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dialogue imaginaire

Café-Restaurant Lafayette (octobre 1926)

Rinette* me voici à Toulouse. Je garde de ces quelques jours à Paris un souvenir pauvre. Des visites, des courses, l’examen. Le déménagement de ma chambre d’hôtel. Le transport compliqué de malles trop lourdes pleines de livres et d’un tas d’objets extraordinaires dont je n’ai pas su me détacher. (...)

Maintenant je viens enfin m’asseoir tranquillement auprès de vous. Ce que vous ne m’avez pas permis là-bas. et vous me reprochiez de ne pas faire la cour à des tas de gens dont je me moquais éperdument et qui me volaient votre présence - je sais mal préciser ma grande rancune. (…) Et je viens m’asseoir près de vous ce que sans doute vous ne me permettez pas non plus. Ce qui vous agace. Mais si vous saviez comme je m’en moque. Car je vous fabrique ce soir à mon gré et si vous saviez comme vous êtes gentille. Au fond ce sont les seules conversations que j’aie avec vous. Celles que j’invente en moi-même. Et vous êtes d’une patience. Et d’une intelligence : vous comprenez tout. Et moi je deviens bavard : ça c’est merveilleux. Quelle revanche je prends avec mon amie inventée. Car c’est peut-être parce que je vous invente que je tiens tellement à vous. Parfois pourtant vous cadrez avec votre image. En tout cas vous l’alimentez. (…)

C’est dommage que vous soyez capable de me faire parfois un peu de peine - et que je me protège si mal. Car votre image est ce soir très légère. Si j’écrivais des vers je dirais de bien jolies choses. Je dirais "votre image - à la ligne - pèse le poids d’une colombe…" Ça c’est ravissant. Et puis c’est aimable. Je ne sais pas si vous comprenez combien c’est ravissant. Cet oiseau envisagé comme quelque chose de pas durable. On fait "Pfff…" et on est libre. Malheureusement parfois c’est un pavé. Devant ma boîte aux lettres je fais bien " Pfff…". Mais le pavé pèse tout de même. Voilà. Tant pis pour vous, cette lettre. D’ailleurs elle n’est pas adressée à vous. J’ai bien le droit de faire la conversation avec moi-même. J’ai un peu déballé mes valises, mais en trichant. Maintenant si vous vous attendez à ce que je vous dise la date de mon départ, le temps qu’il fait et le menu de mon dîner vous n’aurez rien. Je possède à St-Maurice un grand coffre. J’y engloutis depuis l’âge de sept ans mes projets de tragédie en cinq actes, les lettres que je reçois, mes photos. Tout ce que j’aime, pense et tout ce dont je veux me souvenir. Quelquefois j’étale tout pêle-mêle sur le parquet. Et à plat ventre je revois des tas de choses. Il n’y a que ce grand coffre qui ait de l’importance dans ma vie. Le reste, le temps qu’il fait, le menu des dîners, ce que je deviendrais je m’en fous. Je n’ai plus rien à dire à votre image…

Antoine

Auteur: Saint-Exupéry Antoine de

Info: Lettres de jeunesse, Gallimard Folio, 1976, extraits des pp 59 à 63. *Renée de Saussine, amie d'enfance

[ épistole ] [ prosopopée ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

évolution moderne

Il n’est que trop évident qu’il y a actuellement deux religions dans l’Église : d’une part la religion catholique, dont les enjeux sont célestes – le salut éternel –, et d’autre part une religion séculière très proche d’elle sur le plan moral – la religion des droits de l’homme ou religion humanitaire –, dont les préoccupations sont exclusivement terrestres.

Pendant plus de mille ans religion identitaire des Européens, puis étendu par eux à travers le monde, le christianisme s’est aujourd’hui jeté tête baissée dans un délire universaliste qui se marque notamment par l’injonction adressée par le pape aux pays d’Europe d’accueillir sans limite sur leur territoire toute l’immigration illégale en provenance de l’Afrique et de l’Asie, ainsi que par une bienveillance chrétienne envers l’islam qui tranche avec une traditionnelle volonté de résistance aux entreprises conquérantes musulmanes, voire de reconquête sur l’islam des régions où était né le christianisme et dont s’étaient emparés les conquérants arabes. En faisant de l’universalisme sa seule raison d’être, le christianisme tend à apparaître comme un doublon de la religion des droits de l’homme.

Cette actuelle obsession universaliste du christianisme n’est effectivement pas sans évoquer Marcion, prédicateur gnostique du IIe siècle qui avait complètement trahi le christianisme en prétendant l’arracher à ses racines juives. Pour Marcion, le Dieu de la Bible – qu’il appelle le Dieu juste – est une divinité subalterne et grossière qui a créé un monde raté et instauré une justice impitoyable. Au dessus de lui est un Dieu suprême caché – le Dieu bon – qui s’est rendu visible en la personne de Jésus pour libérer les hommes du Dieu de la Bible. Rejetant radicalement le Dieu juste et ne voulant connaître que le Dieu bon, Marcion invitait ses disciples à faire table rase de la Bible et du passé juif pour ne garder que le message d’amour de l’Évangile dans une version au demeurant largement falsifiée. En rejetant le Dieu juste et l’Ancien Testament, Marcion rejetait non seulement la justice, l’ordre social, le mariage, la famille, mais encore l’idée de nation.

Aujourd’hui, en prétendant présenter exclusivement le christianisme comme un universalisme abstrait, l’Église adopte une démarche marcionite qui arrache au christianisme son substrat biblique, lequel légitime les identités particulières. Car le christianisme, du fait qu’il est né d’une religion nationale – le judaïsme – et que ses perspectives sont célestes et non terrestres, a pu aisément, en dépit de son ambition de s’adresser à la généralité humaine, jouer le rôle d’une religion particulière pour les peuples qui se réclamaient de lui. Au lieu de quoi, en ne voulant connaître du christianisme que son appel à la fraternité universelle, on nie la réalité du christianisme comme symbiose entre l’Évangile et la Bible. Prendre dans le Nouveau Testament une idée ou une valeur en la coupant de l’Ancien Testament revient à faire du Marcion. Cette idée ou cette valeur n’est alors plus chrétienne : elle est marcionite, elle est gnostique. Il y a manifestement quelque chose de marcionite dans les prises de position immigrationnistes de l’Église catholique.

Auteur: Harouel Jean-Louis

Info: Interview 2017

[ coupure historique ] [ gnosticisme ] [ théologie ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivaine-sur-écrivain

Cher Borges,

Votre littérature ayant toujours été placée sous le signe de l'éternité, il ne me semble pas trop étrange de vous adresser une lettre. (Cela fait dix ans !) Si un contemporain semblait destiné à l'immortalité littéraire, c'était bien vous. Vous étiez tout à fait le produit de votre époque, de votre culture, et pourtant vous saviez comment les transcender d'une manière qui semble tout à fait magique. Cela avait quelque chose à voir avec l'ouverture et la générosité de votre attention. Vous étiez le moins égocentrique, le plus transparent des écrivains, ainsi que le plus artistique. Cela tenait aussi à une pureté d'esprit naturelle. Bien que vous ayez vécu parmi nous pendant une période assez longue, vous avez perfectionné des pratiques de rigueur et de détachement qui ont fait de vous un voyageur mental expert également d'autres époques. Votre notion du temps était différente de celle des des autres. Les idées ordinaires de passé, de présent et de futur semblaient banales sous votre regard. Vous aimiez dire que chaque moment du temps contient le passé et le futur, citant (si je me souviens bien) le poète Browning, qui a écrit quelque chose comme "le présent est l'instant dans lequel le futur s'effondre dans le passé". Tout ça faisait bien sûr partie de votre modestie : votre goût pour trouver vos idées dans les idées d'autres écrivains.

Votre modestie participait de cette assurance dans votre présence. Vous étiez un découvreur de nouvelles joies. Un pessimisme aussi profond, aussi serein que le vôtre n'avait aucun besoin de s'indigner. Il se devait, au contraire, d'être inventif - et vous l'étiez avant tout. La sérénité et le dépassement de soi que vous avez trouvés sont pour moi exemplaires. Vous avez montré qu'il n'est pas nécessaire d'être malheureux, même si l'on est lucide et qu'on ne se trompe pas sur l'horreur de la situation. Vous avez dit quelque part qu'un écrivain - vous avez ajouté, de façon bizarre : toute personne - doit penser que tout ce qui lui arrive est une ressource. (Vous parliez de votre cécité.)

Vous avez été une grande ressource pour d'autres écrivains. En 1982 - c'est-à-dire quatre ans avant votre mort - j'ai dit dans une interview : "Aucun écrivain vivant aujourd'hui n'a plus d'importance pour les autres écrivains que Borges. Beaucoup de gens diraient qu'il est le plus grand écrivain vivant [...]. Très peu d'écrivains d'aujourd'hui n'ont pas appris de lui ou ne l'ont pas imité". C'est toujours vrai. Nous continuons à apprendre de vous. Nous continuons à vous imiter. Vous avez donné aux gens de nouvelles façons d'imaginer, tout en proclamant sans cesse notre dette à l'égard du passé, et surtout de la littérature. Vous avez dit que nous devons à la littérature presque tout ce que nous sommes et ce que nous avons été. Si les livres disparaissent, l'histoire disparaîtra, et les êtres humains disparaîtront aussi. Je suis sûr que vous avez raison. Les livres ne sont pas seulement la somme arbitraire de nos rêves et de notre mémoire. Ils nous offrent également un modèle de dépassement de soi. Pour certains, la lecture n'est qu'une sorte d'évasion : une évasion du monde quotidien "réel" vers un monde imaginaire, le monde des livres. Les livres sont bien plus que cela. Ils sont une façon d'être pleinement humain.

Je suis navrée d'avoir à vous dire que les livres sont aujourd'hui considérés comme une espèce en voie de disparition. Par livre, j'entends aussi les conditions de lecture qui rendent possible la littérature et ses effets d'âme. Bientôt, nous dit-on, nous convoquerons sur des "écrans-livres" n'importe quel "texte" à la demande, et pourrons en modifier l'apparence, lui poser des questions, "interagir" avec lui. Lorsque les livres deviendront des "textes" avec lesquels on "interagit" selon des critères d'utilité, l'écrit sera devenu un simple aspect de notre réalité télévisuelle publicitaire. Tel est le glorieux avenir que l'on crée et qu'on nous annonce comme plus "démocratique". Bien sûr, cela ne signifie rien de moins que la mort de l'intériorité - et du livre.

Cette fois-ci, il n'y aura pas besoin d'une grande conflagration. Les barbares auront moins besoin de brûler les livres. Le tigre est dans la bibliothèque. Cher Borges, comprenez que je n'éprouve aucune satisfaction à me plaindre. Mais à qui de telles plaintes sur le sort des livres - de la lecture elle-même - pourraient-elles être mieux adressées qu'à vous ? (Borges, cela fait dix ans !) Tout ce que je veux dire, c'est que vous nous manquez. Vous me manquez. Vous continuez à faire la différence. L'ère dans laquelle nous entrons maintenant, ce 21e siècle, mettra l'âme à l'épreuve de manière nouvelle. Mais vous pouvez être sûrs que certains d'entre nous n'abandonneront pas la Grande Bibliothèque. Et vous continuerez à être notre patron, notre protecteur et notre héros.

Auteur: Sontag Susan

Info: Where the Stress Falls, 2001. 13 juin 1996. New York. A l'occasion des 10 ans de la mort de JLB

[ éloge ] [ déclaration d'admiration ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

univers sons

Le son est-il le système nerveux du cosmos ?
Il existe un moyen de rendre les sons visibles. On appelle "cymatique" cette science énigmatique, qui puise ses racines dans l'histoire de l'univers. Quelle est la nature de l'onde sonore? Que sait-on vraiment de son pouvoir sur nous?
Allemagne, 18ème siècle. Ernst Chladni est un mathématicien doué et discret. L'homme est aussi musicien et sa passion pour le violon va le conduire à une découverte extraordinaire. Saupoudrant de sable un disque de cuivre, il en frotta le bord avec son archet. La plaque se mit à vibrer et le sable à se déplacer, dessinant d'authentiques formes géométriques. "Qu'on juge de mon étonnement voyant ce que personne n'avait encore vu", dira plus tard son ami et philosophe Lichtenberg, auteur de travaux sur l'électricité statique.
Dans les années soixante, le physicien Hans Jenny sera le premier à révéler ce phénomène oublié. Grâce à l'évolution de l'électronique, il prolonge les recherches et fait varier les supports. Il invente le tonoscope, petit appareil tubulaire assorti d'une membrane sur laquelle on aura versé de la poudre, qui permet de créer des formes étonnantes avec le son de sa voix. Plus d'un siècle après les premières expériences, Jenny livre des observations d'une grande précision sur la nature du son, et invente une nouvelle science : la cymatique. Du grec 'vague', la cymatique étudie l'interaction du son et de la matière. Les outils de mesure acoustique modernes ont permis d'étudier ces modulations spontanées : dans l'eau par exemple, un son grave produit un cercle entouré d'anneaux ; un son aïgu accroît le nombre d'anneaux concentriques. Soumise au rythme des oscillations, la variété de formes générées semble sans limite. Hans Jenny parlera de "modèle dynamique mais ordonné" Quel pouvoir autonome renferme l'onde sonore ?
Toute activité produit du bruit. Du plus retentissant au plus subtil, il est trace du mouvement. Christian Hugonnet, ingénieur acousticien et fondateur de la Semaine du Son, décrit un enchaînement simple : "l'action entraîne la vibration de l'air qui va déplacer des molécules, se choquant les unes aux autres comme pour se transmettre un message". Avant d'être une manifestation audible, le son se caractérise par un changement moléculaire, sur une surface donnée et en un temps donné. Dans cette équation, nul besoin d'oreille pour considérer qu'il y a dynamique sonore. C'est la fréquence de l'onde qui va diriger toute l'énergie. "Dans l'expérience avec le sable, les grains s'agglutinent là où la fréquence est haute", détaille le spécialiste. La propriété d'un corps à entrer en résonance avec le flux d'énergie va créer la forme. La matière prend la forme de l'énergie qui lui est adressée.
Le son primordial
Spirales, polygones, stries... ces marques sont souvent analogues à celles déjà présentes dans la nature. "J'ai constaté qu'une plaque elliptique soumise à des vibrations sonores reproduit les figures qu'on trouve sur la carapace d'une tortue", constate le photographe Alexander Lauterwasser. Une morphogenèse fondée sur la transmission de codes génétiques nécessaires à la formation des masses et à leur différenciation, et qui révèle un processus harmonieux dans l'ADN terrestre. Dès lors, est-il possible que les formes animales et végétales qui nous entourent – et la matière vivante dans son ensemble – soient elles-mêmes le résultat de vibrations, comme le rapportent de nombreuses traditions ?
Bien avant ces découvertes scientifiques, les cultures traditionnelles du monde entier ont développé leur récit mythologique de la création de l'univers. La voix et le souffle y sont féconds. "Au commencement était le verbe, dit l'Evangile. Les textes celtes sacrés évoquent Trois Cris qui firent éclater l'Oeuf du Monde", rapporte le Docteur Alain Boudet, enseignant et conférencier. "Chez les hindous et les bouddhistes, le principe structurant du chaos d'origine est le mantra Om et les Mayas parlent du chant des Dieux comme du système nerveux de l'univers". Une cosmogonie universelle, portée par des figures archétypales semblables aux formations cymatiques, telles que les mandalas. Ces mystérieuses corrélations entre figures naturelles et symboliques renverraient à une intuition de la forme, perdue avec le temps : "Cette géométrie originelle est en nous. Nous l'avons oubliée à mesure que le mental s'est imposé", raconte Alain Boudet. Dans son ouvrage Cymatics, le pionnier Hans Jenny conclut à la puissance fondamentale et génératrice de la vibration. Sa périodicité soutient la bipolarité de la vie : le mouvement et la forme. La vibration comme source de toute chose : un constat, mais aussi une opportunité de reconsidérer le monde dans lequel nous évoluons.
Echos d'avenir
Pythagore disait : "L'homme possède toutes les valeurs du cosmos". L'auteur du célèbre théorème de géométrie a développé le principe de microcosme, reliant l'organisme humain à l'organisation de l'univers. L'influence du son invite désormais à une nouvelle écoute du vivant. "La biorésonance nous renseigne sur la fréquence optimale de nos organes", explique Andreas Freund, physicien quantique. Au Tibet, les bols chantants sont reconnus pour leurs vertus. Leurs tonalités spécifiques communiquent avec la matière cristalline de notre corps : les os, les tissus et l'eau qui nous compose à 70%. Plus le son est grave, plus l'on travaillera la zone racine du corps. Comme la cymatique, notre résonance cellulaire trace un chemin pour la vibration, réharmonisant notre énergie interne. Un processus identique aux diapasons thérapeutiques employés depuis des siècles en Europe, dont les fréquences en hertz sont réglées pour des actions cibles. Mais pour masser nos entrailles, quel meilleur instrument que la voix ? Le chant harmonique des traditions chamaniques, aussi appelé chant diphonique dans nos conservatoires de musique, est une technique vocale sur deux notes simultanées, par un positionnement de la langue et des lèvres. Curiosité ou évidence biologique, ce son très apaisant ressemble à celui des vents solaires.
La vague de l'action contient à la fois l'intention et son empreinte. "Le son in-forme. Il est porteur d'information", nous dit Andreas Freund. Une attention portée aux messages de la nature, qui permet aujourd'hui de décrypter jusqu'au langage par ultrasons des dauphins ou la sensibilité des plantes. La dimension vibratoire du son sert de modèle dans une recherche de cohérence et d'alignement. Ses explorations scientifiques, artistiques et spirituelles offrent les clés d'une autre conscience de l'homme et de son environnement, vers une nouvelle signature écologique.

Auteur: De La Reberdiere Lucile

Info: https://www.inrees.com/articles/cymatique-son-systeme-nerveux-cosmos/

[ ondes ] [ proportions ] [ archétypes ]

 
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Ajouté à la BD par miguel

écriture

Le maître du roman policier Jussi Adler-Olsen confronte le Danemark à un des épisodes les plus sordides de son histoire moderne dans Dossier 64. Entretien avec un écrivain qui place le polar au service du devoir de mémoire.
Étaient-ils bien connus au Danemark, les sordides événements de la petite île de Sprogø, demande-t-on d’emblée à Jussi Adler-Olsen? "Well, disons qu’ils le sont maintenant", répond-il sans totalement parvenir à voiler la pointe de fierté qui teinte sa voix. Comprendre : les enquêtes du trio formé de Mørck, Assad et Rose, équipe spécialisée dans les cold cases (les cas non résolus), sont à ce point populaires qu’elles ont le pouvoir de transformer n’importe quel chapitre obscur ou oublié de l’histoire en sujet d’actualité. "Je suis heureux que plusieurs journalistes aient donné la parole à ces femmes depuis la parution du roman."
De 1922 à 1961, ce sont des milliers de femmes qui auront été isolées de force sur cette île alors accessible seulement par bateau, "un vrai Alcatraz", dit Adler-Olsen. Filles-mères, adolescentes à la santé mentale fragile, drop-outs en tous genres; ces jeunes marginales seront pour la plupart stérilisées, avec la bénédiction de l’État, afin de stopper la dissémination des "mauvais gènes" dont elles sont porteuses. De l’eugénisme pur déguisé en maintien de la paix sociale. Représentante fictionnelle de ces victimes dans le quatrième tome des enquêtes du département V, Nette verra son passé la happer de plein fouet, comme un boomerang rappliquant depuis une autre vie, malgré les nombreux efforts qu’elle avait déployés depuis la fin de son internement pour reléguer aux oubliettes ce sombre épisode de son existence.
"Quand j’étais jeune, la majorité des Danois ne savaient pas ce qui se passait sur cette île, se rappelle l’écrivain. Mon père, psychiatre, avait travaillé dans une des institutions chargées d’évaluer les femmes envoyées là-bas. J’avais 7 ou 8 ans quand il m’a parlé de cette île que nous voyions au loin quand nous passions en ferry-boat. Mon père discutait de tout très ouvertement, c’était tout un personnage, et il m’avait dit : “Les femmes qui sont enfermées sur cette île n’ont commis aucun crime, elles y sont seulement parce qu’elles ont peut-être couché à gauche, à droite.” Ça le rendait très honteux que certains de ses collègues aient usé de leurs pouvoirs pour mettre à l’écart des gens qu’ils jugeaient indésirables."
On aura compris que, pour Adler-Olsen, le polar peut et doit servir plus que le simple et pur objectif du divertissement. Intrigue haletante et devoir de mémoire ne sont pas mutuellement exclusifs, semble-t-il répéter tout au long de ce Dossier 64, dont on tourne fébrilement les pages comme il se doit, bien qu’en prenant peu à peu la mesure de cette horreur, jusque-là occultée par l’histoire officielle. Lire le souffle court, les fesses sur le bout de son siège, n’équivaut pas forcément à lire idiot.
Déterrer ce chapitre sombre du Danemark permet aussi à l’auteur de fustiger en douce la montée de l’extrême droite, qui tente de légitimer sa haine de l’étranger dans un discours sécuritaire. Parler du passé pour souligner ce que le présent a de dégoûtant, si vous préférez. "Je ne dirais pas que le Parti populaire danois [qui prône des frontières plus étanches à l’immigration] est un parti d’extrême droite, mais il tente tranquillement de changer notre définition de ce qui est acceptable dans le débat public et de ce qui ne l’est pas, note-t-il. Ce ne sont pas des fascistes à proprement parler, ils ne font pas que du mauvais, mais on peut voir les Chemises noires se profiler entre les lignes de leurs idées."
Hommage au père d’Adler-Olsen, Dossier 64 se lit donc aussi comme une mise en garde adressée à ses compatriotes danois. "Certaines de ces femmes vivent toujours et n’ont jamais été compensées par l’État, déplore-t-il. Je ne répéterai jamais assez que ce genre d’abominations ne doit jamais, jamais se reproduire. Mon livre est peut-être une sorte de mince compensation."
L’autre Mørck
"Je pense que le thème commun à toutes les histoires que je raconte, c’est l’abus de pouvoir."
Il n’y a qu’un pas à franchir entre cette analyse et le passé de Jussi Adler-Olsen, qui a vu, des ses yeux vu, la dureté de nombreuses institutions de santé mentale, dans lesquelles il a vécu avec sa famille et son psychiatre de père. "C’était des endroits merveilleux où grandir, entourés de lacs et de forêt", lance-t-il comme pour briser le cliché d’une enfance sinistre peuplée de personnages inquiétants. "Il y avait beaucoup de garçons de mon âge, on jouait au football ensemble, on organisait des carnavals. Mon père me disait au sujet des patients : “Tu dois réaliser qu’ils ont déjà été comme toi et moi, à une certaine époque.” J’ai appris très tôt à voir derrière la façade des gens et à me méfier de l’abus de pouvoir, ce qui me sert aujourd’hui quand j’écris des livres. Mon père était gentil, mais ils étaient nombreux les médecins sans empathie qui traitaient les patients comme de la merde."
Et Jussi Adler-Olsen, jamais à court d’anecdotes, de remonter jusqu’à l’origine du nom de son antihéros, le plus bourru des enquêteurs attachants, Carl Mørck. "J’avais 5 ou 6 ans et cet homme, qui était devenu complètement fou après avoir tué sa femme, est devenu mon meilleur ami. Il était très gentil… si on exclut le fait qu’il avait tué sa femme. Mon père disait, pour dédramatiser la situation : “Ils se battaient sa femme et lui comme chien et chat. Il était le chien et il a gagné.” La médication l’avait rendu raisonnable à nouveau. Je me promenais partout avec lui dans l’institution. Il s’appelait Mørck."
Quant aux critiques qui reprochent à Adler-Olsen d’avoir dépeint à trop gros traits son personnage du docteur Curt Wad, leader d’extrême droite, il réplique : "Hitler, W. Bush, Mussolini, Berlusconi se comportaient tous comme des caricatures, vous savez".
Roman sur le passé qui revient hanter le présent comme un cadavre qui remonterait à la surface d’une mer étale, Dossier 64 rappelle que le spectre de l’horreur guette toujours, même quand le soleil brille. "En temps normal, le Danemark, comme le Canada j’imagine, est un des plus merveilleux endroits où vivre. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut prendre soin de notre climat social. Tout ça est très fragile."

Auteur: Tardif Dominic

Info: Jussi Adler-Olsen : Le polar et la mémoire, https://revue.leslibraires.ca, 07/04/2014

[ jeunesse ]

 

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mondialisation

Les erreurs de l'État impérial mondial et les erreurs des autres
On m'a fait remarquer que les bizarreries de la réconciliation sans vérité que j'ai rencontrées aux Philippines eu égard à l'importance persistante de la famille Marcos, malgré le discrédit généralisé de la période où elle était aux commandes (1965-1986), n'est pas aussi étrange qu'il y paraît.
Après tout, Jeb Bush a récemment annoncé son intention de briguer la présidence des États-Unis en 2016, et George W. Bush, malgré sa présidence déplorable, est considéré comme un atout politique. Il s'active à faire campagne et à récolter des fonds en faveur de son jeune frère. Aux Philippines, contrairement aux États-Unis, il y a eu une rupture politique provoquée par le mouvement Pouvoir du peuple, qui a écarté le clan Marcos du pouvoir et a porté directement à la présidence Corey Aquino, la veuve de Benigno Aquino Jr., l'opposant à Marcos assassiné. Même aujourd'hui, ce triomphe populiste est célébré comme un jour de fierté nationale pour le pays, et Benigno Noynoy Aquino III siège au palais de Malacañang comme le président élu du pays. Pourtant, les réalités politiques aux Philippines, comme aux États-Unis, sont plus connues pour leur continuité avec un passé discrédité que pour les changements qui rejettent et surmontent ce passé.
Barack Obama agissait dans un contexte politique certes différent aux États-Unis lorsqu'il a mis de côté les allégations bien fondées de criminalité adressées à l'équipe au pouvoir pendant la présidence de Bush, affirmant prudemment que le pays devait regarder vers l'avant et non derrière lorsqu'il s'agit de la responsabilité pénale de ses anciens dirigeants politiques. Bien sûr, c'est l'opposé de ce qui a été fait avec les dirigeants allemands et japonais survivants après la Deuxième Guerre mondiale avec les procès largement acclamés de Nuremberg et de Tokyo [ainsi qu'avec Saddam Hussein et Muammar Khadafi, NdT] ; et cela ne peut pas devenir la norme aux États-Unis par rapport aux crimes des gens ordinaires, ni même à l'égard des crimes louables des lanceurs d'alerte du genre de ceux attribués à Chelsea Manning, Julian Assange et Edward Snowden. Une telle impunité sélective semble être le prix que les démocraties impériales paient pour éviter la guerre civile dans le pays, et préférable à une unité obtenue par des formes autoritaires de gouvernement.
Pour cette seule raison, l'approche moralement régressive d'Obama de la responsabilité est politiquement compréhensible et prudente. L'Amérique est polarisée, et la partie la plus frustrée et la plus en colère des citoyens embrasse la culture de l'arme à feu et reste probablement ardemment en faveur de la sorte de militarisme et de ferveur patriotique qui avait été si fortement mise en avant pendant la présidence Bush.
Des pensées dans ce sens m'ont conduit à une série de réflexions plus larges. Les erreurs que font les Philippines, certes épouvantables en termes de droits humains, sont au moins principalement confinées dans les limites territoriales du pays et font des victimes parmi leurs propres citoyens. A titre de comparaison, les erreurs de politique étrangère commises par les États-Unis font des victimes principalement chez les autres, bien qu'ils en fassent souvent payer le prix, en même temps, aux Américains les plus marginaux et les plus vulnérables. Comme société, beaucoup regrettent les effets de la guerre au Vietnam ou de la guerre d'Irak sur la sérénité et l'estime de soi de la société américaine, mais en tant qu'Américains, nous ne faisons que rarement, sinon jamais, une pause pour déplorer les immenses pertes infligées à l'expérience sociétale qu'ont vécue ceux qui vivent sur ces lointains champs de bataille de l'ambition géopolitique. Ces sociétés victimes sont les récepteurs passifs de cette expérience destructrice, et possèdent rarement la capacité ou même la volonté politique de riposter. Telle est l'asymétrie des relations impériales.
On estime qu'entre 1,6 et 3,8 millions de Vietnamiens sont morts pendant la guerre du Vietnam en comparaison des 58 000 Américains. Des proportions similaires sont présentes dans les guerres d'Afghanistan et d'Irak, même sans considérer les perturbations et les destructions endurées. En Irak, depuis 2003, on estime qu'entre 600 000 et 1 millions d'Irakiens ont été tués et que plus de 2 millions ont été déplacés dans le pays, et que 500 000 Irakiens sont encore réfugiés en raison de la guerre, tandis que les États-Unis ont perdu quelque chose comme 4 500 membres de leur personnel combattant. Les statistiques du champ de bataille ne doivent pas nous aveugler sur le caractère absolu de chaque décès du point de vue de leurs proches, mais elles révèlent une dimension centrale de la distribution des coûts humains relatifs de la guerre entre un gouvernement qui intervient et la société cible. Ce calcul de la mort au combat commence à raconter l'histoire de la dévastation d'une société étrangère : les dangers résiduels qui peuvent se matérialiser dans la mort et des blessures mutilantes longtemps après que les armes se sont tues, à cause des munitions létales non explosées qui tapissent le pays pour des générations, la contamination du sol par l'agent Orange et les ogives contenant de l'uranium appauvri, sans oublier les traumatismes et les nombreux rappels quotidiens de souvenirs de guerre sous la forme des paysages dévastés et des sites culturels détruits laissés en héritage.
Selon presque tous les points de vue éthiques, il semblerait qu'une certaine conception de la responsabilité internationale devrait restreindre l'usage de la force dans des situations autres que celles autorisées par le droit international. Mais ce n'est pas la manière dont le monde fonctionne. Les erreurs et les actes répréhensibles qui se produisent dans une guerre étrangère lointaine sont rarement reconnus, ils ne sont jamais punis et jamais aucune compensation n'est offerte. Paradoxalement, seuls les dirigeants de ces territoires sont tenus de rendre des comptes (par exemple Saddam Hussein, Slobodan Milosevic et Mouammar Kadhafi). Le gouvernement des États-Unis, et plus précisément le Pentagone, a pour principe de dire au monde qu'il ne recueille aucune donnée sur les victimes civiles associées à ses opérations militaires internationales. En partie, il y a une attitude de déni, qui minimise les épreuves infligées aux pays étrangers et, pour une autre partie, il y a le baume d'une insistance officielle sous-jacente que les États-Unis font tous les efforts possibles pour éviter les victimes civiles. Dans le contexte des attaques de drones, Washington soutient avec insistance qu'il y a peu de victimes civiles, mesurées par le nombre de décès, mais n'admet jamais qu'il y a un nombre bien plus important de civils qui vivent ensuite dans la terreur intense et permanente d'être visés ou involontairement frappés à mort par un missile errant [pas errant pour tout le monde, malheureusement, NdT].
Compte tenu des structures étatiques et impériales de l'ordre mondial, il n'est pas surprenant que si peu d'attention soit portée à ces questions. Les erreurs d'un État impérial mondial ont des répercussions matérielles bien au-delà de leurs frontières, tandis que les erreurs d'un État normal résonnent à l'intérieur du pays comme dans une chambre d'écho. Les torts de ceux qui agissent pour l'État impérial mondial sont protégés des regards par l'impunité de fait liée à leur force, tandis que les torts de ceux qui agissent pour un État normal sont de de plus en plus sujets à des procédures judiciaires internationales. Lorsque c'est arrivé après la Deuxième Guerre mondiale, cela s'est appelé justice des vainqueurs ; lorsque cela arrive aujourd'hui, en particulier avec la jurisprudence borgne de la légalité libérale, c'est expliqué en référence à la prudence et au réalisme, à la nécessité d'être pragmatique, de faire ce qu'il est possible, d'accepter les limites, d'accorder un procès équitable à ceux qui sont accusés, de dissuader certaines tendances aux dérives dangereuses.
Cela ne changera pas jusqu'à ce que l'une de ces deux choses se produise : soit la mise en place d'une instance mondiale pour interpréter et appliquer le droit pénal [ce tribunal existe, le TPI, mais les US ont obtenu une dérogation pour eux-mêmes (sic!), NdT], soit une modification considérable de la conscience politique des États impériaux mondiaux par l'internalisation d'un ethos de responsabilité envers les sociétés étrangères et leurs habitants. Cette description des progrès nécessaires du droit et de la justice devrait nous faire prendre conscience à quel point de telles attentes restent utopiques.
Actuellement, il n'y a qu'un seul et unique État impérial mondial, les États-Unis d'Amérique. Certains suggèrent que les prouesses économiques de la Chine créent un centre rival de pouvoir et d'influence, qui pourrait être reconnu comme un second État impérial mondial. Cela semble erroné. La Chine peut être plus résiliente et elle est certainement moins militariste dans sa conception de la sécurité et de la poursuite de ses intérêts, mais elle n'est pas mondiale, ni ne mène de guerres lointaines. De plus, la langue, la monnaie et la culture chinoises ne jouissent pas de la portée mondiale de l'anglais, du dollar américain et du capitalisme franchisé. Indubitablement, la Chine est actuellement l'État le plus important dans le monde, mais sa réalité est en accord avec les idées du Traité de Wesphalie relatives à la souveraineté territoriale, tandis que les États-Unis opèrent mondialement dans toutes les régions pour consolider leur statut d'unique État impérial mondial. En effet, le premier État de ce type dans l'histoire du monde.

Auteur: Falk Richard

Info: 30 mars 2015, Source zcomm.org

[ USA ] [ géopolitique ]

 

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homme-machine

Un philosophe sur la mort de la romance, les robots ChatGPT vulgaires et le sexe virtuel

Je m'inquiète des développements du web et de l'intelligence artificielle. Quelques exemples au sujet desquels il faut se poser des questions..

L'explosion des nouveaux médias (Facebook, Google, Instagram, TikTok, etc.) dans l'Occident "démocratique" a radicalement modifié le rapport entre espace public et espace privé : un nouveau tiers espace a émergé qui efface le clivage entre public et privé.

Ce nouvel espace est public, accessible dans le monde entier, mais il fonctionne en même temps pour les échanges de messages privés. C'est tout sauf incontrôlé : il existe des algorithmes qui non seulement le censurent et empêchent certains messages de s'y infiltrer, mais manipulent également la façon dont les messages attirent notre attention.

Les plateformes technologiques font face à de nouveaux défis

Il s'agit ici de dépasser l'alternative "Chine ou Elon Musk" : ou le contrôle opaque de l'État, ou la "liberté" de faire ce qu'on veut, tout ceci pareillement manipulé par des algorithmes opaques. Ce que la Chine et Musk ont ​​en commun, c'est un contrôle algorithmique opaque.

Une équipe d'entrepreneurs israéliens dont le nom de code est "Team Jorge" "affirme avoir truqué plus de 30 élections dans le monde par le piratage, le sabotage et la désinformation automatisée sur les réseaux sociaux. La "Team Jorge" est dirigée par Tal Hanan, 50 ans, ancien commandant des opérations spéciales israéliennes. Les méthodes et techniques décrites par "Team Jorge" posent de nouveaux défis aux grandes plateformes technologiques qui luttent depuis des années pour empêcher les acteurs néfastes de répandre des mensonges ou de violer la sécurité de leurs plateformes. L'existence d'un marché privé mondial pour la désinformation ciblée sur les élections sonnera également l'alarme dans les démocraties du monde entier.

Tout cela est plus ou moins de notoriété publique maintenant, du moins depuis le scandale de Cambridge Analytica (dont l'implication dans les élections américaines de 2016 a joué un rôle déterminant dans la victoire de Trump). Pour aggraver les choses, la gamme de nouveaux algorithmes devrait également inclure l'explosion de programmes qui rendent l'échange de visages et d'autres techniques de deepfake facilement accessibles.

Bien sûr, les plus populaires sont les algorithmes qui permutent les visages des célébrités sur les corps des actrices porno dans les films pour adultes : Les outils nécessaires pour créer ces vidéos porno "maison" mettant en vedette les actrices et pop stars préférées d'Hollywood sont facilement disponibles et simples à utiliser. Cela signifie que même ceux qui n'ont aucune compétence en informatique et peu de connaissances techniques peuvent créer ces films.

Les films porno Deepfake sont faciles à créer. La s(t)imulation sexuelle parfaite.

Les visages des actrices hardcore peuvent être échangés non seulement par des stars de la pop, mais aussi par leurs proches - le processus est impressionnant de par sa simplicité : "Vous pouvez transformer n'importe qui en star du porno en utilisant la technologie deepfake pour remplacer le visage de la personne échangé contre une vidéo adulte. Il suffit de l'image et d'appuyer sur un bouton". Malheureusement, la plupart du temps, les deepfakes sont utilisés pour créer de la pornographie mettant en scène des femmes, pour qui cela a un effet dévastateur. "Entre 90 et 95 % de toutes les vidéos deepfake en ligne sont de la pornographie non consensuelle, et environ 90 % d'entre elles sont des femmes."

Et si vous voulez que les voix correspondent également aux visages échangés, utilisez la voix Voice AI pour créer "des recréations hyperréalistes qui ressemblent à la vraie personne". Bien sûr, le raccourci incestueux ultime ici serait d'échanger mon propre visage et celui de ma femme ou de mon partenaire dans une vidéo pour adultes et d'ajouter nos clones de voix aux enregistrements afin que nous puissions simplement nous asseoir confortablement, boire un verre et regarder notre sexe passionné.

Le chatbot génère des textes incroyablement clairs et nuancés

Mais pourquoi devrions-nous nous limiter au sexe ? Que diriez-vous d'embarrasser nos ennemis avec des vidéos d'échange de visage d'eux faisant quelque chose de grossier ou de criminel ? Et pour ne rien arranger, on peut ajouter à tout ceci des chatbots (programmes informatiques capables d'avoir une conversation avec un utilisateur en langage naturel, de comprendre ses intentions et de répondre en fonction de règles et de données prédéterminées). Récemment, leurs performances ont explosé.

Quand Antony Aumann, professeur de philosophie à la Northern Michigan University, a évalué des essais pour son cours sur les religions du monde le mois dernier, il a lu un essai qui, selon lui, était de loin "le meilleur de la classe". Il a examiné la moralité de l'interdiction de la burqa avec des paragraphes clairs, des exemples appropriés et des arguments solides. Aumann a demandé à son élève s'il avait écrit lui-même l'essai; l'étudiant a admis utiliser ChatGPT, un chatbot qui fournit des informations, explique des concepts et génère des idées dans des phrases simples - de fait dans ce cas a écrit l'essai.

Toutes choses qui font partie de l'arrivée en temps réel d' une nouvelle vague de technologie connue sous le nom d'intelligence artificielle générative. ChatGPT, sorti en novembre 2022 par la société OpenAI, est à la pointe de ce développement. Générant un texte incroyablement clair et nuancé en réponse à de courtes invites, ce chatbot est utilisé par les gens pour écrire des lettres d'amour, de la poésie, de la fanfiction - et des travaux scolaires.

L'intelligence artificielle peut se montrer effrayante

Pas étonnant que les universités et les lycées réagissent dans la panique et n'autorisent dans certains cas que les examens oraux. Entre autres questions, il en est une qui mérite attention : comment un chatbot doit-il réagir lorsque l'interlocuteur humain tient des propos sexistes et racistes agressifs, présente ses fantasmes sexuels dérangeants et utilise régulièrement un langage grossier ?

Microsoft a reconnu que certaines sessions de chat prolongées utilisant son nouvel outil de chat Bing peuvent fournir des réponses qui ne "correspondent pas à notre tonalité de message prévu". Microsoft a également déclaré que dans certains cas, la fonctionnalité de chat tente de "répondre ou de refléter le ton sur lequel il lui est demandé de répondre".

Bref, le problème se pose lorsque le diaogue humain avec un chatbot utilise un langage grossier ou tient des propos racistes et sexistes flagrants, et que le chatbot programmé pour être au même niveau que les questions qui lui sont adressées répond, sur le même ton. La réponse évidente est une forme de réglementation qui fixe des limites claires, c'est-à-dire la censure. Mais qui déterminera jusqu'où cette censure doit aller ? Faut-il également interdire les positions politiques que certains trouvent "offensantes" ? Est-ce que la solidarité avec les Palestiniens en Cisjordanie ou les affirmations selon lesquelles Israël est un État d'apartheid (comme Jimmy Carter l'a dit dans le titre de son livre) seront bloquées comme "antisémites" ?

La romance est presque morte    

En raison de ce clivage minimal, constitutif d'un sujet, le sujet est pour Lacan divisé ou "verrouillé". Dans la scène imaginée, je présente (ou plutôt mon double en tant que personne) à un professeur, via le zoom, un travail de séminaire rédigé par un chatbot, mais le professeur aussi n'est présent qu'en tant que personne, sa voix est générée artificiellement, et mon séminaire est noté par un algorithme. Il y a une dizaine d'années, The Guardian me demanda si le romantisme était mort aujourd'hui - voici ma réponse.

"Le romantisme n'est peut-être pas encore tout à fait mort, mais sa mort imminente se manifeste par des gadgets-objets qui promettent de fournir un plaisir excessif, mais qui ne font en fait que reproduire le manque lui-même. La dernière mode est le Stamina Training Unit, l'équivalent du vibromasseur : un appareil de masturbation qui ressemble à une lampe à piles ( afin que nous ne soyons pas gênés de le transporter avec nous). On insère son pénis en érection dans l'ouverture située à l'extrémité, on appuie sur le bouton et l'appareil vibre jusqu'à la satisfaction... Comment faire face à ce beau nouveau monde qui sape les fondements de notre vie intime ? La solution ultime serait bien sûr de mettre un vibromasseur dans cet appareil pour l'entraînement à l'endurance, de les allumer tous les deux et de laisser tout le plaisir à ce couple idéal, tandis que nous, les deux vrais partenaires humains, serions assis à une table à proximité, en train de boire du thé et de savourer tranquillement le fait d'avoir accompli notre devoir de jouissance sans trop d'efforts".

Ce qui reste de nous n'est qu'un cogito vide

Nous pouvons maintenant imaginer la même externalisation d'autres activités telles que les séminaires universitaires et les examens. Dans une scène idéale, tout le processus de rédaction de mon séminaire et des examens par le professeur se fait par interaction numérique, de sorte qu'à la fin, sans rien faire, nous ne faisons que valider les résultats.

Pendant ce temps, je fais l'amour avec ma maîtresse ... mais encore une fois un sexe délocalisé grâce à son vibromasseur qui pénètre dans mon appareil d'entraînement à l'endurance, alors que nous sommes tous les deux simplement assis à une table à proximité et, afin de nous amuser encore plus, nous voyons sur un écran de télévision un simulacre nous montrant tous les deux en train de faire l'amour ... et bien sûr, tout cela est contrôlé et réglé par l'équipe Jorge.

Ce qui reste de nous deux n'est qu'un cogito (du latin "je pense") vide, dominé par plusieurs versions de ce que Descartes appelait le "génie malin". Et c'est peut-être là notre dilemme actuel : nous sommes incapables de franchir l'étape suivante décrite par Descartes et de nous fier à une forme véridique et stable d'un grand Autre divin, nous sommes les "enfants d'un dieu moindre" (pour reprendre le titre d'une pièce de théâtre et d'un film), pris à jamais dans la multiplicité contradictoire d'esprits mauvais et trompeurs.

Auteur: Zizek Slavoj

Info: Résumé par le Berliner Zeitung ici : https://www.berliner-zeitung.de/kultur-vergnuegen/slavoj-zizek-ueber-den-tod-der-romantik-vulgaere-chatgpt-bots-und-unechten-sex-li.321649

[ dénaturation ]

 

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épistémologie

Le premier chapitre de l’ouvrage montre que la période grecque est déterminante pour les développements ultérieurs de la connaissance, elle a posé certains principes fondamentaux qui seront discutés jusqu’à nos jours. En synthétisant les apports de penseurs grecs d’Héraclite et Parménide, de Socrate à Platon, Aristote et Épicure, Martine Bocquet pointe qu’à cette époque le signe (séméïon) est secondaire, il est considéré comme un signe de la nature que l’on peut interpréter (symptôme de maladies, foudre, etc.). Il s’oppose au mot qui, lui, repose sur une relation conventionnelle. Martine Bocquet montre qu’Aristote est important pour la sémiotique, de Deely en particulier. Réaffirmant l’importance du rapport sensible au monde, face à Platon, il a placé le séméïon au fondement de la connaissance et orienté ses recherches vers la relation comme catégorie discursive (pp. 33-45), notion qui sera au cœur des discussions des scoliastes.

Le chapitre deux montre l’évolution importante des notions de signe et de relation à la période latine médiévale et scolastique. Suivant l’étude de Deely, Martine Bocquet souligne le rôle d’Augustin d’Hippone. En traduisant le séméïon grec en signum, il a proposé la première formulation générale du signe qui subsume l’opposition entre nature et culture entre lesquelles il fonctionne comme une interface (p. 65, 68). Bien qu’elle demeure imparfaite, l’approche d’Augustin pose d’une part les fondements d’une théorie relationnelle de la connaissance ; d’autre part, en maintenant une distinction entre signe naturel (signum naturale, séméïon) et signe conventionnel (signum datum), elle ouvre sur une conception de la communication, tout à fait intéressante, engageant tous les êtres vivants (animaux, plantes) (p. 67, 69). D’une autre façon, la problématisation de la relation apparaît tout aussi importante à cette période. En distinguant, chez Aristote, la relatio secundum dici (relation transcendantale) — relation exprimée par le discours — et la relatio secundum esse (relation ontologique) — relation en tant qu’entité particulière (p. 70) — Boèce permet de concevoir l’existence de relations ontologiques, indépendantes de la pensée (p. 73) — fondamentales chez Poinsot, Peirce et Deely. Cette distinction aura son incidence puisqu’elle posera les termes de la querelle des universaux, tournant épistémologique majeur de l’histoire des connaissances.

Initiée par Pierre Abélard, la "querelle des universaux" est abordée par Martine Bocquet au chapitre trois et apparaît comme le point pivot de l’ouvrage (pp. 107-112) dans la mesure où elle aura une incidence sur le rapport au monde et à la connaissance. La dispute, qui porte sur la nature de l’objectivité et du statut de réalité des entités dépendantes ou non de la pensée, par le biais de la catégorie aristotélicienne de relation, et, par extension, de celle de signe, oppose les réalistes aux nominalistes.

Les penseurs dits "réalistes", parmi lesquels Thomas d’Aquin, Roger Bacon, Duns Scot, considèrent que le signe est constitué d’une relation indépendante de la pensée, dite ontologique, à la nature. Le traitement de Martine Bocquet montre clairement que Deely se retrouve dans la pensée de ces auteurs, dont il a avant tout souligné la contribution à la sémiotique de Peirce : (i) le signe subsume l’activité cognitive (pp. 80-81) (ii) la relation de signe est dans tous les cas triadique (p. 82), (iii) les signes se constituent de manière dynamique, ce qui leur permet d’agir (sémiosis) et de jouer un rôle dans l’expérience et la connaissance (pp. 83-86).

Martine Bocquet met particulièrement en évidence la pensée de Jean Poinsot (Jean de St-Thomas), en soulignant son influence sur Deely. L’originalité de ce dernier est d’avoir considéré Poinsot comme le précurseur d’une sémiotique voisine de celle de Peirce, plus ontologique encore. Pour le résumer en quelques points, Poinsot défend avant tout que la nature et la réalité du signe sont ontologiques (secundum esse), c’est-à-dire que le signe est une relation dont le véhicule est indifférent à ce qu’il communique (p. 102). Ce point est essentiel car il permet de doter le signe d’une nature proprement relationnelle : (i) il pointe vers autre chose (une autre réalité physique ou psychique), (ii) il permet d’articuler la subjectivité et l’intersubjectivité et (iii) opère la médiation entre les choses (indépendantes de la pensée) et les objets (dépendants de la pensée) (pp. 105-106) ; ce que la représentation, où l’objet pointe vers lui-même, n’autorise pas. Le point de vue de Poinsot est déterminant, car les nombreux retours vers sa pensée réalisés tout au long de l’ouvrage, montrent que c’est au prisme de ces principes que Deely réévaluait les pensées modernes.

De l’autre côté, les "nominalistes" comme Guillaume d’Ockham considèrent que la réalité est extra mentale, que seules les causes externes sont réelles, et qu’en conséquence, les relations intersubjectives n’existent que dans la pensée. Malgré l’intervention des successeurs d’Ockham qui, contrairement à celui-ci, admettront le signe, divisé en deux entités — signes instrumentaux (physiques, accessibles aux sens) et signes formels (concepts) — à partir de 1400 environ, les concepts (signes formels) seront considérés comme des représentations (p. 91). Martine Bocquet montre bien que le principe nominaliste, souvent simplifié, sera largement adopté par les sciences empiriques qu’il permettra de développer, mais cela, et c’est l’enjeu de la démarche de Deely, au détriment du rapport entre le monde et les sens.

Dans le quatrième chapitre consacré à la modernité, Martine Bocquet montre comment Deely a pointé les problèmes et les limites posés par l’héritage du nominalisme, en mettant notamment en perspective les travaux des empiristes (John Locke, David Hume), puis ceux de Kant, avec les propositions de Poinsot. Elle montre d’emblée que le rationalisme de Descartes, où la raison est indépendante et supérieure à la perception, conduira à renégocier la place de la perception dans la connaissance. En concevant les qualités des sens comme des images mentales, les modernes renversent l’ordre de la perception sensorielle reconnu par les scoliastes, les qualités sensorielles (couleurs, odeurs, sons) autrefois premières sont reléguées au second plan (p. 117). Les empiristes (John Locke, George Berkeley, David Hume) contribueront à considérer l’ensemble des sensations comme des images mentales, ils ne seront alors plus capables de s’extraire de la subjectivité (p. 121-124). À ce titre, Martine Bocquet porte à notre attention que Deely avait bien montré que l’empirisme et le rationalisme éludaient la description du phénomène de cognition.

L’approche de Kant apparaît dans l’ouvrage comme point culminant, ou synthèse, de la pensée moderne. En suivant les pas de Deely, Martine Bocquet prend le soin de mettre son travail en perspective avec la pensée de Poinsot, ce qui permet de réaffirmer sa pertinence dans le projet sémiotique de Deely. Kant a eu le mérite d’envisager des relations objectives. Toutefois, en limitant la cognition aux représentations, il la sépare de la signification, c’est-à-dire du supplément de sens contenu dans l’objectivité (au sens de Poinsot), et se coupe de l’expérience de l’environnement sensible qui permet à l’homme de connaître et de constituer le monde (pp. 130-131). Martine Bocquet insiste sur le fait que, selon Deely, la pensée kantienne est lourde de conséquences puisqu’en inversant les concepts d’objectivité et de subjectivité, elle enferme l’individu dans sa propre pensée (p. 134), reléguant la communication au rang d’illusion.

Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux chercheurs post-modernes, qui ont marqué la fin du modernisme et opéré un retour vers le signe. On y trouve notamment les apports d’Hegel et de Darwin, entre autres, qui ont permis d’affirmer le rôle concret de la relation ontologique dans la cognition, et la prise des facultés cognitives avec l’environnement physique. Martine Bocquet consacre une grande partie du chapitre à la sémiotique en tant que discipline, ce qui lui permet de réaffirmer l’ancrage de Deely dans l’héritage peircien qui est ici clairement distingué des modèles de Saussure et Eco.

Martine Bocquet rappelle d’abord que la pensée de Peirce s’inspire des réalistes (d’Aquin, Duns Scot) et considère donc que les produits de la pensée sont bien réels, et non de simples constructions des sens. La sémiotique qu’il développe appréhende la signification comme un parcours de pensée dynamique entre expérience et cognition. Dans son modèle ternaire, présenté en détail, la relation de tiercité caractérise le fonctionnement de la cognition humaine depuis la perception d’indices jusqu’à la constitution d’un système de signification ; elle est propre à l’homme qui peut se référer à la réalité mais aussi évoquer des choses imaginées (p. 146). L’intérêt de ce modèle est de permettre d’envisager que les non-humains utilisent aussi des signes, possibilité envisagée par Peirce dans sa « grande vision », doctrine qui selon Bocquet fascine Deely. Ce projet consistait à étendre la sémiotique au vivant, considérant que l’action des signes est enracinée dans toutes les choses du monde. Il ouvre sur un vaste champ de recherche abordé en conclusion, sur lequel nous reviendrons.

Contrairement à la sémiotique peircienne, Bocquet montre que John Deely considère que la sémiologie de Saussure, reposant sur le signe linguistique, est limitée car elle ne s’occupe que des signes conventionnels, culturels. De ce fait, elle se montre non seulement incapable d’approcher le signe naturel mais elle court aussi le risque de faire de la réalité une construction de l’esprit (idéalisme). En dépit d’un substrat peircien partagé, la même critique sera adressée à la théorie des codes d’Eco puis, plus loin dans la conclusion de Martine Bocquet (pp. 171-172), au structuralisme (Greimas, Lévi-Strauss). En somme, ces sémiotiques sont très efficaces pour étudier les systèmes de signes spécifiquement humains, mais, enfermées dans le langage et la culture, elles sont incapables de traiter les signes naturels, toute tentative révèle leur idéalisme. À cet endroit, l’auteure met bien en évidence l’opposition irréductible entre, d’un côté, ces théories qui ne rendent compte ni du signe naturel ni de la reconnaissance des phénomènes de la nature, et de l’autre, la posture de Deely qui défend l’idée que les données des sens ne sont jamais déconnectées et que la perception comprend une structure d’objectivité car les relations sont réelles (p. 165). Finalement, au travers de l’ouvrage, Bocquet montre que Deely prônait un retour à l’universalité du signe.

La conclusion du livre indique que Deely plaçait le signe et la sémiotique au cœur d’une pensée postmoderne capable de rétablir le dialogue entre les sciences dures et les sciences de la communication. Ce dialogue répondrait à la nécessité de comprendre l’action des signes autant dans la nature que dans la culture. Pour concrétiser cela, Deely propose un retour au réalisme oublié des scoliastes latins pour réviser les théories des modernes afin de renouer le lien avec la nature, en tenant compte des entités dépendantes et indépendantes de la pensée (p. 168).

Cette posture s’inscrirait, selon Martine Bocquet, dans un projet sémioéthique au sein duquel l’homme prendrait conscience de ses responsabilités vis-à-vis de la nature. Finalement, la solution à adopter correspond à la "grande vision" de Peirce, introduite en amont, c’est-à-dire une doctrine des signes qui, d’une part, intègre l’ensemble de la connaissance humaine du sensoriel aux interactions sociales et à la culture et, d’autre part, étend la sémiotique à l’ensemble du monde vivant, considéré comme un réseau de significations entre humains et non-humains, et noué sur une relation ontologique présente dans toute chose (pp. 169-170). Mis en application dans les années 1960, ce projet a donné lieu à un ensemble de sémiotiques spécifiques étudiant aussi bien le vivant, comme la physiosémiotique, la phytosémiotique, la zoosémiotique, la biosémiotique, que l’homme avec l’anthroposémiotique. Nous soulignons que certaines de ces disciplines sont aujourd’hui émergentes pour répondre aux questions environnementales actuelles en termes de climat, de cohabitation entre espèces et d’habitabilité du monde.

La restitution des travaux de Deely par Martine Bocquet semble tout à fait pertinente pour les sciences de la communication. Tout d’abord, parce que la démarche historique de Deely invitant à réévaluer nos acquis au prisme de modèles plus anciens, parfois moins connus, est tout à fait d’actualité et nécessaire dans notre réseau de recherche pluridisciplinaire. Ensuite, du fait de la structure détaillée du livre de Martine Bocquet qui permettra autant aux étudiants qu’aux chercheurs de trouver une formulation des concepts et des problèmes qui sous-tendent encore le domaine de la communication.

D’autre part, le grand intérêt de l’ouvrage réside dans le parti pris épistémologique de la sémiotique de Deely. En adoptant la relation ontologique de Poinsot, présente en creux chez Peirce, Deely ouvre des perspectives importantes pour le champ des sciences de la communication puisqu’il attire notre attention sur un concept universel de signe capable de réaffirmer la place du sensible dans la communication et de problématiser les interactions entre humains et non-humains. À ce titre, la pensée de Deely rapportée par Martine Bocquet est tout à fait en phase avec la recherche de ces quinze dernières années où différentes disciplines ont cherché à étudier la signification au-delà des particularités entre humains mais aussi entre êtres vivants, soit en adoptant un point de vue ontologique soit en intégrant les sciences physiques ou cognitives. Citons par exemple la biosémiotique, la zoosémiotique mais aussi l’anthropologie de la nature de Philippe Descola, "l’anthropologie au-delà de l’humain" d’Eduardo Kohn, la sémiophysique de René Thom et Jean Petitot ou encore la sémiotique cognitive.

Auteur: Chatenet Ludovic

Info: résumé critique de : Martine Bocquet, Sur les traces du signe avec John Deely : une histoire de la sémiotique Limoges, Éditions Lambert Lucas, 2019, 200 p.

[ panorama sémiologique ] [ anthropocentrisme ] [ xénolinguistique ] [ philologie ]

 

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boomers vs wokes

Kompromat à la française - Pour avoir réussi un coup de maître – faire signer 50 artistes pour défendre Gérard Depardieu – Yannis Ezziadi est à son tour lynché. Cette affaire restera un cas d’école de la mécanique de la Terreur qui veut en finir avec toute singularité.



Pouvez-vous expliquer ces blagues ? Dans le brouhaha malveillant orchestré autour de la tribune de 50 artistes et assimilés pour Depardieu et de son auteur, notre ami Yannis Ezziadi, cette question que lui a adressée Marine Turchi dit la vérité la plus profonde de toute cette affaire (et de pas mal d’autres).



Dans le monde rêvé des néo-féministes en particulier et des wokistes en général, tout passe au hachoir de l’esprit de sérieux : l’art, la littérature, le sexe (abaissé à un ennuyeux pacte contractuel) et l’humour lui-même, prié de participer à la rééducation des masses boomeuses et dépravées.



Pour bien faire comprendre la dangerosité du gars, il me faut reproduire quelques-unes de ces plaisanteries citées à comparaître. Pour vous, c’est cadeau. D’abord, il y a cette citation de Courteline, postée en 2013 (les fouilleurs de poubelles numériques sont consciencieux):  L’homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de toutes les femelles, la femme soit la plus insupportable. Le petit malin (il avait 22 ans), avait assorti la citation de ce commentaire :  Je vais me faire lyncher, mais c’est tellement drôle.  Plus grave, car sortie du cerveau malade de l’auteur, cette blague de février 2021 : Pour les accusations de violences sexuelles, heureusement, ce ne sera pas comme pour le Covid. Une fois que la majorité des hommes aura été accusée de viol et d’inceste, ils seront peut-être protégés par l’immunité collective. C’est le seul espoir… Espoir fortement déçu. Si ça vous a fait marrer, votre compte est bon : vous êtes un défenseur des violences sexistes-et-sexuelles et un amateur de violences conjugales. Ou le contraire.



Vous avez le droit de rire, à condition que ce rire ne soit jamais traversé de mauvaises pensées. J’aimerais bien savoir à quoi sert l’humour s’il n’est pas le sauf-conduit de nos mauvaises pensées, le refuge du négatif. Si ça se trouve, nos mangeuses d’hommes n’ont jamais de mauvaises pensées. Les pauvres. Et pauvres de nous. Le règne de la positivité, du premier degré, de la transparence est ce qui s’apparente le plus au meilleur des mondes. C’est-à-dire à l’enfer.



Mais je reviens à mes moutons, en l’occurrence au bouc. Pour ceux qui l’ignorent, Marine Turchi, qui officie à Mediapart, est à la nouvelle terreur féministe ce que Vychinski était au stalinisme. Procureur implacable, elle est capable d’écouter des dizaines d’heure du Masque et la plume , pour révéler qu’on y a dit 32 fois salope ou entendu 41 blagues sexistes (les chiffres sont fantaisistes). Il faut lui reconnaître  une certaine conscience professionnelle. Turchi monte ses dossiers. Et bien sûr, elle donne la parole à l’accusé, parole qui se retrouve généralement noyée entre les témoignages accusatoires. Turchi exerce sa charge avec une certaine froideur, alors qu’Ariane Chemin, qui requiert au Monde, semble animée par la passion de nuire. Mais les deux, formées à l’école Plenel, ont le même talent pour construire et imposer un récit totalement fantasmé des faits qu’elles évoquent. En l’occurrence, elles ont réussi à faire passer l’initiative d’un franc-tireur baroque et flamboyant pour une opération d’extrême droite, orchestrée par "la galaxie Bolloré " pour faire main basse sur le monde de la culture – galaxie, ça vous a un petit air Guerre des étoiles, bien contre mal etc. Ces affabulations complotistes ont suffi à déclencher une chasse à l’homme.



Pour les historiens qui étudieront le totalitarisme sans goulag (analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre) et se demanderont comment des peuples cultivés ont pu se laisser déposséder de leurs libertés sans la moindre contrainte militaire ou physique, l’affaire de la pétition Depardieu sera un cas d’école. Un modèle d’efficacité de la mécanique de la terreur.



Premier acte : panique au quartier général.



Cinquante-six artistes et producteurs dénoncent le lynchage de Depardieu. Un bras d’honneur à la loi du Milieu. Un artiste peut à la limite se taire (bien que cela soit parfois suspect). Mais s’il l’ouvre, il n’a qu’un droit : celui d’énoncer les poncifs du progressisme prêchi-prêcheur, en commençant par quelques génuflexions devant la révolution #metoo. S’il veut cocher toutes les cases, il peut lutter contre la loi scélérate sur les retraites (Bosser jusqu’à 63 ans, jamais !), dénoncer les crimes climatiques des riches et des ploucs, manifester (dans son salon) pour l’accueil des migrants. Cependant, s’il n’a pas le temps de dispenser sa compassion à tout-va, une cause contient toutes les autres, la lutte contre l’extrême droite. C’est la formule magique, la carte du Parti. Qui, en plus d’offrir à son détenteur la considération de France Inter lui permet de bosser.



Sans la sortie d’Emmanuel Macron, qui a déclaré quelques jours plus tôt que Depardieu faisait la fierté de la France, l’affaire en serait peut-être restée là. Du reste, sans l’encouragement présidentiel, les signataires auraient certainement été moins nombreux et moins titrés. Cette fois, il ne s’agit pas des sans-grades de l’intermittence du spectacle, ni de réacs estampillés, mais de stars. Certaines sont sur le retour ou en fin de carrière (ce qui permettra à d’élégants plumitifs de calculer l’âge moyen des signataires), d’autres sont inconnus, mais il y a aussi des comédiens bankables, dont les noms aident à monter un film.



C’est bien ce qui enrage le clergé médiatico-culturel, habitué à voir ses excommunications et proscriptions appliquées sans protestations. La volaille qui fait l’opinion sent le danger : sous peine de voir son pouvoir d’intimidation ébranlé, il lui faut frapper fort. On peut compter sur la police politique.



Acte II. On discrédite le message.



C’est simple : il n’y a qu’à saucissonner le texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas – que Depardieu a tous les droits, y compris de cuissage. Peut-être y a-t-il des maladresses de rédaction, le texte n’établissant pas assez clairement la différence entre des accusations de viol et des blagues obscènes. Reste que 55 personnes l’ont signé en connaissance de cause – le seul à avoir longuement essayé d’introduire des modifications a été Yvan Attal qui, malgré ces désaccords, a maintenu sa signature. Des agents, des avocats l’ont lu, beaucoup ont dissuadé leurs clients de signer, d’autres ont approuvé des deux mains.



A lire aussi, Dominique Labarrière: Affaire Depardieu: la bourgeoisie de farces et attrapes dans tous ses états



Que ce texte choque, c’est naturel, mais pas pour les raisons invoquées par les milices vigilantes qui sévissent dans les égouts numériques. Le scandale c’est que des artistes puissent adopter le point de vue de l’art plutôt que celui de la morale. Qu’ils affirment clairement que le génie de l’artiste leur importe plus que les agissements de l’homme – cela ne signifie pas que l’un excuse les autres. L’histoire retiendra-t-elle de Picasso qu’il a mal traité ses femmes ou été un artiste de génie ? La réponse à cette question dépendra de l’issue de la guerre idéologique entre les déconstructeurs et les héritiers. En attendant, ce ne sont pas des hommes déconstruits qui ont fait l’histoire de l’art. Ni l’histoire tout court.



Les maîtresses d’école[1] qui surveillent le débat public n’entendent rien à cette grammaire qui échappe aux cadres rigides structurant leur pensée. Elles se contentent de distribuer froncements de sourcils et coups de règles aux signataires. Ils n’ont pas un mot pour les victimes (qui sont en réalité des plaignantes), preuve qu’ils sont solidaires des agresseurs, violeurs et autres pédophiles. Ces premières sommations entraînent déjà quelques défections, sur le mode " J’avais mal lu " voire " J’ai signé sans lire ". Mais croyez-le bien je pense tous les jours aux violences contre les femmes.



Acte III. On brûle le messager.



Là, on ne rigole plus. La hauteur de l’affront exige une victime expiatoire. Après les préliminaires, se met en branle une mécanique proprement totalitaire, de celles qui broient les individus pour la bonne cause. Dans les sacristies médiatiques, on découvre avec fureur que le diablus ex machina de cette sorcellerie est un quasi inconnu (sauf pour les heureux lecteurs de Causeur et les afficionados). Voilà un type qui prétend avoir, avec ses petits bras, convaincu des vedettes comme Bertrand Blier, Carole Bouquet ou Pierre Richard de prendre la défense d’un homme que Le Monde et Mediapart ont pourtant condamné à la mort sociale.



Il faut lui donner une leçon, à lui et à tous ceux qui l’ont suivi. Leur faire passer l’envie de récidiver. On s’intéresse donc à sa personne, débitée en tranches avec encore plus de malveillance que son texte. De ce point de vue, l’article d’Ariane Chemin mérite la médaille d’or de la dégueulasserie journalistique. Avec quelques micro-bouts de vérité, elle dresse un portrait totalement mensonger intitulé : À la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires. Non seulement il écrit dans Causeur, mensuel dépeint, selon les médias ou les jours, comme d’extrême droite, conservateur, ultra-conservateur ou réactionnaire, mais Chemin souligne qu’il est ami avec Sarah Knafo et Eric Zemmour et qu’il fait la fête avec votre servante. À l’évidence, pour Chemin, l’amitié ne saurait tolérer la divergence. Quant à nos fêtes, elle doit s’imaginer qu’on y récite des horreurs racistes et sexistes affublés de chapeaux pointus. Nous passons en effet d’excellentes soirées à rire, nous disputer, boire, manger, danser, chanter et rire encore. Tout ce rire, c’est suspect, chef. Surtout entre gens qui ne pensent pas la même chose.



Les articles d’Ezziadi sont passés à la même moulinette diffamatoire. Le texte magnifique dans lequel il démonte la mécanique complotiste qui lui a retourné le cerveau à l’âge de 18 ans devient une preuve à charge : le gars est un « dieudonniste repenti » (ce qui signifie dieudonniste toujours). Sa charge contre Jean-Paul Rouve qui joue Matzneff en monstre et se dit fier de ne rien comprendre à son personnage est présentée comme une défense de l’écrivain à nymphettes. Pour sa défense, Ezziadi cite Bruno Ganz qui, dans la Chute, campait un Hitler diablement humain et fut honoré pour cela. Certains en concluent sans doute qu’en prime, il est nazi. Son reportage sur l’islamisation rampante de Nangis, paisible ville de Seine et Marne fait de lui un adepte de " la théorie complotiste-extrême-droite du Grand remplacement " sans que quiconque se donne la peine de réfuter les faits qu’il décrit – et pour cause. Et quand il affirme, sur LCI, que les hommes ont peur, son interlocutrice, une péronnelle blonde à l’air méchant, le toise, semblant penser qu’ils ont bien raison d’avoir peur, toi le premier. Les ligues de vertu avaient fabriqué un monstre avec Depardieu. En une semaine, elles accouchent d’une nouvelle figure du mal et du mâle à abattre.



Acte IV. La litanie des autocritiques.



Pour nombre de signataires, la pression morale et financière est insupportable. Ils n’ont pas l’habitude des flots de haine et d’injures qui s’abattent sur eux. Leurs agents les engueulent, ils se font pourrir par leurs neveux woke lors des dîners de famille, des directeurs de théâtre, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs menacent à mots couverts. Ils doivent lâcher l’ennemi du Parti sous peine d’être purgé avec lui. Certains, honteux de leur propre reculade, se retirent sur la pointe des pieds, parfois après avoir adressé en privé à Ezziadi un signe amical – je suis désolé mais je n’ai pas le choix. Jacques Weber pleurniche, écrivant curieusement que sa signature était un  " autre viol  " – son respect de la présomption d’innocence aura duré deux semaines. D’autres en rajoutent dans l’adoration de la Révolution, braillent comme des pourceaux, jurant qu’ils ont été trahis, manipulés, envoutés par un petit comploteur d’extrême droite. Puisque Le Monde le dit, il ne leur vient même pas à l’esprit de se poser une question. Comme me l’écrit Jonathan Siksou, " si Ariane Chemin ou BFM avait dit que Yannis était une table à roulettes ou un pélican, tout le monde le croirait ". Ils ont signé parce qu’ils croyaient que le vent avait tourné. Ils se replacent naturellement dans le sens du vent.



Le plus inquiétant est que la machine à détruire s’en prenne à un jeune homme qui n’a aucun pouvoir, sinon celui de son grand charme et du plaisir que ses amis prennent à sa compagnie. Contrairement aux consœurs qui peuvent encore briser des carrières et réduire des hommes au chômage sur la seule foi d’accusations (les femmes ne mentent jamais), Yannis Ezziadi ne peut nuire à personne. Il a effectivement monté son attentat contre la bienséance avec sa seule force de conviction. Il s’est pendu au téléphone, d’abord avec les amis, puis les amis d’amis, chacun des signataires a donné ses contacts, certains, dit « oui » puis « non » en fonction de leurs dîners de la veille.



Il n’est guère étonnant que ce dandy fantastiquement drôle qui peut pleurer de bonheur en écoutant un opéra ou en regardant une corrida enrage les vestales fanatiques de la religion des femmes et tous ceux qui, terrifiés, psalmodient derrière elles. Yannis Ezziadi possède quelque chose que ces esprits policiers haïssent parce qu’ils y ont renoncé. Cela s’appelle la liberté.



Epilogue. Le Parti a toujours raison.



Les tricoteuses féministes ont réduit au silence tous ceux qui auraient pu, qui auraient dû, se lever contre ce procès de Moscou. Beaucoup se taisent par peur d’être à leur tour soupçonnés, donc condamnés. On peut le comprendre mais ils ont tort. Pour peu qu’ils aient une sexualité vaguement débridée (quoique parfaitement légale), ils finiront, eux aussi, par être arrêtés un matin, même sans avoir jamais rien fait. Si toutes les stars de la tribune Depardieu avaient tenu bon et adressé un grand bras d’honneur aux maitres-chanteurs, le rapport de forces aurait changé. Un peu de courage ne nuit pas.



Oui, il y a des raisons d’avoir peur. L’inquisition a gagné une bataille. Si demain, plus personne n’ose sortir des clous de la bienséance, si nous acceptons docilement que Polanski, Depardieu et tant d’autres soient brûlés en place publique, que leurs œuvres soient bannies des écrans et des mémoires, elle règnera sur nos esprits. Quand on a peur de dire ce qu’on pense, on finit par avoir peur de penser.



[1] Des deux sexes mais le féminin pour tout le monde est ici parfaitement justifié

Auteur: Lévy Elisabeth

Info: Causeur, 4 janvier 2024

[ pouvoir sémantique ] [ Gaule ] [ parisianisme ]

 

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homme-animal

Le processus d’encéphalisation
Parmi l’ensemble des animaux non-humains, les dauphins sont dotés du quotient encéphalique le plus élevé au monde, soit à peu près celui de l’être humain.
A ce petit jeu, d’ailleurs, le cachalot nous dépasse tous largement !
Une telle augmentation du volume cérébral, bien au-delà des simples besoins de la motricité ou de la sensorialité, est qualifiée "d’encéphalisation structurelle".
Ce phénomène n’est pas rare. Il semble que dès le Jurassique, des dinosauriens bipèdes de taille moyenne aient commencé à augmenter de manière encore timide leurs capacités cérébrales.
Au Tertiaire, les ancêtres des éléphants et des cétacés se sont lancés à leur tour dans la course au gros cerveau mais ce n’est qu’au Quaternaire, il y a de cela de trois à six millions d’années, que certains primates hominoïdes développent une boîte crânienne de type néoténique à fontanelles non suturées durant les premiers temps de l’enfance, afin de permettre une croissance ultérieure de l’un des cerveaux les plus puissants du monde.
Ce processus d’encéphalisation apparaît également chez certains oiseaux – corvidés, psittacidés – à peu près vers la même époque. A chaque fois, bien sûr, des comportements très élaborés sont toujours associés à un accroissement spectaculaire du tissu cérébral.
Une si curieuse convergence de formes, la survenance simultanée ou successive de tous ces "grands fronts", pose bien évidemment question en termes darwiniens.
Le ptérodactyle, la mouche, le colibri, la chauve-souris ont des ailes pour voler, la truite, l’ichtyosaure, le marsouin ont un corps fait pour nager, le grillon fouisseur et la taupe ont des pattes en forme de pelles pour creuser, etc.
Mais à quoi rime dès lors un vaste crâne et à quelle fonction est-il dévolu ?
Essentiellement à comprendre le monde et ceux qui le composent, en ce compris les membres de sa propre espèce, avec lesquels il faut sans cesse gérer une relation équilibrée.
Même les gros cerveaux les plus solitaires vivent en fait en société : tigres, baleines bleues, panthères, orangs-outans gardent des liens étroits, bien que distants ou différés, avec leur fratrie et leurs partenaires.
L’intelligence est à coup sûr l’arme suprême contre les aléas du monde, ses mutations incessantes, puisqu’elle permet notamment de gérer un groupe comme un seul corps mais aussi de pénétrer les lois subtiles qui sont à la base du mouvement des choses.
En augmentant d’un degré supérieur ces facultés par le moyen du langage, lequel conserve le savoir des générations mortes, l’homme et le cétacé ont sans doute franchi un nouveau pas vers une plus grande adaptabilité.
Le problème de l’humain, mais nous n’y reviendrons pas davantage, c’est qu’il ne s’est servi jusqu’à ce jour que d’une partie de son intelligence et qu’il se laisse ensevelir vivants dans ses propres déchets, et avec lui les reste du monde, pour n’avoir pas su contrôler sa propre reproduction ni la saine gestion de son environnement.
Intelligents ou non ? (Le point de vue de Ken Levasseur)
Dans un courrier CFN posté en avril 2003 relatif à l’utilisation de dauphins militaires en Irak, Ken Levasseur, l’un des meilleurs spécialistes actuels de cette question, a tenu à faire le point à propos de l’intelligence réelle ou supposée de ces mammifères marins. Aux questions que lui avait adressées un étudiant sur ce thème, Ken répond ici de manière définitive, sur la base de de son expérience et de ses intimes convictions.
Eu égard aux remarquables recherches menées par Ken depuis des années et au fait qu’il a travaillé longtemps aux côtés du professeur Louis Hermann, son point de vue n’est évidemment pas négligeable ni ses opinions sans fondements. On lira d’ailleurs sur ce site même son article en anglais relatif au cerveau du dauphin
Inutile de dire que le gestionnaire de ce site partage totalement le point de vue de Ken Levasseur, dont les travaux l’inspirent depuis de nombreuses années, au même titre que ceux de Wade Doak ou de Jim Nollman : tous ont en commun d’affirmer que les dauphins ne sont pas des animaux au sens strict mais bien l’équivalent marin de l’humanité terrestre.
Q- A quel niveau d’intelligence réelle les dauphins se situent-ils ? A celui du chien ? Du grand singe ? D’un être humain ?
R- Mon meilleur pronostic est qu’un jour prochain, nous pourrons prouver que la plupart des espèces de cétacés disposent d’une intelligence équivalente ou supérieure à celle d’un humain adulte.
Q- Quelles sont les preuves nous permettant d’affirmer que les dauphins sont intelligents ?
R- Il a été démontré depuis longtemps que les dauphins peuvent développer des capacités cognitives qui équivalent ou excèdent les possibilités mentales de l’être humain. Aujourd’hui, nous sommes à même de définir exactement en quoi consiste l’intelligence humaine. Une fois que nous parviendrons à définir l’intelligence d’une manière strictement objective et valable pour toutes les autres espèces, on permettra enfin aux cétacés de faire la preuve de la leur.
Q- Quelles preuves avons-nous que les dauphins ne sont PAS intelligents ?
R- Il n’y a aucune preuve scientifique qui tendrait à prouver que l’intelligence du dauphin serait située entre celle du chien et celle du chimpanzé (comme l’affirment les delphinariums et la marine américaine) .
Q- Est-ce que les dauphins possèdent un langage propre ?
R- La définition d’une "langue", comme celle de l’intelligence, repose sur des bases subjectives définies pour et par les humains. Une fois que nous pourrons disposer d’une définition plus objective de ce qu’est un langage, et que les recherches sur la communication des dauphins ne seront plus "classifiée" par les américains, il est fort probable que les chercheurs puissent enfin conduire les recherches appropriées et qu’ils reconnaissent que les dauphins disposent de langages naturels.
Q- Est-ce leur capacité à apprendre et à exécuter des tours complexes qui les rend plus intelligents ou non ?
R- La capacité du dauphin à apprendre à exécuter des tours complexes est surtout une indication de l’existence d’un niveau élevé des capacités mentales, interprétées comme synonymes d’une intelligence élevée.
Q- Jusqu’à quel point ont été menées les recherches sur les dauphins et leur intelligence ? Que savent vraiment les scientifiques à leur propos ?
R- La US Navy a "classifié" ses recherches sur les dauphins en 1967, au moment où l’acousticien Wayne Batteau est parvenu à développer des moyens efficaces pour communiquer avec des dauphins dressés. La communication et l’intelligence des dauphins constituent donc désormais des données militaires secrètes, qui ne peuvent plus être divulguées au public.
Q- Est-ce que les dauphins disposent d’un langage propre ? Y a t-il des recherches qui le prouvent ?
R- Vladimir Markov et V. M. Ostrovskaya en ont fourni la preuve en 1990 en utilisant la "théorie des jeux" pour analyser la communication des dauphins dans un environnement contrôlé et à l’aide de moyens efficaces. Il est donc très probable que les dauphins aient une langue naturelle.
Q- Les capacités tout à fait spéciales des dauphins en matière d’écholocation ont-elles quelque chose à voir avec leurs modes de communication?
R- A mon sens, les recherches futures fourniront la preuve que le langage naturel des cétacés est fondé sur les propriétés physiques de l’écholocation, de la même manière que les langues humaines se basent sur des bruits et des représentations.
Q- Quelle est VOTRE opinion à propos de l’intelligence des dauphins ?
R- Pendant deux ans, j’ai vécu à quinze pieds (1 Pied : 30 cm 48) d’un dauphin et à trente-cinq pieds d’un autre. À mon avis, les dauphins possèdent une intelligence équivalente à celle d’un être humain. Ils devraient bénéficier dès lors de droits similaires aux Droits de l’Homme et se trouver protégé des incursions humaines dans son cadre de vie.
Q- La ressemblance entre les humains et les dauphins a-t-elle quelque chose à voir avec leur intelligence commune ?
R- Les dauphins sont très éloignés des humains à de nombreux niveaux mais les ressemblances que nous pouvons noter sont en effet fondées sur le fait que les dauphins possèdent des capacités mentales plus élevées (que la plupart des autres animaux) et sont à ce titre interprétés en tant qu’intelligence de type humain.
Q- La grande taille de leur cerveau, relativement à celle de leur corps, est-elle un indicateur de leur haute intelligence ?
R- Le volume absolu d’un cerveau ne constitue pas une preuve d’intelligence élevée. Le coefficient encéphalique (taille du cerveau par rapport à la taille de corps) n’en est pas une non plus. Néanmoins, on pourrait dire que la taille absolue du cerveau d’une espèce donnée par rapport au volume global du corps constitue un bon indicateur pour comparer les capacités mentales de différentes espèces. Souvenons-nous par ailleurs que les cétacés ne pèsent rien dans l’eau, puisqu’ils flottent et qu’une grande part de leur masse se compose simplement de la graisse. Cette masse de graisse ne devrait pas être incluse dans l’équation entre le poids du cerveau et le poids du corps car cette graisse n’est traversée par aucun nerf ni muscle et n’a donc aucune relation de cause à effet avec le volume du cerveau.
Q- Est-ce que la capacité des dauphins à traiter des clics écholocatoires à une vitesse inouïe nous laisse-t-elle à penser qu’ils sont extrêmement intelligents ?
R- On a pu montrer que les dauphins disposaient, et de loin, des cerveaux les plus rapides du monde. Lorsqu’ils les observent, les humains leur semblent se mouvoir avec une extrême lenteur en émettant des sons extrêmement bas. Un cerveau rapide ne peut forcément disposer que de capacités mentales très avancées.
Q- Pensez-vous des scientifiques comprendront un jour complètement les dauphins?
R- Est-ce que nos scientifiques comprennent bien les humains? Si tout va bien, à l’avenir, les dauphins devraient être compris comme les humains se comprennent entre eux.
Q- Le fait que les dauphins possèdent une signature sifflée est-elle une preuve de l’existence de leur langage ?
R- Non. Cette notion de signature sifflée est actuellement mal comprise et son existence même est sujette à caution.
Q- Les dauphins font plein de choses très intelligentes et nous ressemblent fort. Est-ce parce qu’ils sont vraiment intelligents ou simplement très attractifs ?
R- La réponse à votre question est une question d’expérience et d’opinion. Ce n’est une question qui appelle une réponse scientifique, chacun a son opinion personnelle sur ce point.
Q- Pouvons-nous vraiment émettre des conclusions au sujet de l’intelligence des dauphins, alors que nous savons si peu à leur propos et qu’ils vivent dans un environnement si différent du nôtre ?
R- Jusqu’à présent, ce genre de difficultés n’a jamais arrêté personne. Chacun tire ses propres conclusions. Les scientifiques ne se prononcent que sur la base de ce qu’ils savent vrai en fonction des données expérimentales qu’ils recueillent.
Q- Est-ce que nous pourrons-nous jamais communiquer avec les dauphins ou même converser avec eux ?
R- Oui, si tout va bien, et ce seront des conversations d’adulte à adulte, rien de moins.
II. DAUPHIN : CERVEAU ET MONDE MENTAL
"Parmi l’ensemble des animaux non-humains, les dauphins disposent d’un cerveau de grande taille très bien développé, dont le coefficient encéphalique, le volume du néocortex, les zones dites silencieuses (non motrices et non sensorielles) et d’autres indices d’intelligence sont extrêmement proches de ceux du cerveau humain" déclare d’emblée le chercheur russe Vladimir Markov.
Lorsque l’on compare le cerveau des cétacés avec celui des grands primates et de l’homme en particulier, on constate en effet de nombreux points communs mais également des différences importantes :
– Le poids moyen d’un cerveau de Tursiops est de 1587 grammes.
Son coefficient encéphalique est de l’ordre de 5.0, soit à peu près le double de celui de n’importe quel singe. Chez les cachalots et les orques, ce même coefficient est de cinq fois supérieur à celui de l’homme.
– Les circonvolutions du cortex cervical sont plus nombreuses que celles d’un être humain. L’indice de "pliure" (index of folding) est ainsi de 2.86 pour l’homme et de 4.47 pour un cerveau de dauphin de taille globalement similaire.
Selon Sam Ridgway, chercheur "réductionniste de la vieille école", l’épaisseur de ce même cortex est de 2.9 mm en moyenne chez l’homme et de 1.60 à 1.76 mm chez le dauphin. En conséquence, continue-t-il, on peut conclure que le volume moyen du cortex delphinien (560cc) se situe à peu près à 80 % du volume cortical humain. Ce calcul est évidemment contestable puisqu’il ne tient pas compte de l’organisation très particulière du cerveau delphinien, mieux intégré, plus homogène et moins segmenté en zones historiquement distinctes que le nôtre.
Le fait que les cétacés possèdent la plus large surface corticale et le plus haut indice de circonvolution cérébral au monde joue également, comme on s’en doute, un rôle majeur dans le développement de leurs capacités cérébrales.
D’autres scientifiques, décidément troublés par le coefficient cérébral du dauphin, tentent aujourd’hui de prouver qu’un tel développement n’aurait pas d’autre usage que d’assurer l’écholocation. Voici ce que leur répond le neurologue H. Jerison : "La chauve-souris dispose à peu de choses près des mêmes capacités que le dauphin en matière d’écholocation, mais son cerveau est gros comme une noisette. L’outillage écholocatoire en tant que tel ne pèse en effet pas lourd. En revanche, le TRAITEMENT de cette même information "sonar" par les zones associatives prolongeant les zones auditives, voilà qui pourrait expliquer le formidable développement de cette masse cérébrale. Les poissons et tous les autres êtres vivants qui vivent dans l’océan, cétacés mis à part, se passent très bien d’un gros cerveau pour survivre et même le plus gros d’entre eux, le requin-baleine, ne dépasse pas l’intelligence d’une souris…"
La croissance du cerveau d’un cétacé est plus rapide et la maturité est atteinte plus rapidement que chez l’homme.
Un delphineau de trois ans se comporte, toutes proportions gardées, comme un enfant humain de huit ans. Cette caractéristique apparemment "primitive" est paradoxalement contredite par une enfance extrêmement longue, toute dévolue à l’apprentissage. Trente années chez le cachalot, vingt chez l’homme, douze à quinze chez le dauphin et environ cinq ans chez le chimpanzé.
Les temps de vie sont du même ordre : 200 ans en moyenne chez la baleine franche, 100 ans chez le cachalot, 80 chez l’orque, 78 ans chez l’homme, 60 chez le dauphin, sous réserve bien sûr des variations favorables ou défavorables de l’environnement.
Pourquoi un gros cerveau ?
"Nous devons nous souvenir que le monde mental du dauphin est élaboré par l’un des systèmes de traitement de l’information parmi les plus vastes qui ait jamais existé parmi les mammifères" déclare H.Jerison, insistant sur le fait que "développer un gros cerveau est extrêmement coûteux en énergie et en oxygène. Cet investissement a donc une raison d’être en terme d’évolution darwinienne. Nous devons dès lors considérer la manière dont ces masses importantes de tissu cérébral ont été investies dans le contrôle du comportement et de l’expérimentation du monde, ceci en comparaison avec l’usage qu’en font les petites masses cérébrales".
Un cerveau est par essence un organe chargé de traiter l’information en provenance du monde extérieur.
Les grands cerveaux exécutent cette tâche en tant qu’ensemble élaborés de systèmes de traitement, alors que le cerveau de la grenouille ou de l’insecte, par exemple, se contente de modules moins nombreux, dont la finesse d’analyse est comparativement plus simple.
Cela ne nous empêche pas cependant de retrouver des structures neuronales étonnamment semblables d’un animal à l’autre : lorsqu’un promeneur tombe nez à nez avec un crotale, c’est le même plancher sub-thalamique dévolue à la peur qui s’allume chez l’une et l’autre des ces créatures. Quant un chien ou un humain se voient soulagés de leurs angoisses par le même produit tranquillisant, ce sont évidemment les mêmes neuromédiateurs qui agissent sur les mêmes récepteurs neuronaux qui sont la cause du phénomène.
A un très haut niveau de cette hiérarchie, le traitement en question prend la forme d’une représentation ou d’un modèle du monde (Craik, 1943, 1967, Jerison, 1973) et l’activité neuronale se concentre en "paquets d’informations" (chunks) à propos du temps et de l’espace et à propos d’objets, en ce compris les autres individus et soi-même.
" Puisque le modèle du monde qui est construit de la sorte" insiste H.Jerison, "se trouve fondé sur des variables physiquement définies issues directement du monde externe et puisque ces informations sont traitées par des cellules nerveuses et des réseaux neuronaux structurellement semblables chez tous les mammifères supérieurs, les modèles du monde construits par différents individus d’une même espèce ou même chez des individus d’espèces différentes, ont de bonnes chances d’être également similaires".
Et à tout le moins compréhensibles l’un pour l’autre.

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

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