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citation s'appliquant à ce logiciel

La vie progresse, elle apprend, tire les enseignements, s'adapte... structure... s'égare... abandonne... conserve...

Faisons-nous quelque chose qui y ressemble avec cette application ?

A l'aide de machines je collectionne des pensées, phrases... au fil de mon vieillissement... Les stocke, miroirs de mes expériences et de celles des autres. Les classe, les organise et les structures avec mes potes informaticiens, de manière à ce qu'on puisse se promener dedans du plus de manières possibles. Après quelques dizaines d'années nous voilà donc avec une curieuse forme de collection, un égoïsme particulier sous formes de "Reflets choisis de MA singularité dérisoire". Un logiciel littéraire "work in progress" qui ne semble pas intéresser les autres outre mesure à ce stade. Heureusement que quelques passionnés sont venus me rejoindre (merci spécial à Coli)

Je me prends quand même à croire, avec cette tentative des "Fils de la Pensée", qu'il y a là une piste qui contribuera à mettre en place de nouvelles façons de lire... peut-être de penser.

Un espace aux frontières de l'onirique, littéraire... Car le web est principalement un dictionnaire, un outil de communication et une mine de données pour les vendeurs... à bases d'efficacité et de vitesse. Mais quand à offrir un espace "des idées et des lettres" on s'en éloigne toujours plus. Essayez en surfant sur la toile de conserver une continuité cohérente, sans cesse déviés que vous serez par d'innombrables stimuli latéraux (images, films, pubs clignotantes, infos, anecdotes...) qui vous feront parfois même oublier votre objectif de départ... Alors qu'avec cette application on pourra développer ses pensées par la construction de chaines de favoris, voire créer son propre livre, au fil de son exploration... Pour éventuellement les communiquer ensuite. Une tel soft littéraire, une fois mis en ligne, pourra, via les contributions et une modération bien pensée, développer de multiples champs. Tenez, prenez un thème comme le "voisinage", j'imagine aisément quelqu'un s'amouracher du sujet et développer un champ/livre/rayonnage totalement dévolu à ce sujet. Avec ses déclinaisons : le voisinage dans l'histoire, humour et voisinage, certains peuples sont-ils plus ou moins enclins au voisinage ? Les romans sur le voisinages... avec un forum dédié où les individus viendraient à donner leur avis, raconter leurs expériences, etc...

Bref un espace plus confortable que la réalité sinistre présentée de manière toujours plus crue et insensée par notre monde consumériste. Un espace cérébral "commun et partagé" qui sera peut-être parmi les passe-temps salvateurs, un parmi les outils d'une civilisation enfin consciente de l'importance capitale du passage à la consommation de biens non tangibles.

Tenez, ce matin j'ai développé quelque chose que je partage avec beaucoup, un défaut. Celui de s'intéresser parfois à des infos qui ne le méritent pas nécessairement. Il y a là une curiosité de bas-étage, quelque chose qui mélange pour moi des notions comme : commérage, ragots, célébrité, indiscrétion, paparazzis, potins, presse people, curiosité malsaine, rumeurs, racontars, calomnie, gossip... Toutes choses mises ensemble qui auraient pu me conduire à commencer le développement d'un "champ - sujet - livre" possiblement intitulé: "la curiosité populaire morbide au cours des âges". Mais je me déroute un peu.

Ce logiciel pourra être abordé de pleins de manières par le lecteur internaute, qui pourra on l'espère lancer et/ou participer à son développement. Par exemple en présentant, dans l'ordre qu'il préfère, certains extraits, afin d'aider à préciser une représentation X ou Y (au hasard ; la rumeur publique en Asie). Peut-être avec une suite de citations, ou via une chaine de favoris mémorisée... qui seront ensuite reprises et développées par d'autres via de nouveaux embranchements, modifications, ajouts, suppressions... et autres commentaires... jusqu'à l'infini.

D'une manière plus générale le processus d'émergence de ce logiciel public voudrait s'inscrire dans la continuité de ce qu'il s'est passé avec la culture écrite humaine, partie de l'image et des symboles, avant de passer à la langue fixée sur support, la lecture à voix haute, puis la lecture "dans sa tête" comme le faisait Ambroise devant Saint Augustin... avant que de l'imprimerie et les médias ne diffusent tout ceci sur une autre échelle.

Ainsi, après ces milliers d'années, nous assistons à une révolution encore plus étonnante grâce à Internet et son ouverture virtuellement illimitée.

Alors nous poursuivons : comment trier, trouver du sens ?... Comment échanger, s'engueuler, se confronter ?... Comment ne pas se perdre dans l'insignifiant mercantile et les propagandes raffinées dont les desseins se résument trop souvent à la vente et à la conservation de pouvoirs, qu'ils soient grands ou petits. Bref, la propagation d'un système consumériste humain qui semble hélas, sous cette forme, toucher à ses limites. A nous de développer des occupations, des solutions et des objectifs de sorte que cette émergence trop rapide ne devienne un cul-de-sac.

Auteur: Mg

Info: Ecrit de 2005 à 2022

[ écologie ]

 

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sciences

Intellectuellement Pythagore fut un des hommes les plus importants qui aient jamais vécu, autant lorsqu'il fut sage que dans ses  imprudences.

Les mathématiques, au sens de l'argumentation déductive démonstrative, commencent avec lui et, en lui, sont intimement liées à une forme particulière de mysticisme. L'influence des mathématiques sur la philosophie, en partie due à lui, aura été depuis son époque à la fois profonde et malencontreuse. 

A l'origine la plupart des sciences étaient liées à une certaine forme de fausse croyance, ce qui leur donnait une valeur fictive. L'astronomie était liée à l'astrologie, la chimie à l'alchimie alors que les mathématiques étaient associées à un type d'erreur plus raffiné. Les connaissances mathématiques apparaissaient certaines, exactes et applicables au monde réel; de plus, elles étaient obtenues par simple réflexion, sans avoir besoin d'observation. Par conséquent, on pensait qu'elles fournissaient un idéal, en rapport duquel les connaissances empiriques quotidiennes étaient  inférieures. On supposait, sur la base des mathématiques, que la pensée est supérieure au sens, l'intuition à l'observation.

Si le monde des sens ne convient pas aux mathématiques, tant pis pour le monde des sens.  On a alots, via moult méthodes, cherché à se rapprocher de l'idéal du mathématicien, et les suggestions qui en ont résulté furent la source de beaucoup d'erreurs dans la métaphysique et la théorie de la connaissance.

Cette forme de philosophie commence avec Pythagore. Pythagore, comme tout le monde le sait, a dit "tout est nombre". Cette déclaration, interprétée de manière moderne, est logiquement un non-sens, mais ce qu'il voulait dire n'était pas exactement un non-sens. Il avait découvert l'importance des nombres en musique, et le lien qu'il a établi entre la musique et l'arithmétique survit dans les termes mathématiques "moyenne harmonique" et "progression harmonique". Il considérait les nombres comme des formes, telles qu'elles apparaissent sur les dés ou sur les cartes à jouer. On parle encore de nombres au carrés et au cube, termes que nous lui devons. Il évoqua aussi des nombres oblongs, triangulaires, pyramidaux, etc. C'était le nombre de cailloux (ou, comme on devrait dire plus naturellement, de billes) nécessaires pour réaliser les formes en question. Il pensait vraisemblablement que le monde est atomique et que les corps sont constitués de molécules composées d'atomes disposés sous diverses formes.

Il espérait ainsi mettre de l'arithmétique au centre de l'étude fondamentale de la physique comme de l'esthétique.

La religion personnelle dérive de l'extase, la théologie des mathématiques ; et les deux se trouvent chez Pythagore. Les mathématiques sont, je crois, la principale source de la croyance en une vérité éternelle et exacte, ainsi qu'en un monde intelligible suprasensible. La géométrie traite de cercles exacts, mais aucun objet sensible n'est exactement circulaire ; quelle que soit le soin avec lequel nous utilisons nos boussoles, il y aura des imperfections et des irrégularités. Cela suggère l'idée que tout raisonnement exact s'applique aux objets idéaux par opposition aux objets sensibles; il est naturel d'aller plus loin et d'affirmer que la pensée est plus noble que le sens, et les objets de la pensée plus réels que ceux de la perception sensorielle. Les doctrines mystiques sur la relation entre le temps et l'éternité sont également renforcées par les mathématiques pures, car les objets mathématiques, tels que les nombres, s'ils sont réels, sont éternels et ne s'inscrivent pas dans le temps. Ces objets éternels peuvent être conçus comme les pensées de Dieu. 

D'où la doctrine de Platon selon laquelle Dieu est un géomètre et la croyance de Sir James Jeans selon laquelle il est accro à l'arithmétique. La religion rationaliste par opposition à la religion apocalyptique aura été, depuis Pythagore, et notamment depuis Platon, complètement dominée par les mathématiques et la méthode mathématique. La combinaison des mathématiques et de la théologie, qui a commencé avec Pythagore, a caractérisé la philosophie religieuse en Grèce, au Moyen Âge et dans les temps modernes jusqu'à Kant. L'orphisme avant Pythagore était analogue aux mystérieuse religions asiatiques.

Mais chez Platon, Saint Augustin, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza et Kant, il y a un mélange intime de religion et de raisonnement, d'aspiration morale et d'admiration logique de ce qui est intemporel, qui vient de Pythagore et qui distingue la théologie intellectualisée de l'Europe du mysticisme plus direct de l'Asie. 

Ce n'est que très récemment qu'il a été possible de dire clairement en quoi Pythagore avait tort. Je ne connais personne qui ait eu autant d'influence que lui dans le domaine de la pensée. Je dis cela parce que ce qui apparaît comme du platonisme se révèle, après analyse, être essentiellement du pythagorisme. Toute la conception d'un monde éternel, révélé à l'intellect mais non aux sens, est dérivée de lui. Sans lui, les chrétiens n'auraient pas considéré le Christ comme le monde ; sans lui, les théologiens n'auraient pas cherché des preuves logiques de Dieu et de l'immortalité. Mais en lui, tout cela reste implicite.

Auteur: Russell Bertrand

Info: A History of Western Philosophy (1945), Book One. Ancient Philosophy, Part II. The Pre-Socratics, Ch. III: Pythagoras, p. 29 & pp. 34-37

[ historique ] [ Grèce antique ] [ langage ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

querelle du filioque

La source la plus claire de la notion de pardon que le christianisme développera pendant des siècles remonte, dans les Évangiles, à saint Paul et à saint Luc. Comme tous les principes de base de la chrétienté, elle sera développée chez saint Augustin, mais c’est chez saint Jean Damascène (au VIIIe siècle) qu’on trouvera une hypostase de la "bienveillance du père" (eudoxia), de la "tendre miséricorde" (eusplankhna) et de la "condescendance" (le Fils s’abaisse jusqu’à nous)(synkatabasis). A rebours, ces notions peuvent être interprétées comme préparant la singularité du christianisme orthodoxe jusqu’au schisme de Per Filium/Filioque.

Un théologien semble avoir profondément déterminé la foi orthodoxe qui s’exprime puissamment chez Dostoïevski et donne à l’expérience intérieure propre à ses romans cette intensité émotionnelle, ce pathos mystique si surprenants pour l’Occident. Il s’agit de saint Syméon le Nouveau Théologien (999-1022). [...] Saint Syméon comprend la Trinité comme une fusion des différences que sont les trois personnes, et l’énonce intensément à travers la métaphore de la lumière.

Lumière et hypostases, unité et apparition : telle est la logique de la Trinité byzantine. Elle trouve immédiatement, chez Syméon, son équivalent anthropologique : "Comme il est impossible qu’il existe un homme avec parole ou esprit sans âme, ainsi il est impossible de penser le Fils avec le Père sans le Saint-Esprit [...]. Car ton propre esprit, de même que ton âme, est dans ton intelligence, et toute ton intelligence est dans tout ton verbe, et tout ton verbe est dans tout ton esprit, sans séparation et sans confusion. C’est l’image de Dieu en nous." Dans cette voie, le croyant se défie en fusionnant avec le Fils et avec l’Esprit : "Je te rends grâce que sans confusion, sans changement, tu te sois fait un seul Esprit avec moi, bien que tu sois Dieu par-dessus tout, tu sois devenu pour moi tout en tout."

Nous touchons ici l’ "originalité de l’orthodoxie". Elle aboutira, à travers maintes controverses institutionnelles et politiques, au schisme accompli au XIe siècle et achevé avec la prise de Constantinople par les Latins en 1204. Sur le plan proprement théologique, c’est Syméon plus que Photius qui formule la doctrine orientale Per Filium opposée au Filioque des Latins. Insistant sur l’Esprit, il affirme l’identité de la vie dans l’Esprit et de la vie dans le Christ, cette pneutamologie puissante trouvant dans le Père son origine. Toutefois, une telle instance paternelle n’est pas simplement un principe d’autorité ou une cause mécanique simple : dans le Père, l’Esprit perd son immanence et s’identifie au royaume de Dieu défini à travers des métamorphoses germinales, florales, nutritives et érotiques qui connotent, par-delà l’énergétisme cosmique souvent considéré spécifique à l’Orient, la fusion ouvertement sexuelle avec la Chose aux limites du nommable.

Dans cette dynamique, l’Église elle-même apparaît comme un soma pneumatikon, un "mystère", plus qu’une institution à l’image des monarchies.

Cette identification extatique des trois hypostases entre elles et du croyant avec la Trinité ne conduit pas à la conception d’une autonomie du Fils (ou du croyant), mais à une appartenance pneumatologique de chacun aux autres, que traduit l’expression Per Filium (l’Esprit descend du Père par le Fils) opposée au Filioque (l’Esprit descend du Père et du Fils).

Il a été impossible, à l’époque, de trouver la rationalisation de ce mouvement mystique interne à la Trinité et à la foi, où, sans perdre sa valeur de personne, l’Esprit fusionne avec les deux autres pôles et, du même coup, leur confère, au-delà de leur valeur d’identité ou d’autorité distinctes, une profondeur abyssale, vertigineuse, certainement aussi sexuelle, dans laquelle se logera l’expérience psychologique de la perte et de l’extase. Le nœud borroméen que Lacan a utilisé comme métaphore de l’unité et de la différence entre le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique permet peut-être de penser cette logique, si tant est qu’il soit nécessaire de la rationaliser. Or, précisément, tel ne semblait pas être le propos des théologiens byzantins du XI au XIIIe siècles, préoccupés de décrire une nouvelle subjectivité post-antique plutôt que de la soumettre à la raison existante. En revanche, les Pères de l’Église latine, plus logiciens, et qui venaient de découvrir Aristote (alors que l’Orient en était nourri et ne cherchait plus qu’à s’en différencier), ont logifié la Trinité en voyant en Dieu une essence intellectuelle simple articulable en dyades : le Père engendre le Fils ; le Père et le Fils en tant qu’ensemble font procéder l’Esprit. Développée par la syllogistique d’Anselme de Cantorbury au concile de Bari en 1098, cette argumentation du Filioque sera reprise et développée par Thomas d’Aquin. Elle aura l’avantage d’asseoir d’une part l’autorité politique et spirituelle de la papauté, d’autre part l’autonomie et la rationalité de la personne du croyant identifié à un Fils ayant pouvoir et prestige à égalité avec le Père. Ce qui est ainsi gagné en égalité et donc en performance et en historicité, est peut-être perdu au niveau de l’expérience de l’identification, au sens d’une instabilité permanente de l’identité.

Auteur: Kristeva Julia

Info: Dans "Soleil noir", éditions Gallimard, 1987, pages 218 à 222

[ influence ] [ psychanalyse ]

 
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protestantisme

Il est vrai, Caïetan reprochait autre chose à Luther : sa doctrine de la justification : neminem justificari posse nisi per fidem. Question capitale sans doute ; mais enfin, telle qu’il la formulait avant la dispute de Leipzig et dans l’été de 1518, la doctrine de Luther était-elle hérétique, sans hésitation ni scrupule quelconque ? Un historien n’est pas qualifié pour le dire. Il peut seulement, il doit rappeler un fait.

L’attention s’est portée dans ces dernières années sur l’activité doctrinale d’un groupe de théologiens, dont certains parvinrent, dans l’Église, à de hautes situations et qui, sur la justification, professèrent fort tard (en plein concile de Trente) des opinions toutes proches, pour un profane, des opinions luthériennes. Tel, ce Girolamo Seripando, général des Augustins de 1539 à 1551, qui reçut le chapeau (1561) et remplit jusqu’à sa mort (1563) les fonctions de cardinal-légat au concile. Là, à l’indignation de certains (ce n’étaient pas des Augustins !) il exposa et défendit avec acharnement des idées hardies, opposées à celles des thomistes, proches des idées luthériennes. Les tenait-il de Luther ?

Le chanoine Paquier, dans le Dictionnaire de théologie catholique, s’empresse de laver Seripando d’un tel soupçon. Peu nous chaut. Le fait demeure. Un légat pontifical, un cardinal romain, pouvait impunément, quarante ans après la condamnation de Luther par la bulle Exsurge, dix-sept ans après la mort de l’hérétique, soutenir en plein concile des doctrines telles que M. Paquier se croit tenu d’écrire : "La manière fort opposée dont l’Église a traité ces idées et ces hommes (Seripando, Luther) ne doit pas scandaliser... À toutes les époques de la vie de l’Église, certaines théories se côtoyant ont éprouvé ainsi, des traitements fort divers... La vraie raison de cette différence... tient à la doctrine elle-même... Seripando et les siens ont toujours maintenu la responsabilité de l’homme envers Dieu et l’obligation d’observer la morale. Luther au contraire a nié fougueusement la liberté. Et pour affirmer qu’à elle seule, la foi neutralise les péchés les plus réels, il a des textes d’une massivité déconcertante." Oui, mais ces textes, de quand datent-ils ? Ces déclarations "d’une massivité déconcertante" sont donc antérieures à la dispute de Leipzig ? Rappelons-nous les dates, et que Luther, quand il comparaît à Augsbourg devant Caïetan, du 12 au 14 octobre 1518, près d’un an avant son tournoi avec Eck — déjà ses juges romains, sans plus de façon l’ont déclaré hérétique ; déjà l’ordre a été transmis aux chefs des Augustins d’Allemagne d’avoir à incarcérer leur confrère pestilentiel ; déjà le bref du 23 août 1518 mobilise contre lui et l’Église et l’État...

Or, qu’on se reporte à l’écrit en allemand, Unterricht auf etliche Artikel, que Luther publia en février 1519, à la veille de la dispute de Leipzig. Des idées réformatrices, sans doute. Un effort hardi pour épurer la théologie du temps. Mais qu’il s’agisse du culte des saints, à travers qui l’on doit honorer et invoquer Dieu lui-même (p. 70) ; ou des âmes du Purgatoire qui peuvent être secourues par des prières et des aumônes, encore qu’on ne sache rien des peines qu’elles endurent et de la manière dont Dieu leur applique nos suffrages — weiss ich nit, und sag noch das das niemant genugsam weiss — qu’il soit question encore des commandements de l’Église : ils sont, écrit Luther, au Décalogue ce que la paille est à l’or, wie das Golt und edel Gesteyn uber das Holtz und Stroo ; qu’il vienne à traiter, enfin, de l’Église romaine qu’on ne saurait quitter en considération de saint Pierre, de saint Paul, des centaines de martyrs précieux qui l’ont honorée de leur sang, ou même du pouvoir papal qu’il faut respecter comme tous les pouvoirs établis, tous venant également de Dieu : rien dans tout cela que vingt, que quarante théologiens ou humanistes en vue de ce temps n’aient dit de leur côté, avec autant ou même parfois avec plus de vivacité et de hardiesse, sans qu’ils fussent traqués, cités en cour de Rome, réputés hérétiques et dénoncés d’avance aux pouvoirs séculiers... 

[…] Érasme avait raison pour une fois. Si Rome poursuivait Luther avec tant de hâte passionnée, c’est qu’il avait touché "à la couronne du pape et au ventre des moines". Et Hutten avait raison aussi : c’est que Luther était un Allemand qui, dangereusement, se dressant à la porte de l’Allemagne, prétendait en interdire l’exploitation fructueuse aux Italiens. Comment Luther, l’impulsif, l’impressionnable Luther aurait-il fermé les yeux à cette évidence ?

Ainsi Rome faisait tout pour le pousser, l’incliner dans la voie des Hutten et des Crotus Rubianus. En le classant sans répit et presque sans débat parmi ces hérétiques criminels dont il faut étouffer les idées dans l’œuf, elle le chassait peu à peu hors de cette unité, de cette catholicité au sein de laquelle pourtant, de toute son évidente sincérité, il proclamait vouloir vivre et mourir. Elle acceptait le schisme, elle courait au-devant de lui. Elle fermait, sur la route de Martin Luther, la porte pacifique, la porte discrète d’une réforme intérieure.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 94 à 97

[ catholicisme ] [ politique ]

 

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protestantisme

Luther naissait, probablement en 1483, un 10 novembre, veille de la Saint-Martin, dans la petite ville d’Eisleben en Thuringe. Il revint y mourir soixante-trois ans plus tard. Ses parents étaient pauvres : le père, un mineur, dur à lui, rude aux autres ; la mère, une ménagère épuisée et comme annihilée par son labeur trop lourd ; bonne tout au plus à farcir de préjugés et de superstitions craintives un cerveau d’enfant assez impressionnable. Ces êtres sans allégresse élevaient le petit Martin dans une bourgade, Mansfeld, peuplée de mineurs et de marchands.

Sous la férule de maîtres grossiers, l’enfant apprenait la lecture, l’écriture, un peu de latin et ses prières. Cris à la maison et coups à l’école : le régime était dur pour un être sensible et nerveux. À quatorze ans, Martin partait pour la grande ville de Magdebourg. Il allait y chercher, chez les Frères de la Vie Commune, des écoles plus savantes. Mais, perdu dans cette cité inconnue ; obligé de mendier son pain de porte en porte ; malade par surcroît, il n’y demeurait qu’un an, rentrait un instant sous le toit paternel puis se rendait à Eisenach où il avait des parents. Délaissé par ceux-ci, après de nouvelles souffrances, il rencontrait enfin des âmes charitables, une femme notamment, Ursule Cotta, qui l’entourait d’affection et de délicate tendresse. Quatre ans se passaient, les quatre premières années un peu souriantes de cette triste jeunesse. Et, en 1501, toujours sur l’ordre du père, Luther partait pour Erfurt dont l’Université était prospère.

Il y travaillait, avec une ardeur fiévreuse, à la Faculté des Arts. Bachelier en 1502, il était maître en 1505 — Mais l’ombre d’une jeunesse maussade se projetait sur un destin qui demeurait médiocre. Et, se succédant rapidement, des maladies graves, un accident sanglant, l’épouvante semée par une peste meurtrière, l’ébranlement, enfin, d’un coup de tonnerre qui manquait de tuer Luther entre Erfurt et le village de Stotternheim : toute cette suite d’incidents violents, agissant sur un esprit inquiet et sur une sensibilité frémissante, inclinait le futur hérétique au parti qu’un homme de son tempérament, après ces expériences, devait adopter tout naturellement. Renonçant à continuer ses études profanes, brisant les espérances d’élévation sociale que déjà concevaient ses parents, il s’en allait frapper à la porte des Augustins d’Erfurt. […]

Moine d’élite, Luther se pliait, docile, aux rigueurs de la règle. Et quelles rigueurs ! Échelonnés de 1530 à 1546, vingt textes en clamaient la décevante cruauté : "Oui, en vérité, j’ai été un moine pieux. Et si strictement fidèle à ma règle que, je puis le dire : si jamais moine est parvenu au ciel par moinerie, j’y serais parvenu, moi aussi. Seulement, le jeu aurait encore un peu duré : je serais mort de veilles, prières, lectures et autres travaux". Ailleurs : "Pendant vingt ans, j’ai été un moine pieux. J’ai dit une messe chaque jour. Je me suis si fort épuisé en prières et en jeûnes, que je n’aurais pas tenu longtemps si j’y étais resté." — Encore : "Si je n’avais été délivré par les consolations du Christ, à l’aide de l’Évangile, je n’aurais pas vécu deux ans, tant j’étais crucifié et fuyais loin de la colère divine..."

Pourquoi en effet ces œuvres de pénitence ? Pour la satisfaction d’un idéal dérisoire, le seul que son Église proposât à Luther. L’enseignement que le moine ardent dans sa piété et qui s’était jeté au couvent pour y rencontrer Dieu, Dieu vivant, ce Dieu qui semblait fuir un siècle misérable ; la doctrine qu’il puisait dans les livres des docteurs tenus pour les maîtres de la vie chrétienne ; les paroles mêmes, et les conseils et les exhortations de ses directeurs et de ses supérieurs : tout, et jusqu’aux œuvres d’art dans les chapelles ou sur les porches des églises, parlait au jeune Luther d’un Dieu terrible, implacable, vengeur, tenant le compte rigoureux des péchés de chacun pour les jeter à la face terrifiée de misérables voués à l’expiation. Doctrine atroce, de désespoir et de dureté ; et quel pauvre aliment pour une âme sensible, pénétrée de tendresse et d’amour ? "Je ne croyais pas au Christ, écrira Luther en 1537, mais je le prenais pour un juge sévère et terrible, tel qu’on le peint siégeant sur l’arc-en-ciel". Et, en 1539 : "Comme le nom de Jésus m’a effrayé souvent !... J’aurais préféré entendre celui du diable, car j’étais persuadé qu’il me faudrait accomplir des bonnes œuvres, jusqu’à ce que le Christ, par elles, me soit rendu ami et favorable."

Ainsi, entré au couvent pour y trouver la paix, la certitude heureuse du salut, Luther n’y rencontrait que terreur et doute. En vain, pour désarmer l’atroce colère d’un Dieu courroucé redoublait-il de pénitences, meurtrières pour son corps, irritantes pour son âme. En vain par les jeûnes, les veilles, le froid : Fasten, Wachen, Frieren*, trinité sinistre et refrain monotone de toutes ses confidences, tentait-il de forcer la certitude libératrice. Chaque fois, après l’effort surhumain de la mortification, après le spasme anxieux de l’espérance, c’était la rechute, plus lamentable, dans le désespoir et la désolation. L’enfant triste de Mansfeld devenu l’augustin scrupuleux d’Erfurt doutait un peu plus fort de son salut. Et dans une chrétienté sourde aux cris du cœur, dans une chrétienté livrant ses temples aux mauvais marchands, ses troupeaux aux mauvais bergers, ses disciples aux mauvais maîtres, rien, sinon les plaintes de ses compagnons de misère, rien ne pouvait faire écho aux sanglots du croyant avide de foi vivante dont on trompait la faim par de vaines illusions.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 5 à 7 *Jeûner, veiller, avoir froid

[ biographie ]

 

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