l’abstrait. L’abstrait c’est facile, c’est le refuge de tous les fainéants. Qui ne travaille pas est pourri d’idées générales et généreuses. Ce qui est beaucoup plus difficile c’est de faire rentrer l’abstrait dans le concret.

Demandez-vous à Brueghel, à Villon, s’ils avaient des opinions politiques ?…

J’ai honte d’insister sur ces faits évidents... Je gagne ma croûte depuis l’âge de 12 ans (douze). Je n’ai pas vu les choses du dehors mais du dedans. On voudrait me faire oublier ce que j’ai vu, ce que je sais, me faire dire ce que je ne dis pas, penser à ma place. Je serais fort riche à présent si j’avais bien voulu renier un peu mes origines. Au lieu de me juger on devrait mieux me copier au lieu de baver ces platitudes — tant d’écrivains écriraient des choses enfin lisibles…

La fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste. Sa désertion. Le congrès est sa mort. La louange son collier, d’où qu’elle vienne. Je ne veux pas être le premier parmi les hommes. Je veux être le premier au boulot. Les hommes je les emmerde tous, ce qu’ils disent n’a aucun sens. Il faut se donner entièrement à la chose en soi, ni au peuple, ni au Crédit Lyonnais, à personne.

Bien affectueusement.

Louis DESTOUCHES

Auteur: Céline Louis-Ferdinand

Info: Lettre à Élie Faure, 2 mars 1935

[ bien-pensance ] [ jalousie sociale ] [ épistole ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

scène de ménage

La veille du départ de Diderot pour la Russie, j'allai recevoir ses adieux. Il accourut, me mena dans son cabinet, les larmes aux yeux. Là, d'une voix étouffée par les sanglots, il me dit : " Vous voyez un homme au désespoir! Je viens de subir la scène la plus cruelle pour un père et pour un époux. Ma femme... Ma fille... Ah! Comment me séparer d'elles après avoir vu leur douleur déchirante ! Nous étions à table, moi entre elles deux : point d'étrangers, comme vous pensez bien. Je voulais leur donner et ne donner qu'à elles ces derniers moments. Quel dîner, quel spectacle de désolation ! Jamais ou ne verra rien de pareil dans l'intérieur du foyer domestique. Nous ne pouvions ni parler ni manger : notre désespoir nous suffoquait. Ah! mon ami, qu'il est doux d'être aimé par des êtres si tendres, mais qu'il est affreux de les quitter! Non, je n'aurai point cet abominable courage. Qu'est-ce que les cajoleries de la grandeur auprès des épanchements de la nature? Je reste, j'y suis décidé; je n'abandonnerai pas ma femme et ma fille ; je ne serai pas leur bourreau : car, mon ami, voyez-vous bien, mon départ leur donnerait la mort. " Et le philosophe me couvrait de ses larmes, qui commençaient à m'attendrir, lorsque nous vîmes entrer Mme Diderot, et la scène changea.
Il me semble encore qu'elle est là sous mes yeux, cette femme impayable, avec son petit bonnet, sa robe à plis, sa figure bourgeoise, ses poings sur les côtés et sa voix criarde : - " Eh bien ! Eh bien ! Monsieur Diderot, s'écria-t-elle, que faites-vous là ? Vous perdez votre temps à conter des balivernes, et vos paquets vous les oubliez. Rien ne sera prêt pour demain. Vous devez pourtant partir de grand matin ; mais bon ! Vous êtes toujours occupé à faire des phrases éternelles, et les affaires deviennent ce qu'elles peuvent. Voilà ce que c'est aussi que d'être allé dîner dehors, au lieu de rester en famille. Vous aviez tant promis de n'en rien faire ! mais tout le monde vous possède, excepté nous. Ah ! quel homme! Quel homme ! " Cette petite tempête de ménage survenue à propos pour éteindre le feu d'artifice tiré par mon cher ami, excita en moi une hilarité difficile à décrire. J'ignore comment se termina la fête, car je m'enfuis sans attendre le bouquet.
Le lendemain j'appris, sans étonnement, que l'infortuné avait quitté Paris avec une héroïque résignation et que la famille ne s'était jamais mieux portée.

Auteur: Devaines Jean

Info:

[ femmes-hommes ] [ séparation ] [ départ ] [ anecdote ]

 

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