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pouvoir sémantique

Wokisme, un protestantisme déréglé?

À l’instar de plusieurs chercheurs américains qu’il cite largement dans son étude*, l'auteur observe dans cet activisme progressiste un post-protestantisme débarrassé de sa théologie, soit un nouveau puritanisme entièrement sécularisé.

L’analogie? "La rédemption des péchés du monde ne se réalise plus à travers le sacrifice christique, mais par celui du bouc émissaire, à savoir la figure de l’homme blanc hétérosexuel, symbole qui réunit les trois fautes à la racine des injustices sexuelles, raciales et de genre: la masculinité, la blanchité et l’hétéronormativité", lit-on dans le document. Ou encore: "Les rêves d’une société parfaite que le christianisme reportait à un Royaume céleste doivent être matérialisés ici-bas et immédiatement." Interview avec un chercheur très critique à l’endroit de son objet d’étude.

- Le wokisme découlerait du protestantisme. Comment cela?

- Un certain nombre d’intellectuels protestants et catholiques nord-américains analysent le phénomène woke comme une forme de protestantisme sécularisé, c’est-à-dire l’idée qu’un certain nombre de thèmes chrétiens (l’Éden, le péché originel, la confession, le blasphème, etc.) ont été capturés par la frange progressiste de la gauche et transférés dans le champ politique. L’orthodoxie morale n’est plus produite par les Églises mais par les divers activismes qui composent le mouvement de la Justice Sociale (anti-racisme, droits LGBT, féminisme, etc. ndlr).

- Concrètement, de quelle manière se manifeste ce nouveau puritanisme?

- De multiples manières et à différents étages de la société. Essentiellement, ce puritanisme est le produit de l’hégémonie de la gauche dans les champs intellectuel et culturel. Il fabrique des hiérarchies et des tabous utiles à un certain nombre de groupes d’intérêt et circonscrit les interprétations dicibles dans les universités et les grands médias.

- On assiste, avec ce courant, à une nouvelle moralisation de l’espace public, avec une mobilisation autour de la notion de justice sociale et le souci des minorités. Ne faudrait-il pas s’en réjouir?

- Plus d’un s’en réjouissent, mais je ne partage pas cet optimisme. L’impact des idées politiques ne s’évalue pas à partir des intentions de leurs promoteurs. Or nous avons affaire à un mouvement profondément anti-libéral et passablement anti-scientifique – il suffit de lire les intellectuels qui nourrissent ce phénomène pour s’en convaincre. Rien n’est plus dangereux que des révolutionnaires qui s’imaginent pur de cœur.

- Plusieurs observateurs parlent d’une "religion civile". L’analogie au champ religieux vous semble-t-elle pertinente ?

- Elle est pertinente pour deux raisons: la première est que le wokisme fonctionne à la manière des cosmographies religieuses, c’est-à-dire qu’il procure une explication globale du fonctionnement de la société et de l’histoire, et offre à ses ouailles sens, ordre et direction. La seconde est que le comportement sectaire et les hyperboles moralisantes des activistes invitent naturellement une comparaison avec les mouvements religieux fondamentalistes. Pour preuve, le recours à des concepts infalsifiables et tout-puissants, comme le "patriarcat" ou le "racisme systémique".

- Comment comprendre que le langage du wokisme soit si présent au sein du monde protestant et de ses Églises?

- Il y a aussi beaucoup de résistance, mais je suppose qu’une partie du clergé entend profiter de la vitesse acquise de cette nouvelle religion civile, reproduisant des comportements analogues aux Églises, et capable de mobiliser certains segments de la population. Articulé autour de notions de justice sociale, d’équité, d’inclusivité, le militantisme woke peut assez aisément être réapproprié dans un contexte ecclésial. On peut aussi s’attendre à une demande par le bas, un certain nombre de membres motivés dans les communautés exigeant de leur hiérarchie un positionnement sur les grands thèmes du jour. La chose n’est pas très surprenante quand on pense, par exemple, à l’influence que le marxisme a pu exercer sur les théologiens de la libération en Amérique latine. Les Églises ne sont pas imperméables aux modes. 

- Vous pointez, au sein de ce phénomène, l’absence de "gardes-fous théologiques". Qu’entendez-vous par là?

- L’idée qu’un corpus théologique, qui s’est construit à travers des siècles d’affinage et de conciles, procure un cadre normatif à des notions de justice, de péché ou de rédemption. Libérées de ce cadre et réintroduites dans une religiosité révolutionnaire, ces idées prennent le mors aux dents. Le Royaume des Cieux se transforme en l’ambition d’établir ici-bas une société parfaitement égalitaire, quels qu’en soient les coûts.

- Vous êtes très critique à l’égard de ce mouvement. En quoi considérez-vous qu’il tende à glisser dans le fondamentalisme, voire le totalitarisme?

- La volonté de faire disparaître toutes les "inégalités", c’est-à-dire ici les disparités entre sexes ou entre populations, requiert nécessairement un État autoritaire régulant et corrigeant les effets des choix individuels. L’autoritarisme de la gauche progressiste n’est pas simplement la conséquence accidentelle d’une raideur idéologique propre au militantisme. Tout comme l’illustre l’histoire des économies planifiées, l’autoritarisme est l’inévitable propriété émergente du système.

- Votre étude souligne la contradiction de ce mouvement, dont les membres se proviennent majoritairement des classes les plus aisées…

- L’hypothèse que je trouve la plus séduisante a été formulée par le psychologue Rob Henderson: les classes supérieures nord-américaines signalent leur statut, c’est-à-dire se reconnaissent entre pairs et se distinguent du peuple, non plus seulement à l’aide de produits de luxe, mais aussi à l’aide d’idées luxueuses. Les coûts de ces idées sont assumés par les classes populaires tandis que les bénéfices à la fois matériels et immatériels sont capturés par les classes supérieures. Selon cette perspective, le wokisme est un outil dans un jeu de pouvoir et de statut. Son adoption signale son appartenance au camp du Bien et son institutionnalisation assure des débouchés professionnels à toute une classe de diplômés issus de filières académiques où le savoir tend à se dissiper au profit de l’activisme.

- N’allez-vous pas un peu loin en dénonçant une stratégie qui serait à nouveau profitable aux plus privilégiés, en faisant fi de leurs bonnes intentions?

-
Je ne pense pas que les activistes dont nous parlons ici soient des cyniques travaillant consciemment à consolider leur statut et je ne doute pas que leur mobilisation puise son énergie dans de bonnes intentions. Le problème réside dans la confusion entre les slogans et la réalité, d’une part, et dans la perception naïve que les bonnes intentions font de bonnes réformes, d’autre part. Or les réformes proposées par ces activistes (qui sont articulées sur toute une batterie de programmes préférentiels, de coûteuses formations, de régulations du langage) oscillent le plus souvent entre l’inutile et le contre-productif. 

Auteur: Moos Olivier

Info: Entretien avec Anne-Sylvie Sprenger à propos de *"The Great Awokening. Réveil militant, Justice Sociale et Religion", Religioscope, déc. 2020

[ cancel culture ] [ erreur catégorielle ] [ antispiritualisme ] [ bien maléfique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

pamphlet

Coucou ! C’est moi, me revoilà. Vous ne me reconnaissez pas ? Pourtant, vous m’avez chaque année dans votre cheminée.

C’est moi, oui, Big Father, avec ma grande barbe hydrophile, mon traîneau à clochettes et des cadeaux dégueulasses plein ma hotte, emballés dans du splendide papier clignotant.

Vous ne m’avez pas vu venir, une fois de plus ? C’est normal. Personne ne sait jamais comment je débarque. Chaque année, je trompe mon monde. On ne m’entend pas arriver, et puis un matin, c’est fait, ça y est, tout est joué. La torture des fééries recommence.

Une fois encore, j’ai réussi à suspendre, pendant la nuit, mes guirlandes grotesques en travers des rues, comme autant d’insultes anonymes. Une fois encore, mes boules multicolores et mes illuminations pernicieuses sont apparues aux vitrines. Sans que personne me voie. Sans que personne me voie jamais. Une fois encore, ma grande terreur s’installe. Les semaines vont se dérouler comme des veilles funèbres. Les gens vont courir partout, épouvantés, le long des façades, avec leurs paquets obligatoires. Il est revenu, ça y est, il s’est réinstallé, celui qu’on redoutait. Celui dont on évitait même de prononcer le nom, de crainte de le voir surgir. C’est fait. La Bête est là. L’Eminence rose est de retour. La ville n’existe plus, ni la vie, ni rien. Tout est redevenu Noël.

Comme je m’amuse, à contempler la joie qu’ils affichent et à connaître le fond noir de leurs âmes angoissées ! Qu’ils me craignent, pourvu qu’ils me célèbrent ! En vérité, ma menace les rend malades bien avant décembre. Chaque année, on voudrait espérer que je ne vais pas revenir. Chaque année, on me sent approcher comme un mal inconnu, un cauchemar, une fièvre. Le Père Noël fait peur. L’année dernière, au restaurant, j’en ai entendu plusieurs, à voix basse, dès la fin d’octobre, qui parlaient de moi avec la trouille au ventre : "Qu’est-ce que tu fais pour les fêtes ? – Mais je ne sais pas. – Comment, tu ne sais pas ? – Non, pas encore. – Tu n’as rien prévu ? Mais tu es fou ! Il faut que tu t’en occupes ! Noël c’est demain ! Et la Saint-Sylvestre ! Tu ne te rends pas compte ! D’ici quinze jours, peut-être huit, il y aura des trucs partout ! Des guirlandes ! Des boules lumineuses !"

Oui, je flanque la panique ; mais il n’y a que depuis quelques années que je commence, chez certains, je le sais, à susciter de la haine.

Oh ! pas une haine bien dangereuse ! Rien de grave. Le monde est beaucoup trop définitivement ensucré, gnangnantifié et sans retour, colonisé par les bonnes intentions, la prudence et les mièvreries, pour que je me sente en péril. L’horreur du bonheur est peut-être une idée neuve en Europe mais elle ne risque pas de faire beaucoup d’émules. Je sais qu’il y en a, chaque année, qui rêvent de vomir tout le mal qu’ils pensent de ma fête du Cœur venimeuse, de cette apothéose ravageante de l’approbation du monde, de cette culmination de la résignation enfestée. Mais je suis bien tranquille. J’ai été si souvent honni pour de mauvaises raisons que les excellentes de maintenant ne risquent pas d’être saisies avant longtemps.

Tout semble avoir été dit contre moi. la critique est recuite. C’est mon plus beau triomphe, d’avoir fatigué jusqu’à ceux qui me détestent. Quel ennui les saisit, quel accablement, dès qu’ils envisagent de me vitupérer ! Quelle sensation effarante d’inutilité ! Ils savent déjà tout ce qu’on va leur balancer ! Les accusations de banalité, de trivialité, qu’ils vont endurer ! Rentrer dans le lard du Père Noël, cette vieille porte ouverte ? Composer le millième rappel de la transformation du rite païen du solstice d’hiver en fête chrétienne à son tour sécularisée par le business ? La cent millième attaque futile contre la Nativité détournée de sa pureté originelle, noyée sous les cadeaux paralysants, les téléphones qui parlent, le super-Nintendo parfumé à la framboise, les chocolats à quartz et toutes les autres saloperies en multiplication galopante ? Vous êtes tombé sur la tête ?

Le Père Noël est une ordure ? Comme vous y allez ! Regardez-vous un peu. C’est tous les jours Noël maintenant. Ma grande réussite, c’est qu’on croit que mon oppression ne dure que quelques semaines par an, alors que je suis le ressort des illuminations des douze mois de l’année. Noël, c’est Noël. Et pâques c’est aussi Noël. Et le 15 août. Et la Saint-Sylvestre. Et le bonheur de merde des vacances, cette paix des grands cimetières sous le soleil. Les mains à Nikons valent les tronches à boudins blancs. Les gueules de camping-cars valent les têtes de bûches au chocolat. Toutes les fiestas conduisent à moi. et toutes les rages, et toutes les ruées, et toutes les foires. Et toutes les roues de la Fortune. Et tous les Manèges de la télé. Et toute la quincaillerie clinquante de l’égalité par la joie, de la fraternité par l’extase niaise, de l’apothéose du Rien tonitruant qu’on étend par couches de plus en plus épaisses sur la violence toujours recommencée, mais de plus en plus niée, du genre humain.

Qui est plus philanthrope, plus humanitaire, plus tartuffien solidaire que moi ? Qui règne davantage sur les plateaux ? L’avenir m’appartient. C’est moi le Cavalier suprême de l’Apocalypse en rose. Je préfigure si parfaitement la société future, l’humanité de demain bien gâteuse, bien transparente et transfrontières, bavante de positivité dans ses centres-villes toilettés, avec ses Twingo fœtales aux chouettes banquettes sièges-bébés, ses cadeaux infantiles, sa classe dominante d’apparatchiks du loisir, de tour-opérateurs, de charlatans de l’urbanisme rigolo, de promoteurs guimauve de la babyphilie définitive, d’entrepreneurs meurtriers de gaieté publique, qu’il faudrait la subtilité géniale d’un Kojève au moins (ce drôle de type qui avait placé sa fortune en actions de la Vache qui rit et qui avait des ennuis avec ses femmes parce qu’il refusait farouchement de leur faire des enfants) pour comprendre ce que je fabrique vraiment ; Kojève qui avait découvert, et dès 1943, qu’avec la fin de l’Histoire allait disparaître l’inégalité juridique entre l’enfant et l’adulte. "Ne pouvant pas supprimer le contrôle de l’action enfantine, on introduira donc un contrôle de l’action adulte", prévoyait-il. Mais c’est ça, Noël ! C’est exactement moi ! Mais ce qu’il n’avait pas deviné, Kojève, c’est que ça se ferait en pleine foire, en plein rideau de fumée de carnaval ! Joyeux Noël ! Bonne santé ! C’est maintenant que mon règne de corso fleuri peut démarrer.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels I - Rejet de greffe", pages 398 à 400

[ convention sociale ] [ bonheur obligatoire ] [ consumérisme ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

amélioration

Le progrès est devenu le moyen de l'aliénation
Cela fait des décennies, sinon un siècle ou deux, que des gens cherchent le mot, l'ont "sur le bout de la langue", qu'il leur échappe, leur laissant une vive et chagrine frustration - sans le mot, comment dire la chose ?
Comment donner et nommer la raison du désarroi, de la révolte, du deuil et pour finir du découragement et d'une indifférence sans fond. Comme si l'on avait été amputé d'une partie du cerveau : amnésie, zone blanche dans la matière grise.
La politique, en tout cas la politique démocratique, commence avec les mots et l'usage des mots ; elle consiste pour une part prépondérante à nommer les choses et donc à les nommer du mot juste, avec une exactitude flaubertienne. Nommer une chose, c'est former une idée. Les idées ont des conséquences qui s'ensuivent inévitablement.
La plus grande part du travail d'élaboration de la novlangue, dans 1984, consiste non pas à créer, mais à supprimer des mots, et donc des idées - de mauvaises idées, des idées nocives du point du vue du Parti -, et donc toute velléité d'action en conséquence de ces mots formulant de mauvaises idées.
Nous sommes tombés sur "regrès", il y a fort peu de temps, un bon et vieux mot de français, tombé en désuétude comme on dit, bon pour le dictionnaire des obsolètes qui est le cimetière des mots. Et des idées. Et de leurs conséquences, bonnes ou mauvaises. Un mot "oublié" ?
Difficile de croire que le mot "regrès", antonyme du "progrès" ait disparu par hasard de la langue et des têtes. Le mouvement historique de l'idéologie à un moment quelconque du XIXe siècle a décidé que désormais, il n'y aurait plus que du progrès, et que le mot de regrès n'aurait pas plus d'usage que la plus grande part du vocabulaire du cheval aujourd'hui disparu avec l'animal et ses multiples usages qui entretenaient une telle familiarité entre lui et l'homme d'autrefois.
Ainsi les victimes du Progrès, de sa rançon et de ses dégâts, n'auraient plus de mot pour se plaindre. Ils seraient juste des arriérés et des réactionnaires : le camp du mal et des maudits voués aux poubelles de l'histoire. Si vous trouvez que l'on enfonce des portes ouvertes, vous avez raison. L'étonnant est qu'il faille encore les enfoncer.
Place au Tout-Progrès donc. Le mot lui-même n'avait à l'origine nulle connotation positive. Il désignait simplement une avancée, une progression. Même les plus acharnés progressistes concéderont que l'avancée - le progrès - d'un mal, du chaos climatique, d'une épidémie, d'une famine ou de tout autre phénomène négatif n'est ni un petit pas ni un grand bond en avant pour l'humanité. Surtout lorsqu'elle se juge elle-même, par la voix de ses autorités scientifiques, politiques, religieuses et morales, au bord du gouffre.
Ce qui a rendu le progrès si positif et impératif, c'est son alliance avec le pouvoir, énoncée par Bacon, le philosophe anglais, à l'aube de la pensée scientifique et rationaliste moderne : "Savoir c'est pouvoir". Cette alliance dont la bourgeoisie marchande et industrielle a été l'agente et la bénéficiaire principale a conquis le monde. Le pouvoir va au savoir comme l'argent à l'argent. Le pouvoir va au pouvoir.
Le progrès est l'arme du pouvoir sur les sans pouvoirs
Et c'est la leçon qu'en tire Marx dans La Guerre civile en France. Les sans pouvoirs ne peuvent pas se "réapproprier" un mode de production qui exige à la fois des capitaux gigantesques et une hiérarchie implacable. L'organisation scientifique de la société exige des scientifiques à sa tête : on ne gère pas cette société ni une centrale nucléaire en assemblée générale, avec démocratie directe et rotation des tâches. Ceux qui savent, décident, quel que soit l'habillage de leur pouvoir.
Contrairement à ce que s'imaginait Tocqueville dans une page célèbre, sur le caractère "providentiel" du progrès scientifique et démocratique, entrelacé dans son esprit, le progrès scientifique est d'abord celui du pouvoir sur les sans pouvoirs.
Certes, une technicienne aux commandes d'un drone, peut exterminer un guerrier viriliste, à distance et sans risque. Mais cela ne signifie aucun progrès de l'égalité des conditions. Simplement un progrès de l'inégalité des armements et des classes sociales.
C'est cette avance scientifique qui a éliminé des peuples multiples là-bas, des classes multiples ici et prolongé l'emprise étatique dans tous les recoins du pays, de la société et des (in)dividus par l'emprise numérique.
Chaque progrès de la puissance technologique se paye d'un regrès de la condition humaine et de l'émancipation sociale. C'est désormais un truisme que les machines, les robots et l'automation éliminent l'homme de la production et de la reproduction. Les machines éliminent l'homme des rapports humains (sexuels, sociaux, familiaux) ; elles l'éliminent de lui-même. A quoi bon vivre ? Elles le font tellement mieux que lui.
Non seulement le mot de "Progrès" - connoté à tort positivement - s'est emparé du monopole idéologique de l'ère technologique, mais cette coalition de collabos de la machine, scientifiques transhumanistes, entrepreneurs high tech, penseurs queers et autres avatars de la French theory, s'est elle-même emparé du monopole du mot "Progrès" et des idées associées. Double monopole donc, et double escroquerie sémantique.
Ces progressistes au plan technologique sont des régressistes au plan social et humain. Ce qu'en langage commun on nomme des réactionnaires, des partisans de la pire régression sociale et humaine. Cette réaction politique - mais toujours à l'avant-garde technoscientifique - trouve son expression dans le futurisme italien (Marinetti) (1), dans le communisme russe (Trotsky notamment), dans le fascisme et le nazisme, tous mouvements d'ingénieurs des hommes et des âmes, visant le modelage de l'homme nouveau, de l'Ubermensch, du cyborg, de l'homme bionique, à partir de la pâte humaine, hybridée d'implants et d'interfaces.
Le fascisme, le nazisme et le communisme n'ont succombé que face au surcroît de puissance technoscientifique des USA (nucléaire, informatique, fusées, etc.). Mais l'essence du mouvement, la volonté de puissance technoscientifique, s'est réincarnée et amplifiée à travers de nouvelles enveloppes politiques.
Dès 1945, Norbert Wiener mettait au point la cybernétique, la " machine à gouverner " et " l'usine automatisée ", c'est-à-dire la fourmilière technologique avec ses rouages et ses connexions, ses insectes sociaux-mécaniques, ex-humains. Son disciple, Kevin Warwick, déclare aujourd'hui : " Il y aura des gens implantés, hybridés et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas, ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au pré. " (2)
Ceux qui ne le croient pas, ne croyaient pas Mein Kampf en 1933. C'est ce techno-totalitarisme, ce " fascisme " de notre temps que nous combattons, nous, luddites et animaux politiques, et nous vous appelons à l'aide.
Brisons la machine.

Auteur: PMO

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[ décadence ]

 

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taylorisme

Quoique Taylor ait baptisé son système "Organisation scientifique du travail", ce n’était pas un savant. Sa culture correspondait peut-être au baccalauréat, et encore ce n’est pas sûr. Il n’avait jamais fait d’études d’ingénieur. Ce n’était pas non plus un ouvrier à proprement parler, quoiqu’il ait travaillé en usine. Comment donc le définir ? C’était un contremaître, mais non pas de l’espèce de ceux qui sont venus de la classe ouvrière et qui en ont gardé le souvenir. C’était un contremaître du genre de ceux dont on trouve des types actuellement dans les syndicats professionnels de maîtrise et qui se croient nés pour servir de chiens de garde au patronat. Ce n’est ni par curiosité d’esprit, ni par besoin de logique qu’il a entrepris ses recherches. C’est son expérience de contremaître chien de garde qui l’a orienté dans toutes ses études et qui lui a servi d’inspiratrice pendant trente-cinq années de recherches patientes. C’est ainsi qu’il a donné à l’industrie, outre son idée fondamentale d’une nouvelle organisation des usines, une étude admirable sur le travail des tours à dégrossir.

Taylor était né dans une famille relativement riche et aurait pu vivre sans travailler, n’étaient les principes puritains de sa famille et de lui-même, qui ne lui permettaient pas de rester oisif. Il fit ses études dans un lycée, mais une maladie des yeux les lui fit interrompre à 18 ans. Une singulière fantaisie le poussa alors à entrer dans une usine où il fit un apprentissage d’ouvrier mécanicien. Mais le contact quotidien avec la classe ouvrière ne lui donna à aucun degré l’esprit ouvrier. Au contraire, il semble qu’il y ait pris conscience d’une manière plus aiguë de l’opposition de classe qui existait entre ses compagnons de travail et lui-même, jeune bourgeois, qui ne travaillait pas pour vivre, qui ne vivait pas de son salaire, et qui, connu de la direction, était traité en conséquence.

Après son apprentissage, à l’âge de 22 ans, il s’embaucha comme tourneur dans une petite usine de mécanique, et dès le premier jour il entra tout de suite en conflit avec ses camarades d’atelier qui lui firent comprendre qu’on lui casserait la figure s’il ne se conformait pas à la cadence générale du travail ; car à cette époque régnait le système du travail aux pièces organisé de telle manière que, dès que la cadence augmentait, on diminuait les tarifs. Les ouvriers avaient compris qu’il ne fallait pas augmenter la cadence pour que les tarifs ne diminuent pas ; de sorte que chaque fois qu’il entrait un nouvel ouvrier, on le prévenait d’avoir à ralentir sa cadence sous peine d’avoir la vie intenable.

Au bout de deux mois, Taylor est arrivé à devenir contremaître. En racontant cette histoire, il explique que le patron avait confiance en lui parce qu’il appartenait à une famille bourgeoise. Il ne dit pas comment le patron l’avait distingué si rapidement, puisque ses camarades l’empêchaient de travailler plus vite qu’eux, et on peut se demander s’il n’avait pas gagné sa confiance en lui racontant ce qui s’était dit entre ouvriers.

Quand il est devenu contremaître, les ouvriers lui ont dit : "On est bien content de t’avoir comme contremaître, puisque tu nous connais et que tu sais que si tu essaies de diminuer les tarifs on te rendra la vie impossible." À quoi Taylor répondit en substance : "Je suis maintenant de l’autre côté de la barricade, je ferai ce que je dois faire." Et en fait, ce jeune contremaître fit preuve d’une aptitude exceptionnelle pour faire augmenter la cadence et renvoyer les plus indociles.

Cette aptitude particulière le fit monter encore en grade jusqu’à devenir directeur de l’usine. Il avait alors vingt-quatre ans.

Une fois directeur, il a continué à être obsédé par cette unique préoccupation de pousser toujours davantage la cadence des ouvriers. Évidemment, ceux-ci se défendaient, et il en résultait que ses conflits avec les ouvriers allaient en s’aggravant. Il ne pouvait exploiter les ouvriers à sa guise parce qu’ils connaissaient mieux que lui les meilleures méthodes de travail. Il s’aperçut alors qu’il était gêné par deux obstacles : d’un côté il ignorait quel temps était indispensable pour réaliser chaque opération d’usinage et quels procédés étaient susceptibles de donner les meilleurs temps ; d’un autre côté, l’organisation de l’usine ne lui donnait pas le moyen de combattre efficacement la résistance passive des ouvriers. Il demanda alors à l’administrateur de l’entreprise l’autorisation d’installer un petit laboratoire pour faire des expériences sur les méthodes d’usinage. Ce fut l’origine d’un travail qui dura vingt-six ans et amena Taylor à la découverte des aciers rapides, de l’arrosage de l’outil, de nouvelles formes d’outil à dégrossir, et surtout il a découvert, aidé d’une équipe d’ingénieurs, des formules mathématiques donnant les rapports les plus économiques entre la profondeur de la passe, l’avance et la vitesse des tours ; et pour l’application de ces formules dans les ateliers, il a établi des règles à calcul permettant de trouver ces rapports dans tous les cas particuliers qui pouvaient se présenter.

Ces découvertes étaient les plus importantes à ses yeux parce qu’elles avaient un retentissement immédiat sur l’organisation des usines. Elles étaient toutes inspirées par son désir d’augmenter la cadence des ouvriers et par sa mauvaise humeur devant leur résistance. Son grand souci était d’éviter toute perte de temps dans le travail. Cela montre tout de suite quel était l’esprit du système. Et pendant vingt-six ans il a travaillé avec cette unique préoccupation. Il a conçu et organisé progressivement le bureau des méthodes avec les fiches de fabrication, le bureau des temps pour l’établissement du temps qu’il fallait pour chaque opération, la division du travail entre les chefs techniques et un système particulier de travail aux pièces avec prime.

[...]

La méthode de Taylor consiste essentiellement en ceci : d’abord, on étudie scientifiquement les meilleurs procédés à employer pour n’importe quel travail, même le travail de manœuvres (je ne parle pas de manœuvres spécialisés, mais de manœuvres proprement dits), même la manutention ou les travaux de ce genre ; ensuite, on étudie les temps par la décomposition de chaque travail en mouvements élémentaires qui se reproduisent dans des travaux très différents, d’après des combinaisons diverses ; et une fois mesuré le temps nécessaire à chaque mouvement élémentaire, on obtient facilement le temps nécessaire à des opérations très variées. Vous savez que la méthode de mesure des temps, c’est le chronométrage. Il est inutile d’insister là-dessus. Enfin, intervient la division du travail entre les chefs techniques. Avant Taylor, un contremaître faisait tout ; il s’occupait de tout. Actuellement, dans les usines, il y a plusieurs chefs pour un même atelier : il y a le contrôleur, il y a le contremaître, etc.

Auteur: Weil Simone

Info: "La condition ouvrière", Journal d'usine, éditions Gallimard, 2002, pages 310 à 314

[ biographie ] [ résumé ]

 

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Ajouté à la BD par Coli Masson

anti-populisme

[Trump] n’était assurément pas l’ennemi des riches, dont il a beaucoup réduit les impôts. Mais il a aussi piétiné l’image idyllique de la mondialisation qui se trouve au fondement de la vision bourgeoise du monde depuis les années 1990. Il a eu des mots cruels pour les médias, la Silicon Valley et Wall Street. Il a critiqué l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et prétendu s’opposer aux "guerres sans fin" au Proche-Orient. Enfin, bien qu’il n’ait presque rien fait pour y remédier, à l’exception de mesures protectionnistes que son successeur a eu l’intelligence politique de ne pas remettre en question, il a réveillé la colère de millions de travailleurs blancs – la hantise de l’élite éclairée depuis les années 1960. […]

On pourrait longtemps égrener les fake news du journalisme anti-Trump. Elles se comptent par dizaines, à tel point que, d’après le journaliste Matt Taibbi, la succession frénétique de pseudo-scandales a fini par servir de modèle économique aux médias : sitôt une affaire dégonflée, une autre venait la remplacer, leur assurant des succès d’audience tout au long cette présidence. Selon un recensement établi par le New York Times, 1 200 livres ont été publiés sur M. Trump entre 2016 et août 2020. Au cours de son mandat, les chaînes de télévision câblées ont rapporté ses méfaits avec un tel acharnement qu’il ne leur restait souvent plus assez de temps pour se soucier du reste de l’actualité. Son irruption sur la scène nationale leur a autant profité qu’aux plus fervents adeptes du président. Lui résister procurait par ailleurs à ces journalistes une raison d’être, comme le suggère un mème très populaire sur Internet ces dernières années : "Si vous vous êtes déjà demandé ce que vous auriez fait au temps de l’esclavage, de l’Holocauste ou du mouvement des droits civiques, vous allez à présent le découvrir". La guerre contre M. Trump a simplifié le monde à outrance, repeignant le moindre fait aux couleurs de l’urgence morale. […]

En termes de mots par mois de mandat, l’administration Trump doit avoir été la plus disséquée de l’histoire des États- Unis. L’hystérie "progressiste" qui l’a accompagnée n’a fait en revanche l’objet de presque aucune analyse sérieuse. Elle relève pourtant de l’histoire culturelle des années Trump, tout autant que le personnage lui-même. En fait, cette banalisation de l’outrance importe même davantage, car elle reflète les pensées et les craintes du groupe social dominant aux États-Unis, les millions de cadres et de membres des professions intellectuelles supérieures qui ont tant prospéré ces dernières décennies. Si M. Trump n’est plus autant sur le devant de la scène – pour le moment – les "cols blancs" qui l’ont méprisé continuent de savourer leur victoire. Leur vision du monde imprègne désormais toutes les grandes institutions : la Silicon Valley, Wall Street, les universités, les médias, le secteur associatif. […]

Quand Timothy Snyder [l’écrivain anti-Trump auteur du livre "De la tyrannie"] prédisait, en 2017, que les États-Unis risquaient de sombrer dans une "culture de la dénonciation", il avait parfaitement raison – à ceci près que les internautes "progressistes", et non M. Trump, allaient bientôt réclamer la défenestration des ennemis de la vertu. Il n’avait pas tort non plus de mettre en garde contre une imminente "suspension de la liberté d’expression" – à ceci près que la prophétie fut réalisée par le sympathique monopole des réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, et non par le régime de M. Trump. Dans son manuel de résistance à la dictature, Snyder s’adresse aux diplômés de l’enseignement supérieur, les implorant de commencer à agir en tant que membres d’une même classe, afin d’exercer "un certain pouvoir". Ce genre d’invocation est récurrent. Le seul moyen d’arrêter l’autoritarisme serait de renforcer le pouvoir des figures traditionnelles de l’autorité, des "autorités autorisées", pourrait-on dire : la cohorte de diplômés qui forment la classe des commentateurs, professeurs, éditorialistes, financiers, docteurs, avocats et génies des nouvelles technologies. Depuis 2016, l’idée a été rebattue sur tous les tons : un Trump est ce que vous récoltez chaque fois que vous ne respectez pas ceux qui savent. Mais aussi : si M. Trump est bien Hitler, alors il faut écraser son mouvement, censurer ses partisans, refuser qu’ils profitent des règles de la démocratie ordinaire pour la détruire. Douter de la parole des autorités serait le premier pas vers le "crépuscule de la démocratie", pour reprendre le titre d’un ouvrage publié en 2020 par Anne Applebaum.

Selon cette essayiste très populaire, ce qui a mené à la terrible ère de M. Trump est la fragmentation des élites dirigeantes. Applebaum se remémore avec émotion l’époque où les intellectuels vivaient en harmonie, où ses amis s’accordaient sur les bienfaits de la mondialisation néolibérale et où tous psalmodiaient les mêmes tables de la Loi. Hélas, regrette- t-elle, certains "membres de l’élite intellectuelle et diplômée", y compris parmi ses propres amis, se sont mis à contester "le reste de l’élite intellectuelle et universitaire". Une "trahison", estime Applebaum, qui renvoie elle aussi à Hitler. Que des gens instruits ne s’accordent pas toujours entre eux apparaît inconcevable à l’auteure, pour qui la doctrine de la méritocratie est le mécanisme permettant à une société de choisir une élite qui croit aux mêmes choses qu’Applebaum. Penser autrement reviendrait à trahir sa responsabilité d’intellectuel. Aucun des semeurs de panique évoqués ici ne prend au sérieux les questions et les forces sociales qui ont poussé les Américains à voter pour M. Trump. […]

Qu’est-ce qui déclenche une telle réaction ? […] Les discours les plus outranciers proviennent des classes les plus privilégiées de la société : autrefois, les patrons de presse, chefs d’entreprise et avocats d’affaires ; désormais, les surdiplômés qui exercent un contrôle hégémonique sur les médias et l’industrie de la "connaissance". Dans chacun des épisodes cités, ils percevaient les mouvements politiques de leur pays comme un péril mortel pour leur propre statut. […] La fureur anti-Trump est souvent considérée comme un phénomène progressiste, voire une renaissance de la gauche. Mais elle a aussi ouvert la voie à cette nouvelle forme d’autoritarisme, portée par des démocrates. Dans le paysage politique contemporain, on entend désormais des avocats reconnus exprimer leur aversion pour la liberté d’expression, des banques, des services de renseignement et des industriels de la défense déclarer leur solidarité avec les minorités opprimées, des élus démocrates faire pression sur Google, Facebook ou Twitter pour qu’ils recourent plus systématiquement à la censure – le tout sur fond de condamnation de la nocivité intrinsèque de la classe ouvrière blanche. Ainsi s’exprime une aristocratie qui refuse de tolérer l’existence même d’une partie appréciable de la population qu’elle gouverne. À ses yeux, les seules "normes" qui semblent désormais compter sont celles qui la maintiendront tout au sommet.

Auteur: Frank Thomas

Info: https://www.monde-diplomatique.fr/2021/08/FRANK/63420

[ adversaires ] [ pensée unique ] [ conservation du pouvoir ] [ GAFAM ] [ point godwin ] [ état profond ]

 

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compromission

En mai 68 mai et dans le sillage de l’événement sont apparus de nouveaux thèmes portant sur la sexualité, l’éducation des enfants, la psychiatrie, la culture, qui sont venus interpeller les schémas de la lutte des classes et les idéologies de l’extrême gauche traditionnelle. Le gauchisme culturel naît précisément dans ce cadre et c’est lui qui va le premier déplacer l’axe central de la contestation vers les questions sociétales, à la manière de l’époque, c’est-à-dire de façon radicale et délibérément provocatrice. Il est ainsi devenu le vecteur d’une révolution culturelle qui a mis à mal l’orthodoxie des groupuscules d’extrême-gauche, avant de concerner l’ensemble de la gauche et de se répandre dans la société. Quand on étudie la littérature gauchiste de l’immédiat après-Mai, on est frappé de retrouver nombre de thèmes du gauchisme culturel d’aujourd’hui, mais, en même temps, ces derniers semblent bien mièvres et presque banalisés en regard de la rage dont faisaient preuve les révolutionnaires de l’époque. Leur remise en question radicale a concerné bien des domaines dont nous ne pouvons rendre compte dans le cadre limité de cet article 34. Mais il suffit d’évoquer ce qu’il en fut en matière de mœurs et de sexualité au début des années 1970 pour mieux cerner le fossé qui nous sépare du présent. Le désir était alors brandi comme une arme de subversion de l’ordre établi qui devait faire sauter tous les interdits, les tabous et les barrières. Il s’agissait de faire tomber tous les masques, en pourchassant les justifications et les refoulements au cœur même des discours les plus rationnels et les plus savants. Être "authentique", c’était oser, si l’on peut dire, regarder le désir en face et ne plus craindre d’exprimer en toute liberté le chaos que l’on porte en soi. C’est sans doute pour cette raison que sur le front du désir la classe ouvrière a pu apparaître muette à beaucoup.

Les religions juives et chrétiennes, la "morale bourgeoise", l’idéologie, le capitalisme réprimaient le désir, il s’agissait alors ouvertement de tout mettre à bas pour le libérer. Le mariage et la famille n’échappaient pas à un pareil traitement. Ils étaient considérés comme un dispositif central dans ce vaste système de répression, la cellule de base du système visant à castrer et à domestiquer le désir en le ramenant dans les credo de la normalité. Les lesbiennes et les gays revendiquaient clairement leur différence en n’épargnant pas les " hétéro-flics", la "virilité fasciste", le patriarcat. Il était alors totalement exclu de se marier et de rentrer dans le rang.

On peut mesurer les différences et le chemin parcouru depuis lors. Nous sommes passés d’une dynamique de transgression à une banalisation paradoxale qui entend jouer sur tous les plans à la fois: celui de la figure du contestataire de l’ordre établi, celui de la minorité opprimée, celui de la victime ayant des droits et exigeant de l’État qu’il satisfasse au plus vite ses revendications, celui du Républicain qui défend la valeur d’égalité, celui du bon père et de la bonne mère de famille…

Mais, en même temps, force est de constater que nombre de thèmes de l’époque font écho aux postures d’aujourd’hui. Il en est ainsi du culte des sentiments développé particulièrement au sein du MLF. Renversant la perspective du militantisme traditionnel, il s’agissait déjà de partir de soi, de son "vécu quotidien", de partager ce vécu avec d’autres et de le faire connaître publiquement. On soulignait déjà l’importance d’une parole au plus près des affects et des sentiments. Alors que l’éducation voulait apprendre à les dominer, il fallait au contraire ne plus craindre de se laisser porter par eux. Ils exprimaient une révolte à l’état brut et une vérité bien plus forte que celle qui s’exprime à travers la prédominance accordée à la raison. À l’inverse de l’idée selon laquelle il ne fallait pas mêler les sentiments personnels et la politique, il s’agissait tout au contraire de faire de la politique à partir des sentiments. Trois préceptes du MLF nous paraissent condenser le renversement qui s’opère dès cette période: "Le personnel est politique et le politique est personnel";  "Nous avons été dupés par l’idéologie dominante qui fait comme si “la vie publique” était gouvernée par d’autres principes que la vie privée”; "Dans nos groupes, partageons nos sentiments et rassemblons-les et voyons où ils nous mèneront. Ils nous mèneront aux idées puis à l’action". Ces préceptes condensent une nouvelle façon de faire de la "politique" qui fera de nombreux adeptes.

Resterait à tracer la genèse de ce curieux destin du gauchisme culturel jusqu’à aujourd’hui, la perpétuation de certains de ses thèmes et leur transformation. L’analyse de l’ensemble du parcours reste à faire, mais cette dernière implique à notre sens la prise en compte du croisement qui s’est opéré entre ce gauchisme de première génération avec au moins trois grands courants: le christianisme de gauche, l’écologie politique et les droits de l’homme. C’est dans la rencontre avec ces courants que le gauchisme culturel s’est pacifié, pris un côté boy-scout et faussement gentillet, et qu’il s’est mis à revendiquer des droits. Mais c’est surtout dans les années 1980 que le gauchisme culturel va recevoir sa consécration définitive dans le champ politique, plus précisément au tournant des années 1983-1984, au moment où la gauche change de politique économique sans le dire clairement et entame la "modernisation " Le gauchisme culturel va alors servir de substitut à la crise de sa doctrine et masquer un changement de politique économique mal assumé. À partir de ce moment, la gauche au pouvoir va intégrer l’héritage impossible de mai 68, faire du surf sur les évolutions dans tous les domaines, et apparaître clairement aux yeux de l’opinion comme étant à l’avant-garde dans le bouleversement des mœurs et de la "culture". Nous ne sommes pas sortis de cette situation.

Au terme de ce parcours qui rend compte des glissements opérés par la gauche et de l’influence du gauchisme culturel en son sein, il nous paraît possible de poser sans détour ce qui n’est plus tout à fait une hypothèse: nous assistons à la fin d’un cycle historique dont les origines remontent au XIXe siècle; la gauche a atteint son point avancé de décomposition, elle est passée à autre chose tout en continuant de faire semblant qu’il n’en est rien; il n’est pas sûr qu’elle puisse s’en remettre. Le gauchisme culturel, qui est devenu hégémonique à gauche et dans la société, a été un vecteur de cette décomposition et son antilibéralisme intellectuel, pour ne pas dire sa bêtise, est un des principaux freins à son renouvellement. La gauche est-elle capable de rompre clairement avec lui ? Rien n’est certain étant donné la prégnance de ses postures et de ses schémas de pensée.


Auteur: Le Goff Jean-Pierre

Info: "Du gauchisme culturel et de ses avatars" , Le Débat n° 176, septembre-octobre 2013, p.49-55.

[ hypocrisie ] [ détournement ]

 

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terme univers

20 définitions pour bytie - бытие 

1. Bien que le mot provienne du verbe russe signifiant " être ", sa signification exacte contient une propriété métaphysique que l'anglais ne peut pas transmettre. " Bytie " (бытие) fait allusion à une hyper-conscience ou à un état d'esprit objectif et analytique. Les dictionnaires russe-anglais pourraient le traduire par " être ".

2. Je suis assis en classe alors qu'il est question du pouvoir de l'océan, de donner la vie et de la reprendre. Ce n’est qu’à l’âge de 18 ans que j’ai entendu parler de nombreux membres de ma famille disparus en mer. Je ne sais pas pourquoi ma famille ne m'a jamais parlé de ces gens que je n'ai jamais rencontrés. C'était normal, je suppose, d'appartenir à l'océan. Je suppose que je n'ai pas demandé.

3. Le premier moment où j'entends parler de l'utilisation russe du bytie est lors d'un examen des " Problèmes de l'organisation scientifique de la vie quotidienne " de V. Kuzmin. Kuzmin prône une planification rigide de chaque moment de la journée. Il soutient que la vie la plus heureuse est celle " où les hommes et les femmes vivent selon l’organisation scientifique de la vie matérielle : espace de vie, lumière, couleur, ventilation et environnement total dans l’espace intérieur ". La meilleure utilisation de la vie quotidienne pour Kuzmin était vue comme outil de contrôle.

4. A 21h50, je reçois un message qui se lit comme suit : " Quelle est votre définition du bonheur ? Ou les choses qui, si elles se produisaient, vous mettraient dans un état de bonheur au moins à moyen terme ? C'est intéressant de voir comment chaque personne définit le bonheur à sa manière. "

5. Je porte l'alliance de mon arrière-grand-mère autour du cou. Elle a 101 ans. J'ai son nom. Elle est morte bien avant ma naissance. Même si nous parlions la même langue, je ne sais pas ce que nous aurions eu à nous dire. Sa vie semblait tellement différente de la mienne.

6. Nom : Être, Entité, quelque chose qui va au-delà de ce que nous connaissons dans notre existence liée à l'ego.

7. Se souvenir de choses qui vous font complètement sortir de votre corps, sourire, respirer et vous amuser pour le plaisir, pour que tous les problèmes disparaissent pendant qu'on danse, sachant qu'en cet instant on se sent reconnaissant d’être exactement là où on est.

8. Je trouve plus facile d’écrire sur le passé que sur le présent. Le passé est explicable, passionnant, quelque chose qui peut être réécrit. Il y a quelque chose là-dedans qui semble si simple, même si je suis sûr que ce n'est pas le cas. J'imagine mon arrière-grand-mère élever ses enfants dans la petite cabane dans laquelle je passais mes étés, à faire du pain et à me baigner dans les cascades. Je pense à ce que ce serait de vivre là-bas en hiver, avec le poêle à bois et les repas composés de conserves, de poisson salé et de pain séché – lorsque la rivière gelait et leurs pieds aussi. Je pense aux bouillottes dont mon grand-père a toujours dépendu, même lorsqu'il vivait dans une maison avec chauffage et électricité. Parfois, le froid peut vous accompagner pour toujours.

9. 9h55, le message continue.  Je me demande si la personne moyenne est plus heureuse qu’elle n’aurait pu l’être il y a cent ans, ou deux cents ans, et si oui, le but ultime de l’évolution de la société est-il d’être heureux ? Je ne sais plus. J'y ai beaucoup réfléchi ces derniers temps. J'essaie de croire que le bonheur à court terme est possible. Si oui, que devrions-nous faire pour y parvenir ?

10. " bytie n'est pas seulement la vie ou l'existence, c'est l'existence d'une réalité objective indépendante de la conscience humaine (cosmos, nature, matière). "

11. Je ne peux rien concevoir en dehors de l'humeur dans laquelle je me trouve actuellement. Pour lutter contre cela, je m'écrirai des notes sur chaque état d'esprit, sachant que plus tard je ne croirai jamais avoir été aussi heureux ou aussi triste.

12. Comment l’amour se manifeste-t-il dans notre corps ? On me dit de remarquer ce qui se passe sur mon visage, si mes sourcils sont haussés, si je respire par les épaules. Chaque fois que je dis que je ferai attention et que je me souviendrai, je serai présente, je laisserai les sentiments sortir de mon ventre et entrer dans mes doigts. A chaque fois j'oublie.

13. 9:57, je réponds : "La passion. Passion = être tellement immergé dans quelque chose qui me tient à cœur qu'il m'est impossible de penser à autre chose. Créer autant que je peux sans les contraintes de l'argent et créer avec des gens que j'aime et qui partagent mes passions. Être capable d'inculquer aux autres la valeur de la passion et de l'expression créative".

14. Mots associés : personnage, personne, âme, esprit, fantôme, création, essence, vent.

15. Je veux pouvoir revenir sur chaque époque de ma vie et être heureuse d'y avoir vécu. Même si je ressens de la peur en me regardant dans le miroir et en me demandant si je pourrai un jour me tenir droite, je sais que je ne serai pas là pour toujours.

16. J'entends une femme dans la salle de bains qui parle au téléphone avec l'accent de Terre-Neuve, l'accent dont je n'ai pas hérité. Je me demande pourquoi je l'ai perdu. Le plus souvent, on me demande pourquoi je ne parle pas comme le reste de ma famille. Est-ce que j'efface mon histoire parce que je n'aime pas mes origines ? Je l'ai appris à l'extérieur de moi. Parfois, j'aimerais que ce ne soit pas le cas. Qu'est-ce que signifie le dressage dans ce sens, en quoi est-il récompensé ? Renforcement positif si tu ne ressembles pas au passé.

17. J'aime la créativité et j'aime ceux qui sont passionnés par la créativité. Est-ce que cela dicte qui je me permets d'aimer ?

18. 10h01, mon ami répond. " C'est bien que tu saches quel est ton bonheur. C'est bien que quelqu'un puisse le mettre en mots. "

19. Bytie : la vie quotidienne, comment vivent les gens.

20. Je ne comprends pas comment exister dans le quotidien. Parfois, ça fait mal. Parfois, cela fait plus mal que vous ne pourriez jamais l'imaginer. Mais parfois, je me retrouve dans des endroits inattendus, dans des coins du monde dont je pensais qu'ils ne signifiaient rien jusqu'à en aimer la poussière. Je dois m'en souvenir. C'est la leçon. Je peux écrire ce qui se trouve au bout de mes orteils lorsque je m'étire, je peux écrire pour des mains qui apprécient ma douceur. Pour les mains qui ont perdu les mêmes choses que moi, pour une étincelle et un baiser dans la bonne direction. Écrire pour eux, pour ce à quoi le plafond ressemblerait si l'on prenait une respiration et si l'on prêtait attention. Il faut que je commence à faire attention.

Auteur: Internet

Info: https://thestrand.ca/ Ellen Grace -  29 avril 2019

[ intraduisible ]

 

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femmes-par-hommes

Depuis longtemps déjà, on a écrit que les mouvements des cuisses à bicyclette provoquaient des frottements, des frictions des lèvres et du clitoris et amenaient la femme à des pratiques vicieuses. Le grand argument de ceux qui appuyaient cette théorie était d'après eux la ressemblance entre les mouvements que fait l'ouvrière actionnant une machine à coudre et une touriste actionnant un cycle. Voici, découpées, dans un journal nullement médical, et qui, pour cette raison, tranche gravement les questions de médecine, quelques lignes parues au milieu de l'année 1894 :

"Pour les femmes, l'effet résultant de l'usage de la bicyclette est aussi très grave. Qu'on se souvienne des désordres, constatés médicalement, que causent les machines à coudre chez les ouvrières qui en font un usage constant et se livrent à cette fatigante occupation du matin au soir. Toutes sortes de maladies de genre spécial se sont révélées chez ces laborieuses, mais un fait particulier a été remarqué également, c'est le développement précoce dans ce milieu de travail de la nymphomanie et de l'hystérie caractérisée. La cyclomanie, en dehors de ses périls ordinaires, comporte pour les femmes les mêmes inconvénients que la machine à coudre. Elle amène les mêmes effervescences, les mêmes surexcitations lubriques, les mêmes accès de folie sensuelle."

Belle tirade peut-être, mais combien fausse ; il va nous être facile de le démontrer, tant par les articles des maîtres qui ont écrit sur ce sujet que par les résultats de notre enquête et de notre expérience déjà ancienne.

Il est très difficile, au premier abord, pour les médecins, dit le docteur Martin, d'analyser les sensations ressenties par les femmes qui recherchent dans cet instrument une excitation génésique d'ordre particulier, et la délicatesse du sujet empêchera souvent de pousser jusque-là l'interrogatoire, sans compter les révélations sur la voie desquelles on mettrait, par cela même, des jeunes filles inconscientes du fait.

Les effets produits par la machine à coudre et la bicyclette ont été comparés. On sait combien l'emploi de la première peut avoir de dangers, car le mouvement de va-et-vient de la pédale n'est ni large, ni complet, il ébranle la partie inférieure du corps ; c'est une sorte de crispation des mollets qui n'est pas compensée par le balancement du corps et des bras, les grandes lèvres frottent sur les petites et la chaleur qui en résulte provoque fréquemment l'onanisme.

Une femme à la machine à coudre reste dans une atmosphère confinée et doit avoir les yeux sur son travail. La position occasionne une pression sur les organes pelviens. Avec son mouvement court, rapide, limité aux muscles de la cuisse et du jarret sans déplacement du sujet, la machine à coudre ne peut être comparée à la bicyclette, qui met en action tout le membre inférieur et qui est utilisée en plein air. (...)

Tandis qu'à bicyclette, s'il y a masturbation, c'est qu'il y a manoeuvre de la femme, soit en se penchant en avant sur le pommeau de la selle, de façon à ce que la vulve vienne à frictionner sur ce pommeau, soit en serrant les cuisses pour actionner l'une contre l'autre les grandes lèvres et transmettre ainsi le mouvement aux petites lèvres et au clitoris." ( ... )

M. Verchère connaît une jeune dame bicycliste qui lui a avoué s'offrir à volonté, sur sa bicyclette, deux ou trois séances, à intervalles voulus, de masturbation complète. Elle avoua aussi, il est vrai, qu'elle avait d'autres procédés pour remplacer sa bicyclette.

D'autre part, M. Dickinson, dans The American Journal of Obstetrics (1895), écrit qu'une jeune femme, possédant une expérience très grande des plaisirs sexuels, ne pouvait pas obtenir de jouissances plus intenses que celles produites par l'usage de la bicyclette.

M. Wance a vu une jeune fille de 15 ans, cycliste assidue, devenue pâle, surmenée, quelque peu émaciée. Le bec de la selle faisait un angle de 35 degrés, s'abaissait et se relevait d'une manière sensible pendant la course. Il était facile de comprendre la cause de l'état de fatigue générale de la malade.

M. Martin a interrogé un grand nombre de femmes au sujet des sensations voluptueuses ressenties à bicyclette, et elles lui ont répondu affirmativement. Il est des cas où cette sorte de masturbation sportive les excite à tel point qu'elles augmentent progressivement leur vitesse, filent souvent avec une grande rapidité dans les descentes, sans apercevoir les obstacles placés sur leur chemin. C'est ainsi que l'une d'elles monta sur un trottoir et ne s'arrêta que par une chute heureusement peu grave dans un fossé. Une autre, dans les premières séances d'apprentissage, était tellement excitée qu'elle se précipita pâmée dans les bras du jeune homme qui la guidait dans ses exercices. Un ami de Monsieur le docteur Martin lui raconta qu'il était arrivé à être jaloux de la bicyclette. Sa maîtresse le délaissait chaque jour pour courir à son sport favori et arrivait au logis lassata, sed etiam satiata.

Il nous serait possible de multiplier ce genre d'observations. Ces faits ne sont pas rares, mais, hâtons-nous de le dire, ils appartiennent presque tous à cette classe de femmes désoeuvrées, qui dépensent le temps de la manière la plus joyeuse et la plus futile et dont la recherche d'émotions et de plaisirs est la principale occupation ; cependant nous les avons aussi rencontrés chez les femmes honnêtes. Les femmes qui recherchent l'excitation sexuelle et pour qui, suivant l'expression de Donnay, l'oxygène est presque un amant, trouveraient donc dans la bicyclette le moyen de satisfaire leur passion.

"La chose ne doit pas nous surprendre, mais pour nous il n'est pas besoin d'être perverti sexuel pour arriver à cette masturbation d'un nouveau genre. La femme grisée par le grand air, la vitesse, s'abandonne peu à peu à l'excitation ressentie, à la sensation de jouissance spéciale qui est peut-être la cause du plaisir éprouvé par elle sur une balançoire, sur les montagnes russes, plaisir qui souvent la conduit jusqu'à la volupté. Aussi faudra-t-il prescrire avec prudence l'usage du cyclisme chez les jeunes filles de 12 à 13 ans, au moment où la puberté s'établit. Il pourrait y avoir des inconvénients au point de vue de l'éveil de l'instinct génésique."

Certes, il y a des femmes qui éprouvent plus ou moins facilement des sensations voluptueuses, et il y a surtout des femmes qui les éprouvent dans des circonstances à elles propres et souvent bizarres. Ne connaissons-nous pas le cas d'une de nos clientes qui éprouve un réel plaisir à faire une promenade dans une voiture dont les roues sont munies de bandages pneumatiques ? M. Verchère ne dit-il pas lui aussi : "Je connais une fort honnête dame, qui ne peut traverser la place du Carrousel, si mal pavée, dans l'omnibus Batignolles-Clichy-Odéon, sans éprouver l'orgasme vénérien." S'ensuit-il que l'on doive interdire à toutes les femmes l'omnibus et la voiture munie de pneumatiques ?

Et si, par hasard, une promenade à bicyclette révèle à une cycliste novice une satisfaction génitale, il ne faut pas conclure que la bicyclette crée des dépravées.

Du reste, dans l'enquête ouverte par nous en vue de ce travail, toutes les réponses ont été négatives à cette question : Éprouvez-vous quelque plaisir d'ordre intime lorsque vous pédalez ? Il ne faut donc pas accuser la bicyclette, mais la bicycliste.

Auteur: O'Followell Ludovic Dr

Info: Bicyclette et organes génitaux, Baillière et fils, p 63

[ onanisme ] [ vélo ]

 

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biblio-reflet

Votre façon de ranger votre bibliothèque reflète votre personnalité

On a beau tous posséder les mêmes livres, chaque manière de les classer est unique.

(photo -  Karl Lagerfled s'y retrouvait sans problème dans sa bibliothèque de 300.000 livres.) 

Certains moments de la vie sont particulièrement décisifs. Déménager, par exemple, impose de se confronter à tout un tas de responsabilités et de choix à faire dans un délai toujours trop court. Même si ce tas peut se résumer en ce seul conseil: planifiez tout dès votre courrier de préavis posté, et surtout le déménagement de vos livres. Testé et approuvé par moi-même ces derniers mois. Le moindre petit carton de bouquins pèse un poids que vous ne soupçonnez pas forcément (oui, même vos livres de poche et autres petits formats).

Une fois votre bibliothèque domiciliée à une nouvelle adresse avec le reste de vos affaires vient l'étape du rangement. À ce moment-là, je réalise que ma façon habituelle de procéder ne me convient pas. Les livres d'art d'un côté, les magazines et fanzines de l'autre, la pile de livres à lire en équilibre, et le reste par ordre alphabétique. Facile à gérer, mais pas satisfaisant. De plus, les nouvelles étagères imposant un nouvel agencement, ma Bible de Jérusalem est désormais voisine d'Adorno, et j'ai dû décaler un livre pour cacher le visage du tueur en série Ted Bundy en grand sur la couverture. Comme à chaque fois que je bute sur un sujet, je décide de questionner qui voudra bien me parler de sa bibliothèque.

Chacun sa logique

" Ma bibliothèque est la première chose qu'on voit en entrant dans mon salon, alors j'aime la décorer et la rendre la plus visuellement plaisante. Je tire un bonheur fou à voir des gens entrer chez moi et aller étudier avec curiosité son contenu. " L'organisation de sa collection de livres est pour Rébecca une tâche sérieuse, à laquelle elle s'applique drastiquement. Quitte à faire rire ses amis avec sa " pyramide de règles qu'elle respecte religieusement ": par genre littéraire, par langue, et une place pour les vieilles éditions plus fragiles.

Un souci partagé par de nombreuses personnes, comme Lolita*. " Chaque étagère a son thème, puis les livres sont rangés par taille. Ma pile de livres à lire est sur la table de nuit. Je lis un seul livre à la fois, donc j'anticipe mes prochaines lectures, surtout pour les livres qu'on m'a prêtés, afin de les rendre au plus vite. "

Anne* a sa propre logique de rangement pour ses nombreux livres: par langue, genre littéraire, maison d'édition, collection, auteur et autrice. Elle a récemment déménagé, lui permettant de faire un bon tri et de se confronter à un certain désordre. " L'avantage d'avoir encore un espace pas mal en vrac, avec des livres rangés sans être ordonnés, c'est qu'il ne me rappelle pas les étagères de la librairie où je travaille! " S'occuper de livres peut aussi inspirer certains réflexes pratiques. " Bibliothécaire oblige, les romans sont classés par nom d'auteur, les BD également ou par titre de série, explique Akina*. J'ai une étagère pour les livres de poche et une autre pour les grands formats. Par contre, les albums pour enfants, c'est le chaos! "

Autre critère à prendre en compte, comme si tenir sa bibliothèque rangée n'était pas déjà assez complexe comme ça: vivre seul ou pas.

Mélanie, elle aussi bibliothécaire, nuance: " Les gens en bibliothèque ne choisissent pas souvent comment ranger, ça dépend de l'architecture du lieu (les architectes détestent les bibliothécaires, c'est certain) et de la direction, qui ne range jamais rien et se moque de ce travail quotidien tout en prenant des décisions arbitraires. "

Les bibliothèques d'aujourd'hui sont classées selon la classification décimale de Dewey, du nom du bibliographe américain Melvil Dewey, mise au point en 1876. Elle est ensuite adaptée par les bibliographes bruxellois Henri La Fontaine et Paul Otlet en 1905 sous forme de classification décimale universelle. Quant aux livres qu'elle a chez elle, Mélanie les range plus ou moins selon différents critères: " Par thème, ancienneté de possession, ceux à donner, à ramener au boulot, ceux qui font joli, qui occupent aux chiottes, ou qui ne rentrent que dans cette étagère. "

Autre critère à prendre en compte, comme si tenir sa bibliothèque rangée n'était pas déjà assez complexe comme ça: vivre seul ou pas. Chez moi, nous sommes deux adultes (et un chat, qui a zéro intérêt pour la littérature) avec chacun ses propres espaces et règles de rangement.

Les livres sont faits pour être lus, puis virés de chez vous

Notre seule bibliothèque commune est la petite pile de livres aux toilettes. Comme nous vous le racontons ici, cette routine a même inspiré une collection sur mesure de livres, Uncle John's Bathroom Reader. Pour ma part je préfère mes Chair de poule, aux chapitres suffisamment courts même pour une petite commission. Et c'est bien moins grave de faire tomber par accident un livre d'occasion dans les toilettes que son iPhone.

David, fils de bibliothécaire qui " adore tout classer, scanner et ranger [ses] nouvelles et précieuses acquisitions ", gère les BD du couple et sa compagne Lucie leurs livres: " Même si on n'est pas toujours d'accord sur le classement, la mise en commun s'est faite plutôt naturellement. " Florence et son compagnon ont aussi chacun leur système de rangement pour leurs livres respectifs. " Ne sont réunis ensemble que les livres anciens et les livres de cuisine, pour des raisons pratiques. Mais nous avons aussi des petites piles de livres qu'on se recommande l'un l'autre, ou qu'on veut tous les deux lire après avoir écouté la même émission de radio. "

Une bibliothèque est un autoportrait

Pourquoi pensons-nous à ce point au rangement de nos bibliothèques, au-delà de la simple nécessité pratique? Parce qu'elles sont une façon de montrer notre univers mental. Un exercice auquel se livre Marie Richeux dans sa série d'entretiens Dans la bibliothèque de pour France Culture. Parcourir la bibliothèque d'une personne est une autre façon de faire son portrait. " C'est un autoportrait, ils et elles ont les clefs de chez eux. "

Comme le rappelle cet article du Monde, " on a beau posséder les mêmes étagères Billy d'Ikea " pleines des mêmes références que nos amis, chaque bibliothèque reste unique. Karl Lagerfeld, couturier (propriétaire de la chic Choupette) et acheteur compulsif de livres, détenait environ 300.000 bouquins répartis dans plusieurs endroits. Il était le seul à s'y retrouver en quelques secondes, " ce qui instaurait une intimité unique entre lui et sa bibliothèque ".

Les usagers des boîtes à livres sont exactement comme vous les imaginez

" Nous attribuons une telle valeur au fait de posséder des livres que John Waters prône même de ne surtout pas coucher avec quelqu'un qui n'en a pas ". Pour le reste, nous faisons tous du mieux possible, sans pouvoir pousser les murs de notre logement ni arrêter d'acheter des nouveaux livres. La bibliothèque parfaite est un idéal pouvant virer à l'enfer, à l'image de La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, cauchemardesque car " illimitée et périodique " selon le narrateur épuisé.

Certaines personnes préconisent de ne garder que les livres auxquels on tient véritablement et donner aux autres une nouvelle vie  – après tout, les bibliothèques le font aussi. D'autres préfèrent ne pas trop intervenir afin de stimuler leur créativité. D'autres encore choisissent de passer à la liseuse. Il n'y a pas de méthode miracle, à chacun de trouver la sienne.

Auteur: Internet

Info: https://www.slate.fr/ - Lucie Inland, 12 mars 2024 - *Les prénoms ont été changés.

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être humain

Qu’est-ce qui sépare vraiment l’humain de l’animal ?

L’humain fait partie du groupe des primates. Dans cet article de The Conversation, on plonge toutefois dans les méandres de la classification du vivant.

En ces temps de crise de la biodiversité et de questionnements sur le vivant, la vieille question de la dualité homme-animal est, semble-t-il, toujours d’actualité. Même si le " vraiment " de la question laisse entendre qu’au fond la séparation n’est pas si profonde.

Sur le plan de la biologie, de la zoologie même, devrait-on préciser, le paradoxe a été levé depuis longtemps. L’homme est un animal. Il ne peut donc se séparer de lui-même.

La question n’est donc plus de nature scientifique, mais philosophique et sociologique. Il reste que pour la plupart d’entre nous la réponse scientifique importe peu tant les termes sont connotés. Affirmer que l’homme est un animal a peu de poids. L’affirmation serait-elle admise que la question deviendrait : qu’est-ce qui distingue l’humain des autres animaux ?

Une classification de l’humain parmi les primates

Depuis des siècles, les caractéristiques biologiques de l’humanité ont toutes été intégrées dans le panorama des traits des êtres vivants en général et des animaux en particulier. Et pourtant, l’homme s’est quasiment toujours singularisé par rapport au reste du monde vivant. Toute une tradition de réflexion philosophique et spirituelle s’oppose à la vision unitaire de la science biologique.

C’est là le grand problème que Linné au 1VIIIe siècle a cru résoudre définitivement. Dans son Systema Naturae dont la 10e édition datant de 1758 est considérée comme le point de départ de la nomenclature zoologique moderne, l’homme, genre Homo, est classé, parmi les animaux, dans l’ordre des Primates – les " premiers ", noblesse oblige –, mais en compagnie de trois autres genres : Simia (les singes), Lemur (les lémuriens incluant, pour Linné, le galéopithèque, un petit mammifère arboricole planeur d’Indonésie) et Vespertilio (les chauves-souris).

Ce choix est significatif et fait de Linné un pionnier qui, d’une certaine manière, dépassa les concepts de la majorité de ses successeurs du 1IXe siècle. De fait, en 1910, une fois la biologie devenue évolutionniste, l’anatomiste William K. Gregory nomma Archonta un groupe réunissant les primates (singes, lémuriens, homme), les chauves-souris (ordre des chiroptères), le galéopithèque (ordre des dermoptères) à quoi s’ajoutent des mammifères insectivores inconnus de Linné, les toupayes (mammifères arboricoles d’Asie).

L’homme était non seulement un membre des Primates, mais aussi un membre des Mammalia (tous ces termes sont dus à Carl Von Linné). On peut remonter la hiérarchie classificatoire et inclure l’homme dans les amniotes, dans les vertébrés, dans les animaux. Les animaux, c’est-à-dire dans les classifications le règne des Animalia, aujourd’hui appelé Metazoa (mot qui signifie la totalité des animaux) – les deux termes sont synonymes.

Le terme de Metazoa à la sonorité incontestablement scientifique ne heurte aucune oreille. Dire que l’homme est un métazoaire ne choque personne. Dire qu’il est un métazoaire parce qu’il est pluricellulaire et possède une protéine qui structure le lien entre les cellules – le collagène – est affaire de spécialistes et empêche invariablement toute percée philosophique. Aucune sensibilité là-dedans. Un animal, c’est autre chose, n’est-ce pas ?

D’autres ont voulu placer l’humain hors du règne animal

Linné à sa manière a été un révolutionnaire. Ses successeurs se sont attachés à défaire le regroupement des Primates. Le naturaliste français Armand de Quatrefages classa en 1861 l’homme seul dans le " règne humain ", caractérisé par " l’âme humaine " reprenant une suggestion émise plus de quarante ans auparavant par l’agronome lamarckien Charles-Hélion de Barbançois : classer l’homme dans un règne à part, le " règne moral ".

Quatrefages s’attacha autant à réfléchir à l’unité de l’espèce humaine qu’à analyser la singularité de ses composantes. Pour Quatrefages, en savant positiviste, c’est-à-dire qui s’en tient aux faits, la notion de Règne (la plus haute des catégories de la classification) s’impose à l’esprit humain : les caractères qui définissent l’homme sont évidents et ne sont liés à aucune hypothèse ou théorie.

L’âme humaine, différente de l’âme animale serait un pur fait d’observation. Auparavant, l’anatomiste allemand Johann Friedrich Blumenbach et l’anatomiste français Georges Cuvier opposèrent l’homme seul (ordre des Bimana) aux autres primates (ordre des Quadrumana). Le naturaliste allemand J. C. Illiger avait classé l’homme seul (seul à être debout) dans les Erecta, tandis que l’anatomiste britannique Richard Owen, adversaire résolu du darwinisme, en fit le seul représentant des Archencephala, introduction notable du cerveau comme spécificité humaine.

On peut remarquer toutefois qu’à l’exception de Quatrefages, tous les autres auteurs cités subordonnent l’espèce humaine au règne animal et à la classe des mammifères. On saisit bien la difficulté de ces anatomistes distingués qui, bien conscients des caractères morphologiques et physiologiques qui tout en intégrant parfaitement l’homme dans les mammifères, étaient tentés irrépressiblement, aussi en tant que croyants, de l’opposer au reste de la création.

" L’homme sage " — Homo sapiens

L’anatomiste, celui qui décide, c’est bien l’homme, Homo sapiens (" l’homme sage " que Linné n’a pas nommé comme tel par hasard). On aura donc compris que ces affirmations taxinomiques ont pour objet de placer l’Homo sapiens à part, en fonction de traits qui lui sont propres, du psychisme à la bipédie, et non d’identifier une séquence de caractères partagés par l’homme et différents animaux.

Que l’homme soit opposé au reste du règne animal ou bien à son plus proche parent animal revient au même. Un évolutionniste tel que Julian Huxley prit en 1957 l’exemple de la classification de l’homme pour illustrer sa conception du " grade évolutif ". L’activité intellectuelle de l’homme est telle qu’elle lui suffit pour concevoir une niche écologique sans précédent. Le cerveau humain situerait l’homme, seul, au niveau de la plus haute des catégories, le règne : le règne des Psychozoa.

On le sait, le plus proche parent vivant de l’homme (Homo) est le chimpanzé (Pan). Dans les années 1960, les premières classifications incluant les deux genres dans la famille des Hominidae firent scandale. Le tableau de famille était dégradé, gâché, détruit.

7 millions d’années d’évolution

La biologie moléculaire nous dit que l’homme et les chimpanzés sont presque identiques génétiquement parlant. Mais, c’est en pure perte : on reconnaît aisément un homme d’un chimpanzé. On devrait dire : on reconnaît aisément les deux animaux. La baleine bleue et la musaraigne aussi sont des animaux, et même des mammifères, certes bien distincts. Leurs différences sont infiniment plus grandes que celles qui séparent l’homme et le chimpanzé, mais elles ne sont pas importantes à nos yeux d’hommes sages. Philosophiquement parlant, ce ne sont pas elles qui nous concernent. L’anthropocentrisme est patent. En fait, après des centaines de millions d’années d’évolution animale, la lignée humaine et celle des chimpanzés se sont séparées il y a 7 millions d’années environ.

L’homme est pétri de caractères animaux depuis le liquide amniotique dans lequel baigne l’embryon rappelant les origines aquatiques des animaux jusqu’à l’éminence mentonnière qui fait saillie à l’avant de la mâchoire inférieure (la grande invention ostéologique des humains !) en passant par tous les traits de vertébrés, de tétrapodes, de mammifères et de primates. L’homme n’est qu’un animal comme les autres et différent de tous les autres comme le sont toutes les espèces animales les unes des autres.

Peut-on se contenter d’une telle affirmation ? Les mots du quotidien sont lourds de sens et de contresens. Le verbe persiste, tenace. Malgré l’idéologie et la perte des repères scientifiques, on n’aura pas la mauvaise grâce de s’en plaindre puisque le verbe, après tout, est l’une des caractéristiques d’Homo sapiens, au moins dans la nature actuelle. 

 

Auteur: Tassy Pascal

Info: https://www.numerama.com/, 31 12 2023

[ distinguo ] [ définition ] [ animal particulier ]

 
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