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femmes-par-femme

Sans raison particulière, j'ai commencé à regarder de près les femmes sur le boulevard. Soudain, il m'a semblé que j'avais vécu avec une sorte de regard limité : comme si mon attention s'était portée uniquement sur nous, les filles, Ada, Gigliola, Carmela, Marisa, Pinuccia, Lila, moi, mes camarades de classe, et que je n'avais jamais vraiment prêté attention au corps de Melina, de Giuseppina Pelusi, de Nunzia Cerullo, de Maria Carracci. Le seul corps de femme que j'avais étudié, avec une appréhension toujours plus grande, était le corps boiteux de ma mère, et je m'étais sentie oppressée, menacée par cette image, craignant sans cesse qu'elle ne s'impose soudainement à la mienne. Ce jour-là, au contraire, j'ai vu clairement les mères de l'ancien quartier. Elles étaient nerveuses, elles étaient consentantes. Elles étaient silencieuses, lèvres serrées et épaules baissées, ou alors elles criaient de terribles insultes aux enfants qui les harcelaient. Extrêmement maigres, yeux et joues creuses, ou avec un large arrière-train, les chevilles gonflées, une poitrine lourde, elles traînaient sacs de courses et petits enfants qui s'accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés. Et, bon Dieu, elles avaient dix ans, tout au plus vingt ans de plus que moi. Pourtant, elles semblaient avoir perdu ces qualités féminines si importantes pour nous, les filles, et que nous accentuions avec vêtements et maquillage. Elles avaient été dévorées par le corps des maris, des pères, des frères, auxquels elles finissaient par ressembler, à cause de leur travail ou de l'arrivée de la vieillesse, de la maladie. Quand cette transformation avait-elle commencé ? Avec les travaux ménagers ? Les grossesses ? Par les coups ? Lila serait-elle déformée comme Nunzia ? Fernando abandonnerait-elle son visage délicat, sa démarche élégante deviendrait-elle celle de Rino, jambes larges, les bras écartés par la poitrine ? Et mon corps serait-il aussi un jour ruiné par l'apparition du corps de ma mère et celui de mon père ? Et tout ce que j'apprenais à l'école se dissoudrait-il, le voisinage prévaudrait-il à nouveau, les horaires, les manières, tout serait-il confondu dans une fange noire, Anaximandre et mon père, Folgóre et Don Achille, les valeurs et les étangs, les aoristes, Hésiode, et l'insolente langue populaire des Solaras, comme, au cours des millénaires, c'était arrivé à la ville débraillée, avilie elle-même ?

Auteur: Ferrante Elena

Info: The Story of a New Name

[ vieillissement ] [ dégradation ] [ prolétaires ]

 
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tumulte urbain

Je ne veux plus du splendide soleil silencieux,

Je ne veux plus, Nature, de tes bois ni la lisière paisible de tes bois,

Je ne veux plus du trèfle dans tes champs, de la fléole dans tes prés, de tes maïs ni tes vergers,

Je ne veux plus de ton épeautre épanoui où butinent en essaim les abeilles du neuvième Mois,

Je veux les visages et les rues – je veux l’incessante cohue de ces fantômes sur leurs kilomètres de trottoir !

Je veux interminablement les yeux – je veux les femmes – je veux les camarades les amants par milliers !

Je veux qu’il en vienne de nouveaux tous les jours – je veux tenir des mains différentes dans ma main tous les jours !

Je veux tous les spectacles – je veux les rues de Manhattan !

Je veux Broadway, les soldats qui défilent – je veux le chant de la trompette, le tambour !

(Par compagnies par régiments les soldats – il y a ceux qui partent, les intrépides, ils claquent le feu,

Il y a ceux qui, service fini, rentrent, ils sont jeunes et cependant très vieux, usés, rangs décimés ils marchent regard absent.)

Je veux les rives les quais franges encombrées de coques de navires noirs !

Je les veux toutes ! Je veux une vie intense, pleine à satiété mais multiple !

La vie théâtrale, les salons du bar, les grands hôtels, oui, je veux ça !

La salle des alcools à bord du vapeur, la sortie en mer à plusieurs, la procession aux flambeaux, oui oui !

La brigade en partance pour le front, chariots militaires provisions en piles l’accompagnant ;

Les gens, cela ne finira jamais, ils vont en foule, ils ont des voix fortes, leurs passions, leurs parades,

Les rues de Manhattan comme des artères qui battent, on y entend à l’instant le tambour,

Le chœur, le concert des bruits, cela n’en finit pas, le cliquetis du maniement des mousquets (je n’oublie pas le spectacle des blessés),

Ah ! les foules manhattaniennes, ah ! leur turbulence musicale tous ensemble !

Les visages, les yeux des Manhattaniens, je les veux pour toujours !

Auteur: Whitman Walt

Info: Dans "Feuilles d'herbe", Je demande le splendide soleil silencieux, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, pages 425-426

[ réjouissant ] [ ville ] [ citadin ] [ animation ]

 

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saynète

Il gèle à pierre fendre en cette veille de Noël mais les quatre jeunes étudiants, gais et prêts à plaisanter sur tout et sur rien, ne sentent pas la morsure du froid. Bien qu’ils n’aient plus que quelques minutes jusqu’au départ du train pour le Nord du pays, ils ne se pressent pas, trop heureux d’avoir obtenu quelques jours de vacances entre Noël et le Jour de l’An. Chargés de sacoches et débordant d’une joie naturelle à leur âge, ils mettent le pied sur la dernière marche du wagon au moment où le train s’ébranle déjà. Ils s’installent dans le premier compartiment libre. Une seule personne s’y trouve : une petite vieille mince et effacée qui, à leur arrivée, se blottit dans son coin.

— Ne bougez pas, petite mère, nous avons de la place, lui lance Émile. Puis, les gars se mettent à plaisanter et à bavarder : les professeurs, les camarades et surtout les filles, rien n’échappe à leurs commentaires, à leurs imitations. Nos copains n’ont pas eu le temps de manger avant leur départ et ils mordent, à pleines dents, les " covrigi" -craquelins ronds qu’ils ont emportés. Ensuite ils ouvrent leurs sacoches et entament les oranges pour lesquelles ils se sont tant bousculés avant d’attraper le train !

Émile pèle son orange, la sépare en deux et se tourne vers l’ombre, immobile dans son coin :

— Tenez petite mère quelques tranches d’orange, vous avez peut-être soif ou bien l’odeur vous a-t-elle donné envie d’y goûter ! La veille femme esquisse un geste pour tendre la main, puis se recroqueville sur elle-même et chuchote d’une voix sourde :

— Merci, Monsieur mais vraiment, il ne faut pas.

— Prenez, petite mère, puisqu’il vous l’offre, car il ne vous la proposera pas une deuxième fois ! plaisante un des jeunes gens.

— Laissez, messieurs, ne vous dérangez pas. La vieille n’est pas habituée à ces bonnes choses. S’il vous reste quelques peaux d’orange, je vous remercie.

— Maman fait aussi des peaux d’orange confites pour les gâteaux, dit, l’eau à la bouche, le jeune homme grassouillet. Mais, celles-ci, nous pouvons les lui donner. Il ramasse avec soin les peaux, les met dans un sac en papier et les tend à la femme.

— Merci, Monsieur, Dieu vous les rendra, dit-elle en cachant, discrètement, le sac.

Auteur: Petrescu Cornelia

Info: Les Écorces d'orange, pp. 7-8

[ voyage ] [ nourriture ] [ recyclage ] [ récupération ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

éthologie

Mon but était d’analyser les rivalités entre mâles pour des questions de rang, le rôle de médiation des femelles dominantes, comme Mama, et les différentes façons de surmonter les conflits. Pour y parvenir, il a fallu que je m’intéresse à la hiérarchie sociale et à l’exercice du pouvoir, des thèmes qui, à l’époque, étaient controversés. C’était les années 1970, l’heure de gloire du flower power. Nous étions jeunes, plus ou moins anarchistes, farouchement en faveur de la démocratie et méfiants vis-à-vis des autorités qui dirigeaient l’université (on les appelait "mandarins", comme les bureaucrates de la Chine impériale). La jalousie sexuelle était jugée dépassée, et toute espèce d’ambition, suspecte. Hélas pour moi, la colonie de chimpanzés que j’étudiais trahissait toutes ces tendances "réactionnaires" à la puissance 1000: goût du pouvoir, arrivisme et jalousie. […]

Premièrement, en tant qu’être humain, j’étais sidéré par les ressemblances avec nos cousins les plus proches. Je traversais la phase que connaît tout primatologue, celle du: "Si ça, c’est un animal, je suis quoi, moi?" Deuxièmement, je faisais partie d’une joyeuse bande de hippies, et je constatais chez les grands singes des comportements courants dénoncés par les gens de ma génération. Loin de leur permettre d’influencer mon regard sur les grands singes, j’ai commencé à avoir une vision plus juste de mes camarades. Au fond, cela revenait aux fondamentaux de l’observation: la reconnaissance des formes. Peu à peu, je découvrais les manœuvres cachées pour décrocher tel ou tel poste, les coalitions qui se forment, les intrigues pour obtenir des faveurs, l’opportunisme politique, et ce dans mon propre environnement. Je ne parle pas exclusivement de la génération qui précède la mienne. Les mouvements étudiants avaient leurs mâles alpha, leurs luttes de pouvoir, leurs groupies et leurs jalousies. Pire encore, plus nous étions proches, plus la jalousie sexuelle pointait sa tête hideuse. Mes recherches sur les grands singes me donnaient la distance idéale pour identifier ces tendances; pour qui se donnait la peine de les observer, elles étaient claires comme le jour. Les leaders ridiculisaient et isolaient tous ceux qui les menaçaient et piquaient les copines des autres, alors qu’ils prêchaient les bienfaits de l’égalitarisme et de la tolérance. Il y avait un hiatus énorme entre ce que ma génération, dans ses discours politiques enflammés, prétendait être, et son comportement réel. Nous étions complètement dans le déni !

Auteur: Waal Frans de

Info: La dernière étreinte

[ psycho-sociologie ] [ primates ] [ homme-animal ] [ analogies ]

 

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égoïsme

Dis, tu as peur de te mouiller quand tu vois une injustice criante ! Pas vrai, tu ne vas pas avoir la trouille au moment de parler et d'agir... Je sais bien, chacun de nous est très fort quand il s'agit de critiquer et de râler contre une société pourrie. Mais finalement, quand il faut passer aux actes, qu'il faut s'habiller pour sortir de chez soi, on enfile ses pantoufles et sa bonne petite vie sans grosses histoires, et l'on s'excuse, et l'on trouve toujours des raisons...
Dis, qui pourra changer les structures d'une société qui aliène l'homme si tu ne participes pas avec tes camarades à ces transformations urgentes ? Tu es responsable, pour ta part, de l'avenir de l'homme. Ce qui est demandé aujourd'hui, ce n'est pas d'avoir une bonne conscience, mais d'avoir une conscience collective, sensible à tout ce qui se passe dans le monde et autour de soi. A quoi sert de balancer de grandes phrases, de toujours se gratter les méninges pour savoir ce qu'il faut faire, quand on n'a pas le courage de se salir les mains et de prendre ses responsabilités ? Ce que l'on pourrait reprocher à certains "révolutionnaires de salon", c'est qu'ils sont toujours en train de contester la société actuelle mais jamais leur propre personne, toujours à revendiquer leurs droits, sans jamais parler de leurs devoirs. Si les structures doivent changer, les mentalités aussi doivent se transformer de fond en comble. Que vaut un changement matériel si les hommes gardent profondément un esprit de profit et de domination ? Il faut attaquer sur tous les fronts...
Encore est-il nécessaire d'être secoué par un événement, par la rencontre de l'injustice, par de pauvres gens en détresse, pour prendre conscience de la nécessité des changements. C'est un peu comme un rappel brutal, au cours d'un sommeil, de la volonté de Dieu : "Je t'envoie vers tes frères pour y vivre en homme et travailler à faire régner la justice. Tu es avec moi responsable de la création." Et c'est peut-être en commençant par de petits gestes concrets que l'on devient vraiment responsable, prêt à lutter pour plus de justice et d'amour dans le monde. Tout le reste n'est que bavardage ou conversations d'intellectuels, qu'ils soient de gauche ou de droite !
Dis, si tu relisais sérieusement l'Évangiles, tu verrais sans doute à quel point celui qui se laisse saisir par le Christ devient responsable de toute un terre à connaître, à aimer...

Auteur: Imberdis P.

Info: Se salir les mains

[ solidarité ] [ action ]

 

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barbarie

Nous avancions fiers de nos triomphes, lorsque, au moment où nous nous y attendions le moins, nous voyons venir à nous un grand nombre de bataillons mexicains, poussant des cris furieux, ornés de superbes banderoles et la tête couverte de beaux panaches. Ils jettent à nos pieds cinq têtes, dégouttant de sang, qu'ils venaient de couper à nos camarades enlevés à Cortès ; en même temps ils nous crient : "C'est ainsi que nous allons vous tuer, comme nous avons massacré déjà Malinche et Sandoval, ainsi que tous ceux qui étaient avec eux. Voilà leurs têtes, reconnaissez-les bien !" […]

Quant à nous, tout en revenant sur nos pas, nous entendions des sons lugubres s'élever du grand temple des divinités Huichilobos et Tezcatepuca, dont la hauteur dominait toute la ville : c'étaient les tristes roulements d'un grand tambour, comparable aux instruments infernaux ; ses vibrations étaient telles qu'on l'entendait à deux ou trois lieues à la ronde. A côté de lui résonnaient en même temps un grand nombre d'atabales. C’est qu'en ce moment, ainsi que plus tard nous le sûmes, on offrait aux idoles dix cœurs et une grande quantité de sang de nos malheureux camarades. Détournons nos regards de ces sacrifices pour dire que nous continuions à revenir sur nos pas et que les attaques dirigées contre nous étaient incessantes tant du côté de la chaussée que des terrasses des maisons et des embarcations de la lagune. En cet instant, de nouveaux bataillons se précipitent sur nos rangs, envoyés par Guatemuz. Ils étaient excités par le son de la trompe de guerre qu’on destinait à donner le signal des combats à mort ; elle annonçait aux capitaines qu'ils devaient s'emparer de l'ennemi ou mourir à ses côtés. Ses éclats étaient si aigus qu'on en avait les oreilles assourdies. Aussitôt que les bataillons et leurs chefs les eurent entendus, il fallait voir avec quelle rage ils cherchaient à enfoncer nos rangs pour mettre la main sur nous! C'était épouvantable! Et maintenant que j'y reporte ma pensée, il me semble voir encore ce spectacle ; mais il me serait impossible de le décrire. La vérité que je dois confesser ici, c'est que Dieu seul pouvait nous soutenir, après les blessures que nous avions reçues ; ce fut bien lui qui nous sauva, car autrement nous n’aurions jamais pu revenir à notre camp. Je lui rends milles grâces et je chante ses louanges pour m'avoir délivré des mains des Mexicains, cette fois comme en tant d'autres circonstances.

Auteur: Del Castillo Bernal Díaz

Info: Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne Coffret 2 volumes

[ colonialisme ] [ guerre ]

 

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révolution française

Un gentilhomme, nommé M. de Châtaubrun, avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire; il avait été mis sur le fatal tombereau et conduit au lieu de l'exécution. Après la Terreur, il est rencontré parmi de ses amis, qui pousse un cri d'étonnement, ne peut croire ses yeux, et lui demande l'explication d'une chose si étrange. Il la lui donna, et je la tiens de son ami. Il fut conduit au supplice avec vingt autres malheureuses victimes. Après douze ou quinze exécutions, une partie de l'horrible instrument se brisa ; on fit venir un ouvrier pour le réparer. Le condamné était avec les autres victimes, auprès de l'échafaud, les mains liées derrière le dos. La réparation fut longue. Le jour commençait à baisser; la foule très-nombreuse des spectateurs était occupée du travail qu'on faisait à la guillotine bien plus que des victimes qui attendaient la mort; tous, et les gendarmes eux-mêmes, avaient les yeux fixés sur l'échafaud. Résigné, mais affaibli, le condamné se laissait aller sur les personnes qui étaient derrière lui. Pressées par le poids de son corps, elles lui firent place machinalement; d'autres firent de même, toujours occupées du spectacle qui captivait toute leur attention. Insensiblement il se trouva dans les derniers rangs de la foule, sans l'avoir cherché, sans y avoir pensé. L'instrument rétabli, les supplices recommencèrent; on en pressait fin. Une nuit sombre dispersa les bourreaux et les spectateurs. Entraîné par la foule, il fut d'abord étonné de sa situation; mais il conçut bientôt l'espoir de se sauver. Il se rendit aux Champs-Elysées; là, il s'adressa à un homme qui lui parut être un ouvrier. Il lui dit, en riant, que des camarades avec qui il badinait lui avaient attaché les mains derrière le dos et pris son chapeau, en lui disant de l'aller chercher. Il pria cet homme de couper les cordes. L'ouvrier avait un couteau et les coupa, en riant, du tour qu'on lui racontait. M. de Châtaubrun lui proposa de le régaler dans un des cabarets qui sont aux Champs-Elysées. Pendant ce petit repas, il paraissait attendre que ses camarades vinssent lui rendre son chapeau. Ne les voyant pas arriver, il pria son convive de porter un billet à un de ses amis, qu'il voulait prier de lui apporter un chapeau, parce qu'il ne voulait pas traverser les rues la tête nue. Il ajoutait que cet ami lui apporterait de l'argent, et que ses camarades avaient pris sa bourse en jouant avec lui. Ce brave homme crut tout ce que lui disait M. de Châtaubrun se chargea du billet, et revint une demi-heure après avec, cet ami.

Auteur: Vaublanc Vincent-Marie Viénot comte de

Info: Mémoires

[ évasion ] [ anecdote ]

 

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dernières paroles

Maman chérie,

La censure allemande ne me permettant pas de mettre sur mes lettres tout ce que je désirerais te faire savoir, je te fais parvenir ce message que tu ne liras qu'après la Victoire.
Je voudrais te dire tout d'abord le chagrin que j'ai de ton malheur, et mon angoisse quand j'ai appris que vous aviez failli être fusillés et que ce n'est qu'à la dernière minute que vous avez été sauvés. Il ne suffisait pas que tu me perdes, il fallait aussi que toute la famille expie le crime d'avoir voulu sauver la Patrie. (...)
Je voudrais maintenant te dire, maman chérie, ce qu'a été ma vie depuis le 30 juin. Je suis seul dans une cellule sans soleil, comme la plupart des autres camarades de souffrances et de combat, mourant de faim, sale, à peine à manger, pas de promenade, pas de lecture, souffrant de froid, et depuis le 7 juillet, je porte nuit et jour les menottes derrière le dos. Je serais un bien mauvais Français, si je n'avais pu trouver le moyen de les ôter !
Le seul réconfort à tous ces supplices (j'oubliais les coups de nerfs de boeuf que j'ai reçus à la Gestapo), c'est la certitude de la victoire* (car bien qu'au secret, on réussit à avoir quelques nouvelles) et l'héroïsme des camarades qui partent à la mort en chantant. La France peut être fière d'avoir de tels enfants. J'espère que la patrie reconnaissante saura récompenser votre sacrifice, qui est celui de tant de familles, et qu'elle saura reconstruire tous les foyers détruits par la barbarie impérialiste.
J'ai été jugé avec mes camarades le 15 octobre. Cela n'a été qu'une comédie. Nous savions à l'avance quel serait le verdict puisque, pour rien, on condamne à mort. Mon acte d'accusation portait : "propagande antifasciste et contre l'armée d'occupation, port et détention d'armes et de munitions, etc". Une seule de toutes ces choses suffisait pour me faire condamner à mort, aussi il n'y avait pas de salut possible. Nous avons tous été condamnés à la peine de mort. Notre attitude devant le tribunal a été digne et noble. Nous avons su imposer le respect à ceux qui assistaient au procès. Les soldats étaient émus, et j'en ai vu un qui pleurait. Pense que nous avions de 17 à 20 ans. Quand, après l'arrêt, le président nous a demandé si nous voulions ajouter quelque chose à nos déclarations, nous avons tous dit notre fierté de mourir pour la Patrie. J'ai moi-même répondu : "Je suis fier de mériter cette peine". S'il leur restait encore quelques scrupules, ça les leur a enlevés. (...)
Je t'embrasse une dernière fois de tout mon coeur, Maman chérie. Je meurs en Français, le front haut, ton nom sur les lèvres, ta pensée dans mon coeur. Ton petit Pierre.

Auteur: Grelot Pierre

Info: extraits de sa dernière lettre *Allusion à la capitulation de l'armée allemande à Stalingrad

[ exécution ]

 

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emploi du temps

L’été, à Iasnaïa Poliana, Lev Nikolaïevitch [Tolstoï] se lève entre dix heures et dix heures et demie. Après avoir fait sa toilette et revêtu toujours la même blouse noire, il boit son café et du thé en compagnie de sa femme. Il en boit à son content, sans se presser. S’il fait beau, le thé est servi en plein air, dans le jardin, entre les acacias, sous un grand tilleul à la vaste frondaison ; s’il pleut, la comtesse attend Lev Nikolaïevitch au salon.

Une fois terminé son thé, qu’il accompagne de deux œufs à la coque, Lev Nikolaïevitch descend dans son petit cabinet de travail aux murs entièrement couverts de rayonnages à livres de facture toute simple et se plonge dans son activité intellectuelle.

Il s’y consacre assidûment, sérieusement, jusqu’à trois heures et plus, après quoi il va travailler dans les champs s’il a quelque chose à y faire. ce n’est pas toujours le cas, car le comte ne travaille que pour les pauvres, les faibles, les veuves et les orphelins. S’il n’a rien à faire aux champs, Lev Nikolaïevitch prend un panier et s’en va en forêt ramasser des champignons, ce qui lui permet de passer quelques heures seul avec la nature et avec lui-même.

Il arrive qu’il consacre ce temps entre trois et six heures à un hôte de passage. Des personnes de connaissance ou totalement inconnues viennent parfois exprès de régions très lointaines de Russie ou de pays étrangers pour lui poser les questions les plus diverses sur la vie.

[...]

Lev Nikolaïevitch revient vers six heures et retrouve pour le repas sa nombreuse famille qui comprend dix enfants de tous âges, depuis son fils aîné de 26 ans à un nourrisson de deux mois. Il faut y ajouter les invités, les camarades des fils, les cousines et les amies des filles, les précepteurs, les gouvernantes et parfois des amis du comte et de la comtesse venus leur rendre visite. Une immense table traverse sur toute sa longueur la grande salle blanche de la vieille demeure familiale aux murs couverts de portraits d’ancêtres, qui résonne durant le repas de conversations joyeuses et bruyantes de tous les âges sur les sujets les plus divers.

Après le repas, Lev Nikolaïevitch trie et lit le volumineux courrier qui vient de lui être apporté de Toula : des lettres, des revues, des brochures et diverses correspondances en provenance du monde entier. Il est aidé dans cette tâche très fatigante par sa fille aînée Tatiana, qui souvent rédige aussi les réponses selon les instructions de son père.

Vers neuf heures, toute la famille, à l’exception des plus petits, qui vont se coucher, se réunit à nouveau dans la grande salle pour le thé du soir accompagné de fruits et se livre aux divertissements les plus variés. C’est tantôt la lecture à haute voix d’une œuvre littéraire [...], tantôt du chant [...].

Auteur: Répine Ilia

Info: "Le Comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï. Souvenirs personnels", dans "Lettres à Tolstoï et à sa famille", trad. Laure Troubetzkoy, éditions Vendémiaire, 2021

[ organisation des journées ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

dernières paroles

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta soeur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta soeur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon coeur.
Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari. Manouchian Michel
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.

Auteur: Manouchian Missak

Info: Mont-Valérien, 19 février 1944

[ exécution ]

 

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