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religions

Luther était-il antisémite ?
Paru en 1543, "Des Juifs et de leurs mensonges" est traduit pour la première fois en français. Le texte, resté jusqu'à présent inédit en français, est un brûlot contre les Juifs, alors que le fondateur de la Réforme avait d'abord pris leur défense. Comment expliquer ce revirement? Et quelles en furent les conséquences?
- BibliObs. L'antisémitisme de Luther est régulièrement évoqué, mais on ne disposait pas en France de la traduction de son principal libelle sur le sujet: "Des juifs et de leurs mensonges". Qu'y a-t-il exactement dans ce texte?
- Pierre Savy. Comme l'indique le titre du livre, il s'agit de dénoncer les "mensonges" des Juifs, à commencer par le mensonge le plus scandaleux aux yeux de Luther, car il porte sur le trésor précieux entre tous que les Juifs ont reçu de Dieu: la Bible. La tradition chrétienne affirme, en tout cas jusqu'au XXe siècle, que la lecture juive de la Bible juive (l'"Ancien Testament") est fausse parce que, plus ou moins délibérément, elle refuse la lecture christologique de la Bible, qui permet de voir dans ces textes l'annonce de la venue de Jésus comme messie.
C'est donc un livre contre le judaïsme et "contre les Juifs", sans aucun doute, mais il n'est pas adressé aux Juifs: Luther met en garde les "Allemands", c'est-à-dire les chrétiens de son temps, contre une politique de tolérance à l'égard des communautés juives.
Il dénonce les "vantardises" des Juifs (leur lignage, le lien qu'ils entendent instaurer avec Dieu par la circoncision, la détention de la Loi et leur droit sur une terre) et s'efforce par un travail exégétique d'établir le caractère messianique de Jésus. Il expose les soi-disant "calomnies" juives sur Jésus et Marie, colportant au passage diverses superstitions médiévales, par exemple les crimes rituels prétendument perpétrés par les Juifs.
Dans la dernière partie du volume, la plus souvent citée, il appelle à faire cesser les agissements condamnables des Juifs: l'usure, qui vide le pays de ses richesses, le blasphème, les nuisances diverses. Pour cela, il prône une politique d'éradication violente (il conseille ainsi à de nombreuses reprises d'incendier les synagogues), voire l'expulsion, même si ce mot n'est pas présent dans le livre de Luther : "Il faut que nous soyons séparés d'eux et
- Dans quel contexte Luther en vient-il à écrire de telles choses?
- Le livre est publié en 1543, trois ans avant la mort du réformateur. On est loin des débuts flamboyants de sa vie: il avait publié les fameuses "thèses" qui avaient lancé la Réforme en 1517, et ses plus grands textes dans les années 1520. "Des Juifs et de leurs mensonges" s'inscrit dans les années de consolidation et de structuration par Luther d'une Église et d'une société protestantes.
Ce sont aussi des années d'inquiétude face à l'apparition de déviances internes à la Réforme, comme les anabaptistes ou les sabbatariens, qui ont poussé la relecture de l'Ancien Testament jusqu'à observer, par exemple, le repos du shabbat. Ces sectes, dont l'Église de Dieu et l'Église adventiste du Septième jour sont les héritières contemporaines, Luther les considère comme "judaïsantes".
Au même moment, la saison des expulsions des Juifs d'Europe occidentale s'achève: il n'y en reste plus guère, sinon dans les ghettos d'Italie et dans quelques localités du monde germanique. Ce traité et deux autres non moins anti-judaïques de la même année 1543, "Du nom ineffable et de la lignée du Christ" et "Des dernières paroles de David", illustrent ce que la plupart des biographes a décrit comme un revirement dans l'attitude de Luther à l'égard des Juifs.
D'abord plutôt bienveillant envers eux et convaincu de sa capacité de les convertir (il écrit "Que Jésus-Christ est né juif" en 1523, un traité autrement plus sympathique que "Des Juifs et de leurs mensonges"), il s'oppose aux persécutions dont ils sont l'objet. Il est même accusé de "judaïser". Mais son objectif reste la conversion et il finit par en rabattre, déçu qu'il est par leur obstination dans leur foi. En vieillissant, il développe une haine obsessionnelle contre les Juifs, il parle souvent d'eux dans ses "Propos de table" et, trois jours avant de mourir, il prêche encore contre eux.
- Quelle est la place de cet antisémitisme dans la pensée de Luther?
- On pourrait répondre en faisant valoir que, matériellement, les pages antisémites de Luther constituent une part réduite de son oeuvre, il est vrai très abondante; et qu'elles ne sont pas plus violentes que celles où il vise d'autres groupes qui font eux aussi l'objet de sa haine ("papistes", princes, fanatiques, Turcs, etc.). Mais cela ne répond pas vraiment sur le fond.
On pourrait répondre aussi, et ce serait déjà un peu plus convaincant, qu'un luthéranisme sans antisémitisme est bien possible: des millions de luthériens en donnent l'exemple chaque jour. L'antisémitisme n'est donc pas central dans l'édifice théologique luthérien. Néanmoins, les choses sont plus compliquées: sans être inexpugnable, l'hostilité au judaïsme se niche profondément dans la pensée de Luther.
Comme les catholiques de son temps, Luther considère comme une infâme déformation rabbinique l'idée d'une Loi orale (le Talmud) comme pendant indispensable de la Loi écrite. Comme eux encore, il campe sur des positions prosélytes et, partant, potentiellement, intolérantes. Comme eux enfin, il manie de lourds arguments théologiques contre les Juifs s'obstinant à rester juifs (caducité de l'Alliance, annonce de Jésus comme Messie, etc.).
Mais, en tant que fondateur du protestantisme, son conflit avec le judaïsme se noue plus spécifiquement autour de la question chrétienne du salut. Pour les catholiques, je suis sauvé par mes "oeuvres", c'est-à-dire mes bonnes actions. C'est le fondement théologique de l'activité caritative de la papauté, qui permet d'acheter son salut à coups de donations, de messes, d'indulgences.
Au contraire, Luther, en s'appuyant notamment sur Paul, développe une théologie de la grâce, qui inverse le lien de causalit : l'amour de Dieu m'est donné sans condition, et c'est précisément ce qui doit m'inciter à agir de façon charitable. Or, dans "Des Juifs et de leurs mensonges", Luther range les Juifs du côté des catholiques, en quoi il se trompe, car la perspective juive se soucie en réalité fort peu du salut et de la rédemption. Cette critique contre le judaïsme est forte: s'agit-il cependant d'antisémitisme? Je ne le crois pas.
Le problème se niche peut-être plutôt dans cette capacité de violence et de colère du réformateur, dans sa véhémente affirmation d'une parole persuadée de détenir la vérité et de devoir abolir l'erreur. Concernant les Juifs, cela conduit Luther à remettre en cause les équilibres anciens trouvés par l'Église romaine et, plus généralement, à attaquer la tradition de tolérance (avec toutes les ambiguïtés de ce mot) de l'Occident, qui, depuis plus de mille ans, puisait à la fois au droit romain, à la politique des papes et aux principaux textes chrétiens.
À côté de désaccords théologiques, par exemple sur les oeuvres, la foi et la grâce, il y a chez Luther cette approche radicale, désireuse de rupture, de rationalité et d'homogénéisation. Cette approche est une des formes possibles de la modernité occidentale. On pourrait dire que c'est la face sombre des Lumières, et il me semble qu'on en trouve la trace dès Luther.
Truie : La "truie des Juifs", ou "truie juive" (en allemand Judensau), est un motif antisémite classique au Moyen Âge, figurée notamment sur un bas-relief de l'église de la ville de Wittemberg (où Luther prêcha). Elle représente des Juifs en contact obscène avec une truie, et entend dénoncer ainsi la bestialité des Juifs et le lien intime qu'ils entretiennent avec les porcs. L'image revient à vingtaine de reprises dans "Des Juifs et de leurs mensonges".
- Quels ont été les effets de l'ouvrage de Luther sur le protestantisme et sur l'histoire allemande ?
- Sur le moment même, il n'a que peu d'effets: bien des expulsions sont prononcées sans que l'on ait besoin pour cela de ses recommandations. On a toutefois connaissance de mesures adoptées dans son sillage dans le Neumark, en Saxe ou encore en Hesse.
En outre, si sa réception et ses usages furent importants à l'époque de sa publication, y compris avec quelques condamnations par des contemporains de Luther, il semble que, passé le XVIe siècle, cette partie de l'oeuvre du théologien a en fait été assez oubliée. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les trois traités antijudaïques sont publiés de loin en loin isolément. Leur retour sur le devant de la scène commence dans les années 1830-1840 et c'est en 1920 que l'édition de Weimar qui fait référence achève de les rendre visibles.
On peut toutefois défendre que la présence d'une haine si forte dans une oeuvre si lue ne peut qu'avoir de lourds effets. Pour ainsi dire, avec "Des Juifs et de leurs mensonges", le vers est dans le fruit : l'antisémitisme est durablement légitimé. Avec lui, s'enclenche une certaine modernité allemande, qui n'est bien sûr ni toute l'Allemagne, ni toute la modernité. Que l'on songe aux accusations portées par Emmanuel Levinas contre la conscience philosophique occidentale et sa volonté totalisante.
Dans une telle perspective, Luther prendrait place dans la généalogie d'un universalisme devenu criminel, qui passerait par les Lumières et déboucherait sur la constitution d'un "problème" posé par les Juifs, perçus comme faisant obstacle à l'avènement de l'universel "illimité" ou "facile".
Je reprends ici la thèse proposée par Jean-Claude Milner dans "les Penchants criminels de l'Europe". Pour Milner, ce que les universalistes (adeptes d'une lecture plus ou moins sécularisée des épîtres de Paul) ne supportent pas dans le judaïsme, c'est le principe de filiation. Et en effet, ce principe est copieusement attaqué par Luther, dont on sait l'importance qu'il accordait à Paul.
Pour autant, peut-on inscrire Luther dans la succession des penseurs qui, à force d'universalisme "facile", ont fini par fabriquer le "problème juif" et ouvert la voie à la "solution finale" ? Circonstance aggravante pour le réformateur, c'est dans les années 1930-1940 que ses textes antisémites ont été le plus souvent cités - en un sens favorable, puisqu'il s'agit de récupérations par les nazis. L'une des plus célèbres récupérations est celle de Julius Streicher, directeur de "Der Stürmer" et vieux compagnon de Hitler, lorsqu'il déclara au procès de Nuremberg (1946) :
en fin de compte, [Luther] serait aujourd'hui à [sa] place au banc des accusés si ["Des Juifs et de leurs mensonges"] avait été versé au dossier du procès.
Autre indice frappant : la carte du vote nazi et celle du protestantisme au début des années 1930 se recoupent parfaitement, et, pourrait-on dire, terriblement. Pour autant, il paraît injuste de voir là de véritables effets de l'oeuvre de Luther. Dans la tradition antisémite de l'Allemagne, aujourd'hui bien évidemment interrompue, Luther joue un rôle, sans doute, mais il est difficile d'en faire la pesée.
L'historien Marc Bloch prononça une mise en garde fameuse contre l'"idole des origines", ce commencement "qui suffit à expliquer". Dans une généalogie, les crimes des générations postérieures ne sont pas imputables aux ancêtres. Bien responsable de ce qu'il a écrit, et qui l'accable, Luther ne l'est pas de la suite de l'histoire, surtout si cinq siècles le séparent de cette "suite" dramatique.

Auteur: Savy Pierre

Info: propos recueillis par Eric Aeschimann, Des Juifs et de leurs mensonges, par Martin Luther, éditions Honoré Champion, 212

[ Europe ]

 

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manipulation des masses

De l'hégémonie du dollar au réchauffement climatique : mondialisation, glyphosate et doctrine du consentement.

Depuis l'abandon des accords de Bretton Woods en 1971, il y a eu un changement tectonique continu en Occident. Qui s'est accéléré lorsque l'URSS a pris fin et a abouti à la " mondialisation néolibérale " que nous connaissons aujourd'hui.

Dans le même temps, une campagne sans précédent a été menée pour réinventer le consensus social en Occident. Une partie de cette stratégie consistant à amener les populations des pays occidentaux à se focaliser sur le "réchauffement climatique", l'"équité entre les sexes" et l'"antiracisme". Les effets dévastateurs et les injustices causés par le capitalisme mondialisé et le militarisme qui en découle restant largement inexprimé pour la masse des gens.

Tel est l'argument présenté par Denis Rancourt, chercheur à l'Ontario Civil Liberties Association, dans un nouveau rapport. M. Rancourt est un ancien professeur titulaire de physique à l'Université d'Ottawa au Canada et auteur de : "La géoéconomie et la géo-politique conduisent à des époques successives de mondialisation prédatrice et d'ingénierie sociale : Historical emergence of climate change, gender equity, and antiracism as state doctrines' (avril 2019)."

Dans ce rapport, Rancourt fait référence au livre de Michael Hudson de 1972 intitulé "Super Imperialism" : The Economic Strategy of American Empire" pour aider à expliquer le rôle clé du maintien de l'hégémonie du dollar et l'importance du pétrodollar dans la domination mondiale des États-Unis. Outre l'importance du pétrole, M. Rancourt soutient que les États-Unis ont un intérêt existentiel à faire en sorte que les opioïdes soient commercialisés en dollars américains, un autre grand produit mondial. Ce qui explique en partie l'occupation américaine de l'Afghanistan. Il souligne également l'importance de l'agro-industrie et de l'industrie de l'armement américaines pour la réalisation des objectifs géostratégiques des États-Unis.

Depuis la chute de l'URSS en 1991, M. Rancourt indique que les campagnes de guerre américaines ont, entre autres, protégé le dollar américain de l'abandon, détruit des nations en quête de souveraineté contre la domination américaine, assuré le commerce de l'opium, renforcé leur contrôle du pétrole et entravé l'intégration eurasiatique. En outre, nous avons vu certains pays faire face à un bombardement de sanctions et d'hostilité dans une tentative de détruire des centres de production d'énergie que les États-Unis ne contrôlent pas, notamment la Russie.

Il souligne également les impacts dans les pays occidentaux, y compris : la perte relative systématique du rang économique de la classe moyenne, la montée du sans-abrisme urbain, la décimation de la classe ouvrière industrielle, les méga-fusions des entreprises, la montée des inégalités, le démantèlement du bien-être, la spéculation financière, les salaires qui stagnent, les dettes, la dérégulation et les privatisation. De plus, l'assouplissement accru de la réglementation des aliments et des médicaments a entraîné une augmentation spectaculaire de l'utilisation de l'herbicide glyphosate, qui s'est accompagnée d'une recrudescence de nombreuses maladies et affections chroniques.

Face à cette dévastation, les pays occidentaux ont dû obtenir le maintien du consentement de leurs propres populations. Pour aider à expliquer comment cela a été réalisé, Rancourt se concentre sur l'équité entre les sexes, l'antiracisme et le réchauffement climatique en tant que doctrines d'État qui ont été utilisées pour détourner l'attention des machinations de l'empire américain (et aussi pour empêcher la prise de conscience de classe). J'ai récemment interrogé Denis Rancourt sur cet aspect de son rapport.

CT : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur la façon dont vous avez produit ce rapport ? Quel est son objectif ?

DR : Ancien professeur de physique, scientifique de l'environnement et défenseur des droits civils, je travaille actuellement comme chercheur pour l'Ontario Civil Liberties Association (ocla.ca). Au cours d'une conversation que j'ai eue avec le directeur exécutif de l'OCLA au sujet des droits civils, nous avons identifié plusieurs phénomènes sociaux et économiques importants qui semblaient liés au début des années 1990. J'ai donc fini par m'installer pour faire ce "gros boulot", du point de vue de la recherche.

Bien que nous ne manquions pas d'intellectuels et d'experts engagés pour guider notre perception à tort, mes recherches démontrent qu'il existe un lien entre la montée en flèche de la répression et de l'exploitation à grande échelle des populations nationales et l'accélération d'une mondialisation agressive et abusive.

CT : Dans votre rapport, vous avez décrit les conséquences de l'abandon de Bretton Woods et de la dissolution de l'URSS en termes d'hégémonie du dollar, du militarisme américain et des effets dévastateurs de la "mondialisation néolibérale" tant pour les États nations que pour les citoyens.

Il ne fait guère de doute que les analystes russes et chinois comprennent bien ce que j'ai exposé dans mon rapport. Par exemple, en prévision de la guerre commerciale de Trump, le discours prononcé en avril 2015 par le major-général Qiao Liang de l'Armée populaire de libération du peuple devant le Comité central et le bureau du gouvernement du Parti communiste chinois, comprenait ce qui suit :

"Depuis ce jour [dissolution de Bretton Woods], un véritable empire financier a émergé, l'hégémonie du dollar américain s'est établie, et nous sommes entrés dans une véritable ère de monnaie de papier. Il n'y a pas de métal précieux derrière le dollar américain. Le crédit du gouvernement est le seul soutien du dollar américain. Les États-Unis tirent profit du monde entier. Cela signifie que les Américains peuvent obtenir des richesses matérielles du monde entier en imprimant un morceau de papier vert. (...) Si nous reconnaissons [maintenant] qu'il existe un cycle de l'indice du dollar américain [ponctué de crises machinées, dont la guerre] et que les Américains utilisent ce cycle pour faire la récolte dans les autres pays, alors nous pouvons conclure que le moment était venu pour eux d'en faire autant en Chine..."

CT : Vous discutez de la nécessité pour les États d'obtenir le consentement : la nécessité de pacifier, d'hypnotiser et d'aligner les populations pour poursuivre la mondialisation ; plus précisément, la nécessité de détourner l'attention de la violence structurelle des politiques économiques et de la violence réelle du militarisme. Pouvez-vous nous dire comment la question du réchauffement climatique est liée à cela ?

DR : Que la soi-disant "crise climatique" soit réelle, exagérée ou fabriquée de toutes pièces, il est clair, d'après les données de mon rapport, que l'éthique du réchauffement climatique a été conçue et manipulée à l'échelle mondiale et qu'elle bénéficie aux exploiteurs de l'économie du carbone et, plus indirectement, à l'État.

Par exemple, l'une des études que j'ai passées en revue montre qu'une multiplication des reportages sur le réchauffement climatique dans les médias grand public s'est soudainement produite au milieu des années 2000, dans tous les grands médias, au moment même où les financiers et leurs acolytes, comme Al Gore, ont décidé de créer et de gérer une économie mondiale du carbone. Cette campagne médiatique s'est poursuivie depuis lors et l'éthique du réchauffement climatique a été institutionnalisée.

Les programmes de piégeage du carbone ont dévasté les communautés locales sur tous les continents occupés. En fait, les programmes de réduction des émissions de carbone - des parcs éoliens à la récolte de biocarburants, en passant par la production industrielle de batteries, les installations de panneaux solaires, l'extraction de l'uranium, la construction de méga barrages hydroélectriques, etc. on accéléré les destructions d'habitats.

Pendant ce temps, la guerre économique et militaire fait rage, le glyphosate est déversé dans l'écosphère à un rythme sans précédent (déversé sur des cultures mercantiles résistant aux phytocides GM), des génocides actifs sont en cours (Yémen), les États-Unis se désistent de façon unilatérale et imposent une course aux armes aux machines nucléaires et aux armes nucléaires de prochaine génération ; des prêts extortionnels sont accordés par les Etats-Unis qui ont transformé l'usage de leurs terres au plan national, et des enfants scolarisés développent des crises psychotiques afin de faire "bouger les gouvernements" pour qu'ils "agissent" contre le climat.

Au début des années 1990, une conférence mondiale sur l'environnementalisme climatique fut une réponse expresse à la dissolution de l'Union soviétique. Cela faisait partie d'un projet de propagande globale visant à masquer la nouvelle vague de mondialisation accélérée et prédatrice qui se déchaînait alors que l'URSS était définitivement sortie du droit chemin.

CT : Que pensez-vous de Greta Thunberg et du mouvement qui l'entoure ?

DR : C'est triste et pathétique. Ce mouvement témoigne du succès du projet mondial de propagande que je décris dans mon rapport. Le mouvement est aussi un indicateur du degré d'enracinement du totalitarisme dans les sociétés occidentales, où les individus, les associations et les institutions perdent leur capacité de pensée indépendante pour détourner la société des des desseins d'une élite d'occupation. Les individus (et leurs parents) deviennent la police de la moralité au service de cet "environnementalisme".

CT : Vous parlez aussi de l'émergence de l'égalité des sexes (féminisme de la troisième vague) et de l'antiracisme comme doctrines d'État. Pouvez-vous dire quelque chose à ce sujet ?

DR : Dans mon rapport, j'utilise des documents institutionnels historiques et des données sociétales pour démontrer qu'une triade de "religions d'État" a été engendrée à l'échelle mondiale et qu'elle est apparue au moment opportun après la dissolution de l'Union soviétique. Cette triade se compose d'alarmisme climatique, d'une vision tunnel exagérée de l'équité entre les sexes et d'une campagne antiraciste machinée axée sur les pensées, le langage et les attitudes.

Ces idéologies étatiques ont été conçues et propulsées via les efforts de l'ONU et les protocoles signés qui en ont résulté. Le milieu universitaire de l'Ouest a adopté et institutionnalisé le programme avec enthousiasme. Les médias grand public ont fait la promotion religieuse de l'ethos nouvellement créé. Les partis politiques ont largement appliqué des quotas accrus de représentants élus par sexe et par race.

Ces processus et ces idées ont servi à apaiser, à assouplir, rassembler et à occuper l'esprit occidental, en particulier chez les classes moyennes supérieures, professionnelles et de gestion et les élites des territoires économiquement occupés, mais n'ont rien fait pour atténuer les formes de racisme et de misogynie les plus violentes et répandues dans le monde en raison de la mondialisation prédatrice et du militarisme.

Ironiquement, les atteintes globales à la dignité humaine, à la santé humaine et à l'environnement ont été proportionnelles aux appels systématiques et parfois criards à l'équité entre les sexes, à la lutte contre le racisme et à l'"action" climatique. Tout l'édifice de ces "religions d'Etat" ne laisse aucune place aux conflits de classes nécessaires et sape expressément toute remise en cause des mécanismes et des conséquences de la mondialisation.

CT : Pouvez-vous nous parler des Gilets Jaunes, de Brexit et du phénomène électoral Trump ?

DR : Combiner une mondialisation agressive, une prédation financière constante, l'éviscération des classes ouvrières et moyennes occidentales et un discours désinvolte sur le changement climatique, l'antiracisme et l'équité entre les sexes fait quelque chose ne peut qu'arriver. Le géographe français Christophe Guilluy a prédit ces réactions de façon assez détaillée, ce qui n'est pas difficile à comprendre. Ce n'est pas un hasard si les classes populaires et moyennes qui se révoltent critiquent les récits de la crise climatique, de l'antiracisme et de l'équité entre les sexes, d'autant que les médias grand public les présentent comme racistes, misogynes et ignorants des sciences.

Il semble que toute classe qui s'oppose à sa propre destruction soit accusée d'être peuplée de gens racistes et ignorants qui ne voient pas que le salut réside dans un monde géré par le carbone et globalisé. Il devient donc impératif de fermer tous les lieux où un tel "lot d'ignorants" pourrait communiquer ses vues, tenter de s'organiser et ainsi menacer l'ordre social dominant.

Auteur: Todhunter Colin

Info: Counterpunch.org. Trad Mg

[ géopolitique ] [ ingénierie sociale ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

histoire

L'exil du peuple juif est un mythe
Shlomo Sand, historien du 20e siècle, avait jusqu'à présent étudié l'histoire intellectuelle de la France moderne (dans son livre "L'intellectuel, la vérité et le pouvoir", Am Oved éd., 2000 - en hébreu, et les rapports entre le cinéma et l'histoire politique ("Le cinéma comme Histoire", Am Oved, 2002 - en hébreu. D'une manière inhabituelle pour des historiens de profession, il se penche, dans son nouveau livre, sur des périodes qu'il n'avait jamais étudiées - généralement en s'appuyant sur des chercheurs antérieurs qui ont avancé des positions non orthodoxes sur les origines des Juifs.
- En fait, l'essentiel de votre livre ne s'occupe pas de l'invention du peuple juif par le nationalisme juif moderne mais de la question de savoir d'où viennent les Juifs.
"Mon projet initial était de prendre une catégorie spécifique de matériaux historiographiques modernes, d'examiner comment on avait fabriqué la fiction du peuple juif. Mais dès que j'ai commencé à confronter les sources historiographiques, je suis tombé sur des contradictions. Et c'est alors ce qui m'a poussé - je me suis mis au travail, sans savoir à quoi j'aboutirais. J'ai pris des documents originaux pour essayer d'examiner l'attitude d'auteurs anciens - ce qu'ils avaient écrit à propos de la conversion. "
- Des spécialistes de l'histoire du peuple juif affirment que vous vous occupez de questions dont vous n'avez aucune compréhension et que vous vous fondez sur des auteurs que vous ne pouvez pas lire dans le texte.
"Il est vrai que je suis un historien de la France et de l'Europe, et pas de l'Antiquité. Je savais que dès lors que je m'occuperais de périodes anciennes comme celles-là, je m'exposerais à des critiques assassines venant d'historiens spécialisés dans ces champs d'étude. Mais je me suis dit que je ne pouvais pas en rester à un matériel historiographique moderne sans examiner les faits qu'il décrit. Si je ne l'avais pas fait moi-même, il aurait fallu attendre une génération entière. Si j'avais continué à travailler sur la France, j'aurais peut-être obtenu des chaires à l'université et une gloire provinciale. Mais j'ai décidé de renoncer à la gloire. "
"Après que le peuple ait été exilé de force de sa terre, il lui est resté fidèle dans tous les pays de sa dispersion et n'a pas cessé de prier et d'espérer son retour sur sa terre pour y restaurer sa liberté politique": voilà ce que déclare, en ouverture, la Déclaration d'Indépendance. C'est aussi la citation qui sert de préambule au troisième chapitre du livre de Shlomo Sand, intitulé "L'invention de l'Exil". Aux dires de Sand, l'exil du peuple de sa terre n'a en fait jamais eu lieu.
"Le paradigme suprême de l'envoi en exil était nécessaire pour que se construise une mémoire à long terme, dans laquelle un peuple-race imaginaire et exilé est posé en continuité directe du -Peuple du Livre- qui l'a précédé", dit Sand ; sous l'influence d'autres historiens qui se sont penchés, ces dernières années, sur la question de l'Exil, il déclare que l'exil du peuple juif est, à l'origine, un mythe chrétien, qui décrivait l'exil comme une punition divine frappant les Juifs pour le péché d'avoir repoussé le message chrétien. "Je me suis mis à chercher des livres étudiant l'envoi en exil - événement fondateur dans l'Histoire juive, presque comme le génocide ; mais à mon grand étonnement, j'ai découvert qu'il n'y avait pas de littérature à ce sujet. La raison en est que personne n'a exilé un peuple de cette terre. Les Romains n'ont pas déporté de peuples et ils n'auraient pas pu le faire même s'ils l'avaient voulu. Ils n'avaient ni trains ni camions pour déporter des populations entières. Pareille logistique n'a pas existé avant le 20e siècle. C'est de là, en fait, qu'est parti tout le livre : de la compréhension que la société judéenne n'a été ni dispersée ni exilée. "
- Si le peuple n'a pas été exilé, vous affirmez en fait que les véritables descendants des habitants du royaume de Judée sont les Palestiniens.
"Aucune population n'est restée pure tout au long d'une période de milliers d'années. Mais les chances que les Palestiniens soient des descendants de l'ancien peuple de Judée sont beaucoup plus élevées que les chances que vous et moi en soyons. Les premiers sionistes, jusqu'à l'insurrection arabe, savaient qu'il n'y avait pas eu d'exil et que les Palestiniens étaient les descendants des habitants du pays. Ils savaient que des paysans ne s'en vont pas tant qu'on ne les chasse pas. Même Yitzhak Ben Zvi, le second président de l'Etat d'Israël, a écrit en 1929, que : la grande majorité des fellahs ne tirent pas leur origine des envahisseurs arabes, mais d'avant cela, des fellahs juifs qui étaient la majorité constitutive du pays... "
- Et comment des millions de Juifs sont-ils apparu tout autour de la Méditerranée ?
"Le peuple ne s'est pas disséminé, c'est la religion juive qui s'est propagée. Le judaïsme était une religion prosélyte. Contrairement à une opinion répandue, il y avait dans le judaïsme ancien une grande soif de convertir. Les Hasmonéens furent les premiers à commencer à créer une foule de Juifs par conversions massives, sous l'influence de l'hellénisme. Ce sont les conversions, depuis la révolte des Hasmonéens jusqu'à celle de Bar Kochba, qui ont préparé le terrain à la diffusion massive, plus tard, du christianisme. Après le triomphe du christianisme au 4e siècle, le mouvement de conversion a été stoppé dans le monde chrétien et il y a eu une chute brutale du nombre de Juifs. On peut supposer que beaucoup de Juifs apparus autour de la mer Méditerranée sont devenus chrétiens. Mais alors, le judaïsme commence à diffuser vers d'autres régions païennes - par exemple, vers le Yémen et le Nord de l'Afrique. Si le judaïsme n'avait pas filé de l'avant à ce moment-là, et continué à convertir dans le monde païen, nous serions restés une religion totalement marginale, si même nous avions survécu. "
- Comment en êtes-vous arrivé à la conclusion que les Juifs d'Afrique du Nord descendent de Berbères convertis ?
"Je me suis demandé comment des communautés juives aussi importantes avaient pu apparaître en Espagne. J'ai alors vu que Tariq Ibn-Ziyad, commandant suprême des musulmans qui envahirent l'Espagne, était berbère et que la majorité de ses soldats étaient des Berbères. Le royaume berbère juif de Dahia Al-Kahina n'avait été vaincu que 15 ans plus tôt. Et il y a, en réalité, plusieurs sources chrétiennes qui déclarent que beaucoup parmi les envahisseurs d'Espagne étaient des convertis au judaïsme. La source profonde de la grande communauté juive d'Espagne, c'étaient ces soldats berbères convertis au judaïsme. "
Aux dires de Sand, l'apport démographique le plus décisif à la population juive dans le monde s'est produit à la suite de la conversion du royaume khazar - vaste empire établi au Moyen-âge dans les steppes bordant la Volga et qui, au plus fort de son pouvoir, dominait depuis la Géorgie actuelle jusqu'à Kiev. Au 8e siècle, les rois khazars ont adopté la religion juive et ont fait de l'hébreu la langue écrite dans le royaume. A partir du 10e siècle, le royaume s'est affaibli et au 13e siècle, il a été totalement vaincu par des envahisseurs mongols et le sort de ses habitants juifs se perd alors dans les brumes.
Shlomo Sand revisite l'hypothèse, déjà avancée par des historiens du 19e et du 20e siècles, selon laquelle les Khazars convertis au judaïsme seraient l'origine principale des communautés juives d'Europe de l'Est. "Au début du 20e siècle, il y a une forte concentration de Juifs en Europe de l'Est : trois millions de Juifs, rien qu'en Pologne", dit-il ; "l'historiographie sioniste prétend qu'ils tirent leur origine de la communauté juive, plus ancienne, d'Allemagne, mais cette historiographie ne parvient pas à expliquer comment le peu de Juifs venus d'Europe occidentale - de Mayence et de Worms - a pu fonder le peuple yiddish d'Europe de l'Est. Les Juifs d'Europe de l'Est sont un mélange de Khazars et de Slaves repoussés vers l'Ouest. "
- Si les Juifs d'Europe de l'Est ne sont pas venus d'Allemagne, pourquoi parlaient-ils le yiddish, qui est une langue germanique ?
"Les Juifs formaient, à l'Est, une couche sociale dépendante de la bourgeoisie allemande et c'est comme ça qu'ils ont adopté des mots allemands. Je m'appuie ici sur les recherches du linguiste Paul Wechsler, de l'Université de Tel Aviv, qui a démontré qu'il n'y avait pas de lien étymologique entre la langue juive allemande du Moyen-âge et le yiddish. Le Ribal (Rabbi Yitzhak Bar Levinson) disait déjà en 1828 que l'ancienne langue des Juifs n'était pas le yiddish. Même Ben Tzion Dinour, père de l'historiographie israélienne, ne craignait pas encore de décrire les Khazars comme l'origine des Juifs d'Europe de l'Est et peignait la Khazarie comme la : mère des communautés de l'Exil... en Europe de l'Est. Mais depuis environ 1967, celui qui parle des Khazars comme des pères des Juifs d'Europe de l'Est est considéré comme bizarre et comme un doux rêveur. "
- Pourquoi, selon vous, l'idée d'une origine khazar est-elle si menaçante ?
"Il est clair que la crainte est de voir contester le droit historique sur cette terre. Révéler que les Juifs ne viennent pas de Judée paraît réduire la légitimité de notre présence ici. Depuis le début de la période de décolonisation, les colons ne peuvent plus dire simplement : Nous sommes venus, nous avons vaincu et maintenant nous sommes ici.... - comme l'ont dit les Américains, les Blancs en Afrique du Sud et les Australiens. Il y a une peur très profonde que ne soit remis en cause notre droit à l'existence. "
- Cette crainte n'est-elle pas fondée ?
"Non. Je ne pense pas que le mythe historique de l'exil et de l'errance soit la source de ma légitimité à être ici. Dès lors, cela m'est égal de penser que je suis d'origine khazar. Je ne crains pas cet ébranlement de notre existence, parce que je pense que le caractère de l'Etat d'Israël menace beaucoup plus gravement son existence. Ce qui pourra fonder notre existence ici, ce ne sont pas des droits historiques mythologiques mais le fait que nous commencerons à établir ici une société ouverte, une société de l'ensemble des citoyens israéliens. "
- En fait, vous affirmez qu'il n'y a pas de peuple juif.
"Je ne reconnais pas de peuple juif international. Je reconnais un ; peuple yiddish... qui existait en Europe de l'Est, qui n'est certes pas une nation mais où il est possible de voir une civilisation yiddish avec une culture populaire moderne. Je pense que le nationalisme juif s'est épanoui sur le terreau de ce : peuple yiddish.... Je reconnais également l'existence d'une nation israélienne, et je ne lui conteste pas son droit à la souveraineté. Mais le sionisme, ainsi que le nationalisme arabe au fil des années, ne sont pas prêts à le reconnaître.
Du point de vue du sionisme, cet Etat n'appartient pas à ses citoyens, mais au peuple juif. Je reconnais une définition de la Nation : un groupe humain qui veut vivre de manière souveraine. Mais la majorité des Juifs dans le monde ne souhaite pas vivre dans l'Etat d'Israël, en dépit du fait que rien ne les en empêche. Donc, il n'y a pas lieu de voir en eux une nation. "
- Qu'y a-t-il de si dangereux dans le fait que les Juifs s'imaginent appartenir à un seul peuple ? Pourquoi serait-ce mal en soi ?
"Dans le discours israélien sur les racines, il y a une dose de perversion. C'est un discours ethnocentrique, biologique, génétique. Mais Israël n'a pas d'existence comme Etat juif : si Israël ne se développe pas et ne se transforme pas en société ouverte, multiculturelle, nous aurons un Kosovo en Galilée. La conscience d'un droit sur ce lieu doit être beaucoup plus souple et variée, et si j'ai contribué avec ce livre à ce que moi-même et mes enfants puissions vivre ici avec les autres, dans cet Etat, dans une situation plus égalitaire, j'aurai fait ma part.
Nous devons commencer à oeuvrer durement pour transformer ce lieu qui est le nôtre en une république israélienne, où ni l'origine ethnique, ni la croyance n'auront de pertinence au regard de la Loi. Celui qui connaît les jeunes élites parmi les Arabes d'Israël, peut voir qu'ils ne seront pas d'accord de vivre dans un Etat qui proclame n'être pas le leur. Si j'étais Palestinien, je me rebellerais contre un tel Etat, mais c'est aussi comme Israélien que je me rebelle contre cet Etat. "
La question est de savoir si, pour arriver à ces conclusions-là, il était nécessaire de remonter jusqu'au royaume des Khazars et jusqu'au royaume Himyarite.
"Je ne cache pas que j'éprouve un grand trouble à vivre dans une société dont les principes nationaux qui la dirigent sont dangereux, et que ce trouble m'a servi de moteur dans mon travail. Je suis citoyen de ce pays, mais je suis aussi historien, et en tant qu'historien, j'ai une obligation d'écrire de l'Histoire et d'examiner les textes. C'est ce que j'ai fait. "
- Si le mythe du sionisme est celui du peuple juif revenu d'exil sur sa terre, que sera le mythe de l'Etat que vous imaginez ?
" Un mythe d'avenir est préférable selon moi à des mythologies du passé et du repli sur soi. Chez les Américains, et aujourd'hui chez les Européens aussi, ce qui justifie l'existence d'une nation, c'est la promesse d'une société ouverte, avancée et opulente. Les matériaux israéliens existent, mais il faut leur ajouter, par exemple, des fêtes rassemblant tous les Israéliens. Réduire quelque peu les jours de commémoration et ajouter des journées consacrées à l'avenir. Mais même aussi, par exemple, ajouter une heure pour commémorer la : Nakba... entre le Jour du Souvenir et la Journée de l'Indépendance.

Auteur: Sand Shlomo

Info: traduit de l'hébreu par Michel Ghys

[ illusion ]

 

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consumérisme

La pornographie c’est ce à quoi ressemble la fin du monde
"Cinquante nuances de Grey", le livre comme le film, est une glorification du sadisme qui domine quasiment tous les aspects de la culture américaine et qui repose au coeur de la pornographie et du capitalisme mondial. Il célèbre la déshumanisation des femmes. Il se fait le champion d’un monde dépourvu de compassion, d’empathie et d’amour. Il érotise le pouvoir hypermasculin à l’origine de l’abus, de la dégradation, de l’humiliation et de la torture des femmes dont les personnalités ont été supprimées, dont le seul désir est de s’avilir au service de la luxure mâle. Le film, tout comme "American Sniper", accepte inconditionnellement un monde prédateur où le faible et le vulnérable sont les objets de l’exploitation tandis que les puissants sont des demi-dieu violents et narcissiques. Il bénit l’enfer capitaliste comme naturel et bon.

"La pornographie", écrit Robert Jensen, "c’est ce à quoi ressemble la fin du monde."

Nous sommes aveuglés par un fantasme auto-destructeur. Un éventail de divertissements et de spectacles, avec les émissions de télé "réalité", les grands évènements sportifs, les médias sociaux, le porno (qui engrange au moins le double de ce que génèrent les films hollywoodiens), les produits de luxe attirants, les drogues, l’alcool et ce Jésus magique, nous offre des issues de secours — échappatoires à la réalité — séduisantes. Nous rêvons d’être riches, puissants et célèbres. Et ceux que l’on doit écraser afin de construire nos pathétiques petits empires sont considérés comme méritants leurs sorts. Que la quasi-totalité d’entre nous n’atteindra jamais ces ambitions est emblématique de notre auto-illusionnement collectif et de l’efficacité de cette culture submergée par manipulations et mensonges.

Le porno cherche à érotiser le sadisme. Dans le porno les femmes sont payées pour répéter les mantras "Je suis une chatte. Je suis une salope. Je suis une pute. Je suis une putain. Baise moi violemment avec ta grosse bite." Elles demandent à être physiquement abusées. Le porno répond au besoin de stéréotypes racistes dégradants. Les hommes noirs sont des bêtes sexuelles puissantes harcelant les femmes blanches. Les femmes noires ont une soif de luxure brute, primitive. Les femmes latinos sont sensuelles et ont le sang chaud. Les femmes asiatiques sont des geishas dociles, sexuellement soumises. Dans le porno, les imperfections humaines n’existent pas. Les poitrines siliconées démesurées, les lèvres pulpeuses gonflées de gel, les corps sculptés par des chirurgiens plastiques, les érections médicalement assistées qui ne cessent jamais et les régions pubiennes rasées — qui correspondent à la pédophilie du porno — transforment les exécutants en morceaux de plastique. L’odeur, la transpiration, l’haleine, les battements du cœur et le toucher sont effacés tout comme la tendresse. Les femmes dans le porno sont des marchandises conditionnées. Elles sont des poupées de plaisir et des marionnettes sexuelles. Elles sont dénuées de leurs véritables émotions. Le porno n’a rien à voir avec le sexe, si on définit le sexe comme un acte mutuel entre deux partenaires, mais relève de la masturbation, une auto-excitation solitaire et privée d’intimité et d’amour. Le culte du moi — qui est l’essence du porno — est au cœur de la culture corporatiste. Le porno, comme le capitalisme mondial, c’est là où les êtres humains sont envoyés pour mourir.

Il y a quelques personnes à gauche qui saisissent l’immense danger de permettre à la pornographie de remplacer l’intimité, le sexe et l’amour. La majorité de la gauche pense que la pornographie relève de la liberté d’expression, comme s’il était inacceptable d’exploiter financièrement et d’abuser physiquement une femme dans une usine en Chine mais que le faire sur un lieu de tournage d’un film porno était acceptable, comme si la torture à Abu Ghraib — où des prisonniers furent humiliés sexuellement et abusés comme s’ils étaient dans un tournage porno — était intolérable, mais tolérable sur des sites de pornographies commerciaux.

Une nouvelle vague de féministes, qui ont trahi l’ouvrage emblématique de radicales comme Andrea Dworkin, soutiennent que le porno est une forme de libération sexuelle et d’autonomisation. Ces "féministes", qui se basent sur Michel Foucault et Judith Butler, sont les produits attardés du néolibéralisme et du postmodernisme. Le féminisme, pour eux, ne relève plus de la libération de la femme opprimée; il se définit par une poignée de femmes qui ont du succès, sont riches et puissantes — où, comme c’est le cas dans "cinquante nuances de grey", capables d’accrocher un homme puissant et riche. C’est une femme qui a écrit le livre "Cinquante nuances", ainsi que le scénario du film. Une femme a réalisé le film. Une femme dirigeante d’un studio a acheté le film. Cette collusion des femmes fait partie de l’internalisation de l’oppression et de la violence sexuelle, qui s’ancre dans le porno. Dworkin l’avait compris. Elle avait écrit que "la nouvelle pornographie est un vaste cimetière où la Gauche est allée mourir. La Gauche ne peut avoir ses prostituées et leurs politiques."

J’ai rencontré Gail Dines, l’une des radicales les plus prééminentes du pays, dans un petit café à Boston mardi. Elle est l’auteur de "Pornland: Comment le porno a détourné notre sexualité" (“Pornland: How Porn Has Hijacked Our Sexuality”) et est professeure de sociologie et d’études féminines à l’université de Wheelock. Dines, ainsi qu’une poignée d’autres, dont Jensen, dénoncent courageusement une culture aussi dépravée que la Rome de Caligula.

"L’industrie du porno a détourné la sexualité d’une culture toute entière, et dévaste toute une génération de garçons", nous avertit elle. "Et quand vous ravagez une génération de garçons, vous ravagez une génération de filles."

"Quand vous combattez le porno vous combattez le capitalisme mondial", dit-elle. "Les capitaux-risqueurs, les banques, les compagnies de carte de crédit sont tous partie intégrante de cette chaine alimentaire. C’est pourquoi vous ne voyez jamais d’histoires anti-porno. Les médias sont impliqués. Ils sont financièrement mêlés à ces compagnies. Le porno fait partie de tout ceci. Le porno nous dit que nous n’avons plus rien d’humains — limite, intégrité, désir, créativité et authenticité. Les femmes sont réduites à trois orifices et deux mains. Le porno est niché dans la destruction corporatiste de l’intimité et de l’interdépendance, et cela inclut la dépendance à la Terre. Si nous étions une société d’être humains entiers et connectés en véritables communautés, nous ne supporterions pas de regarder du porno. Nous ne supporterions pas de regarder un autre être humain se faire torturer."

"Si vous comptez accumuler la vaste majorité des biens dans une petite poignée de mains, vous devez être sûr d’avoir un bon système idéologique en place qui légitimise la souffrance économique des autres", dit elle. "Et c’est ce que fait le porno. Le porno vous dit que l’inégalité matérielle entre femmes et hommes n’est pas le résultat d’un système économique. Que cela relève de la biologie. Et les femmes, n’étant que des putes et des salopes bonnes au sexe, ne méritent pas l’égalité complète. Le porno c’est le porte-voix idéologique qui légitimise notre système matériel d’inégalités. Le porno est au patriarcat ce que les médias sont au capitalisme."

Pour garder excités les légions de mâles facilement ennuyés, les réalisateurs de porno produisent des vidéos qui sont de plus en plus violentes et avilissantes. "Extreme Associates", qui se spécialise dans les scènes réalistes de viols, ainsi que JM Productions, mettent en avant les souffrances bien réelles endurées par les femmes sur leurs plateaux. JM Productions est un pionnier des vidéos de "baise orale agressive" ou de "baise faciale" comme les séries "étouffements en série", dans lesquelles les femmes s’étouffent et vomissent souvent. Cela s’accompagne de "tournoiements", dans lesquels le mâle enfonce la tête de la femme dans les toilettes puis tire la chasse, après le sexe. La compagnie promet, "toutes les putes subissent le traitement tournoyant. Baise la, puis tire la chasse". Des pénétrations anales répétées et violentes entrainent des prolapsus anaux, une pathologie qui fait s’effondrer les parois internes du rectum de la femme et dépassent de son anus. Cela s’appelle le "rosebudding". Certaines femmes, pénétrées à de multiples reprises par nombre d’hommes lors de tournages pornos, bien souvent après avoir avalé des poignées d’analgésiques, ont besoin de chirurgie reconstructrices anales et vaginales. Les femmes peuvent être affectées par des maladies sexuellement transmissibles et des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Et avec la démocratisation du porno — certains participants à des vidéos pornographiques sont traités comme des célébrités dans des émissions comme celles d’Oprah et d’Howard Stern — le comportement promu par le porno, dont le strip-tease, la promiscuité, le sadomasochisme et l’exhibition, deviennent chic. Le porno définit aussi les standards de beauté et de comportements de la femme. Et cela a des conséquences terribles pour les filles.

"On dit aux femmes qu’elles ont deux choix dans notre société", me dit Gail Dines. "Elles sont soit baisables soit invisibles. Être baisable signifie se conformer à la culture du porno, avoir l’air sexy, être soumise et faire ce que veut l’homme. C’est la seule façon d’être visible. Vous ne pouvez pas demander aux filles adolescentes, qui aspirent plus que tout à se faire remarquer, de choisir l’invisibilité."

Rien de tout ça, souligne Dines, n’est un accident. Le porno a émergé de la culture de la marchandise, du besoin de vendre des produits qu’ont les capitalistes corporatistes.

"Dans l’Amérique d’après la seconde guerre mondiale, vous avez l’émergence d’une classe moyenne avec un revenu disponible", explique-t-elle. "Le seul problème c’est que ce groupe est né de parents qui ont connu la dépression et la guerre. Ils ne savaient pas comment dépenser. Ils ne savaient qu’économiser. Ce dont [les capitalistes] avaient besoin pour faire démarrer l’économie c’était de gens prêts à dépenser leur argent pour des choses dont ils n’avaient pas besoin. Pour les femmes ils ont créé les séries télévisées. Une des raisons pour lesquelles les maisons style-ranch furent développées, c’était parce que [les familles] n’avaient qu’une seule télévision. La télévision était dans le salon et les femmes passaient beaucoup de temps dans la cuisine. Il fallait donc diviser la maison de façon à ce qu’elles puissent regarder la télévision depuis la cuisine. Afin qu’elle puisse être éduquée". [Via la télévision]

"Mais qui apprenait aux hommes à dépenser leur argent?" continue-t-elle. "Ce fut Playboy [Magazine]. Ce fut le génie de Hugh Hefner. Il comprit qu’il ne suffisait pas de marchandiser la sexualité, mais qu’il fallait sexualiser les marchandises. Les promesses de Playboy n’étaient pas les filles où les femmes, c’était que si vous achetez autant, si vous consommez au niveau promu par Playboy, alors vous obtenez la récompense, qui sont les femmes. L’étape cruciale à l’obtention de la récompense était la consommation de marchandises. Il a incorporé le porno, qui sexualisait et marchandisait le corps des femmes, dans le manteau de la classe moyenne. Il lui a donné un vernis de respectabilité."

Le VCR, le DVD, et plus tard, Internet ont permis au porno de s’immiscer au sein des foyers. Les images satinées de Playboy, Penthouse et Hustler devinrent fades, voire pittoresques. L’Amérique, et la majeure partie du reste du monde, se pornifia. Les revenus de l’industrie du mondiale du porno sont estimés à 96 milliards de $, le marché des USA comptant pour environ 13 milliards. Il y a, écrit Dines, "420 millions de pages porno sur internet, 4.2 millions de sites Web porno, et 68 millions de requêtes porno dans les moteurs de recherches chaque jour."

Parallèlement à la croissance de la pornographie, il y a eu explosion des violences liées au sexe, y compris des abus domestiques, des viols et des viols en réunion. Un viol est signalé toutes les 6.2 minutes aux USA, mais le total estimé, qui prend en compte les assauts non-rapportés, est peut-être 5 fois plus élevé, comme le souligne Rebecca Solnit dans son livre "Les hommes m’expliquent des choses".

"Il y a tellement d’hommes qui assassinent leurs partenaires et anciennes partenaires, nous avons bien plus de 1000 homicides de ce type chaque année — ce qui signifie que tous les trois ans le nombre total de morts est la première cause d’homicides relevés par la police, bien que personne ne déclare la guerre contre cette forme particulière de terreur", écrit Solnit.

Pendant ce temps-là, le porno est de plus en plus accessible.

"Avec un téléphone mobile vous pouvez fournir du porno aux hommes qui vivent dans les zones densément peuplées du Brésil et de l’Inde", explique Dines. "Si vous avez un seul ordinateur portable dans la famille, l’homme ne peut pas s’assoir au milieu du salon et se masturber. Avec un téléphone, le porno devient portable. L’enfant moyen regarde son porno sur son téléphone mobile".

L’ancienne industrie du porno, qui engrangeait de l’argent grâce aux films, est morte. Les éléments de la production ne génèrent plus de profits. Les distributeurs de porno engrangent la monnaie. Et un distributeur, MindGeek, une compagnie mondiale d’informatique, domine la distribution du porno. Le porno gratuit est utilisé sur internet comme appât par MindGeek pour attirer les spectateurs vers des sites de pay-per-view (paye pour voir). La plupart des utilisateurs de ces sites sont des adolescents. C’est comme, explique Dines, "distribuer des cigarettes à la sortie du collège. Vous les rendez accrocs."

"Autour des âges de 12 à 15 ans vous développez vos modèles sexuels", explique-t-elle. "Vous attrapez [les garçons] quand ils construisent leurs identités sexuelles. Vous les marquez à vie. Si vous commencez par vous masturber devant du porno cruel et violent, alors vous n’allez pas rechercher intimité et connectivité. Les études montrent que les garçons perdent de l’intérêt pour le sexe avec de véritables femmes. Ils ne peuvent maintenir des érections avec des vraies femmes. Dans le porno il n’y a pas de "faire l’amour". Il s’agit de "faire la haine". Il la méprise. Elle le dégoute et le révolte. Si vous amputez l’amour vous devez utiliser quelque chose pour remplir le trou afin de garder le tout intéressant. Ils remplissent ça par la violence, la dégradation, la cruauté et la haine. Et ça aussi ça finit par être ennuyeux. Il faut sans cesse surenchérir. Les hommes jouissent du porno lorsque les femmes sont soumises. Qui est plus soumis que les enfants? La voie du porno mène inévitablement au porno infantile. Et c’est pourquoi des organisations qui combattent le porno infantile sans combattre le porno adulte font une grave erreur."

L’abus inhérent à la pornographie n’est pas remis en question par la majorité des hommes et des femmes. Regardez les entrées du film "cinquante nuances de grey", qui est sorti la veille de la saint valentin et qui prévoit d’engranger plus de 90 millions de $ sur ce week-end de quatre jours (avec la journée du président de ce lundi).

"La pornographie a socialisé une génération d’hommes au visionnage de tortures sexuelles’, explique Dines. Vous n’êtes pas né avec cette capacité. Vous devez être conditionné pour cela. Tout comme vous conditionnez des soldats afin qu’ils tuent. Si vous voulez être violent envers un groupe, vous devez d’abord le déshumaniser. C’est une vieille méthode. Les juifs deviennent des youpins. Les noirs des nègres. Les femmes des salopes. Et personne ne change les femmes en salope mieux que le porno."

Auteur: Hedges Christopher Lynn

Info: truthdig.com, 15 février 2015

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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proto-linguistique

Cette langue ancienne use de la seule grammaire basée entièrement sur le corps humain

Une famille de langues en voie de disparition suggère que les premiers humains utilisaient leur corps comme modèle de réalité

Un matin de décembre 2004, des adultes et des enfants erraient sur le rivage de Strait Island dans le golfe du Bengale lorsque l'un d'eux a remarqué quelque chose d'étrange. Le niveau de la mer était bas et des créatures étranges qui habitent normalement la zone crépusculaire profonde de l'océan se balançaient près de la surface de l'eau. “ Sare ukkuburuko ! ”— la mer s'est renversée! — cria Nao Junior, un des derniers héritiers d'une sagesse transmise sur des milliers de générations à travers sa langue maternelle. Il savait ce que signifiait ce phénomène bizarre. Tout comme d'autres peuples autochtones des îles Andaman. Ils se sont tous précipités à l'intérieur des terres et en hauteur, leurs connaissances ancestrales les sauvant du tsunami dévastateur qui s'est abattu sur les côtes de l'océan Indien quelques minutes plus tard et qui a emporté quelque 225 000 personnes.

Lorsque j'ai rencontré Nao Jr. pour la première fois, au tournant du millénaire, il était dans la quarantaine et l'un des neuf seuls membres de son groupe autochtone, le Grand Andamanais, qui parlait encore l'idiome de ses ancêtres ; les jeunes préférant l'hindi. En tant que linguiste passionnée par le décodage de structure, j'avais étudié plus de 80 langues indiennes de cinq familles différentes : indo-européenne (à laquelle appartient l'hindi), dravidienne, austroasiatique, tibéto-birmane et taï-kadaï. J'étais sur les îles pour documenter leurs voix autochtones avant qu'elles ne se transforment en murmures. Le peu que j'ai entendu était si déconcertant que j'y suis retourné plusieurs fois au cours des années suivantes pour essayer de cerner les principes qui sous-tendent les grandes langues andamanaises.

Ici mes principaux professeurs, Nao Jr. et une femme nommée Licho, parlaient un pastiche de langues qui comptaient encore quelque 5 000 locuteurs au milieu du 19e siècle. Le vocabulaire moderne étant très variable, dérivé de plusieurs langues parlées à l'origine sur l'île d'Andaman du Nord. Ce qui m'était vraiment étranger, cependant, c'était leur grammaire, qui ne ressemblait à rien de ce que j'avais jamais rencontré.

Une langue incarne une vision du monde et, alors qu'une civilisation, change et se développe par couches. Les mots ou les phrases fréquemment utilisés se transforment en formes grammaticales de plus en plus abstraites et compressées. Par exemple, le suffixe "-ed", signifiant le passé en anglais moderne, provient de "did" (c'est-à-dire que "did use" est devenu "used") ; Le vieil anglais où in steed et sur gemong sont devenus respectivement "instead" et "among". Ces types de transitions font de la linguistique historique un peu comme l'archéologie. Tout comme un archéologue fouille soigneusement un monticule pour révéler différentes époques d'une cité-État empilées les unes sur les autres, un linguiste peut séparer les couches d'une langue pour découvrir les étapes de son évolution. Il faudra des années à Nao Jr. et Licho endurant patiemment mes interrogatoires et mes tâtonnements pour que j'apprenne enfin la règle fondamentale de leur langue.

Il s'avère que le grand andamanais est exceptionnel parmi les langues du monde de par son anthropocentrisme. Il utilise des catégories dérivées du corps humain pour décrire des concepts abstraits tels que l'orientation spatiale et les relations entre les objets. Bien sûr, en anglais, nous pourrions dire des choses comme "la pièce fait face à la baie", "la jambe de la chaise s'est cassée" et "elle dirige l'entreprise". Mais en Grand Andamanais, de telles descriptions prennent une forme extrême, avec des morphèmes, ou segments sonores significatifs, qui désignent différentes zones du corps s'attachant aux noms, verbes, adjectifs et adverbes - en fait, à chaque partie du discours - pour créer des significations diverses. Parce qu'aucune autre langue connue n'a une grammaire basée sur le corps humain et/ou un partage des mots apparentés -  des mots qui ont une signification et une prononciation similaires, ce qui indique un lien généalogique - avec le grand andamanais, la langue constitue sa propre famille .

L'aspect le plus durable d'une langue est sa structure, qui peut perdurer sur des millénaires. Mes études indiquent que les Grands Andamanais furent effectivement isolés pendant des milliers d'années, au cours desquelles leurs langues ont évolué sans influence perceptible d'autres cultures. La recherche génétique corrobore ce point de vue, montrant que ces peuples autochtones descendent d'un des premiers groupes d'humains modernes qui a migré hors d'Afrique. En suivant le littoral du sous-continent indien, ils ont atteint l'archipel d'Andaman il y a peut-être 50 000 ans et y vivent depuis dans un isolement virtuel. Les principes fondamentaux de leurs langues révèlent que ces humains anciens ont conceptualisé le monde à travers leur corps.

PIÈCES DU CASSE-TÊTE

Lorsque je suis arrivé en 2001 à Port Blair, la principale ville de la région, pour mener une enquête préliminaire sur les langues autochtones, j'ai été dirigé vers Adi Basera, une maison que le gouvernement indien autorisait les Grands Andamanais à utiliser lorsqu'ils étaient en ville. C'était un bâtiment délabré avec de la peinture écaillée et des pièces sales ; enfants et adultes flânaient nonchalamment dans la cour. Quelqu'un m'a apporté une chaise en plastique. J'ai expliqué ma quête en hindi.

"Pourquoi es-tu venu ?" demanda Boro Senior, une femme âgée. "Nous ne nous souvenons pas de notre langue. Nous ne le parlons ni ne le comprenons. Il s'est avéré que toute la communauté conversait principalement en hindi, une langue essentielle pour se débrouiller dans la société indienne et la seule que les enfants apprenaient." Pendant que je le sondais cependant, Nao Jr. a avoué qu'il connaissait le Jero, mais parce qu'il n'avait personne avec qui en parler, il l'oubliait. Boro Sr. s'est avéré être la dernière personne à se souvenir de Khora, et Licho, alors dans la fin de la trentaine, qui était la dernière à parler le sare, la langue de sa grand-mère. Lorsqu'ils conversaient entre eux, ces individus utilisaient ce que j'appelle le Grand Andamanais actuel (PGA), un mélange de Jero, Sare, Bo et Khora - toutes langues des Andaman du Nord.

Lorsque les autorités britanniques ont établi une colonie pénitentiaire à Port Blair en 1858, les forêts tropicales de Great Andaman - comprenant le nord, le centre et le sud d'Andaman, ainsi que quelques petites îles à proximité - étaient habitées par 10 tribus de chasseurs et de cueilleurs qui semblaient culturellement liées. Les habitants du Great Andaman ont résisté aux envahisseurs, mais leurs arcs et leurs flèches n'étaient pas à la hauteur des fusils et, à une occasion, des canons de navires. Encore plus mortels furent les germes apportés par les étrangers, contre lesquels les insulaires n'avaient aucune immunité. Dans les années 1960, époque à laquelle les Andamans appartenaient à l'Inde, il ne restait plus que 19 Grands Andamanais, vivant principalement dans les forêts du nord d'Andaman. Les autorités indiennes les ont alors installés sur la petite île du détroit.

Un autre groupe de chasseurs-cueilleurs, les Jarawa, vivaient dans le sud d'Andaman, et lorsque les Grands Andamanais s'éteignirent , les Jarawa s'installèrent dans leurs territoires évacués du Moyen Andaman. Les Jarawa ont résisté au contact - et aux germes qui l'accompagnent - jusqu'en 1998 et sont maintenant au nombre d'environ 450. Leur culture avait des liens avec celle des Onge, qui vivaient sur Little Andaman et qui ont été sous controle des Britanniques dans les années 1880. Apparemment, les habitants de North Sentinel Island étaient également apparentés aux Jarawa. Ils continuent d'ailleurs de vivre dans un isolement volontaire, qu'ils ont imposé en 2018 en tuant un missionnaire américain.

(photo-schéma avec détails et statistiques des langage des iles adamans)

Mon enquête initiale a établi que les langues des Grands Andamanais n'avaient aucun lien avec celles des Jarawa et des Onge, qui pourraient constituer leur propre famille de langues. Réalisant que je devais documenter le Grand Andamanais avant qu'il ne soit réduit au silence, je suis revenu avec une équipe d'étudiants en 2005. C'était peu de temps après le tsunami, et les autorités avaient évacué les 53 Grands Andamanais vers un camp de secours à côté d'Adi Basera. Ils avaient survécu, mais leurs maisons avaient été inondées et leurs biens perdus, et un sentiment de bouleversement et de chagrin flottait dans l'air. Dans cette situation, Licho a donné naissance à un garçon nommé Berebe, source de joie. J'ai appris que les bébés étaient nommés dans l'utérus. Pas étonnant que les grands noms andamanais soient non sexistes !

Au camp, j'ai rencontré l'octogénaire Boa Senior, dernier locuteur de Bo et gardien de nombreuses chansons. Nous deviendrons très proches. Les grands jeunes andamanais avaient répondu au mépris des Indiens dominants pour les cultures autochtones en se détournant de leur héritage. Boa Sr me tenait la main et ne me laissait pas partir car elle était convaincue que ma seule présence, en tant qu'étranger rare qui valorisait sa langue, motiverait les jeunes à parler le grand andamanais. Pourtant, je l'ai appris principalement de Nao Jr. et Licho, dont l'intérêt pour leurs langues avait été enflammé par le mien. Il s'est avéré que Nao Jr. en savait beaucoup sur l'environnement local et Licho sur l'étymologie, étant souvent capable de me dire quel mot venait de quelle langue. J'ai passé de longues heures avec eux à Adi Basera et sur Strait Island, les accompagnant partout où ils allaient - pour nous prélasser à l'extérieur de leurs huttes, errer dans la jungle ou pêcher sur la plage. Plus ils s'efforçaient de répondre à mes questions, plus ils puisaient dans les profondeurs de la mémoire. J'ai fini par collecter plus de 150 grands noms andamanais pour différentsespèces de poissons et 109 pour les oiseaux .

Les responsables britanniques avaient observé que les langues andamanaises étaient un peu comme les maillons d'une chaîne : les membres des tribus voisines des Grands Andamans se comprenaient, mais les langues parlées aux extrémités opposées de l'archipel, dans les Andamans du Nord et du Sud, étaient mutuellement inintelligibles. En 1887, l'administrateur militaire britannique Maurice Vidal Portman publia un lexique comparatif de quatre langues, ainsi que quelques phrases avec leurs traductions en anglais. Et vers 1920, Edward Horace Man compila un dictionnaire exhaustif de Bea, une langue des Andaman du Sud. C'étaient des enregistrements importants, mais aucun n'a résolu le puzzle que la grammaire posait.

Moi non plus. D'une manière ou d'une autre, ma vaste expérience avec les cinq familles de langue indienne ne m'aidait pas. Une fois, j'ai demandé à Nao Jr. de me dire le mot pour "sang". Il m'a regardé comme si j'étais une imbécile et n'a pas répondu. Quand j'ai insisté, il a dit: "Dis-moi d'où ça vient." J'ai répondu: "De nulle part." Irrité, il répéta : "Où l'as-tu vu ?" Il fallait que j'invente quelque chose, alors j'ai dit : "sur mon doigt. Sa réponse est venue rapidement — "ongtei !" – puis il débita plusieurs mots pour désigner le sang sur différentes parties du corps. Si le sang sortait des pieds ou des jambes, c'était otei ; l'hémorragie interne était etei; et un caillot sur la peau était ertei . Quelque chose d'aussi basique qu'un nom changeait de forme en fonction de l'emplacement.

Chaque fois que j'avais une pause dans mon enseignement et d'autres tâches, je visitais les Andamans, pendant des semaines ou parfois des mois. Il m'a fallu un an d'étude concertée pour entrevoir le modèle de cette langue - et quand je l'ai fait, toutes les pièces éparses du puzzle se sont mises en place. Très excité, je voulus tout de suite tester mes phrases inventées. J'étais à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutive à Leipzig, en Allemagne, mais j'ai téléphoné à Licho et je lui ai dit : "a Joe-engio eole be". Licho a été bouleversé et m'a fait un compliment chéri : "Vous avez appris notre langue, madame !"

Ma phrase était simplement "Joe te voit". Joe était un jeune Grand Andamanais, et -engio était "seulement toi". Ma percée avait été de réaliser que le préfixe e- , qui dérivait à l'origine d'un mot inconnu désignant une partie interne du corps, s'était transformé au fil des éons en un marqueur grammatical signifiant tout attribut, processus ou activité interne. Donc l'acte de voir, ole, étant une activité interne, devait être eole. Le même préfixe pourrait être attaché à -bungoi , ou "beau", pour former ebungoi, signifiant intérieurement beau ou gentil ; de sare , pour "mer", pour former esare, ou "salé", une qualité inhérente ; et au mot racine -biinye, "pensant", pour donner ebiinye , "penser".

LE CODE CORPOREL

La grammaire que j'étais en train de reconstituer était basée principalement sur Jero, mais un coup d'œil dans les livres de Portman et de Man m'a convaincu que les langues du sud du Grand Andamanais avaient des structures similaires. Le lexique se composait de deux classes de mots : libre et lié. Les mots libres étaient tous des noms faisant référence à l'environnement et à ses habitants, tels que ra pour "cochon". Ils pourraient se produire seuls. Les mots liés étaient des noms, des verbes, des adjectifs et des adverbes qui existaient toujours avec des marqueurs indiquant une relation avec d'autres objets, événements ou états. Les marqueurs (spécifiquement, a- ; er- ; ong- ; ot- ou ut- ; e- ou i- ; ara- ; eto- ) dérivaient de sept zones du corps et étaient attaché à un mot racine, généralement sous forme de préfixe, pour décrire des concepts tels que "dedans", "dehors", "supérieur" et "inférieur". Par exemple, le morphème er- , qui qualifiait presque tout ce qui concernait une partie externe du corps, pouvait être collé à -cho pour donner ercho , signifiant "tête". Une tête de porc était ainsi raercho.

(Photo/schéma désignant les 7 zones du corps humain qui font référence ici)

Zone     Marqueur          Parties corps/sémantique       

1              a -                  en rapport avec la bouche/origine 

2              er -                 corps et parties externes supérieures

3              ong -              extrémités (doigts main, pied) 

4              ut/ot -             (cerveau/intellect) produits corporels, partie-tout,

5              e / i -               organes internes

6              ara -                organes sexuels et formes latérales/rondes

7              o -                   jambes/partie basse         

Cette dépendance conceptuelle n'était pas toujours le signe d'un lien physique. Par exemple, si la tête du porc était coupée pour être rôtie, le marqueur t- pour un objet inanimé serait attaché à er- pour donner ratercho ; ce n'était plus vivant mais toujours une tête de cochon. Le suffixe -icho indiquait des possessions véritablement séparables. Par exemple, Boa-icho julu signifiait "les vêtements de Boa".

Tout comme une tête, un nom, ne pouvait pas exister conceptuellement par lui-même, le mode et l'effet d'une action ne pouvaient être séparés du verbe décrivant l'action. Les Grands Andamanais n'avaient pas de mots pour l'agriculture ou la culture mais un grand nombre pour la chasse et la pêche, principalement avec un arc et des flèches. Ainsi, la racine du mot shile , qui signifie "viser", avait plusieurs versions : utshile , viser d'en haut (par exemple, un poisson) ; arashile, viser à distance (comme un cochon); et eshile, visant à percer.

Inséparables également de leurs préfixes, qui les dotaient de sens, étaient les adjectifs et les adverbes. Par exemple, le préfixe er- , pour "externe", a donné l'adjectif erbungoi , pour "beau" ; le verbe eranye, signifiant "assembler" ; et l'adverbe erchek, ou "rapide". Le préfixe ong- , la zone des extrémités, fournissait ongcho , "piquer", quelque chose que l'on faisait avec les doigts, ainsi que l'adverbe ongkochil, signifiant "précipitamment", qui s'appliquait généralement aux mouvements impliquant une main ou un pied. Important aussi était le morphème a-, qui renvoyait à la bouche et, plus largement, aux origines. Il a contribué aux noms aphong, pour "bouche", et Aka-Jero , pour "son langage Jero" ; les adjectifs ajom , "avide", et amu, "muet" ; les verbes atekho, "parler", et aathitul , "se taire" ; et l'adverbe aulu, "avant".

Ces études ont établi que les 10 langues originales du grand andamanais appartenaient à une seule famille. De plus, cette famille était unique en ce qu'elle avait un système grammatical basé sur le corps humain à tous les niveaux structurels. Une poignée d'autres langues autochtones, telles que le papantla totonaque, parlé au Mexique, et le matsés, parlé au Pérou et au Brésil, utilisaient également des termes faisant référence à des parties du corps pour former des mots. Mais ces termes ne s'étaient pas transformés en symboles abstraits, ni ne se sont propagés à toutes les autres parties du discours.

(Photo - tableau - schéma avec exemples de mots - verbes - adverbes, dérivés des  7 parties)

Plus important encore, la famille des langues semble être d'origine vraiment archaïque. Dans un processus d'évolution en plusieurs étapes, les mots décrivant diverses parties du corps s'étaient transformés en morphèmes faisant référence à différentes zones pour fusionner avec des mots basiques pour donner un sens. Parallèlement aux preuves génétiques, qui indiquent que les Grands Andamanais ont vécu isolés pendant des dizaines de milliers d'années, la grammaire suggère que la famille des langues est née très tôt, à une époque où les êtres humains conceptualisaient leur monde à travers leur corps. La structure à elle seule donne un aperçu d'une ancienne vision du monde dans laquelle le macrocosme reflète le microcosme, et tout ce qui est ou qui se passe est inextricablement lié à tout le reste.

ANCÊTRES, OISEAUX

Un matin sur Strait Island, j'ai entendu Boa Sr. parler aux oiseaux qu'elle nourrissait. J'ai écouté pendant un bon moment derrière une porte, puis je me suis montrée pour lui demander pourquoi elle leur parlait.

"Ils sont les seuls à me comprendre", a-t-elle répondu.

"Comment ça se fait?" J'ai demandé.

"Ne sais-tu pas qu'pas sont nos ancêtres ?"

J'ai essayé de réprimer un rire étonné, mais Boa l'a perçu. "Oui, ce sont nos ancêtres", a-t-elle affirmé. "C'est pourquoi nous ne les tuons ni ne les chassons. Tu devrais demander à Nao Jr.; il connaît peut-être l'histoire."

Nao ne s'en souvint pas tout de suite, mais quelques jours plus tard, il raconta l'histoire d'un garçon nommé Mithe qui était allé à la pêche. Il a attrapé un calmar, et en le nettoyant sur la plage, il a été avalé par un Bol , un gros poisson. Ses amis et sa famille sont venus le chercher et ont réalisé qu'un Bol l'avait mangé. Phatka, le plus intelligent des jeunes, a suivi la piste sale laissée par le poisson et a trouvé le Bol en eau peu profonde, la tête dans le sable. C'était un très grand, alors Phatka, Benge et d'autres ont appelé à haute voix Kaulo, le plus fort d'entre eux, qui est arrivé et a tué le poisson.

Mithe est sorti vivant, mais ses membres étaient engourdis. Ils allumèrent un feu sur la plage et le réchauffèrent, et une fois qu'il eut récupéré, ils décidèrent de manger le poisson. Ils le mirent sur le feu pour le faire rôtir. Mais ils avaient négligé de nettoyer correctement le poisson, et il éclata, transformant toutes les personnes présentes en oiseaux. Depuis ce moment-là, les Grands Andamanais conservent une affinité particulière avec Mithe, la Colombe Coucou Andaman ; Phatka, le corbeau indien ; Benge, l'aigle serpent Andaman; Kaulo, l'aigle de mer à ventre blanc ; Celene, le crabe pluvier; et d'autres oiseaux qu'ils considéraient comme des ancêtres.

Dans la vision de la nature des Grands Andamanais, la principale distinction était entre tajio, le vivant, et eleo , le non-vivant. Les créatures étaient tajio-tut-bech, "êtres vivants avec des plumes" - c'est-à-dire de l'air; tajio-tot chor, "êtres vivants à écailles", ou de l'eau ; ou tajio-chola, "êtres vivants de la terre". Parmi les créatures terrestres, il y avait des ishongo, des humains et d'autres animaux, et des tong, des plantes et des arbres. Ces catégories, ainsi que de multiples attributs d'apparence, de mouvement et d'habitudes, constituaient un système élaboré de classification et de nomenclature, que j'ai documenté pour les oiseaux en particulier. Parfois, l'étymologie d'un nom grand andamanais ressemblait à celle de l'anglais. Par exemple, Celene, composé de mots racines pour "crabe" et "épine", a été ainsi nommé parce qu'il craque et mange des crabes avec son bec dur et pointu.

La compréhension extrêmement détaillée de l'environnement naturel détenue par le peuple des Grands Andamanais (Nao Jr. nomma au moins six variétés de bords de mer et plus de 18 types d'odeurs) indique une culture qui a observé la nature avec un amour profond et un intérêt aigu. Considérant la nature comme un tout, ils ont cherché à examiner l'imbrication des forces qui construisent cet ensemble. L'espace était une construction culturelle, définie par le mouvement des esprits, des animaux et des humains le long d'axes verticaux et horizontaux. Dans la vision du monde des Grands Andamanais, l'espace et tous ses éléments naturels - le soleil, la lune, la marée, les vents, la terre et la forêt - constituaient ensemble le cosmos. Dans cette vision holistique, les oiseaux, les autres créatures et les esprits étaient tous interdépendants et faisaient partie intégrante du concept d'espace.

Le temps aussi était relatif, catégorisé en fonction d'événements naturels tels que la floraison des fleurs saisonnières, la disponibilité du miel - le calendrier du miel, pourrait-on l'appeler - le mouvement du soleil et de la lune, la direction des vents, la disponibilité des ressources alimentaires et le meilleur moment pour chasser le poisson ou d'autres animaux. Ainsi, lorsque la fleur de koroiny auro fleurit, les tortues et les poissons sont gras ; lorsque le bop taulo fleurit, les poissons bikhir, liot et bere sont abondants ; lorsque le loto taulo fleurit, c'est le meilleur moment pour attraper les poissons phiku et nyuri ; et quand le chokhoro taulo fleurissent, les cochons sont les plus gras et c'est le meilleur moment pour les chasser.

Même le "matin" et le "soir" étaient relatifs, selon la personne qui les vivait. Pour dire, par exemple, "Je te rendrai visite demain", on utiliserait ngambikhir, pour "ton demain". Mais dans la phrase "je finirai ça demain", le mot serait tambikhir, "mon demain". Le temps dépendait de la perspective de celui qui était impliqué dans l'événement.

Les mythes des Grands Andamanais indiquaient que leurs premiers ancêtres résidaient dans le ciel, comme dans une autre histoire que Nao Jr. m'a racontée. 

Le premier homme, sortant du creux d'un bambou, trouva de l'eau, des tubercules, de l'argile fine et de la résine. Il modela un pot en argile, alluma un feu avec la résine, fit bouillir les tubercules dans le pot et savoura un repas copieux. Puis il fabriqua une figurine en argile et ll laissa sur le feu. À son étonnement et à sa joie, elle se transforma en femme. Ils eurent beaucoup d'enfants et étaient très heureux. Après un long séjour sur Terre, le couple partit pour un endroit au-dessus des nuages, rompant tous les liens avec ce monde.

Des larmes ont coulé sur les joues de Nao Jr. alors qu'il racontait ce conte de création, qui présentait tous les éléments de la vie : l'eau, le feu, la terre, l'espace et l'air. Pour cet homme solitaire - sa femme l'avait quitté il y a des années pour un autre homme -, créer une partenaire selon ses désirs était la fable romantique ultime. Alors que je lui avais demandé des histoires pour la première fois, il avait dit ne pas en avoir entendu depuis 40 ans et qu'il n'en avait pas pour moi faute de mémoire. Mais au cours de nombreuses soirées, avec le gazouillis des grillons et les cris des grenouilles à l'extérieur, il m'a raconté 10 histoires précieuses, presque inédites pour une langue au bord de l'extinction. Peut-être que l'une des raisons pour lesquelles nous nous sommes tellement liés était que nous étions tous les deux raupuch - quelqu'un qui a perdu un frère ou une sœur. Nao Jr. a été choqué d'apprendre que ni l'anglais ni aucune langue indienne n'a un tel mot. "Pourquoi?" Il a demandé. "n'aimez-vous pas vos frères et soeurs"

Nao Jr. a quitté ce monde en février 2009. Avec cette mort prématurée, il a emporté avec lui un trésor de connaissances qui ne pourra jamais être ressuscité et m'a laissé raupuch à nouveau. Boro Sr. est décédé en novembre et Boa Sr. en janvier 2010, laissant sa voix au travers de plusieurs chansons. Licho est décédé en avril 2020. À l'heure actuelle, seules trois personnes - Peje, Golat et Noe - parlent encore une langue de la grande famille andamanaise, dans leur cas le Jero. Ils ont tous plus de 50 ans et souffrent de diverses affections. Toute la famille de ces langues est menacée d'extinction imminente.

Sur les quelque 7 000 langues parlées par les humains aujourd'hui, la moitié se taira d'ici la fin de ce siècle. La survie à l'ère de la mondialisation, de l'urbanisation et des changements climatiques oblige les communautés autochtones à remplacer leurs modes de vie et leurs langues traditionnels par ceux de la société dominante. Quand l'ancienne génération ne peut plus enseigner la langue aux plus jeunes, une langue est condamnée. Et avec chaque langue perdue, nous perdons une mine de connaissances sur l'existence humaine, la perception, la nature et la survie. Pour donner le dernier mot à Boa Sr. : "Tout est parti, il ne reste plus rien – nos jungles, notre eau, notre peuple, notre langue. Ne laissez pas la langue vous échapper ! Tiens bon !"

Auteur: Anvita Abbi

Info: "Whispers from Deep Time" dans Scientific American 328, 6, 62-69 (juin 2023). Trad et adaptation Mg

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