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horizon anthropique

Qu'est-ce que le paradoxe cérébral de Boltzmann ? Le cerveau est-il l'univers ultime ?

Avez-vous déjà contemplé la nature de votre existence et vous êtes-vous demandé si vous étiez vraiment une personne ayant vécu une vie, ou simplement un cerveau récemment formé avec des souvenirs artificiels, développant momentanément une réalité qui n'est pas réelle ? Cette question, connue sous le nom de paradoxe du cerveau de Boltzmann, peut sembler absurde, mais elle trouble les cosmologistes depuis des générations.

Le paradoxe tire son nom de Ludwig Boltzmann, un éminent physicien du XIXe siècle qui a apporté des contributions significatives au domaine de la thermodynamique. À son époque, les scientifiques étaient engagés dans des débats passionnés sur la question de savoir si l'univers a une durée infinie ou finie. Boltzmann a révolutionné notre compréhension de l'entropie, qui mesure le désordre au sein d'un système. Par exemple, un verre est considéré comme ordonné, alors qu'un verre brisé est dans un état de désordre. La deuxième loi de la thermodynamique affirme que les systèmes fermés tendent à devenir plus désordonnés avec le temps ; un verre brisé ne se reconstitue pas spontanément dans son état originel.

Boltzmann a introduit une nouvelle interprétation de l'entropie en appliquant un raisonnement statistique pour expliquer le comportement des systèmes. Il a mis en évidence que les systèmes évoluent vers un état plus désordonné parce qu'une telle transformation est la plus probable. Cependant, si la direction opposée n'est pas impossible, elle est incroyablement improbable. Par exemple, nous ne verrons jamais des œufs brouillés redevenir des œufs crus. Néanmoins, dans un univers infiniment vieux, où le temps s'étend sans limites, des événements hautement improbables, tels que la formation spontanée de structures complexes à partir de combinaisons aléatoires de particules, finiraient par se produire.

Qu'est-ce que cela signifie dans le contexte d'un univers hypothétique qui existe depuis un temps infini ? Imaginez une étendue apparemment banale de quasi-néant, où environ huit octillions* d'atomes convergent fortuitement pour créer le "Le Penseur" de Rodin, sauf qu'elle est cette fois entièrement constituée de pâtes alimentaires. Cependant, cette sculpture de pâtes se dissout rapidement en ses particules constitutives. Ailleurs dans cette vaste toile cosmique, les particules s'alignent spontanément pour former une structure ressemblant à un cerveau. Ce cerveau est rempli de faux souvenirs, simulant une vie entière jusqu'au moment présent où il perçoit une vidéo véhiculant ces mêmes mots. Pourtant, aussi rapidement qu'il est apparu, le cerveau se décompose et se dissipe. Enfin, en raison de fluctuations aléatoires, toutes les particules de l'univers se concentrent en un seul point, déclenchant l'émergence spontanée d'un univers entièrement nouveau.

De ces deux derniers scénarios, lequel est le plus probable ? Étonnamment, la formation du cerveau est nettement plus probable que la création spontanée d'un univers entier. Malgré sa complexité, le cerveau est minuscule par rapport à l'immensité d'un univers entier. Par conséquent, si l'on suit ce raisonnement, il apparaît très probable que tout ce que nous croyons exister n'est rien d'autre qu'une illusion fugace, destinée à disparaître rapidement.

Bien que Boltzmann lui-même n'ait pas approfondi ces conclusions, les cosmologistes qui se sont inspirés de ses travaux ont introduit le concept des cerveaux de Boltzmann. Il est intéressant de noter que ces cosmologistes, comme la majorité des individus, étaient raisonnablement certains de ne pas être eux-mêmes des cerveaux éphémères. D'où le paradoxe suivant : comment pouvaient-ils avoir raison dans leur hypothèse tout en postulant l'existence d'un univers éternel ?

Le paradoxe a trouvé sa résolution dans un concept communément accepté aujourd'hui : notre univers n'existe pas de manière infinie mais a eu un commencement connu sous le nom de Big Bang. On pourrait donc penser que le paradoxe a été résolu une fois pour toutes. Or, ce n'est peut-être pas le cas. Au cours du siècle dernier, les scientifiques ont découvert des preuves substantielles à l'appui de la théorie du Big Bang, mais la question de savoir ce qui l'a précédé et causé reste sans réponse. Que l'univers soit apparu dans un état extrêmement ordonné et improbable ? Notre univers pourrait-il faire partie d'un cycle sans fin de création et d'effondrement, ou sommes-nous simplement l'un des innombrables univers en expansion dans un vaste multivers ?

Dans ce contexte intrigant, le paradoxe de Boltzmann a suscité un regain d'intérêt chez les cosmologistes contemporains. Certains affirment que les modèles dominants de l'univers suggèrent encore que les cerveaux de Boltzmann ont plus de chances d'exister que les cerveaux humains, ce qui soulève des inquiétudes quant à la validité de ces modèles. Cependant, d'autres réfutent ces arguments en proposant de légères modifications des modèles cosmologiques qui élimineraient le problème ou en affirmant que les cerveaux de Boltzmann ne peuvent pas se manifester physiquement.

Dans le but d'explorer les probabilités impliquées, certains chercheurs ont même tenté de calculer la probabilité qu'un cerveau émerge spontanément à partir de fluctuations quantiques aléatoires et survive suffisamment longtemps pour générer une seule pensée. Le résultat de leurs calculs a donné un nombre étonnamment grand, avec un dénominateur dépassant 10 élevé à une puissance environ un septillion de fois plus grande que le nombre d'étoiles dans l'univers.

Malgré sa nature apparemment absurde, le paradoxe du cerveau de Boltzmann est utile. Il place la barre très haut pour les modèles cosmologiques. Si l'état actuel de l'univers semble excessivement improbable par rapport à des nombres d'une telle ampleur, cela indique que quelque chose ne va pas dans le modèle. Ce paradoxe nous pousse à remettre en question notre compréhension de la réalité et nous incite à rechercher une représentation plus complète et plus précise de l'univers.

Alors que nous continuons à explorer les mystères du cosmos, la nature énigmatique de notre existence reste une source de fascination et un catalyseur pour la poursuite de la recherche scientifique. Dans notre quête de réponses, nous pourrons peut-être découvrir des vérités profondes qui nous éclaireront sur la nature de notre réalité et sur la tapisserie complexe de l'univers.

Auteur: Sourav Pan

Info: *un octillion = 10 puissance 48)

[ humain miroir ] [ monde consensuel ]

 

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médecine

L'anorexie se soigne avec douceur et patience
Le Dr Jean Wilkins soigne les adolescentes souffrant d'anorexie depuis 36 ans. Fait assez rare, aucune patiente n'est décédée dans son unité de soins au cours de sa carrière. Son secret ? "La patience, la douceur, le respect, la confiance et la prudence", répond le fondateur de la section de médecine de l'adolescence au CHU Sainte-Justine et professeur de pédiatrie à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
Sa méthode est à contrecourant de la tendance actuelle, qui privilégie les plans de soins, estime-t-il. "On peut traiter la plupart des maladies avec un protocole, mais pas l'anorexie. Parce que chaque cas est unique, parce qu'aucune de ces filles n'est rendue au même stade, parce qu'on doit constamment s'adapter à elles et non le contraire. Si on les force à adopter notre vision, elles ne guériront pas."

À l'aube de la retraite, il a senti le besoin d'expliquer sa pratique. Dans "Adolescentes anorexiques: plaidoyer pour une approche clinique humaine", le Dr Wilkins transmet son expérience aux pédiatres de la relève et offre aux jeunes filles souffrantes "quelques clés de compréhension de leur maladie et des outils pour la transformer". Il a rédigé l'ouvrage en collaboration avec la journaliste scientifique Odile Clerc.
Limiter la reprise de poids
"Quand on visite un patient, celui-ci est alité et le personnel soignant est debout, observe-t-il. Ce n'est pas le cas des filles anorexiques. Elles sont debout, toujours actives, ce qui témoigne de leur volonté de ne pas être piégées dans la thérapie. Elles manifestent une résistance: elles ne veulent pas guérir, car, déclarent-elles, elles ne sont pas malades. C'est sûr que ce serait plus facile de les obliger à se coucher et de les gaver. Mais ce serait aussi sauvage et contreproductif."

Il en veut pour preuve une jeune fille récemment traitée qui avait fait des séjours dans différents hôpitaux avant d'être admise à la Clinique des troubles de la conduite alimentaire du CHU Sainte-Justine. "En deux ans, elle avait gagné 55 kilos et en a perdu 74. Donc, 129 kilos sont entrés et sortis de son corps pendant ce laps de temps. C'est une forme de violence inutile!"

Il attribue ce phénomène aux objectifs de reprise pondérale fixés par les plans de soins. "Cela ne tient compte ni de l'état de la patiente ni de sa capacité à accepter et intérioriser cette prise de poids, s'exclame-t-il. Pour nous, c'est une victoire, mais pour elle, c'est "l'échec de sa réussite"."

Le spécialiste préfère limiter la reprise pondérale à 10 % du poids enregistré au moment de l'admission, laisser la patiente "digérer" ce changement et discuter avec elle de la suite des choses. En effet, le dialogue est extrêmement important pour établir un lien de confiance avec la jeune fille. "Dès la première rencontre, j'explique tout aux patientes et j'y vais avec douceur, indique-t-il. Par exemple, je ne leur demande jamais de se déshabiller au complet pour procéder à l'examen. Je ne découvre que les parties nécessaires. Mon collègue et ami feu le professeur Victor Courtecuisse, père de la médecine de l'adolescence en France, m'a dit un jour: "Tu sais, Jean, on n'entre pas dans un jardin privé avec un bulldozeur." Cette réflexion m'a beaucoup marqué. C'est pourquoi je ne brusque jamais une patiente... à moins qu'il y ait un danger de mort."

Étonnamment, les jeunes filles qui sont au bord du gouffre ne s'opposent jamais aux traitements. "Elles me laissent faire parce qu'elles veulent vivre, affirme le pédiatre. Contrairement à ce qu'on peut croire, l'anorexie est une expression de vie. Il faut leur faire comprendre que ce n'est pas la bonne façon d'y arriver. Et cela prend du temps."

Quand la maladie se déclare à l'adolescence, elle dure en moyenne quatre ans. "J'aimerais que ce soit plus court", admet le Dr Wilkins, qui est peiné à l'idée de transférer ses patientes en milieu adulte lorsqu'elles atteignent 18 ans.

Cela l'inquiète d'autant plus que le passage à l'âge adulte se révèle parfois fatal pour les jeunes femmes qui ne s'en sont toujours pas sorties. Huit de ses anciennes patientes sont mortes entre 20 et 30 ans. Quatre de ces décès ont un lien avec l'anorexie. Le médecin en parle comme si c'était hier. Il se souvient de leur beauté, de leur caractère frondeur, de leurs discussions. "C'est dur", confie-t-il.

La majorité finit toutefois par guérir. Le Dr Wilkins reçoit d'ailleurs de fréquents témoignages, que ce soit par écrit ou en personne, d'anciennes patientes qui le remercient. "Cela me fait toujours très plaisir de savoir qu'elles vont bien et qu'elles ont fondé une famille", dit-il en souriant.

Une de ses patientes lui a déjà écrit: "Merci non pas de m'avoir sauvé la vie, mais de m'avoir remise dans la vie." Et c'est tout ce que ce grand pédiatre espère accomplir.

Qu'est-ce que l'anorexie mentale ?
L'anorexie, c'est-à-dire la perte d'appétit, est fréquente chez les personnes très malades. Ce trouble devient "mental" lorsqu'il relève de la psychopathologie. Il touche essentiellement les filles. Une adolescente sur 100 souffre de cette maladie de manière assez grave pour être hospitalisée. Selon le Dr Wilkins, l'anorexie mentale "est une impasse développementale propre à la période de l'adolescence et assimilable à une conduite de type addictif". Plus l'anorexie est étudiée, plus elle se révèle complexe, constate-t-il. "C'est pourquoi il faut différents intervenants pour en venir à bout: en premier lieu le duo médecin-infirmière, puis des psychologues et des nutritionnistes."
Qui sont les adolescentes anorexiques ?
Ce sont des enfants modèles: "L'anorexique répond à toutes les exigences sociales: elle est brillante sur le plan scolaire, elle excelle dans tout ce qu'elle entreprend, elle sort peu, n'a aucune conduite addictive à risque et nourrit de belles ambitions sur le plan professionnel", écrit le Dr Wilkins. Elles étudient souvent en sciences, évoluent dans le milieu artistique ou pratiquent des sports de compétition. Leur emploi du temps est trop chargé. Elles socialisent peu. Bref, elles mettent leur adolescence en veilleuse, une période pourtant essentielle à la construction identitaire. Résultat: "L'adolescente anorexique, qui avait jusque-là satisfait aux attentes conscientes et inconscientes de son entourage, comme si elle avait construit son identité à partir d'une prescription externe, reprend la maîtrise de son évolution en s'appuyant sur la nouvelle identité qu'elle trouve dans cette maladie", croit le pédiatre.

Auteur: Wilkins Jean

Info: Internet mars 2012

[ empathie ]

 

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palier évolutif

Découverte d’une nouvelle forme de vie née de la fusion d’une bactérie avec une algue

Ayant eu lieu il y a 100 millions d’années, il s’agit seulement du troisième cas connu de ce phénomène.

(Image - La forme de vie née de la fusion entre l'algue Braarudosphaera bigelowii et la cyanobactérie UCYN-A."

Des chercheurs ont découvert une forme de vie de nature extrêmement rare née de la fusion d’une algue avec une bactérie fixatrice d’azote il y a 100 millions d’années. Appelé endosymbiose primaire, le phénomène se produit lorsqu’un organisme en engloutit un autre pour faire de celui-ci un organite, à l’instar des mitochondries et des chloroplastes. Il s’agit du troisième cas recensé d’endosymbiose. Il pourrait ouvrir la voie à une production plus durable d’azote pour l’agriculture.

Au cours des 4 milliards d’années de vie sur Terre, seulement deux cas d’endosymbiose primaire étaient connus jusqu’ici. La première s’est produite il y a 2,2 milliards d’années, lorsqu’une archée a absorbé une bactérie pour l’intégrer dans son arsenal métabolique en la convertissant en mitochondrie. Cette étape constitue une phase majeure dans l’évolution de tous les organismes sur Terre, leur permettant notamment d’évoluer vers des formes plus complexes.

(Photo : Des mitochondries dans une cellule.)

La seconde endosymbiose primaire connue s’est produite il y a 1,6 milliard d’années, lorsque des organismes unicellulaires ont absorbé des cyanobactéries capables de convertir la lumière en énergie (photosynthèse). Ces bactéries sont devenues les chloroplastes que les plantes chlorophylliennes utilisent encore à ce jour pour convertir la lumière du Soleil en énergie.

D’un autre côté, on pensait que seules les bactéries pouvaient extraire l’azote atmosphérique et le convertir en une forme utilisable (en ammoniac) pour le métabolisme cellulaire. Les plantes pouvant fixer l’azote (comme les légumineuses) effectuent ce processus en hébergeant ces bactéries au niveau de leurs nodules racinaires.

La découverte de l’équipe du Berkeley Lab bouleverse cette notion avec le premier organite capable de fixer de l’azote et intégré dans une cellule eucaryote (une algue marine). " Il est très rare que des organites résultent de ce genre de choses ( endosymbiose primaire ) ", explique Tyler Coale de l’Université de Californie à Santa Cruz, dans un communiqué du Berkeley Lab. " La première fois que cela s’est produit à notre connaissance, cela a donné naissance à toute vie complexe. Tout ce qui est plus compliqué qu’une cellule bactérienne doit son existence à cet événement ", a-t-il déclaré, en faisant référence aux origines des mitochondries. Le nouvel organite, décrit dans deux études publiées dans les revues Cell Press et Science, est baptisé " nitroplaste ".

Un organite à part entière

La découverte de l’organite a nécessité plusieurs décennies de travail. En 1998, les chercheurs ont identifié une courte séquence d’ADN qui semblait provenir d’une cyanobactérie fixatrice d’azote (UCYN-A) abondante dans le Pacifique. D’un autre côté, une autre équipe de l’Université de Kochi (au Japon) a identifié une algue marine (Braarudosphaera bigelowii) qui semblait être l’hôte symbiotique de la bactérie. En effet, l’ADN de cette dernière a été découvert en importante quantité dans les cellules de l’algue.

Alors que les chercheurs considéraient l’UCYN-A comme un simple endosymbiote de l’algue, les deux nouvelles études suggèrent qu’elle a co-évolué avec son hôte de sorte à devenir un organite à part entière. En effet, après plus de 300 expéditions, l’équipe japonaise est parvenue à isoler et cultiver l’algue en laboratoire. Cela a permis de montrer que le rapport de taille entre les UCYN-A et leurs algues hôtes est similaire d’une espèce à l’autre.

D’autre part, les chercheurs ont utilisé un modèle informatique pour analyser la croissance de la cellule hôte et de la bactérie par le biais des échanges de nutriments. Ils ont constaté que leurs métabolismes sont parfaitement synchronisés, ce qui leur permettrait de coordonner leur croissance. " C’est exactement ce qui se passe avec les organites ", explique Jonathan Zehr, de l’Université de Californie à Santa Cruz et coauteur des deux études. " Si vous regardez les mitochondries et le chloroplaste, c’est la même chose : ils évoluent avec la cellule ", ajoute-t-il.

Les experts ont également montré que la bactérie UCYN-A repose sur sa cellule hôte pour sa réplication protéique et sa multiplication. Pour ce faire, ils ont utilisé une technique d’imagerie à rayons X et une tomographie permettant d’observer les processus cellulaires en temps réel. " Nous avons montré grâce à l’imagerie à rayons X que le processus de réplication et de division de l’hôte algal et de l’endosymbiote est synchronisé ", indique Carolyn Larabell, du Berkeley Lab.

(Illustrations montrant les algues à différents stades de division cellulaire. UCYN-A, l’entité fixatrice d’azote désormais considérée comme un organite, est visible en cyan ; le noyau des algues est représenté en bleu, les mitochondries en vert et les chloroplastes en violet.)

Une quantification des protéines des deux organismes a aussi été réalisée. Il a été constaté qu’environ la moitié des protéines de l’UCYN-A est synthétisée par sa cellule hôte, qui les marque avec une séquence protéinique spécifique. Ce marquage permet ensuite à la cellule de les envoyer au nitroplaste, qui les importe et les utilise pour son propre métabolisme. " C’est l’une des caractéristiques de quelque chose qui passe d’un endosymbionte à un organite ", explique Zehr. " Ils commencent à éjecter des morceaux d’ADN, et leurs génomes deviennent de plus en plus petits, et ils commencent à dépendre de la cellule mère pour que ces produits génétiques soient transportés dans la cellule ".

Un potentiel pour une production d’azote plus durable

Les chercheurs estiment que les nitroplastes ont évolué il y a environ 100 millions d’années. Comme l’UCYN-A est présente dans presque tous les océans du monde, elle est probablement impliquée dans le cycle de l’azote atmosphérique. Cette découverte pourrait avoir d’importantes implications pour l’agriculture, le procédé industriel utilisé actuellement pour convertir l’azote atmosphérique en ammoniac (procédé Haber-Bosch) étant très énergivore. Ce dernier permet notamment d’assurer 50 % de la production alimentaire mondiale et est responsable d’environ 1,4 % des émissions carbone.

Toutefois, de nombreuses questions restent sans réponse concernant le nitroplaste et son hôte algal. En prochaine étape, les chercheurs prévoient ainsi de déterminer s’il est présent dans d’autres cellules ainsi que les effets que cela pourrait avoir. Cela pourrait permettre d’intégrer directement la fixation de l’azote dans les plantes de sorte à améliorer les récoltes. 



 

Auteur: Internet

Info: https://trustmyscience.com/ - Valisoa Rasolofo & J. Paiano·19 avril 2024

[ symbiogénétique ]

 

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fausse viande

La Décroissance : Pour vous, l'abolition de l'élevage fait le jeu du capital : il y a une collusion d'intérêts entre ceux qui la prônent et la science, l'industrie, les start-up des biotechnologies, les investisseurs qui se saisissent du marché en plein essor des substituts alimentaires...

Jocelyne Porcher: [...] Ce qui se développe aujourd'hui, le véganisme, la revendication d'en finir avec l'élevage, cela sert des intérêts économiques. L'agriculture cellulaire qui arrive, en collusion avec les défenseurs des animaux au nom d'une agriculture sans élevage, s'inscrit dans la continuité du processus d'industrialisation de la production alimentaire. On passe de la production de matière animale à partir d'animaux à la production de matière animale sans les animaux, avec les mêmes acteurs : c'est-à-dire la science, l'industrie, la banque. [...] Avec l'agriculture cellulaire, on change le niveau d'extraction : au lieu d'extraire la matière animale à partir de la vache, du cochon, etc., l'extraction se fait à un niveau plus resserré, au niveau de la cellule. On est bien dans la même logique de pensée, complètement inscrite dans le système capitaliste. Ce qui explique à la fois le soutien financier accordé aux associations véganes, type L214, qui reçoit directement de l'argent d'une fondation américaine et qui a une surface médiatique sans commune mesure avec ce qu'elle fait réellement, c'est-à-dire de la communication au service d'une agriculture sans élevage. [...]

LD : En quoi consiste la viande "propre" que les start-up veulent produire ?

JP : Mark Prost, un des premiers biologistes a avoir travaillé là-dessus, celui qui a présenté le premier hamburger in vitro en 2013, disait : "La viande in vitro est 100% naturelle, la seule différence c'est qu'elle est produire en dehors de la vache..." C'est ça l'idée: ils considèrent que la vache, ce n'est que de la ressource de matière animale. [...] L'idée de certaines start-up, c'est de faire l'équivalent du produit industriel en se passant d'animaux : selon eux, la multiplication de cellules de poulet va donner la même chose que le poulet qu'on achète actuellement dans les supermarchés, au moins visuellement...

LD: On a l'impression qu'ils n'en sont qu'au stade expérimental. Ce marché est-il appelé à grandir ?

JP: [...] Il y a des milliards investis là-dedans, des dizaines de start-up qui se développent, le potentiel du marché est énorme, non seulement en ce qui concerne la viande in vitro, mais aussi l'ensemble des substituts: le faux lait, les faux oeufs, le faux cuir... le faux tout. D'un point de vue technique, ce qu'on réussit à faire dans un incubateur, on peut réussir à le faire dans cent incubateurs. [...] Après il y a le volet sanitaire : ce sera peut-être un peu plus compliqué de garantir l'innocuité de ces produits. Mais aux Etats-Unis, cette viande in vitro est déjà autorisée à la vente, comme si c'était un produit ordinaire. La deuxième limite, c'est le consentement des gens à manger ces produits. C'est pourquoi, en plus de l'aspect production, les start-up des biotechnologies font un travail de fond pour préparer les consommateurs, construire la demande. De ce point de vue, des associations comme Peta aux Etats-Unis, L214 en France et Gaïa en Belgique, préparent vraiment le terrain pour que le marché des substituts se développe.

LD: Pour vendre ces substituts, l'industrie des biotechnologies affirme qu'elle oeuvre pour un monde meilleur. Vous, au contraire, vous montrez qu'elle signe le triomphe de la société industrielle et technicienne.

JP : Non seulement c'est l'industrialisation complète du vivant, mais c'est aussi la réduction de la vie au vivant. [...] On produit un amas de cellules qui se multiplient, c'est du vivant biologique, mais il n'y a pas de vie. C'est effectivement le triomphe de la technique, en tant qu'elle est complètement mortifère. Je le dis en citant Michel Henry, qui l'explique dans son livre La Barbarie : le triomphe de la technique sur la vie, c'est une destruction de la vie même, des affects, de la culture, du lien, de tout ce qui fait que la vie, c'est autre chose que du vivant.

LD: Le mouvement de la "libération animale" a l'air plus implanté dans les métropoles que dans les campagnes. Est-ce que vous pensez que ce type de préoccupation relève d'une civilisation très urbanisée comme l'est la nôtre, hors-sol, où on n'a plus de contact avec la terre, l'élevage et la production alimentaire en général ?

JP : Quand on est dans un milieu rural où il y a encore des vaches dans les champs, où les gens peuvent encore croiser des agriculteurs, des éleveurs, avoir un rapport à la vie et à la mort, les revendications d'en finir avec l'élevage passent beaucoup moins facilement que dans un milieu urbain, où les gens sont complètement déconnectés de la production, de ce que c'est qu'un champ, une prairie, de ce qui fait la relation de travail entre les humains et les animaux, et plus largement entre les agriculteurs et la nature. [...] Toute la propagande abolitionniste leur dit qu'élevage et production animale, c'est pareil. Ils sont dans la compassion, l'émotion. Des visions d'animaux maltraités leur arrivent sur leurs smartphones, et ils ont des réactions binaires : "la viande c'est mal, c'est affreux, je n'en mange plus." [...]

LD: Marx ironisait au XIXe sur les bourgeois qui se préoccupaient de protection animale mais qui ne se souciaient pas de la dégradation des conditions de vie dans les cités industrielles. Dans votre livre, vous notez aussi qu'une certaine protection animale, contemporaine de l'industrialisation et de l'urbanisation, parle de "bien-être animal" en dépolitisant la question.

JP : C'est aussi ce qu'a souligné l'historien Maurice Agulhon à la suite de Marx : le fait qu'au XIXe siècle, la protection animale vise d'abord à pacifier les classes populaires, avec l'hypothèse que la violence commise envers les animaux est de leur fait, et qu'au-delà couve le risque d'une violence contre l'ordre social, contre la bourgeoisie. Toute cette bourgeoisie, qui tient les transformations sociales, veut pacifier les mœurs après les révolutions de 1830 et 1848. Et l'un de ses moyens, c'est de pacifier les rapports envers les animaux, avec l'idée qu'il y a une violence atavique des classes populaires contre les animaux, que les gens ordinaires sont des brutes épaisses qu'il faudrait maîtriser, former, éduquer, civiliser. La loi Grammont, votée en 1850, [...] condamne le cocher qui malmène son cheval, mais pas le bourgeois propriétaire de la mine où descendent des chevaux et des enfants. On condamne la violence des personnes, des paysans, des ouvriers, mais on ne remet pas en cause les énormes bouleversements qu'engendre l'industrialisation [...] : la violence inouïe contre les enfants, les femmes et les hommes, mais aussi contre les animaux qui sont tous prolétarisés. Aujourd'hui, les défenseurs du "bien-être animal" sont toujours dans cette vision individuelle et dépolitisée : il suffit de voir une association comme PETA appeler à éduquer les gens, les rendre moraux, en leur donnant de la viande in vitro s'ils tiennent absolument à en manger, alors qu'elle occulte complètement les rapports sociaux et l'organisation du travail pensée par la bourgeoisie. Pourtant, la question, c'est bien la place des animaux dans les rapports sociaux, la violence faite aussi bien aux humains qu'aux animaux. Dans les porcheries industrielles par exemple, les gens subissent les mêmes conditions de vie au travail que les bêtes : on est enfermé du matin au soir, dans la poussière, le bruit, les odeurs infectes, c'est le même univers concentrationnaire pour les uns et pour les autres.

Auteur: Porcher Jocelyne

Info: Dans "La décroissance" N°165, décembre 2019, pages 26-27

[ enjeux économiques ] [ lobbies ] [ nourriture ]

 
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Ajouté à la BD par Coli Masson

univers inversé

Les possibilités métagénomiques

Une infime fraction - la plupart des scientifiques estiment <1% - des espèces microbiennes sur Terre peut être cultivée et étudiée à l'aide de techniques classiques de microbiologie et de génomique. Mais en utilisant des outils de métagénomique récemment développés, les chercheurs appliquent l'analyse génomique à des communautés microbiennes entières à la fois, sans avoir à isoler et à cultiver des espèces individuelles. Les études de métagénomique commencent par obtenir un échantillon d'un environnement particulier tel que l'eau de mer, le sol ou l'intestin humain, en extrayant le matériel génétique de tous les organismes de l'échantillon, puis en analysant l'ADN de ce mélange pour mieux comprendre comment les membres de la communauté interagir, changer et exécuter des fonctions complexes.

Processus : la métagénomique consiste à obtenir l'ADN de tous les micro-organismes d'une communauté, sans nécessairement identifier toutes les espèces impliquées. Une fois les gènes séquencés et comparés aux séquences identifiées, les fonctions de ces gènes peuvent être déterminées.

Parce qu'elle ne dépend pas de l'établissement de cultures pures, la métagénomique offre l'accès à des millions d'espèces microbiennes qui auparavant ne pouvaient pas être étudiées. Il permet également aux chercheurs d'examiner les micro-organismes dans le contexte des environnements dans lesquels ils existent naturellement, en étudiant des communautés entières en même temps.

Applications de la métagénomique

Pratiquement tous les biologistes, quel que soit leur domaine, découvriront qu'une meilleure compréhension des communautés microbiennes et de la métagénomique peut contribuer à leurs propres recherches. L'étude des communautés microbiennes par la métagénomique peut aider les biologistes à s'attaquer à des questions scientifiques fondamentales et à résoudre les problèmes sociaux, environnementaux et économiques connexes. Voici quelques-unes des applications potentielles de la métagénomique :

Avancées des sciences de la vie.

Décrypter le fonctionnement et l'interaction des espèces au sein des communautés microbiennes peut répondre en partie à des questions fondamentales sur de nombreux aspects de la biologie microbienne, végétale et animale et améliorer considérablement la compréhension de l'écologie et de l'évolution. La métagénomique pourrait aider à répondre à des questions telles que : Qu'est-ce qui constitue un génome ? Qu'est-ce qu'une espèce ? Quelle est la diversité de la vie ?

Sciences de la Terre.

L'exploration de la manière dont les communautés microbiennes du sol et des océans affectent les équilibres atmosphériques et les conditions environnementales peut aider les scientifiques à mieux comprendre, prévoir et potentiellement faire face aux changements mondiaux.

Médicament.

Des centaines de médicaments disponibles aujourd'hui sont dérivés de produits chimiques trouvés pour la première fois dans des microbes ; l'accès aux génomes d'espèces microbiennes supplémentaires est très prometteur pour en découvrir des milliers d'autres. L'étude du "microbiome" humain – les milliers de milliards de bactéries vivant dans et sur le corps humain – peut conduire à de nouvelles façons de diagnostiquer, de traiter et de prévenir les maladies.

Énergie alternative.

De nouvelles sources d'énergie pourraient être développées en exploitant le pouvoir des communautés microbiennes pour produire des sous-produits tels que l'hydrogène, le méthane, le butanol et même le courant électrique.

Assainissement de l'environnement.

Comprendre les microbes qui dégradent les produits chimiques environnementaux peut aider à nettoyer des polluants tels que les fuites d'essence, les déversements de pétrole, les eaux usées, les rejets industriels et les déchets nucléaires.

Biotechnologie.

L'identification et l'exploitation des capacités biosynthétiques polyvalentes et diverses des communautés microbiennes peuvent conduire au développement de nouveaux produits industriels, alimentaires et de santé bénéfiques.

Agriculture.

Mieux comprendre les microbes bénéfiques vivant dans, sur, sous et autour des plantes et des animaux domestiques peut contribuer à améliorer les méthodes de détection des agents pathogènes dans les cultures, le bétail et les produits alimentaires et peut faciliter le développement de pratiques agricoles qui tirent parti des les alliances naturelles entre les microbes, les plantes et les animaux.

Biodéfense et médecine légale microbienne.

L'étude de l'ADN et des empreintes biochimiques des communautés microbiennes aide les spécialistes à surveiller les agents pathogènes connus et potentiels, à créer des vaccins et des traitements plus efficaces contre les agents bioterroristes potentiels et à reconstruire les événements dans lesquels les microbes ont joué un rôle.

Valeur de la métagénomique pour l'enseignement de la biologie

La citation de Muir a également une pertinence importante pour l'enseignement des sciences. Qu'est-ce qui sépare la chimie, la génétique, la biologie moléculaire, l'évolution, l'écologie et d'autres disciplines ? Où se croisent-elles et comment se construisent-elles les unes sur les autres ?

La métagénomique aide à combler le fossé entre la génétique et l'écologie, démontrant que les gènes d'un seul organisme sont connectés aux gènes des autres et à l'ensemble de la communauté. En fait, les processus de la métagénomique démontrent qu'il est important d'étudier les gènes et les organismes en contexte et d'apprécier toute la diversité de la vie, même dans un seul cadre. Ces messages ont une pertinence importante dans l'ensemble de la biologie et seraient des ajouts précieux à n'importe quel cours de biologie, peut-être en particulier ceux du niveau d'introduction.

Parce que la métagénomique s'inspire d'un large éventail de domaines et les affecte, c'est un outil précieux pour enseigner des thèmes et des concepts qui sont tissés tout au long de l'enseignement de la biologie. En effet, l'enseignement et l'apprentissage de la métagénomique pourraient clairement intégrer les types de changements dans l'enseignement des sciences de la maternelle à la 12e année et du premier cycle que de nombreux rapports ont demandé au cours de la dernière décennie.

Certains professeurs estiment qu'ils doivent utiliser des cours d'introduction pour fournir aux étudiants pratiquement toutes les connaissances qu'ils utiliseront pour comprendre les concepts de base d'une discipline. Certains considèrent également les cours d'introduction comme un moyen d'aider les étudiants à apprendre à interpréter les nouvelles et autres informations sur la science afin qu'ils puissent prendre des décisions plus éclairées à la maison, chez le médecin et dans l'isoloir. Trop souvent, cependant, de tels cours ne parviennent pas à transmettre la beauté complexe du monde vivant et les innombrables façons dont la biologie a un impact sur la "vraie vie". L'apprentissage de la métagénomique au niveau introductif - en mettant l'accent sur ses applications potentielles dans le monde réel - pourrait servir à éclairer les principes de base d'une grande variété de domaines, les liens entre eux et la pertinence plus large des avancées scientifiques pour les problèmes du monde réel. Si les étudiants peuvent voir qu'il y a vraiment des questions non résolues intéressantes auxquelles ils peuvent jouer un rôle pour répondre, le recrutement de jeunes talentueux pour les carrières scientifiques peut être facilité. De cette façon, les élèves rencontreront une science dynamique plutôt que statique.

LES BÉNÉFICES DE L'INTÉGRATION DE L'ÉDUCATION ET DE LA RECHERCHE

Les avantages de l'intégration précoce de la métagénomique et d'autres sciences nouvelles dans l'enseignement de la biologie profiteraient non seulement aux étudiants en biologie, mais aussi aux scientifiques et à leurs projets de recherche. L'expérience montre que lorsque les chercheurs enseignent, leur propre compréhension s'approfondit, menant à de nouvelles questions et pistes de recherche souvent inattendues qui sont posées par les étudiants, ainsi qu'à contribuer au développement d'approches créatives des problèmes. Si la communauté de la biologie peut intégrer l'enseignement de la métagénomique aux progrès de la recherche dès le départ, les étudiants pourraient devenir des participants actifs au développement du domaine.

Enseigner un domaine nouveau ou émergent est un moyen idéal d'engager profondément les étudiants dans l'exploration de questions fondamentales qui sont au cœur de la poursuite scientifique et de les encourager à poser leurs propres questions. En effet, dans le cas du domaine émergent de la métagénomique, les questions les plus fondamentales peuvent être les plus profondes. Répondre à ces questions inspire à son tour les jeunes esprits et les chercheurs actifs, et la science est bénéfique. 

D'autres ont vu l'intérêt d'intégrer la science émergente à l'éducation. Un certain nombre d'efforts sont actuellement en cours pour intégrer la recherche et l'enseignement en génomique.

Auteur: Internet

Info: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/ Metagenomics: A Call for Bringing a New Science into the Classroom (While It's Still New) Anne Jurkowski,* Ann H. Reid,† and Jay B. Labovcorresponding author

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laisser-aller

Une polémique contre notre culture de surmenage et un manifeste d'être plutôt que de faire... Apprenons des paresseux.

En 1765, Jean-Jacques Rousseau passa deux mois sur une île suisse à se consacrer à "mon précieux farniente" (ne rien faire). Il traînait, ramassait des plantes, dérivait dans un bateau, s'asseyait pendant des heures pour une "Délicieuse rêverie.. Plaisamment conscient de mon existence sans me soucier de ma pensée" : une oisiveté qu'il qualifia plus tard de "bonheur le plus complet et parfait" de sa vie.

Rousseau est l'un des héros de Not Working, avec Thoreau, Emily Dickinson et un lapin nommé Rr dont Josh Cohen s'est brièvement occupé. Le livre s'ouvre sur Rr qui se balade autour de son clapier, sa sérénité insensée déclenchant chez Cohen une reconnaissance empathique de son propre "vide secret et clos", ses fréquents accès de "rêverie lapine". Comme Rousseau sur son île, Rr ne fait pas, il est, tout simplement. Sa passivité interpelle Cohen qui, à différents moments de son livre, se décrit lui-même comme un slob, un fainéant, un feignant. Enfant, on le réprimandait régulièrement pour sa paresse ; à l'âge adulte, chaque jour lui apporte son moment de farniente : "Ça arrive souvent la nuit, quand je suis affalé sur le canapé... mon livre repose face contre terre, mes chaussures enlevées ; à côté de moi se trouvent deux télécommandes, un bol de cacahuètes et une bouteille de bière à moitié vide...

Sortir de cette léthargie... Ressemble à un trouble physique, métaphysique même, une violation de la justice cosmique..." "Pourquoi devrais-je ?" La protestation enfantine est désarmante ; on s'imagine lapin intérieur de Cohen attaché à un tapis roulant ou, pire encore, transformé en lapin très différent : le lapin Duracell, dont le "mouvement d'horloge" et le "sourire aux yeux morts" en font le symbole parfait de l'acharnement de la vie moderne, sa "nerveuse et constante contrainte à agir" que Cohen n'aime pas et à laquelle il résiste.

Not Working est une polémique contre notre culture du surmenage et une méditation sur ses alternatives. "Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ?" Cohen est psychanalyste. Chaque jour son cabinet de consultation résonne d'histoires d'activité ininterrompue, d'épuisement, de dépression, de "fantasmes d'une cessation complète de l'activité". Certains de ces conteurs apparaissent dans le livre, soigneusement déguisés, en compagnie d'une foule d'autres anti-travailleurs, réels et fictifs, dont le philosophe grec Pyrrho, Homer Simpson et Cohen lui-même à différents moments de sa vie. La distribution est majoritairement masculine, regroupée en quatre "types inertiels" : le burnout, le slob (fuyard), le rêveur, le fainéant. Certains s'enfoncent dans l'inertie, d'autres, comme Cohen, y sombrent.

Il s'avère que tous sont prennent des risques, car "en résistant au travail... chacun de ces types est susceptible de tomber dans une ou plusieurs impasses" : lassitude débilitante, dépression, solitude, ennui. Le farniente, en d'autres termes, a son prix, qui peut être très élevé pour certaines personnes, y compris trois hommes dont Cohen souligne les histoires - Andy Warhol, Orson Welles et David Foster Wallace.

Warhol aspirait à ce que les stoïciens appelaient l'apathie (l'absence de passion), une nostalgie qui se traduisait par un engourdissement mécanique, un état de "ne rien être et ne rien ressentir", avec laquelle alternaient de féroces et mécaniques activités, suivies d'un effondrement inertiel : un lapin Duracell avec des batteries à plat. Welles combinait des efforts herculéens avec de longues retraites dans son lit, qui devinrent de plus en plus fréquentes à mesure que son corps et son esprit cédaient sous son style de vie de fou. L'éblouissante carrière littéraire de Foster Wallace fut ponctuée de périodes où il s'effondrait devant la télévision aux prises avec une dépression aiguë : torpeur mortelle qui prit fin par son suicide.

Cohen qualifie ces hommes différemment (Warhol le burnout, Welles le reveur, Foster Wallace le fainéant) mais ce qui frappe chez les trois, c'est comment cette fuite de l'hyperactivité vers l'inertie autodestructrice implique un mouvement vers une solitude radicale, farniente de cancéreux en isolement. La solitude fut longtemps associée à l'énervement dépressif. On disait des solitaires spirituels médiévaux qu'ils souffraient d'acédie, une paresse mélancolique de l'esprit et du corps. "Ne soyez pas solitaire, ne restez pas inactif ", conseille Robert Burton, un érudit du XVIIe siècle, dans The Anatomy of Melancholy (1621), un ouvrage extrêmement influent. La psychiatrie moderne considère la réclusivité comme pathologique et de nombreux collègues psychanalystes de Cohen sont du même avis. Il s'en défend, se tournant plutôt vers la tradition alternative de la Renaissance, qui valorise la solitude comme lieu de création.

L'analyste d'après-guerre Donald Winnicott fut un éloquent porte-parole de cette tradition. Pour Winnicott, - la créativité dépendait du maintien du contact avec le "point mort et silencieux" au cœur de la psyché - Cohen prend pour exemple la célèbre recluse Emily Dickinson, qui se retira de la société pour les "infinies limites de sa propre chambre et de son cerveau" et qui produisit une poésie à l'éclatante originalité". Renonçant à l'amour sexuel et au mariage pour l'"intimité polaire" de sa vie intérieure, "elle ne faisait rien" aux yeux du monde, alors que dans son propre esprit, elle "faisait tout", voyageant sans peur jusqu'aux extrêmes de l'expérience possible.

Dans une brillante série de textes, Cohen montre comment ce voyage intrépide a produit une poésie qui se déplace entre des images bouleversantes d'acédie et des évocations extatiques du désir non consommé, la "gloire privée et invisible" de Dickinson. Le rêve et les produits du rêve l'emportent sur l'actualité contraignante. "Pour Dickinson, rêvasser n'était pas une retraite dans l'inactivité, mais le socle de la plus haute vocation." La manière dont Cohen traite Dickinson est révélatrice. Les lâches et autres fainéants qui peuplent Not Working sont des hommes selon son cœur, mais c'est l'artiste qui est son ideal, qui dédaigne la vie du monde réel ("prose" était l'étiquette méprisante de Dickinson pour cela) au bénéfice de la vie de l'imagination.

Une artiste "ne fait rien", ne produit rien "d'utile", elle incarne en cela la "dimension sabbatique de l'être humain", la partie la plus riche de nous-mêmes. Mais est-ce que cela fait de l'artiste un "type de poids mort" ? Dans ses Confessions, Rousseau écrit "L'oisiveté que j'aime n'est pas celle du fainéant qui reste les bras croisés dans une totale inactivité", mais "celle de l'enfant sans cesse en mouvement". Le jeu n'est pas non plus un travail, mais il est tout sauf inerte. Pour Winnicott, le jeu était expérience la créative primordiale, la source de toute créativité adulte. Cohen est passionné par Winnicott, il est donc intéressant qu'il n'en parle pas, contrairement à Tracey Emin qui, lors d'une interview en 2010, décrivit les jeux d'enfants comme la source de son art.

Dans une discussion éclairante de sur My Bed d'Emin, Cohen fait l'éloge de l'œuvre pour sa représentation puissante de "l'inertie et de la lassitude". Mais contrairement à l'inertie des hommes dont il parle, Emin elle-même semble aller de force en force. Jouer est-il le secret ? Emin et Dickinson sont parmi les rares femmes qui apparaissent dans Not Working. Nous apprenons quand à leur représentation artistique de l'inertie féminine, mais sans rencontrer de femme paresseuse ou feignante. Alors que font-elle pendant que les hommes paressent ?

En regardant de plus près les paresseux préférés de Cohen - Rousseau, Thoreau, Homer Simpson - nous avons un indice. Les jours de farniente de Rousseau sont ponctués par les repas préparés par sa femme. La lessive de Thoreau était faite par sa mère. Marge Simpson fait le ménage pendant qu'Homer boit de la bière devant la télé. Quel genre de révolution faudrait-il pour mettre Marge devant la télé pendant que Homer nettoie la cuisine ? La lutte contre le surmenage existe depuis des siècles (rejointe plus récemment par des protestations féministes contre le "double travail"). Il en va de même pour les luttes pour un travail décent, décemment rémunéré, luttes que Cohen et moi aimons tous deux.

Pourtant, aujourd'hui, dans la vie réelle, les Marges se précipitent toujours de leur maison vers leur emploi au salaire minimum chez Asda. Les Homer enquillent des 12 heures de travail à la suite pour Uber. Et s'ils s'épuisent, comme beaucoup ils se retrouvent souvent dans les banques alimentaires. Que faire à ce sujet ? "Idiorythmie" était le terme de Roland Barthes pour vivre selon ses propres rythmes intérieurs, sans contrainte. Cohen veut qu'on imagine ce que serait une telle vie. Il est sceptique quand aux propositions "pour changer ça", qui n'y parviennent jamais, soutenant que si "les objectifs de la justice juridique, politique et économique ne s'occupent plus de la question de savoir ce qui fait qu'une vie vaut la peine d'être vécue, ils sont susceptibles de devenir des trucs en plus sur la déjà longue liste des choses à faire sans joie...".

Parallèlement aux droits liés au travail, nous avons besoin d'un droit au non travail, a-t-il affirmé récemment. C'est un argument utopique et pas pire pour autant, même affaibli par un rejet ironique de toute action politique en faveur du relâchement et de la paresse. Cependant Not Working n'est pas un manifeste révolutionnaire. Il s'agit plutôt d'une ré-imagination très personnelle et éloquente de nos vies en tant qu'espace de farniente dans toute son idiosyncrasie sans entraves, et d'un rappel précieux du prix exorbitant d'une existence de lapin Duracell.

Auteur: Taylor Bradford Barbara

Info: critique de "Not Working" de Josh Cohen - les bienfaits de l'oisiveté. https://www.theguardian.com. 12 janv. 2019

[ créativité ] [ insouciance ] [ flemme ] [ écrivain-sur-écrivains ] [ femmes-hommes ]

 

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consumérisme

La pornographie c’est ce à quoi ressemble la fin du monde
"Cinquante nuances de Grey", le livre comme le film, est une glorification du sadisme qui domine quasiment tous les aspects de la culture américaine et qui repose au coeur de la pornographie et du capitalisme mondial. Il célèbre la déshumanisation des femmes. Il se fait le champion d’un monde dépourvu de compassion, d’empathie et d’amour. Il érotise le pouvoir hypermasculin à l’origine de l’abus, de la dégradation, de l’humiliation et de la torture des femmes dont les personnalités ont été supprimées, dont le seul désir est de s’avilir au service de la luxure mâle. Le film, tout comme "American Sniper", accepte inconditionnellement un monde prédateur où le faible et le vulnérable sont les objets de l’exploitation tandis que les puissants sont des demi-dieu violents et narcissiques. Il bénit l’enfer capitaliste comme naturel et bon.

"La pornographie", écrit Robert Jensen, "c’est ce à quoi ressemble la fin du monde."

Nous sommes aveuglés par un fantasme auto-destructeur. Un éventail de divertissements et de spectacles, avec les émissions de télé "réalité", les grands évènements sportifs, les médias sociaux, le porno (qui engrange au moins le double de ce que génèrent les films hollywoodiens), les produits de luxe attirants, les drogues, l’alcool et ce Jésus magique, nous offre des issues de secours — échappatoires à la réalité — séduisantes. Nous rêvons d’être riches, puissants et célèbres. Et ceux que l’on doit écraser afin de construire nos pathétiques petits empires sont considérés comme méritants leurs sorts. Que la quasi-totalité d’entre nous n’atteindra jamais ces ambitions est emblématique de notre auto-illusionnement collectif et de l’efficacité de cette culture submergée par manipulations et mensonges.

Le porno cherche à érotiser le sadisme. Dans le porno les femmes sont payées pour répéter les mantras "Je suis une chatte. Je suis une salope. Je suis une pute. Je suis une putain. Baise moi violemment avec ta grosse bite." Elles demandent à être physiquement abusées. Le porno répond au besoin de stéréotypes racistes dégradants. Les hommes noirs sont des bêtes sexuelles puissantes harcelant les femmes blanches. Les femmes noires ont une soif de luxure brute, primitive. Les femmes latinos sont sensuelles et ont le sang chaud. Les femmes asiatiques sont des geishas dociles, sexuellement soumises. Dans le porno, les imperfections humaines n’existent pas. Les poitrines siliconées démesurées, les lèvres pulpeuses gonflées de gel, les corps sculptés par des chirurgiens plastiques, les érections médicalement assistées qui ne cessent jamais et les régions pubiennes rasées — qui correspondent à la pédophilie du porno — transforment les exécutants en morceaux de plastique. L’odeur, la transpiration, l’haleine, les battements du cœur et le toucher sont effacés tout comme la tendresse. Les femmes dans le porno sont des marchandises conditionnées. Elles sont des poupées de plaisir et des marionnettes sexuelles. Elles sont dénuées de leurs véritables émotions. Le porno n’a rien à voir avec le sexe, si on définit le sexe comme un acte mutuel entre deux partenaires, mais relève de la masturbation, une auto-excitation solitaire et privée d’intimité et d’amour. Le culte du moi — qui est l’essence du porno — est au cœur de la culture corporatiste. Le porno, comme le capitalisme mondial, c’est là où les êtres humains sont envoyés pour mourir.

Il y a quelques personnes à gauche qui saisissent l’immense danger de permettre à la pornographie de remplacer l’intimité, le sexe et l’amour. La majorité de la gauche pense que la pornographie relève de la liberté d’expression, comme s’il était inacceptable d’exploiter financièrement et d’abuser physiquement une femme dans une usine en Chine mais que le faire sur un lieu de tournage d’un film porno était acceptable, comme si la torture à Abu Ghraib — où des prisonniers furent humiliés sexuellement et abusés comme s’ils étaient dans un tournage porno — était intolérable, mais tolérable sur des sites de pornographies commerciaux.

Une nouvelle vague de féministes, qui ont trahi l’ouvrage emblématique de radicales comme Andrea Dworkin, soutiennent que le porno est une forme de libération sexuelle et d’autonomisation. Ces "féministes", qui se basent sur Michel Foucault et Judith Butler, sont les produits attardés du néolibéralisme et du postmodernisme. Le féminisme, pour eux, ne relève plus de la libération de la femme opprimée; il se définit par une poignée de femmes qui ont du succès, sont riches et puissantes — où, comme c’est le cas dans "cinquante nuances de grey", capables d’accrocher un homme puissant et riche. C’est une femme qui a écrit le livre "Cinquante nuances", ainsi que le scénario du film. Une femme a réalisé le film. Une femme dirigeante d’un studio a acheté le film. Cette collusion des femmes fait partie de l’internalisation de l’oppression et de la violence sexuelle, qui s’ancre dans le porno. Dworkin l’avait compris. Elle avait écrit que "la nouvelle pornographie est un vaste cimetière où la Gauche est allée mourir. La Gauche ne peut avoir ses prostituées et leurs politiques."

J’ai rencontré Gail Dines, l’une des radicales les plus prééminentes du pays, dans un petit café à Boston mardi. Elle est l’auteur de "Pornland: Comment le porno a détourné notre sexualité" (“Pornland: How Porn Has Hijacked Our Sexuality”) et est professeure de sociologie et d’études féminines à l’université de Wheelock. Dines, ainsi qu’une poignée d’autres, dont Jensen, dénoncent courageusement une culture aussi dépravée que la Rome de Caligula.

"L’industrie du porno a détourné la sexualité d’une culture toute entière, et dévaste toute une génération de garçons", nous avertit elle. "Et quand vous ravagez une génération de garçons, vous ravagez une génération de filles."

"Quand vous combattez le porno vous combattez le capitalisme mondial", dit-elle. "Les capitaux-risqueurs, les banques, les compagnies de carte de crédit sont tous partie intégrante de cette chaine alimentaire. C’est pourquoi vous ne voyez jamais d’histoires anti-porno. Les médias sont impliqués. Ils sont financièrement mêlés à ces compagnies. Le porno fait partie de tout ceci. Le porno nous dit que nous n’avons plus rien d’humains — limite, intégrité, désir, créativité et authenticité. Les femmes sont réduites à trois orifices et deux mains. Le porno est niché dans la destruction corporatiste de l’intimité et de l’interdépendance, et cela inclut la dépendance à la Terre. Si nous étions une société d’être humains entiers et connectés en véritables communautés, nous ne supporterions pas de regarder du porno. Nous ne supporterions pas de regarder un autre être humain se faire torturer."

"Si vous comptez accumuler la vaste majorité des biens dans une petite poignée de mains, vous devez être sûr d’avoir un bon système idéologique en place qui légitimise la souffrance économique des autres", dit elle. "Et c’est ce que fait le porno. Le porno vous dit que l’inégalité matérielle entre femmes et hommes n’est pas le résultat d’un système économique. Que cela relève de la biologie. Et les femmes, n’étant que des putes et des salopes bonnes au sexe, ne méritent pas l’égalité complète. Le porno c’est le porte-voix idéologique qui légitimise notre système matériel d’inégalités. Le porno est au patriarcat ce que les médias sont au capitalisme."

Pour garder excités les légions de mâles facilement ennuyés, les réalisateurs de porno produisent des vidéos qui sont de plus en plus violentes et avilissantes. "Extreme Associates", qui se spécialise dans les scènes réalistes de viols, ainsi que JM Productions, mettent en avant les souffrances bien réelles endurées par les femmes sur leurs plateaux. JM Productions est un pionnier des vidéos de "baise orale agressive" ou de "baise faciale" comme les séries "étouffements en série", dans lesquelles les femmes s’étouffent et vomissent souvent. Cela s’accompagne de "tournoiements", dans lesquels le mâle enfonce la tête de la femme dans les toilettes puis tire la chasse, après le sexe. La compagnie promet, "toutes les putes subissent le traitement tournoyant. Baise la, puis tire la chasse". Des pénétrations anales répétées et violentes entrainent des prolapsus anaux, une pathologie qui fait s’effondrer les parois internes du rectum de la femme et dépassent de son anus. Cela s’appelle le "rosebudding". Certaines femmes, pénétrées à de multiples reprises par nombre d’hommes lors de tournages pornos, bien souvent après avoir avalé des poignées d’analgésiques, ont besoin de chirurgie reconstructrices anales et vaginales. Les femmes peuvent être affectées par des maladies sexuellement transmissibles et des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Et avec la démocratisation du porno — certains participants à des vidéos pornographiques sont traités comme des célébrités dans des émissions comme celles d’Oprah et d’Howard Stern — le comportement promu par le porno, dont le strip-tease, la promiscuité, le sadomasochisme et l’exhibition, deviennent chic. Le porno définit aussi les standards de beauté et de comportements de la femme. Et cela a des conséquences terribles pour les filles.

"On dit aux femmes qu’elles ont deux choix dans notre société", me dit Gail Dines. "Elles sont soit baisables soit invisibles. Être baisable signifie se conformer à la culture du porno, avoir l’air sexy, être soumise et faire ce que veut l’homme. C’est la seule façon d’être visible. Vous ne pouvez pas demander aux filles adolescentes, qui aspirent plus que tout à se faire remarquer, de choisir l’invisibilité."

Rien de tout ça, souligne Dines, n’est un accident. Le porno a émergé de la culture de la marchandise, du besoin de vendre des produits qu’ont les capitalistes corporatistes.

"Dans l’Amérique d’après la seconde guerre mondiale, vous avez l’émergence d’une classe moyenne avec un revenu disponible", explique-t-elle. "Le seul problème c’est que ce groupe est né de parents qui ont connu la dépression et la guerre. Ils ne savaient pas comment dépenser. Ils ne savaient qu’économiser. Ce dont [les capitalistes] avaient besoin pour faire démarrer l’économie c’était de gens prêts à dépenser leur argent pour des choses dont ils n’avaient pas besoin. Pour les femmes ils ont créé les séries télévisées. Une des raisons pour lesquelles les maisons style-ranch furent développées, c’était parce que [les familles] n’avaient qu’une seule télévision. La télévision était dans le salon et les femmes passaient beaucoup de temps dans la cuisine. Il fallait donc diviser la maison de façon à ce qu’elles puissent regarder la télévision depuis la cuisine. Afin qu’elle puisse être éduquée". [Via la télévision]

"Mais qui apprenait aux hommes à dépenser leur argent?" continue-t-elle. "Ce fut Playboy [Magazine]. Ce fut le génie de Hugh Hefner. Il comprit qu’il ne suffisait pas de marchandiser la sexualité, mais qu’il fallait sexualiser les marchandises. Les promesses de Playboy n’étaient pas les filles où les femmes, c’était que si vous achetez autant, si vous consommez au niveau promu par Playboy, alors vous obtenez la récompense, qui sont les femmes. L’étape cruciale à l’obtention de la récompense était la consommation de marchandises. Il a incorporé le porno, qui sexualisait et marchandisait le corps des femmes, dans le manteau de la classe moyenne. Il lui a donné un vernis de respectabilité."

Le VCR, le DVD, et plus tard, Internet ont permis au porno de s’immiscer au sein des foyers. Les images satinées de Playboy, Penthouse et Hustler devinrent fades, voire pittoresques. L’Amérique, et la majeure partie du reste du monde, se pornifia. Les revenus de l’industrie du mondiale du porno sont estimés à 96 milliards de $, le marché des USA comptant pour environ 13 milliards. Il y a, écrit Dines, "420 millions de pages porno sur internet, 4.2 millions de sites Web porno, et 68 millions de requêtes porno dans les moteurs de recherches chaque jour."

Parallèlement à la croissance de la pornographie, il y a eu explosion des violences liées au sexe, y compris des abus domestiques, des viols et des viols en réunion. Un viol est signalé toutes les 6.2 minutes aux USA, mais le total estimé, qui prend en compte les assauts non-rapportés, est peut-être 5 fois plus élevé, comme le souligne Rebecca Solnit dans son livre "Les hommes m’expliquent des choses".

"Il y a tellement d’hommes qui assassinent leurs partenaires et anciennes partenaires, nous avons bien plus de 1000 homicides de ce type chaque année — ce qui signifie que tous les trois ans le nombre total de morts est la première cause d’homicides relevés par la police, bien que personne ne déclare la guerre contre cette forme particulière de terreur", écrit Solnit.

Pendant ce temps-là, le porno est de plus en plus accessible.

"Avec un téléphone mobile vous pouvez fournir du porno aux hommes qui vivent dans les zones densément peuplées du Brésil et de l’Inde", explique Dines. "Si vous avez un seul ordinateur portable dans la famille, l’homme ne peut pas s’assoir au milieu du salon et se masturber. Avec un téléphone, le porno devient portable. L’enfant moyen regarde son porno sur son téléphone mobile".

L’ancienne industrie du porno, qui engrangeait de l’argent grâce aux films, est morte. Les éléments de la production ne génèrent plus de profits. Les distributeurs de porno engrangent la monnaie. Et un distributeur, MindGeek, une compagnie mondiale d’informatique, domine la distribution du porno. Le porno gratuit est utilisé sur internet comme appât par MindGeek pour attirer les spectateurs vers des sites de pay-per-view (paye pour voir). La plupart des utilisateurs de ces sites sont des adolescents. C’est comme, explique Dines, "distribuer des cigarettes à la sortie du collège. Vous les rendez accrocs."

"Autour des âges de 12 à 15 ans vous développez vos modèles sexuels", explique-t-elle. "Vous attrapez [les garçons] quand ils construisent leurs identités sexuelles. Vous les marquez à vie. Si vous commencez par vous masturber devant du porno cruel et violent, alors vous n’allez pas rechercher intimité et connectivité. Les études montrent que les garçons perdent de l’intérêt pour le sexe avec de véritables femmes. Ils ne peuvent maintenir des érections avec des vraies femmes. Dans le porno il n’y a pas de "faire l’amour". Il s’agit de "faire la haine". Il la méprise. Elle le dégoute et le révolte. Si vous amputez l’amour vous devez utiliser quelque chose pour remplir le trou afin de garder le tout intéressant. Ils remplissent ça par la violence, la dégradation, la cruauté et la haine. Et ça aussi ça finit par être ennuyeux. Il faut sans cesse surenchérir. Les hommes jouissent du porno lorsque les femmes sont soumises. Qui est plus soumis que les enfants? La voie du porno mène inévitablement au porno infantile. Et c’est pourquoi des organisations qui combattent le porno infantile sans combattre le porno adulte font une grave erreur."

L’abus inhérent à la pornographie n’est pas remis en question par la majorité des hommes et des femmes. Regardez les entrées du film "cinquante nuances de grey", qui est sorti la veille de la saint valentin et qui prévoit d’engranger plus de 90 millions de $ sur ce week-end de quatre jours (avec la journée du président de ce lundi).

"La pornographie a socialisé une génération d’hommes au visionnage de tortures sexuelles’, explique Dines. Vous n’êtes pas né avec cette capacité. Vous devez être conditionné pour cela. Tout comme vous conditionnez des soldats afin qu’ils tuent. Si vous voulez être violent envers un groupe, vous devez d’abord le déshumaniser. C’est une vieille méthode. Les juifs deviennent des youpins. Les noirs des nègres. Les femmes des salopes. Et personne ne change les femmes en salope mieux que le porno."

Auteur: Hedges Christopher Lynn

Info: truthdig.com, 15 février 2015

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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fascisme religieux

Mon père, l’Iran et les " musulmans modérés " 

Des jardins d’Isphahan aux rives de la Seine… Djahanguir Riahi, mon père, est né en 1914 à Natanz (Iran). Parti en France poursuivre des études d’ingénieur grâce à une bourse d’études, il se met au lendemain de la Seconde guerre mondiale au service des relations économiques Franco-iraniennes. Installé en Europe depuis la révolution islamique, son intuition artistique hors du commun lui a permis de réunir l’une des plus importantes collections d’œuvres d’art du XVIIIème siècle français. Il est mort dans sa centième année, le 28 avril 2014, après avoir été élevé au grade de Commandeur de La Légion d’Honneur ainsi que des Arts et des Lettres. Grand donateur des Musées Nationaux, une salle du Musée du Louvre porte son nom.

Il m’avait demandé d’écrire ce texte au lendemain des attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001, et de l’inclure dans ses mémoires, que je rédigeais alors pour lui.

" Nous n’avons pas le même rapport à la barbarie et à la mort. L’attraction publique la plus appréciée de la population, à Mashhad comme dans toutes les villes où s’est déroulée mon enfance, consistait à s’attrouper sur la grand’place pour y assister aux pendaisons. La cruauté des exécutions était inouïe.

J’avais été horrifié, un jour, d’apprendre la condamnation d’un homme et de ses six fils. Le bourreau avait reçu du tribunal islamique l’ordre monstrueux de ne pendre le père qu’après qu’il eut assisté à la mort de tous ses enfants. Agha Djoun[1] se disait convaincu de l’innocence de ce pauvre homme. Et moi, je me disais, du haut de mes douze ou treize ans, en voyant leurs vêtements souillés par l’urine et la merde : pourquoi font-ils ça, sinon pour anéantir par la terreur toute forme de dignité humaine, toute forme de respect de la mort et donc de la vie ?

La mort, on s’y familiarise comme on prend l’habitude de tout. Lorsqu’en suivant le chemin de l’école au petit jour on longe la place des pendus, quand on assiste à des exécutions sommaires et barbares, on finit par apprivoiser la mort. Mais cette insensibilisation, ou plus exactement cette désacralisation, vous semble inconcevable en occident. Parce que vous êtes élevés dans le respect de la vie sans penser que la mort en est l’inéluctable corollaire.

Comme si la vie pouvait " être " sans la mort. Cette naïveté, à laquelle s’ajoute la pédagogie de l’émotion, est le fondement de la culture occidentale contemporaine. L’émotion priorisée, l’émotion magnifiée. On vit sur ce registre depuis la seconde moité du XXème siècle, sans doute par imprégnation des tendances éducatives à la mode aux Etats-Unis au lendemain de la guerre. L’enfant est devenu le barycentre de la civilisation occidentale. Héritière de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, la pédagogie contemporaine pose le principe que l’Homme naît bon et que c’est la société qui le pervertit. De même, dans le souci maniaque de préserver la planète, les mouvements écologistes ont entamé une régression qui efface inexorablement les progrès de la civilisation. On n’élève plus les enfants pour en faire des adultes ; on fait des enfants pour retomber soi-même en enfance, pour retrouver la puérilité sublimée de l’enfance.

Les islamistes jouent de cette émotivité occidentale. Si la religion dont ils se servent est primitive, leur stratégie de conquête est extrêmement sophistiquée. Ils vous observent et vous analysent depuis la fin des années 1970. Ils ont fréquenté les mêmes écoles, les mêmes universités que les élites occidentales. Ils ont vu les mêmes spectacles, les mêmes films ; lu les mêmes articles dans les mêmes revues. Ils savent que votre sensibilité au respect de la vie, votre peur de la mort, votre fragilité mentale et votre compulsion à la culpabilité sur un terrain compassionnel constituent votre talon d’Achille. Vous êtes tombés dans un triple piège :

- Le piège de l’anxiété collective " individualisée ". Certes, les guerres ont toujours fait des victimes civiles ; mais au World Trade Center ou dans les avions, il n’y avait " que " des victimes civiles. Chacun pouvait se dire : j’aurais pu me trouver parmi elles. Cette angoisse est le principe même du terrorisme, que les techniques de communication actuelles permettent d’individualiser simultanément à des milliards de témoins de la scène.

- Le piège de la " victimisation " des assassins. Pendant une centaine d’années, l’Europe a plus ou moins colonisé le monde ; en particulier les terres d’Islam que sont le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique. L’Amérique a toujours été solidaire des puissances européennes, sans parler de son soutien constant à l’Etat d’Israël. Pendant toute la durée de ces conflits, les victimes se sont comptées par centaines de milliers du côté des indigènes, sans que cela n’émeuve grand monde. Aujourd’hui, les victimes sont dans l’autre camp et toute une partie de la planète n’éprouve nullement l’envie de pleurer sur leur sort, considérant que c’est un juste retour des choses.

Le piège enfin du " chahid ", le martyr, celui qui meurt pour témoigner, alors que vous, pauvres larves invertébrées, vous pleurnichez de trouille en chiant dans votre froc, tant la mort vous effraie. Et cet exhibition du « héros » a le double avantage d’impressionner les musulmans, qui respectent le courage par principe, et de faire peur aux incroyants comme aux non pratiquants.

Les motivations fondamentales d’Al Qaida, celles des Islamistes en général, sont politiques et ne sont pas religieuses. Parce que la religion musulmane est intrinsèquement et historiquement politique. Il n’y a pas d’équivalent. Ni les juifs, ni les bouddhistes ou les hindouistes, ni les chrétiens n’ont eu pour vocation première de guerroyer et de conquérir. Bien sûr qu’ils ont tous été amenés à prendre les armes à divers moments de leur histoire. Mais ce n’était pas l’amorce ni la genèse de leur projet. Il faut en être conscient.

Mohammed – ou Mahomet comme vous l’appelez en France – n’a pas cherché à " spiritualiser " ses contemporains ni à leur apporter des réponses philosophiques. Son objectif était très prosaïque : il a voulu les rendre plus efficaces au travail et au combat !

Avant de " faire prophète " il était caravanier et commerçant. Issu de la tribu des Quraych et de tradition hanifiste, c’est-à-dire monothéiste, le jeune homme était intelligent, ambitieux et séduisant. Il sut se rendre indispensable à sa patronne, Khadija, une riche veuve de 15 ans son aînée, qu’il épousa et à laquelle il fit six enfants. Ses contacts sur la route avec des juifs et des chrétiens lui permirent de constater les avantages de la morale judéo-chrétienne et l’efficacité, par 45° à l’ombre, des prescritions hygiéniques et alimentaires de la kashrout.

On connaît la suite : Gibril dans le rôle de l’Ange Gabriel transforma ces préceptes en révélation divine et donna à l’accomplissement de ces pratiques un caractère religieux. Mais très objectivement, la plupart des Hadiths du Coran concernent l’organisation familiale et sociale, les pratiques et les règles juridiques à observer dans ces domaines, ce qui en fait un code civil plus qu’une somme théologique. L’islam a bénéficié de l’antériorité du Judaïsme et du Christianisme ; ses messages ont donc été parfaitement ajustés à leur objectif : discipliner et contrôler l’être humain. Le pouvoir politique l’a utilisé sans vergogne pour manipuler les peuples, tant il est vrai que la religion s’est toujours avérée l’arme la plus efficace pour anéantir toute aspiration à la démocratie et à la liberté.

Un simple constat: les monarchies héréditaires musulmanes se sont systématiquement trouvé une filiation directe avec le Prophète ou l’un de ses descendants ! Pour leurs chefs, pour les meneurs, la religion a toujours été un moyen, jamais une fin. Ben Laden, comme ceux qui l’ont précédé et ceux qui prendront sa suite, n’en a strictement rien à faire (et je suis poli…) du projet spirituel du Djihad et de l’accomplissement des hadiths du Coran. L’Islamisme sert juste un dessein politique. La religion n’est que l’instrument de la conquête, ou plutôt de la reconquête. Qu’importe le temps que cela mettra : dix ans, vingt ans, plus de trente ans peut-être… Ce que l’Islam a programmé, c’est la chute de l’Occident et de la civilisation judéo-chrétienne. Pas pour le takbîr, mais pour conquérir le monde et ses richesses, asservir ses populations. Allahou Akbar, proclamé et calligraphié sur les emblèmes et les drapeaux, n’est qu’un cri de guerre destiné à galvaniser les pauvres idiots crédules qui se prennent pour des soldats d’Allah et ne sont que la chair à canon de ceux qui rêvent de pouvoir absolu et universel depuis 1422 ans !

Le terrorisme est une tactique, que les islamistes utilisent ponctuellement ; pour entretenir la terreur, bien sûr, mais aussi parce qu’ils ont compris tout le bénéfice qu’il pouvaient tirer de la dichotomie que vous avez créée entre la religion musulmane et l’Islam " radical ". En triant vous-mêmes les " bons musulmans " des mauvais, vous vous êtes tiré une balle dans le pied et vous leur avez rendu un fieffé service ! En focalisant l’attention sur le terrorisme, vous réduisez la cible contre laquelle vous devriez combattre. Grâce à la très ancienne tactique du leurre, les Islamistes vous montrent du doigt les djihadistes et détournent votre attention du cheval de Troie qu’ils ont construit et mis en marche pour vous soumettre.

Et que l’on ne vienne pas me parler de " musulmans modérés "! Ils sont, évidemment, très largement majoritaires aujourd’hui. Mais où et comment les voit-on condamner les agissement des fondamentalistes? Combien sont-ils à être descendus dans la rue pour manifester massivement contre Al Qaïda au lendemain du 11 septembre 2001 ? Pour hurler à la face du monde, dans tous les médias et dans toutes les langues qu’ils se désolidarisent du salafisme, du wahhabisme, du frérisme et autres branches radicales de l’Islam ? Pour affirmer qu’ils vont faire le ménage dans leurs pratiques, actualiser drastiquement la charia et définir une ligne exclusivement métaphysique à leur religion ?

La religion musulmane n’est pas monolithique et exclusivement constituée de conquérants assoiffés de pouvoir et de vengeance, c’est clair. Mais la conquête est consubstantielle de la religion musulmane. L’Islam, sa culture politique, sa doctrine, son prosélytisme, son histoire et sa finalité sont intrinsèquement d’inspiration guerrière. De même que la vie ne peut se concevoir sans la mort, il n’y a pas de soumission sans victoire, ni de victoire sans combat. Or, la soumission à Allah est l’essence même du message de l’Islam.

C’est pourquoi les musulmans se soumettent implicitement aujourd’hui au fondamentalisme que leur impose l’Islam radical. Ils s’y soumettront explicitement demain et vous ne résisterez pas, un jour, à la tentation de vous y soumettre à votre tour. Parce que la peur est l’arme absolue, l’arme que l’Islam politique utilise avec talent pour anéantir toute forme de résistance à leur domination. Ils l’utiliseront jusqu’au bout, contre vous, mais aussi contre ceux que vous appelez " les musulmans modérés " pour anéantir votre civilisation.

Bien sûr qu’il existe des courants plus ou moins progressistes comme le malikisme, dont le logiciel est régulièrement mis à jour par le Roi du Maroc. Bien sûr que l’on peut interpréter le Coran de dizaines, de centaines de manières. Bien sûr que l’on peut intellectualiser le concept du Djihad et en faire un idéal moral (…) Néanmoins le syllogisme est évident et les faits sont têtus : tous les musulmans ne sont pas des fondamentalistes islamiques ni des djihadistes ; mais tous les fondamentalistes islamiques et tous les djihadistes sont musulmans. Trop facile d’établir une distinction morale et sémantique entre les prescriptions religieuses supposées acceptables, que vous qualifiez d’ " islamiques " et celles, intolérables, cataloguées " islamistes ". Quand on tue au nom de l’Islam, on n’accomplit pas un acte de dément, pas plus qu’un crime de sang ordinaire. Quand on tue au nom de l’Islam, c’est qu’on vous a mis dans la tête qu’il est de votre devoir de croyant d’exterminer les incroyants, lesquels auraient soit disant " déclaré la guerre " aux soldats de la vraie foi !

La motivation du donneur d’ordre est politique, pas religieuse. Ils arriveront à leurs fins, parce que la dialectique de l’Islam est redoutable. Les stratégies et les techniques de communication qu’ils mettent en œuvre sont très subtiles et pertinentes, car ils savent parfaitement comment vous fonctionnez. Ils achètent depuis des années les réseaux de communication qui influencent l’opinion publique, en Europe comme aux USA. Vous êtes des enfants dans leurs mains. Ils vous connaissent très bien, alors que vous ne les connaissez pas. Vous êtes manipulés et vous ne le savez pas.

Ils ont compris voila longtemps que votre talon d’Achille, c’est la mauvaise conscience et la compassion. Les Français en sont rongés depuis qu’on leur a mis dans la tête que la colonisation de l’Afrique et du Maghreb avait été un crime contre l’Humanité commis par leurs aïeux. Les uns après les autres, tous les gouvernants français ont baissé leur froc et fait acte de " repentance " vis-à-vis de ces peuples que leurs pères avaient " exploités " ; mais a-t-on songé à demander aux Arabes de se repentir, eux qui ont réduit en esclavage pendant des siècles, des générations d’Africains ?

Je suis athée, mais je ne pourrais pas le dire si j’étais resté dans mon pays. Pas plus hier qu’aujourd’hui. Ce n’est pas un problème de liberté d’expression, c’est juste un problème de liberté d’être. On n’a pas le droit d’être athée en Islam : juif, chrétien, oui. Athée, non. Mon appréhension, au vu de tout ce qui s’est produit depuis une dizaine d’années, c’est que je ne puisse pas le dire demain ; ici, dans ce beau pays libre qu’est la France. Je ne le crains pas pour moi, bien sûr, je suis vieux. Mais je crains que mes enfants et mes petits enfants se trouvent confrontés à la main-mise de l’Islam, à laquelle j’ai eu la chance de me soustraire voila près d’un siècle.

En 25 ans, j’ai vu évoluer la société française d’un modèle républicain et comme vous dites " laïc " vers un modèle communautaire à l’anglo-américaine. Il a fallu dix-neuf siècles de conflits et de guerres pour que la France, " Fille aînée de l’Eglise " sépare sa " mère " de son Etat, en 1905. Et encore, nous sommes très loin du compte aujourd’hui, pour les raisons économiques et électoralistes que tu connais mieux que moi. Il n’y a qu’à regarder tes hommes politiques se trémousser dans les églises, les mosquées et les synagogues pour en être convaincu.

La religion est un leurre contre la peur de la mort ; un leurre pour assujettir ceux qui ont vocation à être dominés. Depuis toujours, la religion est l’auxiliaire du pouvoir. Dans toutes les religions. Pourquoi l’être humain a-t-il tellement besoin de se raccrocher à un Dieu et à un au-delà pour tenter d’évacuer la peur de la mort ? Je ne sais pas. Moi, vois-tu, je n’ai jamais eu peur. Jamais eu peur de la mort, en tous cas. Sauf (rires) que j’ai toujours craint d’être enterré vivant. Je fais très souvent un affreux cauchemar. On ferme mon cercueil alors que je suis assoupi. Je me réveille et je frappe désespérément sur le couvercle en hurlant : bande d’idiots, espèces d’imbéciles… Vous ne voyez donc pas que je ne suis pas mort ? "

Mon père est mort le 28 avril 2014 dans sa centième année. Il a arrêté de se nourrir, estimant qu’il avait suffisamment vécu.

Il n’a pas connu les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan, de la Promenade des Anglais à Nice, ni l’égorgement du Père Jacques Hamel à St. Etienne-du-Rouvray.

A chacune de ces attaques terroristes et plus encore aujourd’hui, après le carnage barbare du Hamas perpétré le samedi 7 octobre 2023, j’ai repensé à ce qu’il m’avait dit au lendemain du 11 septembre 2001. 

Auteur: Mansouret Anne

Info: https://www.causeur.fr/, 21 octobre 2023, [1] Agha Djoun est mon grand-père, le père de mon père. C’est l’appellation donnée dans les familles, qui peut s’interpréter : " Votre Éminence chérie " et qui traduit tout à la fois la déférence et l’affection. En l’occurrence, mon grand-père était haut fonctionnaire territorial, c’est à dire Trésorier général dans plusieurs provinces, d’où les déménagements successifs vécus par ma famille.

[ prise du pouvoir ] [ machiavélisme ] [ orient - occident ]

 

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Gaule 2023

Marianne : Comment avez-vous perçu le mouvement social de contestation à la réforme des retraites ?

E.T. :
 Je suis allé en manifestation. Du mouvement de contestation, j'ai constaté la masse, l’énergie, la jeunesse. Je tiens à dire ce que je pense de la responsabilité des uns et des autres concernant le désordre actuel, tout d'abord. Pour moi – je dis bien pour moi – mais ça sera aux juristes de trancher, il est clair qu'en faisant passer une réforme des retraites en loi de finances rectificative et par l'article 49.3, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont sortis de la Constitution, du moins de l'esprit de la Constitution. Ce sera au Conseil constitutionnel de le dire. Mais il n'est pas certain que j'accepte l'avis du Conseil constitutionnel, s’il valide Macron-Borne.

J'ai vu les commentaires, le soir, sur BFM TV, LCI et d'autres, où l’on parlait de feux de poubelle. Pour moi, 100 % de la responsabilité de ces feux de poubelle incombe au président de la République française et la question de savoir si ce sont plus les black blocks ou les manifestants qui les ont allumés ne m'intéresse pas.

Pourquoi Emmanuel Macron entretiendrait-il ce désordre ?

Ce qui m'étonne le plus, moi, c'est que c'est un désordre qui ne sert à rien. En général, quand on gouverne par le désordre pour faire se lever le parti de l’ordre, c’est qu’on veut consolider un pouvoir fragile, ou bien pour reprendre le pouvoir. Mais Macron avait le pouvoir. La vérité de ce projet de réforme des retraites, en dehors du fait qu’il est injuste et incohérent, c’est qu’il est insignifiant et inutile par rapport aux problèmes réels de la société française.

Il y en a deux : la désindustrialisation et la chute du niveau de vie, liée à l’inflation. La question qui se pose et ce qu’il faut analyser vraiment, c’est la raison de cette mise en désordre de la France par son président, pour rien. Était-ce pour mener à bien un projet néolibéral, appelé "réformateur" ? Ou est-ce que c’est un problème lié à la personnalité de Macron lui-même ?

Commençons par l’hypothèse d’une réforme pensée comme juste par Macron. Vous la jugez néolibérale ?

La réalité du monde occidental, qui entre en guerre, c’est que le néolibéralisme, en tant qu’idéologie économiste active transformant la planète, est en train de mourir parce que ses effets ultimes se révèlent. La mortalité augmente aux États-Unis, et donc, logiquement, l’espérance de vie baisse. Les États-Unis ont perdu leur base industrielle, comme l’Angleterre. Le contexte historique général en ce moment, dans le monde américain, est plutôt aux réflexions sur le retour de l’État entrepreneur.

Macron avait pourtant engagé un tournant néo-protectionniste avec le Covid…

Non ! Je pense que Macron est néolibéral archaïque, et donc en grand état de déficit cognitif. Quand il parle de protectionnisme, il n’est même pas capable de dire s’il s’agit de protectionnisme national ou européen. Mais si tu ne fixes pas d’échelle, tu ne parles de rien. Quand il parle de réindustrialisation, il n’est pas capable de voir que la réindustrialisation implique deux actions simultanées. D’abord, l’investissement direct de l’État dans l’économie. C’est ça qui serait important actuellement, pas la réforme des retraites. Et puis des mesures de protection des secteurs qu’on refonde, par exemple dans les médicaments, dans la fabrication de tel ou tel bien essentiel à la sécurité informatique, alimentaire et énergétique de la France.

C’est d’ailleurs l’une des choses stupéfiantes dans ce débat sur les retraites : les politiques légifèrent – croient-ils – sur des perspectives à long terme d’équilibre. Ils spéculent sur des années de travail qui vont couvrir des décennies pour la plupart des gens, sans se poser la question de ce qui restera, non pas comme argent, comme signes monétaires, mais comme bien réels produits pour servir ces retraites en 2050 ou 2070.

Les retraites sont menacées, c’est vrai, mais par la désindustrialisation. Quel que soit le système comptable, si la France ne produit plus rien le niveau des retraites réelles de tout le monde va baisser. En dehors du fait qu'il a déjà commencé à baisser avec l'inflation.

Notre élite économique fait, selon vous, une fois de plus fausse route.

Notre président et les gens autour de lui, une sorte de pseudo-intelligentsia economico-politique, sont hors du monde. À une époque, on savait que pour faire la guerre, il fallait des biens industriels, des ingénieurs, des ouvriers. On redécouvre aujourd’hui à Washington et à Londres que tout ça n’existe plus assez ! Les faucons néoconservateurs croyaient qu’on pouvait faire la guerre à la Russie avec des soldats ukrainiens et à la Chine en prime, grâce au travail d’ouvriers… chinois ! La réalité du néolibéralisme, c'est qu’il a tout détruit au cœur même de son Empire. Le vrai nom du néolibéralisme, c'est "nihilisme économique". Je me souviens de phrases prophétiques de Margaret Thatcher disant "There is no such thing as society ", ou "There is no alternative" (TINA). Ces idioties ne sortent pas du libéralisme britannique, de John Locke ou d'Adam Smith, mais bien plutôt du nihilisme russe du XIXe siècle.

Cette réforme des retraites à contretemps est guidée par un phénomène d'inertie, au nom d’une idéologie qui est en train de mourir. Le discours néolibéral est un discours de la rationalité économique, un discours de la rationalité des marchés qui va permettre de produire, en théorie, plus d'efficacité. Je vais vous dire l’état de mes recherches sur le nihilisme néolibéral : cette passion de détruire les cadres de sécurité établis au cours des siècles par les religions, les États et les partis de gauche. Le nihilisme néolibéral détruit la fécondité du monde avancé, la possibilité même d’un futur. Et vous allez être fier de cette France dont les néolibéraux rient.

Vous faites partie de ceux qui voient dans les indices de fécondité l'avenir de l'Occident…

La vérité historique fondamentale actuelle, c’est que la rationalité individualiste pure détruit la capacité des populations à se reproduire et des sociétés à survivre. Pour faire des enfants, particulièrement dans les classes moyennes qui veulent pour eux des études longues, il faut l’aide de la collectivité, il faut se projeter dans un avenir qui ne peut apparaître suffisamment sûr que grâce à l’État. Il faut donc sortir de la rationalité économique à court terme. Sans oublier que décider d’avoir un enfant, ce n’est être ni rationnel, ni parfois même raisonnable, mais vivant. Je sais qu'il y a des gens qui s'inquiètent de l'augmentation de la population mondiale, mais moi, je suis inquiet de la sous-fécondité de toutes les régions "avancées". Même les États-Unis, même l'Angleterre, sont tombés à 1,6 enfant par femme. L’Allemagne est à 1,5, le Japon est à 1,3. La Corée, chouchou des majorettes intellectuelles du succès économique, le pays de Samsung et d'une globalisation économique assumée, est à 0,8. … Le plus efficace économiquement est le plus suicidaire.

C'est là que la France redevient vraiment intéressante. Elle a deux caractéristiques. C'est d’abord le pays qui fait le moins bien ses "réformes", qui refuse le plus le discours de la rationalité économique. Dont l'État n'est jamais dégrossi comme le rêvent les idéologues du marché. Mais c'est aussi le seul pays avancé qui garde une fécondité de 1,8. C'est le pays qui, en ne voulant pas toutes ces réformes, a refusé la destruction de certaines des structures de protection des individus et des familles qui permettent aux gens de se projeter dans le futur et d'avoir des enfants. Une retraite jeune, ce sont aussi des grands-pères et des grands-mères utilisables pour des gardes d’enfants ! Désolé d’apparaître en être humain plutôt qu’en économiste ! La grandeur de la France, c'est son refus de la rationalité économique, son refus de la réforme. Ce qui fait de la France un pays génial, c'est son irrationalité économique. On saura si Macron a réussi s'il arrive à faire baisser la natalité française au niveau anglo-américain, au-delà de son cas personnel de non-reproduction.

Comment ce dernier peut-il alors imposer une telle réforme si c'est contre l'intérêt du pays ?

Pourquoi un président de la République en si grand état de déficit cognitif peut-il imposer cette réforme injuste, inutile et incohérente par un coup de force institutionnel ou même un coup d’État ? Parce qu’il agit dans un système sociopolitique détraqué que je qualifierais même de pathologique. Il y avait une organisation de la République qui reposait sur une opposition de la droite et de la gauche, permise par un mode de scrutin adapté : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il faisait qu’au premier tour, on choisissait son parti de droite préféré, son parti de gauche préféré. Au deuxième tour, les deux camps se regroupaient et on avait une très belle élection.

Tout a été dévasté par la nouvelle stratification éducative de la France. La montée de l’éducation supérieure a produit une première division en deux de la société entre les gens qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait. C’est le modèle qui s’impose partout dans le monde développé. Mais il y a une autre dimension qui, il faut l’avouer, n’a pas grand-chose à voir : le vieillissement de la population et l’apparition d’une masse électorale âgée, qui établissent un troisième pôle, les vieux, dont je suis. Cette société stratifiée et vieillie a accouché de trois pôles politiques qui structurent le système. Je simplifie jusqu’à la caricature : 1) les éduqués supérieurs mal payés, plutôt jeunes ou actifs, se sont dirigés vers Mélenchon ou la Nupes ; 2) les moins éduqués mal payés, plutôt jeunes et actifs, vers le RN ; 3) les vieux, derrière Macron.

Ils sont les seuls à soutenir la réforme des retraites, d’ailleurs…

Ce système est dysfonctionnel, "détraqué", à cause de l’opposition viscérale entre les électorats contestataires de gauche et de droite, Nupes et RN. Ces deux électorats ont en commun leur niveau de vie, leur structure d’âge, mais sont séparés par l’éducation et par la question de la nation et de l’immigration. Cette fracture conduit à une incapacité des uns et des autres à se considérer comme mutuellement légitimes. Leur opposition permet à Macron et aux vieux de régner. Les retraités peuvent donc imposer une réforme des retraites qui ne les touche pas. Le problème, c’est qu’une démocratie ne peut fonctionner que si les gens opposés se considèrent comme certes différents, mais mutuellement légitimes.

La France vire-t-elle à la gérontocratie ?

On a enfermé les jeunes pour sauver les gens de ma génération. Comment la démocratie est-elle possible avec un corps électoral qui vieillit sans cesse ? Mais dénoncer un système gérontocratique ne suffit pas, d’un point de vue anthropologique en tout cas. Ce qu’il faut dénoncer, c’est une société qui ne peut survivre. Une société humaine ne peut pas se projeter dans l’avenir si on part du principe que les ressources doivent remonter vers les vieux plutôt que descendre vers les jeunes.

La question institutionnelle fondamentale, ce n’est pas tant le pouvoir disproportionné du président dans la conception de la Ve République, mais un système électoral inadapté dans un contexte où les deux forces d’opposition refusent d’exister l’une pour l’autre. Il y a deux solutions : la première est le passage au mode de scrutin proportionnel. Mais cela ne se produira pas car la gérontocratie en place a trop intérêt à ce que le système dysfonctionne. L’autre solution, c’est de trouver une voie politique qui permette le sauvetage de la démocratie : je propose un contrat à durée limitée réconciliant les électorats du Rassemblement national et de la Nupes pour établir le scrutin proportionnel.

Mais comment les réconcilier ?

Je considère vraiment que ce qui se passe est inquiétant. J’ai un peu de mal à imaginer que cela ne se termine pas mal. Il y a un élément d’urgence, et la simple menace de désistement implicite ou explicite entre les deux forces d’opposition calmerait beaucoup le jeu. Il ferait tomber le sentiment d’impunité de la bureaucratie qui nous gouverne.

Le problème fondamental n’est pas un problème entre appareils. Le problème fondamental est un problème de rejet pluriel. 1) L’électorat du Rassemblement national est installé dans son rejet de l’immigration, un concept qui mélange l’immigration réelle qui passe aujourd’hui la frontière et la descendance de l’immigration ancienne, les gosses d’origine maghrébine qui sont maintenant une fraction substantielle de la population française. 2) L’électorat de LFI et de la Nupes croit seulement exprimer un refus du racisme du RN mais il exprime aussi, à l’insu de son plein gré, un rejet culturel de l’électorat du RN. Il vit un désir à la Bourdieu de distinction. Simplifions, soyons brutal, il s’agit de sauver la République : il y a d’un côté une xénophobie ethnique et de l’autre une xénophobie sociale.

J’ai un peu de mal à imaginer que le sauvetage à court terme de la démocratie par l’établissement de la proportionnelle, via un accord à durée limitée entre Nupes et RN, puisse se passer d’un minimum de négociation sur la question du rapport à l’étranger. La seule négociation possible, la seule chose raisonnable d’ailleurs du point de vue de l’avenir du pays, c’est que les électeurs de la Nupes admettent que le contrôle des frontières est absolument légitime et que les gens du Rassemblement national admettent que les gens d’origine maghrébine en France sont des Français comme les autres. Sur cette base, à la fois très précise et qui admet du flou, on peut s’entendre.

Le contexte actuel reproduit-il celui de l’époque des Gilets jaunes ?

"La police tape pour Macron, mais vote pour Le Pen", disais-je en 2018 au moment des Gilets jaunes… Je m’inquiétais de la possibilité d’une collusion entre les forces de ce que j’appelais à l’époque l’aristocratie stato-financière et l’autoritarisme implicitement associé à la notion d’extrême droite. J’avançais le concept de macrolepénisme. Le Rassemblement national aujourd’hui est confronté à une ambivalence qu’il doit lever. Le contexte actuel reproduit le contexte de l’époque des Gilets jaunes, en effet : d’un côté le Rassemblement national passe des motions de censure contre la politique gouvernementale sur les retraites (et je trouve tout à fait immoral que LFI refuse de voter les motions du Rassemblement national sur ces questions), mais, d’un autre côté, c’est, comme d’habitude, la police qui cogne sur les manifestants, qui est utilisée par Macron, qui continue de voter à plus de 50 % pour le Rassemblement national ! J’ajoute que le choix par Marine Le Pen de l’opposition à la grève des éboueurs n’est pas de bon augure.

Le Rassemblement national ne peut pas rester dans cette ambiguïté : il suffirait d’un petit mot de modération de Marine Le Pen pour que le comportement de la police change. Ce que je dis est grave : en mode démocratique normal, une police doit obéir au ministre de l’Intérieur. Mais je ne vois pas pourquoi une police appliquerait aveuglément les consignes de violence d’un président qui est sorti de la Constitution. Nous avons besoin d’une réflexion approfondie des juristes. Il s’agit de protéger les institutions dans un contexte extrêmement bizarre. Le conflit entre jeunes manifestants et jeunes policiers nous ramène d’ailleurs à la question du rejet mutuel Nupes/RN. L’hostilité qu’encourage le gouvernement entre la police et les jeunes manifestants est une menace pour l’équilibre du pays. On ne peut pas vivre dans un pays avec deux jeunesses qui se tapent dessus. Il y a dans le style policier violent Macron-Borne-Darmanin quelque chose de pensé et de pervers.

Vous dites que la première raison de l’obstination du gouvernement pourrait venir de l’esprit de Macron directement…

J’ai parlé de système électoral, j’ai parlé de néolibéralisme. J’ai parlé du déficit cognitif néolibéral de Macron. Une autre chose doit être évoquée, non systémique, accidentelle, dont je n’aime pas parler mais dont on doit parler : une autre raison de la préférence de Macron pour le désordre et la violence est sans doute un problème de personnalité, un problème psychologique grave. Son rapport au réel n’est pas clair. On lui reproche de mépriser les gens ordinaires. Je le soupçonne de haïr les gens normaux. Son rapport à son enfance n’est pas clair. Parfois, il me fait penser à ces enfants excités qui cherchent la limite, qui attendent d’un adulte qu’il les arrête. Ce qui serait bien, ce serait que le peuple français devienne adulte et arrête l’enfant Macron.

La situation est extrêmement dangereuse parce que nous avons peut-être un président hors contrôle dans un système sociopolitique qui est devenu pathologique. Au-delà de toutes les théories, sophistiquées ou non, j’en appelle à tous les gens pacifiques, moraux et raisonnables, quel que soit leur niveau éducatif, leur richesse, leur âge, à tous les députés quel que soit leur parti, Renaissance compris, j’en appelle au Medef, aux pauvres, aux inspecteurs des finances, aux vieillards et aux oligarques de bonne volonté, pour qu’ils se donnent la main et remettent ce président sous contrôle. La France vaut mieux que ce bordel. 



 

Auteur: Todd Emmanuel

Info: Marianne.net, 5 mars 2023, Interview Par Etienne Campion

 

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proto-linguistique

Cette langue ancienne use de la seule grammaire basée entièrement sur le corps humain

Une famille de langues en voie de disparition suggère que les premiers humains utilisaient leur corps comme modèle de réalité

Un matin de décembre 2004, des adultes et des enfants erraient sur le rivage de Strait Island dans le golfe du Bengale lorsque l'un d'eux a remarqué quelque chose d'étrange. Le niveau de la mer était bas et des créatures étranges qui habitent normalement la zone crépusculaire profonde de l'océan se balançaient près de la surface de l'eau. “ Sare ukkuburuko ! ”— la mer s'est renversée! — cria Nao Junior, un des derniers héritiers d'une sagesse transmise sur des milliers de générations à travers sa langue maternelle. Il savait ce que signifiait ce phénomène bizarre. Tout comme d'autres peuples autochtones des îles Andaman. Ils se sont tous précipités à l'intérieur des terres et en hauteur, leurs connaissances ancestrales les sauvant du tsunami dévastateur qui s'est abattu sur les côtes de l'océan Indien quelques minutes plus tard et qui a emporté quelque 225 000 personnes.

Lorsque j'ai rencontré Nao Jr. pour la première fois, au tournant du millénaire, il était dans la quarantaine et l'un des neuf seuls membres de son groupe autochtone, le Grand Andamanais, qui parlait encore l'idiome de ses ancêtres ; les jeunes préférant l'hindi. En tant que linguiste passionnée par le décodage de structure, j'avais étudié plus de 80 langues indiennes de cinq familles différentes : indo-européenne (à laquelle appartient l'hindi), dravidienne, austroasiatique, tibéto-birmane et taï-kadaï. J'étais sur les îles pour documenter leurs voix autochtones avant qu'elles ne se transforment en murmures. Le peu que j'ai entendu était si déconcertant que j'y suis retourné plusieurs fois au cours des années suivantes pour essayer de cerner les principes qui sous-tendent les grandes langues andamanaises.

Ici mes principaux professeurs, Nao Jr. et une femme nommée Licho, parlaient un pastiche de langues qui comptaient encore quelque 5 000 locuteurs au milieu du 19e siècle. Le vocabulaire moderne étant très variable, dérivé de plusieurs langues parlées à l'origine sur l'île d'Andaman du Nord. Ce qui m'était vraiment étranger, cependant, c'était leur grammaire, qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais jamais rencontré.

Une langue incarne une vision du monde et, alors qu'une civilisation, change et se développe par couches. Les mots ou les phrases fréquemment utilisés se transforment en formes grammaticales de plus en plus abstraites et compressées. Par exemple, le suffixe "-ed", signifiant le passé en anglais moderne, provient de "did" (c'est-à-dire que "did use" est devenu "used") ; Le vieil anglais où in steed et sur gemong sont devenus respectivement "instead" et "among". Ces types de transitions font de la linguistique historique un peu comme l'archéologie. Tout comme un archéologue fouille soigneusement un monticule pour révéler différentes époques d'une cité-État empilées les unes sur les autres, un linguiste peut séparer les couches d'une langue pour découvrir les étapes de son évolution. Il faudra des années à Nao Jr. et Licho endurant patiemment mes interrogatoires et mes tâtonnements pour que j'apprenne enfin la règle fondamentale de leur langue.

Il s'avère que le grand andamanais est exceptionnel parmi les langues du monde de par son anthropocentrisme. Il utilise des catégories dérivées du corps humain pour décrire des concepts abstraits tels que l'orientation spatiale et les relations entre les objets. Bien sûr, en anglais, nous pourrions dire des choses comme "la pièce fait face à la baie", "la jambe de la chaise s'est cassée" et "elle dirige l'entreprise". Mais en Grand Andamanais, de telles descriptions prennent une forme extrême, avec des morphèmes, ou segments sonores significatifs, qui désignent différentes zones du corps s'attachant aux noms, verbes, adjectifs et adverbes - en fait, à chaque partie du discours - pour créer des significations diverses. Parce qu'aucune autre langue connue n'a une grammaire basée sur le corps humain et/ou un partage des mots apparentés -  des mots qui ont une signification et une prononciation similaires, ce qui indique un lien généalogique - avec le grand andamanais, la langue constitue sa propre famille .

L'aspect le plus durable d'une langue est sa structure, qui peut perdurer sur des millénaires. Mes études indiquent que les Grands Andamanais furent effectivement isolés pendant des milliers d'années, au cours desquelles leurs langues ont évolué sans influence perceptible d'autres cultures. La recherche génétique corrobore ce point de vue, montrant que ces peuples autochtones descendent d'un des premiers groupes d'humains modernes qui a migré hors d'Afrique. En suivant le littoral du sous-continent indien, ils ont atteint l'archipel d'Andaman il y a peut-être 50 000 ans et y vivent depuis dans un isolement virtuel. Les principes fondamentaux de leurs langues révèlent que ces humains anciens ont conceptualisé le monde à travers leur corps.

PIÈCES DU CASSE-TÊTE

Lorsque je suis arrivé en 2001 à Port Blair, la principale ville de la région, pour mener une enquête préliminaire sur les langues autochtones, j'ai été dirigé vers Adi Basera, une maison que le gouvernement indien autorisait les Grands Andamanais à utiliser lorsqu'ils étaient en ville. C'était un bâtiment délabré avec de la peinture écaillée et des pièces sales ; enfants et adultes flânaient nonchalamment dans la cour. Quelqu'un m'a apporté une chaise en plastique. J'ai expliqué ma quête en hindi.

"Pourquoi es-tu venu ?" demanda Boro Senior, une femme âgée. "Nous ne nous souvenons pas de notre langue. Nous ne le parlons ni ne le comprenons. Il s'est avéré que toute la communauté conversait principalement en hindi, une langue essentielle pour se débrouiller dans la société indienne et la seule que les enfants apprenaient." Pendant que je le sondais cependant, Nao Jr. a avoué qu'il connaissait le Jero, mais parce qu'il n'avait personne avec qui en parler, il l'oubliait. Boro Sr. s'est avéré être la dernière personne à se souvenir de Khora, et Licho, alors dans la fin de la trentaine, qui était la dernière à parler le sare, la langue de sa grand-mère. Lorsqu'ils conversaient entre eux, ces individus utilisaient ce que j'appelle le Grand Andamanais actuel (PGA), un mélange de Jero, Sare, Bo et Khora - toutes langues des Andaman du Nord.

Lorsque les autorités britanniques ont établi une colonie pénitentiaire à Port Blair en 1858, les forêts tropicales de Great Andaman - comprenant le nord, le centre et le sud d'Andaman, ainsi que quelques petites îles à proximité - étaient habitées par 10 tribus de chasseurs et de cueilleurs qui semblaient culturellement liées. Les habitants du Great Andaman ont résisté aux envahisseurs, mais leurs arcs et leurs flèches n'étaient pas à la hauteur des fusils et, à une occasion, des canons de navires. Encore plus mortels furent les germes apportés par les étrangers, contre lesquels les insulaires n'avaient aucune immunité. Dans les années 1960, époque à laquelle les Andamans appartenaient à l'Inde, il ne restait plus que 19 Grands Andamanais, vivant principalement dans les forêts du nord d'Andaman. Les autorités indiennes les ont alors installés sur la petite île du détroit.

Un autre groupe de chasseurs-cueilleurs, les Jarawa, vivaient dans le sud d'Andaman, et lorsque les Grands Andamanais s'éteignirent , les Jarawa s'installèrent dans leurs territoires évacués du Moyen Andaman. Les Jarawa ont résisté au contact - et aux germes qui l'accompagnent - jusqu'en 1998 et sont maintenant au nombre d'environ 450. Leur culture avait des liens avec celle des Onge, qui vivaient sur Little Andaman et qui ont été sous controle des Britanniques dans les années 1880. Apparemment, les habitants de North Sentinel Island étaient également apparentés aux Jarawa. Ils continuent d'ailleurs de vivre dans un isolement volontaire, qu'ils ont imposé en 2018 en tuant un missionnaire américain.

(photo-schéma avec détails et statistiques des langage des iles adamans)

Mon enquête initiale a établi que les langues des Grands Andamanais n'avaient aucun lien avec celles des Jarawa et des Onge, qui pourraient constituer leur propre famille de langues. Réalisant que je devais documenter le Grand Andamanais avant qu'il ne soit réduit au silence, je suis revenu avec une équipe d'étudiants en 2005. C'était peu de temps après le tsunami, et les autorités avaient évacué les 53 Grands Andamanais vers un camp de secours à côté d'Adi Basera. Ils avaient survécu, mais leurs maisons avaient été inondées et leurs biens perdus, et un sentiment de bouleversement et de chagrin flottait dans l'air. Dans cette situation, Licho a donné naissance à un garçon nommé Berebe, source de joie. J'ai appris que les bébés étaient nommés dans l'utérus. Pas étonnant que les grands noms andamanais soient non sexistes !

Au camp, j'ai rencontré l'octogénaire Boa Senior, dernier locuteur de Bo et gardien de nombreuses chansons. Nous deviendrons très proches. Les grands jeunes andamanais avaient répondu au mépris des Indiens dominants pour les cultures autochtones en se détournant de leur héritage. Boa Sr me tenait la main et ne me laissait pas partir car elle était convaincue que ma seule présence, en tant qu'étranger rare qui valorisait sa langue, motiverait les jeunes à parler le grand andamanais. Pourtant, je l'ai appris principalement de Nao Jr. et Licho, dont l'intérêt pour leurs langues avait été enflammé par le mien. Il s'est avéré que Nao Jr. en savait beaucoup sur l'environnement local et Licho sur l'étymologie, étant souvent capable de me dire quel mot venait de quelle langue. J'ai passé de longues heures avec eux à Adi Basera et sur Strait Island, les accompagnant partout où ils allaient - pour nous prélasser à l'extérieur de leurs huttes, errer dans la jungle ou pêcher sur la plage. Plus ils s'efforçaient de répondre à mes questions, plus ils puisaient dans les profondeurs de la mémoire. J'ai fini par collecter plus de 150 grands noms andamanais pour différentsespèces de poissons et 109 pour les oiseaux .

Les responsables britanniques avaient observé que les langues andamanaises étaient un peu comme les maillons d'une chaîne : les membres des tribus voisines des Grands Andamans se comprenaient, mais les langues parlées aux extrémités opposées de l'archipel, dans les Andamans du Nord et du Sud, étaient mutuellement inintelligibles. En 1887, l'administrateur militaire britannique Maurice Vidal Portman publia un lexique comparatif de quatre langues, ainsi que quelques phrases avec leurs traductions en anglais. Et vers 1920, Edward Horace Man compila un dictionnaire exhaustif de Bea, une langue des Andaman du Sud. C'étaient des enregistrements importants, mais aucun n'a résolu le puzzle que la grammaire posait.

Moi non plus. D'une manière ou d'une autre, ma vaste expérience avec les cinq familles de langue indienne ne m'aidait pas. Une fois, j'ai demandé à Nao Jr. de me dire le mot pour "sang". Il m'a regardé comme si j'étais une imbécile et n'a pas répondu. Quand j'ai insisté, il a dit: "Dis-moi d'où ça vient." J'ai répondu: "De nulle part." Irrité, il répéta : "Où l'as-tu vu ?" Il fallait que j'invente quelque chose, alors j'ai dit : "sur mon doigt. Sa réponse est venue rapidement — "ongtei !" – puis il débita plusieurs mots pour désigner le sang sur différentes parties du corps. Si le sang sortait des pieds ou des jambes, c'était otei ; l'hémorragie interne était etei; et un caillot sur la peau était ertei . Quelque chose d'aussi basique qu'un nom changeait de forme en fonction de l'emplacement.

Chaque fois que j'avais une pause dans mon enseignement et d'autres tâches, je visitais les Andamans, pendant des semaines ou parfois des mois. Il m'a fallu un an d'étude concertée pour entrevoir le modèle de cette langue - et quand je l'ai fait, toutes les pièces éparses du puzzle se sont mises en place. Très excité, je voulus tout de suite tester mes phrases inventées. J'étais à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive à Leipzig, en Allemagne, mais j'ai téléphoné à Licho et je lui ai dit : "a Joe-engio eole be". Licho a été bouleversé et m'a fait un compliment chéri : "Vous avez appris notre langue, madame !"

Ma phrase était simplement "Joe te voit". Joe était un jeune Grand Andamanais, et -engio était "seulement toi". Ma percée avait été de réaliser que le préfixe e- , qui dérivait à l'origine d'un mot inconnu désignant une partie interne du corps, s'était transformé au fil des éons en un marqueur grammatical signifiant tout attribut, processus ou activité interne. Donc l'acte de voir, ole, étant une activité interne, devait être eole. Le même préfixe pourrait être attaché à -bungoi , ou "beau", pour former ebungoi, signifiant intérieurement beau ou gentil ; de sare , pour "mer", pour former esare, ou "salé", une qualité inhérente ; et au mot racine -biinye, "pensant", pour donner ebiinye , "penser".

LE CODE CORPOREL

La grammaire que j'étais en train de reconstituer était basée principalement sur Jero, mais un coup d'œil dans les livres de Portman et de Man m'a convaincu que les langues du sud du Grand Andamanais avaient des structures similaires. Le lexique se composait de deux classes de mots : libre et lié. Les mots libres étaient tous des noms faisant référence à l'environnement et à ses habitants, tels que ra pour "cochon". Ils pourraient se produire seuls. Les mots liés étaient des noms, des verbes, des adjectifs et des adverbes qui existaient toujours avec des marqueurs indiquant une relation avec d'autres objets, événements ou états. Les marqueurs (spécifiquement, a- ; er- ; ong- ; ot- ou ut- ; e- ou i- ; ara- ; eto- ) dérivaient de sept zones du corps et étaient attaché à un mot racine, généralement sous forme de préfixe, pour décrire des concepts tels que "dedans", "dehors", "supérieur" et "inférieur". Par exemple, le morphème er- , qui qualifiait presque tout ce qui concernait une partie externe du corps, pouvait être collé à -cho pour donner ercho , signifiant "tête". Une tête de porc était ainsi raercho.

(Photo/schéma désignant les 7 zones du corps humain qui font référence ici)

Zone     Marqueur          Parties corps/sémantique       

1              a -                  en rapport avec la bouche/origine 

2              er -                 corps et parties externes supérieures

3              ong -              extrémités (doigts main, pied) 

4              ut/ot -             (cerveau/intellect) produits corporels, partie-tout,

5              e / i -               organes internes

6              ara -                organes sexuels et formes latérales/rondes

7              o -                   jambes/partie basse         

Cette dépendance conceptuelle n'était pas toujours le signe d'un lien physique. Par exemple, si la tête du porc était coupée pour être rôtie, le marqueur t- pour un objet inanimé serait attaché à er- pour donner ratercho ; ce n'était plus vivant mais toujours une tête de cochon. Le suffixe -icho indiquait des possessions véritablement séparables. Par exemple, Boa-icho julu signifiait "les vêtements de Boa".

Tout comme une tête, un nom, ne pouvait pas exister conceptuellement par lui-même, le mode et l'effet d'une action ne pouvaient être séparés du verbe décrivant l'action. Les Grands Andamanais n'avaient pas de mots pour l'agriculture ou la culture mais un grand nombre pour la chasse et la pêche, principalement avec un arc et des flèches. Ainsi, la racine du mot shile , qui signifie "viser", avait plusieurs versions : utshile , viser d'en haut (par exemple, un poisson) ; arashile, viser à distance (comme un cochon); et eshile, visant à percer.

Inséparables également de leurs préfixes, qui les dotaient de sens, étaient les adjectifs et les adverbes. Par exemple, le préfixe er- , pour "externe", a donné l'adjectif erbungoi , pour "beau" ; le verbe eranye, signifiant "assembler" ; et l'adverbe erchek, ou "rapide". Le préfixe ong- , la zone des extrémités, fournissait ongcho , "piquer", quelque chose que l'on faisait avec les doigts, ainsi que l'adverbe ongkochil, signifiant "précipitamment", qui s'appliquait généralement aux mouvements impliquant une main ou un pied. Important aussi était le morphème a-, qui renvoyait à la bouche et, plus largement, aux origines. Il a contribué aux noms aphong, pour "bouche", et Aka-Jero , pour "son langage Jero" ; les adjectifs ajom , "avide", et amu, "muet" ; les verbes atekho, "parler", et aathitul , "se taire" ; et l'adverbe aulu, "avant".

Ces études ont établi que les 10 langues originales du grand andamanais appartenaient à une seule famille. De plus, cette famille était unique en ce qu'elle avait un système grammatical basé sur le corps humain à tous les niveaux structurels. Une poignée d'autres langues autochtones, telles que le papantla totonaque, parlé au Mexique, et le matsés, parlé au Pérou et au Brésil, utilisaient également des termes faisant référence à des parties du corps pour former des mots. Mais ces termes ne s'étaient pas transformés en symboles abstraits, ni ne se sont propagés à toutes les autres parties du discours.

(Photo - tableau - schéma avec exemples de mots - verbes - adverbes, dérivés des  7 parties)

Plus important encore, la famille des langues semble être d'origine vraiment archaïque. Dans un processus d'évolution en plusieurs étapes, les mots décrivant diverses parties du corps s'étaient transformés en morphèmes faisant référence à différentes zones pour fusionner avec des mots basiques pour donner un sens. Parallèlement aux preuves génétiques, qui indiquent que les Grands Andamanais ont vécu isolés pendant des dizaines de milliers d'années, la grammaire suggère que la famille des langues est née très tôt, à une époque où les êtres humains conceptualisaient leur monde à travers leur corps. La structure à elle seule donne un aperçu d'une ancienne vision du monde dans laquelle le macrocosme reflète le microcosme, et tout ce qui est ou qui se passe est inextricablement lié à tout le reste.

ANCÊTRES, OISEAUX

Un matin sur Strait Island, j'ai entendu Boa Sr. parler aux oiseaux qu'elle nourrissait. J'ai écouté pendant un bon moment derrière une porte, puis je me suis montrée pour lui demander pourquoi elle leur parlait.

"Ils sont les seuls à me comprendre", a-t-elle répondu.

"Comment ça se fait?" J'ai demandé.

"Ne sais-tu pas qu'pas sont nos ancêtres ?"

J'ai essayé de réprimer un rire étonné, mais Boa l'a perçu. "Oui, ce sont nos ancêtres", a-t-elle affirmé. "C'est pourquoi nous ne les tuons ni ne les chassons. Tu devrais demander à Nao Jr.; il connaît peut-être l'histoire."

Nao ne s'en souvint pas tout de suite, mais quelques jours plus tard, il raconta l'histoire d'un garçon nommé Mithe qui était allé à la pêche. Il a attrapé un calmar, et en le nettoyant sur la plage, il a été avalé par un Bol , un gros poisson. Ses amis et sa famille sont venus le chercher et ont réalisé qu'un Bol l'avait mangé. Phatka, le plus intelligent des jeunes, a suivi la piste sale laissée par le poisson et a trouvé le Bol en eau peu profonde, la tête dans le sable. C'était un très grand, alors Phatka, Benge et d'autres ont appelé à haute voix Kaulo, le plus fort d'entre eux, qui est arrivé et a tué le poisson.

Mithe est sorti vivant, mais ses membres étaient engourdis. Ils allumèrent un feu sur la plage et le réchauffèrent, et une fois qu'il eut récupéré, ils décidèrent de manger le poisson. Ils le mirent sur le feu pour le faire rôtir. Mais ils avaient négligé de nettoyer correctement le poisson, et il éclata, transformant toutes les personnes présentes en oiseaux. Depuis ce moment-là, les Grands Andamanais conservent une affinité particulière avec Mithe, la Colombe Coucou Andaman ; Phatka, le corbeau indien ; Benge, l'aigle serpent Andaman; Kaulo, l'aigle de mer à ventre blanc ; Celene, le crabe pluvier; et d'autres oiseaux qu'ils considéraient comme des ancêtres.

Dans la vision de la nature des Grands Andamanais, la principale distinction était entre tajio, le vivant, et eleo , le non-vivant. Les créatures étaient tajio-tut-bech, "êtres vivants avec des plumes" - c'est-à-dire de l'air; tajio-tot chor, "êtres vivants à écailles", ou de l'eau ; ou tajio-chola, "êtres vivants de la terre". Parmi les créatures terrestres, il y avait des ishongo, des humains et d'autres animaux, et des tong, des plantes et des arbres. Ces catégories, ainsi que de multiples attributs d'apparence, de mouvement et d'habitudes, constituaient un système élaboré de classification et de nomenclature, que j'ai documenté pour les oiseaux en particulier. Parfois, l'étymologie d'un nom grand andamanais ressemblait à celle de l'anglais. Par exemple, Celene, composé de mots racines pour "crabe" et "épine", a été ainsi nommé parce qu'il craque et mange des crabes avec son bec dur et pointu.

La compréhension extrêmement détaillée de l'environnement naturel détenue par le peuple des Grands Andamanais (Nao Jr. nomma au moins six variétés de bords de mer et plus de 18 types d'odeurs) indique une culture qui a observé la nature avec un amour profond et un intérêt aigu. Considérant la nature comme un tout, ils ont cherché à examiner l'imbrication des forces qui construisent cet ensemble. L'espace était une construction culturelle, définie par le mouvement des esprits, des animaux et des humains le long d'axes verticaux et horizontaux. Dans la vision du monde des Grands Andamanais, l'espace et tous ses éléments naturels - le soleil, la lune, la marée, les vents, la terre et la forêt - constituaient ensemble le cosmos. Dans cette vision holistique, les oiseaux, les autres créatures et les esprits étaient tous interdépendants et faisaient partie intégrante du concept d'espace.

Le temps aussi était relatif, catégorisé en fonction d'événements naturels tels que la floraison des fleurs saisonnières, la disponibilité du miel - le calendrier du miel, pourrait-on l'appeler - le mouvement du soleil et de la lune, la direction des vents, la disponibilité des ressources alimentaires et le meilleur moment pour chasser le poisson ou d'autres animaux. Ainsi, lorsque la fleur de koroiny auro fleurit, les tortues et les poissons sont gras ; lorsque le bop taulo fleurit, les poissons bikhir, liot et bere sont abondants ; lorsque le loto taulo fleurit, c'est le meilleur moment pour attraper les poissons phiku et nyuri ; et quand le chokhoro taulo fleurissent, les cochons sont les plus gras et c'est le meilleur moment pour les chasser.

Même le "matin" et le "soir" étaient relatifs, selon la personne qui les vivait. Pour dire, par exemple, "Je te rendrai visite demain", on utiliserait ngambikhir, pour "ton demain". Mais dans la phrase "je finirai ça demain", le mot serait tambikhir, "mon demain". Le temps dépendait de la perspective de celui qui était impliqué dans l'événement.

Les mythes des Grands Andamanais indiquaient que leurs premiers ancêtres résidaient dans le ciel, comme dans une autre histoire que Nao Jr. m'a racontée. 

Le premier homme, sortant du creux d'un bambou, trouva de l'eau, des tubercules, de l'argile fine et de la résine. Il modela un pot en argile, alluma un feu avec la résine, fit bouillir les tubercules dans le pot et savoura un repas copieux. Puis il fabriqua une figurine en argile et ll laissa sur le feu. À son étonnement et à sa joie, elle se transforma en femme. Ils eurent beaucoup d'enfants et étaient très heureux. Après un long séjour sur Terre, le couple partit pour un endroit au-dessus des nuages, rompant tous les liens avec ce monde.

Des larmes ont coulé sur les joues de Nao Jr. alors qu'il racontait ce conte de création, qui présentait tous les éléments de la vie : l'eau, le feu, la terre, l'espace et l'air. Pour cet homme solitaire - sa femme l'avait quitté il y a des années pour un autre homme -, créer une partenaire selon ses désirs était la fable romantique ultime. Alors que je lui avais demandé des histoires pour la première fois, il avait dit ne pas en avoir entendu depuis 40 ans et qu'il n'en avait pas pour moi faute de mémoire. Mais au cours de nombreuses soirées, avec le gazouillis des grillons et les cris des grenouilles à l'extérieur, il m'a raconté 10 histoires précieuses, presque inédites pour une langue au bord de l'extinction. Peut-être que l'une des raisons pour lesquelles nous nous sommes tellement liés était que nous étions tous les deux raupuch - quelqu'un qui a perdu un frère ou une sœur. Nao Jr. a été choqué d'apprendre que ni l'anglais ni aucune langue indienne n'a un tel mot. "Pourquoi?" Il a demandé. "n'aimez-vous pas vos frères et soeurs"

Nao Jr. a quitté ce monde en février 2009. Avec cette mort prématurée, il a emporté avec lui un trésor de connaissances qui ne pourra jamais être ressuscité et m'a laissé raupuch à nouveau. Boro Sr. est décédé en novembre et Boa Sr. en janvier 2010, laissant sa voix au travers de plusieurs chansons. Licho est décédé en avril 2020. À l'heure actuelle, seules trois personnes - Peje, Golat et Noe - parlent encore une langue de la grande famille andamanaise, dans leur cas le Jero. Ils ont tous plus de 50 ans et souffrent de diverses affections. Toute la famille de ces langues est menacée d'extinction imminente.

Sur les quelque 7 000 langues parlées par les humains aujourd'hui, la moitié se taira d'ici la fin de ce siècle. La survie à l'ère de la mondialisation, de l'urbanisation et des changements climatiques oblige les communautés autochtones à remplacer leurs modes de vie et leurs langues traditionnels par ceux de la société dominante. Quand l'ancienne génération ne peut plus enseigner la langue aux plus jeunes, une langue est condamnée. Et avec chaque langue perdue, nous perdons une mine de connaissances sur l'existence humaine, la perception, la nature et la survie. Pour donner le dernier mot à Boa Sr. : "Tout est parti, il ne reste plus rien – nos jungles, notre eau, notre peuple, notre langue. Ne laissez pas la langue vous échapper ! Tiens bon !"

Auteur: Anvita Abbi

Info: "Whispers from Deep Time" dans Scientific American 328, 6, 62-69 (juin 2023). Trad et adaptation Mg

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