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vingtième siècle

La logique du capitalisme contemporain qui est en cause. Il y a un phénomène mondial caractéristique de cette époque, les bidonvilles. Comme le souligne Mike Davis, sociologue urbain critique, on tend à occulter l'envers de la réussite économique de la Chine, de Singapour, de la Corée du Sud : l'explosion des bidonvilles. D'après certaines estimations, plus d'un milliard d'êtres humains vivraient aujourd'hui dans des bidonvilles.
Leurs habitants sont en passe de devenir le groupe social le plus important à l'échelle mondiale. On pense spontanément aux favelas, mais il ne s'agit pas seulement de cela. La plus grande région de bidonvilles se situe en Afrique centrale, entre Lagos et la Côte d'Ivoire : 70 millions de personnes y vivent dans des bidonvilles. Ces habitants ressemblent à l'"homo sacer" d'Agamben : des exclus de l'ordre civil public, mais plus ou moins intégrés à l'économie, par le travail au noir, les trafics... Pour reprendre des termes marxiens, peut-être s'agit-il là d'un nouveau prolétariat proto-révolutionnaire. Il y a là de larges groupes, des foules immenses qui n'ont pas d'ancrage dans une tradition, auxquels manque une hiérarchie héritée pour organiser leur espace social. Ce sont précisément des exclus véritables. La visée de l'État n'est plus même de les contrôler, mais seulement de les isoler. Cette logique de nouvel apartheid commence à gagner nos sociétés. On ne peut probablement pas l'appréhender en termes de "classes" au sens marxien.

Auteur: Zizek Slavoj

Info: La logique du capitalisme conduit à la limitation des libertés, l'Humanité 4 janvier 2006

[ misère ] [ surpopulation ]

 

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humanité

Personne, littéralement personne, ne peut jouer le rôle impossible de l'Anthropocène, et c'est là tout l'intérêt de la notion. Parler de l'origine anthropique du réchauffement climatique global n'a aucun sens, en effet, si l'on entend par "anthropique" quelque chose comme "l'espèce humaine". Qui peut prétendre parler de l'humain en général, sans susciter aussitôt mille protestations ? Des voix indignées vont s'élever pour dire qu'elles ne s'estiment en aucune manière responsables de ces actions à l'échelle géologique - et elles auront raison ! Les nations indiennes au coeur de la forêt amazonienne n'ont rien à voir avec "l'origine anthropique" du changement climatique - du moins tant que des politiciens en campagne électorale ne leur ont pas distribué des tronçonneuses. Pas plus que les pauvres des bidonvilles de Bombay qui ne peuvent que rêver d'avoir une empreinte carbone plus importante que celle laissée par la suie émise par leurs foyers de fortune. Pas plus que l'ouvrière obligée de faire de longs trajets en voiture parce qu'elle n'a pas pu trouver un logement abordable près de l'usine où elle travaille: qui oserait lui faire honte de sa trace carbone ? C'est pourquoi l'Anthropocène, malgré son nom, n'est pas une extension immodérée de l'anthropocentrisme. [...] C'est bien plutôt l'humain comme agent unifié, comme simple entité politique virtuelle, comme concept universel, qui doit être décomposé en plusieurs peuples distincts, dotés d'intérêts contradictoires, et convoqués sous les auspices d'entités en guerre - pour ne pas dire de divinités en guerre. L'anthropos de l'anthropocène ? C'est Babel après la chute de la tour géante. Enfin l'humain n'est plus unifiable ! Enfin il n'est plus hors-sol ! Enfin il n'est plus hors de l'histoire terrestre !

Auteur: Latour Bruno

Info: Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique

[ calorifère ] [ civilisation ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

agglomérations

Ils commencent par se construire un toit, un petit coin, une place à eux. Comme ces migrants n'ont pas d'argent, puisqu'ils sont justement partis en ville pour en gagner - le village traditionnel africain ignore la notion de l'argent -, ils ne peuvent se réfugier que dans les bidonvilles. L'architecture de ces quartiers est invraisemblable. Le plus souvent , les autorités de la ville affectent aux pauvres les terrains les plus mauvais : des marécages, ou bien des terres nues et sablonneuses. C'est là qu'on installe la première cabane. A côté d'elle vient s'installer une deuxième. Puis une troisième. Spontanément surgit une rue. Quand cette rue en rencontre une autre, cela forme un croisement. Puis ces rues commencent à se séparer, tourner, se ramifier. C'est ainsi que naît un quartier. Mais comment se procurent-ils les matériaux ? C'est la grand mystère. En creusant le sol ? En décrochant les nuages ? En tout cas il est sûr et certain que cette foule de miséreux n'achète rien. Sur la tête, sur les épaules, sous le bras, ils transportent des morceaux de tôle, de planches, de contreplaqué, de plastique, de carton, de carrosserie, de cageot, puis ils assemblent, montent, clouent, collent ces pièces en un ensemble qui tient de la cabane ou de la hutte et forme un collage multicolore improvisé. En guise de couche, ils tapissent la terre d'herbe à éléphant, de feuilles de bananiers, de rafia ou de paille de riz, car souvent le sol est boueux ou pierreux. Faites de bric et de broc, ces architectures monstrueuses en papier mâché sont infiniment plus créatives, imaginatives, inventives et fantaisistes que les quartiers de Manhattan ou de La Défense à Paris. La ville entière tient sans une brique, sans une poutre métallique, sans un mètre carré de verre !

Auteur: Kapuscinski Ryszard

Info: Ebène - Aventures africaines

[ favelas ] [ auto-organisation ] [ débrouile ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

passe-temps

Un jour Zakhar Pavlovitch chercha longtemps le boulon qu'il lui fallait pour refaire le filetage d'un écrou forcé. Il parcourait le dépôt et demandait si personne n'avait de boulon de 8, pour refaire un filetage. On lui répondit qu'il n'y en avait pas, quoique tout le monde eût ce genre de boulon. C'est qu'en fait les ouvriers s'ennuyaient, ils se distrayaient en se compliquant mutuellement les soucis du travail. Zakhar Pavlovitch ignorait encore cet amusement sournois, caché, qu'on trouve dans tout atelier. Cette dérision discrète permettait aux autres ouvriers d'avoir raison de la longueur de la journée de travail et de la langueur d'un labeur répétitif. En vertu de ce divertissement cher à ses voisins Zakhar Pavlovitch fit bien des choses pour rien. Il allait chercher des chiffons au dépôt alors qu'il y en avait des monceaux au bureau ; il fabriquait des échelles en bois ou des bidons pour l'huile, dont le dépôt regorgeait ; incité par quelqu'un, il fut même sur le point de changer par ses propres moyens les bouchons-témoins dans le foyer de la locomotive, mais fut prévenu à temps par un chauffeur qui se trouvait là, sans quoi Zakhar Pavlovitch aurait été congédié sans aucun commentaire.
Zakhar Pavlovitch, ne trouvant pas cette fois le boulon convenable, entreprit d'adapter un pivot à la réalisation d'un filetage et il y serait parvenu, car il ne perdait jamais patience, mais on lui dit :
- Eh, 8 pour un filetage, viens donc prendre ton boulon !
Depuis lors Zakhar Pavlovitch eut pour sobriquet "8 pour un filetage", mais on le dupa désormais moins souvent lorsqu'il eut un besoin urgent d'outils.
Ensuite personne ne sut que Zakhar Pavlovitch préférait ce sobriquet à son nom de baptême : il rappelait une partie importante de toute machine et semblait intégrer corporellement Zakhar Pavlovitch à cette patrie authentique où les pouces de métal triomphent des verstes de terre."

Auteur: Platonov Andrej Platonovic

Info: Tchevengour

[ ennui ] [ atelier ] [ usine ] [ sidérurgie ]

 

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humour

Il y a une chose que j'aime chez les Polonais : leur langue. Le polonais, quand il est parlé par des gens intelligents, me met en extase. Sonorité d'une langue qui porte en elle de singulières images où affleure toujours une pelouse verdoyante finement piquetée dans laquelle frelons et serpents tiennent une grande place. Je me souviens de ces jours lointains quand Stanley m'invitait à rendre visite à ses proches ; il me faisait porter un petit rouleau de musique car il voulait me présenter à ces riches parents. Je me souviens bien de cette atmosphère car en présence de ces Polonais à la langue bien pendue, trop polis, prétentieux et complètement bidons, je me sentais toujours misérablement mal à l'aise. Mais lorsqu'ils parlaient entre eux, parfois en français, parfois en polonais, je m'asseyais et les observais avec fascination. Ils faisaient d'étranges grimaces polonaises, tout à fait différentes de celles de nos parents, qui étaient de stupides barbares au fond. Les Polonais faisaient penser à des serpents debout équipés de colliers de frelons. Je ne savais jamais de quoi ils parlaient, mais j'avais toujours l'impression qu'ils assassinaient poliment quelqu'un. Tous équipés de sabres et de larges épées qu'ils tenaient entre leurs dents ou férocement brandies dans quelque charge tonitruante. Ils ne s'écartaient jamais du chemin, et donc écrasaient femmes et enfants, les transperçant de longues piques ornées de fanions rouge sang. Tout cela, bien sûr, dans le salon autour d'un verre de thé, les hommes portant des gants couleur beurre, les femmes agitant leurs ridicules  lorgnons. Les femmes étaient toujours d'une merveilleues beauté, du type blonde houri ramassée il y a des siècles lors des croisades. Elles sifflaient leurs longs mots polychromes grâce à de minuscules bouches sensuelles, aux lèvres douces comme des géraniums. Ces furieuses excursions entre vipères et pétales de rose produisaient une sorte de musique enivrante, genre de biniou à cordes d'acier capable de produire et restituer des sons inhabituels, comme des sanglots et des jets d'eau.

Auteur: Miller Henry

Info: Sexus

[ incompréhensible idiome ] [ mondanités ] [ terminologie étrangère ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

narratif covidiste

Le 11 janvier 2020, un laboratoire de Shanghai publie le génome du nouveau coronavirus. Laboratoire aussitôt fermé par le gouvernement chinois pour "rectification", avant réouverture le lendemain. Mystère. Le 3 février, Shi Zhengli et une trentaine de collègues publient dans Nature le papier fondateur du récit officiel : le SARS-CoV-2 présente une forte similitude (96,2%) avec un virus porté par les chauves-souris du Yunnan, nommé RaTG13. La chaîne de contamination se dessine, depuis les chauves-souris et sans doute via un animal intermédiaire facilitant l’adaptation du virus aux hommes – animal vendu sur le marché de Wuhan. Un pangolin, tiens, ça lui apprendra. Même s’il ne s’en vend pas à Wuhan, sait-on ce que trafiquent les braconniers.

Pour l’heure, cet intermédiaire n’a toujours pas été identifié, et le pangolin ne semble plus si coupable. Le gouvernement chinois a reconnu en mai 2020 que nul cas de Covid-19 n’avait été détecté parmi les animaux vendus sur le marché de Wuhan. On sait en outre que des malades ont contracté le virus sans avoir fréquenté ce marché, bien avant l’alerte officielle. [...]

RaTG13 est donc ce virus de chauve-souris tellement adapté aux hommes. Voyez comme le hasard fait bien les choses. Shi avait isolé cette souche parmi d’autres, dès 2013, dans les échantillons du Yunnan, mais complètement débordée, elle avait oublié de publier son génome. Sans doute désoeuvrée en ce mois de janvier 2020, elle le retrouve dans son tiroir et bingo ! c’est le bon. [...]

Bidon ? C’est ainsi que parlent les scientifiques en dehors des prestigieuses revues.

Traduction : de plus en plus de chercheurs doutent de l’existence de ce RaTG13, tombé à pic pour expliquer l’épidémie. [...]

Les auteurs pointent des énormités. Shi Zhengli n’a mentionné e RaTG13 dans aucun de ses papiers sur les liens entre coronavirus et chauve-souris depuis 2013, alors que cette souche semble particulièrement risquée pour l’homme. "Bizarre", disent-ils. La chercheuse chinoise n’a jamais communiqué les informations usuelles concernant l’identification et l’isolement du RaTG13 [...]. Nul échantillon du virus n’est disponible, et nulle étude n’a été réalisée sur des cellules humaines ou des modèles animaux. Bref, on ne connaît rien de ce RaTG13 à part ce que Shi Zhengli veut bien en dire : un génome écrit dans une base de données. On vous fait grâce des biais de méthodes, des données manquantes, des incohérences dans les dates des expériences. De toute façon, on n’y connaît rien, et vous non plus. [...]

Pour un autre scientifique américain, aussi anonyme que notre comité scientifique – et qui pointe les mêmes incohérences biologiques, créer de toutes pèces le séquençage du génome de RaTG13 serait facile, surtout s’il est similaire à 96% à celui de notre Covid-19. Ce mauvais esprit conclut que ce "fake virus" existe dans Nature, mais non dans la nature.

Pour finir, le feuilleton se corse au printemps 2021 avec la publication de plusieurs thèses réalisées à Wuhan depuis 2014. Publication due à un enquêteur anonyme, The Seeker, peut-être en lien avec un ou des lanceurs d’alerte chinois. De ces thèses, en chinois et en code génétique, donc indéchiffrables pour nous, il ressort que les chercheurs de Wuhan ont dissimulé nombre d’informations, concernant notamment d’autres coronavirus étudiés dans leur labo depuis des années, capables de déclencher une épidémie.

Auteur: PMO Pièces et main-d'oeuvre

Info: Dans "Le règne machinal", éditions Service compris, 2021, pages 146 à 149

[ falsification ] [ historique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

vingt-et-unième siècle

Le XXIe siècle invente une nouvelle territorialité : le camp de réfugiés,
Qui peut croire que les flux migratoires vont se réduire dans les prochaines décennies ? Et nous, que ferions-nous si nous résidions dans un espace social et économique sans issue, dévoyé par la violence, comme en Syrie, en Irak, en Érythrée, en Libye, en Palestine, en Afghanistan, au Soudan, en République Centrafricaine, en Somalie, en République Démocratique du Congo, au Pakistan, au Nigeria, au Yemen, en Colombie... ?
Pour répondre à ce défi, le XXIe siècle est en train d'inventer une nouvelle territorialité : le camp de réfugiés. Les camps "officiels", répartis à travers le monde, sont mis en place, financés et gérés par le HCR (Haut commissariat pour les réfugiés), émanation des Nations-Unies siégeant à Genève. 17 millions d'hommes, de femmes et d'enfants y sont nourris, "logés" et souvent enfermés, comme dans beaucoup de pays où les autorités locales interdisent aux populations "accueillies" d'en sortir. Ces camps, dont certains abritent jusqu'à 400.000 personnes, n'apparaissent sur aucune carte, bien qu'ils soient parfois pérennisés par nécessité durant des décennies. On y constate aussi la disparition d'autres droits fondamentaux, comme celui de travailler pour sa subsistance.
La journaliste Anne Poiret, dans son documentaire sur le sujet, établit à 17 années la durée moyenne de résidence dans un camp. On a le temps d'y naître et d'y grandir, ou d'y vieillir et d'y mourir, sans droit, sans liberté, sans "chez-soi".
Mais l'innovation n'y est pas en reste : on teste des formes d'auto-organisation entre les réfugiés, la distribution des aides alimentaires en argent et non en nature, l'installation de campements "verts" (éoliennes, panneaux solaires, financés par des ONG dédiées), et même l'accès à son compte en banque par un distributeur de billets mobile à reconnaissance digitale et rétinienne (il va de soi que tout le monde est fiché). C'est un mode de vie en développement, et comme toute courbe qui monte, il est porteur d'opportunités, sujet à ce "progrès" qui fait tellement défaut dans les pays riches. Les camps de réfugiés font objectivement partie de l'avenir.
Notons que la notion de camp de réfugiés peut être appliquée sans abus de langage aux bidonvilles qui grossissent continûment les villes, impasses sociales et humanitaires qui aspirent les "migrants" de tous ordres, les expropriés des campagnes, les sans-terre, sans-eau, sans-récoltes ou sans-emploi, ceux qui décident que l'insécurité de l'inconnu est au moins porteuse d'une possibilité de numéro gagnant, même à un cent contre un. C'est à ce niveau qu'ils mettent en jeu leur existence. Les migrants sont des "espérants".
Les Occidentaux et les riches des centre-villes leur brandissent des statistiques : scientifiquement, votre espoir est fou, votre espoir est vain. Ne venez pas. Les migrants sourient d'un air gêné, comme tous les humains qui ont une faveur à obtenir. Ils préfèrent un asservissement qu'ils croient provisoire à l'enfermement par le dénuement ou la violence dans leur communauté d'origine. C'est un raisonnement qui ne vaut pas de l'autre côté de la grille : le rapprochement physique des riches et des pauvres est malsain, souvent dangereux. "Incertain", comme dirait la bourse. La présence de ces foules compactes et déracinées dans des contrées plus pacifiées fait tache. L'abordage désordonné des pauvres dans les quartiers riches n'est pas convenable.
Ça, tous les Européens le disent, maintenant, de "gauche" comme de droite : Ça fait des Brexit, après.
Vous savez, le Brexit : cet "événement historique" dont on a tant parlé.

Auteur: Gaufrès Stéphane

Info:

[ guerre ] [ surpopulation ] [ nord-sud ]

 

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normalisation

Europe : les emplois fictifs et le contrôle social
Alors que l'économie en Europe périclite, le New York Times rapporte que les millions de chômeurs de la zone euro se consolent en participant à une curieuse économie parallèle peuplée de milliers d'entreprises fictives qu'on appelle des entreprises d'entraînement. Cet univers alternatif ne produit pas de biens ni de services concrets, mais il offre aux personnes des postes non rémunérés qui leur donnent un cadre, une structure et un sentiment d'intégration. Le fait de participer à ce marché du travail bidon apporte, certes, un certain soulagement à un niveau superficiel, mais quand on sait où regarder, on voit clairement qu'il s'agit de contrôle social.
Conçue après la Seconde Guerre mondiale pour offrir une formation professionnelle, cette simulation commerciale à grande échelle a actuellement pour objectif de résoudre le problème du chômage de longue durée dont souffrent plus de la moitié de ceux qui sont actuellement sans emploi dans l'UE. L'idée de base est d'empêcher les gens rejetés par le marché du travail de se sentir isolés et déprimés, en leur donnant un endroit où ils peuvent au moins faire comme s'ils avaient un emploi normal.
Le fait d'avoir une routine familière et des habitudes est réconfortant. Si vous ne parvenez pas à gratter quelques miettes pour survivre grâce à un contrat de travail temporaire sous-payé dans le monde réel, vous pouvez toujours sauver les apparences en travaillant pour un employeur qui fait semblant de vous payer pendant que votre estomac crie famine. L'article du Times décrit, entre autres, une scène digne de la double pensée d'Orwell, où une femme demande à ses collègues: "Quelle est notre stratégie pour améliorer la rentabilité ?"
On dirait Patricia Routledge s'écriant: C'est Bouquet, chère! B-U-C-K-E-T! 1
Bien que ses promoteurs soutiennent que ce vaste lieu de travail virtuel augmente le professionnalisme et la confiance en soi, le fait est que cette stratégie ne traite que les symptômes. La plupart des gens sans histoire se mettent à poser des questions difficiles quand la catastrophe les frappe et que le monde cesse de faire sens. En gardant les chômeurs occupés à s'entraîner essentiellement à enfiler des perles, on les empêche de réfléchir à des choses plus profondes et de remettre en question les principes de base de la société dans laquelle ils vivent.
Barbara Ehrenreich, l'auteur de Nickel and Dimed 2, qualifie la thérapie des faux emplois d'entraînement au déni :
"La nécessaire première étape, ainsi que le programme en douze étapes l'indique, est de surmonter le déni. La recherche d'emploi n'est pas un emploi ; la reconversion n'est pas la panacée. On peut être plus pauvre qu'on ne l'a jamais été et se sentir aussi plus libre - d'exprimer sa colère et son sentiment d'urgence, de rêver et de créer, de rencontrer d'autres personnes pour travailler avec elles à l'édification d'un monde meilleur".
Des célébrités comme Oprah Winfrey prêchent l'évangile à courte-vue du développement personnel, un récit qui prône le changement individuel, tout en ignorant presque entièrement les problèmes institutionnels plus larges. Les ploutocrates brament sentencieusement que ma richesse est ma vertu dans le sillage de l'effondrement de 2008 et de nouveaux transferts massifs de richesse. Ils ont le culot de stigmatiser les victimes de l'implosion économique qui les a mises au chômage et préconisent une bonne cure d'austérité pour les guérir. Peu importe que les milliardaires trichent en changeant la taille des buts dans les coulisses ou que les gens attentent à leur vie, comme le vieux grec, Dimitris Christoulas, qui a préféré se suicider plutôt que de mourir de faim.
Face à la menace d'un soulèvement politique, la classe dirigeante préfère que les chômeurs restent sagement sur le tapis roulant de l'emploi, le nez dans le guidon, bien dans les clous. Parce que c'est le signe que les travailleurs acquiescent tacitement au système politique, économique et social existant. Autrement, le vulgum pecus pourrait en profiter pour s'organiser et envisager des solutions de rechange. Pour la noblesse fortunée du 0,1%, cela pourrait vraiment être dangereux.

Auteur: Blunden Bill William Alva

Info: 7 juin 2015, Counterpunch

[ pouvoir ] [ domination ] [ maitrise ]

 

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intolérance

Une démission ordinaire

Il est des faits qui, malgré leur caractère anecdotique, nous en apprennent beaucoup sur l’époque dans laquelle nous vivons : la démission récente de Peter Boghossian est de ceux-là. La nouvelle passera probablement inaperçue ; elle est pourtant révélatrice du climat qui règne désormais dans les universités nord-américaines (au Québec y compris, plusieurs pourraient en témoigner).

Peter Boghossian, dont une partie des lecteurs du Devoir ignorent sans doute — à juste titre — le nom, était jusqu’à tout récemment professeur adjoint de philosophie à l’Université d’État de Portland. Il est surtout connu du grand public pour sa participation au canular dit des "Grievance Studies". En 2018, avec ses deux complices Helen Pluckrose et James Lindsay, il est en effet parvenu à faire publier dans diverses revues de sciences humaines des études parfaitement bidon, mais qui adoptaient le ton dénonciateur et les clichés du prétendu progressisme contemporain. Sur les sept qui furent acceptées, l’une s’inquiétait de la "culture du viol" omniprésente dans les parcs à chiens de Portland, une autre préconisait la création d’un "fat bodybuilding" afin que les personnes obèses ne se sentent plus opprimées par la surexposition des corps athlétiques de M. ou Mme Muscle, une troisième était constituée de certains passages de Mein Kampf réécrits en ayant recours au jargon typique des théories déconstructionnistes, etc. Leur but était évidemment de se moquer des "studies" (sur le genre, la race, les gros, etc.) qui se multiplient dans les universités alors même que leur caractère scientifique est parfois douteux, la dénonciation rituelle de l’"oppression" dont sont victimes les minorités y remplaçant trop souvent la rationalité, l’objectivité, voire la simple honnêteté intellectuelle.

Le monde à l’envers

À la suite de ce canular, on aurait pu penser que quelques-uns de ses collègues universitaires feraient amende honorable et reconnaîtraient, au moins à demi-mot, l’existence d’un manque de rigueur dans l’évaluation par les pairs de ces études, et peut-être même d’un problème plus général de remplacement, au sein de certains secteurs des sciences humaines, d’une démarche scientifique rigoureuse, rationnelle, critique, ouverte au débat, par un militantisme obtus, idéologique, réfractaire à toute remise en question et faisant feu de tout bois pour faire avancer la Cause.

Mais c’est tout le contraire qui se passa ; Boghossian devint à partir de là la cible d’un harcèlement généralisé, non seulement de la part de ces étudiants qui se qualifient d’"éveillés" (woke), mais aussi de plusieurs de ses collègues et même de l’administration de son université. Tandis que son nom était associé à des croix gammées dans des graffitis dans les toilettes proches du département de philosophie, qu’il était chahuté durant ses cours ou qu’un sac contenant des excréments était déposé devant la porte de son bureau, le CPP (sorte de comité éthique) de l’université d’État de Portland engagea contre lui des poursuites au motif qu’il avait réalisé des recherches (celles ayant mené à la rédaction de ces fameux articles) portant sur des sujets humains sans obtenir préalablement leur approbation — ce qui fit dire au célèbre biologiste Richard Dawkins que ce CPP manifestait ainsi son opposition "à l’idée même de la satire comme forme d’expression créative" et qu’on ne pouvait s’empêcher de soupçonner chez ses membres la présence de quelque "arrière-pensée".

Comme on le voit, c’est un peu le monde à l’envers désormais à l’université : ce n’est plus le fait de publier à répétition des études tendancieuses ni de manipuler des résultats de recherche pour les rendre conformes à certains présupposés, pas plus que de se cacher derrière une pseudoscientificité pour avancer, dans des travaux amplement subventionnés, des thèses d’une radicalité politique parfois surprenante qui devient problématique, mais celui d’user d’ironie pour se moquer de ces dérives. Ces professeurs, si radicaux quand il s’agit de mettre en question les "rapports de pouvoir", le "patriarcat " ou la "culture blanche et suprémaciste", n’entendent pas à rire avec leurs propres réflexions et leur propre pouvoir et se montrent sur ces sujets aussi chatouilleux que les théologiens et les inquisiteurs d’autrefois sur les points de doctrine. Bizarrement, les théories les plus critiques, qui n’hésitent pas à remettre en question jusqu’au simple bon sens, ne croient pas nécessaire de se soumettre elles-mêmes à la critique.

Quant à Peter Boghossian, qui pratiquait lui-même autant qu’il formait ses étudiants à la pensée critique et à la méthode socratique, il vient de démissionner estimant ne plus être en mesure d’enseigner dans une université qui a cessé d’être un "bastion de la recherche libre" pour devenir "une usine de justice sociale", écrit-il dans sa lettre de démission. " Je n’ai jamais cru, poursuit-il, que le but de l’instruction était de mener les étudiants à certaines conclusions particulières", mais qu’il devait être plutôt "de les aider à acquérir les outils leur permettant de parvenir à leurs propres conclusions". Or, conclut-il, on "n’enseigne plus aux étudiants de l’Université d’État de Portland à penser", on les entraîne à reproduire "les certitudes morales qui sont le propre des idéologues".

Nous sommes nombreux, je pense, à regretter qu’un tel professeur ait été acculé à la démission, et encore plus à déplorer que rien ne semble devoir arrêter cette métamorphose de certains cours ou programmes universitaires en machines à endoctriner.

Auteur: Moreau Patrick

Info: ledevoir.com, 1 octobre 2021

[ terrorisme intellectuel ] [ suppression des contrepouvoirs ] [ cancel culture ] [ censure ] [ tyrannie ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

nord-sud

L’Âge de la colère Parfois, après une longue attente, apparaît un livre qui écorche l’esprit du temps, brillant comme un diamant fou. Age of Anger, de Pankaj Mishra, auteur aussi du livre fondateur From the Ruins of Empire, pourrait bien en être le dernier avatar.

Pensez à ce livre comme à une ultime arme – conceptuelle – mortelle, fichée dans les cœurs et les esprits d’une population dévastée d’adolescents cosmopolites déracinés 1 qui s’efforcent de trouver leur véritable vocation, au fur et à mesure que nous traversons péniblement la plus longue période – le Pentagone dirait infinie – de guerres mondiales ; une guerre civile mondiale – que dans mon livre 2007 Globalistan j’ai appelée " Liquid War " : Guerre nomade.

L’auteur, Mishra, est un pur produit, subtil, de East-meets-West 2. Il soutient, pour l’essentiel, qu’il est impossible de comprendre le présent si nous ne reconnaissons pas la prégnance souterraine de la nostalgie du mal du pays, qui contredit l’idéal du libéralisme cosmopolite, incarné dans une " société commerciale universelle d’individus rationnels, conscients de leurs intérêts personnels ", conceptualisée par les Lumières via Montesquieu, Adam Smith, Voltaire et Kant.

Le vainqueur de l’histoire est finalement le récit aseptisé des Lumières bienveillantes. La tradition du rationalisme, de l’humanisme, de l’universalisme et de la démocratie libérale était censée avoir toujours été la norme. Il était " manifestement trop déconcertant ", écrit Mishra, " de reconnaître que la politique totalitaire cristallisait des courants idéologiques – racisme scientifique, rationalisme chauvin, impérialisme, technicisme, politique esthétisée, utopie, ingénierie sociale " qui bouleversaient déjà l’Europe à la fin du XIXe siècle. Ainsi, évoquant " le regard furtif en arrière, au-dessus de l’épaule, vers la terreur primitive ", de T.S. Eliot –, qui a finalement conduit l’Ouest à se dresser contre Le Reste du Monde –, nous devons regarder les précurseurs. Fracasser le Palais de Cristal

Entre en scène Eugène Onéguine de Pouchkine, " le premier d’une grande lignée d’hommes inutiles dans la fiction russe ", avec son chapeau de Bolivar, tenant une statue de Napoléon et un portrait de Byron, allégorie de la Russie essayant de rattraper l’Occident, " une jeunesse spirituellement déchaînée avec une conception quasi-byronienne de la liberté, encore pleine du romantisme allemand ". Les meilleurs critiques des Lumières devaient être Allemands et Russes, derniers venus à la modernité politico-économique. Deux ans avant de publier ses étonnants Carnets du sous-sol, Dostoïevski, dans sa tournée en Europe occidentale, voyait déjà une société dominée par la guerre de tous contre tous, où la plupart étaient condamnés à être perdants.

À Londres, en 1862, à l’Exposition internationale au Palais de Cristal, Dostoïevski eut une illumination : " Vous prenez conscience d’une idée colossale […] qu’il y a ici la victoire et le triomphe. Vous commencez même vaguement à avoir peur de quelque chose. " Tout stupéfié qu’il était, Dostoïevski, plutôt astucieux, a pu observer comment la civilisation matérialiste était tout autant renforcée par son glamour que par sa domination militaire et maritime.

La littérature russe a finalement cristallisé le crime de hasard comme le paradigme de l’individualité savourant son identité et affirmant sa volonté – thème repris plus tard, au milieu du XXe siècle, par l’icône de la Beat Generation William Burroughs, qui prétendait que tirer au hasard était son frisson ultime.

Le chemin avait été tracé pour que le festin des mendiants commence à bombarder le Palais de Cristal – même si, comme Mishra nous le rappelle : " Les intellectuels du Caire, de Calcutta, de Tokyo et de Shanghai lisaient Jeremy Bentham, Adam Smith, Thomas Paine, Herbert Spencer et John Stuart Mill " pour comprendre le secret de la bourgeoisie capitaliste en perpétuelle expansion.

Et ceci après que Rousseau, en 1749, a posé la pierre angulaire de la révolte moderne contre la modernité, aujourd’hui éparpillée dans un désert où les échos se répondent, le Palais de Cristal est de facto implanté dans des ghettos luisants partout dans le monde.

Le Bwana des Lumières : lui mort, Missié

Mishra crédite l’idée de son livre à Nietzsche, en commentant la querelle épique entre l’envieux plébéien Rousseau et Voltaire, l’élitiste serein – qui a salué la Bourse de Londres, quand elle est devenue pleinement opérationnelle, comme l’incarnation laïque de l’harmonie sociale.

Mais ce fut Nietzsche qui finit par devenir l’acteur central, en tant que féroce détracteur du capitalisme libéral et du socialisme, faisant de la promesse séduisante de Zarathoustra un Saint Graal attractif pour les bolcheviks – Lénine le haïssait –, le gauchiste Lu Xun en Chine , les fascistes, anarchistes, féministes et hordes d’esthètes mécontents.

Mishra nous rappelle également comment " les anti-impérialistes asiatiques et les barons voleurs américains empruntent avec empressement " à Herbert Spencer, " le premier penseur véritablement mondial " qui a inventé le mantra de " la survie du plus apte " après avoir lu Darwin.

Nietzsche était le cartographe ultime du ressentiment. Max Weber a prophétiquement décrit le monde moderne comme une " cage de fer " dont seul un leader charismatique peut permettre l’évasion. De son côté, l’icône anarchiste Mikhaïl Bakounine avait déjà, en 1869, conceptualisé le révolutionnaire coupant " tout lien avec l’ordre social et avec tout le monde civilisé […] Il est son ennemi impitoyable et continue de l’habiter avec un seul but : Détruire ".

S’échappant du " cauchemar de l’histoire " du suprême moderniste James Joyce – en réalité la cage de fer de la modernité – une sécession, viscéralement militante, hors " d’une civilisation fondée sur un progrès éternel sous l’administration des libéraux-démocrates " est en train de faire rage, hors de contrôle, bien au-delà de l’Europe.

Des idéologies, qui pourraient être radicalement opposées, ont néanmoins grandi en symbiose avec le tourbillon culturel de la fin du XIXe siècle, depuis le fondamentalisme islamique, le sionisme et le nationalisme hindou jusqu’au bolchevisme, au nazisme, au fascisme et à l’impérialisme réaménagé.

Dans les années trente, le brillant et tragique Walter Benjamin, avait non seulement prophétisé la Seconde Guerre mondiale mais aussi la fin de la partie, alors qu’il était déjà en train d’alerter sur la propre aliénation de l’humanité, enfin capable " d’expérimenter sa propre destruction comme un plaisir esthétique du premier ordre ". La version pop actuelle en live-streaming, style bricolage, comme ISIS, essaie de se présenter comme la négation ultime des piétés de la modernité néolibérale.

L’ère du ressentiment

Tissant les fils savoureux de la politique et de la littérature par pollinisation croisée, Mishra prend son temps pour poser la scène du Grand Débat entre ces masses mondiales en développement, dont les vies sont forgées par " l’histoire largement reconnue de la violence " de l’Occident atlantiste, et des élites modernes nomades (Bauman) tirant profit du rendement de la partie – sélective – du monde qui a fait les percées cruciales depuis les Lumières dans la science, la philosophie, l’art et la littérature.

Cela va bien au-delà d’un simple débat entre l’Orient et l’Occident. Nous ne pouvons pas comprendre la guerre civile mondiale actuelle, ce " mélange intense d’envie, de sentiment d’humiliation et d’impuissance post-moderniste et post-vérité ", si nous n’essayons pas de " démanteler l’architecture conceptuelle et intellectuelle des gagnants de l’histoire en Occident ", issue du triomphalisme des exploits de l’histoire anglo-américaine. Même au summum de la Guerre froide, le théologien américain Reinhold Niebuhr se moquait des " ternes fanatiques de la civilisation occidentale " dans leur foi aveugle selon laquelle toute société est destinée à évoluer exactement comme une poignée de nations occidentales – parfois – l’ont fait.

Et cela – ironie ! – tandis que le culte internationaliste libéral du progrès imitait le rêve marxiste de la révolution internationaliste.

Dans sa préface de 1950 aux Origines du totalitarisme – un méga best-seller ressuscité –, Hannah Arendt nous a essentiellement dit d’oublier la restauration éventuelle du Vieil ordre mondial. Nous avons été condamnés à voir l’histoire se répéter, " l’itinérance à une échelle sans précédent, l’absence de racines à une profondeur sans précédent ".

Pendant ce temps, comme Carl Schorske l’a noté dans son spectaculaire Fin-de-Siècle à Vienne : Politique et Culture, l’érudition américaine a " coupé le lien de conscience " entre le passé et le présent, carrément aseptisé l’Histoire, des siècles de guerre civile, de ravage impérial, de génocide et d’esclavage en Europe et en Amérique ont ainsi tout simplement disparu. Seul le récit TINA (il n’y a pas d’alternative) a été autorisé, voici comment les atlantistes, avec le privilège de la raison et l’autonomie de la personne, ont fait le monde moderne.

Entre maintenant en scène Jalal Al-e-Ahmad, né en 1928 dans le sud pauvre de Téhéran, et l’auteur de Westoxification (1962), un texte majeur de référence sur l’idéologie islamiste, où il écrit que " l’Érostrate de Sartre tire au revolver, avec les yeux bandés, sur les gens dans la rue ; le protagoniste de Nabokov précipite sa voiture dans la foule ; et l’Étranger, Meursault, tue quelqu’un en réaction à un mauvais coup de soleil ". Vous pouvez parler d’un croisement mortel – l’existentialisme rencontre les bidonvilles de Téhéran pour souligner ce que Hanna Arendt a appelé la " solidarité négative ".

Arrive ensuite Abu Musab al-Suri, né en 1958 – un an après Osama ben Laden – dans une famille de la classe moyenne dévote, à Alep. C’est Al-Suri, et non l’Égyptien Al-Zawahiri, qui a conçu une stratégie de djihad mondial sans leader dans The Global Islamic Resistance Call, basée sur des cellules isolées et des opérations individuelles. Al-Suri était le " choc des civilisations " de Samuel Huntington appliqué à al-Qaïda. Mishra le définit comme le " Michel Bakounine du monde musulman ".

Cette " syphilis des passions révolutionnaires

Répondant à cette ridicule affaire néo-hégélienne de " fin de l’histoire ", après la Guerre froide, Allan Bloom a averti que le fascisme pourrait être l’avenir ; et John Gray a télégraphié le retour des " forces primordiales, nationalistes et religieuses, fondamentalistes et bientôt, peut-être, malthusiennes ".

Et cela nous amène à expliquer pourquoi les porteurs exceptionnels de l’humanisme et du rationalisme des Lumières ne peuvent expliquer l’agitation géopolitique actuelle – de ISIS au Brexit et à Trump. Ils ne peuvent jamais arriver à penser quelque chose de plus sophistiqué que l’opposition binaire de libre et non libre ; les mêmes clichés occidentaux du XIXe siècle sur le non-Occident ; et la diabolisation incessante de cet éternel Autre arriéré : l’islam. De là la nouvelle " longue guerre " (terminologie du Pentagone) contre l’islamofascisme. Ils ne pourraient jamais comprendre, comme le souligne Mishra, les implications de cette rencontre d’esprits dans une prison de Supermax au Colorado entre l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City, l’Américain pur jus Timothy McVeigh et le cerveau de la première attaque contre le World Trade Center, Ramzi Yousef (musulman normal, père pakistanais, mère palestinienne).

Ils ne peuvent pas comprendre comment les concepteurs d’ISIS arrivent à enrégimenter, en ligne, un adolescent insulté et blessé d’une banlieue parisienne ou d’un bidonville africain et le convertir en narcissique – baudelairien ? – dandy fidèle à une cause émergente, pour laquelle il vaut la peine de se battre. Le parallèle entre le bricolage djihadiste et le terrorisme russe du XIXe siècle – incarnant la " syphilis des passions révolutionnaires ", comme l’a décrit Alexander Herzen – est étrange.

Le principal ennemi du djihad de bricolage n’est pas même chrétien; c’est le shi’ite apostat. Les viols massifs, les meurtres chorégraphiés, la destruction de Palmyre, Dostoïevski avait déjà tout identifié. Comme le dit Mishra, " il est impossible pour les Raskolnikov modernes de se dénier quoi que ce soit, mais il leur est possible de justifier tout ".

Il est impossible de résumer tous les feux croisés rhizomatiques – salut à Deleuze et Guattari – déployés à l’Âge de la colère. Ce qui est clair, c’est que pour comprendre la guerre civile mondiale actuelle, la réinterprétation archéologique du récit hégémonique de l’Occident des 250 dernières années est essentielle. Sinon, nous serons condamnés, comme des gnomes de Sisyphe, à supporter non seulement le cauchemar récurrent de l’Histoire, mais aussi son coup de fouet perpétuel.

Auteur: Escobar Pepe

Info: Février 2017, CounterPunch. Beaucoup d'idées sont tirées de son ouvrage : Globalistan, How the Globalized World is Dissolving into Liquid War, Nimble Books, 2007

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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