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séparation

Père ! dis-je. Chacun suit son destin, mon petit ; les hommes n’y peuvent rien changer. Tes oncles ont étudié. Moi –mais je te l’ai déjà dit : je te l’ai dit, si tu te souviens quand tu es parti pour Conakry…moi, je n’ai pas eu la chance et moins encore la tienne…mais maintenant que cette chance est devant toi, je veux que tu la saisisses ; tu as su saisir la précédente, saisis celle-ci aussi, saisis-la bien ! Il reste dans notre pays tant de choses à faire…Oui, je veux que tu ailles en France ; je le veux aujourd’hui autant que toi-même : on aura besoin ici sous peu d’hommes comme toi…Puisses-tu ne pas nous quitter pour trop longtemps ! Nous demeurâmes un long bout de temps sous la véranda, sans mot dire et à regarder la nuit ; et puis soudain mon père dit d’une voix cassée : promets-moi qu’un jour tu reviendras ? Je reviendrai ! dis-je. Ces pays lointains…dit-il lentement. Il laissa sa phrase inachevée ; il continuait de regarder la nuit. Je le voyais, à la lueur de la lampe-tempête, regarder comme un point dans la nuit, et il fronçait les sourcils comme s’il était mécontent ou inquiet de ce qu’il y découvrait. Que regardes-tu ? dis-je. Garde-toi de jamais tromper personne, dit-il ; sois droit dans ta pensée et dans tes actes ; et Dieu demeurera avec toi. Puis il eut comme un geste de découragement et il cessa de regarder la nuit.

Auteur: Laye Camara

Info: L'enfant noir

[ voyages ] [ afrique ] [ douleur ] [ espoir ] [ dernières paroles ]

 

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révolte

La misère et la pauvreté sont si fondamentalement dégradantes, et exercent sur la nature humaine un effet si paralysant, qu'aucune classe de la population n'est jamais vraiment consciente des souffrances qu'elle endure. Il faut que d'autres le lui disent, et souvent elle refuse catégoriquement de les croire. Ce que les gros employeurs de main-d'oeuvre disent des agitateurs est indéniablement vrai. Les agitateurs sont des gens indiscrets se mêlant de ce qui ne les regarde pas, qui fondent sur une partie de la population parfaitement satisfaite de son sort et sèment en son sein les graines du mécontentement. C'est bien pour cela que les agitateurs sont absolument indispensables. Sans eux, au stade inachevé qui est le nôtre, il n'y aurait nul progrès vers la civilisation. Si l'esclavage a été aboli aux Etats-Unis, ce n'est pas à la suite d'actions menées par les esclaves, ni même parce qu'ils auraient exprimé un désir explicite d'être libérés. Il a été aboli uniquement grâce aux pratiques totalement illégales de certains agitateurs de Boston et d'ailleurs, qui eux-mêmes n'étaient ni esclaves, ni propriétaires d'esclaves, et qui en vérité n'avaient rien à voir avec la question. Ce sont indéniablement les abolitionnistes qui ont mis le feu aux poudres, c'est par eux que tout a commencé. Et il est très curieux de noter que les esclaves eux-mêmes leur apportèrent bien peu d'aide, et même bien peu de sympathie ; et lorsqu'à la fin de la guerre les esclaves se retrouvèrent libres, et même si totalement libres qu'ils étaient libres de mourir de faim, nombre d'entre eux regrettèrent amèrement leur nouvelle situation.

Auteur: Wilde Oscar

Info: l'âme de l'homme sous le socialisme, Oeuvres, la Pléiade, nrf Gallimard 1996<p.933>

 

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ressources humaines

L'économie du marché du travail intervient ici de manière particulièrement destructrice. Un patron pourrait choisir soit de recycler un homme de cinquante ans pour qu'il se mettent à jour, soit de recruter un brillant jeune de vingt-cinq ans déjà prêt à foncer. Il est beaucoup moins cher de recruter le brillant jeune homme : moins cher parce que l'employé plus âgé aura une base salariale plus élevée et parce que les programmes de recyclage du personnel sont eux-mêmes des opérations coûteuses.

Ce processus de remplacement comporte un aspect social. Les employés plus âgés sont généralement plus autonomes et critiques à l'égard de leurs patrons que les plus jeunes. Dans les programmes de recyclage, les employés plus âgés se conduisent comme d'autres étudiants mûrs, jugeant la valeur de la compétence proposée et la façon dont elle est enseignée à la lumière de ce qu'ils ont eux-mêmes vécu. Le travailleur expérimenté complique le sens de ce qu'il apprend en jugeant sa valeur en fonction de son passé. Le jeune Turc, en revanche, est un stéréotype que viennent démentir maintes études de jeunes travailleurs eux-mêmes : manquant d'expérience et de statut dans une entreprise, ils ont tendance à se conduire prudemment, et s'ils n'aiment pas les conditions qui leur sont faites sur leur lieu de travail, ils sont enclins à partir plutôt qu'à résister. Cette porte leur reste ouverte parce que, étant jeunes, leur bagage familial et social est moins encombrant. Dans les entreprises, l'âge fait donc une différence importante entre ce que l'économiste Albert Hirschman appelle la "défection" (exit) et la "prise de parole" (voice). Quand ils sont mécontents, les jeunes travailleurs, plus souples, privilégient la défection ; plus critiques, les plus âgés expriment leurs insatisfactions.

Auteur: Sennett Richard

Info: La culture du nouveau capitalisme, p 83

[ travailleurs seniors ] [ employés juniors ]

 
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transition capitaliste

- […] Il prit la terre pour construire une ville et il nous fit mourir de faim. La ville ne pouvait pas vivre. Il n’y avait plus de quoi manger pour les pies et les corbeaux, rien que des maisons et des humains. Il nous procura ceci et cela : beaucoup de maisons, une banque, une fabrique, des arbres de Noël et toutes ces histoires-là. Ayant appris dernièrement qu’il cultivait du tabac – est-ce un aliment, ça ? lui demandai-je. Non, me répondit-il, mais c’est l’évolution, c’est de l’argent pour acheter de la nourriture ! De l’argent ? Oui, c’était de l’argent et des bénéfices et du progrès, etc. Non, c’est la perdition, voilà ce que c’est, nous ne mangeons plus que des choses recherchées qu’on achète dans les boutiques et nous n’ouvrons la bouche que pour en avoir toujours davantage, c’est du vent que nous avalons, cela ne rassasie pas. Je vois, Hosea, que tu vas dire quelque chose. Tu veux parler du café.
- Oui, dit Hosea, on aurait pu en offrir une tasse à Joakim, mais je n’en ai pas, je n’ai pas de quoi en acheter.
Ezra : - Et tu crois que Joakim y tient ! Donne-lui donc une tasse de lait. Voilà ce qu’avant nous on mettait devant les invités. Et puis toutes ces grandes exigences ridicules, auxquelles August voulait nous habituer, tous ces besoins de friandises coûteuses ! Les gens en sont arrivés à être mécontents, à se figurer qu’ils souffrent la misère s’ils ne mangent pas chaque jour de la viande et des plats du dimanche. Exigences et mécontentement de plus en plus grands chez tous. Le dernier homme content à Polden-sur-Mer a été Martinus Halskar. Il n’était pas trop gâté, mais il avait de la reconnaissance envers Dieu, et il a dépassé quatre-vingt ans.

Auteur: Hamsun Knut

Info: Dans "August le marin", trad. Marguerite Gay et Gerd de Mautort, Le livre de poche, 1999, page 1485

[ mode de vie traditionnel ] [ dépossession ] [ moyens de production ]

 

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dévouement individualiste

L’intellectualisation consiste en somme dans le processus de diffusion de l’abstraction intellectuelle dans le comportement d’être qui ne sont pas des intellectuels, mais qui y sont devenus réceptifs par la vulgarisation de la pensée idéologique. Cette abstraction renonce au raisonnement, au contact des actions concrètes, pour envisager les choses essentiellement sous l’angle des intentions vagues, des velléités et des fins indéterminées, en entretenant une sourde révolte contre un monde considéré comme débile, en tout cas insensible à la gravité des idées abstraites. Il en résulte une insatisfaction contestataire, souvent ensevelies dans des âmes dépitées face à l’incompréhension prétendue des autres, sous prétexte qu’ils seraient insensibles aux immenses malheurs d’un monde à sauver. L’imagination se dépouille de toute ironie pour devenir sérieuse et compassée, comme s’il fallait par exemple être à tout instant à l’écoute du Tiers Monde, à l’affût des conversations pour débusquer les ombres du racisme, prêt à manifester en faveur de la paix ou disposé à libérer le genre humain chaque fois d’une autre aliénation. L’événement le plus insignifiant est interprété comme déterminant pour le destin du monde. Tout se passe comme si on voulait nous condamner à une existence chagrine, dépourvue de tout humour et de toute gaîté. En fin de compte tout sentiment s’épuise dans un sentimentalisme militant et toute émotion dans une dramatisation sentencieuse. L’insatisfaction se traduit le plus souvent par un ténébreux mécontentement pour la profession qu’on occupe. En effet on se plaît à rêver d’une profession seconde, sous la forme par exemple d’une velléité de s’engager aux côtés des médecins sans frontières, sans aucune qualification dans le domaine de la santé, rien que pour jouer avec son désir indistinct de dévouement dans toutes sortes d’associations humanitaires, fraternelles ou soi-disant culturellement libératrices (féminisme, écologisme, etc.). La priorité écologique par exemple n’est pas donnée à une réflexion sur les conditions de la sauvegarde de la nature, mais à la manifestation rhétorique* préconisant cette sauvegarde.

Auteur: Freund Julien

Info: Politique et impolitique, page 11

[ popularisation ] [ erreur catégorielle ] [ amateurisme ]

 

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nazisme

Plus d’art. En peinture, nous voyons renaître le tableau de genre, le chromo patriotique. Les sciences découronnées de leurs meilleurs techniciens ne nous offrent plus rien. Les grands chimistes allemands, les grands médecins, surtout les psychiatres étaient israélites. On a brûlé sur les bûchers d’Hitler des ouvrages de haute érudition qui représentaient des années de travail, quelquefois toute une vie de labeur.

Certains de ces ouvrages, qui valent des millions de francs, comme celui du professeur Jedassohn, ne seront plus réédités. C’est une perte pour toute l’humanité. On a détruit l’Institut d’Hirschfeld et ses collections. On a saccagé les maisons d’édition qui imprimaient les ouvrages des auteurs juifs. 

‘‘J’avais chez moi’’, m’a dit un de mes amis berlinois, ‘‘quelques livres qui m’eussent fait passer pour suspect à la moindre perquisition. Des Einstein, une traduction de Barbusse, le Michel-Ange de Romain Rolland, trois Stefan Zweig, un Freud, j’en oublie… Il fallait m’en défaire. J’en fis de petits paquets que j’allais abandonner la nuit, loin de chez moi. Je mis un mois à disperser ma pauvre bibliothèque. Je n’étais pas le seul. On trouvait souvent, dans les taillis des jardins publics, des livres "maudits", dont leur possesseur se défaisait comme d’une peste’’.

Tous les concierges sont de la police, tous les garçons de café, de restaurant, d’hôtel aussi. Et la bonne moitié des chauffeurs de taxi.

Pour remplacer les ouvrages détruits ou poursuivis par la censure, les polygraphes se sont mis au travail. On sort des romans  à l’eau de rose où les bons nazis se conduisent en héros, des aventures policières où le traître est toujours un Juif quand il n’est pas un Français ou un communiste.

Un Français, fixé à Berlin, voulut me faire comprendre par analogie la situation :

- Imagine qu’en France, on n’autorise comme peintres et sculpteurs que les sociétaires des Artistes Français, comme littérateurs  les Veillées des Chaumières, comme théâtre que les répertoires des patronages et comme film la Margoton du bataillon. Tu vois un peu les dégâts.

- Et avec ça, demandais-je- les Allemands sont heureux ?

- Les Allemands, d’abord, ne sont jamais heureux. Mais il peuvent être plus ou moins satisfaits. Or, c’est un fait qu'on trouve une foule de mécontents. Soixante à soixante dix pour cent de la population, peut-être… Seulement…

Mon interlocuteur suspendit un instant son effet : 

- Seulement, ajouta-t-il, le plus mécontent des Allemands, le plus tiède, le moins enthousiaste, considère encore le Führer Hitler comme un fétiche, comme une mascotte, comme le porte-bonheur de son pays.



 

Auteur: Scize Pierre

Info: 1936 en Allemagne, après l'avènement d'Adolf Hitler

[ antisémitisme ] [ possession idéologique ] [ beaux arts ] [ nationalisme ] [ comparaison ] [ dictateur ]

 

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états limites

La réorientation de la psychologie des instincts vers le moi est en partie due au fait qu’il a bien fallu reconnaître que les malades qui se présentaient dans les années 1940 et 1950 "montraient très rarement les névroses classiques que Freud avait décrites si minutieusement". Au cours des vingt-cinq dernières années, le malade dont le cas est indéterminé, présentant non pas des symptômes bien définis, mais un mécontentement diffus, est devenu de plus en plus commun. Il ne souffre pas de fixations débilitantes, ni de phobies, ni d’une conversion d’énergie sexuelle réprimée en troubles nerveux ; il se plaint "d’une insatisfaction existentielle vague et diffuse" et sent que "sa vie, amorphe, est futile et sans but". Il décrit des "sentiments ténus mais tenaces de vide et de dépression", "des violentes oscillations dans son évaluation de lui-même", et "une incompétence générale à s’entendre avec autrui". "Il se rassure sur lui-même en s’attachant à des êtres forts, admirés ; il désire ardemment être accepté par eux, et ressent le besoin de recevoir leur aide." Bien qu’il puisse assumer ses responsabilités quotidiennes, et même parvenir à une certaine réussite, le bonheur lui échappe, et sa vie lui apparaît souvent comme ne valant pas la peine d’être vécue.

La psychanalyse, thérapie qui s’est développée dans la pratique, à partie de cas d’individus moralement rigides et sévèrement réprimés, ayant besoin de faire la paix avec un "censeur" interne rigoureux, se trouve aujourd’hui de plus en plus souvent confrontée à des "caractères chaotiques dominés par [leurs] pulsions". Elle a affaire à des malades donnant libre cours à leurs conflits, ne les réprimant ni ne les sublimant. Souvent engageants, ceux-ci cultivent pourtant une superficialité qui les protège dans les relations affectives. Ils sont incapables de pleurer, et l’intensité de leur rage contre les amours objectaux perdus, en particulier contre leurs parents, leur interdisent de revivre des moments heureux ou de les garder précieusement en mémoire. Ouverts plutôt que fermés aux aventures sexuelles, ces malades trouvent pourtant difficile de vivre pleinement la pulsion sexuelle ou d’en faire une expérience joyeuse. Ils évitent les engagements intimes qui pourraient les libérer de leurs intenses sentiments de rage. Leur personnalité n’est guère qu’un ensemble de défenses contre cette rage et contre les sentiments de privation orale nés au stade préœdipien du développement psychique.

Ces malades souffrent souvent d’hypocondrie et se plaignent d’éprouver une sensation de vide intérieur. Ils nourrissent, en même temps, des fantasmes d’omnipotence et sont profondément convaincus de leur droit d’exploiter les autres et de se faire plaisir. Les éléments archaïques, punitifs et sadiques prédominent dans le surmoi de ces malades, et s’ils se conforment aux règles sociales, c’est plus par peur d’être punis que sous l’emprise d’un sentiment de culpabilité. Ils ressentent leurs propres exigences et appétits, mêlés de rage, comme étant extrêmement dangereux, et ils élèvent des défenses aussi primitives que les désirs qu’ils cherchent à étouffer.

Auteur: Lasch Christopher

Info: Dans "La culture du narcissisme", trad. Michel L. Landa, éd. Flammarion, Paris, 2018, pages 71-72

[ portrait clinique ]

 

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protestantisme

Dans les rapports de l’homme avec Dieu, rien de juridique. Tout est amour, un amour agissant et régénérateur, témoigne à la créature déchue par la Majesté redoutable. Un amour qui l’incline, non point à pardonner à l’homme ses péchés, mais à ne point les lui imputer. Tout pécheur qui, se reconnaissant comme tel, acceptant sur sa misère morale et sa souillure le témoignage d’une conscience sans complaisance, sent et atteste que Dieu, le seul juste, est pleinement en droit de le rejeter ; en langage luthérien, tout homme qui reçoit le don de la foi (car la foi pour Luther n’est pas la croyance ; c’est la reconnaissance par le pécheur de la justice de Dieu  ) — tout pécheur qui, se réfugiant ainsi au sein de la miséricorde divine, sent sa misère, la déteste, et proclame par contre sa confiance en Dieu : Dieu le regarde comme juste. Bien qu’il soit injuste ; plus exactement, bien qu’il soit à la fois juste et injuste : Revera peccatores, sed reputatione miserentis Dei justi ; ignoranter justi et scienter injusti ; peccatores in re, justi autem in spe  ... Justes en espérance ? par anticipation plus exactement. Car ici-bas, Dieu commence seulement l’œuvre de régénération, de vivification, de sanctification qui, à son terme, nous rendra justes, c’est-à-dire parfaits. Nous ne sommes pas encore les justifiés, mais ceux qui doivent être justifiés : non justificati, sed justificandi.

Donc les œuvres disparaissent. Toutes. Arbitramur justificari hominem per fidem, sine operibus legis [Car nous estimons que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi] : Luther rencontrait dans l’Épître aux Romains (III, 28) la formule fameuse. Dès 1516, il repoussait avec force l’interprétation traditionnelle : opera legis, les pratiques extérieures. Erreur, s’écriait-il dans une lettre à Spalatin du 19 octobre 1516 ; et déjà, annonçant de futurs combats : "Sur ce point, sans hésitation, je me sépare radicalement d’Érasme". Opera legis, toutes les œuvres humaines, quelles qu’elles soient ; toutes méritent la réprobation de l’apôtre. Le salut ? Il nous vient de sentir en nous, toujours, le mal agissant et notre imperfection. Mais aussi, si nous avons la foi, de porter Dieu en nous. De sa seule présence naît l’espoir d’être justifié, de prendre rang parmi ces élus que, de toute éternité, il prédestine au salut, parce qu’il les aime assez pour les appeler à la vie éternelle. […]

Conception d’accent tout personnel. On voit de suite en quoi, et comment, elle pouvait procurer à Luther ce calme, cette paix que la doctrine traditionnelle de l’Église ne lui ménageait point. Ce mécontentement de lui-même qui ne l’abandonnait jamais ; ce sentiment aigu de la ténacité, de la virulence perpétuelle du péché qui persistait en lui à l’heure même où il aurait dû se sentir libéré et purifié ; cette conscience de ne jamais réaliser, même au prix des plus grands, des plus saints efforts, que des œuvres souillées de péché, d’égoïsme ou de convoitise ; tout ce qui faisait le désespoir, l’anxiété, le doute atroce de Luther — tout cela, il le concevait maintenant avec une force, une clarté indicibles : conditions voulues, par Dieu conditions normales et nécessaires du salut. Quel soulagement, et quelle résurrection !

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 34-35

[ théologie ] [ bénéfices secondaires ]

 

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protestantisme

En mai 1521 un disciple de Luther, le Bernhardi des thèses de 1518, donne l’exemple, étant prêtre et curé de Kempen, de contracter un mariage régulier. Le célibat des prêtres n’étant pas d’institution divine, Luther n’y trouve rien à redire, doctrinalement parlant. Pratiquement ? il est plutôt embarrassé, mécontent, un peu narquois. Cependant un vent de révolte souffle sur les couvents. Partout des religieux, des Augustins surtout, rompent la clôture et se muent en laïcs. Les voilà qui réclament le droit au mariage. Eux qui librement ont fait vœu de chasteté, peuvent-ils rompre ce vœu ? le peuvent-ils sans commettre ce que Luther en 1518 nommait le plus grave des sacrilèges ?

Il se trouve précisément quelqu’un pour dire oui, quelqu’un que connaît bien Luther : Carlstadt, l’ex-champion de Leipzig, depuis longtemps chanoine à Wittemberg, professeur à l’Université et archidiacre de la cathédrale. Nominalement désigné comme hérétique par la bulle Exsurge, cet homme opiniâtre, passionné et brouillon était parti, en mai 1521, au Danemark où le roi Christian II songeait à une réforme. Vite congédié, il revient à Wittemberg en juin et se jette en pleine mêlée. Tout de suite, la question du célibat l’attire. En attendant de la trancher pratiquement pour son compte — il célébrera son mariage le 26 décembre 1521 — il prétend la trancher doctrinalement pour les autres. A grands renforts de textes et de citations scripturaires, il établit sa thèse, claironne ses avis — et le retentissement de sa parole est grand.

Que dit cependant Luther ? Rien de curieux comme son attitude. D’abord il hésite. Il louvoie. Le mariage des religieux ? mais s’ils ont prononcé le vœu de chasteté, c’est de leur plein gré, librement, par choix. Comment pourraient-ils dès lors se délier ? La difficulté paraît insurmontable. Cependant Carlstadt continue sa campagne et Luther ses méditations. Et il hésite toujours. Il a des scrupules. Le 6 août 1521, il écrit encore à Spalatin ces mots amusants : "Par Dieu, nos Wittembergeois donneront femmes même aux moines ! A moi du moins, jamais !" Cependant il réfléchit. Il porte l’idée en lui. Elle l’habite, elle le travaille. Et brusquement, le 9 septembre 1521, une lettre part à l’adresse de Mélanchton. Luther a trouvé. Les arguments de Carlstadt ? défectueux. Son point de vue ? mal choisi. Le vrai, c’est que les vœux sont faits dans un esprit d’orgueil. C’est que les moines, quand ils les prononcent, les considèrent comme autant de bonnes œuvres, comptent sur eux pour s’acquérir la sainteté et, par-delà, l’éternelle béatitude. De tels vœux sont viciés. Ils sont mauvais. Ils sont nuls de plein droit.

Hésitation d’abord et recul instinctif devant la nouveauté révolutionnaire des solutions proposées, à l’école de la vie, par un Carlstadt. Puis, lent travail d’accommodation et de réflexion. D’une idée étrangère à Luther faire une idée luthérienne, qui puisse vraiment jaillir de la conscience profonde du réformateur : quand l’œuvre est accomplie ; quand Luther a pris possession réellement des pensées qui lui ont été comme tendues par autrui ; quand il les a rendues siennes, dans toute la force du terme : alors, une explosion soudaine, un de ces sauts brusques dont nous parlions plus haut. Et voilà l’hésitant du début, l’indécis, l’inquiet qui devance en pleine audace ceux qui l’ont mis en branle. Et voilà tout Luther, à cette date.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 138-139

[ assimilation personnelle ] [ hérésie ] [ légitimation ]

 

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dernières paroles

On dit que le lieutenant Roger Degueldre (1925 - 1962) du 1er régiment étranger de parachutistes, fut le créateur des commandos Delta de l'OAS. Issu d'une famille ouvrière, il avait fuit l'occupation allemande en 1940 pour se réfugier dans le sud de la France. En 1942, il rentre clandestinement dans la zone occupée et s'engage dans le maquis auprès des partisans communistes. Membre ensuite de la 10e Division d'infanterie motorisée qui participe à la réduction de la poche de Colmar en janvier 1945 il part ensuite à la Légion à la Libération, sous une fausse identité suisse. Identité qui lui sera rendue par décision ministérielle en 1955. Il gagne ses galons en Indochine puis en Algérie. Durant la semaine des barricades à Alger de janvier 1960 il reste, avec son régiment, fidèle au gouvernement français. Il est ensuite soupçonné d'avoir participé au complot avorté de 1960, contre le général de Gaulle peu après sa visite à Alger. Muté au 4e REI il nie les faits. Mais, convaincu de la nécessité de la lutte armée il passe alors dans la clandestinité en décembre 1960. A la mi-mars 1962 un "commando Delta", pénètre au centre social de Château-Royal dans la commune d'El-Biar, près d'Alger. Dans la salle de réunion sont rassemblés six dirigeants des centres sociaux qui sont alignés contre un mur de la cour et abattus à l'arme automatique. Degueldre est arrêté le 7 avril en tant que chef des commandos Delta. Il est traduit en justice et condamné à mort. De Gaulle prend la décision de faire fusiller le lieutenant qui, fidèle à son engagement "La mort plutôt que le déshonneur !", avait justifié son action dans l'OAS par ces mots : "Mon serment, je l'ai fait sur le cercueil du Colonel Jeanpierre. Plutôt mourir, Mon Colonel, que de laisser l'Algérie aux mains du FLN, je vous le jure !" Le 6 juillet, à l'aube, au fort d'Ivry, Degueldre se présente devant le peloton d'exécution en tenue de parachutiste, drapeau tricolore sur la poitrine. Autour de son cou, un foulard de la légion. Dans la poche intérieure de sa vareuse, la photo de son fils bébé qu'il n'a jamais vu. "Dites que je suis mort pour la France !" demande t'il à son défenseur. Puis il refuse qu'on lui bande les yeux et, au poteau crie : "Messieurs, Vive la France !" avant d'entonner la Marseillaise. Les soldats qui doivent l'exécuter, hésitent à tirer. La première salve le blesse seulement, une unique balle l'ayant atteint sur les douze qui furent tirées (au ventre dirent certains... au bras affirmèrent d'autres, on ne sait). L'adjudant chargé de donner le coup de grâce se précipite, l'arme à la main, et réalise que le condamné est toujours en vie. Sa tâche ne consiste plus à achever un quasi-mort avec douze balles dans le corps mais un vivant. Sa main tremble et le revolver se décharge dans le vide. Stupéfaction de l'assistance. Le procureur, mal réveillé, mécontent, fait signe à l'adjudant de se dépêcher. Degueldre est à demi recroquevillé, l'adjudant, peu sûr, pointe une nouvelle fois son arme sur sa tête, ferme les yeux et appuie sur la détente. Rien ne se produit, l'arme est enrayée. Une rumeur monte. Degueldre tourne la tête vers son exécuteur, de l'incompréhension dans le regard. Exaspéré, le procureur ordonne qu'une nouvelle arme soit amenée. Mais personne parmi les militaires présents n'en a avec lui. Il faut courir en chercher une... Pendant ce temps, pétrifié par la scène, glacé d'effroi, celui qui aurait du intervenir, le défenseur du condamné, demeure inerte. Degueldre le regarde. Enfin on remet un pistolet à l'adjudant qui, blanc comme un linge s'exécute. Le coup de feu claque. Stupeur ! Il a été tiré, non pas au-dessus de l'oreille comme l'exige le règlement, mais dans l'omoplate... Enfin une nouvelle détonation retentit. Les thuriféraires de l'officier porteront longtemps l'étendard de leur héros, citant la maxime du Delta : "Je ne vous garde pas rancune, je vous plains."

Auteur: Internet

Info:

[ exécution ] [ nationalisme ] [ patriotisme ]

 

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