Hélas, un borborygme s'éleva avec des volutes de contrebasse, mourut soudain, et elle toussa pour le détruire et l'embrouiller rétroactivement par un bruit antagoniste. Il lui baisa la joue pour faire atmosphère naturelle et adoucir cette humiliation. Mais aussitôt, majestueux, un autre borborygme retentit qu'elle camoufla en ce raclant la gorge. Contre un troisième, d'abord caverneux, puis mignon et ruisselet, elle lutta en appuyant sa main subrepticement mais fort, afin de le comprimer et le réduire, mais en vain. Un quatrième survient en mineur, triste et subtil. Plaçant tout son espoir en un changement de position, elle s'assit sur le fauteuil en face et dit à haute voix qu'il faisait beau. À voix tout aussi haute, il dit que c'était une journée vraiment merveilleuse, développa cependant qu'elle cherchait en catimini des postures destructrices de ces maudits bruits causés par le déplacement des gaz et des liquides dans un innocent estomac. Mais rien n'y faisait et de nouveaux venus surgissaient en grand vacarme, clamant leur droit à la libre expression. Il en guettait l’arrivée, les accueillait avec compassion, sympathisait avec la pauvrette, mais ne pouvait s'empêcher de les caractériser, tour à tour mystérieux, allègres, humbles, altiers coquins, véniels, funèbres. Enfin elle eut la bonne idée de se lever et de remonter le gramophone, pour une fois opportun. Alors le Concerto brandebourgeois en fa majeur retentit, étouffant les rumeurs intestines et Solal rendit grâces à cette musique, parfaite pour couvrir des borborygmes.
Hélas, le concerto pour scieurs de long terminé, un nouveau borborygme s'éleva, un beau borborygme, très réussi, élancé et divers, tout en spirales et fioritures, pareil à un chapiteau corinthien. Ensuite, il y en eut plusieurs à la fois, dans le genre grandes orgues, avec basson, bombarde, cor anglais, flageolet, cornemuse et clarinette. Alors, de guerre lasse, elle dit qu'il lui fallait s'occuper du diner. Deux motifs à cette décision, pensa-t-il. Le premier, à court terme, filer à la cuisine et y borborygmer en paix, sans témoin. Le second, de plus longue portée, se remplir le plus vite possible l'estomac, afin d'écraser et de mater les borborygmes qui, tassés par le poids des aliments ingérés, ne pourraient plus monter à la surface pour s'épanouir et gambader à l'air libre.