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philosophie

Tout le monde a une théorie sur ce qui se passe dans notre monde. Mais beaucoup sont partielles, ou fragmentaires, ou trop simples – attribuant trop d'importance au "capitalisme", au "mondialisme", à "l'opportunisme" ou aux "conséquences imprévues". Nous devons continuer à essayer de donner un sens à l'ensemble du scénario.

Commençons par quelques grandes hypothèses sur ce qui se passe. L'hypothèse de René Guénon, esquissée pour la première fois vers 1930, était que toutes les civilisations possèdent des pouvoirs spirituels et temporels et incorporent donc en quelque sorte une tension entre les deux : mais que, pour la première fois dans l'histoire, notre modernité, à partir de  1500, a placé le temporel au-dessus de l'Eternel, le matériel au-dessus du spirituel : en bref, 'l'état' au-dessus de 'l'église'.  On a vu quelques hypothèses connexes proposées en même temps : comme celle de Julien Benda selon laquelle les clercs, ou intellectuels, avaient déplacé leur préoccupation : ainsi l'immense valeur qu'ils avaient toujours attribuée aux choses non mondaines était maintenant attribuée aux choses mondaines. C'est-à-dire que les intellectuels étaient maintenant corrompus, en quelque sorte suivistes de profits sales.

Un ami américain a récemment attiré mon attention sur certains des écrits récents d'un romancier et essayiste, Paul Kingsnorth . A l'origine anticapitaliste, il se croyait à gauche, et se retrouve aujourd'hui plus ou moins à droite. Son hypothèse est que le déclin du christianisme dans notre civilisation – déclin de l'éternel et du spirituel – coïncide et a probablement été causé par la montée de ce qu'il nomme "mythe du progrès". Le progrès, c'est la conviction que le monde, ce monde, va mieux. Ce mythe est le genre de chose que nous pouvons associer à Francis Bacon ou John Stuart Mill, ou encore Bayle, Mandeville, Voltaire, Smith, Hegel, Comte, Marx - plus ou moins tout le monde des XVIIe au XIXe siècles, sauf pour des gens un peu plus pointus comme Bossuet ou Maistre, aussi pour Burke à la toute fin de sa vie. Kingsnorth construit une vision très efficace de l'histoire sur cette hypothèse, ce qui lui permet d'expliquer pourquoi gauchistes et corporatistes s'accordent si bien aujourd'hui. Tous, dit-il, veulent du progrès. Ils contribuent tous à ce qu'il appelle la Machine.

Acceptons ces deux hypothèses. Mais je dois en ajouter un troisième, qui ajoute une complication interne à la deuxième, et rend ainsi l'ensemble du scénario un peu plus dynamique. Cela peut même expliquer pourquoi il y a tant de confusion sur ce qui s'est passé. L'hypothèse est qu'il n'y a jamais eu un seul "mythe du progrès" : la puissance du mythe du progrès était qu'il contenait un contradiction interne, comme les traducteurs de Hegel ont eu l'habitude de la nommer : une division intérieure.  Deux positions rivales en désaccord sur le comment alors même qu'elles étaient d'accord sur le quoi . Le quoi étant un présupposé absolu - quelque chose de si fondamental qu'il n'a jamais été remis en question par aucune des parties. Comme c'est toujours le cas, le désaccord au premier plan détournait l'attention de l'accord plus profond qui dominait tout à l'arrière-plan.

Ce sur quoi ils étaient d'accord, c'est que des progrès se produisaient et devaient se produire . Ce sur quoi ils n'étaient pas d'accord, c'était comment cela devait se passer. Je simplifie bien sûr ici, mais simplifier un argument en deux positions est bien moins simple que de le simplifier en une position.

D'un côté il y avait l'argument selon lequel des progrès étaient en cours, que cela nous plaise ou non. Cela se produisait à travers ce qu'Adam Smith appelait la main invisible, ou ce que Samuel Johnson appelait la concaténation secrète, ce que nous appelons parfois maintenant la loi des conséquences imprévues. C'est le processus par lequel de nombreux humains, à la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ont contribué à l'émergence d'un bien qu'aucun n'avait jamais voulu, et qu'aucun n'avait anticipé, mais qui pouvait être compris rétrospectivement.

De l'autre côté, il y avait l'argument selon lequel le progrès ne se produirait que si nous adoptions les bonnes croyances rationnelles, les bonnes vues éclairées ( iberté, égalité, fraternité, etc.), et si nous nous efforcions d'imposer au monde les politiques ou les schémas suggéré par les bonnes croyances rationnelles et les bonnes vues éclairées. Il s'agissait de mettre l'accent sur la planification plutôt que sur les conséquences imprévues : et la planification ne pouvait être efficace que si elle était effectuée par ceux au pouvoir. Ainsi, les puissants devaient être subjugués par les experts de l'illumination.

La différence entre ces deux positions est que l'une y voit un processus inconscient , l'autre y voit une impulsion consciente. Ces deux positions ont dominé le débat politique deux siècles durant : d'une part, les uns ont privilégié les marchés et l'activité privée indépendante et apparemment (mais pas réellement ou finalement) égoïste, et d'autre part, un caméralisme, un colbertisme ou un comtisme de la planification scientifique. et l'activité publique collective.

En pratique, bien sûr, les deux ont été mélangées, ont reçu des noms variés, et certaines personnes qui ont commencé d'un côté pour se retrouver de l'autre : pensez à la dérive de John Stuart Mill ou de TH Green du libéralisme au socialisme ; mais considérez également la dérive de Kingsley Amis, Paul Johnson et John Osborne dans l'autre sens. Décoller tout cela est un boulôt de dingue : il faut peut-être le laisser aux historiens qui ont la patience de le faire. Mais les historiens ont tendance à embrouiller les choses... Alors tout ça mérite quelques explications : et l'expliquer dans l'abstrait, comme je le fais ici, permet certainement d'expliquer pourquoi les libéraux ont parfois été d'un côté ou de l'autre, et pourquoi les conservateurs sont tout aussi chimériques. 

Le point de cette hypothèse est de dire que toute la politique des deux derniers siècles fut dominée par des arguments sur la question de savoir si le progrès aurait lieu dans l'observance ou dans la violation, pour ainsi dire : s'il devrait être théorisé consciemment et ensuite imposée par une politique prudente, ou si il devait survenir sans planification délibérée de telle manière que seuls les historiens ultérieurs pourraient le comprendre pleinement. Mais tout ça est terminé. Nous sommes maintenant à l'étape suivante.

Cela s'explique en partie par le fait que, comme le dit Kingsnorth, le mythe du progrès - bien qu'il ne soit pas entièrement mort - parait pratiquer ses derniers rites. Il est sans doute en difficulté depuis les années 1890, a été secoué par la Première Guerre mondiale ; mais il a subi ses chocs récents depuis les années 1970, avec la pollution, la surpopulation, la stagflation, l'ozone, le dioxyde de carbone, les prêts hypothécaires à risque, etc. Pour l'instant les mondialistes ne savent pas exactement comment concilier le cercle du désir de "progrès" (ou, du moins comment être "progressiste") tout en faisant simultanément promotion de la "durabilité". Si nous avons un mythe en ce moment c'est sûrement le mythe de la durabilité. Peut-être que les mondialistes et les localistes comme Kingsnorth constateront que, bien qu'ils soient en désaccord sur beaucoup de choses - COVID-19, par exemple - ils sont d'accord sur la durabilité.

Mais il y a quelque chose à ajouter, une quatrième hypothèse, et c'est vraiment l'hypothèse suprême. J'ai dit que pendant quelques siècles, il y avait la planification contre le laissez-faire , ou la conscience contre les conséquences imprévues - les deux essayant de trouver comment rendre le monde, ce monde, meilleur. Mais il y a autre chose. La quatrième hypothèse est que certains personnages du début du XIXe siècle entrevoyaient que les deux positions pouvaient se confondre. Hegel était l'une de ces figures ; même Marx. Il y en eut d'autres; qui sont nombreux maintenant. Fusion qui signifiait quelque chose comme ce qui suit :

Jusqu'à présent, nous avons fait l'erreur de penser que le bien peut être imposé consciemment - généralement par le biais de préceptes religieux - mais nous avons découvert, grâce à Mandeville, Smith et les économistes, que le bien peut être obtenu par des conséquences involontaires. Ce qui ne signifie cependant pas que nous devrions adopter une politique de laissez-faire : au contraire, maintenant que nous comprenons les conséquences imprévues , nous savons comment fonctionne tout le système inconscient du monde, et puisque nous savons comment intégrer notre connaissance de ceci dans notre politique, nous pouvons enfin parvenir à un ordre mondial scientifique et moral ou probant et justifié parfait.

Est-ce clair? Les Lumières écossaises ont créé l'expert empirique, qui a fusionné avec le progressiste conscient moralement assuré, pour devenir l'espoir du monde. Sans doute, la plupart d'entre nous ont abandonné les fantasmes hégéliens et marxistes de "fin de l'histoire" ou d'"émancipation", mais je pense que l'ombre de ces fantasmes a survécu et s'est achevée dans le récent majoritarisme scientifique et moral, si clairement vu depuis que le COVID-19 est arrivé dans le monde.

Si j'ai raison à propos de cette quatrième hypothèse, cela explique pourquoi nous sommes si confus. Nous ne pouvons pas donner un sens à notre situation en utilisant le vieux langage du "collectivisme" contre "l'individualisme". Le fait est qu'à notre époque post-progressiste, les experts se sentent plus justifiés que jamais pour imposer à chacun un ensemble de protocoles et de préceptes "fondés sur des preuves" et "moralement justifiés". Plus justifiés parce que combinant la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent individuellement (par la modélisation et l'observation de processus inconscients ou de conséquences imprévues) avec la certitude sur ce qu'il est juste de faire collectivement (étant donné que les vieux fantasmes de progrès ont été modifiés par une idéologie puritaine et contraignante de durabilité et de survie, ajoutée de diversité, d'équité et d'inclusion - qui sert d'ailleurs plus d'impulsion de retenue que d'anticipation d'une émancipation du marxisme)

Ce n'est pas seulement toxique mais emmêlé. Les niveaux d'hypocrisie et d'auto-tromperie impliqués dans cela sont formidables. Les mondialistes ont une doctrine à toute épreuve dans leur politique durable qui sauve le monde, ou "durabilité". Elle est presque inattaquable, puisqu'elle s'appuie sur les plus grandes réalisations des sciences naturelles et morales. Tout ça bien sûr alimenté par une ancienne cupidité acquisitive, mais aussi par le sentiment qu'il faut offrir quelque chose en échange de leur manque de privilèges à ceux qui ont besoin d'être nivelés ; et tout ça bien sûr rend le monde meilleur, "sauve" la planète, dorant les cages des déshérités et les palais des privilégiés de la même laque d'or insensée.

Peut-être, comme l'entrevoient Guenon et Kingsnorth – également Delingpole et Hitchens – la vérité est-elle que nous devons réellement remonter à travers toute l'ère de la durabilité et l'ère du progrès jusqu'à l'ère de la foi. Certes, quelqu'un ou quelque chose doit forcer ces "élites" à se soumettre à une vision supérieure : et je pense que la seule façon de donner un sens à cela pour le moment est d'imaginer qu'une église ou un prophète ou un penseur visionnaire puisse abattre leur État - la laïcité corporate-, leur montrer que leur foi n'est qu'une idéologie servant leurs intérêts, et qu'ils doivent se soumettre à une doctrine authentiquement fondée sur la grâce,  apte à admettre la faute, l'erreur, voire le péché. Cela ne se ferait pas par des excuses publiques ou une démonstration politique hypocrite, mais en interrogeant leurs propres âmes.

Je suis pas certain que c'est ce qui arrivera, ni même que cela devrait arriver (ou que cela pourrait arriver) : mais c'est certainement le genre de chose qui doit arriver. Autrement dit, c'est le genre de chose que nous devrions imaginer arriver. Ce qui se passera sera soit du genre Oie Blanche ancienne, soit peut-être un événement inattendu style "Black Swan" (pas nécessairement une bonne chose : nous semblons trop aimer la crise en ce moment). Mais, de toute façon, une sensibilité réactionnaire semble être la seule capable de manifester une quelconque conscience de ce qui se passe.

Pour clarifier, permettez-moi d'énoncer à nouveau les quatre hypothèses sur ce phénomène :

1. A travers toutes les époques, il y a eu un équilibre entre spiritualité et  sécularisation. Dans notre modernité, la sécularité est dominante. Il n'y a que ce monde.

2. Depuis environ trois siècles, nous croyons que ce monde s'améliore et devrait s'améliorer. C'est le "mythe du progrès".

3. Il y a toujours eu des désaccords sur le progrès : certains pensaient qu'il était le fruit du hasard et de l'intérêt individuel ; d'autres pensaient qu'il ne pouvait être que le résultat d'une conception délibérée.

4. Nous ne devons pas ignorer qu'il y a eu une fusion très intelligente de ces deux positions : une fusion qui ne s'est pas évanouie avec l'évanouissement du "mythe du progrès" mais qui survit pour soutenir la politique étrange et nouvelle de ce que nous pourrions appeler le "mythe de la durabilité". Cette fusion est extrêmement condescendante et sûre d'elle-même car elle associe la certitude scientifique de ce qui s'est passé inconsciemment pour améliorer le monde à la certitude morale de ce qui devrait maintenant être fait consciemment pour améliorer le monde. Elle semble réunir individu et collectif d'une manière qui est censée rendre impossible tout renoncement.

 

Auteur: Alexander James

Info: Daily Skeptic. Quatre hypothèses sur l'élite mondiale laïque-corporatiste, 20 février 2023. Trad Mg, avec DeePL

[ état des lieux ]

 

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homme-animal

Dauphins : cerveau, conscience et intelligence

Les scientifiques rassemblés à San Diego, Californie, à l'occasion du Congrès annuel de l'Association Américaine pour l'Avancement de la Science, en ce mois de février 2010, ont conclu que le dauphin était un mammifère aussi évolué et intelligent que l’humain. Pour confirmer leurs assertions, ils se fondent notamment sur le développement phénoménal de son lobe frontal, siège de la pensée consciente et sur sa capacité que partagent seulement les grands singes et les éléphants de se reconnaître dans un miroir.

Ils insistent aussi sur le fait que le dauphin Tursiops Truncatus, (mais que sait-on des autres cétacés, de leur langage, de leurs cultures si riches et si variées?.) dispose du plus gros cerveau du monde, après celui de l’Homme, selon la théorie du coefficient encéphalique. Méfiance : celle-ci ne tient cependant pas compte des circonvolutions du cortex, largement plus nombreuses chez le cachalot ou d'autres cétacés que chez l'Homme. A la seule aune de ce coefficient, le singe Saïmiri nous dépasserait tous !

Par ailleurs, le carburant du cerveau, c’est le glucose, et à ce niveau, Dauphins et Humains partagent un métabolisme quasiment identique. De telles capacités cognitives, selon les scientifiques de San Diego où, rappelons-le, se trouve également le principal centre de dressage des dauphins militaires aux USA – pose un grave problème éthique quant à la détention forcée en delphinarium de ces remarquables cétacés. Ce point a été évoqué.

Notons que la sur-évolution des cétacés, un espèce née trente millions d'années avant JC, alors que nous ne totalisons au compteur que 160.000 ans en tant qu'Homo Sapiens, selon les dernières données de Pascal Picq, ne se situe pas seulement au niveau de la pensée consciente.

I. L’INTELLIGENCE DES DAUPHINS EN QUESTION

A quel niveau, la barre ?

De vigoureux débats ont régulièrement lieu à propos de l’intelligence du dauphin, où se retrouvent et s’opposent globalement trois opinions : Il y a ceux qui mettent la barre très haut. Ils pensent - peut-être à raison – que les dauphins sont dotés de pouvoirs paranormaux, et transcendent de très loin toutes nos possibilités mentales. Par exemple, pour Jim Nollman, la pensée cachalot étant produite par un cerveau cinq fois plus puissant que le nôtre est forcément cinq fois plus complexe et donc inaccessible à notre compréhension.

Sur un mode nettement moins rationnel et plus égoïste, la mouvance New Age tend à considérer les dauphins comme des extraterrestres arrivant de Sirius pour apporter un message au Monde et servir aux progrès des Hommes. C’est de cette mouvance, malheureusement, qu’est issue la mode des Dolphin Assisted Therapy (DAT) et l’on peut donc craindre que ces idéologies ne servent avant tout à favoriser l’expansion de ce marché.

Il y a ceux qui mettent la barre très bas. Et ceux-là très clairement, ont reçu pour mission de justifier les captures pour les delphinariums ou les massacres des baleines. On lira ainsi avec stupéfaction certaines études réductrices qui ramènent le cerveau du cétacé aux dimensions de celui du hérisson ou tendent à prétendre que les baleines ne sont finalement que de gros "bovidés de la mer", stupides, indolentes et presque insensibles. De même, toute la galaxie de chercheurs et vétérinaires vendus à l’industrie du delphinarium déclarera d’une seule voix que l’intelligence du dauphin ne dépasse guère celle du chien.

Et il y a ceux qui tentent de faire la part des choses... Et notamment d’aborder de manière objective une série de d’études scientifiques ou d’observations de terrain convergentes. En regroupant ces recherches, en les collationnant, en les mettant en perspectives, il devient alors très difficile de croire que les cétacés puissent n’être que des "toutous marins"…

Le frein de l’anthropocentrisme

La disqualification systématique des compétences cognitives des cétacés n’est pourtant pas le fait de seuls baleiniers ou des "dolphin trainers". Certains cétologues et associations (Anne Collet, Greenpeace) adoptent cette position, affirment-ils, par souci d’objectivité. En fait, il semble surtout qu’une sorte de terreur sacrée les saisisse devant l’effondrement de l’un des derniers dogmes inexpugnables du canon scientifique : "l’Homme, mesure de toutes choses, image de Dieu sur terre, est seul doté de conscience et de langage".

"En traçant une limite stricte entre l’Homme et la Bête" ajoute Keith Thomas, "le but principal de nos théoriciens modernes était surtout de justifier la chasse, la domestication, l’ingestion de la chair d’un animal mort, la vivisection – qui devint une pratique scientifique courante dès le 19 ème siècle - et l’extermination à large échelle de la vermine et des prédateurs".

On trouve un peu partout – mais surtout dans le monde de l’édition francophone – de pitoyables gesticulations mentales visant à dénigrer, chaque fois que faire se peut, toute contestation de cette vérité première, aussi évidente que la course du soleil autour de la terre. Innombrables sont les études qui nient que la guenon Washoe, le bonobo Kanzi ou le perroquet Alex puissent parlent de vrais langages. Un article récent allait même jusqu’à contester la notion de "conscience de soi" chez l’animal non-humain et le fait que les expériences de reconnaissance face au miroir puissent avoir valeur de preuve en ce domaine.

Bref, pour beaucoup d’humanistes de la vieille école, la prééminence de l’être humain sur le plan de l’intellect est un dogme, une conviction d’ordre affectif presque désespérée, et non pas une certitude scientifique. L’anthropocentrisme qui fonde toute notre vision du monde nous rend, semble-t-il, incapable d’appréhender la possibilité d’une conscience autre, "exotique" selon le mot de H.Jerison, mais parfaitement complète, aboutie et auto-réflexive.

Pourtant, insiste Donald Griffin : "Il n’est pas plus anthropomorphique, au sens strict du terme, de postuler l’existence d’expériences mentales chez d’autres espèces animales, que de comparer leurs structures osseuses, leurs systèmes nerveux ou leurs anticorps avec ceux des humains".

TECHNOLOGIE ET INTELLIGENCE

Cerveau vaste et puissant que celui du dauphin, certes. Mais encore ? Qu’en fait-il ? C’est là l’ultime argument massue de notre dernier carré d’humanistes qui, très expressément, maintient la confusion entre Intelligence et Technologie. Or nous savons – nous ne pouvons plus nier – que d’autres types d’intelligences existent. On se reportera notamment au passionnant ouvrage de Marc Hauser "Wild Minds : what animals really think" (Allen Lane éditions, Penguin Press, London 2000) qui définit en termes clairs la notion "d’outillage mental". Même si de grands paramètres restent communs à la plupart des espèces psychiquement évoluées, dit en substance l’auteur (règle de la conservation des objets, cartes mentales pour s’orienter, capacité de numériser les choses, etc.), à chaque environnement correspond néanmoins une vision du monde, un mode de pensée propre, qui permet à l’individu de survivre au mieux.

Les écureuils sont capables de garder à l’esprit des cartes mentales d’une précision hallucinante, fondée sur des images géométriques. Les baleines chassent avec des rideaux de bulles, dont le réglage demande une grande concentration et une puissance de calcul peu commune. Les orques et les dauphins ne produisent rien, c’est vrai mais ils sont là depuis des millions d’années, ne détruisent pas leur biotope, vivent en belle harmonie, n’abandonnent pas leurs blessés, ne se font pas la guerre entre eux et dominaient tous les océans jusqu’à ce que l’Homme vienne pour les détruire. Toutes vertus généralement qualifiées de "sens moral" et qui révèlent un très haut degré de compréhension du monde.

Il en est de même pour l’être humain : technicien jusqu’au bout des doigts, champion incontesté de la manipulation d’objets et de chaînes de pensées, adepte des lignes droites, de la course et de la vitesse, il vit dans un monde à gravité forte qui le maintient au sol et lui donne de l’environnement une vision bidimensionnelle.

L’imprégnation génétique de nos modes de conscience est forte : nous avons gardé de nos ancêtres la structure sociale fission-fusion mâtinée de monogamie, la protection de nos "frontières" est toujours assurée, comme chez les autres chimpanzés, par des groupes de jeunes mâles familialement associés (frères, cousins puis soldats se battant pour la Mère Patrie), notre goût pour la science, le savoir et les découvertes n’est qu’une forme sublimée de la néophilie presque maladive que partagent tous les grands primates, et notre passion pour les jardins, les parcs, les pelouses bien dégagés et les "beaux paysages" vient de ce que ceux-ci évoquent la savane primitive, dont les grands espaces partiellement arborés nous permettaient autrefois de nous cacher aisément puis de courir sur la proie...

Mais bien sûr, l’homme est incapable de bondir de branche en branche en calculant son saut au plus juste, il est incapable de rassembler un banc de poissons diffus rien qu’en usant de sons, incapable de tuer un buffle à l’affût en ne se servant que de son corps comme arme, etc.

Ce n’est certes pas pour nous un titre de gloire que d’être les plus violents, les plus cruels, les plus astucieux, les plus carnivores, mais surtout les plus habiles et donc les plus polluants de tous les grands hominoïdes ayant jamais vécu sur cette planète, et cela du seul fait que nous n’avons pas su ou pas voulu renoncer à nos outils mentaux primordiaux ni à nos règles primitives.

Au-delà de nos chefs-d’oeuvre intellectuels – dont nous sommes les seuls à percevoir la beauté – et de nos créations architecturales si calamiteuses au niveau de l’environnement, la fureur primitive des chimpanzés est toujours bien en nous, chevillée dans nos moindres gestes et dans tous nos désirs : plus que jamais, le pouvoir et le sexe restent au centre des rêves de tous les mâles de la tribu...

De la Relativité Restreinte d’Einstein à la Bombe d’Hiroshima

Une dernière question se pose souvent à propos de l’intelligence des cétacés : représente-t-elle ou non un enjeu important dans le cadre de leur protection ?

Là encore, certaines associations s’indignent que l’on puisse faire une différence entre la tortue luth, le tamarin doré, le cachalot ou le panda. Toutes ces espèces ne sont-elles pas également menacées et leur situation dramatique ne justifie-t-elle pas une action de conservation d’intensité égale ? Ne sont-elles pas toutes des "animaux" qu’il convient de protéger ? Cette vision spéciste met une fois encore tous les animaux dans le même sac, et le primate humain dans un autre…

Par ailleurs, force est de reconnaître que l’intelligence prodigieuse des cétacés met un autre argument dans la balance : en préservant les dauphins et baleines, nous nous donnons une dernière chance d’entrer en communication avec une autre espèce intelligente. Il est de même pour les éléphants ou les grands singes mais le développement cognitif des cétacés semblent avoir atteint un tel degré que les contacts avec eux pourraient atteindre au niveau de vrais échanges culturels.

Les seuls animaux à disposer d’un outil de communication relativement similaire au nôtre c’est à dire transmis sur un mode syntaxique de nature vocale – sont en effet les cétacés. On pourrait certainement communiquer par certains signes et infra-sons avec les éléphants, par certains gestes-symboles et mimiques avec les chimpanzés libres, mais ces échanges ne fourniraient sans doute que des informations simples, du fait de notre incapacité à nous immerger complètement dans la subtilité de ces comportements non-verbaux. Tout autre serait un dialogue avec des dauphins libres qui sont, comme nous, de grands adeptes du "vocal labeling", de la désignation des choses par des sons, de l’organisation de ces sons en chaînes grammaticalement organisées et de la création de sons nouveaux pour désigner de nouveaux objets.

Cette possibilité, inouïe et jamais advenue dans l’histoire humaine, est pour nous l’un des principaux enjeux de la conservation des "peuples de la mer" véritables nations cétacéennes dont nous ne devinerons sans doute que très lentement les limites du prodigieux univers mental. Une telle révolution risque bien d’amener d’extraordinaires changements dans notre vision du monde.

Il n’est d’ailleurs pas impossible que notre pensée technologique nous rende irrémédiablement aveugle à certaines formes de réalité ou fermé à certains modes de fonctionnement de la conscience. Comme l’affirme Jim Nollman, il se peut en effet que les cachalots soient capables d’opérations mentales inaccessibles à notre compréhension.

Il se peut que leur cerveau prodigieusement développé les rende à même de percevoir, mettons, cinq ou six des onze dimensions fondamentales de l’univers (Lire à ce propos : "L’Univers élégant" de Brian Greene, Robert Laffont éditeur) plutôt que les quatre que nous percevons ? Quel aspect peut avoir l’océan et le ciel sous un regard de cette sorte ?

Si nous ne leur parlons pas, impossible à savoir.

On imagine la piètre idée qu’ont pu se faire les premiers colons anglais de ces yogis immobiles qu’ils découvraient au fond d’une grotte en train de méditer... Se doutaient-ils seulement à quoi ces vieux anachorètes pouvaient passer leur temps ? Avaient-ils la moindre idée du contenu des Upanishads ou des Shiva Sutras, la moindre idée de ce que pouvait signifier le verbe "méditer" pour ces gens et pour cette culture ?

Les baleines bleues, les cachalots, les cétacés les plus secrets des grands fonds (zyphius, mésoplodon) sont-ils, de la même manière, des sages aux pensées insondables nageant aux frontières d’autres réalités… et que nous chassons pour leur viande ?

On se souvient aussi du mépris profond que l’Occident manifestait jusqu’il y a peu aux peuples primitifs. Les Aborigènes d’Australie vivaient nus, n’avaient que peu d’outils et se contentaient de chasser. Stupides ? Eh bien non ! La surprise fut totale lorsque enfin, on pris la peine de pénétrer la complexité inouïe de leurs mythes, de leurs traditions non-écrites et de leur univers mental... notions quasi inaccessible à la compréhension cartésienne d’un homme "civilisé".

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

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paliers bayésiens

Une nouvelle preuve montre que les graphiques " expandeurs " se synchronisent

La preuve établit de nouvelles conditions qui provoquent une synchronisation synchronisée des oscillateurs connectés.

Il y a six ans, Afonso Bandeira et Shuyang Ling tentaient de trouver une meilleure façon de discerner les clusters dans d'énormes ensembles de données lorsqu'ils sont tombés sur un monde surréaliste. Ling s'est rendu compte que les équations qu'ils avaient proposées correspondaient, de manière inattendue, parfaitement à un modèle mathématique de synchronisation spontanée. La synchronisation spontanée est un phénomène dans lequel des oscillateurs, qui peuvent prendre la forme de pendules, de ressorts, de cellules cardiaques humaines ou de lucioles, finissent par se déplacer de manière synchronisée sans aucun mécanisme de coordination central.

Bandeira, mathématicien à l' École polytechnique fédérale de Zurich , et Ling, data scientist à l'Université de New York , se sont plongés dans la recherche sur la synchronisation, obtenant une série de résultats remarquables sur la force et la structure que doivent avoir les connexions entre oscillateurs pour forcer les oscillateurs. à synchroniser. Ce travail a abouti à un article d'octobre dans lequel Bandeira a prouvé (avec cinq co-auteurs) que la synchronisation est inévitable dans des types spéciaux de réseaux appelés graphes d'expansion, qui sont clairsemés mais également bien connectés.

Les graphiques expanseurs s'avèrent avoir de nombreuses applications non seulement en mathématiques, mais également en informatique et en physique. Ils peuvent être utilisés pour créer des codes correcteurs d’erreurs et pour déterminer quand les simulations basées sur des nombres aléatoires convergent vers la réalité qu’elles tentent de simuler. Les neurones peuvent être modélisés dans un graphique qui, selon certains chercheurs, forme un expanseur, en raison de l'espace limité pour les connexions à l'intérieur du cerveau. Les graphiques sont également utiles aux géomètres qui tentent de comprendre comment parcourir des surfaces compliquées , entre autres problèmes.

Le nouveau résultat " donne vraiment un aperçu considérable des types de structures graphiques qui vont garantir la synchronisation ", a déclaré Lee DeVille , un mathématicien de l'Université de l'Illinois qui n'a pas participé aux travaux. 

Synchronisation douce-amère         

"La synchronisation est vraiment l'un des phénomènes fondamentaux de la nature", a déclaré Victor Souza , un mathématicien de l'Université de Cambridge qui a travaillé avec Bandeira sur l'article. Pensez aux cellules stimulateurs cardiaques de votre cœur, qui synchronisent leurs pulsations via des signaux électriques. Lors d'expériences en laboratoire, "vous pouvez faire vibrer des centaines ou des milliers de cellules embryonnaires de stimulateur cardiaque à l'unisson", a déclaré Steven Strogatz , mathématicien à l'Université Cornell et autre co-auteur. " C'est un peu effrayant parce que ce n'est pas un cœur entier ; c'est juste au niveau des cellules."

En 1975, le physicien japonais Yoshiki Kuramoto a introduit un modèle mathématique décrivant ce type de système. Son modèle fonctionne sur un réseau appelé graphe, où les nœuds sont reliés par des lignes appelées arêtes. Les nœuds sont appelés voisins s’ils sont liés par une arête. Chaque arête peut se voir attribuer un numéro appelé poids qui code la force de la connexion entre les nœuds qu’elle connecte.

Dans le modèle de synchronisation de Kuramoto, chaque nœud contient un oscillateur, représenté par un point tournant autour d'un cercle. Ce point montre, par exemple, où se trouve une cellule cardiaque dans son cycle de pulsation. Chaque oscillateur tourne à sa propre vitesse préférée. Mais les oscillateurs veulent également correspondre à leurs voisins, qui peuvent tourner à une fréquence différente ou à un moment différent de leur cycle. (Le poids du bord reliant deux oscillateurs mesure la force du couplage entre eux.) S'écarter de ces préférences contribue à l'énergie dépensée par un oscillateur. Le système tente d'équilibrer tous les désirs concurrents en minimisant son énergie totale. La contribution de Kuramoto a été de simplifier suffisamment ces contraintes mathématiques pour que les mathématiciens puissent progresser dans l'étude du système. Dans la plupart des cas, de tels systèmes d’équations différentielles couplées sont pratiquement impossibles à résoudre.

Malgré sa simplicité, le modèle Kuramoto s'est révélé utile pour modéliser la synchronisation des réseaux, du cerveau aux réseaux électriques, a déclaré Ginestra Bianconi , mathématicienne appliquée à l'Université Queen Mary de Londres. "Dans le cerveau, ce n'est pas particulièrement précis, mais on sait que c'est très efficace", a-t-elle déclaré.

"Il y a ici une danse très fine entre les mathématiques et la physique, car un modèle qui capture un phénomène mais qui est très difficile à analyser n'est pas très utile", a déclaré Souza.

Dans son article de 1975, Kuramoto supposait que chaque nœud était connecté à tous les autres nœuds dans ce qu'on appelle un graphe complet. À partir de là, il a montré que pour un nombre infini d’oscillateurs, si le couplage entre eux était suffisamment fort, il pouvait comprendre leur comportement à long terme. Faisant l'hypothèse supplémentaire que tous les oscillateurs avaient la même fréquence (ce qui en ferait ce qu'on appelle un modèle homogène), il trouva une solution dans laquelle tous les oscillateurs finiraient par tourner simultanément, chacun arrondissant le même point de son cercle exactement au même endroit. en même temps. Même si la plupart des graphiques du monde réel sont loin d'être complets, le succès de Kuramoto a conduit les mathématiciens à se demander ce qui se passerait s'ils assouplissaient ses exigences.  

Mélodie et silence

Au début des années 1990, avec son élève Shinya Watanabe , Strogatz a montré que la solution de Kuramoto était non seulement possible, mais presque inévitable, même pour un nombre fini d'oscillateurs. En 2011, Richard Taylor , de l'Organisation australienne des sciences et technologies de la défense, a renoncé à l'exigence de Kuramoto selon laquelle le graphique devait être complet. Il a prouvé que les graphes homogènes où chaque nœud est connecté à au moins 94 % des autres sont assurés de se synchroniser globalement. Le résultat de Taylor avait l'avantage de s'appliquer à des graphes avec des structures de connectivité arbitraires, à condition que chaque nœud ait un grand nombre de voisins.

En 2018, Bandeira, Ling et Ruitu Xu , un étudiant diplômé de l'Université de Yale, ont abaissé à 79,3 % l'exigence de Taylor selon laquelle chaque nœud doit être connecté à 94 % des autres. En 2020, un groupe concurrent a atteint 78,89 % ; en 2021, Strogatz, Alex Townsend et Martin Kassabov ont établi le record actuel en démontrant que 75 % suffisaient.

Pendant ce temps, les chercheurs ont également attaqué le problème dans la direction opposée, en essayant de trouver des graphiques hautement connectés mais non synchronisés globalement. Dans une série d'articles de 2006 à 2022 , ils ont découvert graphique après graphique qui pourraient éviter la synchronisation globale, même si chaque nœud était lié à plus de 68 % des autres. Beaucoup de ces graphiques ressemblent à un cercle de personnes se tenant la main, où chaque personne tend la main à 10, voire 100 voisins proches. Ces graphiques, appelés graphiques en anneaux, peuvent s'installer dans un état dans lequel chaque oscillateur est légèrement décalé par rapport au suivant.

De toute évidence, la structure du graphique influence fortement la synchronisation. Ling, Xu et Bandeira sont donc devenus curieux des propriétés de synchronisation des graphiques générés aléatoirement. Pour rendre leur travail précis, ils ont utilisé deux méthodes courantes pour construire un graphique de manière aléatoire.

Le premier porte le nom de Paul Erdős et Alfréd Rényi, deux éminents théoriciens des graphes qui ont réalisé des travaux fondateurs sur le modèle. Pour construire un graphique à l'aide du modèle Erdős-Rényi, vous commencez avec un groupe de nœuds non connectés. Ensuite, pour chaque paire de nœuds, vous les reliez au hasard avec une certaine probabilité p . Si p vaut 1 %, vous liez les bords 1 % du temps ; si c'est 50 %, chaque nœud se connectera en moyenne à la moitié des autres.

Si p est légèrement supérieur à un seuil qui dépend du nombre de nœuds dans le graphique, le graphique formera, avec une très grande probabilité, un réseau interconnecté (au lieu de comprendre des clusters qui ne sont pas reliés). À mesure que la taille du graphique augmente, ce seuil devient minuscule, de sorte que pour des graphiques suffisamment grands, même si p est petit, ce qui rend le nombre total d'arêtes également petit, les graphiques d'Erdős-Rényi seront connectés.

Le deuxième type de graphe qu’ils ont considéré est appelé graphe d -régulier. Dans de tels graphes, chaque nœud a le même nombre d’arêtes, d . (Ainsi, dans un graphe 3-régulier, chaque nœud est connecté à 3 autres nœuds, dans un graphe 7-régulier, chaque nœud est connecté à 7 autres, et ainsi de suite.)

(Photo avec schéma)

Les graphiques bien connectés bien qu’ils soient clairsemés (n’ayant qu’un petit nombre d’arêtes) sont appelés graphiques d’expansion. Celles-ci sont importantes dans de nombreux domaines des mathématiques, de la physique et de l'informatique, mais si vous souhaitez construire un graphe d'expansion avec un ensemble particulier de propriétés, vous constaterez qu'il s'agit d'un " problème étonnamment non trivial ", selon l'éminent mathématicien. Terry Tao. Les graphes d'Erdős-Rényi, bien qu'ils ne soient pas toujours extensibles, partagent bon nombre de leurs caractéristiques importantes. Et il s'avère cependant que si vous construisez un graphe -régulier et connectez les arêtes de manière aléatoire, vous obtiendrez un graphe d'expansion.

Joindre les deux bouts

En 2018, Ling, Xu et Bandeira ont deviné que le seuil de connectivité pourrait également mesurer l'émergence d'une synchronisation globale : si vous générez un graphique d'Erdős-Rényi avec p juste un peu plus grand que le seuil, le graphique devrait se synchroniser globalement. Ils ont fait des progrès partiels sur cette conjecture, et Strogatz, Kassabov et Townsend ont ensuite amélioré leur résultat. Mais il subsiste un écart important entre leur nombre et le seuil de connectivité.

En mars 2022, Townsend a rendu visite à Bandeira à Zurich. Ils ont réalisé qu'ils avaient une chance d'atteindre le seuil de connectivité et ont fait appel à Pedro Abdalla , un étudiant diplômé de Bandeira, qui à son tour a enrôlé son ami Victor Souza. Abdalla et Souza ont commencé à peaufiner les détails, mais ils se sont rapidement heurtés à des obstacles.

Il semblait que le hasard s’accompagnait de problèmes inévitables. À moins que p ne soit significativement plus grand que le seuil de connectivité, il y aurait probablement des fluctuations sauvages dans le nombre d'arêtes de chaque nœud. L'un peut être attaché à 100 arêtes ; un autre pourrait être attaché à aucun. "Comme pour tout bon problème, il riposte", a déclaré Souza. Abdalla et Souza ont réalisé qu'aborder le problème du point de vue des graphiques aléatoires ne fonctionnerait pas. Au lieu de cela, ils utiliseraient le fait que la plupart des graphes d’Erdős-Rényi sont des expanseurs. "Après ce changement apparemment innocent, de nombreuses pièces du puzzle ont commencé à se mettre en place", a déclaré Souza. "En fin de compte, nous obtenons un résultat bien meilleur que ce à quoi nous nous attendions." Les graphiques sont accompagnés d'un nombre appelé expansion qui mesure la difficulté de les couper en deux, normalisé à la taille du graphique. Plus ce nombre est grand, plus il est difficile de le diviser en deux en supprimant des nœuds.

Au cours des mois suivants, l’équipe a complété le reste de l’argumentation en publiant son article en ligne en octobre. Leur preuve montre qu'avec suffisamment de temps, si le graphe a suffisamment d'expansion, le modèle homogène de Kuramoto se synchronisera toujours globalement.

Sur la seule route

L’un des plus grands mystères restants de l’étude mathématique de la synchronisation ne nécessite qu’une petite modification du modèle présenté dans le nouvel article : que se passe-t-il si certaines paires d’oscillateurs se synchronisent, mais que d’autres s’en écartent ? Dans cette situation, " presque tous nos outils disparaissent immédiatement ", a déclaré Souza. Si les chercheurs parviennent à progresser sur cette version du problème, ces techniques aideront probablement Bandeira à résoudre les problèmes de regroupement de données qu’il avait entrepris de résoudre avant de se tourner vers la synchronisation.

Au-delà de cela, il existe des classes de graphiques outre les extensions, des modèles plus complexes que la synchronisation globale et des modèles de synchronisation qui ne supposent pas que chaque nœud et chaque arête sont identiques. En 2018, Saber Jafarpour et Francesco Bullo de l'Université de Californie à Santa Barbara ont proposé un test de synchronisation globale qui fonctionne lorsque les rotateurs n'ont pas de poids ni de fréquences préférées identiques. L'équipe de Bianconi et d'autres ont travaillé avec des réseaux dont les liens impliquent trois, quatre nœuds ou plus, plutôt que de simples paires.

Bandeira et Abdalla tentent déjà d'aller au-delà des modèles Erdős-Rényi et d -regular vers d'autres modèles de graphes aléatoires plus réalistes. En août dernier, ils ont partagé un article , co-écrit avec Clara Invernizzi, sur la synchronisation dans les graphes géométriques aléatoires. Dans les graphes géométriques aléatoires, conçus en 1961, les nœuds sont dispersés de manière aléatoire dans l'espace, peut-être sur une surface comme une sphère ou un plan. Les arêtes sont placées entre des paires de nœuds s'ils se trouvent à une certaine distance les uns des autres. Leur inventeur, Edgar Gilbert, espérait modéliser des réseaux de communication dans lesquels les messages ne peuvent parcourir que de courtes distances, ou la propagation d'agents pathogènes infectieux qui nécessitent un contact étroit pour se transmettre. Des modèles géométriques aléatoires permettraient également de mieux capturer les liens entre les lucioles d'un essaim, qui se synchronisent en observant leurs voisines, a déclaré Bandeira.

Bien entendu, relier les résultats mathématiques au monde réel est un défi. "Je pense qu'il serait un peu mensonger de prétendre que cela est imposé par les applications", a déclaré Strogatz, qui a également noté que le modèle homogène de Kuramoto ne peut jamais capturer la variation inhérente aux systèmes biologiques. Souza a ajouté : " Il y a de nombreuses questions fondamentales que nous ne savons toujours pas comment résoudre. C'est plutôt comme explorer la jungle. " 



 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org - Leïla Sloman, 24 juillet 2023

[ évolution ]

 

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Chat GPT ou le perroquet grammairien

L’irruption des IA conversationnelles dans la sphère publique a conféré une pertinence supplémentaire aux débats sur le langage humain et sur ce qu’on appelle parler. Notamment, les IA redonnent naissance à un débat ancien sur la grammaire générative et sur l’innéisme des facultés langagières. Mais les grands modèles de langage et les IA neuronales nous offrent peut-être l’occasion d’étendre le domaine de la réflexion sur l’architecture des systèmes possibles de cognition, de communication et d’interaction, et considérant aussi la façon dont les animaux communiquent.

a capacité de ChatGPT à produire des textes en réponse à n’importe quelle requête a immédiatement attiré l’attention plus ou moins inquiète d’un grand nombre de personnes, les unes animées par une force de curiosité ou de fascination, et les autres, par un intérêt professionnel.

L’intérêt professionnel scientifique que les spécialistes du langage humain peuvent trouver aux Large Language Models ne date pas d’hier : à bien des égards, des outils de traduction automatique comme DeepL posaient déjà des questions fondamentales en des termes assez proches. Mais l’irruption des IA conversationnelles dans la sphère publique a conféré une pertinence supplémentaire aux débats sur ce que les Large Language Models sont susceptibles de nous dire sur le langage humain et sur ce qu’on appelle parler.

L’outil de traduction DeepL (ou les versions récentes de Google Translate) ainsi que les grands modèles de langage reposent sur des techniques d’" apprentissage profond " issues de l’approche " neuronale " de l’Intelligence Artificielle : on travaille ici sur des modèles d’IA qui organisent des entités d’information minimales en les connectant par réseaux ; ces réseaux de connexion sont entraînés sur des jeux de données considérables, permettant aux liaisons " neuronales " de se renforcer en proportion des probabilités de connexion observées dans le jeu de données réelles – c’est ce rôle crucial de l’entraînement sur un grand jeu de données qui vaut aux grands modèles de langage le sobriquet de " perroquets stochastiques ". Ces mécanismes probabilistes sont ce qui permet aussi à l’IA de gagner en fiabilité et en précision au fil de l’usage. Ce modèle est qualifié de " neuronal " car initialement inspiré du fonctionnement des réseaux synaptiques. Dans le cas de données langagières, à partir d’une requête elle-même formulée en langue naturelle, cette technique permet aux agents conversationnels ou aux traducteurs neuronaux de produire très rapidement des textes généralement idiomatiques, qui pour des humains attesteraient d’un bon apprentissage de la langue.

IA neuronales et acquisition du langage humain

Au-delà de l’analogie " neuronale ", ce mécanisme d’entraînement et les résultats qu’il produit reproduisent les théories de l’acquisition du langage fondées sur l’interaction avec le milieu. Selon ces modèles, généralement qualifiés de comportementalistes ou behavioristes car étroitement associés aux théories psychologiques du même nom, l’enfant acquiert le langage par l’exposition aux stimuli linguistiques environnants et par l’interaction (d’abord tâtonnante, puis assurée) avec les autres. Progressivement, la prononciation s’aligne sur la norme majoritaire dans l’environnement individuel de la personne apprenante ; le vocabulaire s’élargit en fonction des stimuli ; l’enfant s’approprie des structures grammaticales de plus en plus contextes ; et en milieu bilingue, les enfants apprennent peu à peu à discriminer les deux ou plusieurs systèmes auxquels ils sont exposés. Cette conception essentiellement probabiliste de l’acquisition va assez spontanément de pair avec des théories grammaticales prenant comme point de départ l’existence de patrons (" constructions ") dont la combinatoire constitue le système. Dans une telle perspective, il n’est pas pertinent qu’un outil comme ChatGPT ne soit pas capable de référer, ou plus exactement qu’il renvoie d’office à un monde possible stochastiquement moyen qui ne coïncide pas forcément avec le monde réel. Cela ne change rien au fait que ChatGPT, DeepL ou autres maîtrisent le langage et que leur production dans une langue puisse être qualifiée de langage : ChatGPT parle.

Mais ce point de vue repose en réalité sur un certain nombre de prémisses en théorie de l’acquisition, et fait intervenir un clivage lancinant au sein des sciences du langage. L’actualité de ces dernières années et surtout de ces derniers mois autour des IA neuronales et génératives redonne à ce clivage une acuité particulière, ainsi qu’une pertinence nouvelle pour l’appréhension de ces outils qui transforment notre rapport au texte et au discours. La polémique, comme souvent (trop souvent ?) quand il est question de théorie du langage et des langues, se cristallise – en partie abusivement – autour de la figure de Noam Chomsky et de la famille de pensée linguistique très hétérogène qui se revendique de son œuvre, généralement qualifiée de " grammaire générative " même si le pluriel (les grammaires génératives) serait plus approprié.

IA générative contre grammaire générative

Chomsky est à la fois l’enfant du structuralisme dans sa variante états-unienne et celui de la philosophie logique rationaliste d’inspiration allemande et autrichienne implantée sur les campus américains après 1933. Chomsky est attaché à une conception forte de la logique mathématisée, perçue comme un outil d’appréhension des lois universelles de la pensée humaine, que la science du langage doit contribuer à éclairer. Ce parti-pris que Chomsky qualifiera lui-même de " cartésien " le conduit à fonder sa linguistique sur quelques postulats psychologiques et philosophiques, dont le plus important est l’innéisme, avec son corollaire, l’universalisme. Selon Chomsky et les courants de la psychologie cognitive influencée par lui, la faculté de langage s’appuie sur un substrat génétique commun à toute l’espèce humaine, qui s’exprime à la fois par un " instinct de langage " mais aussi par l’existence d’invariants grammaticaux, identifiables (via un certain niveau d’abstraction) dans toutes les langues du monde.

La nature de ces universaux fluctue énormément selon quelle période et quelle école du " générativisme " on étudie, et ce double postulat radicalement innéiste et universaliste reste très disputé aujourd’hui. Ces controverses mettent notamment en jeu des conceptions très différentes de l’acquisition du langage et des langues. Le moment fondateur de la théorie chomskyste de l’acquisition dans son lien avec la définition même de la faculté de langage est un violent compte-rendu critique de Verbal Behavior, un ouvrage de synthèse des théories comportementalistes en acquisition du langage signé par le psychologue B.F. Skinner. Dans ce compte-rendu publié en 1959, Chomsky élabore des arguments qui restent structurants jusqu’à aujourd’hui et qui définissent le clivage entre l’innéisme radical et des théories fondées sur l’acquisition progressive du langage par exposition à des stimuli environnementaux. C’est ce clivage qui préside aux polémiques entre linguistes et psycholinguistes confrontés aux Large Language Models.

On comprend dès lors que Noam Chomsky et deux collègues issus de la tradition générativiste, Ian Roberts, professeur de linguistique à Cambridge, et Jeffrey Watumull, chercheur en intelligence artificielle, soient intervenus dans le New York Times dès le 8 mars 2023 pour exposer un point de vue extrêmement critique intitulée " La fausse promesse de ChatGPT ". En laissant ici de côté les arguments éthiques utilisés dans leur tribune, on retiendra surtout l’affirmation selon laquelle la production de ChatGPT en langue naturelle ne pourrait pas être qualifiée de " langage " ; ChatGPT, selon eux, ne parle pas, car ChatGPT ne peut pas avoir acquis la faculté de langage. La raison en est simple : si les Grands Modèles de Langage reposent intégralement sur un modèle behaviouriste de l’acquisition, dès lors que ce modèle, selon eux, est réfuté depuis soixante ans, alors ce que font les Grands Modèles de Langage ne peut être qualifié de " langage ".

Chomsky, trop têtu pour qu’on lui parle ?

Le point de vue de Chomsky, Roberts et Watumull a été instantanément tourné en ridicule du fait d’un choix d’exemple particulièrement malheureux : les trois auteurs avançaient en effet que certaines constructions syntaxiques complexes, impliquant (dans le cadre générativiste, du moins) un certain nombre d’opérations sur plusieurs niveaux, ne peuvent être acquises sur la base de l’exposition à des stimuli environnementaux, car la fréquence relativement faible de ces phénomènes échouerait à contrebalancer des analogies formelles superficielles avec d’autres tournures au sens radicalement différent. Dans la tribune au New York Times, l’exemple pris est l’anglais John is too stubborn to talk to, " John est trop entêté pour qu’on lui parle ", mais en anglais on a littéralement " trop têtu pour parler à " ; la préposition isolée (ou " échouée ") en position finale est le signe qu’un constituant a été supprimé et doit être reconstitué aux vues de la structure syntaxique d’ensemble. Ici, " John est trop têtu pour qu’on parle à [John] " : le complément supprimé en anglais l’a été parce qu’il est identique au sujet de la phrase.

Ce type d’opérations impliquant la reconstruction d’un complément d’objet supprimé car identique au sujet du verbe principal revient dans la plupart des articles de polémique de Chomsky contre la psychologie behaviouriste et contre Skinner dans les années 1950 et 1960. On retrouve même l’exemple exact de 2023 dans un texte du début des années 1980. C’est en réalité un exemple-type au service de l’argument selon lequel l’existence d’opérations minimales universelles prévues par les mécanismes cérébraux humains est nécessaire pour l’acquisition complète du langage. Il a presque valeur de shibboleth permettant de séparer les innéistes et les comportementalistes. Il est donc logique que Chomsky, Roberts et Watumull avancent un tel exemple pour énoncer que le modèle probabiliste de l’IA neuronale est voué à échouer à acquérir complètement le langage.

On l’aura deviné : il suffit de demander à ChatGPT de paraphraser cette phrase pour obtenir un résultat suggérant que l’agent conversationnel a parfaitement " compris " le stimulus. DeepL, quand on lui demande de traduire cette phrase en français, donne deux solutions : " John est trop têtu pour qu’on lui parle " en solution préférée et " John est trop têtu pour parler avec lui " en solution de remplacement. Hors contexte, donc sans qu’on sache qui est " lui ", cette seconde solution n’est guère satisfaisante. La première, en revanche, fait totalement l’affaire.

Le détour par DeepL nous montre toutefois la limite de ce petit test qui a pourtant réfuté Chomsky, Roberts et Watumull : comprendre, ici, ne veut rien dire d’autre que " fournir une paraphrase équivalente ", dans la même langue (dans le cas de l’objection qui a immédiatement été faite aux trois auteurs) ou dans une autre (avec DeepL), le problème étant que les deux équivalents fournis par DeepL ne sont justement pas équivalents entre eux, puisque l’un est non-ambigu référentiellement et correct, tandis que l’autre est potentiellement ambigu référentiellement, selon comment on comprend " lui ". Or l’argument de Chomsky, Roberts et Watumull est justement celui de l’opacité du complément d’objet… Les trois auteurs ont bien sûr été pris à défaut ; reste que le test employé, précisément parce qu’il est typiquement behaviouriste (observer extérieurement l’adéquation d’une réaction à un stimulus), laisse ouverte une question de taille et pourtant peu présente dans les discussions entre linguistes : y a-t-il une sémantique des énoncés produits par ChatGPT, et si oui, laquelle ? Chomsky et ses co-auteurs ne disent pas que ChatGPT " comprend " ou " ne comprend pas " le stimulus, mais qu’il en " prédit le sens " (bien ou mal). La question de la référence, présente dans la discussion philosophique sur ChatGPT mais peu mise en avant dans le débat linguistique, n’est pas si loin.

Syntaxe et sémantique de ChatGPT

ChatGPT a une syntaxe et une sémantique : sa syntaxe est homologue aux modèles proposés pour le langage naturel invoquant des patrons formels quantitativement observables. Dans ce champ des " grammaires de construction ", le recours aux données quantitatives est aujourd’hui standard, en particulier en utilisant les ressources fournies par les " grand corpus " de plusieurs dizaines de millions voire milliards de mots (quinze milliards de mots pour le corpus TenTen francophone, cinquante-deux milliards pour son équivalent anglophone). D’un certain point de vue, ChatGPT ne fait que répéter la démarche des modèles constructionalistes les plus radicaux, qui partent de co-occurrences statistiques dans les grands corpus pour isoler des patrons, et il la reproduit en sens inverse, en produisant des données à partir de ces patrons.

Corrélativement, ChatGPT a aussi une sémantique, puisque ces théories de la syntaxe sont majoritairement adossées à des modèles sémantiques dits " des cadres " (frame semantics), dont l’un des inspirateurs n’est autre que Marvin Minsky, pionnier de l’intelligence artificielle s’il en est : la circulation entre linguistique et intelligence artificielle s’inscrit donc sur le temps long et n’est pas unilatérale. Là encore, la question est plutôt celle de la référence : la sémantique en question est très largement notionnelle et ne permet de construire un énoncé susceptible d’être vrai ou faux qu’en l’actualisant par des opérations de repérage (ne serait-ce que temporel) impliquant de saturer grammaticalement ou contextuellement un certain nombre de variables " déictiques ", c’est-à-dire qui ne se chargent de sens que mises en relation à un moi-ici-maintenant dans le discours.

On touche ici à un problème transversal aux clivages dessinés précédemment : les modèles " constructionnalistes " sont plus enclins à ménager des places à la variation contextuelle, mais sous la forme de variables situationnelles dont l’intégration à la description ne fait pas consensus ; les grammaires génératives ont très longtemps évacué ces questions hors de leur sphère d’intérêt, mais les considérations pragmatiques y fleurissent depuis une vingtaine d’années, au prix d’une convocation croissante du moi-ici-maintenant dans l’analyse grammaticale, du moins dans certains courants. De ce fait, l’inscription ou non des enjeux référentiels et déictiques dans la définition même du langage comme faculté humaine représente un clivage en grande partie indépendant de celui qui prévaut en matière de théorie de l’acquisition.

À l’école du perroquet

La bonne question, en tout cas la plus féconde pour la comparaison entre les productions langagières humaines et les productions des grands modèles de langage, n’est sans doute pas de savoir si " ChatGPT parle " ni si les performances de l’IA neuronale valident ou invalident en bloc tel ou tel cadre théorique. Une piste plus intéressante, du point de vue de l’étude de la cognition et du langage humains, consiste à comparer ces productions sur plusieurs niveaux : les mécanismes d’acquisition ; les régularités sémantiques dans leur diversité, sans les réduire aux questions de référence et faisant par exemple intervenir la conceptualisation métaphorique des entités et situations désignées ; la capacité à naviguer entre les registres et les variétés d’une même langue, qui fait partie intégrante de la maîtrise d’un système ; l’adaptation à des ontologies spécifiques ou à des contraintes communicatives circonstancielles… La formule du " perroquet stochastique ", prise au pied de la lettre, indique un modèle de ce que peut être une comparaison scientifique du langage des IA et du langage humain.

Il existe en effet depuis plusieurs décennies maintenant une linguistique, une psycholinguistique et une pragmatique de la communication animale, qui inclut des recherches comparant l’humain et l’animal. Les progrès de l’étude de la communication animale ont permis d’affiner la compréhension de la faculté de langage, des modules qui la composent, de ses prérequis cognitifs et physiologiques. Ces travaux ne nous disent pas si " les animaux parlent ", pas plus qu’ils ne nous disent si la communication des corbeaux est plus proche de celle des humains que celle des perroquets. En revanche ils nous disent comment diverses caractéristiques éthologiques, génétiques et cognitives sont distribuées entre espèces et comment leur agencement produit des modes de communication spécifiques. Ces travaux nous renseignent, en nous offrant un terrain d’expérimentation inédit, sur ce qui fait toujours système et sur ce qui peut être disjoint dans la faculté de langage. Loin des " fausses promesses ", les grands modèles de langage et les IA neuronales nous offrent peut-être l’occasion d’étendre le domaine de la réflexion sur l’architecture des systèmes possibles de cognition, de communication et d’interaction. 



 

Auteur: Modicom Pierre-Yves

Info: https://aoc.media/ 14 nov 2023

[ onomasiologie bayésienne ] [ sémiose homme-animal ] [ machine-homme ] [ tiercités hors-sol ] [ signes fixés externalisables ]

 

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ésotérisme

Il existe, dans la mythologie spirituelle, un individu qui se fait appeler par les préhumains le Gardien du Seuil. Celui-ci n’est pas un personnage comme l’on voit dans certains films ou BD. En fait, il n’a aucune image, donc point d’épée, point de conversation et point de combat possible…

Oui, vous ne pourrez aucunement taper la causante avec lui pour la simple et bonne raison qu’il n’a aucun jugement, aucun cerveau, donc aucune possibilité de peser le pour ou le contre. Par contre, il possède une aptitude extraordinaire qui est celle d’exalter la moindre poussière d’ego qui est en vous.

Oui, le Gardien du Seuil n’est, en fait, qu’un programme informatique qui va aller lire les lignes les plus secrètes de votre personnalité et plus particulièrement de votre corps de désirs. Ce serait à l’image d’un sas de décontamination que vous devez traverser pour rejoindre l’autre côté du voile.

De cet autre côté se trouve votre frère atomique (votre Soi supérieur) qui vous attend afin d’aller au mariage de la Lumière Authentique. Ce serait comme si on voulait tout simplement vous dépolluer de toutes les vibrations de la 3D qui vous tiennent à cœur, sauf que c’est vous qui prendrez les décisions.

A ce titre, il n’y a donc aucun jugement extérieur, puisque c’est vous-même qui allez vous regarder face-à-face et cela, sans aucune possibilité de dissimuler quoi que ce soit. Le Gardien du Seuil n’est, en fait, qu’une protection qui vous permettra de franchir le voile entre votre Soi Inférieur (le petit Soi) et le Soi Supérieur.

Une fois cela fait, vous pourrez alors aller ensemble fusionner avec votre grand SOI qui se trouve dans le soleil afin de retrouver votre UN-ité totale. Ainsi, votre corps d’Êtreté n’est, en fait, que le carrosse qui vous mène à la cérémonie finale qu’est l’union (ou la ré-Union) avec votre essence primordiale issue directement de La Source et que nous nommons aussi l’UN ou la conscience de l’Unité.

Ainsi, ce fameux Gardien du Seuil n’est, en fait, qu’un processus qui aura pour objectif de bien s’assurer que vous ne cachez pas d’anguille sous roche par rapport à votre partenaire de toujours qui se situait de l’autre côté du voile de l’oubli. En gros, ça coïncidera à peu près à la reconnexion véritable avec les autres corps (du 8ème au 12ème) qui viendront se rajouter, en quelque sorte, à vos chakras existants.

En effets, vos 6 premiers chakras (l’hexagramme masculin correspondant aux vibrations les plus basses de l’incarnation – la matière là où se situe le Soi Inférieur ou petit Soi) se verront associés aux chakras 7 à 12 (l’hexagramme féminin correspondant à votre incarnation – le Ciel – là où se situe votre Soi Supérieur). Pour des raisons évidentes, le 7ème chakra (le coronal) touche notre carcasse afin d’assurer la connexion énergétique nécessaire à votre vie conscientisée.

Ainsi, ce qui était séparé sera réuni, afin ensuite d’aller à la véritable cérémonie du mariage via votre corps d’Êtreté (la citrouille qui se transforme en carrosse quand l’heure est venue…). On peut donc considérer que le Gardien du Seuil serait l’entremetteur à qui on ne la raconte pas.

Ce Gardien du Seuil n’a pas de nom et vous ne pouvez donc pas l’appeler, car, comme son nom l’indique, c’est lui qui se trouve devant la porte (le seuil) de la future mariée. Il n’est qu’un paillasson qui a pour objectif de s’assurer que tous vos microbes et virus de 3D ne viennent pas compromettre la santé de la future mariée qui se languit de vous depuis si longtemps.

C’est vrai que ça fait 320.000 ans que vous avez claqué la porte, et que ce n’est qu’avec la messagerie (l’email) du cœur (votre petite voix) que vous communiquez. On peut donc comprendre que la ré-union avec votre autre moitié n’était pas dans la recherche effrénée d’un autre individu vivant en 3D dans une carcasse quelconque, mais bien à l’intérieur de vous.

Certes, on s’est fait balader depuis si longtemps que tomber dans la gamelle du mensonge n’était pas difficile, puisqu’en fait nous nageons depuis notre naissance comme des têtards dans la mare aux canards située en plein milieu du bac à sable-prison spécialement modifié par des gentils qui voulaient nous asservir afin qu’ils cassent la croûte à volonté… Hé oui, nous sommes leur garde-manger énergétique (émotions et pensées).

Bref, maintenant que l’heure du retour au bercail a sonné, il est temps que les têtards ayant suffisamment grandi (et donc devenus des grenouilles) sautent hors du bac à sable pour tomber dans le bénitier de l’Unité. Il va s’en dire qu’un bon bain de décrassage pour se libérer de la crasse des différents enfermements est un préalable pour oser aller poser les godillots sur le tapis de porte, le seuil, de ladite promise depuis l’éternité !

Il est clair que le lavage de chacun sera directement proportionnel à son envie de jouer les filles de l’air avec cette autre partie de lui-même dont il ne se rappelle même plus comment elle est. Il faut dire qu’il aura traversé quelques milliers d’incarnations, et qu’à chaque fois, il a perdu des neurones et des souvenirs au passage.

Bref, on sera loin d’être nickel-chrome et de sentir bon la fraise quand on appuiera sur le bouton de sonnette de ladite promise. Dit autrement, il n’est pas simple pour un zombie-fantôme d’être pure lumière, mais, comme on dit, quand on aime on est prêt à tout supporter pour n’avoir droit qu’à une miette d’un truc qui nous fait rêver depuis si longtemps !

La tâche donc du tapis à l’entrée, c’est de vous envoyer des ondes (comme si vous passiez dans un portique pour détecter la ferraille à l’aéroport) afin de faire vibrer n’importe quelle alarme vous concernant. Cette phase absolument impossible à éviter vous fera découvrir en temps réel tout ce que vous avez d’accroché à vos chakras, ou plans d’expérience comme je les appelle.

Il est évident que cet exercice se fera pendant que vous êtes déconnecté de votre conscience de veille normale. En clair, votre corps sera totalement endormi, au point que même si le bâtiment venait à s’écrouler vous ne bougeriez pas d’un poil. Cette période de scannage est connu sous le nom de stase ou ces fameux 3 jours où le soleil se sera éteint pour vous…

Ainsi bombardé par la Lumière Authentique, vous allez voir sur l’écran de votre conscience (comme sur un moniteur des douaniers à l’aéroport) tout ce qui vous colle aux basques. Ainsi, en balançant les 7 couleurs fondamentales correspondant à la vibration de chaque plan d’expérience (ou chakra), on aura à l’écran une image très colorée…

En fait, ce qui surgira dans votre conscience vous paraitra aussi réel que si vous aviez les yeux ouverts. Dit autrement, vous ne pourrez faire aucune différence entre le rêve et la réalité, sauf que vous savez que vous êtes quand même en rêve d’une certaine manière. Ainsi au début, vous aurez cette impression d’être ailleurs, comme les morts le découvrent quand ils meurent.

Le virus ou le microbe psychologique le plus virulent apparaitra donc en premier sur l’écran et ça, malgré le scannage successif des différents chakras. En effet, pourquoi s’embêter à tout scanner quand l’élimination peut se faire rapidement ? Ainsi, une fois le nez sur l’écran de la conscience, et grâce à l’énergie de la Lumière Authentique irradiée par la porte de la dulcinée (en 5D et plus), vous allez voir de vos propres yeux votre propre création en direct (ce qui se fera de toute façon en 5D et plus. Ce n’est donc qu’un petit aperçu de ce qui s’y passe !).

En clair, le paillasson ne serait qu’un amplificateur de vibration vous permettant de créer instantanément ce qui vous tient à cœur et à quoi vous tenez réellement. En cela, il n’y a aucun jugement parce que c’est vous-même qui écrivez le scénario en temps réel. Ainsi ce qui vous tient le plus à cœur se concrétisera vraiment pour vous, et vous aurez alors à jouer de votre véritable discernement.

Le courant passant d’abord dans le peu de métal qui vous reste, ce qui se présentera en premier lieu à vous sera ce qu’il y a de plus profondément caché en vous. On n’y verra donc pas l’envie de recoller les morceaux de votre dernière engueulade avec votre conjoint, mais plutôt tout ce qui vous a marqué à jamais.

Ainsi, si votre souhait est de revoir votre enfant mort d’un accident de la route, vous le reverrez avec une acuité totale. Vous pourrez lui parler comme si vous aviez la possibilité de recommencer tout avec lui. Votre cœur sera plein de gratitude et votre envie de le suivre sera totale, sauf qu’en fait, en décidant de le suivre, vous ne ferez que sortir du processus de nettoyage.

Oui, toute projection (forcément issue d’un désir de possession) sera ainsi révélée à votre conscience mais aussi projetée comme réelle dans votre conscience. La possession (c’est à moi – c’est ma vie et je fais comme je veux) est le signe d’une pollution importante incompatible avec la Loi de l’UN qui règne dans la pièce de votre dulcinée.

En clair, toute trace de 3D se doit d’être neutralisée afin de poursuivre l’opération de rapprochement. Comprenez bien que personne ne vous en veut et que vous êtes seul aux commandes de votre propre désintoxication. Ainsi dès que vous suivrez d’une manière ou d’une autre vos désirs les plus profonds relatifs à la 3D, vous vous éjecterez obligatoirement dans le plan d’existence correspondant.

Il est dit qu’il en sera fait selon la vibration de chacun et cela est tout à fait exact. C’est vous-même, avec votre cerveau, votre conscience, qui déciderez si vous allez aller en 5D vous marier avec la belle de toujours ou si vous allez continuer à jouer dans le théâtre de la personnalité et de l’égo. Ce sera votre choix et uniquement le vôtre !

Ainsi, si par exemple vous rêvez d’avoir un fric fou parce que vous en avez cruellement manqué et que vous avez des projets, il vous faudra aller à la banque que vous aurez créée dans votre rêve. Ce sera donc “exit” ou “game over” si vous préférez.

Il en sera de même si vous souhaitiez rencontrer l’âme sœur, votre moitié tant désirée. Il-elle sera exactement comme vous l’aviez imaginé. Elle sera si terriblement vraie que vous n’y verrez que du feu, et votre désir si intense de le vivre vous fera forcément prendre la porte qui mène à la 3D.

Idem, pour la beauté de votre corps physique, vos demandes de pouvoir comme avoir la possibilité d’avoir un diplôme que vous auriez aimé avoir afin d’être élu ou voire devenir Président de la République. Bref, tout ce que vous avez dans le coffre comme inassouvi viendra se présenter à vous en toute simplicité et vous invitera à les suivre.

Comprenez bien que cela est identique pour vos rêves de Lumière, de marcher parmi les Anges et les Archanges. Oui, vous verrez autant d’Êtres de Lumière que vous ne pourriez résister à leur appel et à leur amour si inconditionnel. Oui, toutes les projections aussi pacifiques, aimantes, douces et immortelles qu’elles soient ne seront en fait que des mirages de 3D incompatibles avec la 5D.

Comprenez bien que ce qui faisait la vie d’une grenouille en pleine mare à canard n’a rien à voir avec ce qui se passe en dehors du bac à sable-prison. C’est donc en toute innocence et dans l’absence totale de projection issue du mental (et surtout du coeur mentalisé) que vous pourrez traverser le seuil qui mène à la chambre nuptiale.

Ainsi comme il est dit, le prince peut venir à n’importe quelle heure dans la nuit, car, actuellement, c’est au moment où vous vous y attendrez le moins, quand vous serez dans la nuit (soit le mental endormi) que vous vous retrouverez sur le paillasson qui mène d’une manière ou d’une autre à s’unir avec la promise.

Il est donc recommandé d’être en tenue la plus légère possible, car chacun de vos vêtements appartient à la 3D. Ainsi si votre petit slip rose à dentelle vous tient à cœur et que vous ne voulez pas vous en séparer, vous allez vous retrouver dare-dare dans l’usine même qui fabrique sur commande ce que vous désirez.

Vous créerez alors une tension importante entre votre désir d’avoir un petit slip encore plus rose (je le veux car avec lui je me sentirai encore mieux = projection) et votre abandon total à la Lumière (ou au Christ si vous désirez car c’est pareil). Ne croyez pas que le Christ aimera votre petite culotte rose, car lui, il s’en fout royalement puisqu’il n’est pas une personne… !

Ainsi, plus vous vous déshabillerez dans vos croyances, dans vos liens affectifs et dans toutes vos projections égotiques, et plus vous serez apte à regarder vos fantasmes avec discernement quand vous serez sur le seuil qui vous sortira de la 3D. Vous aurez alors moins d’efforts à fournir pour résister aux forces extraordinaires déployées par votre personnalité et votre ego pour vous récupérer.

Seul l’abandon total vous permettra de pénétrer la chambre nuptiale, car ce qui s’y trouve n’a aucun rapport avec tout ce que vous aurez imaginé, pensé ou réfléchi. Il est donc fortement recommandé d’être aussi ouvert et enthousiaste que le sont les enfants sincères avec leur cœur. Suivre la musique est simple quand on a éteint le bruit de fond du mental-ego.

Comprenez bien que vous n’aurez personne à convaincre en quoi que ce soit pour pouvoir passer la porte de 5D. Vous serez seul face à vous-même, et avec le pire “adversaire” de tous les temps en face de vous : votre ego lourdement motivé par son lieutenant, la personnalité, elle-même grandement enthousiasmée par le corps de désirs. Vous ferez alors vos choix vraiment selon votre vibration.

Si l’argent vous fait bander, ou le sexe, ou les pouvoirs autant politiques que spirituels, vous serez assuré de pouvoir continuer dans cette voie, car La Source ne jugeant pas, elle vous accorde le droit de vivre ce que vous désirez vivre. Ainsi tout est parfait, car le monde est parfait !

Alors ne cherchez pas ou ne vous tourmentez pas de savoir si vous allez franchir ou non ce fameux seuil, car chacun aura selon sa vibration véritable. Tout est donc parfait et il n’y a aucune peur ou angoisse à avoir. Soyez ce que vous êtes et ne cherchez pas à péter plus haut que vos fesses. Soyez ce que vous êtes maintenant, et lorsque vous vous retrouverez sur le paillasson, restez calme et zen et regardez d’un œil bon-enfant ce qui s’y déroule.

Vous saurez que ce n’est qu’une projection, comme au cinéma, et qu’il vous faut atteindre gentiment la fin du générique de fin pour sortir de la salle du théâtre de 3D. Si, par contre, vous succombez aux sirènes de vos propres projections, alors vous resterez coincé dans ledit théâtre !

Je vous souhaite donc un bon film en espérant que ce sera le dernier que vous visionnerez. Pour ma part, j’ai pris l’option court-métrage grâce à l’option “naturisme”. Ben oui, c’est plus facile de partir comme on est arrivé en ce monde : à poil !

Auteur: Dureau Laurent

Info: Article paru à l’origine sur le blog 5D6D en septembre 2011 et réactualisé sur le blog 345D le 25 octobre 2012

[ inconscient ] [ septénaire ] [ pentacle ] [ voyage astral ] [ rêves ] [ moi supérieur ] [ démystification ] [ soi projeté ] [ je ]

 

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trickster

Les mondes multiples d'Hugh Everett

Il y a cinquante ans, Hugh Everett a conçu l'interprétation de la mécanique quantique en l'expliquant par des mondes multiples, théorie dans laquelle les effets quantiques engendrent d'innombrables branches de l'univers avec des événements différents dans chacune. La théorie semble être une hypothèse bizarre, mais Everett l'a déduite des mathématiques fondamentales de la mécanique quantique. Néanmoins, la plupart des physiciens de l'époque la rejetèrent, et il dût abréger sa thèse de doctorat sur le sujet pour éviter la controverse. Découragé, Everett quitta la physique et travailla sur les mathématiques et l'informatique militaires et industrielles. C'était un être émotionnellement renfermé et un grand buveur. Il est mort alors qu'il n'avait que 51 ans, et ne put donc pas voir le récent respect accordé à ses idées par les physiciens.

Hugh Everett III était un mathématicien brillant, théoricien quantique iconoclaste, puis ensuite entrepreneur prospère dans la défense militaire ayant accès aux secrets militaires les plus sensibles du pays. Il a introduit une nouvelle conception de la réalité dans la physique et a influencé le cours de l'histoire du monde à une époque où l'Armageddon nucléaire semblait imminent. Pour les amateurs de science-fiction, il reste un héros populaire : l'homme qui a inventé une théorie quantique des univers multiples. Pour ses enfants, il était quelqu'un d'autre : un père indisponible, "morceau de mobilier assis à la table de la salle à manger", cigarette à la main. Alcoolique aussi, et fumeur à la chaîne, qui mourut prématurément.

L'analyse révolutionnaire d'Everett a brisé une impasse théorique dans l'interprétation du "comment" de la mécanique quantique. Bien que l'idée des mondes multiples ne soit pas encore universellement acceptée aujourd'hui, ses méthodes de conception de la théorie présagèrent le concept de décohérence quantique - explication moderne du pourquoi et comment la bizarrerie probabiliste de la mécanique quantique peut se résoudre dans le monde concret de notre expérience. Le travail d'Everett est bien connu dans les milieux de la physique et de la philosophie, mais l'histoire de sa découverte et du reste de sa vie l'est relativement moins. Les recherches archivistiques de l'historien russe Eugène Shikhovtsev, de moi-même et d'autres, ainsi que les entretiens que j'ai menés avec les collègues et amis du scientifique décédé, ainsi qu'avec son fils musicien de rock, révèlent l'histoire d'une intelligence radieuse éteinte trop tôt par des démons personnels.

Le voyage scientifique d'Everett commença une nuit de 1954, raconte-t-il deux décennies plus tard, "après une gorgée ou deux de sherry". Lui et son camarade de classe de Princeton Charles Misner et un visiteur nommé Aage Petersen (alors assistant de Niels Bohr) pensaient "des choses ridicules sur les implications de la mécanique quantique". Au cours de cette session Everett eut l'idée de base fondant la théorie des mondes multiples, et dans les semaines qui suivirent, il commença à la développer dans un mémoire. L'idée centrale était d'interpréter ce que les équations de la mécanique quantique représentent dans le monde réel en faisant en sorte que les mathématiques de la théorie elle-même montrent le chemin plutôt qu'en ajoutant des hypothèses d'interprétation aux mathématiques existantes sur le sujet. De cette façon, le jeune homme a mis au défi l'establishment physique de l'époque en reconsidérant sa notion fondamentale de ce qui constitue la réalité physique. En poursuivant cette entreprise, Everett s'attaqua avec audace au problème notoire de la mesure en mécanique quantique, qui accablait les physiciens depuis les années 1920.

En résumé, le problème vient d'une contradiction entre la façon dont les particules élémentaires (comme les électrons et les photons) interagissent au niveau microscopique quantique de la réalité et ce qui se passe lorsque les particules sont mesurées à partir du niveau macroscopique classique. Dans le monde quantique, une particule élémentaire, ou une collection de telles particules, peut exister dans une superposition de deux ou plusieurs états possibles. Un électron, par exemple, peut se trouver dans une superposition d'emplacements, de vitesses et d'orientations différentes de sa rotation. Pourtant, chaque fois que les scientifiques mesurent l'une de ces propriétés avec précision, ils obtiennent un résultat précis - juste un des éléments de la superposition, et non une combinaison des deux. Nous ne voyons jamais non plus d'objets macroscopiques en superposition. Le problème de la mesure se résume à cette question : Comment et pourquoi le monde unique de notre expérience émerge-t-il des multiples alternatives disponibles dans le monde quantique superposé ? Les physiciens utilisent des entités mathématiques appelées fonctions d'onde pour représenter les états quantiques. Une fonction d'onde peut être considérée comme une liste de toutes les configurations possibles d'un système quantique superposé, avec des nombres qui donnent la probabilité que chaque configuration soit celle, apparemment choisie au hasard, que nous allons détecter si nous mesurons le système. La fonction d'onde traite chaque élément de la superposition comme étant également réel, sinon nécessairement également probable de notre point de vue. L'équation de Schrödinger décrit comment la fonction ondulatoire d'un système quantique changera au fil du temps, une évolution qu'elle prédit comme lisse et déterministe (c'est-à-dire sans caractère aléatoire).

Mais cette élégante mathématique semble contredire ce qui se passe lorsque les humains observent un système quantique, tel qu'un électron, avec un instrument scientifique (qui lui-même peut être considéré comme un système quantique). Car au moment de la mesure, la fonction d'onde décrivant la superposition d'alternatives semble s'effondrer en un unique membre de la superposition, interrompant ainsi l'évolution en douceur de la fonction d'onde et introduisant la discontinuité. Un seul résultat de mesure émerge, bannissant toutes les autres possibilités de la réalité décrite de manière classique. Le choix de l'alternative produite au moment de la mesure semble arbitraire ; sa sélection n'évolue pas logiquement à partir de la fonction d'onde chargée d'informations de l'électron avant la mesure. Les mathématiques de l'effondrement n'émergent pas non plus du flux continu de l'équation de Schrödinger. En fait, l'effondrement (discontinuité) doit être ajouté comme un postulat, comme un processus supplémentaire qui semble violer l'équation.

De nombreux fondateurs de la mécanique quantique, notamment Bohr, Werner Heisenberg et John von Neumann, se sont mis d'accord sur une interprétation de la mécanique quantique - connue sous le nom d'interprétation de Copenhague - pour traiter le problème des mesures. Ce modèle de réalité postule que la mécanique du monde quantique se réduit à des phénomènes observables de façon classique et ne trouve son sens qu'en termes de phénomènes observables, et non l'inverse. Cette approche privilégie l'observateur externe, le plaçant dans un domaine classique distinct du domaine quantique de l'objet observé. Bien qu'incapables d'expliquer la nature de la frontière entre le domaine quantique et le domaine classique, les Copenhagueistes ont néanmoins utilisé la mécanique quantique avec un grand succès technique. Des générations entières de physiciens ont appris que les équations de la mécanique quantique ne fonctionnent que dans une partie de la réalité, la microscopique, et cessent d'être pertinentes dans une autre, la macroscopique. C'est tout ce dont la plupart des physiciens ont besoin.

Fonction d'onde universelle. Par fort effet contraire, Everett s'attaqua au problème de la mesure en fusionnant les mondes microscopique et macroscopique. Il fit de l'observateur une partie intégrante du système observé, introduisant une fonction d'onde universelle qui relie les observateurs et les objets dans un système quantique unique. Il décrivit le monde macroscopique en mécanique quantique imaginant que les grands objets existent également en superpositions quantiques. Rompant avec Bohr et Heisenberg, il n'avait pas besoin de la discontinuité d'un effondrement de la fonction ondulatoire. L'idée radicalement nouvelle d'Everett était de se demander : Et si l'évolution continue d'une fonction d'onde n'était pas interrompue par des actes de mesure ? Et si l'équation de Schrödinger s'appliquait toujours et s'appliquait aussi bien à tous les objets qu'aux observateurs ? Et si aucun élément de superposition n'est jamais banni de la réalité ? A quoi ressemblerait un tel monde pour nous ? Everett constata, selon ces hypothèses, que la fonction d'onde d'un observateur devrait, en fait, bifurquer à chaque interaction de l'observateur avec un objet superposé. La fonction d'onde universelle contiendrait des branches pour chaque alternative constituant la superposition de l'objet. Chaque branche ayant sa propre copie de l'observateur, copie qui percevait une de ces alternatives comme le résultat. Selon une propriété mathématique fondamentale de l'équation de Schrödinger, une fois formées, les branches ne s'influencent pas mutuellement. Ainsi, chaque branche se lance dans un avenir différent, indépendamment des autres. Prenons l'exemple d'une personne qui mesure une particule qui se trouve dans une superposition de deux états, comme un électron dans une superposition de l'emplacement A et de l'emplacement B. Dans une branche, la personne perçoit que l'électron est à A. Dans une branche presque identique, une copie de la personne perçoit que le même électron est à B. Chaque copie de la personne se perçoit comme unique et considère que la chance lui a donné une réalité dans un menu des possibilités physiques, même si, en pleine réalité, chaque alternative sur le menu se réalise.

Expliquer comment nous percevons un tel univers exige de mettre un observateur dans l'image. Mais le processus de ramification se produit indépendamment de la présence ou non d'un être humain. En général, à chaque interaction entre systèmes physiques, la fonction d'onde totale des systèmes combinés aurait tendance à bifurquer de cette façon. Aujourd'hui, la compréhension de la façon dont les branches deviennent indépendantes et ressemblent à la réalité classique à laquelle nous sommes habitués est connue sous le nom de théorie de la décohérence. C'est une partie acceptée de la théorie quantique moderne standard, bien que tout le monde ne soit pas d'accord avec l'interprétation d'Everett comme quoi toutes les branches représentent des réalités qui existent. Everett n'a pas été le premier physicien à critiquer le postulat de l'effondrement de Copenhague comme inadéquat. Mais il a innové en élaborant une théorie mathématiquement cohérente d'une fonction d'onde universelle à partir des équations de la mécanique quantique elle-même. L'existence d'univers multiples a émergé comme une conséquence de sa théorie, pas par un prédicat. Dans une note de bas de page de sa thèse, Everett écrit : "Du point de vue de la théorie, tous les éléments d'une superposition (toutes les "branches") sont "réels", aucun n'est plus "réel" que les autres. Le projet contenant toutes ces idées provoqua de remarquables conflits dans les coulisses, mis au jour il y a environ cinq ans par Olival Freire Jr, historien des sciences à l'Université fédérale de Bahia au Brésil, dans le cadre de recherches archivistiques.

Au printemps de 1956 le conseiller académique à Princeton d'Everett, John Archibald Wheeler, prit avec lui le projet de thèse à Copenhague pour convaincre l'Académie royale danoise des sciences et lettres de le publier. Il écrivit à Everett qu'il avait eu "trois longues et fortes discussions à ce sujet" avec Bohr et Petersen. Wheeler partagea également le travail de son élève avec plusieurs autres physiciens de l'Institut de physique théorique de Bohr, dont Alexander W. Stern. Scindages La lettre de Wheeler à Everett disait en autre : "Votre beau formalisme de la fonction ondulatoire reste bien sûr inébranlable ; mais nous sentons tous que la vraie question est celle des mots qui doivent être attachés aux quantités de ce formalisme". D'une part, Wheeler était troublé par l'utilisation par Everett d'humains et de boulets de canon "scindés" comme métaphores scientifiques. Sa lettre révélait l'inconfort des Copenhagueistes quant à la signification de l'œuvre d'Everett. Stern rejeta la théorie d'Everett comme "théologique", et Wheeler lui-même était réticent à contester Bohr. Dans une longue lettre politique adressée à Stern, il explique et défend la théorie d'Everett comme une extension, non comme une réfutation, de l'interprétation dominante de la mécanique quantique : "Je pense que je peux dire que ce jeune homme très fin, capable et indépendant d'esprit en est venu progressivement à accepter l'approche actuelle du problème de la mesure comme correcte et cohérente avec elle-même, malgré quelques traces qui subsistent dans le présent projet de thèse d'une attitude douteuse envers le passé. Donc, pour éviter tout malentendu possible, permettez-moi de dire que la thèse d'Everett ne vise pas à remettre en question l'approche actuelle du problème de la mesure, mais à l'accepter et à la généraliser."

Everett aurait été en total désaccord avec la description que Wheeler a faite de son opinion sur l'interprétation de Copenhague. Par exemple, un an plus tard, en réponse aux critiques de Bryce S. DeWitt, rédacteur en chef de la revue Reviews of Modern Physics, il écrivit : "L'Interprétation de Copenhague est désespérément incomplète en raison de son recours a priori à la physique classique... ainsi que d'une monstruosité philosophique avec un concept de "réalité" pour le monde macroscopique qui ne marche pas avec le microcosme." Pendant que Wheeler était en Europe pour plaider sa cause, Everett risquait alors de perdre son permis de séjour étudiant qui avait été suspendu. Pour éviter d'aller vers des mesures disciplinaires, il décida d'accepter un poste de chercheur au Pentagone. Il déménagea dans la région de Washington, D.C., et ne revint jamais à la physique théorique. Au cours de l'année suivante, cependant, il communiqua à distance avec Wheeler alors qu'il avait réduit à contrecœur sa thèse au quart de sa longueur d'origine. En avril 1957, le comité de thèse d'Everett accepta la version abrégée - sans les "scindages". Trois mois plus tard, Reviews of Modern Physics publiait la version abrégée, intitulée "Relative State' Formulation of Quantum Mechanics".("Formulation d'état relatif de la mécanique quantique.") Dans le même numéro, un document d'accompagnement de Wheeler loue la découverte de son élève. Quand le papier parut sous forme imprimée, il passa instantanément dans l'obscurité.

Wheeler s'éloigna progressivement de son association avec la théorie d'Everett, mais il resta en contact avec le théoricien, l'encourageant, en vain, à faire plus de travail en mécanique quantique. Dans une entrevue accordée l'an dernier, Wheeler, alors âgé de 95 ans, a déclaré qu' "Everett était déçu, peut-être amer, devant les non réactions à sa théorie. Combien j'aurais aimé continuer les séances avec lui. Les questions qu'il a soulevées étaient importantes." Stratégies militaires nucléaires Princeton décerna son doctorat à Everett près d'un an après qu'il ait commencé son premier projet pour le Pentagone : le calcul des taux de mortalité potentiels des retombées radioactives d'une guerre nucléaire. Rapidement il dirigea la division des mathématiques du Groupe d'évaluation des systèmes d'armes (WSEG) du Pentagone, un groupe presque invisible mais extrêmement influent. Everett conseillait de hauts responsables des administrations Eisenhower et Kennedy sur les meilleures méthodes de sélection des cibles de bombes à hydrogène et de structuration de la triade nucléaire de bombardiers, de sous-marins et de missiles pour un impact optimal dans une frappe nucléaire. En 1960, participa à la rédaction du WSEG n° 50, un rapport qui reste classé à ce jour. Selon l'ami d'Everett et collègue du WSEG, George E. Pugh, ainsi que des historiens, le WSEG no 50 a rationalisé et promu des stratégies militaires qui ont fonctionné pendant des décennies, notamment le concept de destruction mutuelle assurée. Le WSEG a fourni aux responsables politiques de la guerre nucléaire suffisamment d'informations effrayantes sur les effets mondiaux des retombées radioactives pour que beaucoup soient convaincus du bien-fondé d'une impasse perpétuelle, au lieu de lancer, comme le préconisaient certains puissants, des premières attaques préventives contre l'Union soviétique, la Chine et d'autres pays communistes.

Un dernier chapitre de la lutte pour la théorie d'Everett se joua également dans cette période. Au printemps 1959, Bohr accorda à Everett une interview à Copenhague. Ils se réunirent plusieurs fois au cours d'une période de six semaines, mais avec peu d'effet : Bohr ne changea pas sa position, et Everett n'est pas revenu à la recherche en physique quantique. L'excursion n'avait pas été un échec complet, cependant. Un après-midi, alors qu'il buvait une bière à l'hôtel Østerport, Everett écrivit sur un papier à l'en-tête de l'hôtel un raffinement important de cet autre tour de force mathématique qui a fait sa renommée, la méthode généralisée du multiplicateur de Lagrange, aussi connue sous le nom d'algorithme Everett. Cette méthode simplifie la recherche de solutions optimales à des problèmes logistiques complexes, allant du déploiement d'armes nucléaires aux horaires de production industrielle juste à temps en passant par l'acheminement des autobus pour maximiser la déségrégation des districts scolaires. En 1964, Everett, Pugh et plusieurs autres collègues du WSEG ont fondé une société de défense privée, Lambda Corporation. Entre autres activités, il a conçu des modèles mathématiques de systèmes de missiles anti-missiles balistiques et de jeux de guerre nucléaire informatisés qui, selon Pugh, ont été utilisés par l'armée pendant des années. Everett s'est épris de l'invention d'applications pour le théorème de Bayes, une méthode mathématique de corrélation des probabilités des événements futurs avec l'expérience passée. En 1971, Everett a construit un prototype de machine bayésienne, un programme informatique qui apprend de l'expérience et simplifie la prise de décision en déduisant les résultats probables, un peu comme la faculté humaine du bon sens. Sous contrat avec le Pentagone, le Lambda a utilisé la méthode bayésienne pour inventer des techniques de suivi des trajectoires des missiles balistiques entrants. En 1973, Everett quitte Lambda et fonde une société de traitement de données, DBS, avec son collègue Lambda Donald Reisler. Le DBS a fait des recherches sur les applications des armes, mais s'est spécialisée dans l'analyse des effets socio-économiques des programmes d'action sociale du gouvernement. Lorsqu'ils se sont rencontrés pour la première fois, se souvient M. Reisler, Everett lui a demandé timidement s'il avait déjà lu son journal de 1957. J'ai réfléchi un instant et j'ai répondu : "Oh, mon Dieu, tu es cet Everett, le fou qui a écrit ce papier dingue", dit Reisler. "Je l'avais lu à l'université et avais gloussé, le rejetant d'emblée." Les deux sont devenus des amis proches mais convinrent de ne plus parler d'univers multiples.

Malgré tous ces succès, la vie d'Everett fut gâchée de bien des façons. Il avait une réputation de buveur, et ses amis disent que le problème semblait s'aggraver avec le temps. Selon Reisler, son partenaire aimait habituellement déjeuner avec trois martinis, dormant dans son bureau, même s'il réussissait quand même à être productif. Pourtant, son hédonisme ne reflétait pas une attitude détendue et enjouée envers la vie. "Ce n'était pas quelqu'un de sympathique", dit Reisler. "Il apportait une logique froide et brutale à l'étude des choses... Les droits civils n'avaient aucun sens pour lui." John Y. Barry, ancien collègue d'Everett au WSEG, a également remis en question son éthique. Au milieu des années 1970, Barry avait convaincu ses employeurs chez J. P. Morgan d'embaucher Everett pour mettre au point une méthode bayésienne de prévision de l'évolution du marché boursier. Selon plusieurs témoignages, Everett avait réussi, puis il refusa de remettre le produit à J. P. Morgan. "Il s'est servi de nous", se souvient Barry. "C'était un individu brillant, innovateur, insaisissable, indigne de confiance, probablement alcoolique." Everett était égocentrique. "Hugh aimait épouser une forme de solipsisme extrême", dit Elaine Tsiang, ancienne employée de DBS. "Bien qu'il eut peine à éloigner sa théorie [des monde multiples] de toute théorie de l'esprit ou de la conscience, il est évident que nous devions tous notre existence par rapport au monde qu'il avait fait naître." Et il connaissait à peine ses enfants, Elizabeth et Mark. Alors qu'Everett poursuivait sa carrière d'entrepreneur, le monde de la physique commençait à jeter un regard critique sur sa théorie autrefois ignorée. DeWitt pivota d'environ 180 degrés et devint son défenseur le plus dévoué. En 1967, il écrivit un article présentant l'équation de Wheeler-DeWitt : une fonction d'onde universelle qu'une théorie de la gravité quantique devrait satisfaire. Il attribue à Everett le mérite d'avoir démontré la nécessité d'une telle approche. DeWitt et son étudiant diplômé Neill Graham ont ensuite publié un livre de physique, The Many-Worlds Interpretation of Quantum Mechanics, qui contenait la version non informatisée de la thèse d'Everett. L'épigramme "mondes multiples" se répandit rapidement, popularisée dans le magazine de science-fiction Analog en 1976. Toutefois, tout le monde n'est pas d'accord sur le fait que l'interprétation de Copenhague doive céder le pas. N. David Mermin, physicien de l'Université Cornell, soutient que l'interprétation d'Everett traite la fonction des ondes comme faisant partie du monde objectivement réel, alors qu'il la considère simplement comme un outil mathématique. "Une fonction d'onde est une construction humaine", dit Mermin. "Son but est de nous permettre de donner un sens à nos observations macroscopiques. Mon point de vue est exactement le contraire de l'interprétation des mondes multiples. La mécanique quantique est un dispositif qui nous permet de rendre nos observations cohérentes et de dire que nous sommes à l'intérieur de la mécanique quantique et que la mécanique quantique doive s'appliquer à nos perceptions est incohérent." Mais de nombreux physiciens avancent que la théorie d'Everett devrait être prise au sérieux. "Quand j'ai entendu parler de l'interprétation d'Everett à la fin des années 1970, dit Stephen Shenker, physicien théoricien à l'Université Stanford, j'ai trouvé cela un peu fou. Maintenant, la plupart des gens que je connais qui pensent à la théorie des cordes et à la cosmologie quantique pensent à quelque chose qui ressemble à une interprétation à la Everett. Et à cause des récents développements en informatique quantique, ces questions ne sont plus académiques."

Un des pionniers de la décohérence, Wojciech H. Zurek, chercheur au Los Alamos National Laboratory, a commente que "l'accomplissement d'Everett fut d'insister pour que la théorie quantique soit universelle, qu'il n'y ait pas de division de l'univers entre ce qui est a priori classique et ce qui est a priori du quantum. Il nous a tous donné un ticket pour utiliser la théorie quantique comme nous l'utilisons maintenant pour décrire la mesure dans son ensemble." Le théoricien des cordes Juan Maldacena de l'Institute for Advanced Study de Princeton, N.J., reflète une attitude commune parmi ses collègues : "Quand je pense à la théorie d'Everett en mécanique quantique, c'est la chose la plus raisonnable à croire. Dans la vie de tous les jours, je n'y crois pas."

En 1977, DeWitt et Wheeler invitèrent Everett, qui détestait parler en public, à faire une présentation sur son interprétation à l'Université du Texas à Austin. Il portait un costume noir froissé et fuma à la chaîne pendant tout le séminaire. David Deutsch, maintenant à l'Université d'Oxford et l'un des fondateurs du domaine de l'informatique quantique (lui-même inspiré par la théorie d'Everett), était là. "Everett était en avance sur son temps", dit Deutsch en résumant la contribution d'Everett. "Il représente le refus de renoncer à une explication objective. L'abdication de la finalité originelle de ces domaines, à savoir expliquer le monde, a fait beaucoup de tort au progrès de la physique et de la philosophie. Nous nous sommes irrémédiablement enlisés dans les formalismes, et les choses ont été considérées comme des progrès qui ne sont pas explicatifs, et le vide a été comblé par le mysticisme, la religion et toutes sortes de détritus. Everett est important parce qu'il s'y est opposé." Après la visite au Texas, Wheeler essaya de mettre Everett en contact avec l'Institute for Theoretical Physics à Santa Barbara, Californie. Everett aurait été intéressé, mais le plan n'a rien donné. Totalité de l'expérience Everett est mort dans son lit le 19 juillet 1982. Il n'avait que 51 ans.

Son fils, Mark, alors adolescent, se souvient avoir trouvé le corps sans vie de son père ce matin-là. Sentant le corps froid, Mark s'est rendu compte qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir jamais touché son père auparavant. "Je ne savais pas quoi penser du fait que mon père venait de mourir, m'a-t-il dit. "Je n'avais pas vraiment de relation avec lui." Peu de temps après, Mark a déménagé à Los Angeles. Il est devenu un auteur-compositeur à succès et chanteur principal d'un groupe de rock populaire, Eels. Beaucoup de ses chansons expriment la tristesse qu'il a vécue en tant que fils d'un homme déprimé, alcoolique et détaché émotionnellement. Ce n'est que des années après la mort de son père que Mark a appris l'existence de la carrière et des réalisations de son père. La sœur de Mark, Elizabeth, fit la première d'une série de tentatives de suicide en juin 1982, un mois seulement avant la mort d'Everett. Mark la trouva inconsciente sur le sol de la salle de bain et l'amena à l'hôpital juste à temps. Quand il rentra chez lui plus tard dans la soirée, se souvient-il, son père "leva les yeux de son journal et dit : Je ne savais pas qu'elle était si triste."" En 1996, Elizabeth se suicida avec une overdose de somnifères, laissant une note dans son sac à main disant qu'elle allait rejoindre son père dans un autre univers. Dans une chanson de 2005, "Things the Grandchildren Should Know", Mark a écrit : "Je n'ai jamais vraiment compris ce que cela devait être pour lui de vivre dans sa tête". Son père solipsistiquement incliné aurait compris ce dilemme. "Une fois que nous avons admis que toute théorie physique n'est essentiellement qu'un modèle pour le monde de l'expérience, conclut Everett dans la version inédite de sa thèse, nous devons renoncer à tout espoir de trouver quelque chose comme la théorie correcte... simplement parce que la totalité de l'expérience ne nous est jamais accessible."

Auteur: Byrne Peter

Info: 21 octobre 2008, https://www.scientificamerican.com/article/hugh-everett-biography/. Publié à l'origine dans le numéro de décembre 2007 de Scientific American

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