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multi-milliardaires

DE LA SURVIE DES PLUS RICHES
Quand des patrons de fonds d'investissement new-yorkais font appel à un spécialiste de la société de l'information, afin d'améliorer leurs chances de survie après l'Évènement qui détruira le monde tel que nous le connaissons.

AVERTISSEMENT, CECI N'EST PAS UNE FICTION
L’année dernière, j’ai été invité à donner une conférence dans un complexe hôtelier d’hyper-luxe face à ce que je pensais être un groupe d’une centaine de banquiers spécialisés dans l’investissement. On ne m’avait jamais proposé une somme aussi importante pour une intervention - presque la moitié de mon salaire annuel de professeur - et délivrer mes visions sur "l’avenir de la technologie".

Je n’ai jamais aimé parler du futur. Ce genre de séance d’échange se termine fatalement par un interrogatoire, à l’occasion duquel on me demande de me prononcer sur les dernières "tendances" technologiques, comme s’il s’agissait d’indicateurs boursiers pour les investisseurs : blockchain, impression 3D, CRISPR. L’audience s’y préoccupe généralement moins des technologies en elles-mêmes et de leurs implications, que de savoir si elles méritent ou non que l’on parie sur elles, en mode binaire. Mais l’argent ayant le dernier mot, j’ai accepté le boulot.

À mon arrivée, on m’a accompagné dans ce que j’ai cru n’être qu’une vulgaire salle technique. Mais alors que je m’attendais à ce que l’on me branche un microphone ou à ce que l’on m’amène sur scène, on m’a simplement invité à m’asseoir à une grande table de réunion, pendant que mon public faisait son entrée : cinq gars ultra-riches - oui, uniquement des hommes - tous issus des plus hautes sphères de la finance internationale. Dès nos premiers échanges, j’ai réalisé qu’ils n’étaient pas là pour le topo que je leur avais préparé sur le futur de la technologie. Ils étaient venus avec leurs propres questions.

Ça a d’abord commencé de manière anodine. Ethereum ou Bitcoin ? L’informatique quantique est-elle une réalité ? Lentement mais sûrement, ils m’ont amené vers le véritable sujet de leurs préoccupations.

Quelle sera la région du monde la plus épargnée par la prochaine crise climatique : la nouvelle Zélande ou l’Alaska ? Est-ce que Google construit réellement un nouveau foyer pour le cerveau de Ray Kurzweil ? Est-ce que sa conscience survivra à cette transition ou bien mourra-t-elle pour renaître ensuite ? Enfin, le PDG d’une société de courtage s’est inquiété, après avoir mentionné le bunker sous-terrain dont il achevait la construction : "Comment puis-je conserver le contrôle de mes forces de sécurité, après l’Événement ?"

L’Évènement. Un euphémisme qu’ils employaient pour évoquer l’effondrement environnemental, les troubles sociaux, l’explosion nucléaire, le nouveau virus impossible à endiguer ou encore l’attaque informatique d’un Mr Robot qui ferait à lui seul planter tout le système.

Cette question allait nous occuper durant toute l’heure restante. Ils avaient conscience que des gardes armés seraient nécessaires pour protéger leurs murs des foules en colère. Mais comment payer ces gardes, le jour où l’argent n’aurait plus de valeur ? Et comment les empêcher de se choisir un nouveau leader ? Ces milliardaires envisageaient d’enfermer leurs stocks de nourriture derrière des portes blindées aux serrures cryptées, dont eux seuls détiendraient les codes. D’équiper chaque garde d’un collier disciplinaire, comme garantie de leur survie. Ou encore, si la technologie le permettait à temps, de construire des robots qui serviraient à la fois de gardes et de force de travail.

C’est là que ça m’a frappé. Pour ces messieurs, notre discussion portait bien sur le futur de la technologie. Inspirés par le projet de colonisation de la planète Mars d’Elon Musk, les tentatives d’inversion du processus du vieillissement de Peter Thiel, ou encore les expériences de Sam Altman et Ray de Kurzweil qui ambitionnent de télécharger leurs esprits dans de super-ordinateurs, ils se préparaient à un avenir numérique qui avait moins à voir avec l’idée de construire un monde meilleur que de transcender la condition humaine et de se préserver de dangers aussi réels qu’immédiats, comme le changement climatique, la montée des océans, les migrations de masse, les pandémies planétaires, les paniques identitaires et l’épuisement des ressources. Pour eux, le futur de la technologie se résumait à une seule finalité : fuir.

Il n’y a rien de mal aux visions les plus follement optimistes sur la manière dont la technologie pourrait bénéficier à l’ensemble de la société humaine. Mais l’actuel engouement pour les utopies post-humaines est d’un tout autre ordre. Il s’agit moins d’une vision de la migration de l’ensemble de notre espèce vers une nouvelle condition humaine, que d’une quête pour transcender tout ce qui nous constitue : nos corps, notre interdépendance, la compassion, la vulnérabilité et la complexité. Comme l’indiquent maintenant depuis plusieurs années les philosophes de la technologie, le prisme transhumaniste réduit trop facilement la réalité à un conglomérat de données, en concluant que "les humains ne sont rien d’autre que des centres de traitement de l’information".

L’évolution humaine s’apparente alors à une sorte de jeu vidéo labyrinthique, dont les heureux gagnants balisent le chemin de la sortie pour leurs partenaires les plus privilégiés. S’agit-il de Musk, Bezos, Thiel… Zuckerberg ? Ces quelques milliardaires sont les gagnants présupposés d’une économie numérique régie par une loi de la jungle qui sévit dans le monde des affaires et de la spéculation dont ils sont eux-mêmes issus.

Bien sûr, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Il y a eu une période courte, au début des années 1990, où l’avenir numérique apparaissait fertile, enthousiasmant, ouvert à la création. La technologie y devenait le terrain de jeu de la contre-culture, qui vit là l’opportunité de créer un futur plus inclusif, mieux réparti et pro-humain. Mais les intérêts commerciaux n’y ont vu pour leur part que de nouveaux potentiels pour leurs vieux réflexes. Et trop de technologues se sont laissés séduire par des IPO (introduction en bourse) chimériques. Les futurs numériques s’en retrouvèrent envisagés sous le même prisme que le cours de la bourse ou du coton, dans ce même jeu dangereux de paris et de prédictions. Ainsi, la moindre étude documentaire, le moindre article ou livre blanc publié sur ce thème n’étaient plus interprété que comme un nouvel indice boursier. Le futur s’est transformé en une sorte de scénario prédestiné, sur lequel on parie à grands renforts de capital-risque, mais qu’on laisse se produire de manière passive, plus que comme quelque chose que l’on crée au travers de nos choix présents et de nos espoirs pour l’espèce humaine.

Ce qui a libéré chacun d’entre nous des implications morales de son activité. Le développement technologique est devenu moins une affaire d’épanouissement collectif que de survie individuelle. Pire, comme j’ai pu l’apprendre à mes dépens, le simple fait de pointer cette dérive suffisait à vous désigner d’emblée comme un ennemi rétrograde du marché, un ringard technophobe.

Et plutôt que de questionner la dimension éthique de pratiques qui exploitent et appauvrissent les masses au profit d’une minorité, la majorité des universitaires, des journalistes et des écrivains de science fiction ont préféré se focaliser sur des implications plus abstraites et périphériques : "Est-il juste qu’un trader utilise des drogues nootropiques ? Doit-on greffer des implants aux enfants pour leur permettre de parler des langues étrangères? Les véhicules intelligents doivent-ils privilégier la sécurité des piétons ou celle de leurs usagers? Est-ce que les premières colonies martiennes se doivent d’adopter un modèle démocratique? Modifier son ADN, est-ce modifier son identité ? Est-ce que les robots doivent avoir des droits ?".

Sans nier le côté divertissant de ces questions sur un plan philosophique, force est d’admettre qu’elles ne pèsent pas lourd face aux vrais enjeux moraux posés par le développement technologique débridé, au nom du capitalisme pratiqué par les multinationales. Les plateformes numériques ont modifié un marché déjà fondé sur l’exploitation (Walmart) pour donner naissance à un successeur encore plus déshumanisant (Amazon). La plupart d’entre-nous sommes conscients de ces dérives, rendues visibles par la recrudescence des emplois automatisés, par l’explosion de l’économie à la tâche et la disparition du commerce local de détails.

Mais c’est encore vis-à-vis de l’environnement et des populations les plus pauvres que ce capitalisme numérique désinhibé produit ses effets les plus dévastateurs. La fabrication de certains de nos ordinateurs et de nos smartphones reste assujettie au travail forcé et à l’esclavage. Une dépendance si consubstantielle que Fairphone, l’entreprise qui ambitionnait de fabriquer et de commercialiser des téléphones éthiques, s’est vue obligée de reconnaître que c’était en réalité impossible. Son fondateur se réfère aujourd’hui tristement à ses produits comme étant "plus" éthiques.

Pendant ce temps, l’extraction de métaux et de terres rares, conjuguée au stockage de nos déchets technologiques, ravage des habitats humains transformés en véritables décharges toxiques, dans lesquels es enfants et des familles de paysans viennent glaner de maigres restes utilisables, dans l’espoir de les revendre plus tard aux fabricants.

Nous aurons beau nous réfugier dans une réalité alternative, en cachant nos regards derrière des lunettes de réalité virtuelle, cette sous-traitance de la misère et de la toxicité n’en disparaîtra pas pour autant. De fait, plus nous en ignorerons les répercussions sociales, économiques et environnementales, plus elles s’aggraveront. En motivant toujours plus de déresponsabilisation, d’isolement et de fantasmes apocalyptiques, dont on cherchera à se prémunir avec toujours plus de technologies et de business plans. Le cycle se nourrit de lui-même.

Plus nous adhérerons à cette vision du monde, plus les humains apparaitront comme la source du problème et la technologie comme la solution. L’essence même de ce qui caractérise l’humain est moins traité comme une fonctionnalité que comme une perturbation. Quels que furent les biais idéologiques qui ont mené à leur émergence, les technologies bénéficient d’une aura de neutralité. Et si elles induisent parfois des dérives comportementales, celles-ci ne seraient que le reflet de nos natures corrompues. Comme si nos difficultés ne résultaient que de notre sauvagerie constitutive. À l’instar de l’inefficacité d’un système de taxis locaux pouvant être "résolue" par une application qui ruine les chauffeurs humains, les inconsistances contrariantes de notre psyché pouvait être corrigée par une mise à jour digitale ou génétique.

Selon l’orthodoxie techno-solutionniste, le point culminant de l’évolution humaine consisterait enfin à transférer notre conscience dans un ordinateur, ou encore mieux, à accepter la technologie comme notre successeur dans l’évolution des espèces. Comme les adeptes d’un culte gnostique, nous souhaitons atteindre la prochaine phase transcendante de notre évolution, en nous délestant de nos corps et en les abandonnant, avec nos péchés et nos problèmes.

Nos films et nos productions télévisuelles continuent d’alimenter ces fantasmes. Les séries sur les zombies dépeignent ainsi une post-apocalypse où les gens ne valent pas mieux que les morts vivants - et semblent en être conscients. Pire, ces projections fictives invitent les spectateurs à envisager l’avenir comme une bataille à somme nulle entre les survivants, où la survie d’un groupe dépend mécaniquement de la disparition d’un autre. Jusqu’à la série Westworld, basée sur un roman de science-fiction dans lequel les robots deviennent fous et qui clôt sa seconde saison sur une ultime révélation : les êtres humains sont plus simples et plus prévisibles que les intelligences artificielles qu’ils ont créées. Les robots y apprennent que nous nous réduisons, tous autant que nous sommes, à quelques lignes de code et que notre libre arbitre n’est qu’une illusion. Zut ! Dans cette série, les robots eux-mêmes veulent échapper aux limites de leurs corps et passer le reste de leurs vies dans une simulation informatique.

Seul un profond dégoût pour l’humanité autorise une telle gymnastique mentale, en inversant ainsi les rôles de l’homme et de la machine. Modifions-les ou fuyons-les, pour toujours.

Ainsi, nous nous retrouvons face à des techno-milliardaires qui expédient leurs voiture électriques dans l’espace, comme si ça symbolisait autre chose que la capacité d’un milliardaire à assurer la promotion de sa propre compagnie. Et quand bien même quelques élus parviendraient à rallier la planète Mars pour y subsister dans une sorte de bulle artificielle - malgré notre incapacité à maintenir des telles bulles sur Terre, malgré les milliards de dollars engloutis dans les projets Biosphère - le résultat s’apparenterait plus à une espèce de chaloupe luxueuse réservée une élite qu’à la perpétuation de la diaspora humaine.

Quand ces responsables de fonds d’investissement m’ont interrogé sur la meilleure manière de maintenir leur autorité sur leurs forces de sécurité "après l’Évènement", je leur ai suggéré de traiter leurs employés du mieux possible, dès maintenant. De se comporter avec eux comme s’il s’agissait des membres de leur propre famille. Et que plus ils insuffleraient cette éthique inclusive à leur pratiques commerciales, à la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement, au développement durable et à la répartition des richesses, moins il y aurait de chances que "l’Événement" se produise. Qu’ils auraient tout intérêt à employer cette magie technologique au service d’enjeux, certes moins romantiques, mais plus collectifs, dès aujourd’hui.

Mon optimisme les a fait sourire, mais pas au point de les convaincre. Éviter la catastrophe ne les intéressait finalement pas, persuadés qu’ils sont que nous sommes déjà trop engagés dans cette direction. Malgré le pouvoir que leur confèrent leurs immenses fortunes, ils ne veulent pas croire en leur propre capacité d’infléchir sur le cours des événements. Ils achètent les scénarios les plus sombres et misent sur leur argent et la technologie pour s’en prémunir - surtout s’ils peuvent disposer d’un siège dans la prochaine fusée pour Mars.

Heureusement, ceux d’entre nous qui n’ont pas de quoi financer le reniement de leur propre humanité disposent de meilleures options. Rien nous force à utiliser la technologie de manière aussi antisociale et destructive. Nous pouvons nous transformer en individus consommateurs, aux profils formatés par notre arsenal de plateformes et d’appareils connectés, ou nous pouvons nous souvenir qu’un être humain véritablement évolué ne fonctionne pas seul.

Être humain ne se définit pas dans notre capacité à fuir ou à survivre individuellement. C’est un sport d’équipe. Quel que soit notre futur, il se produira ensemble.

Auteur: Rushkoff Douglas

Info: Quand les riches conspirent pour nous laisser derrière. Avec l’accord de l’auteur, traduction de Céleste Bruandet, avec la participation de Laurent Courau

[ prospective ] [ super-riches ] [ oligarques ]

 

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fascisme religieux

Mon père, l’Iran et les " musulmans modérés " 

Des jardins d’Isphahan aux rives de la Seine… Djahanguir Riahi, mon père, est né en 1914 à Natanz (Iran). Parti en France poursuivre des études d’ingénieur grâce à une bourse d’études, il se met au lendemain de la Seconde guerre mondiale au service des relations économiques Franco-iraniennes. Installé en Europe depuis la révolution islamique, son intuition artistique hors du commun lui a permis de réunir l’une des plus importantes collections d’œuvres d’art du XVIIIème siècle français. Il est mort dans sa centième année, le 28 avril 2014, après avoir été élevé au grade de Commandeur de La Légion d’Honneur ainsi que des Arts et des Lettres. Grand donateur des Musées Nationaux, une salle du Musée du Louvre porte son nom.

Il m’avait demandé d’écrire ce texte au lendemain des attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001, et de l’inclure dans ses mémoires, que je rédigeais alors pour lui.

" Nous n’avons pas le même rapport à la barbarie et à la mort. L’attraction publique la plus appréciée de la population, à Mashhad comme dans toutes les villes où s’est déroulée mon enfance, consistait à s’attrouper sur la grand’place pour y assister aux pendaisons. La cruauté des exécutions était inouïe.

J’avais été horrifié, un jour, d’apprendre la condamnation d’un homme et de ses six fils. Le bourreau avait reçu du tribunal islamique l’ordre monstrueux de ne pendre le père qu’après qu’il eut assisté à la mort de tous ses enfants. Agha Djoun[1] se disait convaincu de l’innocence de ce pauvre homme. Et moi, je me disais, du haut de mes douze ou treize ans, en voyant leurs vêtements souillés par l’urine et la merde : pourquoi font-ils ça, sinon pour anéantir par la terreur toute forme de dignité humaine, toute forme de respect de la mort et donc de la vie ?

La mort, on s’y familiarise comme on prend l’habitude de tout. Lorsqu’en suivant le chemin de l’école au petit jour on longe la place des pendus, quand on assiste à des exécutions sommaires et barbares, on finit par apprivoiser la mort. Mais cette insensibilisation, ou plus exactement cette désacralisation, vous semble inconcevable en occident. Parce que vous êtes élevés dans le respect de la vie sans penser que la mort en est l’inéluctable corollaire.

Comme si la vie pouvait " être " sans la mort. Cette naïveté, à laquelle s’ajoute la pédagogie de l’émotion, est le fondement de la culture occidentale contemporaine. L’émotion priorisée, l’émotion magnifiée. On vit sur ce registre depuis la seconde moité du XXème siècle, sans doute par imprégnation des tendances éducatives à la mode aux Etats-Unis au lendemain de la guerre. L’enfant est devenu le barycentre de la civilisation occidentale. Héritière de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, la pédagogie contemporaine pose le principe que l’Homme naît bon et que c’est la société qui le pervertit. De même, dans le souci maniaque de préserver la planète, les mouvements écologistes ont entamé une régression qui efface inexorablement les progrès de la civilisation. On n’élève plus les enfants pour en faire des adultes ; on fait des enfants pour retomber soi-même en enfance, pour retrouver la puérilité sublimée de l’enfance.

Les islamistes jouent de cette émotivité occidentale. Si la religion dont ils se servent est primitive, leur stratégie de conquête est extrêmement sophistiquée. Ils vous observent et vous analysent depuis la fin des années 1970. Ils ont fréquenté les mêmes écoles, les mêmes universités que les élites occidentales. Ils ont vu les mêmes spectacles, les mêmes films ; lu les mêmes articles dans les mêmes revues. Ils savent que votre sensibilité au respect de la vie, votre peur de la mort, votre fragilité mentale et votre compulsion à la culpabilité sur un terrain compassionnel constituent votre talon d’Achille. Vous êtes tombés dans un triple piège :

- Le piège de l’anxiété collective " individualisée ". Certes, les guerres ont toujours fait des victimes civiles ; mais au World Trade Center ou dans les avions, il n’y avait " que " des victimes civiles. Chacun pouvait se dire : j’aurais pu me trouver parmi elles. Cette angoisse est le principe même du terrorisme, que les techniques de communication actuelles permettent d’individualiser simultanément à des milliards de témoins de la scène.

- Le piège de la " victimisation " des assassins. Pendant une centaine d’années, l’Europe a plus ou moins colonisé le monde ; en particulier les terres d’Islam que sont le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique. L’Amérique a toujours été solidaire des puissances européennes, sans parler de son soutien constant à l’Etat d’Israël. Pendant toute la durée de ces conflits, les victimes se sont comptées par centaines de milliers du côté des indigènes, sans que cela n’émeuve grand monde. Aujourd’hui, les victimes sont dans l’autre camp et toute une partie de la planète n’éprouve nullement l’envie de pleurer sur leur sort, considérant que c’est un juste retour des choses.

Le piège enfin du " chahid ", le martyr, celui qui meurt pour témoigner, alors que vous, pauvres larves invertébrées, vous pleurnichez de trouille en chiant dans votre froc, tant la mort vous effraie. Et cet exhibition du « héros » a le double avantage d’impressionner les musulmans, qui respectent le courage par principe, et de faire peur aux incroyants comme aux non pratiquants.

Les motivations fondamentales d’Al Qaida, celles des Islamistes en général, sont politiques et ne sont pas religieuses. Parce que la religion musulmane est intrinsèquement et historiquement politique. Il n’y a pas d’équivalent. Ni les juifs, ni les bouddhistes ou les hindouistes, ni les chrétiens n’ont eu pour vocation première de guerroyer et de conquérir. Bien sûr qu’ils ont tous été amenés à prendre les armes à divers moments de leur histoire. Mais ce n’était pas l’amorce ni la genèse de leur projet. Il faut en être conscient.

Mohammed – ou Mahomet comme vous l’appelez en France – n’a pas cherché à " spiritualiser " ses contemporains ni à leur apporter des réponses philosophiques. Son objectif était très prosaïque : il a voulu les rendre plus efficaces au travail et au combat !

Avant de " faire prophète " il était caravanier et commerçant. Issu de la tribu des Quraych et de tradition hanifiste, c’est-à-dire monothéiste, le jeune homme était intelligent, ambitieux et séduisant. Il sut se rendre indispensable à sa patronne, Khadija, une riche veuve de 15 ans son aînée, qu’il épousa et à laquelle il fit six enfants. Ses contacts sur la route avec des juifs et des chrétiens lui permirent de constater les avantages de la morale judéo-chrétienne et l’efficacité, par 45° à l’ombre, des prescritions hygiéniques et alimentaires de la kashrout.

On connaît la suite : Gibril dans le rôle de l’Ange Gabriel transforma ces préceptes en révélation divine et donna à l’accomplissement de ces pratiques un caractère religieux. Mais très objectivement, la plupart des Hadiths du Coran concernent l’organisation familiale et sociale, les pratiques et les règles juridiques à observer dans ces domaines, ce qui en fait un code civil plus qu’une somme théologique. L’islam a bénéficié de l’antériorité du Judaïsme et du Christianisme ; ses messages ont donc été parfaitement ajustés à leur objectif : discipliner et contrôler l’être humain. Le pouvoir politique l’a utilisé sans vergogne pour manipuler les peuples, tant il est vrai que la religion s’est toujours avérée l’arme la plus efficace pour anéantir toute aspiration à la démocratie et à la liberté.

Un simple constat: les monarchies héréditaires musulmanes se sont systématiquement trouvé une filiation directe avec le Prophète ou l’un de ses descendants ! Pour leurs chefs, pour les meneurs, la religion a toujours été un moyen, jamais une fin. Ben Laden, comme ceux qui l’ont précédé et ceux qui prendront sa suite, n’en a strictement rien à faire (et je suis poli…) du projet spirituel du Djihad et de l’accomplissement des hadiths du Coran. L’Islamisme sert juste un dessein politique. La religion n’est que l’instrument de la conquête, ou plutôt de la reconquête. Qu’importe le temps que cela mettra : dix ans, vingt ans, plus de trente ans peut-être… Ce que l’Islam a programmé, c’est la chute de l’Occident et de la civilisation judéo-chrétienne. Pas pour le takbîr, mais pour conquérir le monde et ses richesses, asservir ses populations. Allahou Akbar, proclamé et calligraphié sur les emblèmes et les drapeaux, n’est qu’un cri de guerre destiné à galvaniser les pauvres idiots crédules qui se prennent pour des soldats d’Allah et ne sont que la chair à canon de ceux qui rêvent de pouvoir absolu et universel depuis 1422 ans !

Le terrorisme est une tactique, que les islamistes utilisent ponctuellement ; pour entretenir la terreur, bien sûr, mais aussi parce qu’ils ont compris tout le bénéfice qu’il pouvaient tirer de la dichotomie que vous avez créée entre la religion musulmane et l’Islam " radical ". En triant vous-mêmes les " bons musulmans " des mauvais, vous vous êtes tiré une balle dans le pied et vous leur avez rendu un fieffé service ! En focalisant l’attention sur le terrorisme, vous réduisez la cible contre laquelle vous devriez combattre. Grâce à la très ancienne tactique du leurre, les Islamistes vous montrent du doigt les djihadistes et détournent votre attention du cheval de Troie qu’ils ont construit et mis en marche pour vous soumettre.

Et que l’on ne vienne pas me parler de " musulmans modérés "! Ils sont, évidemment, très largement majoritaires aujourd’hui. Mais où et comment les voit-on condamner les agissement des fondamentalistes? Combien sont-ils à être descendus dans la rue pour manifester massivement contre Al Qaïda au lendemain du 11 septembre 2001 ? Pour hurler à la face du monde, dans tous les médias et dans toutes les langues qu’ils se désolidarisent du salafisme, du wahhabisme, du frérisme et autres branches radicales de l’Islam ? Pour affirmer qu’ils vont faire le ménage dans leurs pratiques, actualiser drastiquement la charia et définir une ligne exclusivement métaphysique à leur religion ?

La religion musulmane n’est pas monolithique et exclusivement constituée de conquérants assoiffés de pouvoir et de vengeance, c’est clair. Mais la conquête est consubstantielle de la religion musulmane. L’Islam, sa culture politique, sa doctrine, son prosélytisme, son histoire et sa finalité sont intrinsèquement d’inspiration guerrière. De même que la vie ne peut se concevoir sans la mort, il n’y a pas de soumission sans victoire, ni de victoire sans combat. Or, la soumission à Allah est l’essence même du message de l’Islam.

C’est pourquoi les musulmans se soumettent implicitement aujourd’hui au fondamentalisme que leur impose l’Islam radical. Ils s’y soumettront explicitement demain et vous ne résisterez pas, un jour, à la tentation de vous y soumettre à votre tour. Parce que la peur est l’arme absolue, l’arme que l’Islam politique utilise avec talent pour anéantir toute forme de résistance à leur domination. Ils l’utiliseront jusqu’au bout, contre vous, mais aussi contre ceux que vous appelez " les musulmans modérés " pour anéantir votre civilisation.

Bien sûr qu’il existe des courants plus ou moins progressistes comme le malikisme, dont le logiciel est régulièrement mis à jour par le Roi du Maroc. Bien sûr que l’on peut interpréter le Coran de dizaines, de centaines de manières. Bien sûr que l’on peut intellectualiser le concept du Djihad et en faire un idéal moral (…) Néanmoins le syllogisme est évident et les faits sont têtus : tous les musulmans ne sont pas des fondamentalistes islamiques ni des djihadistes ; mais tous les fondamentalistes islamiques et tous les djihadistes sont musulmans. Trop facile d’établir une distinction morale et sémantique entre les prescriptions religieuses supposées acceptables, que vous qualifiez d’ " islamiques " et celles, intolérables, cataloguées " islamistes ". Quand on tue au nom de l’Islam, on n’accomplit pas un acte de dément, pas plus qu’un crime de sang ordinaire. Quand on tue au nom de l’Islam, c’est qu’on vous a mis dans la tête qu’il est de votre devoir de croyant d’exterminer les incroyants, lesquels auraient soit disant " déclaré la guerre " aux soldats de la vraie foi !

La motivation du donneur d’ordre est politique, pas religieuse. Ils arriveront à leurs fins, parce que la dialectique de l’Islam est redoutable. Les stratégies et les techniques de communication qu’ils mettent en œuvre sont très subtiles et pertinentes, car ils savent parfaitement comment vous fonctionnez. Ils achètent depuis des années les réseaux de communication qui influencent l’opinion publique, en Europe comme aux USA. Vous êtes des enfants dans leurs mains. Ils vous connaissent très bien, alors que vous ne les connaissez pas. Vous êtes manipulés et vous ne le savez pas.

Ils ont compris voila longtemps que votre talon d’Achille, c’est la mauvaise conscience et la compassion. Les Français en sont rongés depuis qu’on leur a mis dans la tête que la colonisation de l’Afrique et du Maghreb avait été un crime contre l’Humanité commis par leurs aïeux. Les uns après les autres, tous les gouvernants français ont baissé leur froc et fait acte de " repentance " vis-à-vis de ces peuples que leurs pères avaient " exploités " ; mais a-t-on songé à demander aux Arabes de se repentir, eux qui ont réduit en esclavage pendant des siècles, des générations d’Africains ?

Je suis athée, mais je ne pourrais pas le dire si j’étais resté dans mon pays. Pas plus hier qu’aujourd’hui. Ce n’est pas un problème de liberté d’expression, c’est juste un problème de liberté d’être. On n’a pas le droit d’être athée en Islam : juif, chrétien, oui. Athée, non. Mon appréhension, au vu de tout ce qui s’est produit depuis une dizaine d’années, c’est que je ne puisse pas le dire demain ; ici, dans ce beau pays libre qu’est la France. Je ne le crains pas pour moi, bien sûr, je suis vieux. Mais je crains que mes enfants et mes petits enfants se trouvent confrontés à la main-mise de l’Islam, à laquelle j’ai eu la chance de me soustraire voila près d’un siècle.

En 25 ans, j’ai vu évoluer la société française d’un modèle républicain et comme vous dites " laïc " vers un modèle communautaire à l’anglo-américaine. Il a fallu dix-neuf siècles de conflits et de guerres pour que la France, " Fille aînée de l’Eglise " sépare sa " mère " de son Etat, en 1905. Et encore, nous sommes très loin du compte aujourd’hui, pour les raisons économiques et électoralistes que tu connais mieux que moi. Il n’y a qu’à regarder tes hommes politiques se trémousser dans les églises, les mosquées et les synagogues pour en être convaincu.

La religion est un leurre contre la peur de la mort ; un leurre pour assujettir ceux qui ont vocation à être dominés. Depuis toujours, la religion est l’auxiliaire du pouvoir. Dans toutes les religions. Pourquoi l’être humain a-t-il tellement besoin de se raccrocher à un Dieu et à un au-delà pour tenter d’évacuer la peur de la mort ? Je ne sais pas. Moi, vois-tu, je n’ai jamais eu peur. Jamais eu peur de la mort, en tous cas. Sauf (rires) que j’ai toujours craint d’être enterré vivant. Je fais très souvent un affreux cauchemar. On ferme mon cercueil alors que je suis assoupi. Je me réveille et je frappe désespérément sur le couvercle en hurlant : bande d’idiots, espèces d’imbéciles… Vous ne voyez donc pas que je ne suis pas mort ? "

Mon père est mort le 28 avril 2014 dans sa centième année. Il a arrêté de se nourrir, estimant qu’il avait suffisamment vécu.

Il n’a pas connu les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan, de la Promenade des Anglais à Nice, ni l’égorgement du Père Jacques Hamel à St. Etienne-du-Rouvray.

A chacune de ces attaques terroristes et plus encore aujourd’hui, après le carnage barbare du Hamas perpétré le samedi 7 octobre 2023, j’ai repensé à ce qu’il m’avait dit au lendemain du 11 septembre 2001. 

Auteur: Mansouret Anne

Info: https://www.causeur.fr/, 21 octobre 2023, [1] Agha Djoun est mon grand-père, le père de mon père. C’est l’appellation donnée dans les familles, qui peut s’interpréter : " Votre Éminence chérie " et qui traduit tout à la fois la déférence et l’affection. En l’occurrence, mon grand-père était haut fonctionnaire territorial, c’est à dire Trésorier général dans plusieurs provinces, d’où les déménagements successifs vécus par ma famille.

[ prise du pouvoir ] [ machiavélisme ] [ orient - occident ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

Afrique-Occident

Robert Farris Thompson: les canons du Cool
Une bouteille de Cinzano, une boîte de fixatif, un chandelier à sept branches, une machette et un juke-box cassé sont des objets de dévotion ornant l'autel d'un temple vodun ("vaudou") en périphérie de Port-au-Prince. Le temple est situé dans l'enceinte d'André Pierre, prêtre vodun et peintre, en bordure d'un fossé sur la route du Cap-Haïtien. Il y a des voitures accidentées dans la cour, des chiens, des chèvres et un petit taureau attaché. En arrivant de l'aéroport international François Duvalier, l'esprit prédisposé aux présages, je ne peux m'empêcher de remarquer un grand panneau de signalisation à proximité. On y lit "LA ROUTE TUE ET BLESSE."

Robert Farris Thompson et moi sommes descendus de New York vers Haïti pour passer le week-end avec André Pierre et Madame Nerva, une prêtresse vaudou. Thompson est historien de l'art, professeur titulaire à Yale et maître au Timothy Dwight College. Je suis un de ses anciens élèves, venu voir Bob faire ce qu'il nomme "un petit sondage". André Pierre est le Fra Angelico haïtien, un clerc vodun dont les toiles sont accrochées au musée national de Haïti; des copies de son travail remplissent les porte-cartes de l'aéroport. La femme, les enfants et les enfants des cousins ​​d'André Pierre légument dans l'ombre alors que Thompson fait pénétrer sa voiture de location verte dans l'enceinte, criant: "Bam nouvelle" et "Comment ouyé?"

Nous retrouvons André Pierre, petit, noir, visage marqué, dans la chaleur de son atelier. Les murs sont couverts de brillants motifs vodun - diptyques et triptyques d'Ogûn, dieu du fer; Agoué, seigneur de la mer; Erzuli, déesse de l'amour; et Damballah, dieu serpent de la créativité, de la fécondité et de la pluie. À côté du chevalet, il y a un uniforme militaire à glands pour le Baron Samedi, seigneur des cimetières, soigneusement protégé dans son sac de nettoyage à sec.

Avec la révérence et l'attitude d'un abbé pilotant ses visiteurs dans un vénérable monastère du sud de la France, André Pierre nous fait visiter ce temple d'étain ondulé. Il nous montre des salles-autels contenant des tambours, des bassins, des faux, des cartes à jouer, de l'alcool, des fouets et des lits (dans lesquels André Pierre dort quand il passe la nuit avec une divinité particulière). Il s'exprime via une sorte de flux créole théoloco-vodun tout en marchant et en pointant des choses. Soudain, André Pierre se met à chanter pour illustrer une idée particulière; elle correspond à un tableau et il l'explique, de la même façon qu'un requiem correspond à une crucifixion. Thompson attrape un tambour et commence à tambouriner et à chanter. Lorsqu'ils ont fini, en geste de célébration, ils versent chacun une cuillerée de liqueur de racine sur le sol. Thompson m'avertit à part en anglais de faire attention près des bassins en pierre dans la pièce sombre, car c'est un de ceux dédiés à Damballah, le dieu serpent, et ils contiennent parfois des serpents.

À la tombée de la nuit, Thompson, polo humide de transpiration, a empli un carnet et demi de croquis et de notes, commencé une monographie sur l'iconographie de 10 peintures vodun, tambouriné, bu des coups et pris rendez-vous pour revenir tôt le lendemain. Alors que nous partons à la recherche de notre hôtel, Thompson, excité, m'explique les subtilités morales de tout ce que nous avons vu. Il me parle de notre emploi du temps: nous devons aller demain soir à Jacmel, de l'autre côté des montagnes, voir Madame Nerva célébrer les rites de la déesse de l'amour, Erzuli. Je suis épuisé, ayant trouvé que le voyage de Manhattan au temple d'André Pierre en un après-midi c'est déjà beaucoup. Thompson ne semble ressentir aucune tension suite à cette journée; il entre en Haïti tout en fluidité. En fait il semble juste revenir chez lui.

Blanc de peau, blanc de cheveux et blanc d'origine, d'éducation et de par sa société, Robert Farris Thompson est tombé amoureux de la musique noire, de l'art noir et de la négritude il y a 30 ans et a basé toute sa carrière sur cette passion particulière. Suivant cet instinct, suscité par un mambo entendu en 1950, Thompson a appris couramment le ki-kongo, le yoruba, le français, l'espagnol et le portugais et s'est familiarisé avec une vingtaine de langues créoles et tribales; il a parcouru la forêt de l'Ituri au Zaïre avec des pygmées; est grand connaisseur du vaudou; a écrit quatre livres sur la religion, la philosophie et l'art ouest-africains; a organisé deux grandes expositions à la National Gallery de Washington. Il est également devenu, dansant dans un costume indigo brodé de coquillages pris sur les gésiers de crocodiles morts, "universitaire junioir membre de la Basinjon Society", agence tribale camerounaise qui contrôle la foudre et autres forces naturelles.

Incorporant l'anthropologie, la sociologie, l'ethnomusicologie et ce que Thompson nomme une "bourse scolaire pour guérilla" (il dit : "laissons les crétins se débrouiller avec ça"), la carrière de Thompson tend vers une seule fin: un savant plaidoyer de la civilisation atlantique noire. Il passe sa vie à poursuivre ce frisson cérébral qui est de rendre cohérent et significatif tout ce qui est mal compris, ou vu comme aléatoire, superficiel ou obscur à son sujet. Comme un historien de l'art extrairait des plans détaillés de la basilique une compréhension de l'esprit médiéval ou de la statuaire romaine tardive une compréhension du déclin de l'empire, Thompson travaille sur l'iconographie de la salsa, les pas de danse, les vêtements, la sculpture, le geste et l'argot pour une définition de la négritude. Il aime montrer à quel point le "primitif" est sophistiqué. Comme archéologue, il donne vie à des artefacts; comme critique, il les déchiffre; et comme vrai croyant, il promeut leur valeur artistique et spirituelle.

Le dernier livre de Thompson, Flash of the Spirit, explique les racines de l'influence africaine dans le Nouveau Monde. Il est une sorte de Baedeker du funk. Un critique a écrit: "Ce livre fait pour l'histoire de l'art ce que le dunk shot a fait pour le basket-ball."

Sous la manche droite de sa chemise Brooks Brothers, Bob Thompson porte le bracelet d'initiation en maille de fer de la divinité chasseuse de rivière Yoruba. Avec ses deux enfants, son récent divorce, ses études à Yale et Andover et ses 55 ans, il ressemble à un avocat d'entreprise en pleine forme ou à un brillant dirigeant pétrolier américain qui aurait mené une carrière polyglotte à l'étranger. Il vit à New Haven, dans le manoir géorgien du maître du collège, où l'on peut entendre le son des percussions résonner dans la cour.

En parallèle à Yale, ses élèves, des bonnes bouffes et de ses conférences, au travers de rencontres au coin de la rue et de conversations précieuses, Thompson fait du prosélytisme. Il enseigne à 100 ou 150 étudiants chaque trimestre et possède l'enthousiasme amusé d'un élève de premier cycle. Le reste de l'université connaît Thompson sous le nom de "Mambo". Pour clarifier ils diront même "noir comme Bob". Ce qui compte, c'est que le président de Yale, Bart Giamatti, brillant franc-tireur lui-même, admire suffisamment la singularité intrépide de Thompson pour l'avoir reconduit dans ses fonctions durant cinq ans.

Sur le campus, les affiches du Chubb Fellowship expriment un peu mieux le statut de Thompson et sa particularité majeure. La bourse Chubb est un programme destiné à amener des visiteurs politiques sur le campus, elle est aussi étoffée que les bourses bien dotées peuvent l'être. Pendant le mandat de Thompson, des personnages habituels - Walter Mondale, Alexander Haig, John Kenneth Galbraith - furent parmi les conférenciers invités. Des affiches commémorant leurs visites tapissent les murs de la maison du maître comme des trophées sportifs de conférences. Une affiche, plus grande et plus audacieuse que les autres, est suspendue dans le bureau de Thompson. Elle annonce que la Chubb Fellowship parraine, pour un colloque et une réception au Timothy Dwight College, une visite de Son Altesse le Granman de la Djuka, du Surinam, "roi afro-américain véritable".

Bob Thompson donne des cours à sa classe comme un prédicateur fondamentaliste réveille sa congrégation, genoux pliés, microphone branché, le fil traînant derrière lui. Il marche parmi les 200 étudiants qui débordent de l'auditorium de Street Hall dans le couloir. Le cours d'automne de Thompson, HoA 379a, est intitulé "La structure du New York Mambo: le microcosme de la créativité noire". Sur scène, un magnétophone émet un jog pygmée; du pupitre vacant pend une carte des dominions tribales ouest-africaines; et sur l'écran : des diapositives flash de Harlem, des pygmées, des tissus de motifs syncopés et des sculptures funéraires influencées par le Kongo des cimetières de Caroline du Nord. "Pourquoi" demande Thompson, "les Noirs sont-ils si impertinents ?"

La réponse commence par l'étymologie de l'expression "descendre - get down". Il passe aux concepts yoruba de cool (itutu) et de commandement (àshe); il parle durant une marche latérale et aussi sagittale (d'avant en arrière ou inversément); de l'esthétique de la batterie; de l'importance du phrasé décalé (off-beat/à contre-temps) ; des appels et réponses; et enfin de Muhammad Ali. Puis la voix de Thompson redevient celle du prof sérieux standard et il énumère une litanie d'influences africaines:

"Une grande partie de notre argot fut créée par des gens qui pensent en yoruba et en ki-kongo, tout en parlant en anglais. Les sons de base de l'accord et du désaccord, uh-huh et unh-unh, sont purement ouest-africains. Funky est du Ki-Kongo lu-fuki, "sueur positive". Boogie vient de Ki-Kongo mbugi, qui signifie "diablement bon". Le jazz et le jism dérivent probablement de la même racine Ki-Kongo dinza, qui signifie "éjaculer". Mojo vient du terme Ki-Kongo pour "âme"; juke, comme dans jukebox, de Mande-kan qui veut dire 'mauvais'; et Babalu-Aye - comme pourle disc-jockey Babalu - est du Yoruba pur et simple qui signifie "Père et maître de l'univers".

"La plupart de nos danses de salon sont africanisées" poursuit-il, "la rhumba, le tango, même les claquettes et le Lindy. Le poulet frit est africain. Et le short patchwork J. Press est lié à un tissu d'Afrique. Même le cheerleading incorpore certains gestes Kongo apparents: main gauche sur la hanche, main droite levée faisant tournoyer un bâton. Il s'est développé au travers des groupes Vodun Rara de la Nouvelle-Orléans jusqu'au spectacle de la mi-temps des Cowboys de Dallas."

"Laisse-moi te raconter comment tout ceci s'est mis en marche", explique Thompson, assis dans un restaurant du campus. "J'ai grandi au Texas; J'étais fou de boogie. Je n'étais pas footballeur ou quoi que ce soit, et je me rends compte maintenant que tous les éléments d'attractivité que j'avais pour les filles étaient à la fois musicaux et influencés par les noirs. Durant ma dernière année à l'école préparatoire, je suis allé en voyage à Mexico. Il y avait ce mambo - Mexico était inondé de mambo - j'ai entendu des serveurs le fredonner, je l'ai entendu sur les lèvres des préposés de station-service, je l'ai entendu en arrière-plan lorsque je parlait au téléphone de l'exploitant de l'hôtel. Ce fut mon premier bain complet de musique africaine: polyphonie noire totale, multimétrie mambo. Une femme magnifique s'est arrêtée devant moi dans un café; elle a écouté cette musique et je l'ai entendue dire à son compagnon: "Mais chéri, c'est un rythme si différent."

Un mambo, titré La Camisa de Papel - de Justi Barretto, est l'icône principale de la carrière de Thompson. Une partie brisée du disque mexicain 78 tours, chanté par Perez Prado, est encadré dans son étude. "Plus précisément, il s'agit d'un noir qui porte une chemise littéralement composée de mots effrayants - d'assemblage de titres de journaux. La chanson ne craignait pas d'aborder un sujet fort - celui du début de la guerre de Corée et de la peur de la guerre thermonucléaire. Une phrase dit: "Hé, homme noir, t'as les nouvelles?" J'ai été irradié par cette musique, désespérément accro au mambo."

En 1954, Thompson passa les vacances de Thanksgiving de sa dernière année à Yale enfermé à l'hôtel Carlton House à New York, essayant de commencer un livre. Il l'avait titré : Notes vers une définition de Mambo. "Mon père était chirurgien, et avec ma mère ils étaient un peu déboussolés par ce que je faisais: 'Mon fils le mambologue!!??' Alors que j'essayais de leur expliquer cette passion..."

"La musique questionnait", dit Thompson, "et l'histoire de l'art fut la réponse." Il décida de devenir étudiant à Yale. "Plus j'étudiais, plus je voyais comment le monde avait dissimulé la source de tout cela. Ce n'était pas de la musique latine - c'était de la musique Kongo-Cubano-Brésilienne. Vous pouvez entendre les rythmes Kongo dans "The Newspaper Shirt". Et mambu en Ki-Kongo signifie "questions, questions importantes, texte". Un mambo est un séminaire sur l'entrecroisement des courants africains.

"Ce sont quelques-uns des fils du tissu: la salsa et le reggae partagent l'impulsion du mambo, et la composante mambo est à son tour sortie de Cuba en fin des années 1930. Le yoruba y est encore parlé. Si vous étiez Yoruba et pris en esclavage au XIXe siècle, vous risquiez de vous retrouver à Cuba ou dans le nord-est du Brésil. La culture afro-cubaine a survécu à l'esclavage. Ces rythmes afro-cubains sont chauds, âcres et cahotants. J'ai passé ma vie de critique littéraire", dit-il, "à essayer de rassembler tous les textes pertinents pour décoder "The Newspaper Shirt Mambo".

La prochaine étape importante dans le développement de Thompson fut une bourse de la Fondation Ford pour aller au Yoruba-land (Nigéria) pour un travail sur le terrain; il a fait 14 allers-retours entre Yale et l'Afrique. Thompson habite les deux mondes. Il raconte par exemple comment un grand prêtre de la religion Yoruba à New York est venu le voir à New Haven. La voiture du prêtre yoruba est tombée en panne. Thompson raconte que le prêtre a ouvert le capot, puis a emprunté du rhum à Thompson pour faire une brume de rhum qu'il a soufflé de sa bouche sur le moteur surchauffé (c'est un geste yoruba pour refroidir les choses). Ensuite, le prêtre a sorti sa carte de l'American Automobile Association et a appelé Triple-A.

Dans ce processus pour accéder à Yale, Thompson a publié Black Gods and Kings, The Four Moments of the Sun et African Art in Motion, à propos de l'esthétique entrelacée de la sculpture, du tissu et de la danse ouest-africains. "Flash of the Spirit" atteint maintenant des lecteurs qui ne sont pas des spécialistes, des iconographes ou des universitaires. Son prochain livre, enfin, dans 30 ans, sera le "livre mambo".

"Chaque vague d'immigration successive - dominicaine, porto-ricaine, haïtienne, jamaïcaine - améliore la musique. On peut parler de "conjugaison" d'un battement. C'est explosif. La salsa fut le tournant majeur - en 1968, New York est devenue pratiquement la capitale musicale du monde latin. Et tout cela est en pollinisation croisée avec du jazz et de la pure musique yoruba comme King Sunny Ade, et puis, via des réverbérations secondaires, vers des groupes blancs, comme les Talking Heads.

"La musique est un domaine où l'influence noire est omniprésente. Leurs rythmes secouent ce siècle. Quoi qu'on ait pu refuser aux Noirs, les ondes sont à eux. À l'heure actuelle, d'importantes collisions culturelles ont lieu à New York. La ville est devenue un organe coloré des cultures. Si vous avez manqué le Ballet Russe et le Rite de Stravinsky à Paris au début du siècle, ne vous inquiétez pas. Il y a maintenant des événements de cet ordre stravinskien dans le quartier."

"New York en tant que ville africaine secrète" voilà ce que Thompson appelle son cours de premier cycle à Yale. "Quasi voyage scolaire" que nous entreprenons tous les deux un jour et qui commence à 89th Street et sur Amsterdam Avenue dans un botanica, ou boutique d'articles religieux, où les autels fumants des divinités ouest-africaines partagent l'espace avec Pac-Man et Donkey Kong. Juste au coin de la rue se trouve la Claremont Riding Academy, où les élèves de sixième année des écoles privées prennent des cours, et deux pâtés de maisons plus à l'est se trouvent les coopératives de logements dans lesquelles ils vivent sur Central Park. Cet après-midi, nous traversons le sombre bidonville dominicain sous Columbia University, Harlem, Queens et les bandes jamaïcaines et haïtiennes de Brooklyn. Près de la coupole néoclassique du Musée de Brooklyn se trouve La Boutanique St. Jacques Mejur, qui vend des figurines en cire, des bougies conditionnelles "Du Me", un aérosol "Love", "Success" et "Commanding Do My Will". L'une des bougies est une bougie de vengeance, qui promet de transmettre le mal, le déshonneur, les conflits, l'infidélité, la pauvreté, le danger et les puissants ennemis au nom de celui qui est inscrit sur son côté.

"Ce truc est une combine touristique", dit Thompson. "Le vodun est un système moral de croyance comme les autres, mélange de croyances dahoméennes, kongo et chrétiennes. Nous vivons dans le péché intellectuel avec la culture Kongo et Yoruba. Le Kongo est une culture légale-thérapeutique-visionnaire aussi riche et dense que le christianisme ou le judaïsme; elle me rappelle le judaïsme.

"Mais les Occidentaux restent toujours dans les même zones tempérées lorsqu'ils recherchent la philosophie. Les juifs deviennent bouddhistes, les méthodistes deviennent bahaïs; ils ne vont jamais au sud. Mais maintenant, les religions Kongo et Yoruba prospèrent à New York. Traversez simplement la rue et vous êtes en Afrique. "

Pour Thompson, les trois étapes progressives de la culture atlantique noire sont comme trois versions d'un texte inscrit sur une sorte de pierre de Rosette noire Atlantique. Elle se déplace à New York, intellectuellement péripatéticienne, dans les deux sens via les traces des trois étapes de son sujet. Primo, les tribus dont les esclaves furent pris au Nigeria, au Mali, au Cameroun et au Zaïre. Deuxièmement, les cultures afro-antillaises qui en résultent, y compris les célébrités vodun d'Haïti et les adeptes de Capoera du Brésil. Enfin, les salles de danse, les clubs, la culture ghetto pop de New York.

Au club brésilien SOB's, sur Varick Street, amis, collègues, diffuseurs de livres et éditeurs se rassemblent, un peu sous le charme, alors que cinq batteurs cubo-yoruba tiennent un rythme féroce sur scène. C'est la fête de Random House bool pour le lancement de "Flash of the Spirit" de Thompson. Une démonstration de Capoera suit - mélange brésilien de ballet et d'art martial - produite par deux athlètes torse nu, devant le bar. Thompson danse doucement dans sa combinaison J. Press, tête haute, dos et bras relâchés. C'est intrinsèque à son alternance constante entre participer et observer, de même qu'on peut le voir à la fois donner des conférences et danser durant ces dernières.

"Les religions africaines entremêlent une critique morale élevée doublée d'un délicieux backbeat boogie", dit Thompson. "Elles nous attirent vers une perspicacité morale qui active le corps tout en exigeant une conscience sociale. Les mambos d'Eddie Palmieri peuvent recouper les phrasés musicaux yoruba religieux avec le populaire New York noir."

Alors qu'il danse, Thompson note mentalement le sens et le contenu culturel de ce que tout le monde dans la salle pense n'être qu'une danse. "Derrière toute la viscosité et le groove se cache une philosophie qui dit que dans l'horreur de ces temps qu'il y a un antidote. C'est de ces petits villages ternes de stalles en béton et de générateurs portables que vient cette musique, elle porte un message qui dit que tu peux "rejouer" le désastre - que tu peux le transformer, prendre la mort et l'horreur et les transformer en roue et en carrousel."

Un autre soir, au Château Royal, une salle de danse haïtienne dans le Queens, Thompson est à peu près le seul visage blanc parmi un millier d'élégants Haïtiens. Criant en créole au-dessus du merengue, il est en conversation profonde avec le chef d'orchestre; le groupe a été invité à Yale. Sur la piste de danse, Thompson semble transporté - regard d'un homme dans un bain chaud.

"Il s'agit de libérer les impératifs moraux dans le divertissement", explique Thompson. "La musique est à la fois morale et sournoise; elle porte autant de dandysme et de ruse urbaine que tout ce qui fut écrit à Paris à l'époque de Ravel. L'Occident peut en extraire les parties les plus ambrosiales et se laisser emporter par le rythme vers des sublimités morales."

Bien que Thompson vive et se déplace au sein d'un milieu hip, lui-même n'a rien de particulièrement branché. Il agit de la manière inconsciente et directe du soldat professionnel - marche ordonnée, jamais de pagaille, léger balancement des bras lors de la foulée - qui donne l'impression qu'il est toujours sur le point de faire quelque chose. Sa position et ses perspectives n'ont rien de la morosité typique de l'universitaire. Mais son attention est hautement idiosyncrasique; ses actions semblent dictées par un programme connu de lui seul.

Lorsqu'il est plongé dans une ambiance tout à fait blanche, comme une conférence au Metropolitan Museum of Art de New York ou assis dans cet endroit incongru que sont les salons de la maison du maître de Yale, Thompson perd parfois le rythme. Il s'éloigne, comme privé de l'objet de ses affections. Ensuite, quelque chose de banal - une remarque, le phrasé d'une remarque ou peut-être une scène d'un film diffusé au Showcase Cinema à Orange - lui offre une petite étincelle de négritude, et il est à nouveau attentif. Il donne parfois l'impression d'être en tournée d'inspection, cherchant dans le monde blanc des signes salutaires de culture noire. On sent qu'il suit sans cesse, avec ce qu'il appelle ses "yeux noirs", les contours de l'objet d'un désir spirituel.

Thompson tient à faire la distinction entre pratique de la religion ouest-africaine et l'enseignement de la culture dont elle fait partie. Récemment, quelqu'un qu'il connaissait à peine lui a demandé des conseils spirituels et Thompson en fut consterné. Il se considère comme un médium, mais un médium du genre le plus ordinaire. Il pense que ce qu'il doit enseigner n'est que ce qu'il choisit et filtre de toutes ses "informations" du monde. Dans les livres de Thompson, les sections de notes biographiques contiennent des centaines et des centaines de minuscules petits noms sonores, qui, s'ils sont lus à haute voix, ressemblent aux listes des annuaires téléphoniques de Lagos, Rio, Ouagadougou et New Haven combinés. Telles sont les sources du "flash de l'esprit" sans lequel, Thompson, n'est "que Joe, l'universitaire aux cheveux gris".

S'il y a une partie des croyances africaines auxquelles Thompson adhère, c'est ce qu'il perçoit comme leur génie social. L'épiphanie de Thompson, s'il y en a une dans sa sphère très privée, se distingue par les accents pleine de sens qu' utilise lorsqu'il parle des incendies dans les forêts pygmées, des prêtresses de la rivière au Cameroun, de l'escalade des arbres zaïrois pour le miel et de la dernière veille de Nouvel An sur la plage de Copacabana à Rio, où Thompson a vu des milliers de femmes de chambre, gardiennes, journalières et leurs enfants, creuser des trous dans le sable à minuit pour y mettre des bougies, applaudissant lorsque les lumières furent emportée hors du rivage par la marée.

Ceux qui minimisent l'importance de ces rituels folkloriques noirs et du travail de la vie de Thompson le rendent furieux. "Comment les gens osent-ils fréquenter l'Afrique?" il demande. "Ces gens sont des géants qui nous apprennent à vivre. Il y a une voix morale ancrée dans l'esthétique afro-atlantique que l'Occident est infichu de saisir. Les occidentaux ne voient pas les monuments, juste la philosophie pieds nus venant des anciens du village. Alors que le monument est une grande forme d'art qui réconcilie, qui tente de reconstruire moralement une personne sans l'humilier. "Parfois, lorsque Thompson commence à s'échauffer, sa voix prend des cadences du discours noir."

"Ce sont les canons du cool: il n'y a pas de crise qui ne puisse être pesée et résolue; rien ne peut être réalisé par l'hystérie ou la lâcheté; vous devez porter et montrer votre capacité à réaliser la réconciliation sociale. Sortez du cauchemar. C'est un appel au dialogue, au con-gress et à l'auto con-fiance. "Ce tea-shirt avec ces phrases issue de titres de journaux" ne fait que poser le problème sur ta poitrine. Les formes d'art afro-atlantique sont à la fois juridiques, médicales et esthétiques. C'est une manière intransigeante d'utiliser l'art."

À Jacmel, à 8 h 30 du matin, Thompson et moi déjeunons avec des croissants à bord de la piscine de l'hôtel, discutant au son des tambours qui résonnent sur la plage. La veille au soir, dans son temple en carton ondulé, la charmante prêtresse Madame Nerva, qui aime beaucoup plaisanter, a donné son bâton constellé de bonbons à un homme, avec pour consigne d'appeler les batteurs et la congrégation pour le lendemain matin. Il y a 50 voduistes à l'intérieur du temple vibrant quand nous arrivons, y compris le flic local. Cinq batteurs, dirigés par un homme du nom de "Gasoline", suivent un rythme sauvage et déferlant. Dix-neuf femmes noires vêtues de robes blanches et de turbans blancs sortent en dansant d'une porte de l'autel pour se mettre en en cercle autour de Madame Nerva, qui, vêtue d'une robe dorée, secoue un hochet et une cloche sacrés pour donner le tempo. À tour de rôle, chacune des femmes prend la main de Madame Nerva et tombe dans un geste à la fois révérencieux et prostré, lui tenant la main tout en descendant pour embrasser le sol à ses pieds.

Tandis que deux femmes tenant des drapeaux dansent autour de lui, un jeune homme dessine lentement dans la poudre blanche sur le sol un cœur ou une vulve, avec en superposé des épées et un serpent. Au moment où il termine l'image, la cérémonie double d'intensité et les femmes tournent avec des bougies, puis s'agenouillent. Soudain, l'icône est effacée et Madame Nerva se précipite dans la pièce en tenant une poupée américaine en plastique blanche d'un mètre (elle est faite de rangées de maïs et d'une main droite d'enfant qui fait le salut Kongo). Un à la fois, nous sommes embrassés par la poupée sur nos joues gauches. Une femme, tourbillonnant avec un turban sur la tête, devient possédée et commence à se trémousser et à tanguer. Les autres danseurs la frappent doucement pour la calmer et faire partir l'esprit. Elle s'évanouit et ils la retiennent. La ligne des danseurs s'est rompue; les tambours s'arrêtent.

"Un peu sauvage pour un simple sondage", me dit Thompson alors que nous faisons nos adieux. "Cette femme n'était pas censée être possédée. As-tu entendu comment Mme Nerva a décrit la possession - tel "un dialogue avec l'Afrique"? "

Nous retournons par les montagnes vers Port-au-Prince, pour un retour dans l'après-midi à New York. À 15 heures, après le déjeuner et un saut dans la piscine de l'hôtel, nous sommes en train de prendre un verre dans l'avion, Thompson est en train de remplir ses carnets de croquis et de notes.

"Il y a tout un langage dans la possession", dit-il, "une expression et une position différentes pour chaque dieu. L'Occident a oublié les états de ravissement sacré, mais l'art chrétien s'est construit sur l'extase. Le gothique était extatique - les cathédrales ne peuvent pas être comprises sans référence à lui." Il montre une photo sur la couverture de son cahier qui présente une femme aux yeux retournés. "C'est l'histoire de l'art vivant. Et il faut comprendre les états extatiques pour comprendre l'art extatique."

Thompson se tord sur son siège pour montrer les gestes de possession. Il lève les bras, les plie au coude, puis les lève les paumes vers le haut, doigts écartés. Il projette sa tête en arrière, yeux fermés; puis avance rapidement; puis fait des grimaces, trois façons différentes. Il baisse les bras, prend un verre et dit: "Ce n'est pas si hérétique d'examiner l’extase. Après tout". Ici il dessine dans son cahier une figure d'homme, tête renversée en arrière avec une ligne de visée qui va vers le haut - "la rosace de Chartres ne peut être vue que sous un angle extatique."

Auteur: Iseman Fred

Info: https://www.rollingstone.com 22 novembre 1984. Trad Mg (à peaufiner)

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