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orgasme

Pour cet ultime rendez-vous quotidien, ton visage disparaît, je me couche nue sur le dos, les mains croisées sur la poitrine - elles font ça d'elles-mêmes, ce n'est pas moi, c'est mon corps qui de lui-même s'arrange comme ça - Dans le noir mon voyage commence vers la lumière. J'appelle ça prier. Je ne récite aucune prière, je n'en connais pas, je ne demande rien non plus -, je n'aspire pas à un Ciel habité d'une sorte de Père Noël duquel je pourrais espérer tel ou tel bienfait, encore moins telle ou telle satisfaction. J'aspire simplement à gagner le Ciel, ici même en cette vie, jour après jour, nuit après nuit après nuit. A le gagner et à le perdre, pour le gagner de nouveau, le perdre encore et le retrouver toujours, le feu à l'âme. Mon âme en flammes m'allume le feu au ventre, je sais que j'atteins la prière réelle où je pourrais crier et me tordre de joie, même si je reste muette et immobile comme une morte j'aspire à être seule dans un dialogue qui est tour à tour de paix et de violence j'aspire à la question de l'amour qui est tour à tour gifle et joie, j'aspire à la gifle qui réveille reçue ou envoyée, et à la joie qui transporte et transfigure je n'aspire pas l'ataraxie mais au combat et à la jouissance, aux assauts toujours renouvelés. Je suis virile de ma relation à Dieu autant que féminine, je suis au-delà de l'homme et de la femme mais rien moins qu'asexuée avec Dieu, je suis toute sexe, de là où le sexe est si pur et absolu qu'il rejoint l'Amour, Eros uni à Agapè dans la même brûlure. Et je vénère Dieu de me permettre de repousser ainsi sans cesse les limites de ma liberté, avec Lui et par conséquence avec les hommes. Comment est-il possible de jouir autant ? A aller aussi loin, souvent je ne sais plus que faire de moi-même et comment je tiens encore ds mon corps, comment je n'en meurs pas d'épuisement et de plénitude. Je combats avec l'ange, Lui et moi à tout instant combattant derrière le rideau, et cette Lutte toujours renouvelée poursuit le but de vous livrer à toi, lecteur, lectrice, entremêlés et indécents comme nous sommes, ouvrir le rideau sur notre noble tragique et heureuse obscénité.
Je t'aime mon ange.

Auteur: Reyes Alina

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[ pensée-de-femme ] [ plaisir ]

 

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abrutissement

On rejette toujours quelque peu ce qu'on a aimé. Roger Federer n'y échappe pas. Ne représente-t-il pas la standardisation du business à l'américaine, avec tous ses poncifs rebattus, abrutissants ?
Federer est et restera comme un des plus grands joueurs de tennis de l'histoire, mais son côté lisse, amasseur de succès et de pognon "comme les autres", son rôle de créateur de rêve télévisuels - pour les fans de son jeu ou de sa personne (encore plus pour les helvètes dont je fait partie), sa réussite professionnelle.. tout ceci n'est pas si idyllique que cela. Le recul permet d'analyser un peu mieux son "rôle". Un rôle qui dissimule en fait une réalité moins réjouissante.
Sans vouloir dénigrer la personne par des attaque ad hominem du genre "RF est né une cuillère d'argent dans la bouche.. ou encore : RF a établi sa base arrière à Dubaï, un pays qui se comporte de manière peu sympathique avec les travailleurs, hindous, bengalis et népalais principalement, qui viennent y travailler et se faire exploiter sans que jamais le champion ne l'évoque..."
Je voudrai simplement expliquer que Roger Federer est en fait un pion du système global de propagande et de profit industriel mis en place après la victoire des américains en 1945. L'image m'est apparue en voyant la dernière vidéo promo pour ses raquettes Wilson.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale rien n'a changé. Les US ont standardisé tellement de choses, leur fonctionnement interne semble immuable... "be adjusted".. et voilà, les reste tourne tout seul. Pollution, virtualisation de l'argent, épuisement des ressources terrestres, déséquilibre grandissant, etc... nous sommes tous les participants/témoins d'un grand train qui fonce dans la falaise toutes sirènes dehors.
RF est agréable, équilibré, un bon papa qui change les couches de ses jumelles et écourte ses nuits... talentueux, travailleur, égocentré - c'est nécessaire, mais combien faut-il l'être pour accomplir ce qu'il a fait ?... - de surcroit animateur d'une fondation pour aider les jeunes africains du sud, aidé par sa maman qui est originaire de ce pays. Bref rien à dire.
Roger Federer m'énerve, il est le parangon de la réussite matérielle imbécile, celle des gens qui roulent en 4x4, celle qui fait la promotion des arguments pousse-à-jouir de la société de consommation. Il fait partie de la division spectacle de l'industrie des vendeurs d'armes, il est le "décoratif aliénant" d'un monde qui ne réfléchit pas.
Nous avons besoin de "dépaysant libérateur".

Auteur: Mg

Info: 15 oct 2009

[ divertissement ] [ nationalisme ]

 

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objet d'investissement

Qu’est-ce qui différencie le deuil de la mélancolie ?

Pour le deuil, il est tout fait certain que sa longueur, sa difficulté, tient à la fonction métaphorique des traits conférés à l’objet de l’amour, en tant qu’ils sont des privilèges narcissiques. […] Freud insiste bien sur ce dont il s’agit – le deuil consiste à identifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau par morceau, signe à signe, élément grand I à élément grand I, jusqu'à épuisement. Quand cela est fait, fini. […]

L'affaire ne commence à devenir sérieuse qu'à partir du pathologique, c’est-à-dire de la mélancolie. L'objet y est, chose curieuse, beaucoup moins saisissable pour être certainement présent, et pour déclencher des effets infiniment plus catastrophiques, puisqu'ils vont jusqu'au tarissement de ce que Freud appelle le sentiment le plus fondamental, celui qui vous attache à la vie.

[…] Quels traits se laissent-ils voir d'un objet si voilé, masqué, obscur ? Le sujet ne peut s’attaquer à aucun des traits de cet objet que l’on ne voit pas, mais nous analystes, […] nous pouvons en identifier quelques-uns à travers ceux qu'il vise comme étant ses propres caractéristiques à lui. Je ne suis rien, je ne suis qu’une ordure.

Remarquez qu'il ne s'agit jamais de l'image spéculaire. Le mélancolique ne vous dit pas qu'il a mauvaise mine, ou qu'il a une sale gueule, ou qu'il est tordu, mais qu'il est le dernier des derniers, qu'il entraîne des catastrophes pour toute sa parenté, etc. Dans ses accusations, il est entièrement dans le domaine du symbolique. Ajoutez-y l'avoir - il est ruiné. Cela n’est-il pas fait pour vous mettre sur la voie ?

[…] Il s'agit de ce que j'appellerais, non pas le deuil ni la dépression au sujet de la perte d'un objet, mais un remords d'un certain type, déclenché par un dénouement qui est de l'ordre du suicide de l'objet. Un remords donc, à propos d'un objet qui est entré à quelque titre dans le champ du désir, et qui, de son fait, ou de quelque risque qu'il a couru dans l'aventure, a disparu.

[…] La voie vous est tracée par Freud, quand il vous indique que déjà dans le deuil normal la pulsion que le sujet retourne contre soi pourrait bien être une pulsion agressive à l’endroit de l’objet. Sondez ces remords dramatiques quand ils adviennent. Vous verrez peut-être qu’il revient ici contre le sujet une puissance d’insultes qui peut être parente de celle qui se manifeste dans la mélancolie. Vous en trouverez la source dans ceci – cet objet, s’il a été jusqu’à se détruire, ce n’était donc pas la peine d’avoir pris avec lui tant de précautions, ce n’était donc pas la peine de m’être détourné pour lui de mon vrai désir.

Auteur: Lacan Jacques

Info: Dans le "Séminaire, livre VIII - Le transfert" pages 458-459

[ arbitraire ] [ généalogie du signe ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

consensus mou

Il faudrait ne jamais débattre. Le débat, comme le reste, dans notre univers d’intransitivité galopante, a perdu son complément d’objet. On débat avant de se demander de quoi : l’important est de se rassembler. Le débat est devenu une manie solitaire qu’on pratique à dix, à cinquante, à cent, un stéréotype célibataire en même temps que grégaire, une façon d’être ensemble, un magma d’entregloses qui permet de se consoler sans cesse de jamais atteindre, seul, à rien de magistral. Il faudrait ne jamais débattre ; ou, si l’on y tient vraiment, ne débattre que de la nécessité de faire des débats. Se demander à l’infini, jusqu’à épuisement, quelle est l’idéologie du débat en soi et de sa nécessité jamais remise en cause ; et comment il se fait que le réel multiple dont le débat prétend débattre s’efface au rythme même où il est débattu. Mais aucun débat ne peut s’élaborer sur une telle question, car c’est précisément cette évaporation du réel qui est le véritable but impensé de tout débat. On convoque les grands problèmes et on les dissout au fur et à mesure qu’on les mouline dans la machines de la communication. Et plus il y a de débat, moins il y a de réel. Il ne reste, à la fin, que le mirage d’un champ de bataille où s’étale l’illusion bavarde et perpétuelle que l’on pourrait déchiffrer le monde en le débattant ; ou, du moins, qu’on le pourra peut-être au prochain débat. C’est de cette illusion-là dont se nourrit le débatteur. Pourquoi faut-il débattre ? Tout argument dont on débat est supposé faible, par définition, puisqu’il peut être démoli ou entamé par un autre argument. Toute pensée que l’on est obligée de soutenir mérite de s’écrouler. Et d’ailleurs la véritable pensée, la pensée magistrale, ne commence que là où le débat s’achève (ou devient silencieux). Or, il n’y a que le magistral qui compte, parce qu’il ouvre à la pleine connaissance de la réalité humaine, et il n’est jamais obtenu en frottant l’une contre l’autre des idées hétéroclites comme, dans les contes orientaux, on frotte des babouches pour en faire sortir des génies. Une nouvelle pensée, une pensée magistrale du monde ne peut pas être discutée, pesée tranquillement, soupesée entre gens de bonne compagnie, amendée, corrigée, nuancée, tripotée, faisandée de pour et de contre jusqu’à ce qu’elle ressemble à une motion de compromis dans une assemblée syndicale ou à la misérable synthèse terminale d’un congrès du parti socialiste. Toute proposition originale est menacée dans le débat, par ce qui peut lui arriver de pire : un protocole d’accord. Une nouvelle pensée du monde peut et doit être assénée comme un dissentiment irrémédiable, comme une incompatibilité d’humeur. Il ne faut pas argumenter, il faut trancher dans le vif. Penser, c’est présenter la fracture.

Auteur: Muray Philippe

Info:

[ opium du peuple ] [ mise en scène démocratique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

écriture

Bien que Gould s'efforce de donner l'impression d'être un tire-au-flanc philosophe, il a abattu un travail énorme au cours de sa carrière de bohème. Tous les jours, même lorsqu'il a une épouvantable gueule de bois ou que la faim le laisse épuisé et affaibli, il passe au moins deux ou trois heures à travailler sur un livre sans forme passablement mystérieux qu'il intitule "Une histoire orale de notre temps". Il a commencé ce livre il y a de cela vingt-six ans et il est loin d'être fini. Cette préoccupation semble pour l'essentiel être à l'origine de son mode de vie ; tout emploi stable empiéterait sur sa réflexion.

Selon le temps, il écrit dans les parcs, sous les porches, dans les halls d'hôtel, dans les cafétérias, sur les bancs des quais du métro aérien, dans les rames ou dans les bibliothèques municipales. Quand il se sent d'humeur, il écrit jusqu'à l'épuisement et cette humeur lui vient dans des moments particuliers. Il décrit comment, un soir, il a passé six ou sept heures dans un bar grill-room de 3rd Avenue à écouter une vieille Hongroise éméchée, ancienne tenancière de bordel, ancienne revendeuse de drogues et désormais aide-cuisinière dans un hôpital de la ville, lui raconter l'histoire de sa vie. Trois jours plus tard, aux alentours de quatre heures du matin, sur un lit de camp de l'hôtel Defender, au 300, Bowery, il a été réveillé par les cornes de brume des remorqueurs de l'East River et n'a pas réussi à se rendormir car, en cet instant précis, il se sentait exactement d'humeur à intégrer la biographie de la vieille aide-cuisinière à son récit. Il a une mémoire phénoménale ; s'il a été marqué par une conversation, même interminable et dénuée de sens, il est capable de s'en souvenir plusieurs jours d'affilée, et ce, en grande partie mot pour mot. (...)

Il a écrit dans le hall de quatre heures et quart à midi. Puis il a quitté le Defender, a pris un café dans un bistrot de Bowery et s'est rendu à la bibliothèque municipale. Il a bûché à une table de la salle de généalogie, où il se réfugie souvent les jours de pluie (...) , jusqu'à ce qu'elle ferme, à six heures. Puis il est allé s'installer dans la grande salle, où il est resté, en levant à peine le nez de ses écrits, jusqu'à la clôture de la bibliothèque, à dix heures du soir. Il a avalé deux sandwichs aux oeufs et sa dose de ketchup dans une cafétéria de Times Square. Sur ce, trop fauché pour s'offrir un hôtel et trop absorbé dans ses pensées pour chercher refuge au Village, il a foncé dans le métro de West Side pour passer le reste de la nuit à voyager en griffonnant inlassablement, tandis que sa rame parcourait trois fois la boucle, de la station New Lots Avenue, à Brooklyn, à celle de Van Cortland, dans le Bronx, un des trajets les plus longs du réseau new-yorkais. Il a posé la serviette sur ses genoux et s'en est servi comme d'une écritoire. Il a l'endurance des possédés.

Auteur: Mitchell Joseph

Info: Le secret de Joe Gould, pages 18-19

[ passion ] [ thérapie ] [ refuge ]

 

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laisser-aller

Une polémique contre notre culture de surmenage et un manifeste d'être plutôt que de faire... Apprenons des paresseux.

En 1765, Jean-Jacques Rousseau passa deux mois sur une île suisse à se consacrer à "mon précieux farniente" (ne rien faire). Il traînait, ramassait des plantes, dérivait dans un bateau, s'asseyait pendant des heures pour une "Délicieuse rêverie.. Plaisamment conscient de mon existence sans me soucier de ma pensée" : une oisiveté qu'il qualifia plus tard de "bonheur le plus complet et parfait" de sa vie.

Rousseau est l'un des héros de Not Working, avec Thoreau, Emily Dickinson et un lapin nommé Rr dont Josh Cohen s'est brièvement occupé. Le livre s'ouvre sur Rr qui se balade autour de son clapier, sa sérénité insensée déclenchant chez Cohen une reconnaissance empathique de son propre "vide secret et clos", ses fréquents accès de "rêverie lapine". Comme Rousseau sur son île, Rr ne fait pas, il est, tout simplement. Sa passivité interpelle Cohen qui, à différents moments de son livre, se décrit lui-même comme un slob, un fainéant, un feignant. Enfant, on le réprimandait régulièrement pour sa paresse ; à l'âge adulte, chaque jour lui apporte son moment de farniente : "Ça arrive souvent la nuit, quand je suis affalé sur le canapé... mon livre repose face contre terre, mes chaussures enlevées ; à côté de moi se trouvent deux télécommandes, un bol de cacahuètes et une bouteille de bière à moitié vide...

Sortir de cette léthargie... Ressemble à un trouble physique, métaphysique même, une violation de la justice cosmique..." "Pourquoi devrais-je ?" La protestation enfantine est désarmante ; on s'imagine lapin intérieur de Cohen attaché à un tapis roulant ou, pire encore, transformé en lapin très différent : le lapin Duracell, dont le "mouvement d'horloge" et le "sourire aux yeux morts" en font le symbole parfait de l'acharnement de la vie moderne, sa "nerveuse et constante contrainte à agir" que Cohen n'aime pas et à laquelle il résiste.

Not Working est une polémique contre notre culture du surmenage et une méditation sur ses alternatives. "Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ?" Cohen est psychanalyste. Chaque jour son cabinet de consultation résonne d'histoires d'activité ininterrompue, d'épuisement, de dépression, de "fantasmes d'une cessation complète de l'activité". Certains de ces conteurs apparaissent dans le livre, soigneusement déguisés, en compagnie d'une foule d'autres anti-travailleurs, réels et fictifs, dont le philosophe grec Pyrrho, Homer Simpson et Cohen lui-même à différents moments de sa vie. La distribution est majoritairement masculine, regroupée en quatre "types inertiels" : le burnout, le slob (fuyard), le rêveur, le fainéant. Certains s'enfoncent dans l'inertie, d'autres, comme Cohen, y sombrent.

Il s'avère que tous sont prennent des risques, car "en résistant au travail... chacun de ces types est susceptible de tomber dans une ou plusieurs impasses" : lassitude débilitante, dépression, solitude, ennui. Le farniente, en d'autres termes, a son prix, qui peut être très élevé pour certaines personnes, y compris trois hommes dont Cohen souligne les histoires - Andy Warhol, Orson Welles et David Foster Wallace.

Warhol aspirait à ce que les stoïciens appelaient l'apathie (l'absence de passion), une nostalgie qui se traduisait par un engourdissement mécanique, un état de "ne rien être et ne rien ressentir", avec laquelle alternaient de féroces et mécaniques activités, suivies d'un effondrement inertiel : un lapin Duracell avec des batteries à plat. Welles combinait des efforts herculéens avec de longues retraites dans son lit, qui devinrent de plus en plus fréquentes à mesure que son corps et son esprit cédaient sous son style de vie de fou. L'éblouissante carrière littéraire de Foster Wallace fut ponctuée de périodes où il s'effondrait devant la télévision aux prises avec une dépression aiguë : torpeur mortelle qui prit fin par son suicide.

Cohen qualifie ces hommes différemment (Warhol le burnout, Welles le reveur, Foster Wallace le fainéant) mais ce qui frappe chez les trois, c'est comment cette fuite de l'hyperactivité vers l'inertie autodestructrice implique un mouvement vers une solitude radicale, farniente de cancéreux en isolement. La solitude fut longtemps associée à l'énervement dépressif. On disait des solitaires spirituels médiévaux qu'ils souffraient d'acédie, une paresse mélancolique de l'esprit et du corps. "Ne soyez pas solitaire, ne restez pas inactif ", conseille Robert Burton, un érudit du XVIIe siècle, dans The Anatomy of Melancholy (1621), un ouvrage extrêmement influent. La psychiatrie moderne considère la réclusivité comme pathologique et de nombreux collègues psychanalystes de Cohen sont du même avis. Il s'en défend, se tournant plutôt vers la tradition alternative de la Renaissance, qui valorise la solitude comme lieu de création.

L'analyste d'après-guerre Donald Winnicott fut un éloquent porte-parole de cette tradition. Pour Winnicott, - la créativité dépendait du maintien du contact avec le "point mort et silencieux" au cœur de la psyché - Cohen prend pour exemple la célèbre recluse Emily Dickinson, qui se retira de la société pour les "infinies limites de sa propre chambre et de son cerveau" et qui produisit une poésie à l'éclatante originalité". Renonçant à l'amour sexuel et au mariage pour l'"intimité polaire" de sa vie intérieure, "elle ne faisait rien" aux yeux du monde, alors que dans son propre esprit, elle "faisait tout", voyageant sans peur jusqu'aux extrêmes de l'expérience possible.

Dans une brillante série de textes, Cohen montre comment ce voyage intrépide a produit une poésie qui se déplace entre des images bouleversantes d'acédie et des évocations extatiques du désir non consommé, la "gloire privée et invisible" de Dickinson. Le rêve et les produits du rêve l'emportent sur l'actualité contraignante. "Pour Dickinson, rêvasser n'était pas une retraite dans l'inactivité, mais le socle de la plus haute vocation." La manière dont Cohen traite Dickinson est révélatrice. Les lâches et autres fainéants qui peuplent Not Working sont des hommes selon son cœur, mais c'est l'artiste qui est son ideal, qui dédaigne la vie du monde réel ("prose" était l'étiquette méprisante de Dickinson pour cela) au bénéfice de la vie de l'imagination.

Une artiste "ne fait rien", ne produit rien "d'utile", elle incarne en cela la "dimension sabbatique de l'être humain", la partie la plus riche de nous-mêmes. Mais est-ce que cela fait de l'artiste un "type de poids mort" ? Dans ses Confessions, Rousseau écrit "L'oisiveté que j'aime n'est pas celle du fainéant qui reste les bras croisés dans une totale inactivité", mais "celle de l'enfant sans cesse en mouvement". Le jeu n'est pas non plus un travail, mais il est tout sauf inerte. Pour Winnicott, le jeu était expérience la créative primordiale, la source de toute créativité adulte. Cohen est passionné par Winnicott, il est donc intéressant qu'il n'en parle pas, contrairement à Tracey Emin qui, lors d'une interview en 2010, décrivit les jeux d'enfants comme la source de son art.

Dans une discussion éclairante de sur My Bed d'Emin, Cohen fait l'éloge de l'œuvre pour sa représentation puissante de "l'inertie et de la lassitude". Mais contrairement à l'inertie des hommes dont il parle, Emin elle-même semble aller de force en force. Jouer est-il le secret ? Emin et Dickinson sont parmi les rares femmes qui apparaissent dans Not Working. Nous apprenons quand à leur représentation artistique de l'inertie féminine, mais sans rencontrer de femme paresseuse ou feignante. Alors que font-elle pendant que les hommes paressent ?

En regardant de plus près les paresseux préférés de Cohen - Rousseau, Thoreau, Homer Simpson - nous avons un indice. Les jours de farniente de Rousseau sont ponctués par les repas préparés par sa femme. La lessive de Thoreau était faite par sa mère. Marge Simpson fait le ménage pendant qu'Homer boit de la bière devant la télé. Quel genre de révolution faudrait-il pour mettre Marge devant la télé pendant que Homer nettoie la cuisine ? La lutte contre le surmenage existe depuis des siècles (rejointe plus récemment par des protestations féministes contre le "double travail"). Il en va de même pour les luttes pour un travail décent, décemment rémunéré, luttes que Cohen et moi aimons tous deux.

Pourtant, aujourd'hui, dans la vie réelle, les Marges se précipitent toujours de leur maison vers leur emploi au salaire minimum chez Asda. Les Homer enquillent des 12 heures de travail à la suite pour Uber. Et s'ils s'épuisent, comme beaucoup ils se retrouvent souvent dans les banques alimentaires. Que faire à ce sujet ? "Idiorythmie" était le terme de Roland Barthes pour vivre selon ses propres rythmes intérieurs, sans contrainte. Cohen veut qu'on imagine ce que serait une telle vie. Il est sceptique quand aux propositions "pour changer ça", qui n'y parviennent jamais, soutenant que si "les objectifs de la justice juridique, politique et économique ne s'occupent plus de la question de savoir ce qui fait qu'une vie vaut la peine d'être vécue, ils sont susceptibles de devenir des trucs en plus sur la déjà longue liste des choses à faire sans joie...".

Parallèlement aux droits liés au travail, nous avons besoin d'un droit au non travail, a-t-il affirmé récemment. C'est un argument utopique et pas pire pour autant, même affaibli par un rejet ironique de toute action politique en faveur du relâchement et de la paresse. Cependant Not Working n'est pas un manifeste révolutionnaire. Il s'agit plutôt d'une ré-imagination très personnelle et éloquente de nos vies en tant qu'espace de farniente dans toute son idiosyncrasie sans entraves, et d'un rappel précieux du prix exorbitant d'une existence de lapin Duracell.

Auteur: Taylor Bradford Barbara

Info: critique de "Not Working" de Josh Cohen - les bienfaits de l'oisiveté. https://www.theguardian.com. 12 janv. 2019

[ créativité ] [ insouciance ] [ flemme ] [ écrivain-sur-écrivains ] [ femmes-hommes ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

manipulation

Comment la plus grande technologie jamais développée s'est retournée contre nous.

La sélection naturelle est probablement le facteur qui a conduit l'elk irlandais à développer des bois surdimensionnés : ils étaient un élément bénéfique pour les mâles dans le jeu de la concurrence sexuelle. Cependant, le poids des bois était aussi un fardeau et il a été soutenu que c'était l'une des raisons, peut-être la principale, qui ont conduit à l'extinction de cette espèce, il y a environ 7 000 ans. Dans le cas des humains, on peut considérer le langage comme une caractéristique avantageuse de l'évolution, mais aussi comme quelque chose qui peut très bien révéler des conséquences négatives comme les bois des élans : le tsunami de mensonges auquel nous sommes constamment exposés.

Le langage est la véritable rupture de l'homme avec tout ce qui marche, rampe ou vole sur la terre. Aucune autre espèce (à l'exception des abeilles) n'a un outil qui peut être utilisé pour échanger des informations complexes entre les individus pour décrire, par exemple, où la nourriture peut être localisée et en quelles quantités. C'est le langage qui crée l'ultra-sociabilité de l'être humain. C'est le langage qui nous permet d'être ensemble, de planifier, de faire avancer les choses. Le langage peut être considéré comme une technologie de communication d'une puissance incroyable. Mais, comme pour toutes les technologies, elle a des conséquences inattendues.

Nous savons tous que le son que nous écrivons comme cerf est associé à un type spécifique d'animal. Avec ce symbole, vous pouvez créer des phrases telles que "J'ai vu un cerf près de la rivière, allons le chasser !" Mais, lorsque vous créez le symbole, à certains égards, vous créez le cerf - une créature fantomatique qui a quelques-unes des caractéristiques du cerf réel. Vous pouvez imaginer les cerfs, même s'il n'y a pas de véritable cerf autour de vous. Et ce symbole a une certaine puissance, peut-être que vous pourriez faire apparaître un cerf en prononçant son nom ou en dessinant son symbole sur le mur d'une grotte. C'est le principe que nous appelons magie sympathique, qui est peut-être la forme la plus ancienne et la plus fondamentale de la magie.

La création d'un cerf virtuel est une chose utile si la correspondance avec les vrais cerfs n'est pas perdue. 1. Le problème avec le langage est que ce n'est pas toujours le cas. Le cerf dont vous parlez peut ne pas exister, il peut être une illusion, une erreur ou, pire, une ruse pour piéger et tuer un de vos ennemis. Telle est l'origine du concept que nous appelons mensonge. Vous pouvez utiliser le langage non seulement pour collaborer avec vos voisins, mais aussi pour les tromper. Nous avons la preuve que nos ancêtres étaient confrontés à ce problème grâce aux premiers documents écrits que nous avons. Dans certaines anciennes tablettes sumériennes qui remontent au troisième millénaire avant notre ère 2, nous constatons que parmi les moi (les pouvoirs) que la Déesse Inanna avait volés au Dieu Enki, un de ces pouvoirs était de "prononcer des paroles de tromperie".

La question du mensonge est cruciale pour la survie humaine. Mentir rend la communication inutile puisque vous ne pouvez pas faire confiance aux personnes avec qui vous communiquez. Le cerf dont votre ami vous a dit qu'il était près de la rivière a disparu dans l'espace virtuel : vous ne pouvez pas dire s'il était réel ou non. La technologie prodigieuse du langage, développée pendant des centaines de milliers d'années, s'autodétruit comme conséquence involontaire du mensonge.

Toutes les technologies ont des conséquences inattendues, toutes se prêtent à certains types de solutions technologiques. Lutter contre les mensonges, cela nécessite d'évaluer les déclarations et de savoir qui les profère. La façon la plus simple de le faire est de baser l'évaluation sur la confiance. Nous connaissons tous l'histoire du garçon qui criait au loup, probablement aussi ancienne que l'homo sapiens. Dans ses différentes versions, il est dit que "Si vous mentez une fois, vous ne serez plus jamais cru". Et cela fonctionne; cela a bien marché pendant des centaines de milliers d'années et cela fonctionne encore. Pensez à votre cercle actuel de connaissances ; ces personnes que vous connaissez personnellement et qui vous connaissent depuis un certain temps. Vous leur faites confiance ; vous savez qu'ils ne vont pas vous mentir. C'est pour cette raison que vous les appelez amis, copains, potes, etc.

Mais cela ne fonctionne qu'aussi longtemps que vous maintenez vos relations au sein d'un petit groupe, et nous savons que la taille d'un cercle de relations étroites ne dépasse normalement pas plus d'environ 150 personnes (cela s'appelle le Nombre de Dumbar). Au sein de ce groupe, la réputation de chaque membre est connue par tout le monde et les menteurs sont facilement identifiés et frappés d'infamie (ou même expulsés). Le problème est venu quand les gens ont commencé à vivre dans les grandes villes. Ensuite, la plupart des gens ont dû interagir avec un plus grand nombre de personnes que ce nombre de Dumbar. Comment pouvons-nous dire si quelqu'un que vous n'avez jamais rencontré avant, est digne de confiance ou pas ? Dans cette situation, la seule défense contre les escrocs sont les indices indirects : la façon de se vêtir, la façon de parler, l'aspect physique ; mais aucun n'est aussi efficace que la confiance en quelqu'un que vous connaissez bien.

Mais ce ne fut rien en comparaison de ce qui est advenu avec l'âge des médias de masse. Vous pouvez lire des choses, entendre des choses, voir des choses dans les médias, mais cela ne vous donne vraiment aucune idée de l'endroit d'où ces communications sont venues. Vous ne pouvez pas non plus vérifier si la réalité virtuelle qui vous est renvoyée correspond au monde réel. Comme les médias ont élargi leur portée, les personnes qui les contrôlent ont découvert que le mensonge était facile et qu'ils n'avaient que très peu à perdre dans le mensonge. Côté réception, il n'y avait que des gens confus et incapables de vérifier les informations qu'ils recevaient. Les médias pouvaient facilement leur dire des mensonges qui restaient non découverts, au moins pendant un certain temps. Pensez à l'histoire des armes de destruction massive que l'Irak était censé avoir développées avant l'invasion de 2003. Dans ce cas, le mensonge est devenu évident après qu'aucune de ces armes n'est apparue en Irak après l'invasion, mais les menteurs avaient obtenu ce qu'ils voulaient et ils n'ont souffert d'aucune conséquence de leur action. C'était une époque où un adjoint de Donald Rumsfeld aurait dit : "Maintenant, nous pouvons créer notre propre réalité." Un triomphe de la magie sympathique, en effet.

Ensuite, l'Internet et les médias sociaux sont venus et ils ont démocratisé le mensonge. Maintenant tout le monde peut mentir à tout le monde, simplement en partageant un message. La vérité ne vient plus de la confiance dans les personnes qui la transmettent, mais du nombre de likes et de partages qu'un message a reçus. La vérité n'est peut-être pas aussi virale, mais elle semble être devenue exactement ce qu'en est la perception générale : si quelque chose est partagé par beaucoup de gens, alors cela doit être vrai. Donc, aujourd'hui, on nous ment en permanence, de manière cohérente, dans la joie et par tout le monde et à peu près sur tout. Des demi-vérités, de pures inventions, des distorsions de la réalité, des jeux de mots, des faux drapeaux, des statistiques faussées et plus encore, sont le lot des communications que nous croisons tous les jours. Le tsunami des mensonges qui nous tombent dessus est presque inimaginable et il a des conséquences, des conséquences désastreuses. Il nous rend incapables de faire confiance en quoi que se soit ou en quelqu'un. Nous perdons le contact avec la réalité, nous ne savons plus comment filtrer les messages innombrables que nous recevons. La confiance est un enjeu majeur dans la vie humaine ; ce n'est pas pour rien si le diable est nommé le père du mensonge (Jean 8:44). En effet, ce que l'anthropologue Roy Rappaport appelle les "mensonges diaboliques", sont les mensonges qui altèrent directement le tissu même de la réalité. Et si vous perdez le contact avec la réalité, vous êtes vous-même perdu. C'est peut-être ce qui se passe pour nous tous.

Certains d'entre nous trouvent qu'il est plus facile de simplement croire ce qui leur est dit par les gouvernements et les lobbies ; d'autres se placent dans une posture de méfiance généralisée de tout, tombant facilement victimes de mensonges opposés. Les mensonges diaboliques sont fractals, ils cachent encore plus de mensonges à l'intérieur, ils font partie de plus grands mensonges. Considérons un événement tel que les attaques du 9/11 à New York; il est maintenant caché derrière une telle couche de multiples mensonges de toutes sortes, que ce qui est arrivé ce jour-là est impossible à discerner, et peut-être destiné à rester tel quel pour toujours.

Donc, nous sommes revenus à la question du garçon qui criait au loup. Nous sommes le garçon, nous ne faisons plus confiance à personne, personne ne nous fait plus confiance, et le loup est là pour de vrai. Le loup prend la forme du réchauffement climatique, de l'épuisement des ressources, de l'effondrement des écosystèmes, et plus encore, mais la plupart d'entre nous sommes incapables de le reconnaître, même d'imaginer, qu'il puisse exister. Mais comment reprocher à ces gens qui ont été trompés tant de fois qu'ils ont décidé qu'ils ne croiraient plus du tout ce qui vient d'un canal même légèrement officiel ? C'est une catastrophe majeure et cela se produit en ce moment, devant nos yeux. Nous sommes devenus l'un de ces anciens cerfs détruits par le poids de ses cornes prodigieuses. Le langage nous joue un tour, pétaradant sur nous après nous avoir été si utile.

Nous croyons souvent que la technologie est toujours utile et que les nouvelles technologies nous sauveront des catastrophes qui nous affligent. Je commence à penser que ce dont nous avons besoin n'est pas davantage de technologie, mais moins. Et si la langue est une technologie, il me semble que nous en ayons trop d'elle, vraiment. Nous entendons trop de discours, trop de mots, trop de bruits. Peut-être avons-nous tous besoin d'un moment de silence. Peut-être que Lao Tzu a vu cela déjà depuis longtemps quand il a écrit dans le Tao Te King 3.

Trop de discours conduit inévitablement au silence.

Mieux vaut en venir rapidement au néant.

Auteur: Bardi Ugo

Info: 20 mars 2016, Source Cassandra Legacy

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