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rémunération

Inversement, à partir du moment où le salaire est déconnecté de la force de travail, rien ne s’oppose plus (sinon les syndicats) à une revendication salariale maximaliste, illimitée. Car s’il y a un "juste prix" à une certaine quantité de force de travail, il n’y a plus de prix pour le consensus et la participation globale. [...]

Salaire maximum pour un travail minimum : tel est le mot d’ordre. Escalade de la revendication dont l’issue politique pourrait bien être de faire sauter le système par en haut, selon sa propre logique du travail comme présence forcée. Car ce n’est plus alors en tant que producteurs que les salariés interviennent mais en tant que non-productifs, rôle que leur assigne le capital – et ils n’interviennent plus dialectiquement, mais catastrophiquement, dans le processus.

Moins on a à en faire, plus on doit exiger un salaire élevé, puisque ce moindre emploi est le signe d’une absurdité plus évidente encore de la présence forcée. Voilà la "classe" telle qu’en elle-même le capital la change : dépossédée de son exploitation même, de l’usage de sa force de travail, elle ne saurait faire payer trop cher au capital ce déni de production, cette perte d’identité, cette débauche. Exploitée, elle ne pouvait exiger que le minimum. Déclassée, elle est libre d’exiger tout.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 39-40

[ inversement proportionnel ] [ inflation ] [ travail social abstrait ] [ perte de la fonction d'index ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

monothéismes

[...] Car l'inverse me semble bien plutôt vrai : "Parce que Dieu existe, alors tout est permis ..." Je m'explique. Trois millénaires témoignent, des premiers textes de l'Ancien Testament à aujourd'hui : l'affirmation d'un Dieu unique, violent, jaloux, querelleur, intolérant, belliqueux a généré plus de haine, de sang, de morts, de brutalité que de paix ... le fantasme juif du peuple élu qui légitime le colonialisme, l'expropriation, la haine, l'animosité entre les peuples, puis la théocratie autoritaire et armée ; la référence chrétienne des marchands du Temple ou d'un Jésus paulinien prétendant venir pour apporter le glaive, qui justifie les Croisades, l'Inquisition, les guerres de religion, la saint-Barthélémy, les bûchers, l'Index, mais aussi le colonialisme planétaire, les ethnocides nord-américains, le soutien aux fascismes du XX° siècle, et la toute puissance temporelle du Vatican depuis des siècles dans le moindre détail de la vie quotidienne ; la revendication claire à presque toutes les pages du Coran d'un appel à détruire les infidèles, leur religion, leur culture, leur civilisation, mais aussi les juifs et les chrétiens - au nom d'un Dieu miséricordieux ! Voilà autant de pistes à creuser que, justement, à cause de l'existence de Dieu tout est permis - en lui, par lui, en son nom, sans que ni les fidèles, ni le clergé, ni le petit peuple, ni les hautes sphères y trouvent à redire...

Auteur: Onfray Michel

Info: Traité d'athéologie

[ fanatisme ] [ intolérance ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

généralisation

Parce que les théories psychanalytiques sont un composé de matériel observé et d’abstraction tirée de ce matériel, elles ont été qualifiées de non-scientifiques. Elles sont à la fois trop théoriques (elles sont trop la représentation d’une observation) pour être recevables en tant qu’observation et trop concrètes pour avoir la flexibilité qui permet à une abstraction de venir coïncider avec une réalisation. Par conséquent, une théorie qui serait largement applicable si elle était énoncée en termes suffisamment généraux est susceptible d’être condamnée parce que sa concrétude même empêche de reconnaître la réalisation qu’elle pourrait représenter. A l’inverse, lorsqu’il se trouve une telle réalisation, la théorie qui s’y applique peut s’en trouver faussée dans sa signification. Les théories psychanalytiques présentent donc un double défaut : d’une part, la description des données empiriques est insatisfaisante parce qu’il est manifeste qu’elle constitue davantage ce que le langage courant appelle une "théorie" de ce qui s’est passé qu’une simple relation des faits ; d’autre part, cette théorie de ce qui s’est passé ne répond pas aux critères qui s’appliquent à une théorie, lorsque l’on veut désigner par ce terme les systèmes utilisés dans une investigation scientifique rigoureuse. Il est donc nécessaire dans un premier temps, de formuler une abstraction capable de représenter la réalisation que les théories existantes entendent décrire. Je me propose de rechercher un mode d’abstraction tel que l’énoncé théorique conserve le minimum de particularisation.

Auteur: Bion Wilfred Ruprecht

Info: Éléments de la psychanalyse

[ classification ] [ singularité ] [ indexation ] [ langage ] [ mathématiques ] [ limitation ]

 

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publication

du seul livre essentiel de notre temps, du seul écrit simplement humain qu'un homme d'un sens droit et d'une saine intelligence eût aujourd'hui quelque intérêt à conserver, il ne me reste exactement parlant que vingt-deux petits fragments brûlés par les bords, que vous ne saisiriez que trop facilement avec l'index et le pouce, et entre lesquels il n'existe pas, comme on vous le disoit tout à l'heure, un foible point de contact moral, une légère analogie philosophique, une vague possibilité d'association oratoire ou de parenté grammaticale, dont le commentateur le plus subtil puisse tirer l'induction la plus fugace pour le bonheur éventuel des sociétés modernes !...
Et toutefois, je ne sais quelle crainte de laisser abandonnés aux interprétations malveillantes de la haine et de l'hypocrisie, ces débris de ma pensée écrite, -
Je ne sais quelle conscience irrésistible d'une vague clarté, d'une raison inaperçue qui les anime encore... -
Je ne sais quel besoin de vous léguer, ô mes amis, sur ces follicules quasi ou "feré"-sibyllines, l'empreinte éparse et décousue de mes derniers sentiments, -
Le besoin surtout de complaire à mon imprimeur en vous offrant ci-contre le "specimen" d'une fonte qui fera tressaillir l'ombre de Sanlecque et celle de Garamond : -
Tout cela me décide à jeter sous vos yeux, dans l'ordre où ils tombent sous ma main, ce peu de mots échappés aux flammes et à la critique, "combusti membra poetae" !...

Auteur: Nodier Charles

Info: Histoire du roi de Bohême de ses sept château, éd. Plasma, p. 93-94 - (une curiosité dont je ne m'étais pas avisé, et qui ferait, je crois, la joie de Nodier : cette page 93, que j'indique, est en fait, sur l'exemplaire que j'ai, numérotée "95" !)

[ vestiges ] [ réticence ] [ finalement ]

 
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Ajouté à la BD par Benslama

malentendu

Comme les Indiens, les sourds attribuent à chacun un nom, un signe identitaire, qui le suit toute sa vie.
Il peut être en rapport avec le physique ou le caractère.
(...)
S'ils n'avaient pas ces signes, les sourds seraient obligés d'utiliser l'alphabet de la langue des signes pour épeler chaque nom. Et V-E-R-O-N-I-Q-U-E, c'est long à "signer".
Ainsi, mon prénom, mon signe, celui qui me caractérise moi et personne d'autre, c'est "Rêveuse".
C'est mon mère qui me l'a donné?
Enfant, je ne comprenais pas pourquoi. Pourquoi "Rêveuse"?
Un jour, j'ai compris ; j'avais passé tellement d'heures à contempler la vie par la fenêtre en rêvant d'autre chose que cela ne lui avait pas échappé.
Le majeur et l'index, formant le V de Véronique, partent de la tempe pour aller se perdre dans les airs en tournoyant : "Rêveuse".
C'est poétique, c'est beau, ça fait toute une vie.
Sauf que.... je me suis trompée. Ma mère vient de lire ce chapitre et n'est pas d'accord.
"Ton signe pas "Rêveuse". Depuis toujours.
-Non. "Etourdie"."
Les doigts en V partent bien de la temps et s'en vont bien dans les airs mais pas en tournoyant. En tremblotant. C'est subtil. La différence est minime mais ça ne veut pas dire la même chose.
"Petite, toi, étourdie. Pas rêveuse. Toi oublies tout, toujours, toujours. Étourdie."
Je reste sans voix. Ça fait trente ans que je me trompe. Ou que j'ai oublié.
Etourdie je suis, étourdie je resterai.

Auteur: Poulain Véronique

Info: Les mots qu'on ne me dit pas

[ parents ] [ enfants ] [ surdité ]

 

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anecdote

Tenez, vous vous souvenez peut-être du fameux apologue à Lacan, oh vous me pardonnerez, je ne lʼai lu quʼen anglais... Lʼ "apologue des sardines", cʼest au début de lʼun de ses 4 concepts fondamentaux... Non pas, Kollega ? Alors voilà, Jacquot étudiant en a marre des livres, il veut faire des expériences, il prend le train pour Brest, le soir au port il convainc un pêcheur de lʼemmener, et donc le lendemain radieux au large, filets pleins, casse-croûtant, Petit-Jean poursuit l'initiation à Jacquot, lui dit de se lever, lui désigne un point brillant qui vous aveugle sur les flots, à vingt mètres, le couvercle dentelé dʼune boîte de sardines : "– Tu la vois, dis Jacquot, tu la vois ? Eh bien, elle, elle ne te voit pas !" Dans sa barque, Jacquot sidéré. Et Lacan interrompt là cette marine où décidément il faisait tache... Puisque diaphanement cʼétaient lʼindustrie hauturière, les chalutiers, les usines de conditionnement et la grosse distribution quʼannonçait dʼores et déjà réalisées cette boîte ouverte une fois becquetée, jetée à la mer ! Sa communauté nʼy survivrait pas, au pêcheur artisanal, quand même la tuberculose, elle, venait par chance de lʼépargner... Accroché à jamais à sa coquille de noix, cʼétait sa propre mort que Petit-Jean ne voulait pas voir le regarder de là-bas, à travers son éclat métallique... Mais ça ! cette maligne synecdoque, la petite déjection randomatique valant pour le grand Anéantissant, le "vois !" du refoulant, sa voix, trois fois sa vwaaa ! ainsi que son index se rebroussant bientôt planté dans lʼœil, devaient encore longtemps le lui masquer...

Auteur: Montavon Stéphane

Info: Le Bouge, L'Âge d'Homme, Lausanne, à paraître en 2019

[ signe annonciateur ] [ présage ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

sensualité

"Écoute-moi, garde les yeux ouverts", me murmurait Lestat, ses lèvres remuant contre mon cou. Je me souviens qu'à ce contact tous mes poils se sont hérissés, m'envoyant à travers tout le corps une décharge sensuelle, qui n'était pas sans me rappeler les plaisirs de la chair...

L'air songeur, il porta la main droite à son menton et le caressa légèrement de l'index. Puis il reprit : À la suite de quoi, en quelques minutes, je me suis retrouvé si faible que j'en étais paralysé. Pris de panique, je me suis aperçu que je ne parvenais même pas à parler. Lestat me tenait encore, bien sûr, et son bras me semblait aussi lourd qu'une barre d'acier. J'ai senti ses dents se retirer avec une telle violence que les deux plaies qu'elles m'avaient infligées me parurent béantes et la douleur insoutenable. Ensuite, il s'est penché au-dessus de ma tête inerte et, soulevant le bras qui me ceignait, s'est mordu le poignet. Quand le sang a goutté sur ma chemise et mon manteau, il l'a contemplé les yeux brillants, à peine ouverts. Ce moment m'a paru durer une éternité, le halo de lumière désormais en suspens derrière sa tête m'évoquant une apparition. Je crois que je savais ce qu'il s'apprêtait à faire avant même qu'il agisse, et je suis resté là, impuissant, comme si cela faisait des années que j'attendais ce moment. Il a pressé son poignet ensanglanté contre ma bouche et a dit d'un ton ferme et quelque peu impatient : "Bois, Louis." Et j'ai obéi. Il a chuchoté : "Doucement Louis", puis : "Plus vite" à plusieurs reprises. J'ai bu, aspirant le sang par les deux plaies, retrouvant pour la première fois depuis ma petite enfance le plaisir particulier de la tétée, corps et esprit s'abreuvant tous deux à cette source de vie lumineuse.

Auteur: Rice Anne

Info: Les Chroniques des Vampires, tome 1 : Entretien avec un vampire

[ suceur de sang ] [ stryge ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

érotisme

Que le pied, le doigt, le nez ou quelque autre partie du corps puissent jouer comme métaphore du pénis, ce n’est pas en vertu de leur forme saillante (selon un schème d’analogie entre ces divers signifiants et le pénis réel) : ils n’ont de valence phallique que sur la base de cette coupure phantasmatique qui les érige – pénis châtrés, pénis parce que châtrés. [...] Le corps ne se distribue pas en "symboles" masculins ou féminins : il est bien plus profondément le lieu de ce jeu et de ce déni de la castration, illustré par l’usage chinois (cité par Freud dans Le fétichisme) de commencer par mutiler le pied de la femme, puis de vénérer comme un fétiche ce pied mutilé. Le corps tout entier est disponible, sous des formes innombrables, pour ce marquage/mutilation suivi de vénération phallique (exaltation érotique). C’est là son secret, et non pas du tout dans l’anamorphose des organes génitaux. 

Ainsi la bouche fardée est phallique (fard et maquillage font éminemment partie de l’arsenal de mise en valeur structurale du corps). Une bouche maquillée ne parle plus : lèvres béates, mi-ouvertes, mi-fermées, elles n’ont plus pour fonction de parler, ni de manger, ni de vomir, ni de baiser. [...] la bouche maquillée, objectivée comme bijou, dont l’intense valeur érotique ne vient pas du tout, comme on l’imagine, de son soulignement comme orifice érogène, mais, à l’inverse, de sa fermeture – le fard étant en quelque sorte le trait phallique, la marque qui l’institue en valeur d’échange phallique – bouche érectile, tumescence sexuelle par où la femme s’érige, et où le désir de l’homme viendra se prendre à sa propre image.

Médiatisé par ce travail structural, le désir, d’irréductible qu’il est lorsqu’il se fonde sur la perte, sur la béance de l’un à l’autre, devient négociable, en termes de signes et de valeurs phalliques échangées, indexées sur une équivalence phallique générale – chacun jouant contractuellement et monnayant sa jouissance propre en termes d’accumulation phallique – situation parfaite d’une économie politique du désir.

Auteur: Baudrillard Jean

Info: Dans "L'échange symbolique et la mort", éditions Gallimard, 1976, pages 167-168

[ interdit ] [ manque ] [ artifices ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

magasin

A l'épicerie, dans la rangée huit, une petite dame bloque le passage avec son énorme chariot qui couvre à peine la largeur de son impressionnant derrière. Qu'elle m'empêche de circuler est une chose, plutôt normal même, vu les pyramides précaires d'articles en tout genre entassés dans le milieu de l'allée, mais qu'elle ne s'en rende pas compte et ne fasse même pas semblant d'essayer de se pousser un peu me tue. Son visage est crispé dans une moue de dédain apparemment provoquée par l'insatisfaction que lui inspire la lecture des ingrédients des produits sans exception. Elle les attrape un à un, les tourne dans tous les sens, s'attarde à tous les petits pourcentages de gras, de sucre, de sel et ne semble jamais trouvé là son bonheur ou quelque chose qui satisfasse son désir de se faire du bien. Son pouce et son index pincent sa bouche aux commissures pâteuses et viennent se rejoindre au centre de sa lèvre inférieure après avoir râclé les peaux mortes, les croutes séchées d'un rouge à lèvres à moitié effacé dans les teintes de mauve. Des traces tenaces d'un mauvais vin rouge bu la veille, peut-être. Par réflexe, fort de cette seule trace probablement mal interprétée, mon cerveau la transforme en une vieille alcoolique pas fine, facile à détester. Je m'avance en me traînant les pieds, pour faire du bruit, mais elle ne bouge pas. Sourde en plus. J'ai besoin d'aller tout droit, d'atteindre la section des desserts maison, pour ramasser trois tartes aux pets-de-soeur de la boulangerie Bouchard de L'Isle-aux-Coudres. [...] Une personne qui dort à peu près normalement se résigne sans regimber à changer de rangée pour éviter le problème. Je n'en suis pas. En passant près d'elle, en la frôlant sans délicatesse, dans ma tête je lui crie de toutes mes forces : "Mange de la laitue bio, crisse !" J'ai une voix intérieure qui porte, elle bouge, se dirige vers l'allée des légumes. Je me rends jusqu'au bout de la rangée, prends mes tartes, les paie et sors, sans détruire quoi que ce soit, sans tuer personne. Je suis parfois capable d'un contrôle absolument épatant.

Auteur: Lavoie Marie-Renée

Info: Le syndrome de la vis

[ personnage ] [ self contrôle ] [ encombrement ]

 

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expérience

Comme tous les hommes de Babylone, j'ai été proconsul ; comme eux tous esclave ; j'ai connu comme eux tous l'omnipotence, l'opprobre, les prisons. Regardez : à ma main droite il manque l'index. Regardez ; cette déchirure de mon manteau laisse voir sur mon estomac un tatouage vermeil ; c'est le deuxième symbole, Beth. Les nuits de pleine lune, cette lettre me donne le pouvoir sur les hommes dont la marque est Ghimel, mais elle me subordonne à ceux d'Aleph, qui les nuits sans lune doivent obéissance à ceux de Ghimel. Au crépuscule de l'aube, dans une cave, j'ai égorgé des taureaux sacrés devant une pierre noire. Toute une année de lune durant, j'ai été déclaré invisible : je criais et on ne me répondait pas, je volais le pain et je n'étais pas décapité. J'ai connu ce qu'ignorent les Grecs : l'incertitude. Dans une chambre de bronze, devant le mouchoir silencieux du strangulateur, l'espérance me fut fidèle ; dans le fleuve des délices, la panique. Pythagore, si l'on croit le récit émerveillé d'Héraclide du Pont, se souvenait d'avoir été Pyrrhus, Euphorbe, et avant Euphorbe encore quelque autre mortel ; pour me remémorer d'analogues vicissitudes je puis me dispenser d'avoir recours à la mort, et même à l'imposture.
Je dois cette diversité presque atroce à une institution que d'autres républiques ignorent ou qui n'opère chez elles que de façon imparfaite et obscure : la loterie. Je n'en ai pas scruté l'histoire : il ne m'échappe pas que les magiciens restent là-dessus divisés ; toute la connaissance qui m'est donnée de ses puissants desseins, c'est celle que peut avoir de la lune l'homme non versé en astrologie. J'appartiens à un pays vertigineux où la loterie est une part essentielle du réel ; jusqu'au présent jour, j'avais pensé à elle aussi peu souvent qu'à la conduite des dieux indéchiffrables ou de mon propre cœur. Aujourd'hui, loin de mon pays et de ses chères coutumes, c'est avec quelque surprise que j'évoque la loterie et les conjectures blasphématoires que sur elle, à la chute du jour, vont murmurant les hommes voilés.
Mon père me rapportait qu'autrefois - parlait-il d'années ou de siècle ? - la loterie était à Babylone un jeu de caractère plébéien. Il racontait, mais je ne sais s'il disait vrai, que les barbiers débitaient alors contre quelques monnaies de cuivre des rectangles d'os ou de parchemin ornés de symboles. Un tirage au sort s'effectuait en plein jour, et les favorisés recevaient, sans autre corroboration du hasard, des pièces d'argent frappées. Le procédé était rudimentaire, comme vous le voyez.

Auteur: Borges Jorge Luis

Info: La loterie à Babylone, in Fictions

[ incipit ] [ entame ]

 
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