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Gaule 2023

Marianne : Comment avez-vous perçu le mouvement social de contestation à la réforme des retraites ?

E.T. :
 Je suis allé en manifestation. Du mouvement de contestation, j'ai constaté la masse, l’énergie, la jeunesse. Je tiens à dire ce que je pense de la responsabilité des uns et des autres concernant le désordre actuel, tout d'abord. Pour moi – je dis bien pour moi – mais ça sera aux juristes de trancher, il est clair qu'en faisant passer une réforme des retraites en loi de finances rectificative et par l'article 49.3, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont sortis de la Constitution, du moins de l'esprit de la Constitution. Ce sera au Conseil constitutionnel de le dire. Mais il n'est pas certain que j'accepte l'avis du Conseil constitutionnel, s’il valide Macron-Borne.

J'ai vu les commentaires, le soir, sur BFM TV, LCI et d'autres, où l’on parlait de feux de poubelle. Pour moi, 100 % de la responsabilité de ces feux de poubelle incombe au président de la République française et la question de savoir si ce sont plus les black blocks ou les manifestants qui les ont allumés ne m'intéresse pas.

Pourquoi Emmanuel Macron entretiendrait-il ce désordre ?

Ce qui m'étonne le plus, moi, c'est que c'est un désordre qui ne sert à rien. En général, quand on gouverne par le désordre pour faire se lever le parti de l’ordre, c’est qu’on veut consolider un pouvoir fragile, ou bien pour reprendre le pouvoir. Mais Macron avait le pouvoir. La vérité de ce projet de réforme des retraites, en dehors du fait qu’il est injuste et incohérent, c’est qu’il est insignifiant et inutile par rapport aux problèmes réels de la société française.

Il y en a deux : la désindustrialisation et la chute du niveau de vie, liée à l’inflation. La question qui se pose et ce qu’il faut analyser vraiment, c’est la raison de cette mise en désordre de la France par son président, pour rien. Était-ce pour mener à bien un projet néolibéral, appelé "réformateur" ? Ou est-ce que c’est un problème lié à la personnalité de Macron lui-même ?

Commençons par l’hypothèse d’une réforme pensée comme juste par Macron. Vous la jugez néolibérale ?

La réalité du monde occidental, qui entre en guerre, c’est que le néolibéralisme, en tant qu’idéologie économiste active transformant la planète, est en train de mourir parce que ses effets ultimes se révèlent. La mortalité augmente aux États-Unis, et donc, logiquement, l’espérance de vie baisse. Les États-Unis ont perdu leur base industrielle, comme l’Angleterre. Le contexte historique général en ce moment, dans le monde américain, est plutôt aux réflexions sur le retour de l’État entrepreneur.

Macron avait pourtant engagé un tournant néo-protectionniste avec le Covid…

Non ! Je pense que Macron est néolibéral archaïque, et donc en grand état de déficit cognitif. Quand il parle de protectionnisme, il n’est même pas capable de dire s’il s’agit de protectionnisme national ou européen. Mais si tu ne fixes pas d’échelle, tu ne parles de rien. Quand il parle de réindustrialisation, il n’est pas capable de voir que la réindustrialisation implique deux actions simultanées. D’abord, l’investissement direct de l’État dans l’économie. C’est ça qui serait important actuellement, pas la réforme des retraites. Et puis des mesures de protection des secteurs qu’on refonde, par exemple dans les médicaments, dans la fabrication de tel ou tel bien essentiel à la sécurité informatique, alimentaire et énergétique de la France.

C’est d’ailleurs l’une des choses stupéfiantes dans ce débat sur les retraites : les politiques légifèrent – croient-ils – sur des perspectives à long terme d’équilibre. Ils spéculent sur des années de travail qui vont couvrir des décennies pour la plupart des gens, sans se poser la question de ce qui restera, non pas comme argent, comme signes monétaires, mais comme bien réels produits pour servir ces retraites en 2050 ou 2070.

Les retraites sont menacées, c’est vrai, mais par la désindustrialisation. Quel que soit le système comptable, si la France ne produit plus rien le niveau des retraites réelles de tout le monde va baisser. En dehors du fait qu'il a déjà commencé à baisser avec l'inflation.

Notre élite économique fait, selon vous, une fois de plus fausse route.

Notre président et les gens autour de lui, une sorte de pseudo-intelligentsia economico-politique, sont hors du monde. À une époque, on savait que pour faire la guerre, il fallait des biens industriels, des ingénieurs, des ouvriers. On redécouvre aujourd’hui à Washington et à Londres que tout ça n’existe plus assez ! Les faucons néoconservateurs croyaient qu’on pouvait faire la guerre à la Russie avec des soldats ukrainiens et à la Chine en prime, grâce au travail d’ouvriers… chinois ! La réalité du néolibéralisme, c'est qu’il a tout détruit au cœur même de son Empire. Le vrai nom du néolibéralisme, c'est "nihilisme économique". Je me souviens de phrases prophétiques de Margaret Thatcher disant "There is no such thing as society ", ou "There is no alternative" (TINA). Ces idioties ne sortent pas du libéralisme britannique, de John Locke ou d'Adam Smith, mais bien plutôt du nihilisme russe du XIXe siècle.

Cette réforme des retraites à contretemps est guidée par un phénomène d'inertie, au nom d’une idéologie qui est en train de mourir. Le discours néolibéral est un discours de la rationalité économique, un discours de la rationalité des marchés qui va permettre de produire, en théorie, plus d'efficacité. Je vais vous dire l’état de mes recherches sur le nihilisme néolibéral : cette passion de détruire les cadres de sécurité établis au cours des siècles par les religions, les États et les partis de gauche. Le nihilisme néolibéral détruit la fécondité du monde avancé, la possibilité même d’un futur. Et vous allez être fier de cette France dont les néolibéraux rient.

Vous faites partie de ceux qui voient dans les indices de fécondité l'avenir de l'Occident…

La vérité historique fondamentale actuelle, c’est que la rationalité individualiste pure détruit la capacité des populations à se reproduire et des sociétés à survivre. Pour faire des enfants, particulièrement dans les classes moyennes qui veulent pour eux des études longues, il faut l’aide de la collectivité, il faut se projeter dans un avenir qui ne peut apparaître suffisamment sûr que grâce à l’État. Il faut donc sortir de la rationalité économique à court terme. Sans oublier que décider d’avoir un enfant, ce n’est être ni rationnel, ni parfois même raisonnable, mais vivant. Je sais qu'il y a des gens qui s'inquiètent de l'augmentation de la population mondiale, mais moi, je suis inquiet de la sous-fécondité de toutes les régions "avancées". Même les États-Unis, même l'Angleterre, sont tombés à 1,6 enfant par femme. L’Allemagne est à 1,5, le Japon est à 1,3. La Corée, chouchou des majorettes intellectuelles du succès économique, le pays de Samsung et d'une globalisation économique assumée, est à 0,8. … Le plus efficace économiquement est le plus suicidaire.

C'est là que la France redevient vraiment intéressante. Elle a deux caractéristiques. C'est d’abord le pays qui fait le moins bien ses "réformes", qui refuse le plus le discours de la rationalité économique. Dont l'État n'est jamais dégrossi comme le rêvent les idéologues du marché. Mais c'est aussi le seul pays avancé qui garde une fécondité de 1,8. C'est le pays qui, en ne voulant pas toutes ces réformes, a refusé la destruction de certaines des structures de protection des individus et des familles qui permettent aux gens de se projeter dans le futur et d'avoir des enfants. Une retraite jeune, ce sont aussi des grands-pères et des grands-mères utilisables pour des gardes d’enfants ! Désolé d’apparaître en être humain plutôt qu’en économiste ! La grandeur de la France, c'est son refus de la rationalité économique, son refus de la réforme. Ce qui fait de la France un pays génial, c'est son irrationalité économique. On saura si Macron a réussi s'il arrive à faire baisser la natalité française au niveau anglo-américain, au-delà de son cas personnel de non-reproduction.

Comment ce dernier peut-il alors imposer une telle réforme si c'est contre l'intérêt du pays ?

Pourquoi un président de la République en si grand état de déficit cognitif peut-il imposer cette réforme injuste, inutile et incohérente par un coup de force institutionnel ou même un coup d’État ? Parce qu’il agit dans un système sociopolitique détraqué que je qualifierais même de pathologique. Il y avait une organisation de la République qui reposait sur une opposition de la droite et de la gauche, permise par un mode de scrutin adapté : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il faisait qu’au premier tour, on choisissait son parti de droite préféré, son parti de gauche préféré. Au deuxième tour, les deux camps se regroupaient et on avait une très belle élection.

Tout a été dévasté par la nouvelle stratification éducative de la France. La montée de l’éducation supérieure a produit une première division en deux de la société entre les gens qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait. C’est le modèle qui s’impose partout dans le monde développé. Mais il y a une autre dimension qui, il faut l’avouer, n’a pas grand-chose à voir : le vieillissement de la population et l’apparition d’une masse électorale âgée, qui établissent un troisième pôle, les vieux, dont je suis. Cette société stratifiée et vieillie a accouché de trois pôles politiques qui structurent le système. Je simplifie jusqu’à la caricature : 1) les éduqués supérieurs mal payés, plutôt jeunes ou actifs, se sont dirigés vers Mélenchon ou la Nupes ; 2) les moins éduqués mal payés, plutôt jeunes et actifs, vers le RN ; 3) les vieux, derrière Macron.

Ils sont les seuls à soutenir la réforme des retraites, d’ailleurs…

Ce système est dysfonctionnel, "détraqué", à cause de l’opposition viscérale entre les électorats contestataires de gauche et de droite, Nupes et RN. Ces deux électorats ont en commun leur niveau de vie, leur structure d’âge, mais sont séparés par l’éducation et par la question de la nation et de l’immigration. Cette fracture conduit à une incapacité des uns et des autres à se considérer comme mutuellement légitimes. Leur opposition permet à Macron et aux vieux de régner. Les retraités peuvent donc imposer une réforme des retraites qui ne les touche pas. Le problème, c’est qu’une démocratie ne peut fonctionner que si les gens opposés se considèrent comme certes différents, mais mutuellement légitimes.

La France vire-t-elle à la gérontocratie ?

On a enfermé les jeunes pour sauver les gens de ma génération. Comment la démocratie est-elle possible avec un corps électoral qui vieillit sans cesse ? Mais dénoncer un système gérontocratique ne suffit pas, d’un point de vue anthropologique en tout cas. Ce qu’il faut dénoncer, c’est une société qui ne peut survivre. Une société humaine ne peut pas se projeter dans l’avenir si on part du principe que les ressources doivent remonter vers les vieux plutôt que descendre vers les jeunes.

La question institutionnelle fondamentale, ce n’est pas tant le pouvoir disproportionné du président dans la conception de la Ve République, mais un système électoral inadapté dans un contexte où les deux forces d’opposition refusent d’exister l’une pour l’autre. Il y a deux solutions : la première est le passage au mode de scrutin proportionnel. Mais cela ne se produira pas car la gérontocratie en place a trop intérêt à ce que le système dysfonctionne. L’autre solution, c’est de trouver une voie politique qui permette le sauvetage de la démocratie : je propose un contrat à durée limitée réconciliant les électorats du Rassemblement national et de la Nupes pour établir le scrutin proportionnel.

Mais comment les réconcilier ?

Je considère vraiment que ce qui se passe est inquiétant. J’ai un peu de mal à imaginer que cela ne se termine pas mal. Il y a un élément d’urgence, et la simple menace de désistement implicite ou explicite entre les deux forces d’opposition calmerait beaucoup le jeu. Il ferait tomber le sentiment d’impunité de la bureaucratie qui nous gouverne.

Le problème fondamental n’est pas un problème entre appareils. Le problème fondamental est un problème de rejet pluriel. 1) L’électorat du Rassemblement national est installé dans son rejet de l’immigration, un concept qui mélange l’immigration réelle qui passe aujourd’hui la frontière et la descendance de l’immigration ancienne, les gosses d’origine maghrébine qui sont maintenant une fraction substantielle de la population française. 2) L’électorat de LFI et de la Nupes croit seulement exprimer un refus du racisme du RN mais il exprime aussi, à l’insu de son plein gré, un rejet culturel de l’électorat du RN. Il vit un désir à la Bourdieu de distinction. Simplifions, soyons brutal, il s’agit de sauver la République : il y a d’un côté une xénophobie ethnique et de l’autre une xénophobie sociale.

J’ai un peu de mal à imaginer que le sauvetage à court terme de la démocratie par l’établissement de la proportionnelle, via un accord à durée limitée entre Nupes et RN, puisse se passer d’un minimum de négociation sur la question du rapport à l’étranger. La seule négociation possible, la seule chose raisonnable d’ailleurs du point de vue de l’avenir du pays, c’est que les électeurs de la Nupes admettent que le contrôle des frontières est absolument légitime et que les gens du Rassemblement national admettent que les gens d’origine maghrébine en France sont des Français comme les autres. Sur cette base, à la fois très précise et qui admet du flou, on peut s’entendre.

Le contexte actuel reproduit-il celui de l’époque des Gilets jaunes ?

"La police tape pour Macron, mais vote pour Le Pen", disais-je en 2018 au moment des Gilets jaunes… Je m’inquiétais de la possibilité d’une collusion entre les forces de ce que j’appelais à l’époque l’aristocratie stato-financière et l’autoritarisme implicitement associé à la notion d’extrême droite. J’avançais le concept de macrolepénisme. Le Rassemblement national aujourd’hui est confronté à une ambivalence qu’il doit lever. Le contexte actuel reproduit le contexte de l’époque des Gilets jaunes, en effet : d’un côté le Rassemblement national passe des motions de censure contre la politique gouvernementale sur les retraites (et je trouve tout à fait immoral que LFI refuse de voter les motions du Rassemblement national sur ces questions), mais, d’un autre côté, c’est, comme d’habitude, la police qui cogne sur les manifestants, qui est utilisée par Macron, qui continue de voter à plus de 50 % pour le Rassemblement national ! J’ajoute que le choix par Marine Le Pen de l’opposition à la grève des éboueurs n’est pas de bon augure.

Le Rassemblement national ne peut pas rester dans cette ambiguïté : il suffirait d’un petit mot de modération de Marine Le Pen pour que le comportement de la police change. Ce que je dis est grave : en mode démocratique normal, une police doit obéir au ministre de l’Intérieur. Mais je ne vois pas pourquoi une police appliquerait aveuglément les consignes de violence d’un président qui est sorti de la Constitution. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie des juristes. Il s’agit de protéger les institutions dans un contexte extrêmement bizarre. Le conflit entre jeunes manifestants et jeunes policiers nous ramène d’ailleurs à la question du rejet mutuel Nupes/RN. L’hostilité qu’encourage le gouvernement entre la police et les jeunes manifestants est une menace pour l’équilibre du pays. On ne peut pas vivre dans un pays avec deux jeunesses qui se tapent dessus. Il y a dans le style policier violent Macron-Borne-Darmanin quelque chose de pensé et de pervers.

Vous dites que la première raison de l’obstination du gouvernement pourrait venir de l’esprit de Macron directement…

J’ai parlé de système électoral, j’ai parlé de néolibéralisme. J’ai parlé du déficit cognitif néolibéral de Macron. Une autre chose doit être évoquée, non systémique, accidentelle, dont je n’aime pas parler mais dont on doit parler : une autre raison de la préférence de Macron pour le désordre et la violence est sans doute un problème de personnalité, un problème psychologique grave. Son rapport au réel n’est pas clair. On lui reproche de mépriser les gens ordinaires. Je le soupçonne de haïr les gens normaux. Son rapport à son enfance n’est pas clair. Parfois, il me fait penser à ces enfants excités qui cherchent la limite, qui attendent d’un adulte qu’il les arrête. Ce qui serait bien, ce serait que le peuple français devienne adulte et arrête l’enfant Macron.

La situation est extrêmement dangereuse parce que nous avons peut-être un président hors contrôle dans un système sociopolitique qui est devenu pathologique. Au-delà de toutes les théories, sophistiquées ou non, j’en appelle à tous les gens pacifiques, moraux et raisonnables, quel que soit leur niveau éducatif, leur richesse, leur âge, à tous les députés quel que soit leur parti, Renaissance compris, j’en appelle au Medef, aux pauvres, aux inspecteurs des finances, aux vieillards et aux oligarques de bonne volonté, pour qu’ils se donnent la main et remettent ce président sous contrôle. La France vaut mieux que ce bordel. 



 

Auteur: Todd Emmanuel

Info: Marianne.net, 5 mars 2023, Interview Par Etienne Campion

 

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résonances organiques

Les avantages sociaux de la synchronisation de notre cerveau

Nos ondes cérébrales peuvent s'aligner lorsque nous travaillons et jouons en étroite collaboration. Le phénomène, connu sous le nom de synchronisation inter-cerveau, suggère que la collaboration est biologique.

(Photo : De plus en plus de recherches montrent comment l’activité neuronale peut se synchroniser entre plusieurs personnes, ce qui entraîne de meilleurs résultats sociaux et créatifs.)

Le célèbre duo de pianos polonais Marek et Wacek n'utilisait pas de partitions lors de ses concerts live. Et pourtant, sur scène, le duo semblait parfaitement synchronisé. Sur des pianos adjacents, ils reprenaient de manière ludique divers thèmes musicaux, mêlé musique classique et jazz et improvisé en temps réel. "Nous avons suivi le courant", a déclaré Marek Tomaszewski, qui a joué avec Wacek Kisielewski jusqu'à la mort de Wacek en 1986. "C'était un pur plaisir."

Les pianistes semblaient lire dans les pensées des autres en échangeant des regards. C’était, dit Marek, comme s’ils étaient sur la même longueur d’onde. Un nombre croissant de recherches suggèrent que cela aurait pu être littéralement vrai.

Des dizaines d'expériences récentes étudiant l'activité cérébrale de personnes qui se produisent et travaillent ensemble – pianistes en duo, joueurs de cartes, enseignants et étudiants, puzzleurs et autres – montrent que leurs ondes cérébrales peuvent s'aligner dans un phénomène connu sous le nom de synchronisation neuronale interpersonnelle, également connue sous le nom de synchronie inter-cerveau.

"De nombreuses recherches montrent désormais que les personnes qui interagissent ensemble présentent des activités neuronales coordonnées", a déclaré Giacomo Novembre, neuroscientifique cognitif à l'Institut italien de technologie de Rome, qui a publié l'été dernier un article clé sur ce sujet. Les études se sont multipliées au cours des dernières années – notamment la semaine dernière – au fur et à mesure que de nouveaux outils et des techniques améliorées ont affiné la science et la théorie.

Ils montrent que la synchronisation entre les cerveaux présente des avantages. Qui conduit à une meilleure résolution de problèmes, à un meilleur apprentissage et à une meilleure coopération, et même à des comportements qui aident les autres à leur dépens. De plus, des études récentes dans lesquelles les cerveaux ont été stimulés par un courant électrique suggèrent que la synchronisation elle-même pourrait entraîner l'amélioration des performances observée par les scientifiques.

" La cognition est quelque chose qui se produit non seulement dans le crâne, mais aussi en relation avec l'environnement et avec les autres ", a déclaré Guillaume Dumas, professeur de psychiatrie computationnelle à l'Université de Montréal. Comprendre quand et comment nos cerveaux se synchronisent pourrait nous aider à communiquer plus efficacement, à concevoir de meilleures salles de classe et à aider les équipes à coopérer.

Se synchroniser


Les humains, comme les autres animaux sociaux, ont tendance à synchroniser leurs comportements. Si vous marchez à côté de quelqu’un, vous commencerez probablement à marcher au pas. Si deux personnes s’assoient côte à côte dans des fauteuils à bascule, il y a de fortes chances qu’elles commencent à se balancer au même rythme.

Une telle synchronisation comportementale, selon les recherches, nous rend plus confiants, nous aide à créer des liens et stimule nos instincts sociaux. Dans une étude, danser de manière synchronisée permettait aux participants de se sentir émotionnellement proches les uns des autres – bien plus que pour les groupes qui se déplaçaient de manière asynchrone. Dans une autre étude, les participants qui scandaient des mots de manière rythmée étaient plus susceptibles de coopérer à un jeu d'investissement. Même une simple marche à l'unisson avec une personne issue d'une minorité ethnique peut réduire les préjugés.

" La coordination est une caractéristique de l’interaction sociale. C'est vraiment crucial " a déclaré Novembre. "Lorsque la coordination est altérée, l'interaction sociale est profondément altérée."

Lorsque nos mouvements se coordonnent, une myriade de synchronisations invisibles à l’œil nu se produisent également à l’intérieur de notre corps. Quand les gens tambourinent ensemble, leurs cœurs battent ensemble. Les fréquences cardiaques des thérapeutes et de leurs patients peuvent se synchroniser pendant les séances (surtout si la relation thérapeutique fonctionne bien), tout comme celles des couples mariés. D’autres processus physiologiques, tels que notre rythme respiratoire et nos niveaux de conductance cutanée, peuvent également correspondre à ceux d’autres personnes.

(Photo : Ce n’est qu’au cours des 20 dernières années qu’est apparue une technologie permettant aux neuroscientifiques d’étudier la synchronisation inter-cerveau. L'hyperscanning utilise la spectroscopie fonctionnelle proche infrarouge, portée sur un appareil semblable à un bonnet de bain, pour surveiller l'activité neuronale de plusieurs individus s'engageant socialement.)

L’activité de notre cerveau peut-elle se synchroniser ? En 1965, la revue Science a publié les résultats d’une expérience suggérant que c’était possible. Des scientifiques de l'Université Thomas Jefferson de Philadelphie ont testé des paires de jumeaux identiques en insérant des électrodes sous leur cuir chevelu pour mesurer leurs ondes cérébrales – une technique appelée électroencéphalographie. Les chercheurs ont rapporté que lorsque les jumeaux restaient dans des pièces séparées, si l’un d’eux fermait les yeux, les ondes cérébrales des deux reflétaient le même mouvement. Les pointes sur l'électroencéphalographe de l'un des jumeaux reflétaient celles de l'autre. L’étude était cependant erronée sur le plan méthodologique. Les chercheurs avaient testé plusieurs paires de jumeaux mais n'avaient publié les résultats que pour la paire dans laquelle ils avaient observé une synchronie. Voilà qui n’a pas aidé ce domaine universitaire en plein essor. Pendant des décennies, la recherche sur la synchronisation intercérébrale fut donc reléguée dans la catégorie des " étranges bizarreries paranormales " et n’a pas été prise au sérieux.

La réputation du domaine a commencé à changer au début des années 2000 avec la popularisation de l' hyperscanning, une technique qui permet aux scientifiques de scanner simultanément le cerveau de plusieurs personnes en interaction. Au début, cela impliquait de demander à des paires de volontaires de s'allonger dans des appareils d'IRMf séparés, ce qui limitait considérablement les types d'études que les scientifiques pouvaient réaliser. Les chercheurs ont finalement pu utiliser la spectroscopie fonctionnelle proche infrarouge (fNIRS), qui mesure l'activité des neurones dans les couches externes du cortex. Le grand avantage de cette technologie est sa facilité d'utilisation : les volontaires peuvent jouer de la batterie ou étudier dans une salle de classe tout en portant des bonnets fNIRS, qui ressemblent à des bonnets de bain avec une multitude de câbles qui dépassent.

Lorsque plusieurs personnes  interagissent tout en portant des casquettes fNIRS, les scientifiques ont commencé à découvrir une activité interneurale synchronisée dans des régions du cerveau, qui variaient selon la tâche et la configuration de l'étude. Ils ont également observé des ondes cérébrales, qui représentent des schémas électriques dans le déclenchement neuronal, se synchronisant sur plusieurs fréquences. Sur une lecture électroencéphalographique de deux cerveaux synchronisés, les lignes représentant l'activité neuronale de chaque personne fluctuent ensemble : chaque fois que l'une monte ou descend, l'autre fait de même, bien que parfois avec un décalage dans le temps. Parfois, des ondes cérébrales apparaissent dans des images en miroir – lorsque celles d’une personne montent, celles de l’autre descendent en même temps et avec une ampleur similaire – ce que certains chercheurs considèrent également comme une forme de synchronie.

Avec de nouveaux outils, il est devenu de plus en plus clair que la synchronisation inter-cerveau n’était ni un charabia métaphysique ni le produit de recherches erronées. "Le signal est définitivement là", a déclaré Antonia Hamilton , neuroscientifique sociale à l'University College de Londres. Ce qui s'est avéré plus difficile à comprendre, c'est comment deux cerveaux indépendants, dans deux corps distincts, pouvaient montrer une activité similaire dans l'espace. Maintenant, dit Hamilton, la grande question est : " Qu’est-ce que cela nous raconte ? "

La recette de la synchronisation

Novembre est fasciné depuis longtemps par la manière dont les humains se coordonnent pour atteindre des objectifs communs. Comment les musiciens – les pianistes en duo, par exemple – collaborent-ils si bien ? Pourtant, c'est en pensant aux animaux, comme les lucioles synchronisant leurs flashs, qu'il s'est mis sur la voie de l'étude des ingrédients nécessaires à l'apparition de la synchronisation inter-cerveau.

Étant donné que la synchronie est " si répandue parmi tant d’espèces différentes ", se souvient-il, " je me suis dit : OK, alors il pourrait y avoir un moyen très simple de l’expliquer. "

Novembre et ses collègues ont mis en place une expérience, publiée l'été dernier , dans laquelle des paires de volontaires ne faisaient que s'asseoir l'un en face de l'autre tandis qu'un équipement photographique suivait les mouvements de leurs yeux, de leur visage et de leur corps. Parfois, les volontaires pouvaient se voir ; à d'autres moments, ils étaient séparés par une cloison. Les chercheurs ont découvert que dès que les volontaires se regardaient dans les yeux, leurs ondes cérébrales se synchronisaient instantanément. Le sourire s’est avéré encore plus puissant pour aligner les ondes cérébrales.

" Il y a quelque chose de spontané dans la synchronisation", a déclaré Novembre.

Le mouvement est également lié à l’activité synchronisée des ondes cérébrales. Dans l'étude de Novembre, lorsque les gens bougeaient leur corps de manière synchronisée – si, par exemple, l'un levait la main et que l'autre faisait de même – leur activité neuronale correspondait, avec un léger décalage. Cependant, la synchronisation intercérébrale va au-delà de la simple reproduction des mouvements physiques. Dans une étude publiée l'automne dernier sur des pianistes jouant en duo, une rupture de la synchronisation comportementale n'a pas provoqué la désynchronisation des deux cerveaux.

Un autre ingrédient important de la synchronisation neuronale "face à face" semble être la prédiction mutuelle : anticiper les réponses et les comportements d'une autre personne. Chaque personne " bouge ses mains, son visage ou son corps, ou parle ", a expliqué Hamilton, " et réagit également aux actions de l'autre personne ". Par exemple, lorsque les gens jouaient au jeu de cartes italien Tressette, l'activité neuronale des partenaires se synchronisait, mais le cerveau de leurs adversaires ne s'alignait pas avec eux.

Le partage d’objectifs et l’attention commune semblent souvent cruciaux pour la synchronisation inter-cerveau. Dans une expérience menée en Chine, des groupes de trois personnes ont dû coopérer pour résoudre un problème. Se présenta un problème : l'un des membres de l'équipe était un chercheur qui faisait seulement semblant de s'engager dans la tâche, hochant la tête et commentant lorsque c'était approprié, mais ne se souciant pas vraiment du résultat. Son cerveau ne se synchronisait pas avec celui des véritables membres de l'équipe.

Cependant, certains critiques affirment que l’apparition d’une activité cérébrale synchronisée n’est pas la preuve d’une quelconque connexion, mais peut plutôt s’expliquer par la réaction des personnes à un environnement partagé. " Imaginez deux personnes écoutant la même station de radio dans deux pièces différentes ", a écrit Clay Holroyd, neuroscientifique cognitif à l'Université de Gand en Belgique qui n'étudie pas la synchronisation intercérébrale, dans un article de 2022 . "La synchronisation inter-cerveau pourrait augmenter pendant les chansons qu'ils apprécient  ensemble par rapport aux chansons qu'ils trouvent tous deux ennuyeuses, mais cela ne serait pas une conséquence d'un couplage direct de cerveau à cerveau."

Pour tester cette critique, des scientifiques de l'Université de Pittsburgh et de l'Université Temple ont conçu une expérience dans laquelle les participants travaillaient différemment sur une tâche ciblée : terminer un puzzle . Les volontaires ont soit assemblé un puzzle en collaboration, soit travaillé sur des puzzles identiques séparément, côte à côte. Même s’il existait une certaine synchronisation interneurale entre les chercheurs travaillant de manière indépendante, elle était bien plus importante chez ceux qui collaboraient.

Pour Novembre, ces découvertes et d’autres similaires suggèrent que la synchronisation intercérébrale est plus qu’un artefact environnemental. "Tant que vous mesurerez le cerveau lors d'une interaction sociale, vous devrez toujours faire face à ce problème", a-t-il déclaré. "Les cerveaux en interaction sociale seront exposés à des informations similaires."

(Photo : La Mutual Wave Machine, qui a fait le tour des villes du monde entier de 2013 à 2019, permet aux passants d'explorer la synchronisation intercérébrale par paires tout en générant des données pour la recherche en neurosciences.)

À moins qu’ils ne soient à des endroits différents, bien sûr. Pendant la pandémie, les chercheurs se sont intéressés à comprendre comment la synchronisation intercérébrale pourrait changer lorsque les gens parlent face à face par vidéo. Dans une étude, publiée fin 2022 , Dumas et ses collègues ont mesuré l'activité cérébrale des mères et de leurs préadolescents lorsqu'ils communiquaient par vidéo en ligne. Les cerveaux des couples étaient à peine synchronisés, bien moins que lorsqu'ils parlaient en vrai. Une telle mauvaise synchronisation inter-cerveau en ligne pourrait aider à expliquer pourquoi les réunions Zoom ont tendance à être si fatigantes, selon les auteurs de l'étude.

"Il manque beaucoup de choses dans un appel Zoom par rapport à une interaction en face à face", a déclaré Hamilton, qui n'a pas participé à la recherche. " Votre contact visuel est un peu différent parce que le positionnement de la caméra est incorrect. Plus important encore, votre attention commune est différente."

Identifier les ingrédients nécessaires à l'apparition de la synchronisation inter-cerveau – qu'il s'agisse d'un contact visuel, d'un sourire ou du partage d'un objectif – pourrait nous aider à mieux profiter des avantages de la synchronisation avec les autres. Lorsque nous sommes sur la même longueur d’onde, les choses deviennent tout simplement plus faciles.

Avantages émergents

La neuroscientifique cognitive Suzanne Dikker aime exprimer son côté créatif en utilisant l'art pour étudier le fonctionnement du cerveau humain. Pour capturer la notion insaisissable d’être sur la même longueur d’onde, elle et ses collègues ont créé la Mutual Wave Machine : mi-installation artistique, mi-expérience neurologique. Entre 2013 et 2019, les passants de diverses villes du monde – Madrid, New York, Toronto, Athènes, Moscou et autres – ont pu faire équipe avec une autre personne pour explorer la synchronisation interneurale. Ils sont assis dans deux structures en forme de coquille se faisant face tout en portant un casque électroencéphalographe pour mesurer leur activité cérébrale. Pendant qu’ils interagissent pendant 10 minutes, les coquilles s’éclairent avec des projections visuelles qui servaient de neurofeedback : plus les projections sont lumineuses, plus leurs ondes cérébrales sont couplées. Cependant, certaines paires n'étaient pas informées que la luminosité des projections reflétait leur niveau de synchronisation, tandis que d'autres voyaient de fausses projections.

Lorsque Dikker et ses collègues ont analysé les résultats, publiés en 2021, ils ont découvert que les couples qui savaient qu'ils voyaient du neurofeedback se synchronisaient davantage avec le temps – un effet motivé par leur motivation à rester concentrés sur leur partenaire, ont expliqué les chercheurs. Plus important encore, leur synchronisation accrue a augmenté le sentiment de connexion sociale entre les deux. Il est apparu qu’être sur la même longueur d’onde cérébrale pourrait aider à établir des relations.

Dikker a également étudié cette idée dans un cadre moins artistique : la salle de classe. Dans une salle de classe de fortune dans un laboratoire, un professeur de sciences du secondaire encadrait des groupes de quatre élèves maximum pendant que Dikker et ses collègues enregistraient leur activité cérébrale. Dans une étude publiée sur le serveur de prépublication biorxiv.org en 2019, les chercheurs ont rapporté que plus les cerveaux des étudiants et de l'enseignant étaient synchronisés, plus les étudiants retenaient le matériel lorsqu'ils étaient testés une semaine plus tard. Une analyse de 2022 portant sur 16 études a confirmé que la synchronisation intercérébrale est effectivement liée à un meilleur apprentissage.

" La personne qui prête le plus d'attention ou qui s'accroche le mieux au signal de l'orateur sera également la plus synchronisée avec d'autres personnes qui accordent également la plus grande attention à ce que dit l'orateur ", a déclaré Dikker.

Ce n'est pas seulement l'apprentissage qui semble stimulé lorsque nos cerveaux sont synchronisés, mais également les performances et la coopération de l'équipe. Dans une autre étude réalisée par Dikker et ses collègues, des groupes de quatre personnes ont réfléchi à des utilisations créatives d'une brique ou classé des éléments essentiels pour survivre à un accident d'avion. Les résultats ont montré que plus leurs ondes cérébrales étaient synchronisées, mieux ils effectuaient ces tâches en groupe. Entre-temps, d'autres études ont montré que les équipes neuronales synchronisées non seulement communiquent mieux, mais surpassent également les autres dans les activités créatives telles que l'interprétation de la poésie .

Alors que de nombreuses études ont établi un lien entre la synchronisation intercérébrale et un meilleur apprentissage et de meilleures performances, la question reste de savoir si la synchronisation entraîne réellement de telles améliorations. Serait-ce plutôt une mesure d’engagement ? "Les enfants qui prêtent attention à l'enseignant feront preuve d'une plus grande synchronisation avec cet enseignant parce qu'ils sont plus engagés", a déclaré Holroyd. "Mais cela ne signifie pas que les processus synchrones contribuent réellement d'une manière ou d'une autre à l'interaction et à l'apprentissage."

Pourtant, les expériences sur les animaux suggèrent que la synchronisation neuronale peut effectivement conduire à des changements de comportement. Lorsque l’activité neuronale des souris était mesurée en leur faisant porter de minuscules capteurs en forme de chapeau haut de forme, par exemple, la synchronisation inter-cerveau prédisait si et comment les animaux interagiraient dans le futur. "C'est une preuve assez solide qu'il existe une relation causale entre les deux", a déclaré Novembre.

Chez l’homme, les preuves les plus solides proviennent d’expériences utilisant la stimulation électrique du cerveau pour générer une synchronisation interneurale. Une fois les électrodes placées sur le cuir chevelu des personnes, des courants électriques peuvent passer entre les électrodes pour synchroniser l’activité neuronale du cerveau des personnes. En 2017, Novembre et son équipe ont réalisé la première de ces expériences. Les résultats suggèrent que la synchronisation des ondes cérébrales dans la bande bêta, liée aux fonctions motrices, améliore la capacité des participants à synchroniser les mouvements de leur corps – dans ce cas, en frappant un rythme avec leurs doigts.

Plusieurs études ont récemment reproduit les conclusions de Novembre. Fin 2023, des chercheurs ont découvert qu'une fois les ondes cérébrales synchronisées par stimulation électrique, leur capacité à coopérer dans un jeu informatique simple s'améliorait considérablement. Et l'été dernier d'autres scientifiques ont montré qu'une fois que deux cerveaux sont synchronisés, les gens parviennent mieux à transférer des informations et à se comprendre.

La science est nouvelle, donc le jury ne sait toujours pas s'il existe un véritable lien de causalité entre la synchronie et le comportement humain coopératif. Malgré cela, la science de la synchronisation neuronale nous montre déjà à quel point nous bénéficions lorsque nous faisons les choses en synchronisation avec les autres. Sur le plan biologique, nous sommes programmés pour nous connecter.


Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Marta Zaraska, 28 mars 2024

[ intelligence collective ] [ manipulation du public ] [ collectives réverbérations ] [ implication ] [ rapports humains ] [ transe ] [ attention partagée ] [ murmurations ]

 

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consumérisme

Comment réguler l’exploitation de notre attention ? Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

"La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire."

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers "le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante". Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de moeurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que "les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance". Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. "La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte". De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.

L’attention, un phénomène d’assimilation commercial et culturel L’invention du prime time à la radio puis à la télé a été à la fois une invention commerciale et culturelle, fusionnant le contenu au contenant, l’information/divertissement et la publicité en inventant un rituel d’attention collective massive. Il n’a pas servi qu’à générer une exposition publicitaire inédite, il a créé un phénomène social, une conscience et une identité partagée, tout en rendant la question de l’exposition publicitaire normale et sociale.

Dans la succession des techniques qu’ont inventés les médias de masse pour mobiliser et orienter les foules que décrit Tim Wu, on constate qu’une sorte de cycle semble se reproduire. Les nouvelles technologies et les nouveaux formats rencontrent des succès très rapides. Puis, le succès rencontre des résistances et les audiences se délitent vers de nouvelles techniques ou de nouveaux formats proposés par des concurrents. On a l’impression d’être dans une course poursuite où chaque décennie pourrait être représentée par le succès d’un support phare à l’image des 28 courts chapitres qui scandent le livre. L’essor de la télévision par exemple est fulgurant : entre 1950 et 1956 on passe de 9% à 72% des maisons équipées et à la fin des années 50, on l’a regarde déjà 5 heures par jour en moyenne. Les effets de concentration semblent très rapides… et dès que la fatigue culturelle pointe, que la nouveauté s’émousse, une nouvelle vague de propositions se développe à la fois par de nouveaux formats, de nouvelles modalités de contrôle et de nouveaux objets attentionnels qui poussent plus loin l’exploitation commerciale des publics. Patiemment, Wu rappelle la très longue histoire des nouveaux formats de contenus : la naissance des jeux, des journaux télé, des soirées spéciales, du sport, des feuilletons et séries, de la télé-réalité aux réseaux sociaux… Chacun ayant généré une nouvelle intrication avec la publicité, comme l’invention des coupures publicitaires à la radio et à la télé, qui nécessitaient de réinventer les contenus, notamment en faisant monter l’intrigue pour que les gens restent accrochés. Face aux outils de révolte, comme l’invention de la télécommande ou du magnétoscope, outils de reprise du contrôle par le consommateur, les industries vont répondre par la télévision par abonnement, sans publicité. Elles vont aussi inventer un montage plus rapide qui ne va cesser de s’accélérer avec le temps.

Pour Wu, toute rébellion attentionnelle est sans cesse assimilée. Même la révolte contre la communication de masse, d’intellectuels comme Timothy Leary ou Herbert Marcuse, sera finalement récupérée.

De l’audience au ciblage

La mesure de l’audience a toujours été un enjeu industriel des marchands d’attention. Notamment avec l’invention des premiers outils de mesure de l’audimat permettant d’agréger l’audience en volumes. Wu prend le temps d’évoquer le développement de la personnalisation publicitaire, avec la socio-géo-démographie mise au point par la firme Claritas à la fin des années 70. Claritas Prizm, premier outil de segmentation de la clientèle, va permettre d’identifier différents profils de population pour leur adresser des messages ciblés. Utilisée avec succès pour l’introduction du Diet Coke en 1982, la segmentation publicitaire a montré que la nation américaine était une mosaïque de goûts et de sensibilités qu’il fallait adresser différemment. Elle apporte à l’industrie de la publicité un nouvel horizon de consommateurs, préfigurant un ciblage de plus en plus fin, que la personnalisation de la publicité en ligne va prolonger toujours plus avant. La découverte des segments va aller de pair avec la différenciation des audiences et la naissance, dans les années 80, des chaînes câblées qui cherchent à exploiter des populations différentes (MTV pour la musique, ESPN pour le sport, les chaînes d’info en continu…). L’industrie du divertissement et de la publicité va s’engouffrer dans l’exploitation de la fragmentation de l’audience que le web tentera de pousser encore plus loin.

Wu rappelle que la technologie s’adapte à ses époques : "La technologie incarne toujours l’idéologie, et l’idéologie en question était celle de la différence, de la reconnaissance et de l’individualité". D’un coup le spectateur devait avoir plus de choix, plus de souveraineté… Le visionnage lui-même changeait, plus inattentif et dispersé. La profusion de chaînes et le développement de la télécommande se sont accompagnés d’autres modalités de choix comme les outils d’enregistrements. La publicité devenait réellement évitable. D’où le fait qu’elle ait donc changé, devenant plus engageante, cherchant à devenir quelque chose que les gens voudraient regarder. Mais dans le même temps, la télécommande était aussi un moyen d’être plus branché sur la manière dont nous n’agissons pas rationnellement, d’être plus distraitement attentif encore, à des choses toujours plus simples. "Les technologies conçues pour accroître notre contrôle sur notre attention ont parfois un effet opposé", prévient Wu. "Elles nous ouvrent à un flux de sélections instinctives et de petites récompenses"… En fait, malgré les plaintes du monde de la publicité contre la possibilité de zapper, l’état d’errance distrait des spectateurs n’était pas vraiment mauvais pour les marchands d’attention. Dans l’abondance de choix, dans un système de choix sans friction, nous avons peut-être plus perdu d’attention qu’autre chose.

L’internet a démultiplié encore, par de nouvelles pratiques et de nouveaux médiums, ces questions attentionnelles. L’e-mail et sa consultation sont rapidement devenus une nouvelle habitude, un rituel attentionnel aussi important que le prime time. Le jeu vidéo dès ses débuts a capturé toujours plus avant les esprits.

"En fin de compte, cela suggère aussi à quel point la conquête de l’attention humaine a été incomplète entre les années 1910 et les années 60, même après l’entrée de la télévision à la maison. En effet, même s’il avait enfreint la sphère privée, le domaine de l’interpersonnel demeurait inviolable. Rétrospectivement, c’était un territoire vierge pour les marchands d’attention, même si avant l’introduction de l’ordinateur domestique, on ne pouvait pas concevoir comment cette attention pourrait être commercialisée. Certes, personne n’avait jamais envisagé la possibilité de faire de la publicité par téléphone avant même de passer un appel – non pas que le téléphone ait besoin d’un modèle commercial. Ainsi, comme AOL qui a finalement opté pour la revente de l’attention de ses abonnés, le modèle commercial du marchand d’attention a été remplacé par l’un des derniers espaces considérés comme sacrés : nos relations personnelles." Le grand fournisseur d’accès des débuts de l’internet, AOL, a développé l’accès aux données de ses utilisateurs et a permis de développer des techniques de publicité dans les emails par exemple, vendant également les mails de ses utilisateurs à des entreprises et leurs téléphones à des entreprises de télémarketing. Tout en présentant cela comme des "avantages" réservés à ses abonnés ! FB n’a rien inventé ! "

La particularité de la modernité repose sur l’idée de construire une industrie basée sur la demande à ressentir une certaine communion". Les célébrités sont à leur tour devenues des marchands d’attention, revendant les audiences qu’elles attiraient, à l’image d’Oprah Winfrey… tout en transformant la consommation des produits qu’elle proposait en méthode d’auto-récompense pour les consommateurs.

L’infomercial a toujours été là, souligne Wu. La frontière entre divertissement, information et publicité a toujours été floue. La télé-réalité, la dernière grande invention de format (qui va bientôt avoir 30 ans !) promettant justement l’attention ultime : celle de devenir soi-même star.

Le constat de Wu est amer. "Le web, en 2015, a été complètement envahi par la malbouffe commerciale, dont une grande partie visait les pulsions humaines les plus fondamentales du voyeurisme et de l’excitation." L’automatisation de la publicité est le Graal : celui d’emplacements parfaitement adaptés aux besoins, comme un valet de chambre prévenant. "Tout en promettant d’être utile ou réfléchi, ce qui a été livré relevait plutôt de l’intrusif et pire encore." La télévision – la boîte stupide -, qui nous semblait si attentionnellement accablante, paraît presque aujourd’hui vertueuse par rapport aux boucles attentionnelles sans fin que produisent le web et le mobile.

Dans cette histoire, Wu montre que nous n’avons cessé de nous adapter à cette capture attentionnelle, même si elle n’a cessé de se faire à notre détriment. Les révoltes sont régulières et nécessaires. Elles permettent de limiter et réguler l’activité commerciale autour de nos capacités cognitives. Mais saurons-nous délimiter des frontières claires pour préserver ce que nous estimons comme sacré, notre autonomie cognitive ? La montée de l’internet des objets et des wearables, ces objets qui se portent, laisse supposer que cette immixtion ira toujours plus loin, que la régulation est une lutte sans fin face à des techniques toujours plus invasives. La difficulté étant que désormais nous sommes confrontés à des techniques cognitives qui reposent sur des fonctionnalités qui ne dépendent pas du temps passé, de l’espace ou de l’emplacement… À l’image des rythmes de montage ou des modalités de conception des interfaces du web. Wu conclut en souhaitant que nous récupérions "la propriété de l’expérience même de la vie". Reste à savoir comment…

Comment répondre aux monopoles attentionnels ?

Tim Wu – qui vient de publier un nouveau livre The Curse of Bigness : antitrust in the new Gilded age (La malédiction de la grandeur, non traduit) – prône, comme d’autres, un renforcement des lois antitrusts américaines. Il y invite à briser les grands monopoles que construisent les Gafam, renouvelant par là la politique américaine qui a souvent cherché à limiter l’emprise des monopoles comme dans le cas des télécommunications (AT&T), de la radio ou de la télévision par exemple ou de la production de pétrole (Standard Oil), pour favoriser une concurrence plus saine au bénéfice de l’innovation. À croire finalement que pour lutter contre les processus de capture attentionnels, il faut peut-être passer par d’autres leviers que de chercher à réguler les processus attentionnels eux-mêmes ! Limiter le temps d’écran finalement est peut-être moins important que limiter la surpuissance de quelques empires sur notre attention !

La règle actuelle pour limiter le développement de monopoles, rappelle Wu dans une longue interview pour The Verge, est qu’il faut démontrer qu’un rachat ou une fusion entraînera une augmentation des prix pour le consommateur. Outre, le fait que c’est une démonstration difficile, car spéculative, "il est pratiquement impossible d’augmenter les prix à la consommation lorsque les principaux services Internet tels que Google et Facebook sont gratuits". Pour plaider pour la fragmentation de ces entreprises, il faudrait faire preuve que leur concentration produit de nouveaux préjudices, comme des pratiques anticoncurrentielles quand des entreprises absorbent finalement leurs concurrents. Aux États-Unis, le mouvement New Brandeis (qui fait référence au juge Louis Brandeis acteur majeur de la lutte contre les trusts) propose que la régulation favorise la compétition.

Pour Wu par exemple, la concurrence dans les réseaux sociaux s’est effondrée avec le rachat par Facebook d’Instagram et de WhatsApp. Et au final, la concurrence dans le marché de l’attention a diminué. Pour Wu, il est temps de défaire les courtiers de l’attention, comme il l’explique dans un article de recherche qui tente d’esquisser des solutions concrètes. Il propose par exemple de créer une version attentionnelle du test du monopoleur hypothétique, utilisé pour mesurer les abus de position dominante, en testant l’influence de la publicité sur les pratiques. Pour Tim Wu, il est nécessaire de trouver des modalités à l’analyse réglementaire des marchés attentionnels.

Dans cet article, Wu s’intéresse également à la protection des audiences captives, à l’image des écrans publicitaires des pompes à essence qui vous délivrent des messages sans pouvoir les éviter où ceux des écrans de passagers dans les avions… Pour Wu, ces nouvelles formes de coercition attentionnelle sont plus qu’un ennui, puisqu’elles nous privent de la liberté de penser et qu’on ne peut les éviter. Pour lui, il faudrait les caractériser comme un "vol attentionnel". Certes, toutes les publicités ne peuvent pas être caractérisées comme telles, mais les régulateurs devraient réaffirmer la question du consentement souligne-t-il, notamment quand l’utilisateur est captif ou que la capture cognitive exploite nos biais attentionnels sans qu’on puisse lutter contre. Et de rappeler que les consommateurs doivent pouvoir dépenser ou allouer leur attention comme ils le souhaitent. Que les régulateurs doivent chercher à les protéger de situations non consensuelles et sans compensation, notamment dans les situations d’attention captive ainsi que contre les intrusions inévitables (celles qui sont augmentées par un volume sonore élevé, des lumières clignotantes, etc.). Ainsi, les publicités de pompe à essence ne devraient être autorisées qu’en cas de compensation pour le public (par exemple en proposant une remise sur le prix de l’essence)…

Wu indique encore que les réglementations sur le bruit qu’ont initié bien des villes peuvent être prises pour base pour construire des réglementations de protection attentionnelle, tout comme l’affichage sur les autoroutes, également très réglementé. Pour Tim Wu, tout cela peut sembler peut-être peu sérieux à certain, mais nous avons pourtant imposé par exemple l’interdiction de fumer dans les avions sans que plus personne aujourd’hui n’y trouve à redire. Il est peut-être temps de prendre le bombardement attentionnel au sérieux. En tout cas, ces défis sont devant nous, et nous devrons trouver des modalités pour y répondre, conclut-il.

Auteur: Guillaud Hubert

Info: 27 décembre 2018, http://internetactu.blog.lemonde.fr

[ culture de l'epic fail ] [ propagande ] [ captage de l'attention ]

 

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interrogation

Pourquoi cet univers ? Un nouveau calcul suggère que notre cosmos est typique.

Deux physiciens ont calculé que l’univers a une entropie plus élevée – et donc plus probable – que d’autres univers possibles. Le calcul est " une réponse à une question qui n’a pas encore été pleinement comprise ".

(image : Les propriétés de notre univers – lisse, plat, juste une pincée d’énergie noire – sont ce à quoi nous devrions nous attendre, selon un nouveau calcul.)

Les cosmologues ont passé des décennies à chercher à comprendre pourquoi notre univers est si étonnamment vanille. Non seulement il est lisse et plat à perte de vue, mais il s'étend également à un rythme toujours plus lent, alors que des calculs naïfs suggèrent que – à la sortie du Big Bang – l'espace aurait dû se froisser sous l'effet de la gravité et détruit par une énergie noire répulsive.

Pour expliquer la planéité du cosmos, les physiciens ont ajouté un premier chapitre dramatique à l'histoire cosmique : ils proposent que l'espace se soit rapidement gonflé comme un ballon au début du Big Bang, aplanissant toute courbure. Et pour expliquer la légère croissance de l’espace après cette première période d’inflation, certains ont avancé que notre univers n’est qu’un parmi tant d’autres univers moins hospitaliers dans un multivers géant.

Mais maintenant, deux physiciens ont bouleversé la pensée conventionnelle sur notre univers vanille. Suivant une ligne de recherche lancée par Stephen Hawking et Gary Gibbons en 1977, le duo a publié un nouveau calcul suggérant que la clarté du cosmos est attendue plutôt que rare. Notre univers est tel qu'il est, selon Neil Turok de l'Université d'Édimbourg et Latham Boyle de l'Institut Perimeter de physique théorique de Waterloo, au Canada, pour la même raison que l'air se propage uniformément dans une pièce : des options plus étranges sont concevables, mais extrêmement improbable.

L'univers " peut sembler extrêmement précis, extrêmement improbable, mais eux  disent : 'Attendez une minute, c'est l'univers préféré' ", a déclaré Thomas Hertog , cosmologue à l'Université catholique de Louvain en Belgique.

"Il s'agit d'une contribution nouvelle qui utilise des méthodes différentes de celles utilisées par la plupart des gens", a déclaré Steffen Gielen , cosmologue à l'Université de Sheffield au Royaume-Uni.

La conclusion provocatrice repose sur une astuce mathématique consistant à passer à une horloge qui tourne avec des nombres imaginaires. En utilisant l'horloge imaginaire, comme Hawking l'a fait dans les années 70, Turok et Boyle ont pu calculer une quantité, connue sous le nom d'entropie, qui semble correspondre à notre univers. Mais l’astuce du temps imaginaire est une manière détournée de calculer l’entropie, et sans une méthode plus rigoureuse, la signification de la quantité reste vivement débattue. Alors que les physiciens s’interrogent sur l’interprétation correcte du calcul de l’entropie, beaucoup le considèrent comme un nouveau guide sur la voie de la nature quantique fondamentale de l’espace et du temps.

"D'une manière ou d'une autre", a déclaré Gielen, "cela nous donne peut-être une fenêtre sur la microstructure de l'espace-temps."

Chemins imaginaires

Turok et Boyle, collaborateurs fréquents, sont réputés pour avoir conçu des idées créatives et peu orthodoxes sur la cosmologie. L’année dernière, pour étudier la probabilité que notre Univers soit probable, ils se sont tournés vers une technique développée dans les années 1940 par le physicien Richard Feynman.

Dans le but de capturer le comportement probabiliste des particules, Feynman a imaginé qu'une particule explore toutes les routes possibles reliant le début à la fin : une ligne droite, une courbe, une boucle, à l'infini. Il a imaginé un moyen d'attribuer à chaque chemin un nombre lié à sa probabilité et d'additionner tous les nombres. Cette technique de " l’intégrale du chemin " est devenue un cadre puissant pour prédire le comportement probable d’un système quantique.

Dès que Feynman a commencé à faire connaître l’intégrale du chemin, les physiciens ont repéré un curieux lien avec la thermodynamique, la vénérable science de la température et de l’énergie. C'est ce pont entre la théorie quantique et la thermodynamique qui a permis les calculs de Turok et Boyle.

La thermodynamique exploite la puissance des statistiques afin que vous puissiez utiliser seulement quelques chiffres pour décrire un système composé de plusieurs éléments, comme les milliards de molécules d'air qui s'agitent dans une pièce. La température, par exemple – essentiellement la vitesse moyenne des molécules d’air – donne une idée approximative de l’énergie de la pièce. Les propriétés globales telles que la température et la pression décrivent un "  macrostate " de la pièce.

Mais ce terme de un macro-état est un compte rendu rudimentaire ; les molécules d’air peuvent être disposées d’un très grand nombre de manières qui correspondent toutes au même macroétat. Déplacez un peu un atome d’oxygène vers la gauche et la température ne bougera pas. Chaque configuration microscopique unique est appelée microétat, et le nombre de microétats correspondant à un macroétat donné détermine son entropie.

L'entropie donne aux physiciens un moyen précis de comparer les probabilités de différents résultats : plus l'entropie d'un macroétat est élevée, plus il est probable. Il existe bien plus de façons pour les molécules d'air de s'organiser dans toute la pièce que si elles étaient regroupées dans un coin, par exemple. En conséquence, on s’attend à ce que les molécules d’air se propagent (et restent dispersées). La vérité évidente selon laquelle les résultats probables sont probables, exprimée dans le langage de la physique, devient la célèbre deuxième loi de la thermodynamique : selon laquelle l’entropie totale d’un système a tendance à croître.

La ressemblance avec l'intégrale du chemin était indubitable : en thermodynamique, on additionne toutes les configurations possibles d'un système. Et avec l’intégrale du chemin, vous additionnez tous les chemins possibles qu’un système peut emprunter. Il y a juste une distinction assez flagrante : la thermodynamique traite des probabilités, qui sont des nombres positifs qui s'additionnent simplement. Mais dans l'intégrale du chemin, le nombre attribué à chaque chemin est complexe, ce qui signifie qu'il implique le nombre imaginaire i , la racine carrée de −1. Les nombres complexes peuvent croître ou diminuer lorsqu’ils sont additionnés, ce qui leur permet de capturer la nature ondulatoire des particules quantiques, qui peuvent se combiner ou s’annuler.

Pourtant, les physiciens ont découvert qu’une simple transformation peut vous faire passer d’un domaine à un autre. Rendez le temps imaginaire (un mouvement connu sous le nom de rotation de Wick d'après le physicien italien Gian Carlo Wick), et un second i entre dans l'intégrale du chemin qui étouffe le premier, transformant les nombres imaginaires en probabilités réelles. Remplacez la variable temps par l'inverse de la température et vous obtenez une équation thermodynamique bien connue.

Cette astuce de Wick a conduit Hawking et Gibbons à une découverte à succès en 1977, à la fin d'une série éclair de découvertes théoriques sur l'espace et le temps.

L'entropie de l'espace-temps

Des décennies plus tôt, la théorie de la relativité générale d’Einstein avait révélé que l’espace et le temps formaient ensemble un tissu unifié de réalité – l’espace-temps – et que la force de gravité était en réalité la tendance des objets à suivre les plis de l’espace-temps. Dans des circonstances extrêmes, l’espace-temps peut se courber suffisamment fortement pour créer un Alcatraz incontournable connu sous le nom de trou noir.

En 1973, Jacob Bekenstein a avancé l’hérésie selon laquelle les trous noirs seraient des prisons cosmiques imparfaites. Il a estimé que les abysses devraient absorber l'entropie de leurs repas, plutôt que de supprimer cette entropie de l'univers et de violer la deuxième loi de la thermodynamique. Mais si les trous noirs ont de l’entropie, ils doivent aussi avoir des températures et rayonner de la chaleur.

Stephen Hawking, sceptique, a tenté de prouver que Bekenstein avait tort, en se lançant dans un calcul complexe du comportement des particules quantiques dans l'espace-temps incurvé d'un trou noir. À sa grande surprise, il découvrit en 1974 que les trous noirs rayonnaient effectivement. Un autre calcul a confirmé l'hypothèse de Bekenstein : un trou noir a une entropie égale au quart de la surface de son horizon des événements – le point de non-retour pour un objet tombant.

Dans les années qui suivirent, les physiciens britanniques Gibbons et Malcolm Perry, puis plus tard Gibbons et Hawking, arrivèrent au même résultat dans une autre direction . Ils ont établi une intégrale de chemin, additionnant en principe toutes les différentes manières dont l'espace-temps pourrait se plier pour former un trou noir. Ensuite, ils ont fait tourner le trou noir, marquant l'écoulement du temps avec des nombres imaginaires, et ont scruté sa forme. Ils ont découvert que, dans la direction du temps imaginaire, le trou noir revenait périodiquement à son état initial. Cette répétition semblable au jour de la marmotte dans un temps imaginaire a donné au trou noir une sorte de stase qui leur a permis de calculer sa température et son entropie.

Ils n’auraient peut-être pas fait confiance aux résultats si les réponses n’avaient pas correspondu exactement à celles calculées précédemment par Bekenstein et Hawking. À la fin de la décennie, leur travail collectif avait donné naissance à une idée surprenante : l’entropie des trous noirs impliquait que l’espace-temps lui-même était constitué de minuscules morceaux réorganisables, tout comme l’air est constitué de molécules. Et miraculeusement, même sans savoir ce qu’étaient ces " atomes gravitationnels ", les physiciens ont pu compter leurs arrangements en regardant un trou noir dans un temps imaginaire.

"C'est ce résultat qui a laissé une très profonde impression sur Hawking", a déclaré Hertog, ancien étudiant diplômé et collaborateur de longue date de Hawking. Hawking s'est immédiatement demandé si la rotation de Wick fonctionnerait pour autre chose que les trous noirs. "Si cette géométrie capture une propriété quantique d'un trou noir", a déclaré Hertog, "alors il est irrésistible de faire la même chose avec les propriétés cosmologiques de l'univers entier."

Compter tous les univers possibles

Immédiatement, Hawking et Gibbons Wick ont ​​fait tourner l’un des univers les plus simples imaginables – un univers ne contenant rien d’autre que l’énergie sombre construite dans l’espace lui-même. Cet univers vide et en expansion, appelé espace-temps " de Sitter ", a un horizon au-delà duquel l’espace s’étend si rapidement qu’aucun signal provenant de cet espace ne parviendra jamais à un observateur situé au centre de l’espace. En 1977, Gibbons et Hawking ont calculé que, comme un trou noir, un univers de De Sitter possède également une entropie égale au quart de la surface de son horizon. Encore une fois, l’espace-temps semblait comporter un nombre incalculable de micro-états.

Mais l’entropie de l’univers réel restait une question ouverte. Notre univers n'est pas vide ; il regorge de lumière rayonnante et de flux de galaxies et de matière noire. La lumière a provoqué une expansion rapide de l'espace pendant la jeunesse de l'univers, puis l'attraction gravitationnelle de la matière a ralenti les choses pendant l'adolescence cosmique. Aujourd’hui, l’énergie sombre semble avoir pris le dessus, entraînant une expansion galopante. "Cette histoire d'expansion est une aventure semée d'embûches", a déclaré Hertog. "Il n'est pas si facile d'obtenir une solution explicite."

Au cours de la dernière année, Boyle et Turok ont ​​élaboré une solution aussi explicite. Tout d'abord, en janvier, alors qu'ils jouaient avec des cosmologies jouets, ils ont remarqué que l'ajout de radiations à l'espace-temps de De Sitter ne gâchait pas la simplicité requise pour faire tourner l'univers par Wick.

Puis, au cours de l’été, ils ont découvert que la technique résisterait même à l’inclusion désordonnée de matière. La courbe mathématique décrivant l’histoire plus complexe de l’expansion relevait toujours d’un groupe particulier de fonctions faciles à manipuler, et le monde de la thermodynamique restait accessible. "Cette rotation de Wick est une affaire trouble lorsque l'on s'éloigne d'un espace-temps très symétrique", a déclaré Guilherme Leite Pimentel , cosmologiste à la Scuola Normale Superiore de Pise, en Italie. "Mais ils ont réussi à le trouver."

En faisant tourner Wick l’histoire de l’expansion en montagnes russes d’une classe d’univers plus réaliste, ils ont obtenu une équation plus polyvalente pour l’entropie cosmique. Pour une large gamme de macroétats cosmiques définis par le rayonnement, la matière, la courbure et une densité d'énergie sombre (tout comme une plage de températures et de pressions définit différents environnements possibles d'une pièce), la formule crache le nombre de microétats correspondants. Turok et Boyle ont publié leurs résultats en ligne début octobre.

Les experts ont salué le résultat explicite et quantitatif. Mais à partir de leur équation d’entropie, Boyle et Turok ont ​​tiré une conclusion non conventionnelle sur la nature de notre univers. "C'est là que cela devient un peu plus intéressant et un peu plus controversé", a déclaré Hertog.

Boyle et Turok pensent que l'équation effectue un recensement de toutes les histoires cosmiques imaginables. Tout comme l'entropie d'une pièce compte toutes les façons d'arranger les molécules d'air pour une température donnée, ils soupçonnent que leur entropie compte toutes les façons dont on peut mélanger les atomes de l'espace-temps et se retrouver avec un univers avec une histoire globale donnée. courbure et densité d’énergie sombre.

Boyle compare le processus à l'examen d'un gigantesque sac de billes, chacune représentant un univers différent. Ceux qui ont une courbure négative pourraient être verts. Ceux qui ont des tonnes d'énergie sombre pourraient être des yeux de chat, et ainsi de suite. Leur recensement révèle que l’écrasante majorité des billes n’ont qu’une seule couleur – le bleu, par exemple – correspondant à un type d’univers : un univers globalement semblable au nôtre, sans courbure appréciable et juste une touche d’énergie sombre. Les types de cosmos les plus étranges sont extrêmement rares. En d’autres termes, les caractéristiques étrangement vanille de notre univers qui ont motivé des décennies de théorie sur l’inflation cosmique et le multivers ne sont peut-être pas étranges du tout.

"C'est un résultat très intrigant", a déclaré Hertog. Mais " cela soulève plus de questions que de réponses ".

Compter la confusion

Boyle et Turok ont ​​calculé une équation qui compte les univers. Et ils ont fait l’observation frappante que des univers comme le nôtre semblent représenter la part du lion des options cosmiques imaginables. Mais c’est là que s’arrête la certitude.

Le duo ne tente pas d’expliquer quelle théorie quantique de la gravité et de la cosmologie pourrait rendre certains univers communs ou rares. Ils n’expliquent pas non plus comment notre univers, avec sa configuration particulière de parties microscopiques, est né. En fin de compte, ils considèrent leurs calculs comme un indice permettant de déterminer quels types d’univers sont préférés plutôt que comme quelque chose qui se rapproche d’une théorie complète de la cosmologie. "Ce que nous avons utilisé est une astuce bon marché pour obtenir la réponse sans connaître la théorie", a déclaré Turok.

Leurs travaux revitalisent également une question restée sans réponse depuis que Gibbons et Hawking ont lancé pour la première fois toute l’histoire de l’entropie spatio-temporelle : quels sont exactement les micro-états que compte l’astuce bon marché ?

"L'essentiel ici est de dire que nous ne savons pas ce que signifie cette entropie", a déclaré Henry Maxfield , physicien à l'Université de Stanford qui étudie les théories quantiques de la gravité.

En son cœur, l’entropie résume l’ignorance. Pour un gaz constitué de molécules, par exemple, les physiciens connaissent la température – la vitesse moyenne des particules – mais pas ce que fait chaque particule ; l'entropie du gaz reflète le nombre d'options.

Après des décennies de travaux théoriques, les physiciens convergent vers une vision similaire pour les trous noirs. De nombreux théoriciens pensent aujourd'hui que la zone de l'horizon décrit leur ignorance de ce qui s'y trouve, de toutes les façons dont les éléments constitutifs du trou noir sont disposés de manière interne pour correspondre à son apparence extérieure. (Les chercheurs ne savent toujours pas ce que sont réellement les microétats ; les idées incluent des configurations de particules appelées gravitons ou cordes de la théorie des cordes.)

Mais lorsqu’il s’agit de l’entropie de l’univers, les physiciens se sentent moins sûrs de savoir où se situe leur ignorance.

En avril, deux théoriciens ont tenté de donner à l’entropie cosmologique une base mathématique plus solide. Ted Jacobson , physicien à l'Université du Maryland réputé pour avoir dérivé la théorie de la gravité d'Einstein de la thermodynamique des trous noirs, et son étudiant diplômé Batoul Banihashemi ont explicitement défini l'entropie d'un univers de Sitter (vacant et en expansion). Ils ont adopté la perspective d’un observateur au centre. Leur technique, qui consistait à ajouter une surface fictive entre l'observateur central et l'horizon, puis à rétrécir la surface jusqu'à ce qu'elle atteigne l'observateur central et disparaisse, a récupéré la réponse de Gibbons et Hawking selon laquelle l'entropie est égale à un quart de la surface de l'horizon. Ils ont conclu que l’entropie de De Sitter compte tous les microétats possibles à l’intérieur de l’horizon.

Turok et Boyle calculent la même entropie que Jacobson et Banihashemi pour un univers vide. Mais dans leur nouveau calcul relatif à un univers réaliste rempli de matière et de rayonnement, ils obtiennent un nombre beaucoup plus grand de microétats – proportionnels au volume et non à la surface. Face à ce conflit apparent, ils spéculent que les différentes entropies répondent à des questions différentes : la plus petite entropie de De Sitter compte les microétats d'un espace-temps pur délimité par un horizon, tandis qu'ils soupçonnent que leur plus grande entropie compte tous les microétats d'un espace-temps rempli d'espace-temps. matière et énergie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’horizon. "C'est tout un shebang", a déclaré Turok.

En fin de compte, régler la question de savoir ce que comptent Boyle et Turok nécessitera une définition mathématique plus explicite de l’ensemble des microétats, analogue à ce que Jacobson et Banihashemi ont fait pour l’espace de Sitter. Banihashemi a déclaré qu'elle considérait le calcul d'entropie de Boyle et Turok " comme une réponse à une question qui n'a pas encore été entièrement comprise ".

Quant aux réponses plus établies à la question " Pourquoi cet univers ? ", les cosmologistes affirment que l’inflation et le multivers sont loin d’être morts. La théorie moderne de l’inflation, en particulier, est parvenue à résoudre bien plus que la simple question de la douceur et de la planéité de l’univers. Les observations du ciel correspondent à bon nombre de ses autres prédictions. L'argument entropique de Turok et Boyle a passé avec succès un premier test notable, a déclaré Pimentel, mais il lui faudra trouver d'autres données plus détaillées pour rivaliser plus sérieusement avec l'inflation.

Comme il sied à une grandeur qui mesure l’ignorance, les mystères enracinés dans l’entropie ont déjà servi de précurseurs à une physique inconnue. À la fin des années 1800, une compréhension précise de l’entropie en termes d’arrangements microscopiques a permis de confirmer l’existence des atomes. Aujourd'hui, l'espoir est que si les chercheurs calculant l'entropie cosmologique de différentes manières peuvent déterminer exactement à quelles questions ils répondent, ces chiffres les guideront vers une compréhension similaire de la façon dont les briques Lego du temps et de l'espace s'empilent pour créer l'univers qui nous entoure.

"Notre calcul fournit une énorme motivation supplémentaire aux personnes qui tentent de construire des théories microscopiques de la gravité quantique", a déclaré Turok. "Parce que la perspective est que cette théorie finira par expliquer la géométrie à grande échelle de l'univers."

 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Charlie Wood, 17 nov 2022

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Vers une science de la complexité
La physique quantique n’est pas une théorie de l’univers ; elle n’est qu’un formalisme génial qui permet d’abandonner les vieilles notions simplistes d’objet physique et de force physique, au centre de la physique de Galilée, Newton et Einstein, pour migrer vers les notions plus riches et plus souples de fonctions d’état (que l’on continue d’appeler, à tort, fonctions d’onde) et d’opérateurs. Il n’y a plus d’objet (ni d’onde, ni de particule, ni rien) : il y a un processus qui, à un moment donné, est décrit par une fonction d’état. Cette fonction évolue dans le temps. Faire une mesure (une observation quantifiée) consiste à appliquer à cette fonction d’état un opérateur qui spécifie la mesure que l’on fait, mais qui, en retour, modifie la fonction d’état. Ce formalisme ne dit rien de l’évolution réelle du Réel. Il permet seulement, dans certains cas, de prédire le résultat d’une mesure spécifique sur le Réel.

Le piège relativiste et le piège quantique.
Pour le dire en suivant Niels Bohr, la physique quantique n’est pas une ontologie : elle ne dit rien du Réel, mais explicite seulement certains de nos rapports avec le Réel. Ceci résume d’un mot la célèbre controverse entre ces deux Juifs géniaux que furent Einstein et Bohr. Einstein voulait fonder une ontologie post-newtonienne ("Connaître la pensée de Dieu"), alors que Bohr ne voulait que développer une phénoménologie opératoire et avait renoncé, dans une posture typiquement kantienne, à toute forme d’ontologie ("Ne dites pas à Dieu ce qu’Il doit faire").

Le problème, tel qu’il se présente aujourd’hui, se résume à ceci. L’ontologie relativiste, parce qu’elle n’a pas su quitter le mécanicisme déterministe et analytique des modernes, aboutit à des impasses monstrueuses qui, pour sauver le modèle, appellent des hypothèses de plus en plus invraisemblables et abracadabrantesques. Quant à la phénoménologie quantique, si elle se cantonne à demeurer une pure phénoménologie, elle se réduit à une technique mathématique plus ou moins efficiente dans les cas les plus simples et elle n’est guère satisfaisante pour l’esprit qui, toujours, a soif d’ontologie ; mais, si elle se laisse tenter à se prendre pour une ontologie (ce qui est de plus en plus souvent le cas, surtout en physique des hautes énergies et des "particules" élémentaires), elle aboutit à des absurdités logiques, et des "théories" fumeuses (comme la supersymétrie, les cordes, etc.) tentent en vain de masquer les inconsistances.

Nous sommes au seuil de ce que Thomas Kuhn appela une "mutation paradigmatique" majeure dans le monde de la science fondamentale. Spiritualité et physique sont en train de converger.

Notre époque appelle à refonder radicalement une nouvelle ontologie qui devra prendre garde à éviter, à la fois, le piège relativiste (l’ontologie mécaniciste) et le piège quantique (la phénoménologie subjectiviste). La physique complexe est la seule voie connue actuellement qui puisse tenter de relever ce défi. Mais les institutions physiciennes en place veillent à ne pas laisser saccager leur fonds de commerce. Nous sommes au seuil de ce que Thomas Kuhn appela une "mutation paradigmatique" majeure dans le monde de la science fondamentale. Spiritualité et physique sont en train de converger.

Les sciences modernes.
Toutes les sciences modernes se sont construites à partir du refus de la Renaissance de continuer le paradigme aristotélicien d’un univers organiciste, finaliste, géocentrique, limité, divisé en monde céleste et en monde sublunaire et dirigé par le principe de l’harmonie des sphères. Parmi les premiers, Galilée et Descartes éradiquèrent ce paradigme aristotélicien et le remplacèrent par un paradigme platonicien (donc pythagoricien et atomiste) qui allait devenir le moteur de la pensée entre 1500 et 2000. Ce paradigme moderne repose tout entier sur le mécanicisme. Plongé dans un espace et un temps infinis, l’univers serait un assemblage de briques élémentaires appelées "atomes", interagissant entre eux au moyen de forces élémentaires partout les mêmes (un univers isotrope) et parfaitement quantifiables (un univers mathématique) où tout effet a une cause et où cause et effet sont proportionnés selon des rapports mesurables et permanents, soumis à des lois mathématiques éternelles. Le hasard y joue le rôle central de moteur des évolutions.

Cette vision du monde fut fructueuse et permit de grandes avancées, dont les très nombreuses retombées techniques ont radicalement transformé le monde des hommes et leur ont permis, dans bien des cas, de les libérer des contraintes "naturelles" qui pesaient sur eux. Cependant, les sciences modernes, dès la fin du XIXe siècle, mais surtout depuis 1950, se sont heurtées, partout, au "mur de la complexité".

Le mur de la complexité.
Ce "mur de la complexité" a fait prendre conscience que certains systèmes où le nombre des ingrédients et les densités d’interaction entre eux étaient très grands ne pouvaient plus être compris selon le paradigme mécaniste : ils ne sont pas que des assemblages d’élémentaires, car leur tout est irréductible à la simple somme de leurs parties ; là s’observent des propriétés émergentes qui n’appartiennent à aucun des ingrédients impliqués et qui surgissent sans cause particulière, comme solution globale à un problème global. Aristote ressuscite, et les traditions indiennes et chinoises viennent à sa rescousse…

Ce fut la thermodynamique qui, la première, osa les questions de fond dont la toute première, résolument contradictoire avec les sciences mécanistes, fut celle de l’irréversibilité ; celle de la flèche du temps, celle du Devenir en lieu et place de l’Etre. L’univers réel n’est pas une machine mécanique réversible, soumise à des lois mécaniques prédictibles.

Pour le dire autrement, les sciences classiques font des merveilles pourvu que les systèmes auxquels elles s’intéressent soient d’un niveau de complexité très bas. Alors, l’approximation mécaniste peut être efficace et donne de bons résultats, parfois spectaculaires (il est plus facile d’envoyer une fusée sur Mars que de modéliser la préparation d’un bon cassoulet). Après la thermodynamique, les sciences de la vie et l’étude des sociétés vivantes ont bien dû constater que le "mur de la complexité" était, pour elles aussi, infranchissable si elles restaient à l’intérieur du paradigme mécaniste. Disons-le tout cru : la Vie n’est pas réductible à la Matière, ni la Pensée à la Vie… On commence maintenant à comprendre que même la Matière n’est réductible ni à elle-même, ni à de l’énergie pure. Au fond : rien n’est réductible à rien. Tout ce qui existe n’existe que par soi et pour soi ; c’est l’émergence locale d’un flux cosmique de devenir. Mais tout ce qui existe est aussi partie prenante d’un tout plus grand qui l’englobe… Et tout ce qui existe est, en même temps, le résultat des interactions infinies entre les ingrédients multiples qui le constituent en interagissant entre eux. Rien de ce qui existe n’est un assemblage construit "de l’extérieur", mais bien plutôt quelque chose qui "pousse de l’intérieur".

Cette dernière remarque permet d’alimenter une réflexion de fond. Nous avons pris l’habitude de parler et de penser en termes d’objets : cette table, ce chien, ce nuage, etc. Et il nous semble naturel de faire de ces mots les images de ce qui existe, en leur gardant une atemporalité abstraite et idéalisante qui ne correspond à rien de réel. Cette table, ce chien et ce nuage auront changé – un peu, beaucoup, énormément – dans trois minutes, dans trois jours, dans trois ans, etc. Rien n’est permanent dans le réel, même si nos habitudes de pensée, par l’usage de mots figés et abstraits, alimentent notre illusion que tout reste "fondamentalement" identique à soi. Ce qui est notoirement faux.

Tout cela relève d’un débat métaphysique qui n’a pas vraiment sa place ici. Disons seulement que la philosophie occidentale est obsédée par la notion d’un Etre immuable qui se cacherait "derrière" les accidents et évolutions de tout ce qui existe. Le pensée complexe prend l’exact contre-pied de cette croyance. Il n’y a pas d’Etre ; tout est processus. Ce chien appelé "Médor" est l’image, ici et maintenant, d’un processus canin particulier (un individu chien singulier) qui exprime un processus canin global (une lignée canine remontant à des ancêtres chacals, loups et renards) qui, à son tour, est un mode particulier d’expression du processus Vie sur notre petite Terre. Et cette terre elle-même constitue un processus planétaire, lié au processus solaire, lié au processus d’une galaxie parmi d’autres, appelée "voie lactée". Le processus chien appelé "Médor" est la résultante de milliards de processus cellulaires qui furent tous déclenchés par la rencontre d’un ovule fertile et d’un spermatozoïde.

Les mots s’arrêtent à la surface des choses.
Ce que nos mots appellent un "objet" n’est que la photographie extérieure et instantanée d’un processus qui a commencé, comme tout le reste, avec le big-bang. Il n’y a au fond qu’un seul processus unique : le cosmos pris comme un tout. Ce processus cosmique engendre des processus particuliers, de plus en plus complexes, de plus en plus intriqués les uns aux autres, qui sont autant de processus émergeants. Nous appelons "objet" la surface extérieure apparente d’un processus volumique intérieur qui engendre cette surface. Cette surface objectale n’est que l’emballage apparent de la réalité processuelle sous-jacente.

Les mots s’arrêtent à la surface des choses, à leur apparence, que notre mental débarrasse de tout ce qui change pour n’en garder que les caractéristiques atemporelles qui ne changent pas ou peu. Médor est ce chien qui est un berger noir et feu, couché là au soleil, avec quatre pattes, une queue touffue, une truffe noire, deux yeux pétillants, deux oreilles dressées, etc. "Médor" désigne l’ensemble de ces caractéristiques objectales censées être temporairement permanentes. Mais, en fait, "Médor" désigne l’entrelacs de milliers de milliards de processus cellulaires intriqués et corrélés, fédérés par l’intention commune de survivre le mieux possible, dans un environnement peu maîtrisé mais globalement favorable, appelé domesticité.

La méthode analytique, mise à l’honneur par René Descartes, part d’un principe parfaitement arbitraire – et qui se révèlera faux – que le tout est l’exacte somme de ses parties. Que pour comprendre un système, il "suffit" de le démonter en ses constituants, puis ceux-ci en les leurs, et ainsi de suite, pour atteindre les élémentaires constitutifs du tout et les comprendre, pour, ensuite, les remonter, étage par étage, afin d’obtenir "logiquement" la compréhension du tout par la compréhension de chacune de ses parties. On trouve là le fondement ultime du mécanicisme qui fait de tout, à l’instar de la machine, un assemblage de parties ayant et gardant une identité propre irréfragable. Le piston et la soupape sont piston et soupape qu’ils soient, ou non, montés ensemble ou démontés séparément.

Tout l’analycisme repose sur cette hypothèse largement fausse que les interactions entre éléments n’altèrent pas la nature de ces éléments. Ils restent intègres et identifiables qu’il y ait, ou non, des interactions avec d’autres "objets". Encore une fois, l’analycisme est une approche qui n’est jouable que pour les systèmes rudimentaires où l’hypothèse mécaniste est approximativement acceptable, c’est-à-dire à des niveaux de complexité ridiculement bas.

Un bon exemple de système complexe "simple" où le principe d’analycité est mis à mal est la mayonnaise. Rien de plus simple, en effet : trois ingrédients et un battage à bonne température. Une fois que la réaction d’émulsion s’est enclenchée et que la mayonnaise a pris, on ne pourra pas la faire "déprendre", même en battant le tout en sens inverse. Il y a là une irréversibilité liée aux relations émulsives qui unissent entre elles, selon des schémas complexes, des milliards de molécules organiques intriquées les unes aux autres par des ponts "hydrogène", des forces de van der Waals, des quasi-cristallisations, etc. Dans l’émulsion "mayonnaise", il n’y a plus de molécules d’huile, de molécules de jaune d’œuf, etc. Il y a un tout inextricablement corrélé et intriqué, un magma biochimique où plus aucune molécule ne garde sa propre identité. Le tout a absorbé les particularités constitutives des parties pour engendrer, par émergence, quelque chose de neuf appelé "mayonnaise" qui est tout sauf un assemblage de molécules distinctes.

Un autre exemple typique est fourni par les modèle "en goutte liquide" des noyaux atomiques. Le noyau d’hélium n’est pas un assemblage de deux protons et de deux neutrons (comme le neutron n’est pas un assemblage d’un proton avec un électron avec quelques bricoles de plus). Un noyau d’hélium est une entité unitaire, unique et unitive que l’on peut engendrer en faisant se télescoper violemment nos quatre nucléons. Ceux-ci, une fois entrés en interaction forte, constituent un objet à part entière où plus aucun neutron ou proton n’existe comme tel. Si l’on percute ce noyau d’hélium avec suffisamment de violence, il peut se faire qu’il vole en éclat et que ces fragments, après un très court temps d’instabilité, reconstituent protons et neutrons. Cela donne l’illusion que ces protons et neutrons seraient restés entiers au sein du noyau. Il n’en est rien.

Un système devient d’autant plus complexe que la puissance des interactions en son sein transforme radicalement la nature et l’identité des ingrédients qui y interviennent. De là, deux conséquences majeures. Primo : un système vraiment complexe est un tout sans parties distinctes discernables, qui se comporte et évolue comme un tout unique, sans composant. Les méthodes analytiques y sont donc inopérantes. Secundo : lorsqu’on tente de "démonter" un système vraiment complexe, comme le préconise Descartes, on le tue purement et simplement, pour la bonne raison qu’en le "démontant", on détruit les interactions qui en constituent l’essentiel.

Le processus d’émergence.
Tout ce qui existe pousse "du dedans" et rien n’est assemblé "du dehors". Tout ce qui existe est le développement, par prolifération interne, d’un germe initial (que ce soit un nuage, un flocon de neige, un cristal, un brin d’herbe, un arbre, une méduse, un chien ou un être humain). Rien dans la Nature n’est assemblé comme le seraient les diverses pièces usinées d’un moteur d’automobile. Seuls les artéfacts humains sont des produits d’assemblage qui appellent deux éléments n’existant pas dans le Nature : des pièces usinées préfabriquées et un ouvrier ou robot monteur. Dans la nature, il n’existe pas de pièces préfabriquées exactement selon le plan de montage. Il n’y a d’ailleurs aucun plan de montage. La Nature procède par émergence, et non pas par assemblage.

Le processus d’émergence se nourrit des matériaux qu’il trouve à son contact. Il n’y a pas de plan préconçu et, souvent, la solution trouvée naturellement est approximative et imprécise ; l’à-peu-près est acceptable dans la Nature. Par exemple, il est bien rare qu’un cristal naturel soit exempt d’anomalies, de disruptions, d’anisotropies, d’inhomogénéité, etc.

Si l’on veut bien récapituler, au contraire des procédés d’assemblage des artefacts humains, les processus d’émergence qui forgent tout ce qui existe dans la Nature ne connaissent ni plan de montage, ni pièces préfabriquées, ni ouvrier monteur, ni outillage externe, ni banc d’essai. Tout s’y fait de proche en proche, par essais et erreurs, avec les matériaux qui sont là. C’est d’ailleurs la présence dense des matériaux utiles qui, le plus souvent, sera le déclencheur d’un processus d’émergence. C’est parce qu’une solution est sursaturée qu’un processus de cristallisation pourra se mettre en marche autour d’un germe – souvent hétérogène, d’ailleurs – ; c’est un petit grain de poussière, présent dans un nuage sursaturé et glacial, qui permettra au flocon de neige de se développer et de produire ses fascinantes et fragiles géométries.

Le cerveau humain est autre chose qu’un ordinateur.
Il en va de même dans le milieu humain, où les relations se tissent au gré des rencontres, selon des affinités parfois mystérieuses ; un groupe organisé peut émerger de ces rencontres assez fortuites. Des organisations pourront se mettre en place. Les relations entre les humains pourront rester lâches et distantes, mais des processus quasi fusionnels pourront aussi s’enclencher autour d’une passion commune, par exemple autour d’un projet motivant ou autour d’une nécessité locale de survie collective, etc. La vie quotidienne regorge de telles émergences humaines. Notamment, l’émergence d’une rumeur, d’un buzz comme on dit aujourd’hui, comme celle d’Orléans qu’a étudiée Edgar en 1969 : il s’agit d’un bel exemple, typique d’un processus d’émergence informationnelle qu’aucune technique analytique ou mécanique ne permet de démanteler.

L’assemblage et l’émergence ne participent pas du tout de la même logique. Essayer de comprendre une logique d’émergence au moyen d’une analogie assembliste, est voué à l’échec. Ainsi, toutes les fausses analogies entre le fonctionnement assembliste ou programmatique d’un ordinateur et le fonctionnement émergentiste de la pensée dans un cerveau humain sont définitivement stériles. De façon symétrique, il est absurde de rêver d’un arbre, produit d’on ne sait quelles vastes mutations génétiques, dont les fruits seraient des automobiles toutes faites, pendant au bout de ses branches.

Parce que l’assemblisme est une démarche additive et programmatique, les mathématiques peuvent y réussir des merveilles de modélisation. En revanche, l’émergentisme n’est pas mathématisable puisqu’il n’est en rien ni additif, ni programmatique ; c’est probablement la raison profonde pour laquelle les sciences classiques ne s’y intéressent pas. Pourtant, tout ce qui existe dans l’univers est le fruit d’une émergence !

L’illusion du principe de causalité.
Toute la physique classique et, derrière elle, une bonne part de la pensée occidentale acceptent l’idée de la détermination mécanique de l’évolution de toute chose selon des lois causales universelles et imprescriptibles. Des quatre causes mises en évidence par Aristote, la science moderne n’a retenu que la cause initiale ou efficiente. Tout ce qui se produit serait le résultat d’une cause qui lui serait antérieure. Ceci semble du bon sens, mais l’est bien moins qu’il n’y paraît.

De plus, la vulgate scientifique moderne insiste : tout ce qui se produit serait le résultat d’une cause identifiable, ce qui permet de représenter l’évolution des choses comme des chaînes linéaires de causes et d’effets. Chaque effet est effet de sa cause et cause de ses effets. Cette concaténation des causes et des effets est une représentation commode, par son mécanisme même, mais fausse.

Tout ce qui arrive ici et maintenant est un résultat possible de tout ce qui est arrivé partout, depuis toujours.

Chaque événement local est le résultat d’une infinité de causes. Par exemple, Paul, par dépit amoureux, lance une pierre dans le carreau de la chambre de Virginie. L’effet est le bris de la vitre ; la cause est la pierre. Problème résolu ? Il suffit de poser toute la séries des "pourquoi" pour se rendre compte qu’il faut encore savoir pourquoi la maison de Virginie est là, pourquoi sa chambre donne sur la rue, pourquoi un caillou traînait sur le trottoir, pourquoi Paul a rencontré Virginie et pourquoi il en est tombé amoureux, et pourquoi il a été débouté par Virginie (dont le cœur bat pour Pierre : pourquoi donc ?), pourquoi Paul le prend mal, pourquoi il est violent, pourquoi il veut se venger, pourquoi il lance le caillou efficacement et pourquoi celui-ci atteint sa cible, etc., à l’infini. Si l’on veut bien prendre la peine de continuer ces "pourquoi", on en arrive très vite à l’idée que la vitre de la fenêtre de Virginie a volé en éclat parce que tout l’univers, depuis le big-bang, a comploté pour qu’il en soit ainsi. Pour le dire autrement : tout ce qui arrive ici et maintenant est un résultat possible de tout ce qui est arrivé partout, depuis toujours. Cette conclusion est l’essence même du processualisme, qui s’oppose dans toutes ses dimensions au déterminisme mécaniste.

Processualisme contre déterminisme.
Tout effet possède une vraie infinité de causes… et donc n’en possède aucune ! Toutes ces "causes" potentielles qui convergent en un lieu donné, à un moment donné, induisent un événement contingent et non pas nécessaire. Une myriade de bonnes raisons auraient pu faire que la vitre de Virginie ne soit pas brisée, ne serait-ce que parce que la fenêtre eût été ouverte ou le volet baissé. De plus, lorsqu’une infinité de causes se présentent, on comprend qu’il y ait rarement un seul et unique scénario qui puisse y répondre (ce cas rare est précisément celui du déterminisme mécaniste, qui n’opère que dans des univers pauvres et rudimentaires, sans mémoire locale). En fait, dans un monde complexe, un tel faisceau causal ouvre un faisceau de possibles parmi lesquels un choix devra se faire.

Chacun n’est que cela : le point de jonction entre le cône convergent de tous ses héritages venant du passé et le cône divergent de tous ses legs allant vers le futur.

Dans un petit ouvrage magnifique intitulé Le sablier, Maurice Maeterlinck proposait une vision pouvant se résumer ainsi. Chacun de nous est le goulot étroit d’un sablier avec, au-dessous, tout le sable accumulé venu de tout l’univers, depuis l’aube des temps, qui converge vers soi, et, au-dessus, l’éventail de toutes les influences qui engendreront, au fil du temps, des êtres, des choses, des idées, des conséquences. Chacun n’est que cela : le point de jonction entre le cône convergent de tous ses héritages venant du passé et le cône divergent de tous ses legs allant vers le futur.

Le paragraphe précédent a posé un problème qui a été esquivé et sur lequel il faut revenir : le cône convergent des causes infinies induit, ici et maintenant, un cône divergent de possibles entre lesquels le processus devra choisir. Cette notion de choix intrinsèque est évidemment incompatible avec quelque vision mécaniste et déterministe que ce soit. Mais, qui plus est, elle pose la question des critères de choix. Quels sont-ils ? Pourquoi ceux-là et non d’autres ? S’il y a des choix à faire et que ces choix visent une optimisation (le meilleur choix), cela signifie qu’il y a une "économie" globale qui préside à la logique d’évolution du processus. Chaque processus possède une telle logique intrinsèque, une telle approche économique globale de soi. A un instant donné, le processus est dans un certain état global qui est son présent et qui inclut tout son passé (donc toute sa mémoire). Cet état intrinsèque est confronté à un milieu qui offre des matériaux, des opportunités, des champs causaux, plus ou moins riches. De cette dialectique entre le présent du processus et son milieu, lui aussi au présent, naîtra un champ de possibles (plus ou moins riche selon la complexité locale). Il existe donc une tension intérieure entre ce que le processus est devenu au présent, et ce qu’il pourrait devenir dans son futur immédiat. Cette tension intérieure doit être dissipée (au sens qu’Ilya Prigogine donna à sa notion de "structure dissipative"). Et cette dissipation doit être optimale (c’est là que surgit l’idée d’économie logique, intrinsèque du processus).

L’intention immanente du monde.
Il faut donc retenir que cette tension intérieure est une in-tension, c’est-à-dire une intention. La pensée complexe implique nécessairement un intentionnalisme qui s’oppose farouchement aussi bien au déterminisme qu’au hasardisme propres à la science moderne. "Ni hasard, ni nécessité" fut d’ailleurs le titre d’un de mes ouvrages, publié par Oxus en 2013 et préfacé par… mon ami Edgar Morin – il n’y a pas de hasard !

Cette idée d’intention est violemment rejetée par les sciences modernes qui, malicieusement, mais erronément, y voient une forme d’intervention divine au sein de la machinerie cosmique. Bien entendu, rien de tel n’est supposé dans la notion d’intention qu’il faut comprendre comme résolument intrinsèque et immanente, sans aucun Deus ex machina. Mais quelle est donc cette "intention" cosmique qui guide tous les choix, à tous les niveaux, du plus global (l’univers pris comme un tout) au plus local (chaque processus particulier, aussi infime et éphémère soit-il) ? La plus simple du monde : accomplir tout ce qui est accomplissable, ici et maintenant. Rien de plus. Rien de moins.

Mon lecteur l’aura compris, la pensée complexe repose sur cinq notions-clés (processualisme, holisme, émergentisme, indéterminisme et intentionnalisme) qui, chacune, se placent à l’exact opposé des fondements de la science moderne : atomisme, analycisme, assemblisme, mécanicisme et hasardisme. Cette opposition incontournable marque une profonde révolution épistémologique et une immense mutation paradigmatique.

Auteur: Halévy Marc

Info: 30 mars 2019

[ tour d'horizon ] [ pentacle ] [ monothéïsme ] [ bricolage ] [ sens unique temporel ]

 

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proto-linguistique

Cette langue ancienne use de la seule grammaire basée entièrement sur le corps humain

Une famille de langues en voie de disparition suggère que les premiers humains utilisaient leur corps comme modèle de réalité

Un matin de décembre 2004, des adultes et des enfants erraient sur le rivage de Strait Island dans le golfe du Bengale lorsque l'un d'eux a remarqué quelque chose d'étrange. Le niveau de la mer était bas et des créatures étranges qui habitent normalement la zone crépusculaire profonde de l'océan se balançaient près de la surface de l'eau. “ Sare ukkuburuko ! ”— la mer s'est renversée! — cria Nao Junior, un des derniers héritiers d'une sagesse transmise sur des milliers de générations à travers sa langue maternelle. Il savait ce que signifiait ce phénomène bizarre. Tout comme d'autres peuples autochtones des îles Andaman. Ils se sont tous précipités à l'intérieur des terres et en hauteur, leurs connaissances ancestrales les sauvant du tsunami dévastateur qui s'est abattu sur les côtes de l'océan Indien quelques minutes plus tard et qui a emporté quelque 225 000 personnes.

Lorsque j'ai rencontré Nao Jr. pour la première fois, au tournant du millénaire, il était dans la quarantaine et l'un des neuf seuls membres de son groupe autochtone, le Grand Andamanais, qui parlait encore l'idiome de ses ancêtres ; les jeunes préférant l'hindi. En tant que linguiste passionnée par le décodage de structure, j'avais étudié plus de 80 langues indiennes de cinq familles différentes : indo-européenne (à laquelle appartient l'hindi), dravidienne, austroasiatique, tibéto-birmane et taï-kadaï. J'étais sur les îles pour documenter leurs voix autochtones avant qu'elles ne se transforment en murmures. Le peu que j'ai entendu était si déconcertant que j'y suis retourné plusieurs fois au cours des années suivantes pour essayer de cerner les principes qui sous-tendent les grandes langues andamanaises.

Ici mes principaux professeurs, Nao Jr. et une femme nommée Licho, parlaient un pastiche de langues qui comptaient encore quelque 5 000 locuteurs au milieu du 19e siècle. Le vocabulaire moderne étant très variable, dérivé de plusieurs langues parlées à l'origine sur l'île d'Andaman du Nord. Ce qui m'était vraiment étranger, cependant, c'était leur grammaire, qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais jamais rencontré.

Une langue incarne une vision du monde et, alors qu'une civilisation, change et se développe par couches. Les mots ou les phrases fréquemment utilisés se transforment en formes grammaticales de plus en plus abstraites et compressées. Par exemple, le suffixe "-ed", signifiant le passé en anglais moderne, provient de "did" (c'est-à-dire que "did use" est devenu "used") ; Le vieil anglais où in steed et sur gemong sont devenus respectivement "instead" et "among". Ces types de transitions font de la linguistique historique un peu comme l'archéologie. Tout comme un archéologue fouille soigneusement un monticule pour révéler différentes époques d'une cité-État empilées les unes sur les autres, un linguiste peut séparer les couches d'une langue pour découvrir les étapes de son évolution. Il faudra des années à Nao Jr. et Licho endurant patiemment mes interrogatoires et mes tâtonnements pour que j'apprenne enfin la règle fondamentale de leur langue.

Il s'avère que le grand andamanais est exceptionnel parmi les langues du monde de par son anthropocentrisme. Il utilise des catégories dérivées du corps humain pour décrire des concepts abstraits tels que l'orientation spatiale et les relations entre les objets. Bien sûr, en anglais, nous pourrions dire des choses comme "la pièce fait face à la baie", "la jambe de la chaise s'est cassée" et "elle dirige l'entreprise". Mais en Grand Andamanais, de telles descriptions prennent une forme extrême, avec des morphèmes, ou segments sonores significatifs, qui désignent différentes zones du corps s'attachant aux noms, verbes, adjectifs et adverbes - en fait, à chaque partie du discours - pour créer des significations diverses. Parce qu'aucune autre langue connue n'a une grammaire basée sur le corps humain et/ou un partage des mots apparentés -  des mots qui ont une signification et une prononciation similaires, ce qui indique un lien généalogique - avec le grand andamanais, la langue constitue sa propre famille .

L'aspect le plus durable d'une langue est sa structure, qui peut perdurer sur des millénaires. Mes études indiquent que les Grands Andamanais furent effectivement isolés pendant des milliers d'années, au cours desquelles leurs langues ont évolué sans influence perceptible d'autres cultures. La recherche génétique corrobore ce point de vue, montrant que ces peuples autochtones descendent d'un des premiers groupes d'humains modernes qui a migré hors d'Afrique. En suivant le littoral du sous-continent indien, ils ont atteint l'archipel d'Andaman il y a peut-être 50 000 ans et y vivent depuis dans un isolement virtuel. Les principes fondamentaux de leurs langues révèlent que ces humains anciens ont conceptualisé le monde à travers leur corps.

PIÈCES DU CASSE-TÊTE

Lorsque je suis arrivé en 2001 à Port Blair, la principale ville de la région, pour mener une enquête préliminaire sur les langues autochtones, j'ai été dirigé vers Adi Basera, une maison que le gouvernement indien autorisait les Grands Andamanais à utiliser lorsqu'ils étaient en ville. C'était un bâtiment délabré avec de la peinture écaillée et des pièces sales ; enfants et adultes flânaient nonchalamment dans la cour. Quelqu'un m'a apporté une chaise en plastique. J'ai expliqué ma quête en hindi.

"Pourquoi es-tu venu ?" demanda Boro Senior, une femme âgée. "Nous ne nous souvenons pas de notre langue. Nous ne le parlons ni ne le comprenons. Il s'est avéré que toute la communauté conversait principalement en hindi, une langue essentielle pour se débrouiller dans la société indienne et la seule que les enfants apprenaient." Pendant que je le sondais cependant, Nao Jr. a avoué qu'il connaissait le Jero, mais parce qu'il n'avait personne avec qui en parler, il l'oubliait. Boro Sr. s'est avéré être la dernière personne à se souvenir de Khora, et Licho, alors dans la fin de la trentaine, qui était la dernière à parler le sare, la langue de sa grand-mère. Lorsqu'ils conversaient entre eux, ces individus utilisaient ce que j'appelle le Grand Andamanais actuel (PGA), un mélange de Jero, Sare, Bo et Khora - toutes langues des Andaman du Nord.

Lorsque les autorités britanniques ont établi une colonie pénitentiaire à Port Blair en 1858, les forêts tropicales de Great Andaman - comprenant le nord, le centre et le sud d'Andaman, ainsi que quelques petites îles à proximité - étaient habitées par 10 tribus de chasseurs et de cueilleurs qui semblaient culturellement liées. Les habitants du Great Andaman ont résisté aux envahisseurs, mais leurs arcs et leurs flèches n'étaient pas à la hauteur des fusils et, à une occasion, des canons de navires. Encore plus mortels furent les germes apportés par les étrangers, contre lesquels les insulaires n'avaient aucune immunité. Dans les années 1960, époque à laquelle les Andamans appartenaient à l'Inde, il ne restait plus que 19 Grands Andamanais, vivant principalement dans les forêts du nord d'Andaman. Les autorités indiennes les ont alors installés sur la petite île du détroit.

Un autre groupe de chasseurs-cueilleurs, les Jarawa, vivaient dans le sud d'Andaman, et lorsque les Grands Andamanais s'éteignirent , les Jarawa s'installèrent dans leurs territoires évacués du Moyen Andaman. Les Jarawa ont résisté au contact - et aux germes qui l'accompagnent - jusqu'en 1998 et sont maintenant au nombre d'environ 450. Leur culture avait des liens avec celle des Onge, qui vivaient sur Little Andaman et qui ont été sous controle des Britanniques dans les années 1880. Apparemment, les habitants de North Sentinel Island étaient également apparentés aux Jarawa. Ils continuent d'ailleurs de vivre dans un isolement volontaire, qu'ils ont imposé en 2018 en tuant un missionnaire américain.

(photo-schéma avec détails et statistiques des langage des iles adamans)

Mon enquête initiale a établi que les langues des Grands Andamanais n'avaient aucun lien avec celles des Jarawa et des Onge, qui pourraient constituer leur propre famille de langues. Réalisant que je devais documenter le Grand Andamanais avant qu'il ne soit réduit au silence, je suis revenu avec une équipe d'étudiants en 2005. C'était peu de temps après le tsunami, et les autorités avaient évacué les 53 Grands Andamanais vers un camp de secours à côté d'Adi Basera. Ils avaient survécu, mais leurs maisons avaient été inondées et leurs biens perdus, et un sentiment de bouleversement et de chagrin flottait dans l'air. Dans cette situation, Licho a donné naissance à un garçon nommé Berebe, source de joie. J'ai appris que les bébés étaient nommés dans l'utérus. Pas étonnant que les grands noms andamanais soient non sexistes !

Au camp, j'ai rencontré l'octogénaire Boa Senior, dernier locuteur de Bo et gardien de nombreuses chansons. Nous deviendrons très proches. Les grands jeunes andamanais avaient répondu au mépris des Indiens dominants pour les cultures autochtones en se détournant de leur héritage. Boa Sr me tenait la main et ne me laissait pas partir car elle était convaincue que ma seule présence, en tant qu'étranger rare qui valorisait sa langue, motiverait les jeunes à parler le grand andamanais. Pourtant, je l'ai appris principalement de Nao Jr. et Licho, dont l'intérêt pour leurs langues avait été enflammé par le mien. Il s'est avéré que Nao Jr. en savait beaucoup sur l'environnement local et Licho sur l'étymologie, étant souvent capable de me dire quel mot venait de quelle langue. J'ai passé de longues heures avec eux à Adi Basera et sur Strait Island, les accompagnant partout où ils allaient - pour nous prélasser à l'extérieur de leurs huttes, errer dans la jungle ou pêcher sur la plage. Plus ils s'efforçaient de répondre à mes questions, plus ils puisaient dans les profondeurs de la mémoire. J'ai fini par collecter plus de 150 grands noms andamanais pour différentsespèces de poissons et 109 pour les oiseaux .

Les responsables britanniques avaient observé que les langues andamanaises étaient un peu comme les maillons d'une chaîne : les membres des tribus voisines des Grands Andamans se comprenaient, mais les langues parlées aux extrémités opposées de l'archipel, dans les Andamans du Nord et du Sud, étaient mutuellement inintelligibles. En 1887, l'administrateur militaire britannique Maurice Vidal Portman publia un lexique comparatif de quatre langues, ainsi que quelques phrases avec leurs traductions en anglais. Et vers 1920, Edward Horace Man compila un dictionnaire exhaustif de Bea, une langue des Andaman du Sud. C'étaient des enregistrements importants, mais aucun n'a résolu le puzzle que la grammaire posait.

Moi non plus. D'une manière ou d'une autre, ma vaste expérience avec les cinq familles de langue indienne ne m'aidait pas. Une fois, j'ai demandé à Nao Jr. de me dire le mot pour "sang". Il m'a regardé comme si j'étais une imbécile et n'a pas répondu. Quand j'ai insisté, il a dit: "Dis-moi d'où ça vient." J'ai répondu: "De nulle part." Irrité, il répéta : "Où l'as-tu vu ?" Il fallait que j'invente quelque chose, alors j'ai dit : "sur mon doigt. Sa réponse est venue rapidement — "ongtei !" – puis il débita plusieurs mots pour désigner le sang sur différentes parties du corps. Si le sang sortait des pieds ou des jambes, c'était otei ; l'hémorragie interne était etei; et un caillot sur la peau était ertei . Quelque chose d'aussi basique qu'un nom changeait de forme en fonction de l'emplacement.

Chaque fois que j'avais une pause dans mon enseignement et d'autres tâches, je visitais les Andamans, pendant des semaines ou parfois des mois. Il m'a fallu un an d'étude concertée pour entrevoir le modèle de cette langue - et quand je l'ai fait, toutes les pièces éparses du puzzle se sont mises en place. Très excité, je voulus tout de suite tester mes phrases inventées. J'étais à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive à Leipzig, en Allemagne, mais j'ai téléphoné à Licho et je lui ai dit : "a Joe-engio eole be". Licho a été bouleversé et m'a fait un compliment chéri : "Vous avez appris notre langue, madame !"

Ma phrase était simplement "Joe te voit". Joe était un jeune Grand Andamanais, et -engio était "seulement toi". Ma percée avait été de réaliser que le préfixe e- , qui dérivait à l'origine d'un mot inconnu désignant une partie interne du corps, s'était transformé au fil des éons en un marqueur grammatical signifiant tout attribut, processus ou activité interne. Donc l'acte de voir, ole, étant une activité interne, devait être eole. Le même préfixe pourrait être attaché à -bungoi , ou "beau", pour former ebungoi, signifiant intérieurement beau ou gentil ; de sare , pour "mer", pour former esare, ou "salé", une qualité inhérente ; et au mot racine -biinye, "pensant", pour donner ebiinye , "penser".

LE CODE CORPOREL

La grammaire que j'étais en train de reconstituer était basée principalement sur Jero, mais un coup d'œil dans les livres de Portman et de Man m'a convaincu que les langues du sud du Grand Andamanais avaient des structures similaires. Le lexique se composait de deux classes de mots : libre et lié. Les mots libres étaient tous des noms faisant référence à l'environnement et à ses habitants, tels que ra pour "cochon". Ils pourraient se produire seuls. Les mots liés étaient des noms, des verbes, des adjectifs et des adverbes qui existaient toujours avec des marqueurs indiquant une relation avec d'autres objets, événements ou états. Les marqueurs (spécifiquement, a- ; er- ; ong- ; ot- ou ut- ; e- ou i- ; ara- ; eto- ) dérivaient de sept zones du corps et étaient attaché à un mot racine, généralement sous forme de préfixe, pour décrire des concepts tels que "dedans", "dehors", "supérieur" et "inférieur". Par exemple, le morphème er- , qui qualifiait presque tout ce qui concernait une partie externe du corps, pouvait être collé à -cho pour donner ercho , signifiant "tête". Une tête de porc était ainsi raercho.

(Photo/schéma désignant les 7 zones du corps humain qui font référence ici)

Zone     Marqueur          Parties corps/sémantique       

1              a -                  en rapport avec la bouche/origine 

2              er -                 corps et parties externes supérieures

3              ong -              extrémités (doigts main, pied) 

4              ut/ot -             (cerveau/intellect) produits corporels, partie-tout,

5              e / i -               organes internes

6              ara -                organes sexuels et formes latérales/rondes

7              o -                   jambes/partie basse         

Cette dépendance conceptuelle n'était pas toujours le signe d'un lien physique. Par exemple, si la tête du porc était coupée pour être rôtie, le marqueur t- pour un objet inanimé serait attaché à er- pour donner ratercho ; ce n'était plus vivant mais toujours une tête de cochon. Le suffixe -icho indiquait des possessions véritablement séparables. Par exemple, Boa-icho julu signifiait "les vêtements de Boa".

Tout comme une tête, un nom, ne pouvait pas exister conceptuellement par lui-même, le mode et l'effet d'une action ne pouvaient être séparés du verbe décrivant l'action. Les Grands Andamanais n'avaient pas de mots pour l'agriculture ou la culture mais un grand nombre pour la chasse et la pêche, principalement avec un arc et des flèches. Ainsi, la racine du mot shile , qui signifie "viser", avait plusieurs versions : utshile , viser d'en haut (par exemple, un poisson) ; arashile, viser à distance (comme un cochon); et eshile, visant à percer.

Inséparables également de leurs préfixes, qui les dotaient de sens, étaient les adjectifs et les adverbes. Par exemple, le préfixe er- , pour "externe", a donné l'adjectif erbungoi , pour "beau" ; le verbe eranye, signifiant "assembler" ; et l'adverbe erchek, ou "rapide". Le préfixe ong- , la zone des extrémités, fournissait ongcho , "piquer", quelque chose que l'on faisait avec les doigts, ainsi que l'adverbe ongkochil, signifiant "précipitamment", qui s'appliquait généralement aux mouvements impliquant une main ou un pied. Important aussi était le morphème a-, qui renvoyait à la bouche et, plus largement, aux origines. Il a contribué aux noms aphong, pour "bouche", et Aka-Jero , pour "son langage Jero" ; les adjectifs ajom , "avide", et amu, "muet" ; les verbes atekho, "parler", et aathitul , "se taire" ; et l'adverbe aulu, "avant".

Ces études ont établi que les 10 langues originales du grand andamanais appartenaient à une seule famille. De plus, cette famille était unique en ce qu'elle avait un système grammatical basé sur le corps humain à tous les niveaux structurels. Une poignée d'autres langues autochtones, telles que le papantla totonaque, parlé au Mexique, et le matsés, parlé au Pérou et au Brésil, utilisaient également des termes faisant référence à des parties du corps pour former des mots. Mais ces termes ne s'étaient pas transformés en symboles abstraits, ni ne se sont propagés à toutes les autres parties du discours.

(Photo - tableau - schéma avec exemples de mots - verbes - adverbes, dérivés des  7 parties)

Plus important encore, la famille des langues semble être d'origine vraiment archaïque. Dans un processus d'évolution en plusieurs étapes, les mots décrivant diverses parties du corps s'étaient transformés en morphèmes faisant référence à différentes zones pour fusionner avec des mots basiques pour donner un sens. Parallèlement aux preuves génétiques, qui indiquent que les Grands Andamanais ont vécu isolés pendant des dizaines de milliers d'années, la grammaire suggère que la famille des langues est née très tôt, à une époque où les êtres humains conceptualisaient leur monde à travers leur corps. La structure à elle seule donne un aperçu d'une ancienne vision du monde dans laquelle le macrocosme reflète le microcosme, et tout ce qui est ou qui se passe est inextricablement lié à tout le reste.

ANCÊTRES, OISEAUX

Un matin sur Strait Island, j'ai entendu Boa Sr. parler aux oiseaux qu'elle nourrissait. J'ai écouté pendant un bon moment derrière une porte, puis je me suis montrée pour lui demander pourquoi elle leur parlait.

"Ils sont les seuls à me comprendre", a-t-elle répondu.

"Comment ça se fait?" J'ai demandé.

"Ne sais-tu pas qu'pas sont nos ancêtres ?"

J'ai essayé de réprimer un rire étonné, mais Boa l'a perçu. "Oui, ce sont nos ancêtres", a-t-elle affirmé. "C'est pourquoi nous ne les tuons ni ne les chassons. Tu devrais demander à Nao Jr.; il connaît peut-être l'histoire."

Nao ne s'en souvint pas tout de suite, mais quelques jours plus tard, il raconta l'histoire d'un garçon nommé Mithe qui était allé à la pêche. Il a attrapé un calmar, et en le nettoyant sur la plage, il a été avalé par un Bol , un gros poisson. Ses amis et sa famille sont venus le chercher et ont réalisé qu'un Bol l'avait mangé. Phatka, le plus intelligent des jeunes, a suivi la piste sale laissée par le poisson et a trouvé le Bol en eau peu profonde, la tête dans le sable. C'était un très grand, alors Phatka, Benge et d'autres ont appelé à haute voix Kaulo, le plus fort d'entre eux, qui est arrivé et a tué le poisson.

Mithe est sorti vivant, mais ses membres étaient engourdis. Ils allumèrent un feu sur la plage et le réchauffèrent, et une fois qu'il eut récupéré, ils décidèrent de manger le poisson. Ils le mirent sur le feu pour le faire rôtir. Mais ils avaient négligé de nettoyer correctement le poisson, et il éclata, transformant toutes les personnes présentes en oiseaux. Depuis ce moment-là, les Grands Andamanais conservent une affinité particulière avec Mithe, la Colombe Coucou Andaman ; Phatka, le corbeau indien ; Benge, l'aigle serpent Andaman; Kaulo, l'aigle de mer à ventre blanc ; Celene, le crabe pluvier; et d'autres oiseaux qu'ils considéraient comme des ancêtres.

Dans la vision de la nature des Grands Andamanais, la principale distinction était entre tajio, le vivant, et eleo , le non-vivant. Les créatures étaient tajio-tut-bech, "êtres vivants avec des plumes" - c'est-à-dire de l'air; tajio-tot chor, "êtres vivants à écailles", ou de l'eau ; ou tajio-chola, "êtres vivants de la terre". Parmi les créatures terrestres, il y avait des ishongo, des humains et d'autres animaux, et des tong, des plantes et des arbres. Ces catégories, ainsi que de multiples attributs d'apparence, de mouvement et d'habitudes, constituaient un système élaboré de classification et de nomenclature, que j'ai documenté pour les oiseaux en particulier. Parfois, l'étymologie d'un nom grand andamanais ressemblait à celle de l'anglais. Par exemple, Celene, composé de mots racines pour "crabe" et "épine", a été ainsi nommé parce qu'il craque et mange des crabes avec son bec dur et pointu.

La compréhension extrêmement détaillée de l'environnement naturel détenue par le peuple des Grands Andamanais (Nao Jr. nomma au moins six variétés de bords de mer et plus de 18 types d'odeurs) indique une culture qui a observé la nature avec un amour profond et un intérêt aigu. Considérant la nature comme un tout, ils ont cherché à examiner l'imbrication des forces qui construisent cet ensemble. L'espace était une construction culturelle, définie par le mouvement des esprits, des animaux et des humains le long d'axes verticaux et horizontaux. Dans la vision du monde des Grands Andamanais, l'espace et tous ses éléments naturels - le soleil, la lune, la marée, les vents, la terre et la forêt - constituaient ensemble le cosmos. Dans cette vision holistique, les oiseaux, les autres créatures et les esprits étaient tous interdépendants et faisaient partie intégrante du concept d'espace.

Le temps aussi était relatif, catégorisé en fonction d'événements naturels tels que la floraison des fleurs saisonnières, la disponibilité du miel - le calendrier du miel, pourrait-on l'appeler - le mouvement du soleil et de la lune, la direction des vents, la disponibilité des ressources alimentaires et le meilleur moment pour chasser le poisson ou d'autres animaux. Ainsi, lorsque la fleur de koroiny auro fleurit, les tortues et les poissons sont gras ; lorsque le bop taulo fleurit, les poissons bikhir, liot et bere sont abondants ; lorsque le loto taulo fleurit, c'est le meilleur moment pour attraper les poissons phiku et nyuri ; et quand le chokhoro taulo fleurissent, les cochons sont les plus gras et c'est le meilleur moment pour les chasser.

Même le "matin" et le "soir" étaient relatifs, selon la personne qui les vivait. Pour dire, par exemple, "Je te rendrai visite demain", on utiliserait ngambikhir, pour "ton demain". Mais dans la phrase "je finirai ça demain", le mot serait tambikhir, "mon demain". Le temps dépendait de la perspective de celui qui était impliqué dans l'événement.

Les mythes des Grands Andamanais indiquaient que leurs premiers ancêtres résidaient dans le ciel, comme dans une autre histoire que Nao Jr. m'a racontée. 

Le premier homme, sortant du creux d'un bambou, trouva de l'eau, des tubercules, de l'argile fine et de la résine. Il modela un pot en argile, alluma un feu avec la résine, fit bouillir les tubercules dans le pot et savoura un repas copieux. Puis il fabriqua une figurine en argile et ll laissa sur le feu. À son étonnement et à sa joie, elle se transforma en femme. Ils eurent beaucoup d'enfants et étaient très heureux. Après un long séjour sur Terre, le couple partit pour un endroit au-dessus des nuages, rompant tous les liens avec ce monde.

Des larmes ont coulé sur les joues de Nao Jr. alors qu'il racontait ce conte de création, qui présentait tous les éléments de la vie : l'eau, le feu, la terre, l'espace et l'air. Pour cet homme solitaire - sa femme l'avait quitté il y a des années pour un autre homme -, créer une partenaire selon ses désirs était la fable romantique ultime. Alors que je lui avais demandé des histoires pour la première fois, il avait dit ne pas en avoir entendu depuis 40 ans et qu'il n'en avait pas pour moi faute de mémoire. Mais au cours de nombreuses soirées, avec le gazouillis des grillons et les cris des grenouilles à l'extérieur, il m'a raconté 10 histoires précieuses, presque inédites pour une langue au bord de l'extinction. Peut-être que l'une des raisons pour lesquelles nous nous sommes tellement liés était que nous étions tous les deux raupuch - quelqu'un qui a perdu un frère ou une sœur. Nao Jr. a été choqué d'apprendre que ni l'anglais ni aucune langue indienne n'a un tel mot. "Pourquoi?" Il a demandé. "n'aimez-vous pas vos frères et soeurs"

Nao Jr. a quitté ce monde en février 2009. Avec cette mort prématurée, il a emporté avec lui un trésor de connaissances qui ne pourra jamais être ressuscité et m'a laissé raupuch à nouveau. Boro Sr. est décédé en novembre et Boa Sr. en janvier 2010, laissant sa voix au travers de plusieurs chansons. Licho est décédé en avril 2020. À l'heure actuelle, seules trois personnes - Peje, Golat et Noe - parlent encore une langue de la grande famille andamanaise, dans leur cas le Jero. Ils ont tous plus de 50 ans et souffrent de diverses affections. Toute la famille de ces langues est menacée d'extinction imminente.

Sur les quelque 7 000 langues parlées par les humains aujourd'hui, la moitié se taira d'ici la fin de ce siècle. La survie à l'ère de la mondialisation, de l'urbanisation et des changements climatiques oblige les communautés autochtones à remplacer leurs modes de vie et leurs langues traditionnels par ceux de la société dominante. Quand l'ancienne génération ne peut plus enseigner la langue aux plus jeunes, une langue est condamnée. Et avec chaque langue perdue, nous perdons une mine de connaissances sur l'existence humaine, la perception, la nature et la survie. Pour donner le dernier mot à Boa Sr. : "Tout est parti, il ne reste plus rien – nos jungles, notre eau, notre peuple, notre langue. Ne laissez pas la langue vous échapper ! Tiens bon !"

Auteur: Anvita Abbi

Info: "Whispers from Deep Time" dans Scientific American 328, 6, 62-69 (juin 2023). Trad et adaptation Mg

[ septénaire ] [ conte mythologique ] [ intraduisible ] [ paléolinguistique ] [ ethnolinguistique ] [ chronos ] [ idiome altruiste ] [ couple ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

homme-végétal

Il arrive parfois qu’une personne puisse nommer le moment exact où sa vie a changé de manière irrévocable. Pour Cleve Backster, ce fut tôt le matin du 2 février 1966, treize minutes et cinquante-cinq secondes après le début d'un test polygraphique qu'il administrait. Backster, un expert en polygraphie de premier plan dont le test de comparaison de zones Backster est la norme mondiale en matière de détection de mensonge, avait à ce moment-là menacé le bien-être de son sujet de test. Le sujet répondit électrochimiquement à sa menace. Le sujet était une plante.

Depuis lors, Backster a mené des centaines d’expériences démontrant non seulement que les plantes réagissent à nos émotions et à nos intentions, mais aussi les feuilles coupées, les œufs (fécondés ou non), les yaourts et les échantillons de cellules humaines. Il a découvert, par exemple, que les globules blancs prélevés dans la bouche d'une personne et placés dans un tube à essai réagissent toujours électrochimiquement aux états émotionnels du donneur, même lorsque celui-ci est hors de la pièce, du bâtiment ou de l'État.

J'ai entendu parler du travail de Backster pour la première fois quand j'étais enfant. Ses observations ont confirmé une compréhension que j’avais alors, une compréhension que même un diplôme en physique ne pourrait éradiquer plus tard : que le monde est vivant et sensible.

J'ai parlé avec Backster à San Diego, trente et un ans et vingt-deux jours après sa première observation, et à un continent entier du bureau de Times Square à New York où il avait autrefois travaillé et vécu. Avant de commencer, il a placé du yaourt dans un tube à essai stérilisé, a inséré deux électrodes en or et a allumé la mire d'enregistrement. J'étais excité, mais dubitatif. Nous avons commencé à parler et le stylo s'est tortillé de haut en bas. Puis, juste au moment où je reprenais mon souffle avant d'être en désaccord avec quelque chose qu'il avait dit, le stylo sembla vaciller. Mais est-ce que ça avait vraiment bougé, ou est-ce que je voyais seulement ce que je voulais voir ?

À un moment donné, alors que Backster était hors de la pièce, j'ai essayé d'exprimer ma colère en pensant aux forêts coupées à blanc et aux politiciens qui les sanctionnent, aux enfants maltraités et à leurs agresseurs. Mais la ligne représentant la réponse électrochimique du yaourt est restée parfaitement plate. Peut-être que le yaourt ne m'intéressait pas. Perdant moi-même tout intérêt, j'ai commencé à errer dans le laboratoire. Mes yeux sont tombés sur un calendrier qui, après une inspection plus approfondie, s'est avéré être une publicité pour une compagnie maritime. J’ai ressenti une soudaine montée de colère face à l’omniprésence de la publicité. Puis j'ai réalisé : une émotion spontanée ! Je me suis précipité vers le graphique et j'y ai vu un pic soudain correspondant apparemment au moment où j'avais vu l'annonce.

Au retour de Backster, j’ai continué l’entretien, toujours excité et peut-être un peu moins sceptique.

Jensen : Pouvez-vous nous raconter en détail comment vous avez remarqué pour la première fois une réaction électrochimique dans une plante ?

Backster : C'était une plante de canne à sucre dracaena que j'avais dans mon laboratoire à Manhattan. Les plantes ne m'intéressaient pas particulièrement, mais il y avait une vente suite à une cessation d'activité chez un fleuriste au rez-de-chaussée de l'immeuble, et la secrétaire avait acheté quelques plantes pour le bureau : une plante à caoutchouc et cette dracaena. J'avais arrosé ces plantes jusqu'à saturation – en les mettant sous le robinet jusqu'à ce que l'eau coule du fond des pots – et j'étais curieux de voir combien de temps il faudrait à l'humidité pour atteindre le sommet. J'étais particulièrement intéressé par le dracaena, car l'eau devait remonter le long d'un long tronc, puis ressortir jusqu'au bout des longues feuilles. Je pensais que si je plaçais le détecteur de réponse galvanique cutanée du polygraphe au bout de la feuille, une baisse de résistance serait enregistrée sur le papier à mesure que l'humidité arriverait entre les électrodes.

C’est du moins ma façon de voir les choses. Je ne sais pas s’il y avait une autre raison, plus profonde, à mon action. Il se pourrait que mon subconscient m'ait poussé à faire ça – je ne sais pas.

En tout cas, j’ai remarqué quelque chose sur le graphique qui ressemblait à une réponse humaine sur un polygraphe : ce n’est pas du tout ce à quoi j’aurais pu m’attendre si de l’eau pénétrait dans une feuille. Les détecteurs de mensonge fonctionnent sur le principe selon lequel lorsque les gens perçoivent une menace pour leur bien-être, ils réagissent physiologiquement de manière prévisible. Par exemple, si vous effectuez un test polygraphique dans le cadre d’une enquête pour meurtre, vous pourriez demander à un suspect : " Est-ce vous qui avez tiré le coup mortel ? " Si la vraie réponse était oui , le suspect craindrait de mentir et les électrodes placées sur sa peau détecteraient la réponse physiologique à cette peur. J’ai donc commencé à réfléchir à des moyens de menacer le bien-être de la plante. J’ai d’abord essayé de tremper une de ses feuilles dans une tasse de café chaud. La plante, au contraire, montrait de l’ennui – la ligne sur le graphique continuait de baisser.

Puis, à treize minutes et cinquante-cinq secondes de temps graphique, l'idée m'est venue à l'esprit de brûler la feuille. Je n'ai pas verbalisé l'idée ; Je n'ai pas touché à la plante ; Je n'ai pas touché au matériel. Pourtant, la plante s'est comme affolée. Le stylo a sauté du haut du graphique. La seule chose à laquelle il avait pu réagir était mon image mentale.

Ensuite, j'ai récupéré quelques allumettes sur le bureau de mon secrétaire et, en allumant une, j'ai fait quelques passages sur la feuille. Cependant, j'ai réalisé que je constatais déjà une réaction si extrême qu'aucune augmentation ne serait perceptible. J'ai donc essayé une approche différente : j'ai éloigné la menace en remettant les allumettes sur le bureau du secrétaire. La plante s'est immédiatement calmée.

J’ai tout de suite compris qu’il se passait quelque chose d’important. Je ne trouvais aucune explication scientifique conventionnelle. Il n'y avait personne d'autre dans le laboratoire et je ne faisais rien qui aurait pu déclencher un mécanisme de déclenchement. A partir de ce moment, ma conscience n'a plus été la même. Toute ma vie a été consacrée à étudier ce phénomène.

Après cette première observation, j’ai parlé à des scientifiques de différents domaines pour obtenir leurs explications sur ce qui se passait. Mais cela leur était totalement étranger. J’ai donc conçu une expérience pour explorer plus en profondeur ce que j’ai commencé à appeler la perception primaire.

Jensen : Pourquoi  " perception primaire " ?

Backster : Je ne puis nommer ce dont j'ai été témoin perception extrasensorielle, car les plantes ne possèdent pas la plupart des cinq sens. Cette perception de la part de la plante semblait se produire à un niveau beaucoup plus basique – ou primaire.

Quoi qu’il en soit, ce qui a émergé est une expérience dans laquelle j’ai fait tomber automatiquement les crevettes de saumure, à intervalles aléatoires, dans de l’eau frémissante, tandis que la réaction des plantes était enregistrée à l’autre bout du laboratoire.

Jensen : Comment pouviez-vous savoir si les plantes réagissaient à la mort de la crevette ou à vos émotions ?

Backster : Il est très difficile d'éliminer le lien entre l'expérimentateur et les plantes testées. Même une brève association avec les plantes – quelques heures seulement – ​​suffit pour qu’elles s’adaptent à vous. Ensuite, même si vous automatisez et randomisez l’expérience et quittez le laboratoire, ce qui garantit que vous ignorez totalement le moment où l’expérience commence, les plantes resteront à votre écoute, peu importe où vous irez. Au début, mon partenaire et moi allions dans un bar situé à un pâté de maisons, mais au bout d'un certain temps, nous avons commencé à soupçonner que les plantes réagissaient, non pas à la mort des crevettes saumâtres, mais à l'augmentation et à la diminution du niveau d'excitation dans nos conversations.

Finalement, quelqu'un d'autre a acheté les plantes et les a stockées dans une autre partie du bâtiment. Le jour de l’expérience, nous sommes allés chercher les plantes, les avons amenées, les avons branchées et sommes partis. Cela signifiait que les plantes étaient seules dans un environnement étrange, avec seulement la pression des électrodes et un petit filet d'électricité traversant leurs feuilles. Parce qu’il n’y avait pas d’humains avec lesquels s’harmoniser, elles ont commencé à " regarder autour " de leur environnement. Ce n’est qu’à ce moment-là que quelque chose d’aussi subtil que la mort des artémias a été capté par les plantes.

Jensen : Les plantes s'adaptent-elles uniquement aux humains, ou également aux autres créatures vivantes de leur environnement ?

Backster : Je vais répondre à cette question avec un exemple. Souvent, je branche une plante et je m'occupe de mes affaires, puis j'observe ce qui la fait réagir. Un jour, je faisais bouillir de l'eau dans une bouilloire pour faire du café. Puis j’ai réalisé que j’avais besoin de la bouilloire pour autre chose, alors j’ai versé l’eau bouillante dans l’évier. Le végétal en question, surveillé, a réagi énormément à cela. Maintenant, si vous ne mettez pas de produits chimiques ou d’eau chaude dans l’évier pendant une longue période, une jungle microscopique commence à s’y développer. Il s’est avéré que la plante réagissait à la mort des microbes présents dans les égouts.

À maintes reprises, j'ai été étonné de constater que la capacité de perception s'étend jusqu'au niveau bactérien. Un échantillon de yaourt, par exemple, réagira lorsqu'un autre est nourri, comme pour dire : " Celui-là reçoit de la nourriture. Où est la mienne? " Cela se produit avec un certain degré de répétabilité. Ou si vous déposez des antibiotiques dans l’autre échantillon, le premier échantillon de yaourt montre une énorme réponse à la mort de l’autre. Et il n’est même pas nécessaire qu’il s’agisse de bactéries du même type pour que cela se produise. Mon premier chat siamois ne mangeait que du poulet. J'en gardais un cuit dans le réfrigérateur du laboratoire et en retirais un morceau chaque jour pour nourrir le chat. Au moment où j'arriverais à la fin, la carcasse serait assez vieille et des bactéries auraient commencé à s'y développer. Un jour, j'ai fait brancher du yaourt, et alors que je sortais le poulet du réfrigérateur et commençais à retirer des lanières de viande, le yaourt a répondu. Ensuite, je mets le poulet sous une lampe chauffante pour le ramener à température ambiante.

Jensen : Vous avez visiblement chouchouté votre chat.

Backster : Je n'aurais pas voulu que le chat doive manger du poulet froid ! Quoi qu’il en soit, la chaleur frappant les bactéries a provoqué une énorme réaction dans le yaourt.

Jensen : Comment saviez-vous que vous n'aviez pas d'influence sur cela ?

Backster : Je n’étais pas au courant de la réaction à l’époque. Vous voyez, j'avais installé des commutateurs pip partout dans le laboratoire ; chaque fois que j'effectuais une action, j'appuyais sur un interrupteur, ce qui plaçait une marque sur un tableau distant. Ce n’est que plus tard que j’ai comparé la réaction du yaourt à ce qui s’était passé en laboratoire.

Jensen : Et quand le chat a commencé à ingérer le poulet ?

Backster : Chose intéressante, les bactéries semblent avoir un mécanisme de défense tel qu'un danger extrême les amène dans un état similaire à un choc : en fait, elles s'évanouissent. De nombreuses plantes font cela également ; si vous les harcelez suffisamment, elles se bloquent. C'est apparemment ce que les bactéries ont fait, car dès qu'elles ont touché le système digestif du chat, le signal s'est éteint. À partir de ce moment-là, la ligne est plate.

Jensen : Le Dr David Livingstone, l'explorateur africain, a été mutilé par un lion. Il a déclaré plus tard que lors de l'attaque, il n'avait pas ressenti de douleur, mais plutôt un sentiment de bonheur. Il a dit que cela n'aurait posé aucun problème de se livrer au lion.

Backster : Une fois, j'étais dans un avion et j'avais avec moi un petit compteur à réponse galvanique alimenté par batterie. Juste au moment où les agents de bord commençaient à servir le déjeuner, j'ai dit à l'homme assis à côté de moi : " Vous voulez voir quelque chose d'intéressant ? J'ai mis un morceau de laitue entre les électrodes, et quand les gens ont commencé à manger leurs salades, nous avons eu des réactions, mais elles se sont arrêtées car les feuilles étaient en état de choc. " Attendez qu'ils récupèrent les plateaux ", dis-je, "et voyez ce qui se passe." Lorsque les préposés ont retiré nos repas, la laitue a retrouvé sa réactivité. Le fait est que la laitue passait dans un état de latence pour ne pas souffrir. Quand le danger est parti, la réactivité est revenue. Cet arrêt de l’énergie électrique au niveau cellulaire est lié, je crois, à l’état de choc chez les humains.

Les cellules extérieures au corps réagissent toujours aux émotions que vous ressentez, même si vous êtes à des kilomètres de vous. La plus grande distance que nous avons testée est d’environ trois cents milles.

Jensen : Vous avez donc testé des plantes, des bactéries, des feuilles de laitue. . .

Backster : Et des œufs. J'ai eu un Doberman pinscher pendant un certain temps et je lui donnais un œuf par jour. Un jour, j'avais une plante reliée à un grand compteur à réponse galvanique, et alors que je cassais un œuf pour nourrir le chien, le compteur est devenu fou. Après cela, j’ai passé des centaines d’heures à surveiller les œufs, fécondés et non fécondés, c'est pareil ; c'est toujours une cellule vivante.

Après avoir travaillé avec des plantes, des bactéries et des œufs, j’ai commencé à me demander comment les animaux réagiraient. Mais je n’arrivais pas à faire en sorte qu’un chat ou un chien reste immobile assez longtemps pour effectuer une surveillance significative. J'ai donc pensé essayer les spermatozoïdes humains, qui sont capables de rester vivants en dehors du corps pendant de longues périodes et sont certainement assez faciles à obtenir. Dans cette expérience, l’échantillon du donneur était placé dans un tube à essai doté d’électrodes et le donneur était séparé du sperme par plusieurs pièces. Ensuite, le donneur a inhalé du nitrite d'amyle, qui dilate les vaisseaux sanguins et est classiquement utilisé pour arrêter un accident vasculaire cérébral. Le simple fait d’écraser le nitrite d’amyle a provoqué une réaction importante du sperme, et lorsque le donneur a inhalé, le sperme s’est déchaîné.

Cependant, je ne pouvais pas poursuivre ces recherches. Cela aurait été scientifiquement valable, mais politiquement stupide. Les sceptiques dévoués m'auraient sans doute ridiculisé en me demandant où se trouvait mon masturbatorium, etc.

Puis j’ai rencontré un chercheur dentaire qui avait mis au point une méthode de collecte de globules blancs dans la bouche. C’était politiquement faisable, facile à réaliser et ne nécessitait aucune surveillance médicale. J'ai commencé à faire des expériences enregistrées sur écran partagé, avec l'affichage du graphique superposé au bas d'un écran montrant les activités du donneur. Nous avons prélevé des échantillons de globules blancs, puis renvoyé les gens chez eux pour regarder un programme télévisé présélectionné susceptible de susciter une réaction émotionnelle – par exemple, montrer à un vétéran de Pearl Harbor un documentaire sur les attaques aériennes japonaises. Ce que nous avons découvert, c'est que les cellules situées à l'extérieur du corps réagissent toujours aux émotions que vous ressentez, même si elles sont à des kilomètres de vous.

La plus grande distance que nous avons testée est d’environ trois cents milles. Brian O'Leary, qui a écrit Exploring Inner and Outer Space , a laissé ses globules blancs ici à San Diego, puis s'est envolé pour Phoenix. En chemin, il a gardé une trace des événements qui l'avaient agacé, en notant soigneusement l'heure de chacun. La corrélation est restée, même sur cette distance.

Jensen : Les implications de tout cela...

Backster : – sont stupéfiantes, oui. J'ai des tiroirs remplis de données anecdotiques de haute qualité montrant à maintes reprises comment les bactéries, les plantes, etc. sont toutes incroyablement en harmonie les unes avec les autres. Les cellules humaines ont elles aussi cette capacité de perception primaire, mais d'une manière ou d'une autre, elle s'est perdue au niveau conscient. Ou peut-être n’avons-nous jamais eu un tel talent.

Je soupçonne que lorsqu’une personne est suffisamment avancée spirituellement pour gérer de telles perceptions, elle sera correctement à l’écoute. En attendant, il serait peut-être préférable de ne pas être à l’écoute, à cause des dommages que nous pourrions causer en manipulant mal les informations reçues.

Nous avons tendance à nous considérer comme la forme de vie la plus évoluée de la planète. C'est vrai, nous réussissons très bien dans nos efforts intellectuels. Mais ce n’est peut-être pas le critère ultime permettant de juger. Il se pourrait que d’autres formes de vie soient plus avancées spirituellement. Il se pourrait également que nous nous approchons de quelque chose qui nous permettra d'améliorer notre perception en toute sécurité. De plus en plus de personnes travaillent ouvertement dans ces domaines de recherche encore marginalisés. Par exemple, avez-vous entendu parler du travail de Rupert Sheldrake avec les chiens ? Il installe une caméra d'enregistrement du temps sur le chien à la maison et sur le compagnon humain au travail. Il a découvert que, même si les gens rentrent du travail à une heure différente chaque jour, au moment où la personne quitte le travail, le chien de la maison se dirige vers la porte.

Jensen : Comment la communauté scientifique a-t-elle accueilli votre travail ?

Backster : À l’exception de scientifiques marginalisés comme Sheldrake, la réponse a été d’abord la dérision, puis l’hostilité, et maintenant surtout le silence.

Au début, les scientifiques appelaient la perception primaire " l’effet Backster ", espérant peut-être pouvoir banaliser les observations en leur donnant le nom de cet homme sauvage qui prétendait voir des choses qui avaient échappé à la science dominante. Le nom est resté, mais comme la perception primaire ne peut pas être facilement écartée, ce n'est plus un terme de mépris.

Au moment même où les scientifiques ridiculisaient mon travail, la presse populaire lui prêtait une très grande attention, dans des dizaines d'articles et dans des livres, comme The Secret Life of Plants de Peter Tompkins . Je n’ai jamais demandé aucune attention et je n’en ai jamais profité. Les gens sont toujours venus me chercher des informations.

Pendant ce temps, la communauté botanique était de plus en plus mécontente. Ils voulaient " aller au fond de toutes ces absurdités " et prévoyaient de résoudre le problème lors de la réunion de 1975 de l’Association américaine pour l’avancement de la science à New York. Arthur Galston, un botaniste bien connu de l'Université de Yale, a réuni un groupe restreint de scientifiques pour, à mon avis, tenter de discréditer mon travail ; il s’agit d’une réponse typique de la communauté scientifique aux théories controversées. J'avais déjà appris qu'on ne se lance pas dans ces combats pour gagner ; vous y allez pour survivre. Et c’est exactement ce que j’ai pu faire.

Ils en sont maintenant arrivés au point où ils ne peuvent plus contrer mes recherches, leur stratégie consiste donc simplement à m'ignorer et à espérer que je m'en aille. Bien sûr, cela ne fonctionne pas non plus.

Jensen : Quelle est leur principale critique ?

Backster : Le gros problème – et c’est un gros problème en ce qui concerne la recherche sur la conscience en général – est la répétabilité. Les événements que j'ai observés ont tous été spontanés. Elles doivent être. Si vous les planifiez à l'avance, vous les avez déjà modifiés. Tout se résume à ceci : répétabilité et spontanéité ne font pas bon ménage, et aussi longtemps que les membres de la communauté scientifique insisteront trop sur la répétabilité dans la méthodologie scientifique, ils n’iront pas très loin dans la recherche sur la conscience.

Non seulement la spontanéité est importante, mais l’intention l’est aussi. Vous ne pouvez pas faire semblant. Si vous dites que vous allez brûler une feuille sur la plante, mais que vous ne le pensez pas, rien ne se passera. J'entends constamment des gens de tout le pays vouloir savoir comment provoquer des réactions chez les plantes. Je leur dis : " Ne faites rien. Allez à votre travail; prenez des notes sur ce que vous faites à des moments précis et comparez-les plus tard à votre enregistrement graphique. Mais ne planifiez rien, sinon l’expérience ne fonctionnera pas. " Les gens qui font cela obtiennent souvent les mêmes résultats que moi et remportent le premier prix aux expo-sciences. Mais lorsqu'ils arrivent au cours de biologie 101, on leur dit que ce qu'ils ont vécu n'est pas important.

Il y a eu quelques tentatives de la part des scientifiques pour reproduire mon expérience avec les crevettes Artemia, mais elles se sont toutes révélées inadéquates sur le plan méthodologique. Lorsqu’ils ont appris qu’ils devaient automatiser l’expérience, ils se sont simplement rendus de l’autre côté d’un mur et ont utilisé la télévision en circuit fermé pour regarder ce qui se passait. De toute évidence, ils ne retiraient pas leur conscience de l’expérience, il leur était donc très facile d’échouer. Et soyons honnêtes : certains scientifiques ont été soulagés lorsqu’ils ont échoué, car le succès aurait été contraire à l’ensemble des connaissances scientifiques.

Jensen : L'accent mis sur la répétabilité semble anti-vie, car la vie elle-même n'est pas reproductible. Comme Francis Bacon l’a clairement indiqué, la répétabilité est inextricablement liée au contrôle, et le contrôle est fondamentalement l’essence même de la science occidentale, de la culture occidentale. Pour que les scientifiques abandonnent la répétabilité, ils devraient abandonner le contrôle, ce qui signifie qu’ils devraient abandonner la culture occidentale, et cela n’arrivera pas tant que cette civilisation ne s’effondrera pas sous le poids de ses propres excès écologiques.

Backster : J’ai renoncé à lutter contre d’autres scientifiques sur ce point. Mais je sais que s’ils réalisent mon expérience, même si elle échoue, ils verront quand même des choses qui changeront leur conscience. Ils ne seront plus jamais tout à fait les mêmes.

Des gens qui n’auraient rien dit il y a vingt ans me disent souvent : " Je pense que je peux maintenant vous dire en toute sécurité à quel point vous avez vraiment changé ma vie avec ce que vous faisiez au début des années soixante-dix. " À l’époque, ces scientifiques ne pensaient pas avoir le luxe de faire bouger les choses ; leur crédibilité, et donc leurs demandes de subvention, en auraient été affectées.

Jensen : En regardant votre travail, nous sommes confrontés à plusieurs options : Nous pouvons croire que vous mentez, ainsi que tous ceux qui ont déjà fait des observations similaires. On peut croire que ce que vous dites est vrai, ce qui nécessiterait de retravailler toute la notion de répétabilité dans la méthode scientifique, ainsi que nos notions de conscience, de communication, de perception, etc. Ou bien on peut croire que vous avez commis une erreur. Est-il possible que vous ayez négligé une explication strictement mécaniste de vos observations ? Un scientifique a dit qu’il devait y avoir un fil lâche dans votre détecteur de mensonge.

Backster : En trente et un ans de recherche, c'est comme si j'avais " desserré tous les noeuds ". Non, je ne vois aucune solution mécaniste. Certains parapsychologues pensent que je maîtrise l'art de la psychokinésie, que je fait bouger les aiguilles et autres indicateurs avec mon esprit – ce qui serait en soi une très bonne astuce. Mais ils négligent le fait que j'ai automatisé et randomisé de nombreuses expériences, de sorte que je ne suis même conscient de ce qui se passe que plus tard, lorsque j'étudie les graphiques et les bandes vidéo qui en résultent. Les explications conventionnelles sont devenues assez minces. L’une de ces explications, proposée dans un article du Harper’s, était l’électricité statique : si vous vous déplacez à travers la pièce et touchez la plante, vous obtenez une réponse. Mais bien sûr, je touche rarement la plante pendant l'observation, et de toute façon cette réaction serait totalement différente.

Jensen : Alors, quel est le signal capté par la plante ?

Backster : Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que le signal se dissipe à distance, comme ce serait le cas si nous avions affaire à un phénomène électromagnétique. Le signal de Phoenix, par exemple, était aussi fort que si Brian O'Leary avait été dans la pièce voisine.

Nous avons également tenté d'obstruer le signal à l'aide de plomb et d'autres matériaux, mais nous ne pouvons pas l'arrêter. Cela me fait penser que le signal ne va pas réellement d'ici à là, mais se manifeste plutôt à différents endroits. Je soupçonne que le signal ne prend pas de temps pour se déplacer. Il n'y a aucun moyen, en utilisant les distances terrestres, de tester cela, car si le signal était électromagnétique, il se propagerait à la vitesse de la lumière, et les retards biologiques consommeraient plus que la fraction de seconde qu'il faudrait au signal pour se propager. La seule façon de tester cela serait dans l’espace.

Certains physiciens quantiques soutiennent cette conviction – selon laquelle le signal ne dépend ni du temps ni de la distance. Il existe une théorie quantique appelée théorème de Bell, qui stipule que deux atomes éloignés l'un de l'autre changent parfois simultanément la direction de leur rotation.

Bien entendu, tout cela nous amène fermement sur le territoire du métaphysique et du spirituel. Pensez à la prière, par exemple. Si vous deviez prier Dieu, et que Dieu se trouvait de l’autre côté de la galaxie, et que votre prière voyageait à la vitesse de la lumière, vos os seraient depuis longtemps poussière avant que Dieu puisse répondre. Mais si Dieu – quelle que soit la manière dont vous définissez Dieu – est partout, la prière n'a pas besoin de voyager.

Jensen : Soyons plus concrets. Vous avez une image mentale de la plante en train de brûler et la plante réagit. Que se passe-t-il précisément à cet instant ? Comment la plante sait-elle réagir ?

Backster : Je ne prétends pas savoir. En fait, j’ai attribué une grande partie de ma réussite à pouvoir rester actif dans ce domaine – et à ne pas avoir été discrédité – au fait que je ne prétends pas le savoir. Vous voyez, si je donne une explication erronée, peu importe la quantité de données dont je dispose ou le nombre d’observations de qualité que j’ai faites. La communauté scientifique dominante utilisera l’explication incorrecte comme excuse pour rejeter mes données et mes observations. J'ai donc toujours dit que je ne savais pas comment cela se produisait. Je suis un expérimentateur, pas un théoricien.

Jensen : La capacité des plantes à percevoir l'intention me suggère une redéfinition radicale de la conscience.

Backster : Vous voulez dire que cela supprimerait la notion de conscience comme quelque chose sur lequel les humains ont le monopole ?

Jensen : Les humains et autres animaux dits supérieurs. Selon la pensée occidentale, parce que les plantes n’ont pas de cerveau, elles ne peuvent pas avoir de conscience.

Backster : Je pense que la science occidentale exagère le rôle du cerveau dans la conscience. Des livres entiers ont été écrits sur la conscience de l’atome. La conscience pourrait exister à un tout autre niveau. De très bonnes recherches ont été réalisées sur la survie de la conscience après la mort corporelle. Tout cela pointe vers l’idée selon laquelle la conscience n’a pas besoin d’être spécifiquement liée à la matière grise. Cette notion est une autre camisole de force dont nous devons nous débarrasser. Le cerveau a peut-être quelque chose à voir avec la mémoire, mais on peut affirmer avec force qu’une grande partie de notre mémoire n’y est pas stockée.

Jensen : La notion de mémoire corporelle est familière à tout athlète : lorsque vous vous entraînez, vous essayez de créer des souvenirs dans vos muscles.

Backster : Le cerveau ne fait peut-être même pas partie de cette boucle.

Jensen : J'ai également lu des articles sur les séquelles physiologiques des traumatismes – maltraitance des enfants, viol, guerre. De nombreuses recherches montrent que le traumatisme s’imprime sur différentes parties du corps ; une victime de viol pourrait plus tard ressentir une brûlure dans son vagin, par exemple.

Backster : Si je me cogne, j'explique aux tissus de cette zone ce qui s'est passé. Je ne sais pas à quel point cette méthode de guérison est efficace, mais elle ne peut pas faire de mal.

Jensen : Avez-vous également travaillé avec ce que l'on appelle normalement des matériaux inanimés ?

Backster : J'ai déchiqueté certaines substances et je les ai mises en suspension dans de la gélose. Je reçois des signaux électriques, mais ils ne sont pas nécessairement liés à quoi que ce soit qui se passe dans l'environnement. Les schémas sont trop grossiers pour que je puisse les déchiffrer. Mais je soupçonne que la conscience est plus répandue.

En 1987, j'ai participé à un programme de l'Université du Missouri qui comprenait une conférence du Dr Sidney Fox, qui était alors lié à l'Institut pour l'évolution moléculaire et cellulaire de l'Université de Miami. Fox avait enregistré des signaux électriques provenant d’un matériau semblable à une protéine qui présentait des propriétés étonnamment similaires à celles des cellules vivantes. La simplicité du matériel qu'il a utilisé et la capacité d'auto-organisation dont il fait preuve me suggèrent que la biocommunication était présente dès les tout premiers stades de l'évolution de la vie sur cette planète.

Bien sûr, l’hypothèse de Gaia – selon laquelle la Terre est un grand, grand organisme fonctionnel – s’inscrit parfaitement dans ce contexte. La planète va avoir le dernier mot concernant les dégâts que les humains lui infligent. Il ne lui faudra qu'un certain nombre d'abus, et alors il pourrait bien roter et renifler un peu, et détruire une bonne partie de la population. Je ne pense pas qu'il serait exagéré de pousser l'hypothèse un peu plus loin et d'attribuer une telle stratégie de défense à une sorte d'intelligence planétaire.

Jensen : Comment votre travail a-t-il été reçu dans d'autres parties du monde ?

Backster : Les Russes ont toujours été très intéressés et n'ont pas eu peur de s'aventurer dans ces domaines de recherche. À bien des égards, ils semblent beaucoup plus sensibles aux concepts spirituels que la plupart des scientifiques occidentaux. Et chaque fois que je parle de ce que je fais avec des scientifiques indiens – bouddhistes ou hindous –, ils me demandent : " Qu’est-ce qui vous a pris autant de temps ? " Mon travail s'accorde très bien avec de nombreux concepts adoptés par l'hindouisme et le bouddhisme.

Jensen : De quoi avons-nous peur, nous, les Occidentaux ?

Backster : La crainte est que, si ce que j’observe est exact, bon nombre des théories sur lesquelles nous avons construit nos vies doivent être complètement remaniées. J'ai connu des biologistes dire : " Si Backster a raison, nous sommes dans la merde . " Cela signifierait une refonte radicale de notre place dans le monde. Je pense que nous le voyons déjà.

Notre communauté scientifique occidentale en général se trouve dans une situation difficile car, pour maintenir notre mode de pensée scientifique actuel, nous devons ignorer une énorme quantité d’informations. Et de plus en plus d’informations de ce type sont recueillies en permanence. Les chercheurs butent partout sur ce phénomène de biocommunication. Il semble impossible, compte tenu de la sophistication des instruments modernes, de passer à côté de cette harmonisation fondamentale entre les êtres vivants. Seulement pendant un certain temps, ils pourront prétendre qu’il s’agit que de " cables déconnectés ".

Auteur: Internet

Info: Les plantes réagissent - Une entrevue avec Cleve Backster, Derrick Jensen,  Juillet 1997 - https://www.thesunmagazine.org/

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste