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guide spirituel

Jung ne se lasse jamais de souligner qu’un fait psychique est un fait ; mais il ne lui convient pas d’ajouter qu’une idée vraie est différente d’une idée fausse, quoique toutes deux existent en qualité de fait psychique. Si nous nous en étions tenu au consensus gentium comme preuve de la réalité objective, nous croirions encore que la terre est plate. Jung lui-même admet que la nature archétypique de la "soif de Dieu" n’est pas une garantie de sa réalité de fait. Mais ceci le laisse indifférent : elle est archétypique. Notre bonheur, en cette matière, doit être assuré en suçant notre pouce. Inlassablement, on nous a clairement démontré que l’idée archétypique de Dieu n’a rien à voir avec l’existence indiscutable de Dieu. De toute façon l’existence indiscutable ou la non-existence de Dieu, n’est pas selon Jung l’affaire du psychologue. Ayant éliminé Dieu, et par là même, semblerait-il, le surnaturel en général, de ce dont le psychologue doit se préoccuper, il poursuit en investissant les idées et les images humaines d’une atmosphère courtoisement décrite comme mystique, mais qu’un observateur moins courtois qualifierait de religiosité. Jung ne peut pas ou ne veut pas voir que l’idée de Dieu, quel que soit son caractère primitif ou archétypique, est en elle-même aussi peu surnaturelle que l’idée de lèchefrite. Parler de Dieu intérieur ne veut rien dire si l’idée de Dieu extérieur n’est pas objectivement vraie. […] Si le psychologue n’a pas à établir la réalité objective de l’existence de Dieu, il n’a pas non plus à bâtir une pseudo-religion en se servant des aspirations religieuses primitives et d’une multitude de mythes. Ceux qui cherchent à découvrir la "signification de la vie" en seront mal récompensés si on les invite à se remplir la panse avec le vent de l’Est, et à en être satisfaits. On pourrait tout aussi raisonnablement leur demander d’adorer le sal volatile

Auteur: Glover Edward

Info: Dans "Freud ou Jung ?", trad. Lucy Jones, P.U.F., Paris, 1954, pages 129-130

[ prémisses fausses ] [ critique ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

dépliages

Je me suis laissé aller à produire quelques considérations sur J.S. Bach, tôt imprégné que je fus par ses soieries auditives (à 5 ans : maman, remets le disque stp), impressionné plus tard (mieux informé) par la force de travail, l'équilibre foncier et la puissance computationnelle du maître des variations symétriques. C'est beaucoup plus tard que mon inculture naturelle - aaah, bonheur de découvrir des choses ! - m'a amené à prendre connaissance des développements de Deleuze sur Leibniz et le baroque. Ces fameux textes de Deleuze sur le pli sont des périples mentaux que je qualifierai de "chimiques", tant ça vous embarque et dévoile des choses qui agissent comme un subtil médicament qui vous tripatouille les méninges. Écrits où les développements s’enchaînent sans discontinuer, présentant surprise après surprise, à l'image des plis qu'il défend, présente... Démontre... Déplie et replie... Le fond rejoint la forme.

C'est costaud.

Deleuze montre que le pli a toujours existé dans les arts, le propre du Baroque étant de le porter. Telle est la philosophie de Leibniz dont il s'inspire, où tout se plie, se déplie, se replie. Comme dans sa thèse la plus célèbre, celle de l’âme “monade”, sans porte ni fenêtre, qui tire d’un fond sombre toutes ses perceptions claires, et qui ne peut se confondre que par analogie avec l’intérieur d’une chapelle baroque de marbre noir où la lumière n’arrive que par des ouvertures imperceptibles vers l’observateur du dedans.

Aussi l’âme est-elle emplie de plis obscurs. Chacun sait que Bach, de la génération suivant Leibniz, est considéré comme le pinacle de la musique baroque. Mais je n'ai pas connaissance d'un travail quelconque (si ça se trouve il y en a des charrettes) sur les analogies de son oeuvre avec la philo de Leibniz*. Je n'ai pas non plus la présomption de m'y lancer. Pas vraiment les compétences. Et les journées sont courtes.

Auteur: Mg

Info: 3 juin 2020 *Les 4 inversions de base du contrepoint dont JSB fut le maître absolu pourraient peut-être servir de base de départ, en éventuelle corrélation avec la tétravalence - alcènes et alcynes - de l'atome du carbone, qui est à la source de la vie telle que nous la connaissons

[ post-renaissance ] [ convergence ] [ mathématiques ] [ éloge ] [ repliements ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

instant de la mort

Le nazi mit en rang ses hommes pour atteindre, selon les règles, la cible humaine. Le jeune homme dit: "Faites au moins rentrer ma famille". Soit: la tante (94 ans), sa mère plus jeune, sa sœur et sa belle-sœur, un long et lent cortège, silencieux, comme si tout était déjà accompli.

Je sais - le sais-je - que celui que visaient déjà les Allemands, l'attendant plus que l'ordre final, éprouva alors un sentiment de légèreté extraordinaire, une sorte de béatitude (rien d'heureux cependant), - allégresse souveraine ? La rencontre de la mort et de la mort ?

A sa place, je ne chercherai pas à analyser ce sentiment de légèreté. Il était peut-être tout à coup invincible. Mort - immortel. Peut-être l'extase. Plutôt le sentiment de compassion pour l'humanité souffrante, le bonheur de n'être pas immortel ni éternel. Désormais, il fut lié à la mort, par une amitié subreptice.

À cet instant, brusque retour au monde, éclata le bruit considérable d'une proche bataille. Les camarades du maquis voulaient porter secours à celui qu'ils savaient en danger. Le lieutenant s'éloigna pour se rendre compte. Les Allemands restaient en ordre, prêts à demeurer ainsi dans une immobilité qui arrêtait le temps.

Mais voici que l'un d'eux s'approcha et dit d'une voix ferme : "Nous, pas allemands, russes", et, dans une sorte de rire : "armée Vlassov", et il lui fit signe de disparaître.

Je crois qu'il s'éloigna, toujours dans le sentiment de légèreté, au point qu'il se retrouva dans un bois éloigné, nommé "Bois des bruyères", où il demeura abrité par les arbres qu'il connaissait bien. C' est dans le bois épais que tout à coup, et après combien de temps, il retrouva le sens du réel. Partout, des incendies, une suite de feu continu, toutes les fermes brûlaient. Un peu plus tard, il apprit que trois jeunes gens, fils de fermiers, bien étrangers à tout combat, et qui n'avaient pour tort que leur jeunesse, avaient été abattus.

Auteur: Blanchot Maurice

Info: L'instant de ma mort

[ sauvé par le gong ] [ miraculé ] [ in extremis ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

castration symbolique

Les parlottes postmodernes prônent la possible réunion du sujet et de son objet. Elles promettent la réalisation du bonheur complet, si ce n’est aujourd’hui au moins demain, non plus dans un hypothétique au-delà mais dans la réalité de vie terrestre. En cela, elles organisent un monde sans limite, un monde structuré sur le principe de complétude et d’inclusion. Le sujet, qui lui reste soumis à l’incomplétude langagière, à l’impossible à dire toute la vérité, chercher à situer cette limite incontournable que lui impose son existence de parlêtre. Comme le lien social ne lui propose plus un ordre qui incarne, situe, organise cette limite, il tente de la trouver dans le dernier support marqué de finitude qu’il a à sa disposition : son corps. Le corps du sujet devient ainsi le lieu central de l’expression de la souffrance psychique normale du sujet, de son attente de réalisation. La recrudescence des anorexies de plus en plus résistantes au travail thérapeutique, cette forme ultime du jeu avec la limite vitale du corps, n’est que le signe de cette place du corps propre comme ultime lieu où incarner la limite. [...]

Le corps ainsi devient central dans le lien social, comme lieu, encore assuré, de l’existence pour un sujet désarrimé des signifiants, et qui doit prouver au jour le jour son existence même dans ses actes. Lorsque ce combat s’avère trop lourd, alors, surgissent les affres de la mélancolisation du sujet, et parfois la quête de la limite ultime, celle de la mort réelle.

Le travail du psychanalyste dans les cures s’en trouve modifié. Si la parole du sujet dans tous ses ratages, ses répétitions, ses manques, reste au cœur du dispositif de la cure, il est souvent nécessaire [...] que le psychanalyste prenne le temps de voir ce que le corps du sujet montre, non pour en jouir, comme le téléspectateur postmoderne, mais pour qu’un dire puisse surgir de ce corps monstratoire, de ce dire en acte.

Auteur: Lesourd Serge

Info: Dans "Comment taire le sujet ?", éditions Érès, 2010, pages 232-233

[ transformations postmodernes ] [ signifiance médiée ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

écrivain-sur-écrivain

Pour ce qui est de Vaudoré*, c’est le plus heureux des hommes. Tout ce que la médiocrité de l’esprit, la parfaite absence du cœur et l’absolu scepticisme peuvent donner de félicité à un homme, lui fut octroyé.

On l’appelle, volontiers, l’un des maîtres du roman contemporain, par opposition à Ohnet, toujours envisagé comme point extrême des plus dégradantes comparaisons. Toutefois, il serait assez difficile de préciser la différence de leurs niveaux. Leur public est autre, sans doute. Mais ils disent les mêmes choses, dans la même langue, et sont équitablement payés d’un succès égal.

Seulement, Vaudoré l’emporte infiniment par les supériorités inaccessibles de son impudeur. Ce médiocre devina, du premier coup, son destin. Sans tâtonner une minute, il choisit la bâtardise et l’étalonnat. Telles sont les deux clefs par lesquelles il est entré dans son paradis actuel.  […]

Les confrères, quoique pénétrés de respect pour l’énormité du succès, le nomment entre eux, volontiers, le tringlot de la littérature. Telle est, en vérité, la physionomie précise du personnage et tel son degré de distinction. C’est un sous-officier du train et même un sous-off. Petit, trapu, teint rouge et poil châtain, il porte la moustache et la mouche et a des diamants à sa chemise. C’est le traditionnel bellâtre de garnison qui affole les caboulotières et qui ne parvient pas à se remettre de son effronté bonheur. Un désir infini d’être cru parisien jusqu’au bout des ongles est la soif cachée de cet indécrottable provincial.

Étonnamment dénué d’esprit et de toute compréhension de l’esprit des autres, il est impossible de rencontrer un être plus incapable d’exprimer un semblant d’idée, ou d’articuler un seul traître mot sur quoi que ce soit, en dehors de son éternelle préoccupation bordelière. La parfaite stupidité de ce jouisseur est surtout manifestée par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse, à demi noyés sous la paupière supérieure et qui vous regardent avec cette impertinence idiote que ne paierait pas un million de claques.

Auteur: Bloy Léon

Info: *Pseudonyme pour Guy de Maupassant, dans "Le Désespéré", Livre de poche, 1962, pages 324-326

[ vacheries ] [ nullité littéraire ] [ portrait physique-moral ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

dernières paroles

Ma petite Paula bien-aimée, fidèle jusqu'au dernier souffle à mon idéal, cet après-midi à 15 heures, je tomberai fusillé. Je te laisse seule avec notre petit garçon chéri. Je ne pense qu'à vous deux. Je vous aime tellement, je t'aime tellement, ma petite chérie. Je te demande pardon de tout le mal que j'ai pu te faire. Tu m'as donné tellement de bonheur.
Maintenant j'y repense ; je revis ces instants de bonheur passés près de toi et près de notre petit garçon chéri.
Sois courageuse, ma petite bien-aimée. Défends notre petit Microbe chéri. Élève-le en homme bon et courageux. Parle-lui souvent de moi, de son "papa-car" qui l'aime tellement, qui vous aime tellement.
Mes derniers instants, je veux les consacrer à vous.
Je te revois, avec notre petit trésor dans les bras, m'attendre à la descente du car. J'entends son rire, je revois tes yeux de maman l'envelopper de tant de tendresse.
Je l'entends m'appeler "papa", "papa" !
Soyez heureux tous les deux et n'oubliez pas votre "papa-car".
Je saurai mourir courageusement et, face au peloton d'exécution, je penserai à vous, à votre bonheur et à votre avenir. Pensez de temps en temps un peu à moi. Du courage, ma Paula bien-aimée.
Il faut élever notre petit garçon chéri. Il faut faire de lui un homme bon et courageux. Son papa lui laisse un nom sans tache. Aux moments de découragement, pense à moi, à mon amour pour vous deux, à mon amour immense qui ne vous quitte pas, qui va vous accompagner partout et toujours.
Ma bien-aimée, ne te laisse pas abattre, tu seras à partir de 15 heures le papa et la maman de notre petit chéri. Sois courageuse et encore une fois pardonne-moi le mal que je t'ai fait.
Te dis, ma Paula bien-aimée, tout mon amour pour toi et notre petit Microbe chéri.
Vous serre tous les deux dans mes bras.
Vous embrasse de tout mon coeur.
Vive la France, Vive la liberté !
Mes amitiés à tous nos amis.

Auteur: Epstein Joseph

Info: 11 avril, à sa femme

[ exécution ]

 

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enfance

- Oh M'sieur Louis on y va à la plage ou pas?! ... Il suffisait que mon père réponde affirmativement et tout démarrait. Dans le camion, plein de parents, d'enfants, d'amis, c'est la fête. Le Citroën P45, que conduit mon père, sort du village et va vers la mer... Les pieds nus dans la fine farine jaune de la plage, je me sentais si libre. Dans cette première soirée les hommes se racontaient les blagues des oursins piquants, et les femmes celles des dorades douces. Assis, j'enfonçais mes fesses, mouillées par la baignade, dans le sable et le mica qui se collaient de mille grains à ma peau. Ainsi je mangeais ma première sardine en boîte écrasée sur du pain, en me séchant dans les ultimes rayons du jour. Une serviette sur le dos, je regardais la mer en frissonnant de tendresse, reniflant des images bleues foncées. Après avoir couru longtemps, ma soeur et moi, nous finissions avec les adultes, et les femmes capturaient notre fatigue. Elles nous lavaient avec un peu d'eau potable, nous asseyaient autour de la nappe garnie de plats, de saladiers, de pain, de gargoulettes, de bouteilles de vin, d'anisette. Quand les parents nous couchaient sur la plage, dans des sacs militaires, je commençais à regarder la mer les yeux plissés. Le vent du soir soufflait sur nos visages quelques grains de nos matelas de sable, la paix semblait me regarder à son tour dans un large espace doux et salé. Les voix qui descendaient avec la nuit, allégeaient mes angoisses, me faisaient oublier mes petites cicatrices. Parfois, la brise m'amenait un mot puis m'enlevait le reste de la phrase dont le cerf-volant tombait dans la mer. Je finissais par m'endormir dans les va-et-vient de la Méditerranée, dans les bruits des vagues se jetant sur les cris des mouettes ou des voix d'hommes pêchant à la palangrotte. Par le rire léger des femmes, un bonheur discret tombait sur l'enfance. Silencieusement l'amour se blottissait contre nous tous dans une étendue noire répandue d'étoiles.

Auteur: Arti Louis Louis Gaudioso

Info: El Halia

[ . ]

 

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panthéisme

Ils portent des noms gutturaux. Ils s'appellent Tséfayok, Lafko, Yatsé, Yuras, Tchakval, Ksafak, pour les hommes... Waka, Chayatakara, Tellapakatcha, Samakanika, Kamankar, Yerfa, pour les femmes. Ils sont petits, un mètre cinquante en moyenne, avec un gros torse et des pieds de canard gluant de crasse. Ils sont nus, mais sans pilosité, les femmes comme les hommes, avec, en revanche, une tignasse noire pleine de poux, et le corps enduit de graisse de phoque. Ils empestent terriblement. Ils ne rient pas, ou très rarement. L'ethnologue José Emperaire, qui a recueilli in extremis l'essentiel du vocabulaire de cette langue moribonde, souligne que s'ils avaient trente façons de nommer des vents différents, ils n'en avaient en revanche aucune pour exprimer la beauté, la gaieté, le bonheur. Quant à la bonté, n'en parlons pas. Leurs dieux sont terrifiants. Ce sont des dieux qui n'existent que pour les écraser !
Le premier, le plus puissant, c'est Ayayéma. C'est lui qui déclenche les tempêtes, les naufrages, les accidents, les incendies. Le deuxième, tout aussi effrayant. s'appelle Kwatcho. Il règne sur la nuit et les rivages. S'il surprend un Alakuf la nuit hors du tchelo, il lui crève les yeux et l'étrangle. On ne le voit jamais. Il n'attaque que par-derrière. Enfin, Mwono, le troisième larron, fait énormément de bruit. C'est lui qui précipite les valanches, les blocs de glacier, les pans de montagne, les coulées de boue, les rochers, et ces funestes tourbillon de vent, les williwaw, qui tombent sur les malheureux Alakalufs. Imaginons une nuit de campement d'hiver, qui n'en finit pas, dans un chenal, sur une grève, des milliers et des milliers de nuits tout aussi intensément obscures de la tempête, qui n'a d'autre abri que sa hutte de peau, avec, par-dessus le marché, ces trois divinités infernales qui le guettent pour l'achever. Chose étrange : mis en présence du Christ rédempteur et de l'Évangile prêché par les missionnaires, c'est-à-dire une religion de compassion et de recours, les Alakalufs la refuseront, la fuiront, contrairement aux Yaghans et aux Onas, qui, d'ailleurs, en mourront tout autant...

Auteur: Raspail Jean

Info: Adios, Tierra del Fuego

[ naturalisme ]

 

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grand-maman

Il s'agenouille face à elle, pour qu'elle le voie. Mais elle somnole. Alors il la regarde. La peau fine comme du papier à cigarette. Les bleus. Les petites croûtes sur le crâne aux cheveux épars, le cou cassé, le buste attaché au fauteuil par un drap, la bave qui s'échappe lentement de sa bouche ouverte. Grand-mère, c'est moi, il le dit tout bas d'abord, en caressant doucement son bras maigre et qui n'est plus que rides. C'est moi, Joseph. Elle ouvre les yeux et le regarde sans comprendre, elle ne le reconnaît pas, et il répète, Bonjour grand-mère, ça va grand-mère ? pour qu'elle sache qui elle est, qui elle est pour lui, et il lui dit, Ça fait longtemps, hein, ça fait longtemps qu'on s'est pas vus ? Elle sourit en hochant la tête, et d'une voix lointaine, une voix à peine elle dit, Oh oui, comme ça, sans étonnement ni chagrin, et sa main se pose sur la sienne, alors Joseph y pose l'autre main, et elle son autre main, et ainsi leurs quatre mains sont superposées, bien ensemble, et elle dit de sa voix minuscule, On est faits pour être ensemble. Alors il lui demande doucement, Tu sais qui je suis ?. Elle sourit sans répondre, mais son sourire se crispe un peu, il la tourmente avec sa question, mais il ne peut s'empêcher de la lui poser encore, Tu sais qui je suis ?. Elle le regarde droit dans les yeux et chante de son filet de voix, J'ai descendu dans mon jardin j'ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin, et elle sourit de bonheur, et puis elle est fatiguée soudain, elle ferme de nouveau les yeux, et sa tête retombe sur sa poitrine. Joseph pose son visage sur ses genoux, comme quand il était tout gosse, il sent son odeur de vieille femme mal lavée, mal nourrie, si seule. Il pense, Je suis Joseph Vasseur, le fils de Paul. Ce n'est pas grave si tu ne sais pas qui je suis, moi je sais qui tu es. Je sais qui tu es.

Auteur: Olmi Véronique

Info: Le Gosse, pp. 206-207

[ repère ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

déclaration d'amour

Non, je ne vous apprendrai pas à moins aimer, moi à qui vous devez de connaître ce qu'on appelle aimer ; votre amour, les marques que j'en reçois, la manière dont vous l'exprimez, tout ce que vous m'écrivez fait mon bonheur et enflamme mon amour. J'en avais bien besoin de bonheur, je suis plongée dans la tristesse, je tremble de rester ici... Cette poste de Plombières, à qui nous avons dit tant d'injures, arrive et m'apporte une lettre de vous, en voilà trois aujourd'hui ; voilà la quatrième que je vous écris, je vous en écrirai une cinquième par la poste. Vos lettres sont délicieuses, vous m'y dites quelquefois des injures et de celles qui m'affligent le plus, vous y doutez de mon amour, mais vous m'assurez du vôtre, la douceur d'être aimée adoucit même vos injustices ; vous finissez la lettre de votre courrier par me prier de vous apprendre à moins aimer. Vous le désirez donc, mais assurément, vous ne pouvez plus mal vous adresser. Désirez-vous que je vous aime avec toute la fureur, toute la folie, tout l'emportement dont je suis capable, montrez-moi toujours autant d'amour qu'il y en a dans quelques endroits de vos lettres. Vous ne pouvez vous imaginer combien elles m'enflamment et quel amour les marques de votre passion excitent dans mon coeur. Tous mes sentiments sont durables, tout fait des traces profondes dans mon âme... Croyez que vous avez toujours lu dans mon coeur, je veux toujours que vous y lisiez, que ne pouvez-vous voir à présent ce qui s'y passe, combien je vous adore, avec quelle impatience et quelle ardeur je désire de me rejoindre à vous ? Quand vous m'aimez, vous remplissez tous les sentiments de mon coeur, vous réalisez toutes mes chimères, je ne crois pas qu'il fût possible de trouver un coeur aussi tendre, aussi appliqué, aussi passionné que le vôtre ; mais il a souvent des disparates ; s'il n'en avait pas, je crois que je partirais ce soir à pied pour aller trouver, peut-être m'aimerez-vous également quelque jour et alors je ne désirerai plus rien...

Auteur: Châtelet Gabrielle Marquise

Info: à Jean-François de Saint-Lambert. Le 1er septembre 1748

[ correspondance ]

 

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