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idéalisme déçu

Car quel intérêt pour ses élèves à chercher le savoir, là où d’autres activités sont susceptibles de leur rapporter bien plus d’argent ? Mieux vaut concentrer son attention sur les savoir-être : être beau pour vendre et gagner beaucoup d’argent, voire passer à la télé, se constituer un réseau relationnel, afin d’être pistonné à l’un des nombreux postes moyennement juteux restant (la maison grandit, la voiture grossit), voire même à partager le gâteau ; hériter après des années de plus en plus longues à mesure de l’augmentation de l’espérance de vie à avaler les couleuvres lâchées par les générations précédentes.

Comme beaucoup, il avait vu la dégradation du prestige de sa profession, en interne comme dans la société. Alors que, lorsqu’il avait débuté, un enseignant pouvait s’offrir avec son salaire une vie si ce n’est bourgeoise, tout du moins confortable, au crépuscule de sa carrière, ses jeunes collègues les plus avisés changeaient d’orientation professionnelle. Quant à leur statut social, il équivalait désormais à celui d’un gardien de parking : les uns gardent les voitures, les autres les enfants.

Là où la soif de savoir est absente, des espaces se créent. Les diplômés ont tout le temps au cours de leur carrière pour oublier leurs chères connaissances et s’insérer dans la société de consommation. Leur activité la plus intellectuelle consiste dès lors à programmer leur smartphone, qui l’est devenu à leur place.

Auteur: Danoux Gabrielle

Info: Le chemin du fort

[ progrès technologique ] [ pédagogie ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

inactivité

À l'évidence, la mondialisation qui submerge notre monde moderne est un modèle hyperactif, hyperfinancier, perpétuellement à la recherche de progrès. Elle est dominée par l'Amérique, donc sous le joug de la position protestante. C'est sans doute pour cette raison que la notion de loisir a remplacé celle de vacances (étymologiquement : "vide"). Le vocable "loisir" vient du verbe latin licere signifiant "permettre". Littéralement, le loisir est ce qui est loisible, donc ce qui est permis. D'ailleurs, à l'armée comme à l'hôpital, quand on veut s'absenter, on sollicite une permission, la fameuse perm' bien connue des bidasses comme des malades.
De nos jours, si ne pas travailler est (à la rigueur) autorisé, voire recommandé, ne rien faire, vaquer, être en vacance est mal vu. La cessation de travail ne signifie plus farniente, mais présuppose que l'on s'adonne à une autre activité. Flemmarder au soleil n'est plus à la mode. Vive les séjours à thème, les voyages sportifs ou culturels, les clubs Méditerranée où le GM pris en charge de matin au soir court de compétitions sportives en animations soi-disant culturelles ! La loi sur les trente-cinq heures a d'ailleurs constitué un signal fort dans ce sens et il est reconnu que ce sont les magasins de bricolage et de sport (et, en conséquence directe, la petite chirurgie et les urgences) qui en ont le plus bénéficié sur le plan commercial.
Cesser de travailler signifie s'activer autrement.

Auteur: Lemoine Patrick

Info: S'ennuyer, quel bonheur !

[ chômage ] [ occupation ]

 

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rêverie

De hautes fougères flambent doucement, comme suspendues, portant leurs graines sous l’aile avant de les prodiguer autour d’elles. Les plantes s’élèvent-elles pour autre chose que ce don léger ? Ainsi voit-on des jeunes filles répandre le pollen de leurs regards. Mais le bois est désert. Je m’entends à peine avancer. Des pierres se sont éboulées parmi les aiguilles pourpres. Un ramier glisse du haut d’un arbre, descend obliquement, se pose : éventail de plumes grises qui s’ouvre sur le sol ; ou plutôt, morceau de silence détaché de l’espace. À moins que ce ne soit, sur mon cœur, un battement de paupières ? Que rien ne s’éloigne plus ! Les fougères, les roseaux tremblent.

Un grand serpent disparaît dans les hautes herbes jaunâtres.

Le silence pèse. Vais-je imaginer qu’une femme le dérange, qui approche entourée de ses cheveux, vais-je apprendre que ce sont des yeux qui ignorent le temps, et comment on marche quand on n’a ni regrets, ni désirs ? A-t-elle, pas plus liée par ses pieds au sol que la flamme à la bougie, le regard opaque (ou trop transparent) des bêtes ? Est-ce pourquoi elle aurait prêté l’oreille à l’une d’elles ? Le serpent nous répugne peut-être parce que nous savons son histoire. Elle, le voyait-elle seulement ? Ce n’était qu’un éclair paresseux ou une eau lente. Elle était encore prise dans le globe clos du jour : lequel de nos mots aurait-il eu un sens pour elle ? Sûrement pas danger, faute, mensonge…

Auteur: Jaccottet Philippe

Info: Paysages avec figures absentes

[ épiphanie ] [ Eurydice ] [ mirage ] [ nature ] [ femmes-par-homme ] [ question ]

 

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Ajouté à la BD par Plouin

passe-temps

À l'évidence, la mondialisation qui submerge notre monde moderne est un modèle hyperactif, hyper financier, perpétuellement à la recherche de progrès. Elle est dominée par l'Amérique, donc sous le joug de la position protestante. C'est sans doute pour cette raison que la notion de loisir a remplacé celle de vacances (étymologiquement : " vide "). Le vocable " loisir " vient du verbe latin licere signifiant " permettre ". Littéralement, le loisir est ce qui est loisible, donc ce qui est permis. D'ailleurs, à l'armée comme à l'hôpital, quand on veut s'absenter, on sollicite une permission, la fameuse perm' bien connue des bidasses comme des malades.
De nos jours, si ne pas travailler est (à la rigueur) autorisé, voire recommandé, ne rien faire, vaquer, être en vacance est mal vu. La cessation de travail ne signifie plus farniente, mais présuppose que l'on s'adonne à une autre activité. Flemmarder au soleil n'est plus à la mode. Vive les séjours à thème, les voyages sportifs ou culturels, les clubs Méditerranée où le GM pris en charge de matin au soir court de compétitions sportives en animations soi-disant culturelles ! La loi sur les trente-cinq heures a d'ailleurs constitué un signal fort dans ce sens et il est reconnu que ce sont les magasins de bricolage et de sport (et, en conséquence directe, la petite chirurgie et les urgences) qui en ont le plus bénéficié sur le plan commercial.
Cesser de travailler signifie s'activer autrement.

Auteur: Lemoine Patrick

Info: S'ennuyer, quel bonheur !

[ occupation ]

 

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tour d'horizon

A mesure qu'ils avancent dans leur oeuvre de prospection, les sémioticiens s'aperçoivent que tout est communication, la langue bien sûr, mais aussi les images, les sons, les objets, les gestes, et que tous ces phénomènes constituent des systèmes de signes qui doivent être étudiés en ramenant chaque message aux codes qui en régissent l'émission et la compréhension. Comprendre les systèmes de signes impose toutefois d'envisager les codes comme des structures, puis de recouvrir à des structures toujours plus vastes, dans un mouvement de régression vers la matrice originelle de toute communication possible, vers un prétendu Code des Codes qui devrait représenter la détermination "naturelle" précédant toute culture. Mais si la sémiotique s'engageait dans cette voie, elle ne pourrait qu'aboutir à la "source" de toute structure possible, forcément non structurée, à ce qu'Eco appelle la structure absente. Son livre, tout en refusant ce Code des Codes, essaie de montrer que tout acte communicatif est dominé par la présence massive de codes socialement et historiquement déterminés. La sémiotique découvre ainsi dans la dialectique entre code et message les rapports entre l'univers de signes et l'univers des idéologies, qui se reflètent dans les modes communicatifs préconstitués, et elle relie le monde des choses au monde de la culture, qui formalise les choses non pas pour les reconnaître comme elles sont mais afin de les transformer. Après avoir étudié dans L'oeuvre ouverte (1965) les structures des langages expérimentaux de l'art contemporain, sont traités ici l'ensemble des problèmes sémiotiques et ce livre constitue à la fois sa contribution à la recherche en cours avec une tentative de constituer le panorama le plus vaste et le plus complet possible sur les préalables constitutifs à toute sémiotique et sur l'état présent du structuralisme.

Auteur: Eco Umberto

Info: Résumé de "La structure absente". Traduction Uccio Esposito-Torrigiani, Le Mercure de France, 1984

[ holisme ] [ linguistique ] [ interactions ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

automatisation

Au mystère de la vie que nous partageons avec toutes les créatures autour de nous, et aux mystères du langage et de l'écriture, qui nous en distinguent, serions-nous devenus si monstrueusement étrangers, que nous en usions sans plus savoir seulement qu'ils existent ? Notre époque est évidemment tombée très bas dans le simulacre, et notre temps se signale entre tous les temps par sa gesticulation insensée, son vacarme et le poids accablant de sa machinerie. Et pourtant, oui,elle se signale aussi par une angoisse sourde, un sang serré, une sève contrite, comme si toute la nature avec nous gémissait silencieusement dans l'ombre d'une certaine joie perdue. Qu'est-ce à dire ? Sinon que notre pauvre humanité, pour s'être un peu trop matériellement épanouie dans sa curiosité, et pour s'être un peu trop cherchée depuis un siècle où deux, s'est beaucoup trop trouvée, hélas, enjambant dans sa hâte les distances et les différences, gagnant furieusement du temps sur le temps qui passe, envahissant d'autres espaces que son espace, et n'ayant en commun, finalement, qu'une épouvante inavouée et féroce, une sorte de halètement d'agonie où l'on peut voir déjà la vie, dans son indifférence, ne plus se modeler que sur les figures pâles de la mort, et la mort ; plus atrocement, singer tout le vocabulaire et les figures de la vie. Le mauvais rêve se poursuit, dont plus personne n'aura bientôt la force même de vouloir sortir, tant la tristesse et la lassitude, qui sont toujours le fruit des mauvais calculs qu'on ne peut pas reprendre, trahissent la déspiritualisation des corps : des corps qui s'ennuient dans toutes les langues du monde, et qui s'en vont de moins en moins à la recherche de quelque chose, n'importe quoi, qui puisse remplacer leurs âmes si terriblement absentes. Bientôt, c'est aujourd'hui déjà, les hommes ne sauront même plus que leurs âmes leur manquent. Robots : voilà le confort, que d'aucuns déjà, préconisent ; n'être plus qu'une viande forte, c'est l'idéal des grandes nations.

Auteur: Armel Guerne

Info: Le Verbe nu, page 45

[ vie opératoire ] [ modernité ] [ décadence ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

attitude

Je verrai la mort d'un visage aussi calme que si j'en entendais parler. Je me soumettrai à tous les travaux, si grands qu'ils soient, soutenant le corps par l'âme. Je mépriserai également les richesses, qu'elles soient présentes ou absentes, et je ne serai ni plus triste quand elles se trouvent ailleurs que chez moi, ni plus fier si elles m'environnent de leur éclat. Je ne serai pas sensible aux allées et venues de la fortune. Je considérerai toutes les terres comme miennes et les miennes comme appartenant à tous. Je vivrai comme si je savais que je suis né pour les autres et remercierai la nature d'un pareil titre, car comment aurait-elle pu mieux conduire mes affaires ? Elle m'a donné seul à tous, elle a donnée tous à moi seul. Tout ce que j'aurai, ni je le garderai d'une manière sordide, ni je le répandrai d'une manière prodigue. Je croirai ne rien posséder mieux que ce que je donne comme il faut. J'estimerai les bienfaits ni au nombre, ni au poids, mais au prix qu'y attache celui qui les reçoit. Jamais je ne penserai donner trop à qui est digne de recevoir. Je ne ferai rien en vue de l'opinion, je ferai tout par conscience. Je croirai avoir pour témoin tout un peuple alors que j'agirai devant ma seule conscience... La limite que je m'imposerai dans le boire et le manger sera de satisfaire les besoins naturels et non d'emplir et de vider l'estomac. Je serai agréable envers mes amis, indulgent et affable envers mes ennemis. Je serai ébranlé avant même d'être prié, et j'irai au-devant des demandes honnêtes. Je saurai que ma patrie c'est le monde, que mes chefs ce sont les dieux et qu'ils sont au-dessus de moi et autour de moi surveillant mes actes et paroles. Quand la nature me redemandera ma vie ou que ma raison la fera cesser, je m'en irai en attestant que j'ai chéri la bonne conscience et les bonnes études, et que la liberté de personne n'a été diminué de mon fait, la mienne moins que toute autre.

Auteur: Sénèque

Info: Prière du matin, De la vie heureuse : p 742 dans la Bibliothèque de la Pléiade : Les Stoïciens, édité par Gallimard

 

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source

Energie du vide.

Les physiciens pensent désormais qu'il existe une force sous-jacente qui remplit tout l'espace. Ils l'ont appelée "énergie du vide" et elle est plus que simplement omniprésente ; sa puissance est énorme. Les estimations de l'énergie contenue dans chaque petit morceau d'espace apparemment vide varient considérablement. Il est probable que l'espace à l'intérieur d'un pot de mayonnaise contienne suffisamment d'énergie pour faire bouillir instantanément l'océan Pacifique. (En réalité, les scientifiques n'en sont encore qu'aux premiers stades de la compréhension de cette énergie omniprésente. Il existe un écart inquiétant de 100 ordres de grandeur entre les prédictions théoriques de sa puissance et les valeurs mesurées à ce jour. Cet écart est connu sous le nom de "catastrophe du vide").

La solution la plus proche est de refroidir la matière au zéro absolu, à -459,67° Fahrenheit (-273,15° Celsius), où tout mouvement moléculaire s'arrête. Alors et seulement alors, les choses sont à parité avec cette puissance omniprésente. C'est pourquoi on l'appelle aussi l'énergie du point zéro.

L'énergie du point zéro est donc présente lorsque toute autre énergie est absente. Pour que cette énergie de mousse quantique illimitée vous parvienne, il faut créer des conditions inférieures au zéro absolu. Cela signifie faire en sorte que les atomes se déplacent plus lentement qu'"à l'arrêt".

Le cosmos est imprégné d'une énergie qui fait paraître les simples ondes lumineuses et les champs électriques qui nous entourent, en comparaison, comme des simulacres de mauviettes. Cela signifie que cette essence d'Être - cette Nature de toutes choses, ce véritable Soi derrière la conscience et la vie elle-même, ce vide apparent qui semble être la matrice, le chevalet, la toile de fond de toutes nos mésaventures humaines - est une entité incroyablement puissante. Son énergie est inimaginable. Son potentiel illimité. Le fait que nous ne voyions et ne ressentions rien de tout cela ne signifie rien ; nos sens sont architecturalement construits pour percevoir ce qui est utile dans notre vie quotidienne. À quoi servirait-il de percevoir cette source ultra-énergie aveuglante qui imprègne chaque crevasse de la réalité ?

Auteur: Lanza Robert

Info: Beyond biocentrism

[ monde épiphénomène ] [ pré priméité ] [ question ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

enfance

Puis je pensai à ma grand-mère. Elle croyait aux fantômes, souvent ils lui rendaient visite. La maison se trouvait dans un vieux verger au bout du village. Elle racontait ses visions tranquillement comme quelque chose de naturel. Les fantômes venaient tant le jour que la nuit, entraient simplement par la porte et la surprenaient dans ses activités quotidiennes à la ferme ou dans sa cuisine. Ils avaient l’air humain, mais étaient faits dans une substance plus légère, souvent ils ressemblaient à quelqu’un de la famille. Tout le monde croyait à ses histoires. Moi aussi. […]

"Il est passé par là, s’est arrêté ici, a ouvert le tiroir, a fait sonner les cuillères, mais n’a rien dérangé." J’adorais son sens du concret Ces événements avaient toujours leur temps et leur endroit propres. "Il était six heures, je venais de me réveiller, je m’étais assise sur le lit. Mais il est venu de l’alcôve, pas du couloir." Ces témoignages étaient totalement désintéressés, ne voulaient rien prouver ni rien promettre. J’y crois encore. Jamais depuis ce temps-là je ne fus confronté à des signes si simples et si directs. Face à l’extraordinaire, son seul compromis était de ponctuer ses récits de "qu’est-ce que j’ai eu peur" spontanés et rhétoriques. Car on ne voyait aucune peur. Ça sonnait plutôt comme "qu’est-ce que j’ai été surprise", "oh là là". Venant du passé, sa famille et ses amis ne faisaient rien d’autre que de lui rendre visite. Ils s’attardaient un peu à la fenêtre ou à côté du buffet blanc, puis repartaient, laissant derrière eux la porte entrouverte qu’il fallait refermer à cause des courants d’air. […]

Puis un jour, ma grand-mère décéda. Je me réveillai dans la pièce voisine de la sienne, et les tantes qui la veillaient me dirent : "Tu n’as plus ta grand-mère." Je l’aimais et cela me rendit triste. Elle était maintenant allongée, droite, le visage grave et sévère. J’étais près d’elle et regardais. Dans le silence de la matinée, j’entendais mes tantes s’affairer quelque part derrière moi, une matinée ordinaire de plus dans une maison à la campagne, et je sentis que cette mort, que peut-être même la mort, était quelque chose de, comment dire, un peu surfait. Je sentais que ma grand-mère n’était absente qu’un peu, quelle s’était discrètement faufilée hors de cette chambre et de ce monde pour aller dans un endroit pas très loin, quelle avait seulement rejoint ceux qui lui rendaient visite et que, si elle le voulait, elle viendrait comme eux avant. C’est-à-dire que je savais qu’elle était vivante. Seulement, elle n’avait pas pu prendre avec elle la silhouette qui reposait maintenant dans son lit. Elle n’en avait certainement pas besoin.

Auteur: Stasiuk Andrzej

Info: Dukla

[ grand-maman ] [ surnaturel ] [ mémé ] [ mamie ]

 
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aqua simplex

Pour un esprit, venu d'ailleurs, qui tomberait sur cette Terre et qui en ignorerait tout, l'eau serait un objet de stupeur presque autant que le temps. L'eau est une matière si souple, si mobile, si proche de l'évanouissement et de l'inexistence qu'elle ressemble à une idée ou à un sentiment. Elle ressemble aussi au temps, qu'elle a longtemps servi à mesurer, au même titre que l'ombre et le sable. Le cadran solaire, le sablier, la clepsydre jettent un pont entre le temps et la matière impalpable de l'ombre, du sable et de l'eau. Plus solide que l'ombre, plus subtile que le sable, l'eau n'a ni odeur, ni saveur, ni couleur, ni forme. Elle n'a pas de taille. Elle n'a pas de goût. Elle a toujours tendance à s'en aller ailleurs que là où elle est. Elle est de la matière déjà en route vers le néant. Elle n'est pas ce qu'on peut imaginer de plus proche du néant: l'ombre, bien sûr, mais aussi l'air sont plus si l'on ose dire - inexistants que l'eau.
Ce qu'il y a de merveilleux dans l'eau, c'est elle est un peu là, et même beaucoup, mais avec une délicatesse de sentiment assez rare, avec une exquise discrétion. Un peu à la façon de l'intelligence chez les hommes, elle s'adapte à tout et à n'importe quoi. Elle prend la forme que vous voulez : elle est carrée dans un bassin, elle est oblongue dans un canal, elle est ronde dans un puits ou dans une casserole. Elle est bleue, verte ou noire, ou parfois turquoise ou moirée, ou tout à fait transparente et déjà presque absente. Elle est chaude ou froide, à la température du corps, ou bouillante jusqu'à s'évaporer, ou déjà sur le point de geler et de se changer en glace. Tantôt vous l'avalez et l'eau est dans votre corps; et tantôt vous vous plongez en elle et c'est votre corps qui est dans l'eau. Elle dort, elle bouge, elle change, elle court avec les ruisseaux, elle gronde dans les torrents, elle s'étale dans les lacs ou dans les océans et des vagues la font frémir, la tempête la bouleverse, des courants la parcourent, elle rugit et se calme. Elle est à l'image des sentiments et des passions de l'âme.
Ce serait une erreur que de prêter à l'eau, à cause de sa finesse et de sa transparence, une fragilité dont elle est loin. Rien de plus résistant que cette eau si docile et toujours si prête à s'évanouir. Là où les outils les plus puissants ne parviennent pas à atteindre, elle pénètre sans difficulté. Elle use les roches les plus dures. Elle creuse les vallées, elle isole les pierres témoins, elle transforme en îles des châteaux et des régions entières.
Elle est douce, fraîche, légère, lustrale, bénite, quotidienne, de vie, de rose, de fleur d'oranger, de cour, de toilette ou de table, thermale ou minérale, de Cologne ou de Seltz. Elle peut aussi être lourde, saumâtre, meurtrière et cruelle. Sa puissance est redoutable. Ses colères sont célèbres. Elle porte les navires qui n'existent que par elle, et elle leur inflige des naufrages qui font verser des larmes aux veuves de marins.
Lorsqu'elle se présente sous forme de mur, lorsqu'elle s'avance, selon la formule des poètes et des rescapés, à la vitesse d'un cheval au galop, lorsqu'elle s'abat sur les côtes et sur les villes, elle fait surgir du passé les vieilles terreurs ancestrales.
Aussi vieille que la terre, ou plus vieille, plus largement répandue à la surface de la planète, complice des algues, des nénuphars, du plancton et du sel, fière de ses origines, consciente des services qu'elle a rendus à l'homme dont elle a longtemps abrité et nourri les ancêtres, puisque durant trois milliards et demi d'années tout ce qui vit est sous l'eau, elle considère toute matière autre qu'elle-même avec une sorte de dédain. Comme la lumière, elle est nécessaire à la vie. Supprimez l'eau, c'est le désert, la ruine, la fin de tout, la mort. II n'y a pas d'eau sur la Lune. Aussi peut-on assurer que ses paysages sont lunaires.

Auteur: Ormesson Jean d’

Info: Presque rien sur presque tout

[ littérature ]

 

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