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​​​​​​​signes contextualisés

Cette énigme, ce nœud gordien de la "réalité extérieure", avec lequel la modernité avait paralysé les philosophes, est précisément ce que Sebeok a tranché. Confronté au dilemme de l'implication moderne d'un labyrinthe du fonctionnement de l'esprit, il a trouvé la sortie :

Que faut-il faire de tout cela ? Il me semble que, tout au moins pour nous, travailleurs dans un contexte zoosémiotique, il n'y a qu'une seule façon de se frayer un chemin dans ce bourbier, et c'est d'adhérer strictement aux thèses globales de Jakob von Uexküll sur les signes. (Sebeok, 2001, pp. 78 & 193n6) 

Bien sûr, Sebeok évoque ici l'Umweltstheorie, rien de moins, pour laquelle rien n'est plus central que la distinction que fait Sebeok lui-même entre le langage au sens premier (cet aspect du système de modélisation humain ou Innenwelt qui est sous-déterminé biologiquement et, en tant que tel, spécifique à notre espèce) et l'exaptation du langage pour communiquer (ce qui aboutit à la communication linguistique en tant que, encore une fois, moyen spécifique à l'espèce humaine).

L'erreur des relativistes culturels de tout poil, et des modernes en général, du point de vue de Sebeok, a été de traiter le langage comme un système autonome englobant tout, au lieu de réaliser son contexte zoosémiotique (Deely, 1980). Dans ce contexte, "l'unicité de l'homme" n'apparaît que dans la mesure où elle est soutenue par et dépend des points communs de signification qui définissent et constituent le domaine plus large des choses vivantes au sein duquel se trouve le langage, champ bien plus vaste au sein duquel les humains sont nécessairement incorporés et liés par x milliard de connexions que la compréhension même de la vie humaine doit finalement conduire vers une certaine incorporation consciente. En d'autres termes, la dernière contribution de Sebeok, venant de l'intérieur de la modernité, aura été de réaliser qu'il existait une voie au-delà de la modernité, la voie des signes. La question, sous cette forme, ne l'a jamais intéressé, mais dans le sillage de son œuvre, elle mérite d'être posée : que devrait être la postmodernité ? 

Il ne pouvait s'agir que d'une vision du monde qui parviendrait, d'une manière ou d'une autre, à rétablir ce qui est extérieur à nous-mêmes comme étant connaissable en tant que tel ou en tant que tel, sans renoncer à la prise de conscience moderne selon laquelle une grande partie, sinon la majorité, de ce que nous connaissons directement se réduit à nos propres coutumes et conventions selon lesquelles les objets sont structurés et les déductions faites. Sebeok a peut-être été tout à fait moderne. Mais personne n'a fait plus que lui pour s'assurer que l'ère moderne, du moins dans la culture intellectuelle et dans la philosophie dont il n'a jamais prétendu assumer le flambeau, était terminée. Sebeok est devenu, malgré lui, postmoderne jusqu'au bout des ongles. 

Je dis "malgré lui", car je sais qu'il avait une aversion pour l'appellation "postmoderne", pour une très bonne raison. La plus grande partie de la vie professionnelle de Sebeok avait été consacrée à exposer et à surmonter ce qu'on a appelé le "pars pro toto fallacy"*, selon lequel la doctrine du signe trouve son fondement adéquat dans un paradigme linguistique, pour ne pas dire verbal. Telle était la thèse, bien connue à la fin du vingtième siècle, de la proposition de "sémiologie" de Saussure. 

Par contraste, Sebeok a promu dès le début que la doctrine des signes doit être enracinée directement dans une étude générale de l'action des signes, de la manière distinctive dont les signes fonctionnent, action pour laquelle il a accepté de Peirce le nom de "sémiose". Mais si la doctrine des signes concerne avant tout l'action révélatrice de l'être distinctif des signes, alors la proposition adéquate pour son développement n'est pas le terme "sémiologie" mais plutôt le terme "sémiotique", qui exprime l'idéal d'un paradigme non lié au langage et se réfère à l'action des signes comme étant plus grande que, englobante, et en fait présupposée à toute action des signes comme étant de nature verbale. "La sémiose, a très tôt déclaré Sebeok, est un fait omniprésent de la nature comme de la culture" (1977a, p. 183).  

Auteur: Deely John

Info: The Quasi-Error of the External World an essay for Thomas A. Sebeok, in memoriam. *Erreur consistant à confondre une partie d'un objet avec le concept qui représente son intégralité. Trad Mg

[ réagencement permanent ] [ hyper-complexité ] [ historique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

biopouvoir

C’est d’ailleurs ce laboratoire P4 de Lyon qui assure les transferts de technologie et la formation des équipes chinoises, sous la houlette de l’Inserm, après le démarrage des travaux à Wuhan en 2011. Pourquoi la France transfère-t-elle des technologies aussi dangereuses ? D’abord pour des raisons sanitaires, afin d’ "aider les Chinois à bloquer H7N9, H5N1, SRAS ou un prochain coronavirus", explique un expert à l’AFP en 2014. Apparemment, il y a eu une petite complication.

Ensuite, pour rester dans la compétition mondiale. La santé, c’est la vitrine ; l’important, c’est la guerre : si la France ne va pas à Wuhan, d’autres iront. Enfin, par naïveté. Selon le même expert, les Français pensent que les Chinois respecteront l’accord : "L’accueil de Français à Wuhan est de nature à rassurer sur ce qui s’y passe". Là aussi, il y a eu une petite complication. [...]

[En 2013,] La représentante du techno-gratin dauphinois [Geneviève Fioraso] signe avec ses homologues chinois 11 accords de partenariat dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation. Elle assiste à la signature de protocoles d’accord entre l’Institut Pasteur de Shanghai et des partenaires, dont BioMérieux, représenté par son patron Alain Mérieux, ami de Jacques Chirac et élu RPR au conseil régional de Rhône-Alpes. [...]

Au printemps 2016, le premier train assurant la liaison Wuhan-Lyon parcourt le trajet en quinze jours. La Route de la soie transporte désormais des produits chimiques et des articles manufacturés de Chine, du vin et du matériel biotechnologique de France. [...]

Le 23 février 2017, le Premier ministre Bernard Cazeneuve se rend à Wuhan pour l’accréditation officielle du laboratoire. Le directeur du P4 lyonnais, Hervé Raoul, annonce une coopération avec une cinquantaine de chercheurs français, sous l’égide de l’Inserm. La France financera cette coopération à hauteur d’un million d’euros sur cinq ans. Le patron du labo de virologie lyonnais VirPath, Bruno Lina, se félicite de la disponibilité, à Wuhan, de singes pour tester des vaccins – sans les emmerdeurs de la cause animale. [...]

Cette ouverture n’enchante pas les Américains. Eux-mêmes construisent à tout va des laboratoires de haute sécurité sur leur territoire, passant de 465 à 1295 entre 2001 et 2014. La compétition avec la Chine s’accélère. Le biochimiste Richard Ebright, expert en biosécurité de la Rutgers University (New Jersey), rappelle en 2017 que "le SRAS s’est échappé de laboratoires de haute sécurité de Pékin à de multiples reprises". [...]

Inquiète, l’ambassade des États-Unis en Chine visite le laboratoire de Wuhan et envoie dès janvier 2018 des câbles alarmés au gouvernement américain. Les visiteurs font état de manquements de sécurité et d’un nombre insuffisant de techniciens formés ; ils recommandent de fournir une assistance aux Chinois. Ça, c’est l’histoire racontée par le Washington Post en avril 2020, donnant le beau rôle à des Américains empêtrés dans le Covid-19 comme des amateurs. Voilà des câbles diplomatiques ressortis à point nommé, dans la guerre froide sino-américaine. [...]

Qu’en est-il vraiment ? Demandez aux Chinois. En fait, les Américains sont plus impliqués dans le laboratoire de Wuhan qu’ils ne le laissent croire. Le partenariat franco-chinois battant de l’aile, ils s’engouffrent dans la brèche dès 2015 pour mener des collaborations scientifiques avec le labo P4. [...]

A l’occasion de sa visite d’État en Chine en janvier 2018, Emmanuel Macron signe malgré tout avec Xi Jinping des accors de coopération. Leur déclaration commune souligne : "la Chine et la France conduiront des recherches de pointe conjointes sur les maladies infectieuses et émergentes, en s’appuyant sur le laboratoire P4 de Wuhan".

C’est se leurrer sur le partenaire. D’après un fonctionnaire français cité par le journaliste Antoine Izambard dans son livre France Chine, les liaisons dangereuses :

"Nous leur avons demandé ce qu’étaient devenus les P3 et ils nous ont répondu que certains, situés dans une région proche de l’Himalaya, avaient gelé durant l’hiver et que d’autres avaient disparu. C’était assez déroutant".

Quant aux 50 chercheurs français attendus au P4 de Wuhan – cette coopération qui rassurait tant lors de la signature de l’accord – ils ne sont jamais venus. Le comité franco-chinois sur les maladies infectieuses ne s’est plus réuni depuis 2016. Les Chinois font ce qu’ils veulent, à l’abri des regards dans leur enceinte confinée.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Le règne machinal", éditions Service compris, 2021, pages 105 à 110

[ historique ] [ infectiologie ] [ orient-occident ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

économie politique

Vous posez la question du libéralisme. Il y a un malentendu total à propos d’Adam Smith et de sa main invisible. Les grands économistes prix Nobel se sont réunis – si j’ai bon souvenir c’était en 2006 – ils se sont réunis à Kirkcaldy, qui est le lieu de naissance de M. Adam Smith, et ils s’étaient cotisés pour mettre un grand buste d’Adam Smith sur la place. M. Alan Greenspan qui à l’époque était encore à la tête de la Federal Reserve – la banque centrale américaine – a fait un splendide discours qu’on retient certainement parce que c’est un discours qui nous expliquait que toute crise d’ordre financier était impossible. On était en 2006. Ce monsieur n’était pas un imbécile – il n’est toujours pas un imbécile, il vit toujours [c’est toujours vrai : il a 97 ans] – mais c’est un Libertarien, comme on dit, radical. C’est quelqu’un qui est convaincu que la main invisible d’Adam Smith règle absolument tout. Quand il a été accusé – c’était dans les derniers jours du mois de septembre ou peut-être dans les premiers du mois d’octobre, juste après l’effondrement – quand il a été interpellé devant le sénat américain, il a fait une référence assez obscure au fait que les banquiers n’avaient pas suivi leur intérêt et qu’il n’aurait pas pu prévoir ça. C’était une référence à la main invisible d’Adam Smith qui dit la chose suivante : " Il ne faut pas demander au boucher, au brasseur, au boulanger de veiller tous à l’intérêt général. Ils veilleront à l’intérêt général bien plus sûrement en s’occupant – de manière assez égoïste – de leurs propres affaires ".

À quoi répondait Adam Smith quand il a dit ça ? C’était une réflexion encore – il était Écossais mais, bien entendu, il s’exprimait dans le cadre de la Grande-Bretagne à l’époque – c’était encore une contribution au grand débat qui durait depuis la révolution, la Révolution anglaise [1642-1651], la révolte contre le roi Charles Ier, dirigée par Olivier Cromwell. Que se passe-t-il ? Un général remplace la royauté, on se débarrasse ensuite [de son fils qui lui a succédé] et on ré-instaure la royauté [en 1660]. Alors, dans toute la période qui suit, grand débat en Grande-Bretagne : où faut-il mettre le seuil ? Où faut-il arrêter le pouvoir de l’État sur les citoyens pour respecter au mieux la liberté des citoyens individuels ? Donc, débat qui dure depuis pratiquement un siècle au moment où Adam Smith pose la question. Dans son livre majeur La richesse des nations publié en 1776, il répond toujours à cette question : que le roi ne s’occupe pas trop de la vie individuelle des citoyens ! Le système va fonctionner de manière spontanée, bien mieux que si on réglait une société uniquement par injonctions venant d’en-haut.

M. Adam Smith, il faut bien le dire, c’est quelqu’un qu’on appellerait " de gauche " aujourd’hui : il fait des remarques extrêmement déplaisantes sur les patrons et est très très positif sur les ouvriers. Quand la Révolution française éclate en France, il est l’un des rares en Grande-Bretagne à prendre parti officiellement pour la Révolution française. Il meurt très rapidement – si j’ai bon souvenir, il meurt en 1790 – mais c’est quelqu’un qui se situerait maintenant à l’extrême-gauche s’il fallait le situer. Quand les grands banquiers de Wall Street vont dévoiler un buste en son honneur à Kirkcaldy, dans sa ville natale, il y a là un énorme malentendu.

La question à laquelle il répondait, c’était celle de la Révolution anglaise. Ce n’était pas une réflexion sur le libéralisme ou même sur l’ultra-libéralisme qui conduit maintenant à dire que, à la limite, il faudrait que l’État ne s’occupe plus que d’une seule chose, c’est la propriété privée, et pour le reste, il faut laisser les initiatives aux individus. Vous savez que il y a en particulier des Libertariens qui sont, je dirais, la forme ultime de l’ultra-libéralisme, des gens comme M. Rothbard aux États-Unis qui prônait que même la défense nationale soit assurée simplement par l’initiative individuelle : " S’il y a des gens qui ont de l’argent et qui veulent qu’on protège le pays, eh bien pourquoi ne le mettraient-ils pas à disposition ? " C’est la position qu’on appelait au début du XIXe siècle " l’État veilleur de nuit " : l’État doit s’occuper uniquement de veiller, peut-être même pas à la sécurité nationale, mais à la défense de la propriété.

Auteur: Jorion Paul

Info: Conférence de l’hôtel de ville du 29 novembre 2018 à Saint-Étienne : " Se débarrasser du capitalisme est une question de survie " En réponse à une question de la salle, au sujet du penseur ultra-libéral Murray Rothbard

[ historique ] [ absurde ] [ relativité ] [ inversion ] [ renversement ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

communisme

Les théories de Marx sont assez bien connues pour ne nécessiter qu’un résumé. Il commence par définir la valeur des marchandises en tant que fonction du travail nécessaire pour les produire. Ce travail, source de la dignité du travailleur, est la seule marchandise qu’il puisse vendre. Une fois que le capitaliste a acheté assez de travail pour satisfaire ses propres besoins, il exploite le travailleur – par l’oppression directe ou par les améliorations indirectes de la productivité – pour en tirer un profit. Ce profit s’accumule, rendant les capitalistes de plus en plus puissants, jusqu’à ce que la classe moyenne ait été absorbée dans la classe des travailleurs, et que toute cette masse misérable et dégradée se révolte et engendre le socialisme. Pour Marx, ce processus était à la fois nécessaire et inévitable, et c’est pourquoi il vantait le capitalisme et l’État bourgeois, dont il pensait qu’ils préparaient les conditions pour le mode de production supérieur du socialisme. C’est aussi la raison pour laquelle il vouait un culte à la production elle-même, la machinerie de la société, à laquelle il estimait que l’homme devait se soumettre jusqu’au jour où elle cesserait de le détruire. Ensuite, selon Marx, tous les antagonismes sociaux se seraient magiquement arrêtés.

[...]

Pour Marx, l’histoire était une machine téléologique, ou orientée vers la finalité, visant à une société sans classe à laquelle les divers antagonismes que renferme la société devaient inévitablement aboutir. Un tel paradis n’était pas fondamentalement différent du paradis judéo-chrétien standard, promis, mais constamment différé, qu’il rejetait. À cette fin, Marx vantait continuellement le développement du capitalisme – même s’il aboutissait à l’extrême déchéance des travailleurs. Marx défendait l’insistance de David Ricardo sur la production pour la production, sans considération pour l’humanité, comme étant "absolument juste". Suivant le nationalisme quasi fasciste de Hegel, pour qui l’individu était un moyen "subordonné" et consommable au service d’une fin étatique, il a fait l’éloge du saccage de l’Inde par l’Angleterre, écrivant dans son essai "La domination britannique en Inde" que l’empire anglais était "l’outil inconscient de l’histoire" et que nous pouvions regretter les crimes des Britanniques ou l’effondrement d’un empire ancien, mais que nous avions la consolation de savoir que cette torture grotesque finirait par "nous apporter un plaisir plus grand". Il était pareillement sanguinaire concernant la colonisation des États-Unis par l’Europe. De tels événements étaient des étapes nécessaires dans le processus historique linéaire, soumis à des lois, envers lequel il était engagé.

[...]

ce qui se passe en réalité ne correspond simplement pas aux prédictions de Marx. Par exemple, il avait la conviction que la paupérisation du prolétariat l’amènerait à se révolter contre l’oppression capitaliste. Pour autant que nous le sachions, cela n’a pas eu lieu et ne s’annonce pas ; l’homme intègre le monde capitaliste dans un état de soumission qui ne fait qu’empirer tandis que la pauvreté l’abrutit et l’affaiblit (particulièrement dans le tiers-monde), que le professionnalisme l’estropie et le désoriente, que la technologie le domestique, le distrait et l’endort avec les compensations qui lui sont offertes par l’État providence – un mécanisme quasi socialiste qui résonne parfaitement avec l’autoreproduction du capitalisme.

[...]

Nous nous trouvons maintenant dans l’impasse que Bakounine avait prédite et vers laquelle Marx et ses nombreux disciples nous ont dirigés, où ceux qui nous oppriment ne sont plus principalement les rois ou les capitalistes, mais les experts professionnels et techniques, et l’ahurissante supermachine qu’ils dirigent. Le pouvoir militaire et le pouvoir usufruitier des rois et des capitalistes existent toujours, mais ils ont été supplantés par le pouvoir de gestion des techniciens (qui, comme l’a démontré leur acceptation universelle des confinements et de la dernière phase biofasciste du système, sont aussi heureux que l’étaient les capitalistes et les rois de voir les classes ouvrières brutalement disciplinées) et le pouvoir d’absorption de la réalité de l’inculture virtuelle et du monde construit pour la servir.

Tout cela explique pourquoi Marx méprisait la classe sociale la moins touchée par l’industrialisation, à savoir la paysannerie. Marx (comme Platon) n’avait aucun intérêt pour les leçons que la nature sauvage pouvait offrir à l’homme, et préconisait en réalité la fin de la production rurale à petite échelle. Il souhaitait qu’on applique à l’agriculture "les méthodes modernes, telles que l’irrigation, le drainage, le labourage à la vapeur, le traitement chimique et ainsi de suite…" et qu’on cultive la terre "à grande échelle", dans ce que nous appellerions aujourd’hui une ferme "monoculturale". En fin de compte, l’extermination de la nature biodiverse et des vies conscientes de ceux qu’elle nourrissait ne le concernait pas vraiment, comme elle ne concerne pas ceux qui, malgré leur pompeuse rhétorique "écoresponsable", sont toujours engagés dans la destruction de l’autosuffisance et de l’indépendance rurale.

Auteur: Allen Darren

Info: https://expressiveegg.org/2022/11/05/adieu-monsieur-marx/

[ critique ] [ historique ]

 
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sciences

Intellectuellement Pythagore fut un des hommes les plus importants qui aient jamais vécu, autant lorsqu'il fut sage que dans ses  imprudences.

Les mathématiques, au sens de l'argumentation déductive démonstrative, commencent avec lui et, en lui, sont intimement liées à une forme particulière de mysticisme. L'influence des mathématiques sur la philosophie, en partie due à lui, aura été depuis son époque à la fois profonde et malencontreuse. 

A l'origine la plupart des sciences étaient liées à une certaine forme de fausse croyance, ce qui leur donnait une valeur fictive. L'astronomie était liée à l'astrologie, la chimie à l'alchimie alors que les mathématiques étaient associées à un type d'erreur plus raffiné. Les connaissances mathématiques apparaissaient certaines, exactes et applicables au monde réel; de plus, elles étaient obtenues par simple réflexion, sans avoir besoin d'observation. Par conséquent, on pensait qu'elles fournissaient un idéal, en rapport duquel les connaissances empiriques quotidiennes étaient  inférieures. On supposait, sur la base des mathématiques, que la pensée est supérieure au sens, l'intuition à l'observation.

Si le monde des sens ne convient pas aux mathématiques, tant pis pour le monde des sens.  On a alots, via moult méthodes, cherché à se rapprocher de l'idéal du mathématicien, et les suggestions qui en ont résulté furent la source de beaucoup d'erreurs dans la métaphysique et la théorie de la connaissance.

Cette forme de philosophie commence avec Pythagore. Pythagore, comme tout le monde le sait, a dit "tout est nombre". Cette déclaration, interprétée de manière moderne, est logiquement un non-sens, mais ce qu'il voulait dire n'était pas exactement un non-sens. Il avait découvert l'importance des nombres en musique, et le lien qu'il a établi entre la musique et l'arithmétique survit dans les termes mathématiques "moyenne harmonique" et "progression harmonique". Il considérait les nombres comme des formes, telles qu'elles apparaissent sur les dés ou sur les cartes à jouer. On parle encore de nombres au carrés et au cube, termes que nous lui devons. Il évoqua aussi des nombres oblongs, triangulaires, pyramidaux, etc. C'était le nombre de cailloux (ou, comme on devrait dire plus naturellement, de billes) nécessaires pour réaliser les formes en question. Il pensait vraisemblablement que le monde est atomique et que les corps sont constitués de molécules composées d'atomes disposés sous diverses formes.

Il espérait ainsi mettre de l'arithmétique au centre de l'étude fondamentale de la physique comme de l'esthétique.

La religion personnelle dérive de l'extase, la théologie des mathématiques ; et les deux se trouvent chez Pythagore. Les mathématiques sont, je crois, la principale source de la croyance en une vérité éternelle et exacte, ainsi qu'en un monde intelligible suprasensible. La géométrie traite de cercles exacts, mais aucun objet sensible n'est exactement circulaire ; quelle que soit le soin avec lequel nous utilisons nos boussoles, il y aura des imperfections et des irrégularités. Cela suggère l'idée que tout raisonnement exact s'applique aux objets idéaux par opposition aux objets sensibles; il est naturel d'aller plus loin et d'affirmer que la pensée est plus noble que le sens, et les objets de la pensée plus réels que ceux de la perception sensorielle. Les doctrines mystiques sur la relation entre le temps et l'éternité sont également renforcées par les mathématiques pures, car les objets mathématiques, tels que les nombres, s'ils sont réels, sont éternels et ne s'inscrivent pas dans le temps. Ces objets éternels peuvent être conçus comme les pensées de Dieu. 

D'où la doctrine de Platon selon laquelle Dieu est un géomètre et la croyance de Sir James Jeans selon laquelle il est accro à l'arithmétique. La religion rationaliste par opposition à la religion apocalyptique aura été, depuis Pythagore, et notamment depuis Platon, complètement dominée par les mathématiques et la méthode mathématique. La combinaison des mathématiques et de la théologie, qui a commencé avec Pythagore, a caractérisé la philosophie religieuse en Grèce, au Moyen Âge et dans les temps modernes jusqu'à Kant. L'orphisme avant Pythagore était analogue aux mystérieuse religions asiatiques.

Mais chez Platon, Saint Augustin, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza et Kant, il y a un mélange intime de religion et de raisonnement, d'aspiration morale et d'admiration logique de ce qui est intemporel, qui vient de Pythagore et qui distingue la théologie intellectualisée de l'Europe du mysticisme plus direct de l'Asie. 

Ce n'est que très récemment qu'il a été possible de dire clairement en quoi Pythagore avait tort. Je ne connais personne qui ait eu autant d'influence que lui dans le domaine de la pensée. Je dis cela parce que ce qui apparaît comme du platonisme se révèle, après analyse, être essentiellement du pythagorisme. Toute la conception d'un monde éternel, révélé à l'intellect mais non aux sens, est dérivée de lui. Sans lui, les chrétiens n'auraient pas considéré le Christ comme le monde ; sans lui, les théologiens n'auraient pas cherché des preuves logiques de Dieu et de l'immortalité. Mais en lui, tout cela reste implicite.

Auteur: Russell Bertrand

Info: A History of Western Philosophy (1945), Book One. Ancient Philosophy, Part II. The Pre-Socratics, Ch. III: Pythagoras, p. 29 & pp. 34-37

[ historique ] [ Grèce antique ] [ langage ]

 

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écholocalisation

Le secret ignoré des peintures rupestres

La démonstration d'une association entre le son et l'image dans l'art rupestre apporte une dimension supplémentaire à l'archéologie. Dans les grottes, les dessins d'animaux sont placés là où il y a beaucoup d'échos et de fortes résonances.

Les hommes du paléolithique ne choisissaient pas au hasard les parois où ils peignaient des mammouths, des aurochs, des cerfs, des chevaux. La plupart des peintures rupestres ont été exécutées là où la cavité amplifie l'intensité et la durée des sons et où il y a de nombreux échos. Des études conduites à la fin des années 1980 par Iegor Reznikoff et Michel Dauvois ont montré que les grottes constituent un univers sonore tout à fait extraordinaire. "Il est illusoire de comprendre le sens de l'art pariétal en le limitant à l'aspect visuel", souligne Iegor Reznikoff, mathématicien, philosophe des sciences et spécialiste de l'art vocal ancien. Pour lui, il n'est pas concevable de regarder les peintures rupestres comme de simples scènes de chasse. Quand elles étaient éclairées à la torche, les voix leur donnaient "une signification rituelle, voire chamanique".

L'association entre le son et l'image dans l'art rupestre vient d'être confirmée en Espagne dans les abris sous roche de la région de Vallorta, au nord de Valence (Journal of Archaeological Science, décembre 2012). Des tests acoustiques utilisant la voix humaine, un sifflet et les battements de main ont montré que là-bas aussi les peintures sont concentrées dans les endroits caractérisés par une forte résonance acoustique et de nombreux échos. Moins célèbre que l'art magdalénien, l'art pariétal levantin est moins ancien (entre -10.000 et -6500 ans) que celui de la grotte Chauvet (-30.000 ans) ou de Lascaux (-18.000 ans). Réalisés par des éleveurs et des agriculteurs, les dessins représentent du bétail - beaucoup de chèvres - et des humains en train de chasser et de se battre, figurés de manière très schématique.

En France, les recherches acoustiques ont été conduites dans les grottes du Portel, Niaux, Oxocelhaya et Isturitz, dans les Pyrénées, ainsi qu'à Arcy-sur-Cure, en Bourgogne. Iegor Reznikoff a utilisé un sonomètre et sa propre voix (des "oh, oh, oh" et des "mmh, mmh", de faible intensité) afin de mieux faire résonner la cavité. Résultat, dans toutes ces grottes, entre 80% et 90% des œuvres se trouvent sur des parois où les sons résonnent beaucoup, ce qui est loin d'être la règle. Ainsi, dans le Salon noir de la grotte de Niaux où sont regroupées la plupart des images d'animaux, la durée de résonance est de cinq secondes alors qu'elle est quasiment nulle dans les autres parties. Dans cette même salle, on compte jusqu'à sept échos.

Un travail de pionnier

Au fil de ses recherches, Iegor Reznikoff s'est aperçu que le son et les images sont indissociables. Dans la grotte du Portel qui a été entièrement cartographiée, il n'y a aucune peinture dans une grande salle aux parois pourtant parfaitement lisses mais sans aucune résonance.

"J'ai mis du temps à me rendre compte que les hommes du paléolithique utilisaient aussi les sons pour se guider dans la grotte", ajoute Iegor Reznikoff. En effet, dans les étroits boyaux où on avance en rampant, il n'était pas question pour eux d'emporter une torche. Une lampe à huile n'éclairant pas assez pour se diriger sur des centaines de mètres plongés dans le noir total, ils émettaient des sons et se guidaient grâce aux échos. "Les hommes préhistoriques avaient une écoute très fine. C'était pour eux une question de survie, ils étaient sur le qui-vive jour et nuit, à l'affût du moindre bruit", analyse Iegor Reznikoff. Seule l'écholocation leur permettait de savoir où ils allaient dans le noir.

Dans le dédale des tunnels, le mathématicien-musicien a eu la surprise de découvrir des traits rouges presque à chaque point de forte résonance. Pour lui, il doit s'agir de marques acoustiques, peut-être des points de repère dans un parcours initiatique.

Il a retrouvé plusieurs de ces traits rouges dans certaines niches proches des peintures. Intrigué, il a voulu tester leur acoustique. "La résonance de ces petites excavations est telle qu'une simple vibration sonore se transforme en beuglement d'aurochs ou en hennissements qui se propagent à l'intérieur de la grotte", se souvient encore Iegor Reznikoff, émerveillé.

Il ne désespère pas un jour de pouvoir explorer Lascaux, même si une partie du sol a été enlevée, ce qui a modifié son acoustique. Il s'est inscrit depuis plusieurs années pour étudier la grotte Chauvet. "Mais on laisse passer d'abord les sommités", regrette-t-il, ajoutant qu'en France ses recherches ont été accueillies avec des grimaces. Les Anglo-Saxons ont salué au contraire son travail de pionnier et ses travaux sont une référence. Les spécialistes en archéoacoustique ont une certitude: les sons jouaient un rôle primordial dans les temps préhistoriques et c'est une piste de recherche que l'on ne peut plus ignorer. 



 

Auteur: Internet

Info: Le FIgaro.fr, Yves Miserey, 14/12/2012, Reznikoff Iégor, "L’existence de signes sonores et leurs significations dans les grottes paléolithiques", in J. Clottes, 2005

[ historique ] [ chambre d'écho ] [ cavernes ] [ image-son ] [ balises ] [ paléomusicologie ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

intelligence artificielle

[...] au début de la guerre de Corée, le général McArthur a proposé des mesures dont l’application aurait pu déclencher une troisième guerre mondiale. Tout le monde sait aussi qu’on lui a retiré le pouvoir de décider s’il fallait ou non prendre un tel risque. Ceux qui lui ont retiré cette possibilité ne l’ont pas fait pour prendre eux-mêmes les décisions à sa place ou pour les confier à d’autres hommes politiquement, économiquement ou moralement qualifiés. Ils l’ont fait pour remettre le pouvoir de décider à un instrument (puisque le "dernier mot" doit être objectif et qu’on ne considère aujourd’hui comme "objectifs" que les jugements prononcés par des objets). Bref, on a confié la responsabilité suprême à un "electric brain", un cerveau électrique. On n’a pas retiré le pouvoir de décision à l’individu McArthur, mais à McArthur en tant qu’homme, et si on a préféré le cerveau-instrument au cerveau de McArthur, ce n’est pas parce qu’on avait des raisons particulières de se méfier de l’intelligence de McArthur mais parce qu’il n’avait, précisément, qu’un cerveau humain.

Dire qu’on lui a "retiré" sa responsabilité en tant qu’homme, c’est bien sûr employer une expression trompeuse. Car la puissance qui l’a privé de son pouvoir de décision n’était pas une instance surhumaine, ce n’était ni "Moïra" (le Destin), ni "Tyché" (la Fortune), ni "Dieu", ni l’ "Histoire", mais c’était l’homme lui-même qui, dépouillant sa main gauche avec sa main droite, déposait son butin – sa conscience morale et sa liberté de décision – sur l’autel de la machine et montrait par cet acte qu’il se soumettait à celle-ci, à ce robot calcultateur qu’il avait lui-même fabriqué et qu’il était prêt à considérer comme une conscience morale de substitution et une machine à oracles, bref une machine littéralement providentielle.

En subordonnant le général à cet instrument, l’humanité s’est en quelque sorte porté atteinte à elle-même. Qu’on ne se méprenne pas. Rien n’est plus éloigné de nos intentions que de nous solidariser avec McArthur. Que l’histoire, en cet instant exemplaire, se soit justement servie de lui pour tenir ce rôle est un pur caprice : n’importe quelle autre personnalité publique aurait aussi bien fait l’affaire. Nous voulons seulement dire que celui qui transfère la responsabilité d’un homme à un instrument lui transfère aussi, par là même, la responsabilité de tous. En cette occasion, l’humanité s’est pour la première fois humiliée elle-même de façon significative et a ouvertement déclaré : "On ne peut pas compter sur nous puisque nous comptons plus mal que nos machines. Qu’on ne tienne donc pas "compte" de nous." Elle n’a, pour la première fois, ressenti aucune honte d’avoir ouvertement honte.

On a donc "nourri" - to feed est le terme technique qu’on emploi pour désigner l’opération par laquelle on introduit dans l’appareil les éléments nécessaires à la décision – cette machine à oracles de touts les données relatives à l’économie américaine et à celle de l’ennemi. "Toutes les données", c’est beaucoup dire. Car les machines possèdent par essence leurs "idées fixes" : le nombre de paramètres qu’elles prennent en compte est artificiellement limité. [...] On les a ainsi exclusivement "nourries" de données susceptibles d’être facilement quantifiées – des données portant donc sur le caractère utile ou dommageable, rentable ou non rentable de la guerre en question. [...]

On sait bien que l’assimilation des données par les intestins mécaniques prend un temps ridiculement court. A peine avait-on nourri l’appareil qu’il délivra son oracle. Sa conclusion ayant valeur de décision, on sut alors si l’on pouvait se lancer dans cette entreprise et déclarer la guerre sainte, ou s’il fallait renoncer à cette mauvaise affaire et la condamner comme immorale.

Après quelques secondes de réflexion ou de digestion électrique, le "brain" donna une réponse qui se révéla, par hasard, plus humaine que les mesures suggérées par l’homme McArthur. Il proclama haut et fort que cette guerre serait une "mauvaise affaire", une catastrophe pour l’économie américaine. Ce fut sans aucun doute une grande chance, peut-être même la chance de l’humanité, puisqu’elle était déjà entrée dans l’ère atomique lorsque l’oracle sortit de la bouche de la machine. Mais le choix de ce mode de décision fut aussi la plus grande défaite que l’humanité se soit jamais infligée à elle-même : car jamais auparavant elle ne s’était abaissée à ce point et n’était allée jusqu’à confier à une chose le soin de statuer sur son histoire – et peut-être même sur son être ou son non-être. Que le jugement ait été cette fois-là un veto, une grâce, cela ne change rien à l’affaire. Ce n’en fut pas moins une sentence de mort puisqu’on avait placé dans une chose la source de toute grâce possible. [...] Si nous voulions bien réaliser que des milliers d’hommes, au nombre desquels nous figurons peut-être nous-mêmes, ne doivent ce que nous appelons aujourd’hui la "vie" - c’est-à-dire leur chance de n’avoir pas encore été tués  - qu’au "non" calculé par un instrument, à ce "non" sélectionné par l’électromécanique, alors nous voudrions rentrer sous terre pour cacher notre honte.

Auteur: Anders Günther Stern

Info: Dans "L'obsolescence de l'homme", trad. de l'allemand par Christophe David, éditions Ivrea, Paris, 2002, pages 78-81

[ historique ] [ délégation de la responsabilité humaine ] [ instrument médiumnique ]

 
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humanisme

La photo de John Carlos et Tommie Smith brandissant le poing pour protester contre la ségrégation raciale, alors qu’ils se trouvaient sur le podium du 200 mètres des Jeux Olympiques de 1968 à Mexico est demeurée célébrissime.
Photo puissante de deux hommes de couleur, pieds nus, tête baissée, poing ganté de noir brandi vers le ciel tandis que l’hymne national Américain retenti. Geste symbolique destiné à défendre l’égalité des droits pour les personnes de couleur, dans une année marquée par la mort de Martin Luther King et de Bobby Kennedy.
Sur la photo du podium, il y a un troisième homme. Un blanc, immobile, figé sur la deuxième marche. Il ne brandit pas le poing. On pourrait croire qu'il représente, dans la rigidité de son immobilité glacée, le conservateur blanc qui résiste au changement que Smith et Carlos invoquent.
La vérité est que cet homme blanc sur la photo est peut-être le plus grand héros de ce fameux soir d’été 1968.
Il s’appelait Peter Norman, il était australien et ce soir-là, il avait fait la course de sa vie, terminant deuxième, dans le temps incroyable pour l'époque de 20 s 06.
Smith et Carlos se préparaient à montrer à la face du monde leur protestation contre la ségrégation raciale. Quelque chose d’énorme et risqué, ils le savaient.
Norman, blanc d’Australie, pays qui avait à l’époque des lois d’apartheid extrêmement strictes, presque aussi strictes que celles qui avaient cours en Afrique du Sud. Le racisme et la ségrégation étaient extrêmement violents, non seulement contre les Noirs mais aussi contre les peuples aborigènes.
Les deux afro-américains avaient demandé à Norman s’il croyait aux droits humains. Norman avait répondu que oui.
"Nous lui avions dit ce que nous allions faire, nous savions que c’était une chose plus glorieuse et plus grande que n’importe quelle performance athlétique" racontera plus tard John Carlos. "Je m’attendais à voir de la peur dans les yeux de Norman... Mais à la place, nous y avons vu de l’amour."
Norman a simplement répondu : "Je serai avec vous".
Smith et Carlos avaient décidé de monter sur le podium pieds nus pour représenter la pauvreté qui frappait une grande partie des personnes de couleur. Ils arboreraient le badge du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme, un mouvement d’athlètes engagés pour l’égalité des hommes.
Mais ils ont bien failli ne pas porter les fameux gants noirs, symbole des Black Panthers, qui a finalement donné plus de force à leur geste. Une idée de Norman. En effet, juste avant de monter sur le podium, Smith et Carlos réalisèrent qu’ils n’avaient qu’une seule paire de gants. Ils allaient renoncer à ce symbole quand Norman insista en leur conseillant de prendre un gant chacun. Ce qu’ils firent.
Si vous regardez bien le cliché du podium vous verrez que Norman porte, lui aussi, un badge du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme, épinglé contre son cœur.
Les trois athlètes sont montés sur le podium ; le reste fait partie de l’Histoire, capturé par la puissance de cette image qui a fait le tour du monde.
"Je ne pouvais pas voir ce qui se passait derrière moi" dira plus tard Norman, "mais j’ai su qu’ils avaient mis leur plan à exécution lorsque la foule qui chantait l’hymne national Américain s’est tue. Le stade est devenu alors totalement silencieux."
Cet évènement provoqua l’immense tollé que l’on sait. Les deux coureurs noirs furent immédiatement bannis de la discipline et expulsés du village olympique. Une fois de retour aux USA ils eurent à faire face à de nombreux problèmes et menaces.
Ce que l’on sait moins, c’est que Peter Norman a lui aussisubi de lourdes conséquences pour avoir apporté son soutien à ces deux hommes, il a dû dire adieu à sa carrière qui aurait pu être prometteuse.
4 ans plus tard, malgré son excellence dans la discipline, il ne sera pas sélectionné pour représenter l’Australie aux Jeux Olympiques de 1972 et ne sera pas non plus invité aux JO qui passèrent dans son propre pays en 2000.
Norman laissa tomber la compétition et se remit à courir au niveau amateur. En Australie, où le conservatisme et la suprématie raciale avaient encore la peau dure, il fut traité comme un paria, un traître. Sa famille le renia, et il eut peine à trouver du travail à cause de cette image qui lui collait à la peau. Après une blessure mal soignée, il termina ses jours rongé par la gangrène, la dépression et l’alcoolisme.
Durant des années l'Australie donna à Norman une chance de se racheter, de sauver sa carrière pour être à nouveau considéré comme le grand sportif de talent qu’il était. Il fut maintes fois été invité à condamner publiquement le geste de John Carlos et de Tommie Smith, de se repentir face à ce système qui avait décidé de l’exclure. Même pour être invité aux JO de Sydney en 2000 Norman ne laissa jamais ses opinions faiblir en condamnant les deux américains pour se "racheter".
Aujourd'hui Carlos et Smith sont de véritables de la cause antiraciste. En Californie, une statue est même érigée en leur hommage. Mais l'Australien n'y figure pas.
Gommé, supprimé de l’histoire et détesté de beaucoup dans son pays, voilà ce qu’il fut son destin. Absence qui est l’épitaphe d’un héros que personne n’avait remarqué, et que l’histoire n’a pas retenu.
En 2006, Peter Norman décède à Melbourne, en Australie. Lors de ses obsèques les deux sprinteurs américains ont fait le déplacement pour porter son cercueil.
Au mois d'août 2012 le parlement australien présenta des excuses posthumes quand au prix payé par Norman.

Auteur: Gazzaniga Riccardo

Info: Résumé et mis en texte

[ sport ] [ historique ] [ subversion ]

 

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traite négrière

Ouidah : aperçu historique
Petit village au sud-ouest du Dahomey, qui représente dans l’histoire des peuples du sud-Danxomè Ouidah, Wida, Whydah, Juda, Adjuda, voire Fida, selon les graphies et les prononciations, le nom de cette ville résulte en fait de la mauvaise prononciation par les Européens du mot Houéda ou Xwéda, nom du groupe ethnique adja qui, au cours d’un long processus migratoire amorcé depuis Tado, s’est installé au xve siècle sur les rives du lac Ahémé. L’ethnie Houéda, sous la conduite de son chef Ahoho, fonda le royaume Houéda de Sahé dont la capitale Savi ou Xavier, à la fin de la première moitié du xvie siècle, était située à 8 km au nord de l’actuelle ville de Ouidah. (...)
Si Ouidah est la déformation de l’ethnonyme Houéda, le vrai nom de cette ville est Glexwe ou Gléhoué, ainsi que l’on peut l’observer dans le parler fon où le locuteur n’emploie jamais le mot Ouidah, mais toujours Gléhoué. La tradition rapporte que le chef Ahoho construisit dans ses champs proches de l’Atlantique une résidence secondaire champêtre pour s’y reposer. Dans la langue fon, Gléhoué signifie en effet "maison" (glé) "des champs" (xwé ou houé).
C’est sous le règne du huitième roi Kpassè qu’un paysan nommé Kpatè, en travaillant dans son champ près de la côte, aperçut sur la mer un navire. Impressionné par le phénomène, il agita un pagne attaché au bout d’un bâton. Les marins portugais qui occupaient le navire, l’ayant remarqué, envoyèrent à terre une barque. Et pour la première fois, l’on vit dans le royaume des hommes blancs aux oreilles rouges que, dans leur stupéfaction, Kpatè et ses semblables appelèrent "zojagé" ou "zodjagué" (littéralement "le feu parvenu au rivage").
Conduits à Savi auprès du roi, qui leur accorda l’hospitalité en leur offrant vivres et cabris selon la tradition, les hôtes portugais offrirent en retour au roi tissus, miroirs et autres pacotilles. Le souverain leur permit en outre, et surtout, de s’installer et de commercer avec son royaume. Plus tard, suivront les Anglais, les Hollandais, les Français… Les fouilles archéologiques de la ville de Savi font apparaître les vestiges des fondations des édifices et autres forts construits par ces Européens.
Les échanges commerciaux se développèrent vite et bientôt se spécialisèrent autour du commerce des esclaves qu’alimentaient les guerres interethniques. Le royaume de Savi connut ainsi un rapide essor économique grâce à ce commerce. Mais bientôt, les Européens, dans leurs forts de Savi, commencèrent à déplorer la lenteur et surtout les risques du portage de leurs marchandises débarquées sur la plage. Ils obtiendront alors l’autorisation du roi de construire, sur la rive nord de la lagune, des entrepôts surveillés qui accroîtront rapidement l’importance de ce qui n’était jusque-là qu’une résidence champêtre, Glexwé, ville de Ouidah.
La capitale Savi conservera certes son statut et son rang de ville sacrée et de capitale politique, mais perdra progressivement puis définitivement son importance économique au profit de Ouidah. C’est du reste ce rapide et prodigieux développement du royaume de Savi et tout particulièrement de la ville de Ouidah qui suscita la convoitise du royaume frère d’Abomey, moins favorisé et moins fortuné du fait de sa position enclavée et de son manque d’accès à la mer. Au terme d’une longue et méticuleuse préparation, le roi Agadja d’Abomey conquit le royaume de Savi, en 1727, en tuant par ruse Houffon, le dernier roi de Savi.
Ouidah, port négrier
La principale activité économique de Ouidah et la raison de son développement sont donc sans conteste la traite négrière. Il est regrettable que l’incendie volontaire du fort portugais provoqué par ses derniers occupants lors de leur expulsion du territoire dahoméen (actuel Bénin) par le premier président de la République du Dahomey, Hubert Maga, dès l’accession du pays à l’indépendance en 1960, ait détruit toutes les archives qui auraient fourni à la recherche et à l’Histoire de précieuses informations chiffrées sur l’ampleur du commerce des esclaves dans la ville océane.
La ville a gardé pendant plus d’un siècle un silence de plomb sur cette période sinistre de son histoire. Les deux manifestations culturelles de la dernière décennie, "Ouidah 92" puis "La Route de l’Esclave", ont créé les conditions favorables à une véritable catharsis car elles ont permis d’engager la ville dans un processus de révélation caractérisé dans un premier temps par l’identification, le marquage et le balisage ostensibles des places et des lieux qui furent, à quelque degré que ce soit, les théâtres et les témoins de la pratique de l’esclavage à Ouidah. Ainsi, aujourd’hui, le touriste qui séjourne au Bénin peut désormais inscrire au programme de ses visites touristiques l’itinéraire de "La Route de l’Esclave" qui va de la "Place du marché aux esclaves" jusqu’à la "Porte du non-retour", en passant par "Le Mémorial" érigé sur la funeste fosse commune qui recueillait les "invendus irrécupérables" de ce sinistre commerce. L’itinéraire permet en outre de découvrir comment les ressources du mysticisme vodun ont été instrumentalisées dans une sorte de rituel sacramentel pour accompagner l’esclave dans sa marche vers l’inconnu, et lui donner l’illusion d’une marche vers un ailleurs où l’existence était meilleure.
L’exercice auquel nous nous sommes livré à l’occasion du colloque "La Route de l’Esclave", en septembre 1994, pour trouver dans la tradition orale fon et particulièrement à travers la parémiologie (ou l’étude des proverbes) les traces de l’esclavage, nous a permis de faire apparaître des indications signifiantes et révélatrices de la part active prise par les négriers locaux dans la méthodique et ingénieuse organisation de ce commerce. En complément de cet apport de la tradition orale, la toponymie de la ville de Ouidah et de ses alentours ainsi que les panégyriques claniques du souvenir (ou litanies des familles) fournissent aussi d’intéressantes indications sur la traite négrière à Ouidah.

Auteur: Vignondé Jean-Norbert

Info: Esclaves et esclavage dans la parémiologie fon du Bénin

[ colonialisme ] [ historique ] [ nord-sud ] [ afrique ]

 

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homme-animal

"Voyageons un peu dans le passé et transportons-nous à Falaise, petite ville de Normandie, à la fin du mois de janvier 1386.

Une truie, maladroitement costumée en habits féminins, est rituellement conduite à l’échafaud, puis pendue et brûlée. Qu’avait-elle fait ? Renversé le berceau d’un nourrisson mal surveillé et commencé à lui dévorer le visage.

Capturée, emprisonnée, conduite au tribunal, défendue par un avocat peu efficace, elle est condamnée à mort par le juge-bailli de Falaise qui l’estime responsable de ses actes. Son propriétaire, en revanche, n’écope d’aucune peine ni amende.

Aujourd’hui, de telles pratiques nous font rire, de même que nous nous esclaffons devant les questions que l’on se pose à la même époque en milieu clérical ou universitaire : peut-on faire travailler les animaux le dimanche ? Doit-on leur imposer des jours de jeûne ? Où vont-ils après la mort ? En Enfer ou au Paradis ? Que de croyances absurdes ? Que de superstitions grotesques ! Quels ramassis d’imbéciles tous ces médiévaux !

Nous avons tort de réagir ainsi. En jugeant le passé à l’aune des savoirs, des morales et des sensibilités du présent, nous montrons que nous n’avons rien compris à ce qu’était l’Histoire. En outre, nous oublions aussi que nos propres comportements sont tout aussi ridicules, qu’ils feront pareillement sourire nos successeurs dans quelques siècles, et qu’ils sont souvent plus atroces et beaucoup plus dangereux que ceux de nos ancêtres. Dangereux pour toutes les espèces vivantes, dangereux pour l’avenir de la planète.

Qui parmi nous a déjà visité une porcherie industrielle ? Je suis normand d’origine et breton de cœur, je n’ai aucune animosité envers les éleveurs de porcs, je ne milite dans aucune société protectrice des animaux ; je suis simplement historien, spécialiste des rapports entre l’homme et l’animal. Or l’honnêteté m’oblige à dire que ces porcheries industrielles sont des lieux abominables, constituant une sorte d’enfer sur terre pour les animaux qui s’y trouvent. Les truies sont enfermées par centaines dans des espaces qui leur interdisent de se déplacer. Leur vie durant, elles ne voient jamais la lumière du soleil, ne fouillent jamais le sol, sont nourries d’aliments chimiques, gavées d’antibiotiques, inséminées artificiellement. Elles doivent produire le maximum de porcelets en une seule portée, avoir le maximum de portées dans les quelques années de leur misérable vie, et lorsqu’elles ne sont plus fécondes, elles partent à l’abattoir. Les porcelets eux-mêmes doivent engraisser le plus vite possible, produire le maximum de viande, et tout cela, bien sûr, au moindre coût. Ces crétins du Moyen-Âge qui pensaient que les cochons étaient des êtres sensibles, qu’ils avaient une âme et qu’ils pouvaient comprendre ce qu’était le Bien et le Mal, n’avaient certainement jamais pensé à cela : martyriser des porcs pour gagner de l’argent !

Récemment, un directeur de porcherie industrielle située dans les Côtes d’Armor à qui je venais de faire part de mon indignation m’a répondu d’une manière sordide : "Mais, Cher Monsieur, pour les poulets c’est bien pire". De fait, dans des établissements carcéraux du même genre, les poulets ne peuvent pas poser leurs deux pattes au sol en même temps : il y circule un courant électrique qui les oblige, à longueur de vie, à poser au sol une patte après l’autre. Pourquoi un tel supplice ? Pour faire grossir leurs cuisses, bien sûr, et les vendre ainsi plus cher. La cupidité de l’être humain est devenue sans limite.

Où sont passés les cochons de nos campagnes ? Où peut-on encore les voir gambader autour de la ferme, jouer les uns avec les autres, se faire caresser par les enfants, partager la vie des paysans. Nulle part ! Nous avons oublié que les cochons – mais cela est vrai de tous les animaux de la ferme - étaient des êtres vivants et non pas des produits. Qui, dans la presse, évoque leur sort pitoyable, leur vie de prisonniers et de condamnés lorsque l’actualité parle du prix de la viande de porc et du mécontentement des éleveurs ? Qui a le courage de rappeler qu’avant d’être un produit de consommation le cochon était un animal vivant, intelligent, sensible, anatomiquement et physiologiquement cousin très proche de l’être humain ? A ma connaissance, personne. De même, à propos des débats autour des cantines scolaires, qui s’interroge sur les raisons qui font que certains peuples mangent du porc et d’autres non ? C’est pourtant un dossier passionnant, l’occasion de s’instruire et de rappeler les nombreuses hypothèses qui ont été avancées depuis le Moyen-Âge pour expliquer les rejets et les tabous qui entourent cet animal.

Les animaux domestiques n’ont plus d’histoire, plus de mythologie, plus de symbolique. Ils ne suscitent plus aucune curiosité, aucune interrogation, aucune nostalgie. Ils n’ont même plus droit à une vie simplement animale. Ce sont des produits ! Comme tels, ils doivent participer au "redressement productif" de notre pays (cette expression est en elle-même absolument répugnante) et générer du profit. Un profit ironiquement bien mince, voire inexistant pour les éleveurs de porcs, ce qui rend encore plus aberrante et intolérable l’existence de ces porcheries industrielles, inhumaines, "inanimales" même, si l’on peut oser un tel néologisme. Elles polluent l’air, la terre, les eaux des rivières et celles de la mer. Dans mon petit coin de Bretagne, des sangliers sont morts à cause du rejet dans la nature du lisier produit par l’élevage intensif de leurs cousins domestiques. Un comble ! À la cupidité s’ajoute l’absurdité.

L’être humain est devenu fou. Il tue non seulement ses semblables mais tout ce qui vit autour de lui. Il rêve même d’aller sur Mars ou ailleurs vérifier si la vie existe et, si c’est le cas, y semer la mort. Tout en donnant des leçons à l’univers entier et en paradant à la COP 21, 22, 23, 24.

Protéger la nature, défendre l’environnement, sauver la planète ? Certes. Mais pour quoi faire ? Pour sauver une humanité barbare et suicidaire, cruelle envers elle-même, ennemie de tous les êtres vivants ? Le mérite-t-elle vraiment ? Le souhaite-t-elle réellement ? Il est permis d’en douter."

Auteur: Pastoureau Michel

Info: France Inter, carte blanche du 21 oct 2019

[ historique ]

 
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