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Internet

Les effets psychiques du world wide web

Certains chercheurs comparent le "changement cérébral" induit par l'usage des outils informatiques avec le changement climatique. Si les enfants ont gagné des aptitudes en termes de vitesse et d'automatisme, c'est parfois au détriment du raisonnement et de la maîtrise de soi.

De plus en plus de personnes sont rivées à l'écran de leur smartphone ou occupées à photographier tout ce qu'elles croisent... Face à cet usage déferlant de nouveaux outils technologiques, de nombreux chercheurs s'attachent déjà à étudier les modifications éventuellement cérébrales et cognitives susceptibles d'émerger, spécialement chez les plus jeunes. Mieux, ils nous alertent sur ces phénomènes.

C'est le cas notamment, en France, du Pr Olivier Houdé, directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant du CNRS-La Sorbonne, et auteur du livre "Apprendre à résister" (éd. Le Pommier).

S'intéressant à la génération qui a grandi avec les jeux vidéo et les téléphones portables, il affirme que, si ces enfants ont gagné des aptitudes cérébrales en termes de vitesse et d'automatismes, c'est au détriment parfois du raisonnement et de la maîtrise de soi.

Éduquer le cerveau

"Le cerveau reste le même", déclarait-il récemment, "mais ce sont les circuits utilisés qui changent. Face aux écrans, et du coup dans la vie, les natifs du numérique ont une sorte de TGV cérébral, qui va de l'oeil jusqu'au pouce sur l'écran. Ils utilisent surtout une zone du cerveau, le cortex préfrontal, pour améliorer cette rapidité de décision, en lien avec les émotions. Mais cela se fait au détriment d'une autre fonction de cette zone, plus lente, de prise de recul, de synthèse personnelle et de résistance cognitive.

" Aussi le chercheur en appelle-t-il à une éducation qui apprendrait à nos enfants à résister : "Éduquer le cerveau, c'est lui apprendre à résister à sa propre déraison", affirme-t-il. "Un vrai défi pour les sciences cognitives et pour la société d'aujourd'hui."

Le virtuel est donc clairement suspecté de nous atteindre dans le fonctionnement le plus intime de notre être.

Un nouvel "opium du peuple"

Il suffit d'ailleurs d'observer autour de soi les modifications comportementales qu'il entraîne : incapacité de maintenir une conversation ou de rester concentré sur un document ; facilité "brutale" à se déconnecter d'un échange relationnel comme on se débranche d'une machine, etc.

Le philosophe et artiste Hervé Fischer, qui signe l'un des essais les plus intéressants du moment sur "La Pensée magique du Net" (éd. François Bourin), considère lui aussi que si les jeunes sont "les plus vulnérables" à l'aliénation rendue possible par le Net, car ils mesurent leur existence à leur occurrence sur les réseaux sociaux, cela concerne aussi les adultes : "On peut avoir le sentiment qu'on a une vie sociale parce qu'on a des centaines d'amis sur le Net, ou qu'on est très actif et entreprenant parce qu'on échange sans cesse des commentaires et des informations numériques", explique-t-il. "Le retour au réel est alors encore plus difficile. On vit une pseudo-réalisation de soi, virtuelle elle aussi, et la "descente" de ce nouvel "opium du peuple" peut faire très mal à ceux qui ont une existence déjà frustrante sur bien des points." Cette existence qui se mesure et s'expérimente désormais à travers un profil numérique alerte aussi, en Grande-Bretagne, la grande spécialiste de la maladie d'Alzheimer, le Pr Susan Greenfield, qui parle de "changement cérébral" comme on parle de "changement climatique".

Elle s'inquiète des modifications identitaires provoquées par un usage intensif d'internet : "C'est presque comme si un événement n'existe pas tant qu'il n'a pas été posté sur Facebook, Bebo ou YouTube", écrivait-elle récemment dans le Daily Mail. "Ajoutez à cela l'énorme quantité d'informations personnelles désormais consignées sur internet - dates de naissances, de mariages, numéros de téléphone, de comptes bancaires, photos de vacances - et il devient difficile de repérer avec précision les limites de notre individualité. Une seule chose est certaine : ces limites sont en train de s'affaiblir."

Être là

Mais on peut aussi se demander : pourquoi un tel impact ? Pour Hervé Fischer, si internet est aussi "addictif", c'est parce que la société "écranique" réveille nos plus grandes mythologies, dont le rêve de retourner en un seul clic à la matrice collective, et de se perdre alors dans le sentiment océanique d'appartenir à la communauté humaine. "Ce qui compte, c'est d'être là", explique le philosophe. "On poste un tweet et ça y est, on se sent exister." Versants positifs de cette "nouvelle religion" ? "24 heures sur 24, les individus de plus en plus solitaires peuvent, quand ils le veulent, se relier aux autres", observe Hervé Fischer. Et, tout aussi réjouissant, chacun peut gagner en "conscience augmentée", notamment en se promenant de liens en liens pour approfondir ses connaissances.

Désormais, c'est certain, grâce à la Toile, on ne pourra plus dire "qu'on ne savait pas". Le Figaro Smartphone, tablette, etc.

Diminution de la matière grise

Selon les neuroscientifiques Kep Kee Loh et Dr. Ryota Kanai, de l'Université de Sussex, l'usage simultané de téléphones mobiles, ordinateurs et tablettes changerait la structure de nos cerveaux.

Les chercheurs ont constaté une diminution de la densité de la matière grise du cerveau parmi des personnes qui utilisent habituellement et simultanément plusieurs appareils par rapport à des personnes utilisant un seul appareil occasionnellement (publication : "Plos One", septembre 2014).

Interview de Michael Stora, psychologue et psychanalyste, fondateur de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH) et qui a notamment écrit "Les écrans, ça rend accro..." (Hachette Littératures).

- Selon vous, quel impact majeur ont les nouvelles technologies sur notre psychisme ?

- Je dirais tout ce qui relève du temps. Compressé par l'usage immédiat des smartphones et autres ordinateurs mobiles, celui-ci ne permet plus ni élaboration de la pensée ni digestion des événements. Et l'impatience s'en trouve exacerbée. Ainsi, nous recevons de plus en plus de patients qui demandent à être pris en charge "en urgence". Or, de par notre métier, nous avons appris qu'en réalité - et hors risque suicidaire - il n'y en a pas. Chacun est donc confronté à sa capacité à supporter le manque (quand arrivera la réponse à ce mail, ce texto ?) et se retrouve pris dans la problématique très régressive du nourrisson qui attend le sein.

- En quoi notre capacité de penser s'en trouve-t-elle affectée ?

- Les formats des contenus deviennent si courts, le flux d'informations si incessant que réfléchir devient impossible, car cela demande du temps. Regardez Twitter : son usager ne devient plus qu'un médiateur, il partage rapidement un lien, s'exprime au minimum, on est dans la violence du "sans transition"... Il est évident que l'être humain ne peut traiter tant d'informations, et l'on observe déjà que la dimension analytique s'efface au profit d'une dimension synthétique. Cela semble assez logique : la Toile a été créée par des ingénieurs adeptes d'une pensée binaire, structurée sur le 0 ou le 1 et sans autres ouvertures. Il faudrait vraiment que les sciences humaines soient invitées à participer davantage à ces entreprises, cela permettrait de sortir d'un fonctionnement en boucle où l'on vous repropose sans cesse le même type de produits à consommer par exemple.

- Mais beaucoup parviennent aussi à s'exprimer grâce à Internet ?

- C'est vrai, si l'on regarde Facebook par exemple, le nombre de personnes occupées à remplir leur jauge narcissique est très élevé. Mais il y a de moins en moins de créativité sur la Toile. Auparavant, un certain second degré, qui a pu donner naissance à des sites comme viedemerde.com par exemple, dont la dimension auto-thérapeutique est certaine, dominait. Mais aujourd'hui, la réelle création de soi a disparu. Il s'agit d'être sans arrêt dans la norme, ou dans une version fortement idéalisée de soi. À force de gommer "ce qui fâche", les mauvais côtés de la vie, les efforts ou les frustrations inévitables, on est alors dans un exhibitionnisme de soi très stérile et régressif qui révèle seulement l'immense besoin de chacun d'être valorisé. L'usager souhaite être "liké" (quelqu'un a répondu au message laissé sur Facebook) pour ce qu'il est, pas pour ce qu'il construit, comme le petit enfant à qui l'on répète "qu'il est beau !" sans même qu'il ait produit de dessin.

- Internet rend-il exhibitionniste ?

- Je pense que la Toile ne fait que révéler ce que nous sommes profondément. Regardez comme les internautes qui "commentent" en France sont critiques et râleurs, exactement comme on imagine les Français... Et c'est vrai, j'ai été surpris de constater cet exhibitionnisme fou dans notre pays. Avec les "blacklists", la violence de la désinhibition et des critiques qui laissent peu de possibilité d'échanger, une certaine froideur narcissique l'emporte. Ce que l'on observe, c'est qu'il y a plus d'humains enrôlés dans l'expérience du Web, mais moins d'humanité.

Auteur: Journaldujura.ch

Info: Keystone, 1er mai 2015

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neuroscience

La conscience est un continuum et les scientifiques commencent à le mesurer

Une nouvelle technique aide les anesthésiologistes à suivre les changements dans les états de conscience

Que signifie être conscient ? Les gens réfléchissent et écrivent sur cette question depuis des millénaires. Pourtant, de nombreux aspects de l’esprit conscient restent un mystère, notamment la manière de le mesurer et de l’ évaluer. Qu'est-ce qu'une unité de conscience ? Existe-t-il différents niveaux de conscience ? Qu'arrive-t-il à la conscience pendant le sommeil, le coma et l'anesthésie générale ?

En tant qu’anesthésiologistes, nous réfléchissons souvent à ces questions. Nous promettons chaque jour aux patients qu’ils seront déconnectés du monde extérieur et de leurs pensées intérieures pendant l’opération, qu’ils ne conserveront aucun souvenir de l’expérience et qu’ils ne ressentiront aucune douleur. Ainsi, l’anesthésie générale a permis d’énormes progrès médicaux, depuis les réparations vasculaires microscopiques jusqu’aux greffes d’organes solides.

En plus de leur impact considérable sur les soins cliniques, les anesthésiques sont devenus de puissants outils scientifiques pour sonder les questions relatives à la conscience. Ils nous permettent d’induire des changements profonds et réversibles dans les états de conscience et d’étudier les réponses cérébrales lors de ces transitions.

Mais l’un des défis auxquels sont confrontés les anesthésiologistes est de mesurer la transition d’un état à un autre. En effet, bon nombre des approches existantes interrompent ou perturbent ce que nous essayons d'étudier. Essentiellement, l’évaluation du système affecte le système. Dans les études sur la conscience humaine, déterminer si une personne est consciente peut éveiller la personne étudiée, ce qui perturbe cette évaluation même. Pour relever ce défi, nous avons adapté une approche simple que nous appelons la méthode respirer-squeeze. Cela nous offre un moyen d'étudier les changements de l'état de conscience sans les interrompre.

Pour comprendre cette approche, il est utile de considérer quelques enseignements issus d’études sur la conscience qui ont utilisé des anesthésiques. Depuis des décennies, les chercheurs utilisent l’électroencéphalographie (EEG) pour observer l’activité électrique dans le cerveau de personnes recevant divers anesthésiques. Ils peuvent ensuite analyser cette activité avec des lectures EEG pour caractériser les modèles spécifiques à divers anesthésiques, appelés signatures anesthésiques.

Ces recherches révèlent que la plupart des médicaments anesthésiques ralentissent les rythmes cérébraux et augmentent leur taille, effets qui altèrent la communication entre les régions du cerveau. Par exemple, une étude récente a révélé que le propofol, le médicament le plus couramment utilisé pour l’anesthésie générale, perturbe la façon dont les régions du cerveau travaillent généralement ensemble pour traiter les informations sensorielles.

La conscience, comme le révèlent cette recherche et d’autres, n’est pas simplement un système binaire – activé ou désactivé, conscient ou inconscient – ​​mais plutôt quelque chose qui peut englober un continuum de différents états qui impliquent différents types de fonctionnement du cerveau. Par exemple, la conscience peut être connectée à l'environnement par le biais de nos sens et de notre comportement (conscience connectée), comme lors de la plupart de nos heures d'éveil, ou déconnectée de notre environnement (conscience déconnectée), comme lorsque nous rêvons pendant le sommeil.

L’inconscience – comme lorsqu’une personne est dans le coma – est plus difficile à étudier que la conscience connectée ou déconnectée, mais elle est généralement comprise comme un état d’oubli, vide d’expérience subjective ou de mémoire. Lorsque nous préparons un patient à une intervention chirurgicale, nous ajustons les niveaux d’anesthésie pour le rendre inconscient. Lorsqu’une personne est sous anesthésie générale, elle vit un coma temporaire et réversible pendant lequel elle ne ressent aucune douleur et après quoi elle n’aura plus aucun souvenir de son intervention.

Comprendre les transitions entre ces états est essentiel pour garantir des niveaux adéquats d’anesthésie générale et pour éclairer les questions de recherche en anesthésiologie, sur la conscience, le sommeil et le coma. Pour mieux cartographier la transition hors de la conscience connectée, nous avons récemment adapté une nouvelle approche pour surveiller la capacité d'une personne à générer des comportements volontaires sans incitation externe.

Généralement, les chercheurs suivent le début de la sédation en émettant des commandes verbales et en enregistrant les réponses comportementales. Par exemple, un scientifique peut périodiquement demander à quelqu’un d’ouvrir les yeux ou d’appuyer sur un bouton tout en recevant une perfusion anesthésique. Une fois que la personne cesse de répondre à cette commande, le scientifique suppose qu’elle a perdu la conscience connectée.

Cette technique s’est avérée utile pour contraster l’esprit conscient connecté et déconnecté. Mais lorsqu’il s’agit de comprendre la transition entre ces états, il y a plusieurs inconvénients. D’une part, le signal auditif n’est pas standardisé : l’inflexion et le volume de la voix, ce qui est dit et la fréquence à laquelle il est répété varient d’une étude à l’autre et même au sein d’une même étude. Un problème plus fondamental est que ces commandes peuvent éveiller les gens lorsqu’ils dérivent vers un état de déconnexion. Cette limitation signifie que les chercheurs doivent souvent attendre plusieurs minutes entre l’émission de commandes verbales et l’évaluation de la réponse, ce qui ajoute de l’incertitude quant au moment exact de la transition.

Dans notre étude, nous souhaitions une approche plus sensible et précise pour mesurer le début de la sédation sans risquer de perturber la transition. Nous nous sommes donc tournés vers une méthode décrite pour la première fois en 2014 par des chercheurs sur le sommeil du Massachusetts General Hospital et de l’Université Johns Hopkins. Dans ce travail, les enquêteurs ont demandé aux participants de serrer une balle à chaque fois qu'ils inspiraient. Les chercheurs ont suivi les pressions de chaque personne à l'aide d'un dynamomètre, un outil pour mesurer la force de préhension, et d'un capteur électromyographique, qui mesure la réponse musculaire. De cette façon, ils ont pu suivre avec précision le processus d’endormissement sans le perturber.

Pour notre étude, nous avons formé 14 volontaires en bonne santé à cette même tâche et présenté l’exercice de respiration en pressant comme une sorte de méditation de pleine conscience. Nous avons demandé aux participants de se concentrer sur leur respiration et de serrer un dynamomètre portatif chaque fois qu'ils inspirent. Après quelques minutes d'entraînement pour chaque personne, nous avons placé un cathéter intraveineux dans son bras pour administrer le sédatif et installé des moniteurs de signes vitaux et un équipé d'un capuchon EEG à 64 canaux pour enregistrer les ondes cérébrales tout au long de l'expérience.

Tous les participants ont synchronisé de manière fiable leurs pressions avec leur respiration pendant une période de référence initiale sans aucune sédation. Ils ont ensuite reçu une perfusion lente de dexmédétomidine, un sédatif couramment utilisé dans les salles d'opération et les unités de soins intensifs. À mesure que les concentrations cérébrales de dexmédétomidine augmentaient, les participants manquaient parfois une pression ou la prenaient au mauvais moment. Finalement, ils ont complètement arrêté de serrer.

Après quelques tests supplémentaires, nous avons arrêté la perfusion de dexmédétomidine, permettant ainsi aux participants de se remettre de la sédation. À notre grand étonnement, après une période de 20 à 30 minutes, tout le monde s'est souvenu de la tâche et a commencé à serrer spontanément en synchronisation avec sa respiration, sans aucune incitation. Cela nous a permis d'analyser à la fois le moment du début et du décalage de la sédation et de les comparer avec des études antérieures utilisant des commandes verbales pour évaluer la conscience.

La tâche de respiration et de compression est donc clairement une approche plus sensible pour mesurer la transition hors de la conscience connectée. Les participants ont arrêté d'effectuer la tâche à des concentrations de dexmédétomidine inférieures à celles auxquelles les personnes avaient cessé de répondre aux signaux auditifs dans d'autres études, soulignant les effets excitants des signaux externes sur le système. Ces résultats peuvent également indiquer que la conscience connectée peut être décomposée en comportements générés en interne (comme se rappeler de serrer une balle pendant que vous inspirez) et en comportements provoqués de l'extérieur (comme répondre à des commandes verbales) avec des points de transition distincts - une idée qui affine notre compréhension du continuum de la conscience.

Des recherches antérieures ont caractérisé l'apparence du cerveau dans des états de conscience connectée et déconnectée. Nous savions donc généralement à quoi s'attendre des enregistrements EEG. Mais nous étions moins sûrs de la façon dont notre technique pourrait s’aligner sur la transition cérébrale entre les états de conscience. Nous avons découvert un schéma très clair de changements dans le cerveau lorsque les gens arrêtent de serrer le ballon. De plus, nous n’avons vu aucune preuve que la tâche de compression perturbe l’état de conscience des personnes. L'EEG a également révélé un calendrier beaucoup plus précis pour ce changement que les travaux antérieurs, identifiant la transition dans une période environ 10 fois plus courte que ce qui était possible avec les signaux auditifs - une fenêtre de cinq à six secondes au lieu des 30 secondes. - à un intervalle de 120 secondes qui était courant dans les travaux antérieurs.

Comme avantage supplémentaire, nous avons été ravis de découvrir que de nombreux participants à notre étude appréciaient la tâche de respiration pressée comme moyen de se concentrer sur l'apaisement de leur esprit et de leur corps. Pour cette raison, nous avons également mis en œuvre la méthode dans la pratique clinique, c’est-à-dire en dehors d’études soigneusement contrôlées, lors de l’induction d’une anesthésie générale lors d’interventions chirurgicales majeures, qui peuvent autrement être une expérience stressante pour les patients.

Nous nous appuyons désormais sur ce travail en analysant nos données EEG, ainsi que les données d'imagerie par résonance magnétique structurelle (IRM) de nos volontaires. Ces connaissances sur le passage d’une conscience connectée à une conscience déconnectée peuvent aider à éclairer les soins cliniques des patients nécessitant une anesthésie pour une intervention chirurgicale, ainsi que de ceux qui souffrent de troubles du sommeil ou de coma. Ces études nous mettent également au défi de nous attaquer aux aspects plus philosophiques de la conscience et pourraient ainsi éclairer la question fondamentale de ce que signifie être conscient.

Auteur: Internet

Info: 26 janv, 2024    Christian Guay et Emery Brown

[ réveillé ] [ assoupi ] [ entendement ] [ présence ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

multi-milliardaires

DE LA SURVIE DES PLUS RICHES
Quand des patrons de fonds d'investissement new-yorkais font appel à un spécialiste de la société de l'information, afin d'améliorer leurs chances de survie après l'Évènement qui détruira le monde tel que nous le connaissons.

AVERTISSEMENT, CECI N'EST PAS UNE FICTION
L’année dernière, j’ai été invité à donner une conférence dans un complexe hôtelier d’hyper-luxe face à ce que je pensais être un groupe d’une centaine de banquiers spécialisés dans l’investissement. On ne m’avait jamais proposé une somme aussi importante pour une intervention - presque la moitié de mon salaire annuel de professeur - et délivrer mes visions sur "l’avenir de la technologie".

Je n’ai jamais aimé parler du futur. Ce genre de séance d’échange se termine fatalement par un interrogatoire, à l’occasion duquel on me demande de me prononcer sur les dernières "tendances" technologiques, comme s’il s’agissait d’indicateurs boursiers pour les investisseurs : blockchain, impression 3D, CRISPR. L’audience s’y préoccupe généralement moins des technologies en elles-mêmes et de leurs implications, que de savoir si elles méritent ou non que l’on parie sur elles, en mode binaire. Mais l’argent ayant le dernier mot, j’ai accepté le boulot.

À mon arrivée, on m’a accompagné dans ce que j’ai cru n’être qu’une vulgaire salle technique. Mais alors que je m’attendais à ce que l’on me branche un microphone ou à ce que l’on m’amène sur scène, on m’a simplement invité à m’asseoir à une grande table de réunion, pendant que mon public faisait son entrée : cinq gars ultra-riches - oui, uniquement des hommes - tous issus des plus hautes sphères de la finance internationale. Dès nos premiers échanges, j’ai réalisé qu’ils n’étaient pas là pour le topo que je leur avais préparé sur le futur de la technologie. Ils étaient venus avec leurs propres questions.

Ça a d’abord commencé de manière anodine. Ethereum ou Bitcoin ? L’informatique quantique est-elle une réalité ? Lentement mais sûrement, ils m’ont amené vers le véritable sujet de leurs préoccupations.

Quelle sera la région du monde la plus épargnée par la prochaine crise climatique : la nouvelle Zélande ou l’Alaska ? Est-ce que Google construit réellement un nouveau foyer pour le cerveau de Ray Kurzweil ? Est-ce que sa conscience survivra à cette transition ou bien mourra-t-elle pour renaître ensuite ? Enfin, le PDG d’une société de courtage s’est inquiété, après avoir mentionné le bunker sous-terrain dont il achevait la construction : "Comment puis-je conserver le contrôle de mes forces de sécurité, après l’Événement ?"

L’Évènement. Un euphémisme qu’ils employaient pour évoquer l’effondrement environnemental, les troubles sociaux, l’explosion nucléaire, le nouveau virus impossible à endiguer ou encore l’attaque informatique d’un Mr Robot qui ferait à lui seul planter tout le système.

Cette question allait nous occuper durant toute l’heure restante. Ils avaient conscience que des gardes armés seraient nécessaires pour protéger leurs murs des foules en colère. Mais comment payer ces gardes, le jour où l’argent n’aurait plus de valeur ? Et comment les empêcher de se choisir un nouveau leader ? Ces milliardaires envisageaient d’enfermer leurs stocks de nourriture derrière des portes blindées aux serrures cryptées, dont eux seuls détiendraient les codes. D’équiper chaque garde d’un collier disciplinaire, comme garantie de leur survie. Ou encore, si la technologie le permettait à temps, de construire des robots qui serviraient à la fois de gardes et de force de travail.

C’est là que ça m’a frappé. Pour ces messieurs, notre discussion portait bien sur le futur de la technologie. Inspirés par le projet de colonisation de la planète Mars d’Elon Musk, les tentatives d’inversion du processus du vieillissement de Peter Thiel, ou encore les expériences de Sam Altman et Ray de Kurzweil qui ambitionnent de télécharger leurs esprits dans de super-ordinateurs, ils se préparaient à un avenir numérique qui avait moins à voir avec l’idée de construire un monde meilleur que de transcender la condition humaine et de se préserver de dangers aussi réels qu’immédiats, comme le changement climatique, la montée des océans, les migrations de masse, les pandémies planétaires, les paniques identitaires et l’épuisement des ressources. Pour eux, le futur de la technologie se résumait à une seule finalité : fuir.

Il n’y a rien de mal aux visions les plus follement optimistes sur la manière dont la technologie pourrait bénéficier à l’ensemble de la société humaine. Mais l’actuel engouement pour les utopies post-humaines est d’un tout autre ordre. Il s’agit moins d’une vision de la migration de l’ensemble de notre espèce vers une nouvelle condition humaine, que d’une quête pour transcender tout ce qui nous constitue : nos corps, notre interdépendance, la compassion, la vulnérabilité et la complexité. Comme l’indiquent maintenant depuis plusieurs années les philosophes de la technologie, le prisme transhumaniste réduit trop facilement la réalité à un conglomérat de données, en concluant que "les humains ne sont rien d’autre que des centres de traitement de l’information".

L’évolution humaine s’apparente alors à une sorte de jeu vidéo labyrinthique, dont les heureux gagnants balisent le chemin de la sortie pour leurs partenaires les plus privilégiés. S’agit-il de Musk, Bezos, Thiel… Zuckerberg ? Ces quelques milliardaires sont les gagnants présupposés d’une économie numérique régie par une loi de la jungle qui sévit dans le monde des affaires et de la spéculation dont ils sont eux-mêmes issus.

Bien sûr, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Il y a eu une période courte, au début des années 1990, où l’avenir numérique apparaissait fertile, enthousiasmant, ouvert à la création. La technologie y devenait le terrain de jeu de la contre-culture, qui vit là l’opportunité de créer un futur plus inclusif, mieux réparti et pro-humain. Mais les intérêts commerciaux n’y ont vu pour leur part que de nouveaux potentiels pour leurs vieux réflexes. Et trop de technologues se sont laissés séduire par des IPO (introduction en bourse) chimériques. Les futurs numériques s’en retrouvèrent envisagés sous le même prisme que le cours de la bourse ou du coton, dans ce même jeu dangereux de paris et de prédictions. Ainsi, la moindre étude documentaire, le moindre article ou livre blanc publié sur ce thème n’étaient plus interprété que comme un nouvel indice boursier. Le futur s’est transformé en une sorte de scénario prédestiné, sur lequel on parie à grands renforts de capital-risque, mais qu’on laisse se produire de manière passive, plus que comme quelque chose que l’on crée au travers de nos choix présents et de nos espoirs pour l’espèce humaine.

Ce qui a libéré chacun d’entre nous des implications morales de son activité. Le développement technologique est devenu moins une affaire d’épanouissement collectif que de survie individuelle. Pire, comme j’ai pu l’apprendre à mes dépens, le simple fait de pointer cette dérive suffisait à vous désigner d’emblée comme un ennemi rétrograde du marché, un ringard technophobe.

Et plutôt que de questionner la dimension éthique de pratiques qui exploitent et appauvrissent les masses au profit d’une minorité, la majorité des universitaires, des journalistes et des écrivains de science fiction ont préféré se focaliser sur des implications plus abstraites et périphériques : "Est-il juste qu’un trader utilise des drogues nootropiques ? Doit-on greffer des implants aux enfants pour leur permettre de parler des langues étrangères? Les véhicules intelligents doivent-ils privilégier la sécurité des piétons ou celle de leurs usagers? Est-ce que les premières colonies martiennes se doivent d’adopter un modèle démocratique? Modifier son ADN, est-ce modifier son identité ? Est-ce que les robots doivent avoir des droits ?".

Sans nier le côté divertissant de ces questions sur un plan philosophique, force est d’admettre qu’elles ne pèsent pas lourd face aux vrais enjeux moraux posés par le développement technologique débridé, au nom du capitalisme pratiqué par les multinationales. Les plateformes numériques ont modifié un marché déjà fondé sur l’exploitation (Walmart) pour donner naissance à un successeur encore plus déshumanisant (Amazon). La plupart d’entre-nous sommes conscients de ces dérives, rendues visibles par la recrudescence des emplois automatisés, par l’explosion de l’économie à la tâche et la disparition du commerce local de détails.

Mais c’est encore vis-à-vis de l’environnement et des populations les plus pauvres que ce capitalisme numérique désinhibé produit ses effets les plus dévastateurs. La fabrication de certains de nos ordinateurs et de nos smartphones reste assujettie au travail forcé et à l’esclavage. Une dépendance si consubstantielle que Fairphone, l’entreprise qui ambitionnait de fabriquer et de commercialiser des téléphones éthiques, s’est vue obligée de reconnaître que c’était en réalité impossible. Son fondateur se réfère aujourd’hui tristement à ses produits comme étant "plus" éthiques.

Pendant ce temps, l’extraction de métaux et de terres rares, conjuguée au stockage de nos déchets technologiques, ravage des habitats humains transformés en véritables décharges toxiques, dans lesquels es enfants et des familles de paysans viennent glaner de maigres restes utilisables, dans l’espoir de les revendre plus tard aux fabricants.

Nous aurons beau nous réfugier dans une réalité alternative, en cachant nos regards derrière des lunettes de réalité virtuelle, cette sous-traitance de la misère et de la toxicité n’en disparaîtra pas pour autant. De fait, plus nous en ignorerons les répercussions sociales, économiques et environnementales, plus elles s’aggraveront. En motivant toujours plus de déresponsabilisation, d’isolement et de fantasmes apocalyptiques, dont on cherchera à se prémunir avec toujours plus de technologies et de business plans. Le cycle se nourrit de lui-même.

Plus nous adhérerons à cette vision du monde, plus les humains apparaitront comme la source du problème et la technologie comme la solution. L’essence même de ce qui caractérise l’humain est moins traité comme une fonctionnalité que comme une perturbation. Quels que furent les biais idéologiques qui ont mené à leur émergence, les technologies bénéficient d’une aura de neutralité. Et si elles induisent parfois des dérives comportementales, celles-ci ne seraient que le reflet de nos natures corrompues. Comme si nos difficultés ne résultaient que de notre sauvagerie constitutive. À l’instar de l’inefficacité d’un système de taxis locaux pouvant être "résolue" par une application qui ruine les chauffeurs humains, les inconsistances contrariantes de notre psyché pouvait être corrigée par une mise à jour digitale ou génétique.

Selon l’orthodoxie techno-solutionniste, le point culminant de l’évolution humaine consisterait enfin à transférer notre conscience dans un ordinateur, ou encore mieux, à accepter la technologie comme notre successeur dans l’évolution des espèces. Comme les adeptes d’un culte gnostique, nous souhaitons atteindre la prochaine phase transcendante de notre évolution, en nous délestant de nos corps et en les abandonnant, avec nos péchés et nos problèmes.

Nos films et nos productions télévisuelles continuent d’alimenter ces fantasmes. Les séries sur les zombies dépeignent ainsi une post-apocalypse où les gens ne valent pas mieux que les morts vivants - et semblent en être conscients. Pire, ces projections fictives invitent les spectateurs à envisager l’avenir comme une bataille à somme nulle entre les survivants, où la survie d’un groupe dépend mécaniquement de la disparition d’un autre. Jusqu’à la série Westworld, basée sur un roman de science-fiction dans lequel les robots deviennent fous et qui clôt sa seconde saison sur une ultime révélation : les êtres humains sont plus simples et plus prévisibles que les intelligences artificielles qu’ils ont créées. Les robots y apprennent que nous nous réduisons, tous autant que nous sommes, à quelques lignes de code et que notre libre arbitre n’est qu’une illusion. Zut ! Dans cette série, les robots eux-mêmes veulent échapper aux limites de leurs corps et passer le reste de leurs vies dans une simulation informatique.

Seul un profond dégoût pour l’humanité autorise une telle gymnastique mentale, en inversant ainsi les rôles de l’homme et de la machine. Modifions-les ou fuyons-les, pour toujours.

Ainsi, nous nous retrouvons face à des techno-milliardaires qui expédient leurs voiture électriques dans l’espace, comme si ça symbolisait autre chose que la capacité d’un milliardaire à assurer la promotion de sa propre compagnie. Et quand bien même quelques élus parviendraient à rallier la planète Mars pour y subsister dans une sorte de bulle artificielle - malgré notre incapacité à maintenir des telles bulles sur Terre, malgré les milliards de dollars engloutis dans les projets Biosphère - le résultat s’apparenterait plus à une espèce de chaloupe luxueuse réservée une élite qu’à la perpétuation de la diaspora humaine.

Quand ces responsables de fonds d’investissement m’ont interrogé sur la meilleure manière de maintenir leur autorité sur leurs forces de sécurité "après l’Évènement", je leur ai suggéré de traiter leurs employés du mieux possible, dès maintenant. De se comporter avec eux comme s’il s’agissait des membres de leur propre famille. Et que plus ils insuffleraient cette éthique inclusive à leur pratiques commerciales, à la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement, au développement durable et à la répartition des richesses, moins il y aurait de chances que "l’Événement" se produise. Qu’ils auraient tout intérêt à employer cette magie technologique au service d’enjeux, certes moins romantiques, mais plus collectifs, dès aujourd’hui.

Mon optimisme les a fait sourire, mais pas au point de les convaincre. Éviter la catastrophe ne les intéressait finalement pas, persuadés qu’ils sont que nous sommes déjà trop engagés dans cette direction. Malgré le pouvoir que leur confèrent leurs immenses fortunes, ils ne veulent pas croire en leur propre capacité d’infléchir sur le cours des événements. Ils achètent les scénarios les plus sombres et misent sur leur argent et la technologie pour s’en prémunir - surtout s’ils peuvent disposer d’un siège dans la prochaine fusée pour Mars.

Heureusement, ceux d’entre nous qui n’ont pas de quoi financer le reniement de leur propre humanité disposent de meilleures options. Rien nous force à utiliser la technologie de manière aussi antisociale et destructive. Nous pouvons nous transformer en individus consommateurs, aux profils formatés par notre arsenal de plateformes et d’appareils connectés, ou nous pouvons nous souvenir qu’un être humain véritablement évolué ne fonctionne pas seul.

Être humain ne se définit pas dans notre capacité à fuir ou à survivre individuellement. C’est un sport d’équipe. Quel que soit notre futur, il se produira ensemble.

Auteur: Rushkoff Douglas

Info: Quand les riches conspirent pour nous laisser derrière. Avec l’accord de l’auteur, traduction de Céleste Bruandet, avec la participation de Laurent Courau

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création

Créativité: 18 choses que les gens créatifs font différemment des autres
La créativité opère de manière mystérieuse et souvent paradoxale. La pensée créative est une caractéristique stable qui définit certaines personnalités, mais elle peut aussi changer en fonction du contexte. On a souvent l'impression que l'inspiration et les idées naissent de nulle part et qu'elles disparaissent au moment où on a le plus besoin d'elles. La pensée créative nécessite une cognition complexe qui est néanmoins complètement différente du processus de réflexion.
La neuroscience nous propose une image très complexe de la créativité. Tels que les scientifiques le comprennent aujourd'hui, la créativité est bien plus complexe que la distinction entre les parties droite et gauche du cerveau nous aurait laissé penser (en théorie, le cerveau gauche serait rationnel et analytique tandis que le cerveau droit serait créatif et émotionnel). En fait, on pense que la créativité implique un certain nombre de processus cognitifs, de voies neuronales et d'émotions, et nous ne nous représentons pas encore totalement comment l'imagination fonctionne.
Psychologiquement parlant, les types de personnalités créatives sont difficiles à repérer, car elles sont en général complexes, paradoxales et qu'elles ont tendance à éviter l'habitude ou la routine. Le stéréotype de l'"artiste torturé" n'est pas infondé - les artistes peuvent vraiment être des personnes encore plus compliquées. Une étude a montré que la créativité implique qu'une multitude de traits, de comportements et d'influences sociales soient rassemblées en une seule et unique personne.
"C'est vraiment difficile pour les personnes créatives de se connaître, car le moi créatif est plus complexe que le moi non-créatif", a déclaré Scott Barry Kaufman, un psychologue de l'Université de New York qui a passé des années à faire des recherches sur la créativité, au Huffington Post. "Les choses qui ressortent le plus sont les paradoxes du moi créatif... Les personnes imaginatives ont des esprits plus désordonnés."
S'il n'existe pas de profil créatif "typique ", on trouve cependant des caractéristiques et des comportements révélateurs chez les personnes extrêmement créatives. Voici 18 choses qu'elles font différemment.
1) Ils rêvassent
Les personnes créatives le savent bien, malgré ce que leurs professeurs ont pu leur dire: rêvasser n'est pas une perte de temps.
Selon Kaufman et la psychologue Rebecca L. McMillan, co-auteurs d'un article intitulé "Ode à la rêverie positive constructive", laisser son esprit vagabonder peut faciliter le processus de "l'incubation créative". Et bien sûr, nous savons par expérience que nos meilleures idées ont souvent l'air de sortir de nulle part, quand nous avons l'esprit ailleurs.
Bien que rêvasser semble être un acte irréfléchi, une étude parue en 2012 suggérait que cela pourrait en fait nécessiter une grande activité du cerveau - rêvasser peut entraîner des connexions et des idées soudaines parce que cette activité est liée à notre capacité à retenir une information en période de distraction. Les neuroscientifiques ont aussi découvert que rêvasser implique les mêmes processus cognitifs que ceux associés à l'imagination et la créativité.
2) Ils observent tout ce qui est autour d'eux
Le monde appartient aux personnes créatives - elles voient des possibilités partout et recueillent constamment des informations qui deviennent un prétexte à l'expression créative. Comme disait Henry James, "rien n'est perdu chez un écrivain".
L'écrivain Joan Didion avait toujours un petit cahier sur elle, et elle écrivait ses observations sur les gens et les événements qui pourraient à terme lui permettre de mieux comprendre les complexités et les contradictions de son propre esprit:
"Quand nous enregistrons ce que nous voyons autour de nous, que ce soit scrupuleusement ou non, le dénominateur commun de tout ce que nous voyons est toujours, effrontément, l'implacable 'Je'", écrivait Didion dans son essai On Keeping A Notebook.
3) Ils travaillent aux heures qui les arrangent
Beaucoup de grands artistes affirment qu'ils travaillent mieux soit très tôt le matin soit tard le soir. Vladimir Nabokov commençait à écrire dès qu'il se levait, à 6 ou 7 heures du matin, et Frank Lloyd Wright avait l'habitude de se réveiller à 3 ou 4 heures du matin et de travailler pendant quelques heures avant de se recoucher. Quel que soit le moment de la journée, les individus très créatifs finissent souvent par trouver à quelle heure leur esprit se met en route, et organisent leurs journées en fonction de cela.
4) Ils prennent le temps d'être seuls
"Afin d'être ouverts à la créativité, nous devons avoir la capacité d'un usage constructif de la solitude. Nous devons dépasser la peur d'être seul", a écrit le psychologue existentiel américain Rollo May.
Les artistes et les personnes créatives sont souvent caractérisées comme des personnes solitaires, et bien que ce ne soit pas forcément le cas, la solitude peut être le secret qui leur permet de produire leurs plus belles oeuvres. Pour Kaufman, ceci est en lien avec le fait de rêvasser - nous avons besoin de moments de solitude, simplement pour permettre à nos esprits de vagabonder.
"Vous devez rester en connexion avec ce monologue intérieur afin de pouvoir l'exprimer", affirme-t-il. "Il est difficile de trouver cette voix créatrice en vous si vous ne restez pas en connexion avec vous-même et que vous ne réfléchissez pas à ce que vous êtes."
5) Ils contournent les obstacles de la vie.
Une grande partie des histoires et des chansons les plus emblématiques ont été inspirées par des douleurs poignantes et des chagrins déchirants - et le seul réconfort que l'on peut trouver dans ces épreuves, c'est qu'elles ont sans doute été à l'origine de créations artistiques majeures. Un nouveau domaine de psychologie appelé la croissance post-traumatique suggère que beaucoup de gens sont capables de transformer leurs épreuves et les traumatismes de leur enfance en un développement créatif important. Précisément, les chercheurs montrent que le traumatisme peut aider les gens à développer les domaines des relations interpersonnelles, de la spiritualité, de l'appréciation de la vie, ou encore de la force personnelle, et - ce qui importe le plus pour la créativité - leur permettre d'entrevoir de nouvelles possibilités de vie.
"Beaucoup de gens sont capables d'utiliser cela comme un moteur qui leur permet d'imaginer des perspectives différentes de la réalité", assure Kaufman. "Ce qu'il se passe, c'est que leur vision du monde comme étant un lieu sûr a été brisée à un moment de leur vie, les forçant à aller aux extrémités et voir les choses sous un nouveau jour - et cela favorise la créativité."
6) Ils sont à la recherche de nouvelles expériences
Les personnes créatives adorent s'exposer à de nouvelles expériences ou sensations et à de nouveaux états d'esprit - et cette ouverture est un indicateur important de la production créatrice.
"L'ouverture à l'expérience est toujours l'indicateur le plus fort de la réalisation créative", explique Kaufman. "Cela comprend beaucoup de facettes différentes, mais elles sont toutes reliées entre elles : la curiosité intellectuelle, la recherche du frisson, l'ouverture aux émotions, l'ouverture au fantasme. Ce qui les rassemble, c'est la quête d'une exploration cognitive et comportementale du monde, aussi bien votre monde intérieur et votre monde extérieur."
7) Ils "échouent"
La persévérance est presque une condition préalable au succès créatif, selon Kaufman. Faire un travail créatif est souvent décrit comme un processus qui consiste à échouer à maintes reprises jusqu'à ce que vous trouviez quelque chose qui convienne, et les personnes créatives - du moins celles qui réussissent - apprennent à ne pas considérer l'échec comme quelque chose de personnel. "Les personnes créatives échouent et celles qui sont vraiment douées échouent souvent", a écrit Steven Kotler, un contributeur de Forbes, dans un article sur le génie créatif d'Einstein.
8) Ils posent les bonnes questions
Les personnes créatives ont une curiosité insatiable - ils choisissent généralement de vivre la vie examinée, et même quand ils vieillissent, ils maintiennent une curiosité au sujet de la vie. Que ce soit au cours d'une conversation passionnée ou d'un moment de rêvasserie solitaire, les personnes créatives regardent le monde qui les entoure et veulent savoir pourquoi, et comment, les choses sont ainsi.
9) Ils observent les gens
Observateurs de nature et curieux d'en savoir plus sur la vie des autres, les personnes créatives aiment souvent observer les gens - et leurs meilleures idées peuvent provenir de cette activité.
"Marcel Proust a passé une grande partie de sa vie à observer les gens, et il écrivait ses observations qui ressortaient finalement dans ses livres", affirme Kaufman. "Pour beaucoup d'écrivains, observer les gens est très important ... Ils sont de très bons observateurs de la nature humaine."
10) Ils prennent des risques
Prendre des risques fait partie du travail créatif, et beaucoup de personnes créatives adorent prendre des risques dans de différents aspects de leurs vies.
"Il y a une connexion sérieuse et profonde entre la prise de risques et la créativité, qui est rarement prise en compte", a écrit Steven Kotler pour Forbes. "La créativité est l'action de produire quelque chose à partir de rien. Cela nécessite de rendre public ces paris que l'on a d'abord fait dans sa tête. Ce n'est pas un travail pour les timides. Du temps perdu, une réputation salie, de l'argent mal dépensé - tout cela découle d'une créativité qui est allée de travers."
11) Pour eux, tout devient une occasion de s'exprimer
Nietzsche estimait que la vie et le monde devraient être vus comme des oeuvres d'arts. Les personnes créatives ont peut-être plus tendance à voir le monde de cette façon, et à chercher constamment des occasions de s'exprimer dans la vie de tous les jours.
"L'expression créative est de l'expression individuelle", affirme Kaufman. "La créativité n'est rien de plus qu'une expression individuelle de vos besoins, de vos désirs et de votre singularité."
12) Ils réalisent leurs vraies passions
Les personnes créatives ont tendance à être intrinsèquement motivés - c'est-à-dire que leur motivation à agir vient d'un désir interne, plutôt que d'un désir de reconnaissance extérieure ou de récompense.
Les psychologues ont démontré que les personnes créatives trouvent leur énergie dans les activités difficiles, signe de leur motivation intrinsèque, et les chercheurs suggèrent que le fait de simplement penser à des raisons intrinsèques lorsqu'on fait une activité peut suffire à booster la créativité.
"Les créateurs éminents choisissent et deviennent passionnément impliqués dans des problèmes difficiles et risqués qui leur procure une sensation de pouvoir découlant de leur capacité à utiliser leurs talents", écrivent M.A. Collins and T.M. Amabile dans The Handbook of Creativity.
13) Ils sortent de leur propre tête
Kaufman soutient que l'autre objectif de la rêvasserie est de nous aider à sortir de nos propres perspectives limitées et d'explorer d'autres façons de penser, qui peuvent être un atout important pour le travail créatif.
"Rêvasser nous permet d'oublier le présent", explique Kaufman. "Le réseau cérébral associé à la rêvasserie est le même réseau cérébral qui est associé à la théorie de l'esprit - j'aime l'appeler 'le réseau cérébral de l'imagination' - cela vous permet d'imaginer votre futur, mais cela vous permet aussi d'imaginer ce qu'un autre est en train de penser."
Les chercheurs suggèrent aussi que provoquer la "distance psychologique" - c'est-à-dire, réfléchir à une question comme si elle était irréelle ou inconnue, ou alors sous la perspective d'une autre personne - peut stimuler la pensée créative.
14) Ils perdent la notion du temps.
Les personnes créatives se rendent compte que lorsqu'elles écrivent, dansent, peignent ou s'expriment d'une autre manière, elles entrent "dans la zone", c'est-à-dire "en transe", ce qui peut les aider à créer à un grand niveau. La transe est un état mental qui se produit quand un individu dépasse la pensée consciente pour atteindre un état plus intense de concentration facile et de sérénité. Quand une personne est dans cet état, elle ne craint quasiment aucune pression interne ou externe ni les distractions qui pourraient gêner sa performance.
Vous entrez en transe quand vous pratiquez une activité dans laquelle vous êtes bon mais qui vous met aussi au défi - comme tout projet créatif.
"[Les personnes créatives] ont trouvé la chose qu'ils aiment, mais ils ont aussi acquis la compétence qui leur permet d'entrer en transe", explique Kaufman. "L'état de transe nécessite une concordance entre votre compétence et la tâche ou l'activité dans laquelle vous vous êtes lancé."
15) Ils s'entourent de beauté.
Les personnes créatives ont tendance à avoir d'excellents goûts: ils aiment donc être entourés de beauté. Une étude récemment publiée dans le journal Psychologie de l'esthétique, créativité, et les arts montre que les musiciens - que ce soit des musiciens d'orchestre, des professeurs de musique ou des solistes - ont une haute sensibilité et une haute réceptivité à la beauté artistique.
16) Ils relient les points.
Si une chose distingue les personnes très créatives des autres, c'est bien la capacité d'entrevoir des possibilités là où les autres n'en voient pas - ou, dans d'autres termes, la vision. Beaucoup de grands artistes et d'écrivains ont déclaré que la créativité est simplement la capacité à relier des points que les autres n'auraient jamais pensé à relier.
Selon les dires de Steve Jobs:
"La créativité, c'est simplement établir des connexions entre les choses. Quand vous demandez aux personnes créatives comment elles ont réalisé telle ou telle chose, elles se sentent un peu coupables parce qu'elles ne l'ont pas vraiment réalisé, elles ont juste vu quelque chose. Cela leur a sauté aux yeux, tout simplement parce qu'elles sont capables de faire le lien entre les différences expériences qu'elles ont eu et de synthétiser les nouvelles choses.
17) Elles font bouger les choses.
La diversité des expériences, plus que n'importe quoi d'autre, est essentielle à la créativité, selon Kaufman. Les personnes créatives aiment faire bouger les choses, vivre de nouvelles choses, et surtout éviter tout ce qui rend la vie plus monotone ou ordinaire.
"Les personnes créatives ont une plus grande diversité d'expériences, et l'habitude est l'ennemi de la diversité des expériences", affirme Kaufman.
18) Ils consacrent du temps à la méditation.
Les personnes créatives saisissent la valeur d'un esprit clair et concentré - parce que leur travail en dépend. Beaucoup d'artistes, d'entrepreneurs, d'écrivains et autres créateurs, tels que David Lynch, se sont tournés vers la méditation afin d'avoir accès à leur état d'esprit le plus créatif.
Et la science soutient l'hypothèse qui affirme que la méditation peut réellement stimuler votre force intellectuelle de différentes manières. Une étude hollandaise parue en 2012 montrait que certaines techniques de méditation peuvent encourager la pensée créative. Et les pratiques de méditation ont aussi un impact sur la mémoire, la concentration et le bien-être émotionnel. Elles permettent aussi de réduire le stress et l'anxiété, et d'améliorer la clarté d'esprit - et ainsi conduire à de meilleures pensées créatives.

Auteur: Gregoire Carolyn

Info: The Huffington Post mars 2014

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résonances organiques

Les avantages sociaux de la synchronisation de notre cerveau

Nos ondes cérébrales peuvent s'aligner lorsque nous travaillons et jouons en étroite collaboration. Le phénomène, connu sous le nom de synchronisation inter-cerveau, suggère que la collaboration est biologique.

(Photo : De plus en plus de recherches montrent comment l’activité neuronale peut se synchroniser entre plusieurs personnes, ce qui entraîne de meilleurs résultats sociaux et créatifs.)

Le célèbre duo de pianos polonais Marek et Wacek n'utilisait pas de partitions lors de ses concerts live. Et pourtant, sur scène, le duo semblait parfaitement synchronisé. Sur des pianos adjacents, ils reprenaient de manière ludique divers thèmes musicaux, mêlé musique classique et jazz et improvisé en temps réel. "Nous avons suivi le courant", a déclaré Marek Tomaszewski, qui a joué avec Wacek Kisielewski jusqu'à la mort de Wacek en 1986. "C'était un pur plaisir."

Les pianistes semblaient lire dans les pensées des autres en échangeant des regards. C’était, dit Marek, comme s’ils étaient sur la même longueur d’onde. Un nombre croissant de recherches suggèrent que cela aurait pu être littéralement vrai.

Des dizaines d'expériences récentes étudiant l'activité cérébrale de personnes qui se produisent et travaillent ensemble – pianistes en duo, joueurs de cartes, enseignants et étudiants, puzzleurs et autres – montrent que leurs ondes cérébrales peuvent s'aligner dans un phénomène connu sous le nom de synchronisation neuronale interpersonnelle, également connue sous le nom de synchronie inter-cerveau.

"De nombreuses recherches montrent désormais que les personnes qui interagissent ensemble présentent des activités neuronales coordonnées", a déclaré Giacomo Novembre, neuroscientifique cognitif à l'Institut italien de technologie de Rome, qui a publié l'été dernier un article clé sur ce sujet. Les études se sont multipliées au cours des dernières années – notamment la semaine dernière – au fur et à mesure que de nouveaux outils et des techniques améliorées ont affiné la science et la théorie.

Ils montrent que la synchronisation entre les cerveaux présente des avantages. Qui conduit à une meilleure résolution de problèmes, à un meilleur apprentissage et à une meilleure coopération, et même à des comportements qui aident les autres à leur dépens. De plus, des études récentes dans lesquelles les cerveaux ont été stimulés par un courant électrique suggèrent que la synchronisation elle-même pourrait entraîner l'amélioration des performances observée par les scientifiques.

" La cognition est quelque chose qui se produit non seulement dans le crâne, mais aussi en relation avec l'environnement et avec les autres ", a déclaré Guillaume Dumas, professeur de psychiatrie computationnelle à l'Université de Montréal. Comprendre quand et comment nos cerveaux se synchronisent pourrait nous aider à communiquer plus efficacement, à concevoir de meilleures salles de classe et à aider les équipes à coopérer.

Se synchroniser


Les humains, comme les autres animaux sociaux, ont tendance à synchroniser leurs comportements. Si vous marchez à côté de quelqu’un, vous commencerez probablement à marcher au pas. Si deux personnes s’assoient côte à côte dans des fauteuils à bascule, il y a de fortes chances qu’elles commencent à se balancer au même rythme.

Une telle synchronisation comportementale, selon les recherches, nous rend plus confiants, nous aide à créer des liens et stimule nos instincts sociaux. Dans une étude, danser de manière synchronisée permettait aux participants de se sentir émotionnellement proches les uns des autres – bien plus que pour les groupes qui se déplaçaient de manière asynchrone. Dans une autre étude, les participants qui scandaient des mots de manière rythmée étaient plus susceptibles de coopérer à un jeu d'investissement. Même une simple marche à l'unisson avec une personne issue d'une minorité ethnique peut réduire les préjugés.

" La coordination est une caractéristique de l’interaction sociale. C'est vraiment crucial " a déclaré Novembre. "Lorsque la coordination est altérée, l'interaction sociale est profondément altérée."

Lorsque nos mouvements se coordonnent, une myriade de synchronisations invisibles à l’œil nu se produisent également à l’intérieur de notre corps. Quand les gens tambourinent ensemble, leurs cœurs battent ensemble. Les fréquences cardiaques des thérapeutes et de leurs patients peuvent se synchroniser pendant les séances (surtout si la relation thérapeutique fonctionne bien), tout comme celles des couples mariés. D’autres processus physiologiques, tels que notre rythme respiratoire et nos niveaux de conductance cutanée, peuvent également correspondre à ceux d’autres personnes.

(Photo : Ce n’est qu’au cours des 20 dernières années qu’est apparue une technologie permettant aux neuroscientifiques d’étudier la synchronisation inter-cerveau. L'hyperscanning utilise la spectroscopie fonctionnelle proche infrarouge, portée sur un appareil semblable à un bonnet de bain, pour surveiller l'activité neuronale de plusieurs individus s'engageant socialement.)

L’activité de notre cerveau peut-elle se synchroniser ? En 1965, la revue Science a publié les résultats d’une expérience suggérant que c’était possible. Des scientifiques de l'Université Thomas Jefferson de Philadelphie ont testé des paires de jumeaux identiques en insérant des électrodes sous leur cuir chevelu pour mesurer leurs ondes cérébrales – une technique appelée électroencéphalographie. Les chercheurs ont rapporté que lorsque les jumeaux restaient dans des pièces séparées, si l’un d’eux fermait les yeux, les ondes cérébrales des deux reflétaient le même mouvement. Les pointes sur l'électroencéphalographe de l'un des jumeaux reflétaient celles de l'autre. L’étude était cependant erronée sur le plan méthodologique. Les chercheurs avaient testé plusieurs paires de jumeaux mais n'avaient publié les résultats que pour la paire dans laquelle ils avaient observé une synchronie. Voilà qui n’a pas aidé ce domaine universitaire en plein essor. Pendant des décennies, la recherche sur la synchronisation intercérébrale fut donc reléguée dans la catégorie des " étranges bizarreries paranormales " et n’a pas été prise au sérieux.

La réputation du domaine a commencé à changer au début des années 2000 avec la popularisation de l' hyperscanning, une technique qui permet aux scientifiques de scanner simultanément le cerveau de plusieurs personnes en interaction. Au début, cela impliquait de demander à des paires de volontaires de s'allonger dans des appareils d'IRMf séparés, ce qui limitait considérablement les types d'études que les scientifiques pouvaient réaliser. Les chercheurs ont finalement pu utiliser la spectroscopie fonctionnelle proche infrarouge (fNIRS), qui mesure l'activité des neurones dans les couches externes du cortex. Le grand avantage de cette technologie est sa facilité d'utilisation : les volontaires peuvent jouer de la batterie ou étudier dans une salle de classe tout en portant des bonnets fNIRS, qui ressemblent à des bonnets de bain avec une multitude de câbles qui dépassent.

Lorsque plusieurs personnes  interagissent tout en portant des casquettes fNIRS, les scientifiques ont commencé à découvrir une activité interneurale synchronisée dans des régions du cerveau, qui variaient selon la tâche et la configuration de l'étude. Ils ont également observé des ondes cérébrales, qui représentent des schémas électriques dans le déclenchement neuronal, se synchronisant sur plusieurs fréquences. Sur une lecture électroencéphalographique de deux cerveaux synchronisés, les lignes représentant l'activité neuronale de chaque personne fluctuent ensemble : chaque fois que l'une monte ou descend, l'autre fait de même, bien que parfois avec un décalage dans le temps. Parfois, des ondes cérébrales apparaissent dans des images en miroir – lorsque celles d’une personne montent, celles de l’autre descendent en même temps et avec une ampleur similaire – ce que certains chercheurs considèrent également comme une forme de synchronie.

Avec de nouveaux outils, il est devenu de plus en plus clair que la synchronisation inter-cerveau n’était ni un charabia métaphysique ni le produit de recherches erronées. "Le signal est définitivement là", a déclaré Antonia Hamilton , neuroscientifique sociale à l'University College de Londres. Ce qui s'est avéré plus difficile à comprendre, c'est comment deux cerveaux indépendants, dans deux corps distincts, pouvaient montrer une activité similaire dans l'espace. Maintenant, dit Hamilton, la grande question est : " Qu’est-ce que cela nous raconte ? "

La recette de la synchronisation

Novembre est fasciné depuis longtemps par la manière dont les humains se coordonnent pour atteindre des objectifs communs. Comment les musiciens – les pianistes en duo, par exemple – collaborent-ils si bien ? Pourtant, c'est en pensant aux animaux, comme les lucioles synchronisant leurs flashs, qu'il s'est mis sur la voie de l'étude des ingrédients nécessaires à l'apparition de la synchronisation inter-cerveau.

Étant donné que la synchronie est " si répandue parmi tant d’espèces différentes ", se souvient-il, " je me suis dit : OK, alors il pourrait y avoir un moyen très simple de l’expliquer. "

Novembre et ses collègues ont mis en place une expérience, publiée l'été dernier , dans laquelle des paires de volontaires ne faisaient que s'asseoir l'un en face de l'autre tandis qu'un équipement photographique suivait les mouvements de leurs yeux, de leur visage et de leur corps. Parfois, les volontaires pouvaient se voir ; à d'autres moments, ils étaient séparés par une cloison. Les chercheurs ont découvert que dès que les volontaires se regardaient dans les yeux, leurs ondes cérébrales se synchronisaient instantanément. Le sourire s’est avéré encore plus puissant pour aligner les ondes cérébrales.

" Il y a quelque chose de spontané dans la synchronisation", a déclaré Novembre.

Le mouvement est également lié à l’activité synchronisée des ondes cérébrales. Dans l'étude de Novembre, lorsque les gens bougeaient leur corps de manière synchronisée – si, par exemple, l'un levait la main et que l'autre faisait de même – leur activité neuronale correspondait, avec un léger décalage. Cependant, la synchronisation intercérébrale va au-delà de la simple reproduction des mouvements physiques. Dans une étude publiée l'automne dernier sur des pianistes jouant en duo, une rupture de la synchronisation comportementale n'a pas provoqué la désynchronisation des deux cerveaux.

Un autre ingrédient important de la synchronisation neuronale "face à face" semble être la prédiction mutuelle : anticiper les réponses et les comportements d'une autre personne. Chaque personne " bouge ses mains, son visage ou son corps, ou parle ", a expliqué Hamilton, " et réagit également aux actions de l'autre personne ". Par exemple, lorsque les gens jouaient au jeu de cartes italien Tressette, l'activité neuronale des partenaires se synchronisait, mais le cerveau de leurs adversaires ne s'alignait pas avec eux.

Le partage d’objectifs et l’attention commune semblent souvent cruciaux pour la synchronisation inter-cerveau. Dans une expérience menée en Chine, des groupes de trois personnes ont dû coopérer pour résoudre un problème. Se présenta un problème : l'un des membres de l'équipe était un chercheur qui faisait seulement semblant de s'engager dans la tâche, hochant la tête et commentant lorsque c'était approprié, mais ne se souciant pas vraiment du résultat. Son cerveau ne se synchronisait pas avec celui des véritables membres de l'équipe.

Cependant, certains critiques affirment que l’apparition d’une activité cérébrale synchronisée n’est pas la preuve d’une quelconque connexion, mais peut plutôt s’expliquer par la réaction des personnes à un environnement partagé. " Imaginez deux personnes écoutant la même station de radio dans deux pièces différentes ", a écrit Clay Holroyd, neuroscientifique cognitif à l'Université de Gand en Belgique qui n'étudie pas la synchronisation intercérébrale, dans un article de 2022 . "La synchronisation inter-cerveau pourrait augmenter pendant les chansons qu'ils apprécient  ensemble par rapport aux chansons qu'ils trouvent tous deux ennuyeuses, mais cela ne serait pas une conséquence d'un couplage direct de cerveau à cerveau."

Pour tester cette critique, des scientifiques de l'Université de Pittsburgh et de l'Université Temple ont conçu une expérience dans laquelle les participants travaillaient différemment sur une tâche ciblée : terminer un puzzle . Les volontaires ont soit assemblé un puzzle en collaboration, soit travaillé sur des puzzles identiques séparément, côte à côte. Même s’il existait une certaine synchronisation interneurale entre les chercheurs travaillant de manière indépendante, elle était bien plus importante chez ceux qui collaboraient.

Pour Novembre, ces découvertes et d’autres similaires suggèrent que la synchronisation intercérébrale est plus qu’un artefact environnemental. "Tant que vous mesurerez le cerveau lors d'une interaction sociale, vous devrez toujours faire face à ce problème", a-t-il déclaré. "Les cerveaux en interaction sociale seront exposés à des informations similaires."

(Photo : La Mutual Wave Machine, qui a fait le tour des villes du monde entier de 2013 à 2019, permet aux passants d'explorer la synchronisation intercérébrale par paires tout en générant des données pour la recherche en neurosciences.)

À moins qu’ils ne soient à des endroits différents, bien sûr. Pendant la pandémie, les chercheurs se sont intéressés à comprendre comment la synchronisation intercérébrale pourrait changer lorsque les gens parlent face à face par vidéo. Dans une étude, publiée fin 2022 , Dumas et ses collègues ont mesuré l'activité cérébrale des mères et de leurs préadolescents lorsqu'ils communiquaient par vidéo en ligne. Les cerveaux des couples étaient à peine synchronisés, bien moins que lorsqu'ils parlaient en vrai. Une telle mauvaise synchronisation inter-cerveau en ligne pourrait aider à expliquer pourquoi les réunions Zoom ont tendance à être si fatigantes, selon les auteurs de l'étude.

"Il manque beaucoup de choses dans un appel Zoom par rapport à une interaction en face à face", a déclaré Hamilton, qui n'a pas participé à la recherche. " Votre contact visuel est un peu différent parce que le positionnement de la caméra est incorrect. Plus important encore, votre attention commune est différente."

Identifier les ingrédients nécessaires à l'apparition de la synchronisation inter-cerveau – qu'il s'agisse d'un contact visuel, d'un sourire ou du partage d'un objectif – pourrait nous aider à mieux profiter des avantages de la synchronisation avec les autres. Lorsque nous sommes sur la même longueur d’onde, les choses deviennent tout simplement plus faciles.

Avantages émergents

La neuroscientifique cognitive Suzanne Dikker aime exprimer son côté créatif en utilisant l'art pour étudier le fonctionnement du cerveau humain. Pour capturer la notion insaisissable d’être sur la même longueur d’onde, elle et ses collègues ont créé la Mutual Wave Machine : mi-installation artistique, mi-expérience neurologique. Entre 2013 et 2019, les passants de diverses villes du monde – Madrid, New York, Toronto, Athènes, Moscou et autres – ont pu faire équipe avec une autre personne pour explorer la synchronisation interneurale. Ils sont assis dans deux structures en forme de coquille se faisant face tout en portant un casque électroencéphalographe pour mesurer leur activité cérébrale. Pendant qu’ils interagissent pendant 10 minutes, les coquilles s’éclairent avec des projections visuelles qui servaient de neurofeedback : plus les projections sont lumineuses, plus leurs ondes cérébrales sont couplées. Cependant, certaines paires n'étaient pas informées que la luminosité des projections reflétait leur niveau de synchronisation, tandis que d'autres voyaient de fausses projections.

Lorsque Dikker et ses collègues ont analysé les résultats, publiés en 2021, ils ont découvert que les couples qui savaient qu'ils voyaient du neurofeedback se synchronisaient davantage avec le temps – un effet motivé par leur motivation à rester concentrés sur leur partenaire, ont expliqué les chercheurs. Plus important encore, leur synchronisation accrue a augmenté le sentiment de connexion sociale entre les deux. Il est apparu qu’être sur la même longueur d’onde cérébrale pourrait aider à établir des relations.

Dikker a également étudié cette idée dans un cadre moins artistique : la salle de classe. Dans une salle de classe de fortune dans un laboratoire, un professeur de sciences du secondaire encadrait des groupes de quatre élèves maximum pendant que Dikker et ses collègues enregistraient leur activité cérébrale. Dans une étude publiée sur le serveur de prépublication biorxiv.org en 2019, les chercheurs ont rapporté que plus les cerveaux des étudiants et de l'enseignant étaient synchronisés, plus les étudiants retenaient le matériel lorsqu'ils étaient testés une semaine plus tard. Une analyse de 2022 portant sur 16 études a confirmé que la synchronisation intercérébrale est effectivement liée à un meilleur apprentissage.

" La personne qui prête le plus d'attention ou qui s'accroche le mieux au signal de l'orateur sera également la plus synchronisée avec d'autres personnes qui accordent également la plus grande attention à ce que dit l'orateur ", a déclaré Dikker.

Ce n'est pas seulement l'apprentissage qui semble stimulé lorsque nos cerveaux sont synchronisés, mais également les performances et la coopération de l'équipe. Dans une autre étude réalisée par Dikker et ses collègues, des groupes de quatre personnes ont réfléchi à des utilisations créatives d'une brique ou classé des éléments essentiels pour survivre à un accident d'avion. Les résultats ont montré que plus leurs ondes cérébrales étaient synchronisées, mieux ils effectuaient ces tâches en groupe. Entre-temps, d'autres études ont montré que les équipes neuronales synchronisées non seulement communiquent mieux, mais surpassent également les autres dans les activités créatives telles que l'interprétation de la poésie .

Alors que de nombreuses études ont établi un lien entre la synchronisation intercérébrale et un meilleur apprentissage et de meilleures performances, la question reste de savoir si la synchronisation entraîne réellement de telles améliorations. Serait-ce plutôt une mesure d’engagement ? "Les enfants qui prêtent attention à l'enseignant feront preuve d'une plus grande synchronisation avec cet enseignant parce qu'ils sont plus engagés", a déclaré Holroyd. "Mais cela ne signifie pas que les processus synchrones contribuent réellement d'une manière ou d'une autre à l'interaction et à l'apprentissage."

Pourtant, les expériences sur les animaux suggèrent que la synchronisation neuronale peut effectivement conduire à des changements de comportement. Lorsque l’activité neuronale des souris était mesurée en leur faisant porter de minuscules capteurs en forme de chapeau haut de forme, par exemple, la synchronisation inter-cerveau prédisait si et comment les animaux interagiraient dans le futur. "C'est une preuve assez solide qu'il existe une relation causale entre les deux", a déclaré Novembre.

Chez l’homme, les preuves les plus solides proviennent d’expériences utilisant la stimulation électrique du cerveau pour générer une synchronisation interneurale. Une fois les électrodes placées sur le cuir chevelu des personnes, des courants électriques peuvent passer entre les électrodes pour synchroniser l’activité neuronale du cerveau des personnes. En 2017, Novembre et son équipe ont réalisé la première de ces expériences. Les résultats suggèrent que la synchronisation des ondes cérébrales dans la bande bêta, liée aux fonctions motrices, améliore la capacité des participants à synchroniser les mouvements de leur corps – dans ce cas, en frappant un rythme avec leurs doigts.

Plusieurs études ont récemment reproduit les conclusions de Novembre. Fin 2023, des chercheurs ont découvert qu'une fois les ondes cérébrales synchronisées par stimulation électrique, leur capacité à coopérer dans un jeu informatique simple s'améliorait considérablement. Et l'été dernier d'autres scientifiques ont montré qu'une fois que deux cerveaux sont synchronisés, les gens parviennent mieux à transférer des informations et à se comprendre.

La science est nouvelle, donc le jury ne sait toujours pas s'il existe un véritable lien de causalité entre la synchronie et le comportement humain coopératif. Malgré cela, la science de la synchronisation neuronale nous montre déjà à quel point nous bénéficions lorsque nous faisons les choses en synchronisation avec les autres. Sur le plan biologique, nous sommes programmés pour nous connecter.


Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Marta Zaraska, 28 mars 2024

[ intelligence collective ] [ manipulation du public ] [ collectives réverbérations ] [ implication ] [ rapports humains ] [ transe ] [ attention partagée ] [ murmurations ]

 

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Comment réguler l’exploitation de notre attention ? Dans Les marchands d’attention (The Attention Merchants, 2017, Atlantic Books, non traduit), le professeur de droit, spécialiste des réseaux et de la régulation des médias, Tim Wu (@superwuster), 10 ans après avoir raconté l’histoire des télécommunications et du développement d’internet dans The Master Switch (où il expliquait la tendance de l’industrie à créer des empires et le risque des industries de la technologie à aller dans le même sens), raconte, sur 400 pages, l’histoire de l’industrialisation des médias américains et de la publicité de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui. En passant d’une innovation médiatique l’autre, des journaux à la radio, de la télé à l’internet, Wu tisse une très informée histoire du rapport de l’exploitation commerciale de l’information et du divertissement. Une histoire de l’industrialisation des médias américains qui se concentre beaucoup sur leurs innovations et leurs modèles d’affaires, c’est-à-dire qui s’attarde à montrer comment notre attention a été convertie en revenus, comment nous avons été progressivement cédés à la logique du commerce – sans qu’on n’y trouve beaucoup à redire d’ailleurs.

"La compétition pour notre attention n’a jamais cherché à nous élever, au contraire."

Tout le long de cette histoire, Tim Wu insiste particulièrement sur le fait que la capture attentionnelle produite par les médias s’est faite par-devers nous. La question attentionnelle est souvent présentée comme le résultat d’une négociation entre l’utilisateur, le spectateur, et le service ou média qu’il utilise… mais aucun d’entre nous n’a jamais consenti à la capture attentionnelle, à l’extraction de son attention. Il souligne notamment que celle-ci est plus revendue par les médias aux annonceurs, qu’utilisée par les médias eux-mêmes. Il insiste également à montrer que cette exploitation vise rarement à nous aider à être en contrôle, au contraire. Elle ne nous a jamais apporté rien d’autre que toujours plus de contenus insignifiants. Des premiers journaux à 1 cent au spam publicitaire, l’exploitation attentionnelle a toujours visé nos plus vils instincts. Elle n’a pas cherché à nous élever, à nous aider à grandir, à développer nos connaissances, à créer du bien commun, qu’à activer nos réactions les plus instinctives. Notre exploitation commerciale est allée de pair avec l’évolution des contenus. Les journaux qui ont adopté le modèle publicitaire, ont également inventé des rubriques qui n’existaient pas pour mieux les servir : comme les faits divers, les comptes-rendus de procès, les récits de crimes… La compétition pour notre attention dégrade toujours les contenus, rappelle Tim Wu. Elle nous tourne vers "le plus tapageur, le plus sinistre, le plus choquant, nous propose toujours l’alternative la plus scandaleuse ou extravagante". Si la publicité a incontestablement contribué à développer l’économie américaine, Wu rappelle qu’elle n’a jamais cherché à présenter une information objective, mais plutôt à déformer nos mécanismes de choix, par tous les moyens possibles, même par le mensonge. L’exploitation attentionnelle est par nature une course contre l’éthique. Elle est et demeure avant tout une forme d’exploitation. Une traite, comme disait le spécialiste du sujet Yves Citton, en usant volontairement de ce vocabulaire marqué au fer.

Wu souligne que l’industrie des contenus a plus été complice de cette exploitation qu’autre chose. La presse par exemple, n’a pas tant cherché à contenir ou réguler la publicité et les revenus qu’elle générait, qu’à y répondre, qu’à évoluer avec elle, notamment en faisant évoluer ses contenus pour mieux fournir la publicité. Les fournisseurs de contenus, les publicitaires, aidés des premiers spécialistes des études comportementales, ont été les courtiers et les ingénieurs de l’économie de l’attention. Ils ont transformé l’approche intuitive et improvisée des premières publicités en machines industrielles pour capturer massivement l’attention. Wu rappelle par exemple que les dentifrices, qui n’existaient pas vraiment avant les années 20, vont prendre leur essor non pas du fait de la demande, mais bien du fait de l’offensive publicitaire, qui s’est attaquée aux angoisses inconscientes des contemporains. Plus encore que des ingénieurs de la demande, ces acteurs ont été des fabricants de comportements, de moeurs…

L’histoire de l’exploitation de notre attention souligne qu’elle est sans fin, que "les industries qui l’exploitent, contrairement aux organismes, n’ont pas de limite à leur propre croissance". Nous disposons de très peu de modalités pour limiter l’extension et la croissance de la manipulation attentionnelle. Ce n’est pas pour autant que les usagers ne se sont pas régulièrement révoltés, contre leur exploitation. "La seule dynamique récurrente qui a façonné la course des industries de l’attention a été la révolte". De l’opposition aux premiers panneaux publicitaires déposés en pleine ville au rejet de services web qui capturent trop nos données ou exploitent trop notre attention, la révolte des utilisateurs semble avoir toujours réussi à imposer des formes de régulations. Mais l’industrie de l’exploitation attentionnelle a toujours répondu à ces révoltes, s’adaptant, évoluant au gré des rejets pour proposer toujours de nouvelles formes de contenus et d’exploitation. Parmi les outils dont nous nous sommes dotés pour réguler le développement de l’économie de l’attention, Wu évoque trop rapidement le travail des associations de consommateurs (via par exemple le test de produits ou les plaintes collectives…) ou celui des régulateurs définissant des limites au discours publicitaire (à l’image de la création de la Commission fédérale du commerce américaine et notamment du bureau de la protection des consommateurs, créée pour réguler les excès des annonceurs, que ce soit en améliorant l’étiquetage des produits ou en interdisant les publicités mensongères comme celles, nombreuses, ventant des produits capables de guérir des maladies). Quant à la concentration et aux monopoles, ils ont également toujours été surveillés et régulés, que ce soit par la création de services publics ou en forçant les empires des médias à la fragmentation.

L’attention, un phénomène d’assimilation commercial et culturel L’invention du prime time à la radio puis à la télé a été à la fois une invention commerciale et culturelle, fusionnant le contenu au contenant, l’information/divertissement et la publicité en inventant un rituel d’attention collective massive. Il n’a pas servi qu’à générer une exposition publicitaire inédite, il a créé un phénomène social, une conscience et une identité partagée, tout en rendant la question de l’exposition publicitaire normale et sociale.

Dans la succession des techniques qu’ont inventés les médias de masse pour mobiliser et orienter les foules que décrit Tim Wu, on constate qu’une sorte de cycle semble se reproduire. Les nouvelles technologies et les nouveaux formats rencontrent des succès très rapides. Puis, le succès rencontre des résistances et les audiences se délitent vers de nouvelles techniques ou de nouveaux formats proposés par des concurrents. On a l’impression d’être dans une course poursuite où chaque décennie pourrait être représentée par le succès d’un support phare à l’image des 28 courts chapitres qui scandent le livre. L’essor de la télévision par exemple est fulgurant : entre 1950 et 1956 on passe de 9% à 72% des maisons équipées et à la fin des années 50, on l’a regarde déjà 5 heures par jour en moyenne. Les effets de concentration semblent très rapides… et dès que la fatigue culturelle pointe, que la nouveauté s’émousse, une nouvelle vague de propositions se développe à la fois par de nouveaux formats, de nouvelles modalités de contrôle et de nouveaux objets attentionnels qui poussent plus loin l’exploitation commerciale des publics. Patiemment, Wu rappelle la très longue histoire des nouveaux formats de contenus : la naissance des jeux, des journaux télé, des soirées spéciales, du sport, des feuilletons et séries, de la télé-réalité aux réseaux sociaux… Chacun ayant généré une nouvelle intrication avec la publicité, comme l’invention des coupures publicitaires à la radio et à la télé, qui nécessitaient de réinventer les contenus, notamment en faisant monter l’intrigue pour que les gens restent accrochés. Face aux outils de révolte, comme l’invention de la télécommande ou du magnétoscope, outils de reprise du contrôle par le consommateur, les industries vont répondre par la télévision par abonnement, sans publicité. Elles vont aussi inventer un montage plus rapide qui ne va cesser de s’accélérer avec le temps.

Pour Wu, toute rébellion attentionnelle est sans cesse assimilée. Même la révolte contre la communication de masse, d’intellectuels comme Timothy Leary ou Herbert Marcuse, sera finalement récupérée.

De l’audience au ciblage

La mesure de l’audience a toujours été un enjeu industriel des marchands d’attention. Notamment avec l’invention des premiers outils de mesure de l’audimat permettant d’agréger l’audience en volumes. Wu prend le temps d’évoquer le développement de la personnalisation publicitaire, avec la socio-géo-démographie mise au point par la firme Claritas à la fin des années 70. Claritas Prizm, premier outil de segmentation de la clientèle, va permettre d’identifier différents profils de population pour leur adresser des messages ciblés. Utilisée avec succès pour l’introduction du Diet Coke en 1982, la segmentation publicitaire a montré que la nation américaine était une mosaïque de goûts et de sensibilités qu’il fallait adresser différemment. Elle apporte à l’industrie de la publicité un nouvel horizon de consommateurs, préfigurant un ciblage de plus en plus fin, que la personnalisation de la publicité en ligne va prolonger toujours plus avant. La découverte des segments va aller de pair avec la différenciation des audiences et la naissance, dans les années 80, des chaînes câblées qui cherchent à exploiter des populations différentes (MTV pour la musique, ESPN pour le sport, les chaînes d’info en continu…). L’industrie du divertissement et de la publicité va s’engouffrer dans l’exploitation de la fragmentation de l’audience que le web tentera de pousser encore plus loin.

Wu rappelle que la technologie s’adapte à ses époques : "La technologie incarne toujours l’idéologie, et l’idéologie en question était celle de la différence, de la reconnaissance et de l’individualité". D’un coup le spectateur devait avoir plus de choix, plus de souveraineté… Le visionnage lui-même changeait, plus inattentif et dispersé. La profusion de chaînes et le développement de la télécommande se sont accompagnés d’autres modalités de choix comme les outils d’enregistrements. La publicité devenait réellement évitable. D’où le fait qu’elle ait donc changé, devenant plus engageante, cherchant à devenir quelque chose que les gens voudraient regarder. Mais dans le même temps, la télécommande était aussi un moyen d’être plus branché sur la manière dont nous n’agissons pas rationnellement, d’être plus distraitement attentif encore, à des choses toujours plus simples. "Les technologies conçues pour accroître notre contrôle sur notre attention ont parfois un effet opposé", prévient Wu. "Elles nous ouvrent à un flux de sélections instinctives et de petites récompenses"… En fait, malgré les plaintes du monde de la publicité contre la possibilité de zapper, l’état d’errance distrait des spectateurs n’était pas vraiment mauvais pour les marchands d’attention. Dans l’abondance de choix, dans un système de choix sans friction, nous avons peut-être plus perdu d’attention qu’autre chose.

L’internet a démultiplié encore, par de nouvelles pratiques et de nouveaux médiums, ces questions attentionnelles. L’e-mail et sa consultation sont rapidement devenus une nouvelle habitude, un rituel attentionnel aussi important que le prime time. Le jeu vidéo dès ses débuts a capturé toujours plus avant les esprits.

"En fin de compte, cela suggère aussi à quel point la conquête de l’attention humaine a été incomplète entre les années 1910 et les années 60, même après l’entrée de la télévision à la maison. En effet, même s’il avait enfreint la sphère privée, le domaine de l’interpersonnel demeurait inviolable. Rétrospectivement, c’était un territoire vierge pour les marchands d’attention, même si avant l’introduction de l’ordinateur domestique, on ne pouvait pas concevoir comment cette attention pourrait être commercialisée. Certes, personne n’avait jamais envisagé la possibilité de faire de la publicité par téléphone avant même de passer un appel – non pas que le téléphone ait besoin d’un modèle commercial. Ainsi, comme AOL qui a finalement opté pour la revente de l’attention de ses abonnés, le modèle commercial du marchand d’attention a été remplacé par l’un des derniers espaces considérés comme sacrés : nos relations personnelles." Le grand fournisseur d’accès des débuts de l’internet, AOL, a développé l’accès aux données de ses utilisateurs et a permis de développer des techniques de publicité dans les emails par exemple, vendant également les mails de ses utilisateurs à des entreprises et leurs téléphones à des entreprises de télémarketing. Tout en présentant cela comme des "avantages" réservés à ses abonnés ! FB n’a rien inventé ! "

La particularité de la modernité repose sur l’idée de construire une industrie basée sur la demande à ressentir une certaine communion". Les célébrités sont à leur tour devenues des marchands d’attention, revendant les audiences qu’elles attiraient, à l’image d’Oprah Winfrey… tout en transformant la consommation des produits qu’elle proposait en méthode d’auto-récompense pour les consommateurs.

L’infomercial a toujours été là, souligne Wu. La frontière entre divertissement, information et publicité a toujours été floue. La télé-réalité, la dernière grande invention de format (qui va bientôt avoir 30 ans !) promettant justement l’attention ultime : celle de devenir soi-même star.

Le constat de Wu est amer. "Le web, en 2015, a été complètement envahi par la malbouffe commerciale, dont une grande partie visait les pulsions humaines les plus fondamentales du voyeurisme et de l’excitation." L’automatisation de la publicité est le Graal : celui d’emplacements parfaitement adaptés aux besoins, comme un valet de chambre prévenant. "Tout en promettant d’être utile ou réfléchi, ce qui a été livré relevait plutôt de l’intrusif et pire encore." La télévision – la boîte stupide -, qui nous semblait si attentionnellement accablante, paraît presque aujourd’hui vertueuse par rapport aux boucles attentionnelles sans fin que produisent le web et le mobile.

Dans cette histoire, Wu montre que nous n’avons cessé de nous adapter à cette capture attentionnelle, même si elle n’a cessé de se faire à notre détriment. Les révoltes sont régulières et nécessaires. Elles permettent de limiter et réguler l’activité commerciale autour de nos capacités cognitives. Mais saurons-nous délimiter des frontières claires pour préserver ce que nous estimons comme sacré, notre autonomie cognitive ? La montée de l’internet des objets et des wearables, ces objets qui se portent, laisse supposer que cette immixtion ira toujours plus loin, que la régulation est une lutte sans fin face à des techniques toujours plus invasives. La difficulté étant que désormais nous sommes confrontés à des techniques cognitives qui reposent sur des fonctionnalités qui ne dépendent pas du temps passé, de l’espace ou de l’emplacement… À l’image des rythmes de montage ou des modalités de conception des interfaces du web. Wu conclut en souhaitant que nous récupérions "la propriété de l’expérience même de la vie". Reste à savoir comment…

Comment répondre aux monopoles attentionnels ?

Tim Wu – qui vient de publier un nouveau livre The Curse of Bigness : antitrust in the new Gilded age (La malédiction de la grandeur, non traduit) – prône, comme d’autres, un renforcement des lois antitrusts américaines. Il y invite à briser les grands monopoles que construisent les Gafam, renouvelant par là la politique américaine qui a souvent cherché à limiter l’emprise des monopoles comme dans le cas des télécommunications (AT&T), de la radio ou de la télévision par exemple ou de la production de pétrole (Standard Oil), pour favoriser une concurrence plus saine au bénéfice de l’innovation. À croire finalement que pour lutter contre les processus de capture attentionnels, il faut peut-être passer par d’autres leviers que de chercher à réguler les processus attentionnels eux-mêmes ! Limiter le temps d’écran finalement est peut-être moins important que limiter la surpuissance de quelques empires sur notre attention !

La règle actuelle pour limiter le développement de monopoles, rappelle Wu dans une longue interview pour The Verge, est qu’il faut démontrer qu’un rachat ou une fusion entraînera une augmentation des prix pour le consommateur. Outre, le fait que c’est une démonstration difficile, car spéculative, "il est pratiquement impossible d’augmenter les prix à la consommation lorsque les principaux services Internet tels que Google et Facebook sont gratuits". Pour plaider pour la fragmentation de ces entreprises, il faudrait faire preuve que leur concentration produit de nouveaux préjudices, comme des pratiques anticoncurrentielles quand des entreprises absorbent finalement leurs concurrents. Aux États-Unis, le mouvement New Brandeis (qui fait référence au juge Louis Brandeis acteur majeur de la lutte contre les trusts) propose que la régulation favorise la compétition.

Pour Wu par exemple, la concurrence dans les réseaux sociaux s’est effondrée avec le rachat par Facebook d’Instagram et de WhatsApp. Et au final, la concurrence dans le marché de l’attention a diminué. Pour Wu, il est temps de défaire les courtiers de l’attention, comme il l’explique dans un article de recherche qui tente d’esquisser des solutions concrètes. Il propose par exemple de créer une version attentionnelle du test du monopoleur hypothétique, utilisé pour mesurer les abus de position dominante, en testant l’influence de la publicité sur les pratiques. Pour Tim Wu, il est nécessaire de trouver des modalités à l’analyse réglementaire des marchés attentionnels.

Dans cet article, Wu s’intéresse également à la protection des audiences captives, à l’image des écrans publicitaires des pompes à essence qui vous délivrent des messages sans pouvoir les éviter où ceux des écrans de passagers dans les avions… Pour Wu, ces nouvelles formes de coercition attentionnelle sont plus qu’un ennui, puisqu’elles nous privent de la liberté de penser et qu’on ne peut les éviter. Pour lui, il faudrait les caractériser comme un "vol attentionnel". Certes, toutes les publicités ne peuvent pas être caractérisées comme telles, mais les régulateurs devraient réaffirmer la question du consentement souligne-t-il, notamment quand l’utilisateur est captif ou que la capture cognitive exploite nos biais attentionnels sans qu’on puisse lutter contre. Et de rappeler que les consommateurs doivent pouvoir dépenser ou allouer leur attention comme ils le souhaitent. Que les régulateurs doivent chercher à les protéger de situations non consensuelles et sans compensation, notamment dans les situations d’attention captive ainsi que contre les intrusions inévitables (celles qui sont augmentées par un volume sonore élevé, des lumières clignotantes, etc.). Ainsi, les publicités de pompe à essence ne devraient être autorisées qu’en cas de compensation pour le public (par exemple en proposant une remise sur le prix de l’essence)…

Wu indique encore que les réglementations sur le bruit qu’ont initié bien des villes peuvent être prises pour base pour construire des réglementations de protection attentionnelle, tout comme l’affichage sur les autoroutes, également très réglementé. Pour Tim Wu, tout cela peut sembler peut-être peu sérieux à certain, mais nous avons pourtant imposé par exemple l’interdiction de fumer dans les avions sans que plus personne aujourd’hui n’y trouve à redire. Il est peut-être temps de prendre le bombardement attentionnel au sérieux. En tout cas, ces défis sont devant nous, et nous devrons trouver des modalités pour y répondre, conclut-il.

Auteur: Guillaud Hubert

Info: 27 décembre 2018, http://internetactu.blog.lemonde.fr

[ culture de l'epic fail ] [ propagande ] [ captage de l'attention ]

 

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Notre cerveau à l’heure des nouvelles lectures

Maryanne Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de l’université Tufts est l’auteur de Proust et le Calmar (en référence à la façon dont ces animaux développent leurs réseaux de neurones, que nous avions déjà évoqué en 2009). Sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel au Centre Pompidou, la spécialiste dans le développement de l’enfant est venue évoquer "la modification de notre cerveau-lecteur au 21e siècle"

Comment lisons-nous ?

"Le cerveau humain n’était pas programmé pour être capable de lire. Il était fait pour sentir, parler, entendre, regarder… Mais nous n’étions pas programmés génétiquement pour apprendre à lire". Comme l’explique le neuroscientifique français Stanislas Dehaene (Wikipédia) dans son livre Les neurones de la lecture, nous avons utilisé notre cerveau pour identifier des modèles. C’est l’invention culturelle qui a transformé notre cerveau, qui a relié et connecté nos neurones entre eux, qui leur a appris à travailler en groupes de neurones spécialisés, notamment pour déchiffrer la reconnaissance de formes. La reconnaissance des formes et des modèles a permis la naissance des premiers symboles logographiques, permettant de symboliser ce qu’on voyait qui nous mènera des peintures rupestres aux premières tablettes sumériennes. Avec l’invention de l’alphabet, l’homme inventera le principe que chaque mot est un son et que chaque son peut-être signifié par un symbole. Le cerveau lecteur consiste donc à la fois à être capable de "voir", décoder des informations, des motifs et à les traiter pour pouvoir penser et avoir une réflexion.

Pour autant, le circuit de la lecture n’est pas homogène. Quand on observe à l’imagerie cérébrale un anglais qui lit de l’anglais, un chinois qui lit du chinois ou le Kanji, un Japonais qui lit le Kana japonais, on se rend compte que ces lectures activent des zones sensiblement différentes selon les formes d’écritures. Ce qui signifie qu’il y a plusieurs circuits de lecture dans notre cerveau. Le cerveau est plastique et il se réarrange de multiples façons pour lire, dépendant à la fois du système d’écriture et du médium utilisé. "Nous sommes ce que nous lisons et ce que nous lisons nous façonne" Ce qui explique aussi que chaque enfant qui apprend à lire doit développer son propre circuit de lecture.

Ce qui stimule le plus notre cerveau, selon l’imagerie médicale, c’est d’abord jouer une pièce au piano puis lire un poème très difficile, explique Maryanne Wolf. Car la lecture profonde nécessite une forme de concentration experte. Comme le souligne Proust dans Sur la lecture : "Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-mêmes), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit."

La lenteur, la concentration et le processus cognitif encouragent le cerveau lecteur. La déduction, la pensée analogique, l’analyse critique, la délibération, la perspicacité, l’épiphanie (c’est-à-dire la compréhension soudaine de l’essence et de la signification de quelque chose) et la contemplation sont quelques-unes des merveilleuses conséquences de notre capacité à lire la pensée d’un autre.

Pourquoi la lecture numérique est-elle différente ?

Est-ce que ce que nous savons de notre cerveau lecteur éclaire ce que nous ne savons pas de la lecture à l’heure de la culture numérique ? Quelles sont les implications profondes sur la plasticité de nos circuits de lecture à mesure que nous utilisons des médiums dominés par le numérique ?

En 2008, dans une interview pour Wired, quelques mois avant d’écrire son célèbre article, "Est-ce que Google nous rend idiot ?", Nicholas Carr expliquait : "La chose la plus effrayante dans la vision de Stanley Kubrick n’était pas que les ordinateurs commencent à agir comme les gens, mais que les gens commencent à agir comme des ordinateurs. Nous commençons à traiter l’information comme si nous étions des noeuds, tout est question de vitesse de localisation et de lecture de données. Nous transférons notre intelligence dans la machine, et la machine transfère sa façon de penser en nous."

Les caractéristiques cognitives de la lecture en ligne ne sont pas les mêmes que celle de la lecture profonde, estime Maryanne Wolf. Avec le numérique, notre attention et notre concentration sont partielles, moins soutenues. Notre capacité de lecture se fixe sur l’immédiateté et la vitesse de traitement. Nous privilégions une forme de lecture qui nous permet de faire plusieurs tâches en même temps dans des larges ensembles d’information. Les supports numériques ont tendance à rendre notre lecture physique (tactile, interactions sensorielles…) tandis que le lire nous plonge plutôt dans un processus cognitif profond. Pour la spécialiste, il semble impossible de s’immerger dans l’hypertexte. Reprenant les propos de Carr, "l’écrémage est la nouvelle normalité", assène-t-elle. "Avec le numérique, on scanne, on navigue, on rebondit, on repère. Nous avons tendance à bouger, à cliquer et cela réduit notre attention profonde, notre capacité à avoir une lecture concentrée. Nous avons tendance à porter plus d’attention à l’image. Nous avons tendance à moins internaliser la connaissance et à plus dépendre de sources extérieures."

Les travaux d’imagerie cérébrale sur les effets cognitifs du multitâche montrent que même si on peut apprendre en étant distraits cela modifie notre façon d’apprendre rendant l’apprentissage moins efficace et utile estime le professeur de psychologie et neurobiologie Russ Poldrack. Les facteurs tactiles et matériels ont aussi une importance. On ne peut s’immerger dans l’hypertexte de la même façon qu’on pouvait se perdre dans un livre, estime la spécialiste de la lecture Anne Mangen du Centre sur la lecture de l’université de Stavanger. Plusieurs études ont montré que notre niveau de compréhension entre l’écran et l’imprimé se faisait toujours au détriment du numérique, rappelle Maryanne Wolf. Mais peut-être faudrait-il nuancer les propos de Maryanne Wolf et souligner, comme nous l’avions déjà rappelé lors de la publication de la charge de Nicholas Carr que les les protocoles d’expérimentation des neuroscientifiques défendent souvent des thèses. La science et l’imagerie médicale semblent convoquées pour apporter des preuves. Alors que les différences de protocoles entre une étude l’autre, la petitesse des populations étudiées, nécessiterait beaucoup de prudence dans les conclusions.

Reste que pour comprendre cette différence entre papier et électronique, estime Maryanne Wolf, il nous faut comprendre comment se forme notre capacité de lecture profonde. Est-ce que la lecture superficielle et notre attente continue d’informations externes seront les nouvelles menaces des lectures numériques ? Ces deux risques vont-ils court-circuiter notre "cerveau lecteur" ? Est-ce que la construction de l’imaginaire de l’enfance va être remplacée par celle, externe, que tous les nouveaux supports offrent ? …

"Nous ne reviendrons pas en arrière, nous ne reviendrons pas à un temps prénumérique", insiste Maryanne Wolf. "Ce n’est ni envisageable, ni enviable, ni faisable."

"Mais nous ne devrions pas accepter une embardée vers l’avant sans comprendre ce que le "répertoire cognitif" de notre espèce risque de perdre ou de gagner."
 "Ce serait une honte si la technologie la plus brillante que nous ayons développée devait finir par menacer le genre d’intelligence qui l’a produite", estime l’historien des technologies Edward Tenner. Et Maryanne Wolf de nous montrer trois enfants assis dans un canapé, avec chacun son ordinateur sur ses genoux. C’est l’image même qui inspire notre peur de demain. Celle-là même qu’évoquait l’anthropologue Stefana Broadbent à Lift 2012. Sauf que l’anthropologue, elle, nous montrait qu’on était là confronté là à une représentation sociale… une interrogation totalement absente du discours alarmiste de Maryanne Wolf, qui compare l’activité cognitive de cerveaux habitués à la lecture traditionnelle, avec celle de cerveaux qui découvrent les modalités du numérique.

Le numérique a bien un défaut majeur, celui d’introduire dans notre rapport culturel même des modalités de distraction infinies. Comme nous le confiait déjà Laurent Cohen en 2009, l’écran ou le papier ne changent rien à la capacité de lecture. Mais c’est le réseau qui pose problème et ce d’autant plus quand il apporte une distraction permanente, permettant toujours de faire autre chose que ce que l’on compte faire.

Si la lecture profonde peut se faire tout autant sur papier qu’à travers le réseau, le principal problème qu’induit le numérique, c’est la possibilité de distraction induite par l’outil lui-même, qui demande, pour y faire face, un contrôle de soi plus exigeant.

Notre avenir cognitif en sursis ?

Alors, comment résoudre ce paradoxe, se demande Maryanne Wolf. Comment pouvons-nous éviter de "court-circuiter" notre capacité à lire en profondeur, tout en acquérant les nouvelles compétences nécessaires pour le 21e siècle ?

Un premier pas peut-être fait en ayant conscience de nos limites, estime Maryanne Wolf. Rappelons-nous que notre cerveau n’a jamais été programmé génétiquement pour lire. Que chaque lecteur doit construire ses propres circuits de lecture. Que nos circuits de lecture sont plastiques et influencés par les médiums et les systèmes d’écriture que nous utilisons. Notre cerveau-lecteur est capable à la fois des plus superficielles et des plus profondes formes de lecture, de ressenti et de pensées.

Nous pouvons deviner que l’accès à l’information ne va cesser d’augmenter. Mais nous ne savons pas si l’accès immédiat à de vastes quantités d’informations va transformer la nature du processus de lecture interne, à savoir la compréhension profonde et l’internalisation de la connaissance.

Pour le dire autrement, notre cerveau est d’une plasticité totale, mais cela ne veut pas dire que nous allons perdre telle ou telle capacité d’attention, alors que celles-ci ont plus que jamais une importance sociale. Pour l’instant, pourrions-nous répondre à Maryanne Wolf, ce que le cerveau lecteur nous a le plus fait perdre, c’est certainement notre capacité à lire les détails du monde naturel que comprenait le chasseur-cueilleur.

Nous ne savons pas si l’accès immédiat à cette quantité croissante d’information externe va nous éloigner du processus de lecture profonde ou au contraire va nous inciter à explorer la signification des choses plus en profondeur, estime Wolf en reconnaissant tout de même, après bien des alertes, l’ignorance des neuroscientifiques en la matière. Bref, nous ne savons pas si les changements qui s’annoncent dans l’intériorisation des connaissances vont se traduire par une altération de nos capacités cognitives, ni dans quel sens ira cette altération.

Si nous ne savons pas tout de notre avenir cognitif, estime Wolf, peut-être pouvons-nous conserver certains objectifs en vue. Que pouvons-nous espérer ? La technologie va bouleverser l’apprentissage, estime Maryanne Wolf en évoquant l’expérimentation qu’elle mène avec le MIT sur le prêt de tablettes auprès d’enfants éthiopiens qui n’ont jamais été alphabétisés et qui montre des jeunes filles capables de retenir l’alphabet qu’elles n’avaient jamais appris. Comment peut-on créer les conditions pour que les nouveaux lecteurs développent une double capacité… savoir à la fois quand il leur faut écrémer l’information et quand il leur faut se concentrer profondément ?

En semblant à la fois croire dans l’apprentissage par les robots, comme le montre l’expérience OLPC en Ethiopie de laquelle elle participe visiblement avec un certain enthousiasme (alors que certains spécialistes de l’éducation ont montré que l’essentielle des applications d’apprentissage de la lecture ne permettaient pas de dépasser le niveau de l’apprentissage de l’alphabet, en tout cas n’étaient pas suffisantes pour apprendre à lire seul) et en n’ayant de cesse de nous mettre en garde sur les risques que le numérique fait porter à la lecture profonde, Maryanne Wolf semble avoir fait un grand écart qui ne nous a pas aidés à y voir plus clair.

Après la langue et le langage : la cognition

Pour l’ingénieur et philosophe Christian Fauré, membre de l’association Ars Industrialis. "l’organologie générale" telle que définit par Ars Industrialis et le philosophe Bernard Stiegler, organisateur de ces rencontres, vise à décrire et analyser une relation entre 3 types d' "organes" qui nous définissent en tant qu’humain : les organes physiologiques (et psychologiques), les organes techniques et les organes sociaux.

"Nos organes physiologiques n’évoluent pas indépendamment de nos organes techniques et sociaux", rappelle Christian Fauré. Dans cette configuration entre 3 organes qui se surdéterminent les uns les autres, le processus d’hominisation semble de plus en plus porté, "transporté" par l’organe technique. Car dans un contexte d’innovation permanente, le processus d’hominisation, ce qui nous transforme en hommes, est de plus en plus indexé par l’évolution de nos organes techniques. La question est de savoir comment nos organes sociaux, psychologiques et physiologiques vont suivre le rythme de cette évolution. A l’époque de l’invention des premiers trains, les gens avaient peur d’y grimper, rappelle le philosophe. On pensait que le corps humain n’était pas fait pour aller à plus de 30 km à l’heure.

L’évolution que nous connaissons se produit via des interfaces entre les différents organes et c’est celles-ci que nous devons comprendre, estime Christian Fauré. Quel est le rôle des organes techniques et quels sont leurs effets sur nos organes sociaux et physiologiques ?L’écriture a longtemps été notre principal organe technique. Parce qu’elle est mnémotechnique, elle garde et conserve la mémoire. Par son statut, par les interfaces de publication, elle rend public pour nous-mêmes et les autres et distingue le domaine privé et le domaine public. Or l’évolution actuelle des interfaces d’écriture réagence sans arrêt la frontière entre le privé et le public. Avec le numérique, les interfaces de lecture et d’écriture ne cessent de générer de la confusion entre destinataire et destinateur, entre ce qui est privé et ce qui est public, une distinction qui est pourtant le fondement même de la démocratie, via l’écriture publique de la loi. Avec le numérique, on ne sait plus précisément qui voit ce que je publie… ni pourquoi on voit les messages d’autrui.

La question qui écrit à qui est devenue abyssale, car, avec le numérique, nous sommes passés de l’écriture avec les machines à l’écriture pour les machines. L’industrie numérique est devenue une industrie de la langue, comme le soulignait Frédéric Kaplan. Et cette industrialisation se fait non plus via des interfaces homme-machine mais via de nouvelles interfaces, produites par et pour les machines, dont la principale est l’API, l’interface de programmation, qui permet aux logiciels de s’interfacer avec d’autres logiciels.

Le nombre d’API publiée entre 2005 et 2012 a connu une croissance exponentielle, comme l’explique ProgrammableWeb qui en tient le décompte. Désormais, plus de 8000 entreprises ont un modèle d’affaire qui passe par les API. "Le web des machines émerge du web des humains. On passe d’un internet des humains opéré par les machines à un internet pour les machines opéré par les machines. L’API est la nouvelle membrane de nos organes techniques qui permet d’opérer automatiquement et industriellement sur les réseaux."

Ecrire directement avec le cerveau

Le monde industriel va déjà plus loin que le langage, rappelle Christian Fauré sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel. "Nous n’écrivons plus. Nous écrivons sans écrire, comme le montre Facebook qui informe nos profils et nos réseaux sociaux sans que nous n’ayons plus à écrire sur nos murs. Nos organes numériques nous permettent d’écrire automatiquement, sans nécessiter plus aucune compétence particulière. Et c’est encore plus vrai à l’heure de la captation de données comportementales et corporelles. Nos profils sont renseignés par des cookies que nos appareils techniques écrivent à notre place. Nous nous appareillons de capteurs et d’API "qui font parler nos organes". Les interfaces digitales auxquelles nous nous connectons ne sont plus des claviers ou des écrans tactiles… mais des capteurs et des données." Les appareillages du Quantified Self sont désormais disponibles pour le grand public. La captation des éléments physiologique s’adresse à nos cerveaux, comme l’explique Martin Lindstrom dans Buy.Ology. "Nous n’avons même plus besoin de renseigner quoi que ce soit. Les capteurs le font à notre place. Pire, le neuromarketing semble se désespérer du langage. On nous demande de nous taire. On ne veut pas écouter ce que l’on peut dire ou penser, les données que produisent nos capteurs et nos profils suffisent." A l’image des séries américaines comme Lie to Me ou the Mentalist où les enquêteurs ne s’intéressent plus à ce que vous dites. Ils ne font qu’observer les gens, ils lisent le corps, le cerveau. "L’écriture de soi n’est plus celle de Foucault, les échanges entre lettrés. On peut désormais s’écrire sans savoir écrire. Nous entrons dans une époque d’écriture automatique, qui ne nécessite aucune compétence. Nous n’avons même plus besoin du langage. L’appareillage suffit à réactualiser le connais-toi toi-même  !"

Google et Intel notamment investissent le champ des API neuronales et cherchent à créer un interfaçage direct entre le cerveau et le serveur. Le document n’est plus l’interface. Nous sommes l’interface !

"Que deviennent la démocratie et la Res Publica quand les données s’écrivent automatiquement, sans passer par le langage ? Quand la distinction entre le public et le privé disparaît ? Alors que jusqu’à présent, la compétence technique de la lecture et de l’écriture était la condition de la citoyenneté", interroge Christian Fauré.

Les capteurs et les interfaces de programmation ne font pas que nous quantifier, ils nous permettent également d’agir sur notre monde, comme le proposent les premiers jouets basés sur un casque électroencéphalographique (comme Mindflex et Star Wars Science The Force Trainer), casques qui utilisent l’activité électrique du cerveau du joueur pour jouer. Ces jouets sont-ils en train de court-circuiter notre organe physiologique ?

Mais, comme l’a exprimé et écrit Marianne Wolf, nous n’étions pas destinés à écrire. Cela ne nous a pas empêchés de l’apprendre. Nous sommes encore moins nés pour agir sur le réel sans utiliser nos organes et nos membres comme nous le proposent les casques neuronaux.

Quand on regarde les cartographies du cortex somatosensoriel on nous présente généralement une représentation de nous-mêmes selon l’organisation neuronale. Celle-ci déforme notre anatomie pour mettre en évidence les parties de celle-ci les plus sensibles, les plus connectés à notre cerveau. Cette représentation de nous est la même que celle que propose la logique des capteurs. Or, elle nous ressemble bien peu.

(Image extraite de la présentation de Christian Fauré : ressemblons à notre cortex somatosensoriel ?)

Que se passera-t-il demain si nous agissons dans le réel via des casques neuronaux ? La Science Fiction a bien sûr anticipé cela. Dans Planète interdite, le sous-sol de la planète est un vaste data center interfacé avec le cerveau des habitants de la planète qui ne donne sa pleine puissance que pendant le sommeil des habitants. "Ce que nous rappelle toujours la SF c’est que nos pires cauchemars se réalisent quand on interface l’inconscient à la machine, sans passer par la médiation de l’écriture ou du langage. Si la puissance du digital est interfacée et connectée directement aux organes physiologiques sans la médiation de l’écriture et du langage, on imagine alors à quel point les questions technologiques ne sont rien d’autre que des questions éthiques", conclut le philosophe.

Si on ne peut qu’être d’accord avec cette crainte de la modification du cerveau et de la façon même dont on pense via le numérique comme c’était le cas dans nombre d’interventions à cette édition des Entretiens du Nouveau Monde industriel, peut-être est-il plus difficile d’en rester à une dénonciation, comme l’a montré l’ambiguïté du discours de Maryanne Wolf. Si nous avons de tout temps utilisé des organes techniques, c’est dans l’espoir qu’ils nous libèrent, qu’ils nous transforment, qu’ils nous distinguent des autres individus de notre espèce et des autres espèces. Pour répondre à Christian Fauré, on peut remarquer que la SF est riche d’oeuvres qui montrent ou démontrent que l’augmentation de nos capacités par la technique était aussi un moyen pour faire autre chose, pour devenir autre chose, pour avoir plus de puissance sur le monde et sur soi. Il me semble pour ma part qu’il est important de regarder ce que les interfaces neuronales et les capteurs libèrent, permettent. Dans the Mentalist, pour reprendre la référence de Christian Fauré, ce sont les capacités médiumniques extraordinaires de l’enquêteur qui transforme son rapport au monde et aux autres. Si l’interfaçage direct des organes physiologique via des capteurs et des données produit de nouvelles formes de pouvoir, alors il est certain que nous nous en emparerons, pour le meilleur ou pour le pire. On peut légitimement le redouter ou s’en inquiéter, mais ça ne suffira pas à nous en détourner.

Qu’allons-nous apprendre en jouant de l’activité électrique de nos cerveaux ? On peut légitimement se demander ce que cela va détruire… Mais si on ne regarde pas ce que cela peut libérer, on en restera à une dénonciation sans effets.



 

Auteur: Guillaud Hubert

Info: https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2013/01/11/notre-cerveau-a-lheure-des-nouvelles-lectures/

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