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désespérée

Elle ne voulait plus vivre. Elle voulait mourir

mais parce qu'elle ne voulait pas le reconnaître

elle tombait malade chaque jour

d'une maladie nouvelle

elle brûlait à petit feu dans une fièvre éternelle

et se promenait partout avec sa fièvre avec ses maladies

comme on promène une meute de chiots espiègles et fidèles

avec soi en laisse.

Oh. Elle marchait droite et mince dans les rues

et souriait à tout le monde de loin.

Oui. De loin

En réalité elle ne voulait plus vivre

Elle ne désirait rien – que la terre et l'herbe

le ciel et l'eau. Oui. Les éléments purs et éternels

Elle regardait le cœur serré par la pitié

toutes les créatures jeunes et vivantes

car elle avait compris – oh – elle avait très tôt compris

non seulement que la vie n'est que cruauté

mais qu'elle est aussi une épreuve

oui une épreuve : pour rien

et que le surhumain fait sur nous des tests

comme ça

comme nous allons au spectacle

pour passer notre temps

Elle savait qu'il n'existe ni sens ni gloire ni salut

elle savait que dans ce monde plein de dieux tout est inutile

Et elle voulait mourir

Oh oui elle voulait mourir

comme le lin qui s'effiloche en terre

comme le chanvre qui fond dans la rivière

comme l'aigrette du pissenlit qui disparaît dans le vent

Elle ne voulait plus vivre

non

elle avait peur que dans longtemps des siècles plus tard

les éléments de son corps aillent par hasard se réunir

et se souvenir de sa vie de Marta son nom

Aussi souriait-elle à tous écartelée et lointaine

Auteur: Petreu Marta

Info: De loin, 15 mai 2004. Traduit du roumain par Ed Pastenague

[ poème ]

 

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littérature

Après plusieurs heures d'une lutte sans nom, Link finit par s'endormir grâce à la forte dose de somnifères qui lui était prodiguée en continu par intraveineuse. Son pouls redevenait régulier et ses autres signes vitaux se stabilisaient progressivement. Il s'engouffrait désormais dans le grand sommeil noir, première étape vers le repos des braves.
Dehors, la foule nombreuse était littéralement suspendue aux lèvres des médecins qui s'occupaient de Lui. Sans volonté métaphorique aucune, cela faisait plusieurs semaines que le monde s'était arrêté de tourner. Aux quatre coins du globe, les Grands Conseillers avaient proclamé le stand-by général. Sur la Place Saint-Pierre à Rome, devant le Mur des Lamentations ou encore face aux écrans géants de Times Square, partout régnait la même tension. Dans chaque grande ville ou petit village où l'information était parvenue, les masses s'étaient spontanément rassemblées à l'annonce de l'hospitalisation de leur Héros. Les gens ne rentraient même plus chez eux pour manger ou pour dormir. Ils ne vivaient plus, ils attendaient. Une attente insupportable que quelques oiseaux de mauvais augure rendaient plus pénible encore par le colportage de fausses rumeurs. Par nécessité, d'immenses convois acheminaient des vivres sur les lieux de rassemblement. Pour fuir la réalité, les meilleurs musiciens n'avaient de cesse d'interpréter leurs plus belles oeuvres, devant des publics en transe implorant le Seigneur de laisser la vie sauve à son dernier Prophète. Le havre de paix créé par Link était en pleine effervescence, malgré la probabilité élevée d'une épreuve traumatisante à venir. Les hommes ne voulaient tout simplement pas songer à ce qui se produirait s'Il venait à disparaître. Les derniers grands philosophes soutenaient que face à une telle perte l'humanité retournerait certainement à la précarité ; de la même façon qu'elle s'y était embourbée la première fois, rapidement et inéluctablement. Mais cela faisait bien longtemps que plus personne ne prêtait attention à ces mauvaises langues charlatanes.

Auteur: Bicchielli Dario

Info: Tragédies salutaires

[ idolâtrer ]

 

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Éternel

Dieu est une maladie du cœur. Notre besoin de trouver de l'aide a conçu ce soutien incertain qui conforte les êtres faibles et impuissants dans leur faiblesse. Les forts — ceux qui portent sur leur dos leurs incertitudes, ceux qui ont du courage dans leur absence de fondement — se trouvent toujours en dehors de Lui ; ils vivent sans la superstition d'aucune majuscule. […] La diversité des formules par lesquelles nous exprimons le bien suprême reflète sous sa véracité apparente un même élan, en profondeur. Dieu ou les dieux ; l'État ou la civilisation ; l'autorité ou le progrès ; une nation, une classe ou bien un individu ; l'immortalité ou le paradis terrestre — autant de visage de l'éternel Veau d'or. Le désir d'isoler un concept hors d'une suite abstraite, ou bien un objet hors du monde concret, et de le couronner d'une majuscule, est le fruit d'une soif profonde ; son résultat : l'Histoire. De la chaîne universelle des êtres et des choses, quelqu'un ou quelque chose doit s'extraire et s'élever à l'indépendance ; il faut qu'un chaînon ne soit plus attaché aux autres. Ainsi le cœur proteste-t-il contre le déterminisme. Il crée un symbole de liberté dont tout dépend. De la sorte, il assure son confort dans le cosmos et trompe sa faiblesse. […] En Dieu nous ne faisons que fuir la lumière incurable et stérile de ce monde, nous nous réfugions dans une obscurité chaude et germinative, productive à l'infini et inaccessible, nous nous défendons contre les tentations qui nous mangent et nous rongent, qui nous révéleraient une vérité irrespirable et un ciel sans consolation. La force nous manque pour endurer l'épreuve des visions lucides. La santé parfaite de la raison qui en toute chose contemple le rien, l'esprit qui fraternise avec le vide à l'entour — sont fatals à l'âme. Aussi enfante-t-elle Dieu et tous ses succédanés terrestres, pour garder son équilibre, lequel n'est, à la lumière de la raison, que déficience et construction démente.

Auteur: Cioran Emil Michel

Info: Divagations

[ refuge ] [ réconfort ] [ illusion ] [ inutile ]

 

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carence

Le deuil s'avère être un terrain qu'aucun d'entre nous ne connaît avant d'y être. Nous anticipons (nous savons) qu'un de nos proches pourrait mourir, mais nous ne voyons pas plus loin que les quelques jours ou semaines qui suivent immédiatement pareille mort imaginée. Nous nous méprenons sur la nature même de ces quelques jours ou semaines. Si la mort est soudaine, on peut s'attendre à ressentir un choc. On ne s'attend pas à ce que le choc soit oblitérant, disloquant à la fois le corps et l'esprit. On peut s'attendre à être prostré, inconsolable, fous de douleur. Mais pas à en devenir littéralement fous, comme ces clientes cools qui croient que leur mari est sur le point de revenir et qu'il aura besoin de ses chaussettes. Dans la version du deuil que nous imaginons, le modèle sera "cicatrisant". Aller vers l'avant primera. Les pires jours seront les premiers jours. On s'imagine que le moment qui nous mettra le plus à l'épreuve sera  l'enterrement, ensuite duquel cette hypothétique guérison se produira. Lorsque nous imaginons les funérailles, nous nous demandons si nous pourrons "passer au travers", nous montrer à la hauteur de l'événement, faire preuve de la "force" qui est invariablement mentionnée comme étant la bonne réponse à la mort. On s'attend à devoir s'endurcir pour le moment : pourrai-je saluer les gens, pourrai-je quitter les lieux, pourrai-je même m'habiller ce jour-là ? Nous n'avons aucun moyen de savoir que ce le cas ou pas. Aucun moyen de savoir si les funérailles elles-mêmes seront anodines, une sorte de régression narcotique dans laquelle on est  enveloppé par les attentions des autres et par la gravité et la signification de l'occasion. Nous ne pouvons pas non plus savoir à l'avance (et c'est là que réside le cœur de la différence entre le deuil tel que nous l'imaginons et le deuil tel qu'il est) l'absence sans fin qui suit, le vide, le contraire même du sens, la succession implacable de moments au cours desquels nous serons confrontés à l'expérience de l'absence de sens elle-même.

Auteur: Didion Joan

Info: The Year of Magical Thinking. Trad Mg

[ irrémédiable ] [ définitive ] [ âme-parente ]

 

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intégration durable

Dans Psychologie et Alchimie, Jung parle d’un homme qui avait rêvé qu’une femme inconnue, l’anima, adorait le soleil. Cela signifie que tout le génie spirituel de cet homme était encore dans l’inconscient, encore en relation avec le niveau animal. De telles personnes peuvent faire de grandes découvertes, mais seulement parce que celles-ci émergent de l’inconscient. Elles n’ont pas travaillé à découvrir ces choses par elles-mêmes, elles leur sont simplement venues à l’esprit. Un élément neuf qui n’a pas été consciemment acquis peut facilement se perdre à nouveau. C’est un simple don de l’anima qui est susceptible de retomber dans l’inconscient. (…)
Cela me fait penser à la situation de ces personnes qui ayant des expériences extrêmement fortes pendant leur analyse, ont ensuite les plus grandes difficultés à les amener dans leur vie. Elles demandent : "Alors, que vais-je faire maintenant ?" Mais l’expérience intérieure s’est évanouie. On peut faire une merveilleuse analyse sans que rien ne bouge dans le champ du conscient. C’est comme de prendre un bain : on se sent propre, mais rien n’a réellement changé.
L’expression technique pour désigner cela en mythologie est "la difficulté du retour". Le héros est sorti vainqueur de grandes épreuves, il a tué le dragon, etc., mais sur le chemin du retour, il s’endort et tout est perdu à nouveau ; ou bien le trésor lui est volé comme dans l’épopée de Gilgamesh à qui un serpent dérobe l’élixir de vie pendant qu’il se baigne dans un étang. Il semble que réussir la transition du retour, se reconnecter à la vie extérieure, soit un aussi grand exploit que de se confronter, comme on l’a fait avant, avec l’inconscient. Si ce retour ne s’accomplit pas bien, tout ce qui s’est passé est comme une soûlerie : on se réveille avec une gueule de bois, et puis, quelque temps après, tout redevient comme avant.
C’est la raison pour laquelle Jung était contre l’hypnose : les découvertes intérieures ne durent pas si elles ne sont pas faites pas à pas et vraiment consolidées dans le conscient. Les techniques rapides n’obtiennent pas de résultat durable parce que l’inconscient et le moi n’ont pas été réunis.

Auteur: Franz Marie-Louise von

Info: Dans "L'animus et l'anima dans les contes de fées"

[ processus général ] [ figures masquées ]

 
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explication

On pourrait croire que le mot "Dieu est mort" énonce une opinion de l’athée Nietzsche, qu’il ne s’agit par conséquent que d’une prise de position personnelle, donc partiale et aisément réfutable par le renvoi à l’exemple de nombre de personnes qui, un peu partout, vont toujours à l’église et subissent leurs diverses épreuves avec une confiance chrétienne en Dieu. Il faut bien pourtant se demander si ce mot n’est qu’une idée d’illuminé, d’un penseur on sait fort exactement qu’il a fini par devenir fou, ou bien si Nietzsche ne prononce pas plutôt la parole qui, tacitement, est dite depuis toujours dans l’histoire de l’Occident déterminée par la métaphysique.
(…)
De cette phrase, il ressort que le mot de Nietzsche sur la mort de Dieu concerne bien le Dieu chrétien. Mais il n’est pas moins certain, d’autre part, et il faut bien s’en rendre compte d’avance, que les noms de "Dieu" et de "Dieu chrétien" sont utilisés, dans la pensée nietzschéenne, pour désigner le monde suprasensible en général. "Dieu" est le nom pour le domaine des Idées et des Idéaux. Depuis Platon, et plus exactement depuis l’interprétation hellénistique et chrétienne de la philosophie platonicienne, ce monde suprasensible est considéré comme le vrai monde, le monde proprement réel. Le monde sensible, au contraire, n’est qu’un ici-bas, un monde changeant, donc purement apparent et irréel. L’ici-bas est la vallée des larmes, par opposition au mont de la félicité éternelle dans l’au-delà. Si nous appelons, comme le fait encore Kant, le monde sensible "monde physique", au sens large du mot, alors le monde suprasensible est le monde métaphysique.

Ainsi le mot "Dieu est mort" signifie : le monde suprasensible est sans pouvoir efficient. Il ne prodigue aucune vie. La métaphysique, c’est-à-dire pour Nietzsche la philosophie occidentale comprise comme platonisme, est à son terme. Quant à Nietzsche, il conçoit lui-même sa philosophie comme un mouvement anti-métaphysique, c’est-à-dire pour lui, anti-platonicien.
(…)
Si Dieu, comme Cause suprasensible et comme Fin de toute réalité, est mort, si le monde suprasensible des Idées a perdu toute force d’obligation et surtout d’éveil et d’élévation, l’homme ne sait plus à quoi s’en tenir, et il ne reste plus rien qui puisse l’orienter.

Auteur: Heidegger Martin

Info: Dans "Le mot de Nietzsche "Dieu est mort"" in Chemins qui ne mènent nulle part, pp. 257-258 & 261-262

[ nihilisme ] [ perdu ]

 
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parentalité

L'enfant ne reçoit de la mère que parce que la mère a reçu de l'enfant.

On oublie qu'un enfant apporte une force fantastique à un adulte.

On croit que la mère donne comme si c'était à une poupée devenue vivante ; c'est la vie même qui l'a habitée qui lui a donné cette force fantastique morale qui se métabolise en sentiments maternels.

C'est l'enfant qui crée la mère.

La mère donne naissance à l'enfant que son homme lui a permis de mettre au monde ; situation triangulaire ; l'enfant apporte à sa mère une force qu'elle lui rend sous forme d'amour.

En ce moment, ce qui est terrible, c'est que les parents pensent : "Avoir un enfant, on ne pourra jamais, la vie est trop difficile ; on n'a pas d'argent, pas de place, pas de travail ... comment fera-t-on ?"

Ils ne pensent pas que l'enfant amène avec lui une grande force.

Certains recourent à l'IVG.

Je trouve cette histoire de l'IVG soi-disant légalisée terrible.

C'est tout à fait différent de dépénaliser l'aide à une femme à ne pas laisser venir son enfant à terme que de légaliser l'avortement.

Dépénaliser, c'était indispensable parce qu'il n'y avait que les personnes riches qui pouvaient se faire avorter sans le risque de devenir infirmes et stériles pour la vie.

Mais légaliser l'avortement est une folie décadente pour une société : c'est stupide, cela veut dire qu'elle est bien malade.

C'est fou la force qu'un enfant apporte à ses parents.

C'est une chose qui n'est pas assez dite.

Toutes les personnes qui ont eu des enfants au milieu de difficultés considérables, économiques ou autres, vous diront que l'enfant leur donne la force de traverser quantité d'épreuves.

Avant d'avoir un enfant ils disent : "On n'aura plus de liberté !", mais quand l'enfant est là ils n'ont plus envie de leur liberté, tellement il remplit leur existence de la joie de vivre, d'être avec lui, bien sûr à condition qu'ils soient suffisamment adultes pour être prêts à vivre cette expérience unique pour le premier enfant et qui se répète pour les enfants suivants.

"L'adulte doit donner", dites-vous ; mais non : il se trouve que l'adulte donne parce que l'enfant lui a donné.

Auteur: Dolto Françoise

Info:

[ problèmes dérisoires ] [ moteur ] [ motivation ]

 

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psycho-sociologie post-industrielle

La croyance qui règne aujourd'hui est que la proximité entre les personnes est un bien moral. Le credo en cours aujourd'hui c'est de développer la personnalité individuelle au travers d'expériences de proximité et de chaleur avec les autres. Le mythe qui prévaut aujourd'hui est que les maux de la société peuvent tous être compris comme des problèmes d'impersonnalité, d'aliénation et de froideur. La somme de ces trois éléments consiste en une sorte d'idéologie de l'intimité : les relations sociales de toutes sortes sont réelles, crédibles et authentiques plus elles se rapprochent des préoccupations psychologiques intérieures de chaque personne. Cette idéologie transforme les catégories politiques en catégories psychologiques. Cette idéologie de l'intimité définit l'esprit humanitaire d'une société sans dieux : ce qui est chaleureux représente la divinité. L'histoire de la montée et de la chute de la culture publique remet pour le moins en question cet esprit humanitaire. La croyance en la proximité entre les personnes en tant que bien moral est en fait le produit d'une profonde dislocation que le capitalisme et la croyance laïque ont généré au siècle dernier. Du à cette dislocation les gens ont voulu trouver des significations personnelles au sein de situations impersonnelles, dans des objets ou dans les conditions objectives de la société elle-même. 

Ne parvenant plus à trouver ces significations, à mesure que le monde devenait psychomorphe et donc mystificateur, ils ont alors cherché à fuir, et à trouver dans les domaines privés de la vie, en particulier dans la famille, un principe d'ordre dans la perception de la personnalité. Ainsi, le passé a construit un désir caché de stabilité dans ce désir manifeste de proximité entre  êtres humains. Même si nous nous sommes révoltés contre les rigidités sexuelles sévères de la famille victorienne, nous continuons à faire peser sur les relations étroites avec les autres ces désirs cachés de sécurité, de repos et de permanence. Lorsque les relations ne peuvent supporter ces fardeaux, nous concluons qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la relation, plutôt que dans les attentes non exprimées. Parvenir à un sentiment de proximité avec les autres est donc souvent le résultat d'un processus de mise à l'épreuve ; la relation est à la fois proche et fermée. Si elle change, si elle doit changer, il y a un sentiment de confiance trahi. La proximité chargée d'attente de stabilité rend la communication émotionnelle - déjà assez dure en elle-même - plus difficile d'une marche. L'intimité en ces termes peut-elle vraiment être une vertu ? 

 

Auteur: Sennett Richard

Info: The Fall of Public Man

 
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déclaration d'amour

Ah ! Sophie, Sophie ! Ose me dire que ton amant t'est plus cher aujourd'hui que quand tu daignais m'écouter et me plaindre, et que tu m'attendrissais à mon tour aux expressions de ta passion pour lui ! Tu l'adorais et te laissais adorer ; tu soupirais pour un autre, mais ma bouche et mon coeur recueillaient tes soupirs. Tu ne te faisais point un vain scrupule de lui cacher des entretiens qui tournaient au profit de ton amour. Le charme de cet amour croissait sous celui de l'amitié ; ta fidélité s'honorait du sacrifice des plaisirs non partagés. Tes refus, tes scrupules étaient moins pour lui que pour moi. Quand les transports de la plus violente passion qui fut jamais t'excitaient à la pitié, tes yeux inquiets cherchaient dans les miens si cette pitié ne t'ôterait point mon estime ; et la seule condition que tu mettais aux preuves de ton amitié était que je ne cesserais point d'être ton ami. Cesser d'être ton ami ! Chère et charmante Sophie, vivre et ne plus t'aimer est-il, pour mon âme, un état possible ? Eh ! Comment mon coeurs se fût-il détaché de toi, quand aux chaînes de l'amour tu joignais les doux noeuds de la reconnaissance ? J'en appelle à ta sincérité. Toi qui vis, qui causas ce délire, ce pleurs, ces ravissements, ces extases, ces transports qui n'étaient pas faits pour un mortel, dis, ai-je goûté tes faveurs de manière à mériter de les perdre ? [...] Ressouviens-toi du mont Olympe, ressouviens-toi de ces mots écrits au crayon sur un chêne. J'aurais pu les tracer du plus pur de mon sang, et je ne saurais te voir ni penser à toi qu'il ne s'épuise et ne renaisse sans cesse. Depuis ces moments délicieux où tu m'as fait éprouver tout ce qu'un amour plaint, et non partagé, peut donner de plaisir au monde, tu m'es devenue si chère que je n'ai plus osé désirer d'être heureux à tes dépens, et qu'un seul refus de ta part eût fait taire un délire insensé. Je m'en serais livré plus innocemment aux douceurs de l'état où tu m'avais mis ; l'épreuve de ta force m'eût rendu plus circonspect à t'exposer à des combats que j'avais trop peu su te rendre pénibles. J'avais tant de titres pour mériter que tes faveurs et ta pitié même ne me fussent point ôtées ; hélas ! que faut-il que je me dise pour me consoler de les avoir perdues si ce n'est que jamais trop pour les avoir conservées. [...]

Auteur: Rousseau Jean-Jacques

Info: à Sophie D'Houdetot vers le 15 octobre 1757

[ regrets ]

 

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monastère

L’ensemble des constructions de la Grande Chartreuse couvre une étendue de cinq hectares et ses bâtiments sont abrités par quarante mille mètres carrés de toiture. Au seul point de vue topographique, ces chiffres justifient suffisamment l’épithète de grande inséparable du nom de Chartreuse, quand on veut désigner ce caput sacrum de toutes les chartreuses de la terre. On dit la Grande Chartreuse comme on dit Charlemagne.



Écrasée une première fois par une avalanche, au lendemain de sa fondation, et reconstruite presque aussitôt sur l’emplacement actuel, moins exposé à la chute des masses neigeuses ; saccagée deux fois de fond en comble par les calvinistes et les révolutionnaires, cette admirable Métropole de la Vie contemplative a été incendiée huit fois en huit siècles. Ces huit épreuves par le feu, symbole de l’Amour, rappellent à leur manière les huit Béatitudes évangéliques, qui commencent par la Pauvreté et finissent par la Persécution.



Enfin, le 14 octobre 1792, la Grande Chartreuse fut fermée par décret de l’Assemblée nationale et rouverte seulement le 8 juillet 1816. Pendant vingt-quatre ans, cette solitude redevint muette, de silencieuse qu’elle avait été si longtemps, muette et désolée comme ces cités impies de l’Orient que dépeuplait la colère du Seigneur.



C’est qu’il lui fallait payer pour tout un peuple insolvable que pressait l’aiguillon du châtiment, en accomplissement de cette loi transcendante de l’équilibre surnaturel, qui condamne les innocents à acquitter la rançon des coupables. Nos courtes notions d’équité répugnent à cette distribution de la Miséricorde par la Justice. Chacun pour soi, dit notre bassesse de cœur, et Dieu pour tous. Si, comme il est écrit, les choses cachées nous doivent être révélées un jour, nous saurons, sans doute à la fin, pourquoi tant de faibles furent écrasés, brûlés et persécutés dans tous les siècles ; nous verrons avec quelle exactitude infiniment calculée furent réparties, en leur temps, les prospérités et les douleurs, et quelle miraculeuse équité nécessitait passagèrement les apparences de l’injustice !



Chose digne de remarque, la Grande Chartreuse continua d’être habitée. Un religieux infirme y resta et n’y fut jamais inquiété, bien qu’il portât toujours l’habit. Le 7 avril 1805, — c’était le dimanche des Rameaux, — on le trouva mort dans sa cellule, à genoux à son oratoire : il avait rendu son âme à Dieu, en priant.



[…] Aujourd’hui, la Grande Chartreuse est aussi prospère que jamais. Les innombrables voyageurs peuvent rendre témoignage de l’étonnante vitalité de cette dernière racine du vieux tronc monastique, que quatre révolutions et quatre républiques n’ont pu arracher du sol de la France.

Auteur: Bloy Léon

Info: Dans "Le Désespéré", Livre de poche, 1962, pages 102-104

[ historique ] [ signes d'élection ] [ communion des saints ]

 

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