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non-voyant
Maintenant que j'avais pris conscience que les couleurs, elles aussi, avaient fini par s'envoler à jamais, je fus surpris de ne pas en être anéanti. J'aurais dû exploser, me révolter, crier ma rage d'être privé de cette dimension de la beauté. Vous qui pouvez contempler la magnificence d'une fleur, d'un tableau de maître, d'un coucher de soleil, soyez sûr de votre bonheur. moi, je m'étais enfoncé encore un peu plus dans les marais de la grisaille. Je ne me faisait plus d'illusions depuis longtemps : je savais que j'étais en train d'y disparaître complètement. Mais j'espérais ne pas y laisser ma peau, ayant préparé, tant bien que mal, les conditions de ma métamorphose.
Auteur:
Semelin Jacques
Années: 1951 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: historien et politologue devenu non-voyant vers la trentaine
Continent – Pays: Europe - France
Info:
J'arrive où je suis étranger
femme-par-homme
Maintenant il sentait qu'elle était un être humain, il sentait la sueur de ses aisselles, le gras de ses cheveux, l'odeur de poisson de son sexe, et il les sentait avec délectation. Sa sueur fleurait aussi frais que le vent de mer, le sébum de sa chevelure aussi sucré que l'huile de noix, son sexe comme un bouquet de lis d'eau, sa peau comme les fleurs de l'abricotier... et l'alliance de toutes ces composantes donnait un parfum tellement riche, tellement équilibré, tellement enchanteur, que tout ce que Grenouille avait jusque-là senti en fait de parfums, toutes les constructions olfactives qu'il avait échafaudées par jeu en lui-même, tout cela se trouvait ravalé d'un coup à la pure insignifiance.
Auteur:
Süskind Patrick
Années: 1949 - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Allemagne
Info:
Le parfum
[
fumet
]
curiosité
Après avoir consommé une touffe de caulerpes, elle doit parcourir de longues distances pendant plusieurs jours, sans rien manger, en quête d'une autre touffe de caulerpes. Notre petite limace résiste à ces longues périodes de disette grâce à un système étonnant. En avalant le suc des caulerpes, elle ingère les plastes de l'algue. Les plastes sont de petites "boîtes" (organites) contenant la chlorophylle, un pigment que l'on trouve dans les cellules de tous les végétaux verts. [...] Mais au lieu de les digérer, Elysia les stocke dans des cellules de ses diverticules intestinaux, situés à fleur de peau. C'est ainsi qu'après avoir dévoré les caulerpes à sa portée, notre limace devenue verte se retrouve munie de plastes qui vont lui servir de "batteries solaires" pour résister au jeûne.
Auteur:
Meinesz Alexandre
Années: 195? -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: professeur de biologie
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Comment la vie a commencé - les trois genèses du vivant (Nouvelle édition) p. 153-154
[
astuce
]
[
survie
]
rêvasser
(tu fais quoi à ton âge
quand il fait beau ?
je fais du jardinage :
j'arrose les fleurs de peau)
je rêvaisonne jour et nuit
entre ce temps qui désunit
car le chaos est de saison
entre le rêve et la raison
je rêvaisonne les yeux ouverts
avec l’amour à découvert
entre la faille et le dessert
quand l’espérance se met au vert
je rêvaisonne en noir et blanc
quand tous les autres font semblant
quand tout le monde est au volant
je rêvaisonne en cerf-volant
je rêvaisonne sans but précis
comme dans une belle anesthésie
quand le futur se rétrécit
en endeuillant la poésie
Auteur:
Radu Bata
Années: 195? - 20??
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain, poète
Continent – Pays: Europe - France ?
Info:
Le fou rire de la pluie, rêvaison, p 86
[
poème
]
synesthésie
Maria sait la couleur des gens, la couleur des sons et des odeurs. Les couleurs invisibles sont son secret et son privilège. William, par exemple, est d'un pourpre dense et terreux, Céline d'un gris très doux. Une brillance d'oignon rouge jaillit de Thomas, et de la mère de Maria l'orange d'une fleur de souci. Son père n'avait pas vraiment de couleur, ou alors elle ne s'en souvient plus, n'a pas eu le temps de la percevoir. Alain, lui, vibrait d'un brun de pain brûlé qui se muait parfois en long grésillement. Pour Maria, la frontière est mince qui sépare les odeurs et les sons. Et puis, bien sûr, il y a Marcus. Marcus est d'un vert splendide, celui d'une soupe de cresson saturée de crème, celui de la première peau d'une fève. Ce soir-là, le vert de Marcus est un baume qui, dans la cuisine, l'aide à reprendre pied.
Auteur:
Villeneuve Angélique
Années: 1965 -
Epoque – Courant religieux: récent et libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: styliste culinaire, écrivaine
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Maria
[
rapports humains
]
déclaration d'amour
Comme une grande fleur ...
Comme une grande fleur trop lourde qui défaille,
Parfois, toute en mes bras, tu renverses ta taille
Et plonges dans mes yeux tes beaux yeux verts ardents,
Avec un long sourire où miroitent tes dents...
Je t'enlace ; j'ai comme un peu de l'âpre joie
Du fauve frémissant et fier qui tient sa proie.
Tu souris... je te tiens pâle et l'âme perdue
De se sentir au bord du bonheur suspendue,
Et toujours le désir pareil au coeur me mord
De t'emporter ainsi, vivante, dans la mort.
Incliné sur tes yeux où palpite une flamme
Je descends, je descends, on dirait, dans ton âme...
De ta robe entr'ouverte aux larges plis flottants,
Où des éclairs de peau reluisent par instants,
Un arôme charnel où le désir s'allume
Monte à longs flots vers moi comme un parfum qui fume.
Et, lentement, les yeux clos, pour mieux m'en griser,
Je cueille sur tes dents la fleur de ton baiser !
Auteur:
Samain Albert
Années: 1858 - 1900
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: poète
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Recueil : Le chariot d'or
[
poème
]
scène bucolique
Le silence majestueux qui régnait dans ce bocage, oublié peut-être sur les rôles du percepteur, fut interrompu tout à coup par les aboiements de deux chiens. Les vaches tournèrent la tête vers l’entrée du vallon, montrèrent à Raphaël leurs mufles humides, et se remirent à brouter après l’avoir stupidement contemplé. Suspendus dans les rochers comme par magie, une chèvre et son chevreau cabriolèrent et vinrent se poser sur une table de granit près de Raphaël, en paraissant l’interroger.
Enfin, les jappements des chiens attirèrent au dehors un gros enfant qui resta béant, puis vint un vieillard en cheveux blancs et de moyenne taille. Ces deux êtres étaient en rapport avec le paysage, avec l’air, les fleurs et la maison. La santé débordait dans cette nature plantureuse, la vieillesse et l’enfance y étaient belles ; enfin il y avait dans tous ces types d’existence un laisser-aller primordial, une routine de bonheur qui donnait un démenti à nos capucinades philosophiques, et guérissait le cœur de ses passions boursouflées.
Auteur:
Balzac Honoré de
Années: 1799 - 1850
Epoque – Courant religieux: industriel
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - France
Info:
Dans "La peau de chagrin", Librairie générale française, 1984, page 340
[
simplicité
]
brutalité
Tu sais quoi ? Tout ce que l'Église nous a enseigné, c'est que des mensonges. Ça ne s'est pas passé comme ils le disent avec Marie, celle de Lujàn ou Caacupé. La reine d'entre les reines n'est pas la mère du Christ. Ce n'est pas la Vierge Marie. La reine d'entre les reines, ici et n'importe où ailleurs, est et sera toujours la Violence. Parce que ça c'est une mère... la mère de tous les maux. Celle qui nous galvanise. Ce n'est pas pour rien si violence rime avec essence. Parce qu'elle est en nous, comme une force primaire. Oui, elle est en nous, tapie au plus profond. Chez tous. Chez certains, elle sommeille, et il vaut mieux ne pas réveiller l'eau qui dort. Chez d'autres, comme moi, elle est à fleur de peau. Et l'endroit où l'on vit n'y est pas étranger. Comment faire pour s'éloigner de toute cette merde? J'ai l'impression qu'en foutant le camp, on réussit simplement à échanger une merde contre une autre, d'une couleur différente.
Auteur:
Oyola Leonardo
Années: 1973 -
Epoque – Courant religieux: Récent et Libéralisme économique
Sexe: H
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Amérique du sud - Argentine
Info:
Golgotha
[
pulsion
]
judéo-christianisme
Ah! S'il pouvait comprendre ces Juifs aussi aisement qu'il saisit presque d'emblée les intentions d'un paysan! Mais là, avec leurs tefillins, leurs chapeaux, leur langue si bizarre - et il voit d'un oeil d'autant plus favorable les efforts du père Pikulski pour l'apprendre - et leur religion suspecte! Pourquoi suspecte? Car trop proche! Les livres sont les mêmes, Moise, Abraham, Isaac sur un rocher menace par le couteau de son père, Noé et son arche, tout est pareil, mais comme placé dans un environnement différent. Noé n'a plus la même allure, il semble tordu; pareil pour son arche, qui est juive, décorée, orientale et débordante. Isaac, qui a toujours été un garconnet blond à la peau rose, y devient un enfant sauvage, renfermé et plus du tout si inoffensif. Chez nous, tout est plus léger, songe l'évêque, esquisse d'une main élégante, c'est subtil et expressif. Chez eux, c'est sombre et concret, maladroit et littéral. Leur Moise est un vieux type aux pieds osseux; le nôtre est un vieillard respectable à la barbe fleurie.
Auteur:
Tokarczuk Olga
Années: 1962 -
Epoque – Courant religieux: Récent et libéralisme économique
Sexe: F
Profession et précisions: écrivain
Continent – Pays: Europe - Pologne
Info:
Les livres de Jakob
[
conflictuel
]
[
antagonique
]
amour
Ton corps muet au bord des nuits, c’est candeur –
tes cheveux quand ils infusent dans les bassines de
lait pleine lune, alors la nacre – tes clavicules trop
fines – tes jambes à peine cuites – J’y veille et
j’affleure... Car quand tu te montres le jour, alors
les fleurs : béates.
Les alvéoles de ta peau, c’est dentelle, personne ne
le sait – tes cils emmêlés, c’est l’empire de tes
larmes, je l’ai vu.
J’ai cherché la beauté des autres, rien du tout.
Puisse ton odeur être celle du foin frais, car tes
lèvres, elles, me criaient déjà d’autres vendanges.
Sur ta nuque j’avais trouvé les effluves d’un autre
possible.
Ta voix brune quand tu dis bonsoir, c’est cantique
des cantiques et tes yeux clair de lune tous me l’ont
dit c’est l’éclipse mi-mars... Car quand tu te montres
la nuit, alors les étoiles : béates.
Auteur:
Rouyau Mathilde
Années: 2001
Epoque – Courant religieux: postmodernité
Sexe: F
Profession et précisions:
Continent – Pays: Europe - France
Info:
[
poème
]