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Dictionnaire analogique intriqué pour extraits. Recherche mots ou phrases tous azimuts. Aussi outil de précision sémantique et de réflexion communautaire. Voir la rubrique mode d'emploi. Jetez un oeil à la colonne "chaînes". ATTENTION, faire une REINITIALISATION après  une recherche complexe. Et utilisez le nuage de corrélats !!!!..... Lire la suite >>
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transcodages

Avec le langage, et surtout l'écriture, nous avons développé une "culture externe à l'individu" depuis quelques millénaires déjà. Les enregistrements sonores et vidéos ont récemment élargi les possibilités. Pour ce qui est des sons et de la phonation enregistrée, nous restons relativement proche de l'idiomatique, dans la mesure où transcrire un dialogue en texte est aisé. Avec l'image/photo c'est plus complexe, mieux encore avec une photo digitale à grande résolution ; essayez de verbaliser précisément ce qui s'y trouve pour vous faire une idée. Tout ceci étant démultiplié d'un facteur 1000 pour les images animées et le cinéma.
Vouloir réfléchir à l'intrication "sons enregistrés-images animées-textes/écriture" met tout de suite en retrait, semble-t-il, le sonore. Pourquoi s'embêter avec lui puisque l'écrit peut très bien le remplacer ? (merci pour les sourds au passage ;-).
Ce qui est probablement une erreur puisque, déjà avec l'apparition de la radio, il est possible d'ingurgiter du texte/culture alors qu'on est occupé à autre chose, à bricoler par exemple, comme écouter une conférence sur l'évolution du style de Céline en même temps qu'on repeint une armoire. La question est ici : vaut-il mieux écouter seulement ? Alors que peut-être une écoute non exclusive - alors qu'on fait la vaisselle - est possiblement meilleure dans le sens où c'est plutôt l'inconscient qui est à l'oeuvre ?
Pour le texte-image, c'est différent. Difficile de concilier simultanément les deux. C'est pour cela que FLP a développé une chaîne qui s'essaye simplement à présenter des exemples de transcodages textes-images. L'image fixe se métamorphosant en une phonation, quasi musicale dans la mesure où l'explication ne peut que se "dérouler" dans le temps, avec du rythme et des hauteurs de fréquences.
Quant au triptyque écrit-visuel-sonore, hormis la vie elle-même et le cinéma parlant, nous n'avons pas connaissance d'études spécifiques tentant de s'intéresser aux trois, simultanément, surtout pour ce qui concerne la conservation et la transmission des connaissances. D'où cette chaîne.
Avec elle nous allons tenter de nous amuser à rassembler quelques pistes et idées diverses quant à l'utilisation combinée de ces 3 "supports externes" pour ce qui est de la transmission des savoirs.

Auteur: Mg

Info: 8 février 2020

[ didactique ] [ triade ]

 
Mis dans la chaine
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contemplation

Si nous avions été créés en l’état de pure nature, avec une âme spirituelle et immortelle, mais sans la vie de la grâce, même alors notre intelligence eût été faite pour la connaissance du vrai et notre volonté pour l’amour du bien. Nous aurions eu pour fin de connaître Dieu, Souverain Bien, Auteur de notre nature, et de l’aimer par-dessus tout. Mais nous ne l’aurions connu que par le reflet de ses perfections dans ses créatures, comme les grands philosophes païens l’ont connu, d’une façon pourtant plus certaine et sans mélange d’erreurs. Il eût été pour nous la Cause première et l’Intelligence suprême qui a ordonné toutes choses.

Nous l’aurions aimé comme l’Auteur de notre nature d’un amour d’inférieur à supérieur, qui n’eût pas été une amitié, mais plutôt un sentiment fait d’admiration, de respect, de reconnaissance, sans cette douce et simple familiarité qui est au cœur des enfants de Dieu. Nous aurions été ses serviteurs, mais non pas ses enfants.

Cette fin dernière naturelle est déjà très haute. Elle ne saurait produire la satiété, pas plus que notre œil ne se lasse de voir l’azur du ciel. De plus, c’est une fin spirituelle qui, à la différence des biens matériels, peut être possédé par tous et chacun, sans que la possession de l’un nuise à celle de l’autre et engendre la jalousie ou la division.

Mais cette connaissance abstraite et médiate de Dieu eût laissé subsister bien des obscurités, en particulier sur la conciliation intime des perfections divines. Nous en serions toujours restés à épeler et à énumérer ces perfections absolues, et toujours nous nous serions demandé comment se peuvent concilier intimement la toute-puissante bonté et la permission divine du mal, d’un mal parfois si grand qu’il déconcerte notre raison, comment aussi peuvent s’accorder intimement l’infinie miséricorde et l’infinie justice.

Dans cette béatitude naturelle, nous n’aurions pu nous empêcher de dire : Si pourtant je pouvais le voir ce Dieu, source de toute vérité et de toute bonté, le voir immédiatement comme il se voit !

Ce que ni la raison la plus puissante, ni l’intelligence naturelle des anges ne peuvent découvrir, la Révélation divine nous l’a fait connaître. Elle nous dit que notre fin dernière est essentiellement surnaturelle et qu’elle consiste à voir Dieu immédiatement face à face et tel qu’il est, sicuti est [...].

Auteur: Garrigou-Lagrange Réginald

Info: Dans "Les trois conversions et les trois voies", Les éditions du Cerf, 1933

[ christianisme ] [ intuition intellectuelle ]

 
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citation s'appliquant à ce logiciel

Il faut voir FLP tel un cerveau droit homme-machine, par contraste avec les IA cerveaux gauches communautaire. Comme si, sous forme de catalogage intriqué, Gaïa s'amusait à se portraiturer en usant de l'entendement collectif humain, c'est à dire ses langages-consensus structurés et hiérarchisés. Ramenés ici au français.

Tous les acteurs restant bien sûr constamment en mouvement : l'univers, la matrice Gaïa, les hommes... leurs machines... et leurs idiomes. 

Collaborer à l'entreprise FLP est un processus réflexif, personnel et sincère, difficile, qui tendra à intégrer l'entendement du lecteur-tagueur dans le corpus général monde-langage-FLP par l'entremise d'une démarche qui, dans l'idéal, devrait concilier beaucoup de points : lecture plaisir, compréhension, désambiguation, décorticage, contextualisation, curiosité linguistique, mise en rétroaction de FLP, etc. 

Ainsi la réflexion individuelle pourra-t'elle peut-être quelque peu dépasser les simplifications imposées par les modes et autres "politiquement correct" des lieux/époques. 

Pour ce faire il faut appréhender l'insertion-étiquetage d'un extrait à deux niveaux : 

a) Celui de la logique formelle du réel perçu, froide et impersonnelle... inhumaine d'une certaine façon. QUEL EST LE SENS de l'insert, son rapport au réel ? (tag/catégorie)

b) Celui où l'humain-miroir s'implique un peu plus, parle de lui, de ses tourments, conflits personnels et intersubjectifs, antagonismes de pouvoirs et autres... (tags/étiquettes)

En procédant avec plaisir et mesure le participant pourra préciser/approfondir son rapport au langage et donc, par effet miroir, avec lui-même. Mais il faut du temps, celui d'une réflexion soutenue. Un peu comme les interactions aller-retour entre la vie biologique et son environnement tels que montrés par l'épigénétique. 

En termes de "descriptivité formulée", le langage se fonde sur le réel et précède la pensée. Il est la post-source. Le signifiant, en s'imposant comme  "signifié consensus" - même confiné aux hommes terrestres - devient, selon la belle formule de C.S. Peirce, quasi-esprit. 

Il faut donc procéder méthodiquement, en cherchant clarté et continuité, via une meilleure traçabilité (historique, étymologique, phylogénétique, etc - merci Internet), tâche beaucoup plus aisée que si on veut analyser une vidéo ou un film, qui, par leur surcroit de stimuli "submergent" l'esprit et l'emprisonnent. 

Cette grâce du langage écrit : sa linéarité qui le limite, focalise. Nous voilà en quelque sorte à l'opposé de la réalité pure et dure et ses milliards d'informations enchevêtrées. 

En résumé : à partir des mots de base, et puis des pensées (linéarités linguistiques) qui s'ensuivent, FLP fait office d'intégrateur/agrégateur. Voilà nos idées humaines intriquées dans un grand lexique multidimensionnel. (Mais gare aux règles d'insertion, amis participants.)

Tels sont les grands traits de l'entreprise des Fils de La Pensée : un dictionnaire analogique communautaire doté d'une base de données intelligente (intelligente au sens où chaque entrée est paramétrée au mieux) et doté de possibilités de recherche étonnantes. 

Evidemment, utiliser cette application nécessitera un peu de pratique pour en comprendre les possibilités. 

Pour revenir aux deux hémisphère du cerveau évoqués au départ, nous somme ici assez proches de l'idée des "Dialogues avec l'Ange". Une idée qui place l'homme dans un rôle de convertisseur du réel en quelque chose d'autre. 

Ici via des signes organisés, lexternalisés et entrelacés - sous forme digitale et autres invites informatiques.

Auteur: Mg

Info: 13 février 2022

[ corps-esprit ] [ transmutation ] [ anthropocentrisme ] [ définition ] [ homme-machine ]

 
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lecture

Dès que j’avais un livre, mon premier soin était de m’enfermer avec dans ma chambre d’hôtel comme pour une séance d’initiation, et je ne décrochais pas avant d’en avoir terminé, qu’il eût deux cents ou mille pages. Lire les paroles qu’un homme, dont on ne connaît généralement ni le visage ni la vie, a écrites tout spécialement à votre intention sans oser espérer que vous les liriez un jour, vous qui êtes si loin, si loin sur d’autres continents, d’une autre langue. Peut-être habite-t-il une grande maison de campagne au bord du Tibre ou un quarante-septième étage dans New York illuminé, peut-être est-il en train de pêcher l’écrevisse, de piler la glace pour le whisky de cinq heures, de caresser sa femme sur le divan, de jouer avec ses enfants ou de se réveiller d’une sieste en songeant à tout ce qu’il voulait mettre de vérité dans ses livres, sincèrement persuadé de n’avoir pas réussi bien que tout y soit quand même, presque malgré lui. Il a écrit pour vous. Pour vous tous. Parce qu’il est venu au monde avec ce besoin de vider son sac qui le reprend périodiquement. Parce qu’il a vécu ce que nous vivons tous, qu’il a fait dans ses langes et bu au sein, il y a de cela trente ou cinquante ans, a épousé et trompé sa femme, a eu son compte d’emmerdements, a peiné et rigolé de bons coups dans sa vie, parce qu’il a eu faim de corps jeunes et de plats savoureux, et aussi de Dieu de temps à autre et qu’il n’a pas su concilier le tout de manière à être en règle avec lui-même. Il s’est mis à sa machine à écrire le jour où il était malheureux comme les pierres à cause d’un incident ridicule ou d’une vraie tragédie qu’il ne révèlera jamais sous son aspect authentique parce que cela lui est impossible. Mais il ne tient qu’à vous de reconstituer le drame à la lumière de votre propre expérience et tant pis si vous vous trompez du tout au tout sur cet homme qui n’est peut-être qu’un joyeux luron mythomane ou un saligaud de la pire espèce toujours prêt à baiser en douce la femme de son voisin. Qu’il ait pu écrire les deux cents pages que vous avez sous les yeux doit vous suffire. Qu’il soit l’auteur d’une seule petite phrase du genre : "A quoi vous tracasser pour si peu, allez donc faire un somme en attendant", le désigne déjà à nous comme un miracle vivant. Même si vous deviez oublier cette phrase aussitôt lue et n’y repenser que le jour où tout va de travers, à commencer par le réchaud à gaz ou la matrice de votre femme. Et si par hasard vous avez la prétention de devenir écrivain à votre tour, ce que je ne vous souhaite pas, lisez attentivement et sans relâche. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth, lisez, lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. A moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n’ayez même pas de quoi vous achetez le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur un banc poisseux --- et lisez ! Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l’épaule du voisin, mais lisez !...

Auteur: Calaferte Louis

Info: Le septentrion, N’OUBLIEZ PAS DE LIRE

[ injonction ] [ drogue ] [ refuge ]

 

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élaboration psychologique

L’enfant n’était nullement précoce dans son développement intellectuel ; à l’âge d’un an et demi, il ne pouvait dire que quelques mots compréhensibles ; il utilisait en outre un certain nombre de sons offrant un sens intelligible pour l’entourage. Il était pourtant en bons termes avec ses parents et leur unique servante et l’on louait son "gentil" caractère. Il ne dérangeait pas ses parents la nuit, il obéissait consciencieusement à l’interdiction de toucher toutes sortes d’objets et d’entrer dans certaines pièces ; et surtout il ne pleurait jamais quand sa mère l’abandonnait pendant des heures, bien qu’il fût tendrement attaché à cette mère qui ne l’avait pas seulement nourri elle-même mais encore élevé et gardé sans aucune aide extérieure. Cependant ce bon petit garçon avait l’habitude, qui pouvait être gênante, de jeter loin de lui dans un coin de la pièce, sous le lit, etc., tous les petits objets dont il pouvait se saisir, si bien qu’il n’était souvent pas facile de ramasser son attirail de jeu. En même temps, il émettait avec une expression d’intérêt et de satisfaction un o-o-o-o, fort prolongé, qui, de l’avis commun de la mère et de l’observateur, n’était pas une interjection, mais signifiait "parti". Je remarquai finalement que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait tous ses jouets que pour jouer avec eux à "parti". Un jour, je fis une observation qui confirma ma façon de voir. L’enfant avait une bobine en bois avec une ficelle attachée autour. Il ne lui venait jamais, par exemple, l’idée de la traîner par terre derrière lui pour jouer à la voiture ; mais il jetait avec une grande adresse la bobine, que retenait la ficelle, par-dessus le rebord de son petit lit à rideaux où elle disparaissait, tandis qu’il prononçait son o-o-o-o riche de sens ; il retirait ensuite la bobine hors du lit en tirant la ficelle et saluait alors sa réapparition par un joyeux "voilà". Tel était donc le jeu complet : disparition et retour ; on n’en voyait en général que le premier acte qui était inlassablement répété pour lui seul comme jeu, bien qu’il ne fût pas douteux que le plus grand plaisir s’attachât au deuxième acte.

L’interprétation du jeu ne présentait plus alors de difficulté. Le jeu était en rapport avec les importants résultats d’ordre culturel obtenus par l’enfant, avec le renoncement pulsionnel qu’il avait accompli (renoncement à la satisfaction de la pulsion) pour permettre le départ de sa mère sans manifester d’opposition. Il se dédommageaient pour ainsi dire en mettant lui-même en scène, avec les objets qu’il pouvait saisir, le même "disparition-retour". [...] Le départ de la mère n’a pas pu être agréable à l’enfant ou même seulement lui être indifférent. Comment alors concilier avec le principe de plaisir le fait qu’il répète comme jeu cette expérience pénible ? On voudra peut-être répondre que le départ devait être joué, comme une condition préalable à la joie de la réapparition, et que c’est en celle-ci que réside le but véritable du jeu. Mais l’observation contredit cette façon de voir : le premier acte, le départ, était mis en scène pour lui seul comme jeu et même bien plus souvent que l’épisode entier avec sa conclusion et le plaisir qu’elle procurait.

L’analyse d’un exemple unique comme celui-ci ne permet pas de trancher avec assurance ; à considérer les choses sans préjugé, on acquiert le sentiment que l’enfant a transformé son expérience en jeu pour un autre motif. Il était passif, à la merci de l’événement ; mais voici qu’en le répétant, aussi déplaisant qu’il soit, comme jeu, il assume un rôle actif. [...] En rejetant l’objet pour qu’il soit parti, l’enfant pourrait satisfaire une impulsion, réprimée dans sa vie quotidienne, à se venger de sa mère qui était partie loin de lui ; son action aurait alors une signification de bravade : "Eh bien, pars donc, je n’ai pas besoin de toi, c’est moi qui t’envoie promener !" Ce même enfant dont j’avais observé le premier jeu à un an et demi avait coutume, un an plus tard, de jeter à terre un jouet contre lequel il était en colère en disant : "Va-t’en à la guerre !" On lui avait raconté alors que son père absent était à la guerre et, loin de regretter son père, il manifestait de la façon la plus évidente qu’il ne voulait pas être dérangé dans la possession exclusive de la mère. Nous avons d’autres exemples d’enfants qui expriment des mouvements intérieurs hostiles de cet ordre en rejetant au loin des objets à la place des personnes.

Auteur: Freud Sigmund

Info: Dans "Au-delà du principe de plaisir" (1920), trad. de l'allemand par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, éditions Payot, Paris, 2010, pages 51 à 56

[ fort-da ] [ symbolisation ] [ modalité de suppléance ] [ objet transitionnel ]

 
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christianisme-protestantisme

Luther n’était pas encore Luther, déjà il abhorrait, nous l’avons vu, dans l’auteur de l’Enchiridion l’intelligence claire qui se glorifie de sa clarté, la raison ennemie du mystère et de toutes ces choses obscures que perçoit l’intuition. Il a dit un jour un mot saisissant, qu’on trouve dans le recueil de Cordatus [Tischreden, W., III, p. 264, no 3316]. Il date du printemps de 1533 : "Il n’est pas d’article de foi, si bien confirmé soit-il par l’Évangile, dont ne sache se moquer un Érasme, je veux dire la Raison". — Ab Erasmo, id est a ratione ; voilà le secret d’une haine atroce, d’une de ces haines recuites et hallucinantes dont les hommes de Dieu ont le secret : cette haine du péché incarné dans le voisin et qui conduit jusqu’aux vœux homicides. En ces années-là, les recueils de Tischreden le prouvent surabondamment : Luther radotait de fureur contre Érasme. Et qu’il ait consenti, lui qu’aucune considération ne savait retenir quand un flot de sang lui montait du cœur au cerveau, qu’il ait consenti pendant tant et tant de mois à tenir presque cachée cette haine furieuse ; qu’en avril 1524 encore, il ait écrit "au roi de l’amphibologie", à ce "serpent", une longue lettre pour lui mettre une dernière fois le marché en mains : "Ne publie pas de livre contre moi, je n’en publierai pas contre toi" — en vérité, parmi tous les hommages qu’a reçus de son vivant le grand humaniste, je n’en sais pas de plus beau et, venant d’un tel ennemi, si fort de son triomphe, qui trahisse plus d’involontaire respect.

Mais enfin, il fallut bien que le duel s’engageât ? Ce fut Érasme qui le premier croisa le fer. Ce fut lui, pour des raisons aujourd’hui bien connues, qui publia le 1er septembre 1524 sa fameuse diatribe sur le libre arbitre. Le choix seul du sujet témoignait, une fois de plus, de sa haute et vive intelligence critique. Luther ne s’y trompa point. Il tint à le proclamer très haut dans les premières lignes de sa réplique [W., XVIII, p. 602] : "Toi, tu ne me fatigues pas avec des chicanes à côté, sur la papauté, le purgatoire, les indulgences et autres niaiseries qui leur servent à me harceler. Seul tu as saisi le nœud, tu as mordu à la gorge. Merci, Érasme !" Cette réplique de Luther, son traité Du serf arbitre, ne parut du reste qu’à l’extrême fin de 1525, le 31 décembre. Et c’est seulement en septembre de la même année, un an après l’attaque, que Luther se mit à la composer. L’adversaire était redoutable et si intrépide fût-on, on ne pouvait pas ne pas être intimidé à la pensée de l’affronter. Mais, dès que Luther se fut décidé à écrire, la pensée coula avec une force, une abondance, une violence irrésistibles. C’est que, ce qui était en jeu, c’était toute sa conception de la religion.

On l’a bien dit : au lieu d’intituler leurs deux écrits Du libre arbitre et Du serf arbitre, les deux antagonistes auraient pu leur donner ces titres : De la religion naturelle et De la religion surnaturelle. Entre l’omnipotence de Dieu et l’initiative de l’homme, libre à un semi-rationaliste comme Érasme de négocier un compromis et d’accepter sans émoi que soit battu en brèche ce sentiment véhément de la toute-puissance irrationnelle de Dieu en qui Luther voyait, lui, l’unique, l’indispensable garant de sa certitude subjective du salut. L’auteur du Serf arbitre ne pouvait s’attarder à semblables besognes. Ne voyant pas le moyen de concilier avec l’affirmation du libre arbitre sa foi personnelle dans la toute-puissance absolue de Dieu ; se révoltant à l’idée que la volonté humaine pût limiter en quoi que ce soit la volonté divine et la supplanter — par une démarche conforme à son génie, il se porta d’un coup aux extrêmes. Il nia le libre arbitre purement et simplement. Il proclama, une fois de plus, que tout ce qui arrivait à l’homme, y compris son salut, n’était que l’effet de cette cause absolue et souveraine, à l’action irrésistible et continue : Dieu, le Dieu "qui opère tout en tous". Et ce n’était pas là, pour Luther, une thèse philosophique, étayée d’arguments rationnels, mais le cri spontané d’un croyant qui confessait sa foi "à pleine bouche et sans mettre une feuille devant" ; c’était la protestation passionnée d’un chrétien "qui ne voulait pas vendre son cher petit Jésus" et qui, toujours prisonnier de ses expériences, ayant toujours à l’esprit "ces angoisses spirituelles et ces naissances divines, ces morts et ces enfers" à travers quoi il avait cherché et trouvé son Dieu, ne rencontrait la paix libératrice que dans l’abandon total, l’abdication sans réserves de sa volonté propre entre les mains du guide souverain.

Auteur: Febvre Lucien

Info: Un destin : Martin Luther, PUF, 1968, pages 172-173

[ théologie ] [ opposition ] [ différence ]

 

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chronos

Comment les physiciens explorent et repensent le temps

Le temps est inextricablement lié à ce qui pourrait être l’objectif le plus fondamental de la physique : la prédiction. Qu'ils étudient des boulets de canon, des électrons ou l'univers entier, les physiciens visent à recueillir des informations sur le passé ou le présent et à les projeter vers l'avant pour avoir un aperçu de l'avenir. Le temps est, comme l’a dit Frank Wilczek, lauréat du prix Nobel, dans un récent épisode du podcast The Joy of Why de Quanta, " la variable maîtresse sous laquelle le monde se déroule ".  Outre la prédiction, les physiciens sont confrontés au défi de comprendre le temps comme un phénomène physique à part entière. Ils développent des explications de plus en plus précises sur la caractéristique la plus évidente du temps dans notre vie quotidienne : son écoulement inexorable. Et des expériences récentes montrent des façons plus exotiques dont le temps peut se comporter selon les lois de la mécanique quantique et de la relativité générale. Alors que les chercheurs approfondissent leur compréhension du temps dans ces deux théories chères, ils se heurtent à des énigmes qui semblent surgir de niveaux de réalité plus obscurs et plus fondamentaux. Einstein a dit en plaisantant que le temps est ce que mesurent les horloges. C'est une réponse rapide. Mais alors que les physiciens manipulent des horloges de plus en plus sophistiquées, on leur rappelle fréquemment que mesurer quelque chose est très différent de le comprendre. 

Quoi de neuf et remarquable

Une réalisation majeure a été de comprendre pourquoi le temps ne s'écoule qu'en avant, alors que la plupart des faits physiques les plus simples peuvent être faits et défaits avec la même facilité.  La réponse générale semble provenir des statistiques des systèmes complexes et de la tendance de ces systèmes à passer de configurations rares et ordonnées à des configurations désordonnées plus courantes, qui ont une entropie plus élevée. Les physiciens ont ainsi défini une " flèche du temps " classique dans les années 1800, et dans les temps modernes, les physiciens ont remanié cette flèche probabiliste en termes d’intrication quantique croissante. En 2021, ma collègue Natalie Wolchover a fait état d’une nouvelle description des horloges comme de machine qui ont besoin du désordre pour fonctionner sans problème, resserrant ainsi le lien entre emps et entropie. 

Simultanément, les expérimentateurs se sont fait un plaisir d'exposer les bizarres courbures et crépitements du temps que nous ne connaissons pas, mais qui sont autorisés par les lois contre-intuitives de la relativité générale et de la mécanique quantique. En ce qui concerne la relativité, Katie McCormick a décrit en 2021 une expérience mesurant la façon dont le champ gravitationnel de la Terre ralentit le tic-tac du temps sur des distances aussi courtes qu'un millimètre. En ce qui concerne la mécanique quantique, j'ai rapporté l'année dernière comment des physiciens ont réussi à faire en sorte que des particules de lumière fassent l'expérience d'un écoulement simultané du temps vers l'avant et vers l'arrière.

C'est lorsque les physiciens sont confrontés à la formidable tâche de fusionner la théorie quantique avec la relativité générale que tout ça devient confus ; chaque théorie a sa propre conception du temps, mais les deux notions n’ont presque rien en commun.

En mécanique quantique, le temps fonctionne plus ou moins comme on peut s'y attendre : vous commencez par un état initial et utilisez une équation pour le faire avancer de manière rigide jusqu'à un état ultérieur. Des manigances quantiques peuvent se produire en raison des façons particulières dont les états quantiques peuvent se combiner, mais le concept familier du changement se produisant avec le tic-tac d’une horloge maîtresse reste intact.

En relativité générale, cependant, une telle horloge maîtresse n’existe pas. Einstein a cousu le temps dans un tissu espace-temps qui se plie et ondule, ralentissant certaines horloges et en accélérant d’autres. Dans ce tableau géométrique, le temps devient une dimension au même titre que les trois dimensions de l'espace, bien qu'il s'agisse d'une dimension bizarroïde qui ne permet de voyager que dans une seule direction.

Et dans ce contexte, les physiciens dépouillent souvent le temps de sa nature à sens unique. Bon nombre des découvertes fondamentales de Hawking sur les trous noirs – cicatrices dans le tissu spatio-temporel créées par l’effondrement violent d’étoiles géantes – sont nées de la mesure du temps avec une horloge qui marquait des nombres imaginaires, un traitement mathématique qui simplifie certaines équations gravitationnelles et considère le temps comme apparié à l'espace. Ses conclusions sont désormais considérées comme incontournables, malgré la nature non physique de l’astuce mathématique qu’il a utilisée pour y parvenir.

Plus récemment, des physiciens ont utilisé cette même astuce du temps imaginaire pour affirmer que notre univers est l'univers le plus typique, comme je l'ai rapporté en 2022. Ils se demandent encore pourquoi l'astuce semble fonctionner et ce que signifie son utilité. "Il se peut qu'il y ait ici quelque chose de profond que nous n'avons pas tout à fait compris", a écrit le célèbre physicien Anthony Zee à propos du jeu imaginaire du temps dans son manuel de théorie quantique des champs.

Mais qu’en est-il du temps réel et à sens unique dans notre univers ? Comment les physiciens peuvent-ils concilier les deux images du temps alors qu’ils se dirigent sur la pointe des pieds vers une théorie de la gravité quantique qui unit la théorie quantique à la relativité générale ? C’est l’un des problèmes les plus difficiles de la physique moderne. Même si personne ne connaît la réponse, les propositions intrigantes abondent.

Une suggestion, comme je l’ai signalé en 2022, est d’assouplir le fonctionnement restrictif du temps en mécanique quantique en permettant à l’univers de générer apparemment une variété d’avenirs à mesure qu’il grandit – une solution désagréable pour de nombreux physiciens. Natalie Wolchover a écrit sur la suspicion croissante selon laquelle le passage du temps résulte de l'enchevêtrement de particules quantiques, tout comme la température émerge de la bousculade des molécules. En 2020, elle a également évoqué une idée encore plus originale : que la physique soit reformulée en termes de nombres imprécis et abandonne ses ambitions de faire des prévisions parfaites de l’avenir.

Tout ce que les horloges mesurent continue de s’avérer insaisissable et mystérieux. 

Auteur: Internet

Info: https://www.quantamagazine.org/ - Charlie Wood, 1 avril 2024

 

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citation s'appliquant à ce logiciel

Toute émergence "qui réfléchit" ne peut être que consensuelle. 

Le moi, je, ego incarné, de même que la race (espèce) auquel il appartient, doivent nécessairement développer un univers "accepté" dans ses grandes lignes. Pour l'espèce ça semble aller de soi ; sans cela pas de signes entre les sexes pour la reproduction. Et, pour les races-communautés plus complexes (évoluées?) comme la nôtre : pas de langages communs, musique, mathématiques, beaux-arts, codes informatique, sciences... 

Pour l'individu, l'idée semble moins aisée à comprendre. Parce qu'intuitivement la "singularité" qu'il représente apparait via certains détails (variantes) qui semblent - et ne sont - pas décisifs pour la survie de l'espèce. Ainsi des graines des arbres. Mais il y a bien un consensus individuel, intime, destiné à la survie personnelle et à la reproduction, qui est recherche d'un équilibre, autant interne qu'avec les autres. 

Ces moyens termes, collectifs et singuliers (qui tendent vers la complexité) semblent indiquer quelques pistes, si on veut bien user du recul de notre mémoire collective. 

Primo, rien de temporellement fixe (terme à la mode : durable) à quoi s'accrocher. Sauf si un "équilibre solide" est installé entre biotope et individus-espèce (pensons aux requins, entre autres exemples). 

Secundo, existent une adaptabilité et une curiosité incessantes chez l'homme, qui avec le temps semblent occuper toujours plus les activités cérébrales de l'individu, lui-même infime et singulière émergence - initiatico-spirituelle souvent -, qui "ouvre" le monde tout en le perpétuant. 

Tertio. De ce continu phénomène d'évolutions/adaptations, on pourra constater, et probablement modéliser, toutes sortes de décalages évidents, nécessaires, à plein d'échelles et de niveaux. Dissonnances fines qui peuvent aller jusqu'à des ruptures de compréhension-communication entre : générations, époques, genres/sexes, habitudes, manières de voir, etc. De là beaucoup de malentendus et conflits, et donc une grande nécessité de tolérance et d'amour. 

Alors, pour faire marcher ensemble les consensualités intriquées du grand univers objectif avec les singularités subjectives, autrement dit concilier nos indéniables solipsismes avec le plus de niveaux possible que présente le cosmos matrice insondable, on entrevoit un principe orgonomique de l'ordre de l'adaptation pragmatique. Stephen Wolfram va jusqu'à affirmer que quelques règles simples (un code source) pourraient sous-tendre tout ceci. Pourquoi pas.

En termes linguistiques on pourra tenter d'affiner la définition de ce principe orgonomique par l'ajouts de vocables comme effort, collaboration solidaire, amour, chance/hasard, curiosité, survie, etc. 

Et puis, en tout dernier, se pointe le mot "esprit". On ne peut entrevoir ce concept qu'en fin de chaine. En effet l'esprit - ou réflexion un peu continue -, s'articule lui-même sur le maniement de mots/concepts (quasi-esprits de Peirce), eux-mêmes péniblement émergés d'une évolution lexicologique somme toute très récente et souvent retraçable. Analyses, pensées, élaborations abstraites... souvent aussi appuyées sur d'autres idiomes comme les mathématiques.  

Au-delà des listes et autres inventaires, l'écriture et les signes permettent donc - finalement - de raisonner et réfléchir... et  "commencer à" s'extraire, à s'élever un tout petit peu pour tenter de mieux voir. 

On se demande dès lors comment et pourquoi certains penseurs, gourous et autres religieux, qui "moulinent à la parole", décrétent que l'Esprit est à la source de tout, alors qu'il ressemble plus à une conquête pour ce qui nous concerne. Infinitésimale.

En rappelant par honnêteté qu'il y a belle lurette que les grecs anciens ont établi que le langage (logos) était l'instrument de la raison. Et puis : issue de l'invraisemblable fatras du kabbalisme et des traditions sumériennes, vient la théologie chrétienne où, d'un coup d'un seul le "Logos" est employé pour désigner la deuxième personne de la Trinité chrétienne. En bref Jésus, le Christ, prend le même sens que "verbe, parole". L'origine de cette désignation étant formalisée bien a postériori ainsi dans la Bible : "Au commencement était la Parole, et la Parole (logos) était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, etc". (Évangile selon Jean, chapitre 1). Cet Évangile de Jean affirme donc que Dieu parle, sa parole est son hypostase, sa Parole créatrice est aussi puissante que Lui-même : Il est Sa Parole, etc... Ce concept de la parole de Dieu comme hypostase de Dieu même est commun à plusieurs religions, mais pour l'auteur de l'évangile, ce qui est original et unique à la chrétienté est que cette parole, hypostase, qui est Dieu même, est devenue homme et a habité parmi les hommes : "Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père." (Évangile selon Jean, chapitre 1, 14)

Arrêtons là et contentons-nous de prendre ce paragraphe comme une extraordinaire démonstration de langage performatif. Très très très performatif, au vu de la puissance et de la place prise par le judéo-christianisme en début de 3e millénaire. 

Mais assez : revenons à notre idée de départ, celle de l'invraisemblable mélange de consensus/échelles/êtres/univers/etc. que nous pouvons constater et de sa préhension par notre entendement. Entendement développé via nos signes/écrits, mémorisés et intégrés dans notre mémoire collective. Ce qui amène beaucoup de gens à vouloir croire que l'humain est "au-dessus", élu... Supérieur... Il bénéficierait d'un esprit d'ordre surnaturel, divin, astralement dessiné. Essence orgonomique que d'autres imaginent comme quelque chose de l'ordre du fluide vital, énergie subtile issue d'un autre espace (dimension), dotée pour le coup de capacités/pouvoirs au-delà de nos possibilités de modélisation, etc.

Avançons-nous un peu pour affirmer que ce fameux Esprit, à la lumière de nos faibles connaissances, ressemble beaucoup plus à la version "manipulation de signes" par des cerveaux tardivement accouché de l'évolution, qu'à une émergence extraordinaire, divine et miraculeuse. Surtout si on s'amuse à comparer ces manipulations aux merveilleuses complexités et aux presqu'insondables développements de la vie biologique.

Ici FLP pointe le bout de son nez et, avec l'aide de C.S. Peirce - unique penseur ayant développé une approche solide et cohérente en ce domaine -, propose un outil, souple, puissant et collectif qui permet (en français, humblement et à sa manière) d'explorer-rechercher-bidouiller langage et sémantique, ces dispositifs de signes aptes à traiter tout et son contraire, aptes à passer du mirage absolu au plus cru des réalisme - en mélangeant les deux. Mais aussi inaptes, de par leur nature immobile (un fois une pensée écrite, et donc arrêtée - et si on veut bien nous excuser cette énorme lapalissade) à véritablement traiter notre support réel, la vie, ce mouvant embrouillamini qui se permet de mélanger sans discontinuer les échelles, vitesses, sentiments, etc. 

Pour revenir sur terre on dirait bien que les résultats de ce magnifique entendement humain nous amènent plutôt, en ces années de pandémie Co-vid,  vers un abrutissement drastique de forces de vie humaines de moins en moins sollicitées à cause des "progrès" techniques et médicaux. Sans parler du genre de biocratie sanitaire qui en découle. Pensez : tout récemment encore l'occident se battait contre l'acharnement thérapeuthique, affolé par la poussée démographique et le vieillissement des populations. Aujourd'hui on dirait qu'il s'auto-asphyxie pour sauver les personnes âgées. 

Mais soyons positifs et rassurons-nous. Ce ralentissement aura permis à la planète de respirer, et aussi de s'unifier - contre le covid. Unification qui pourrait mettre en parallèle biologie et communications humaines à l'échelle de la planète et ainsi procéder à un développement-consolidation de signes communautaires, càd de mêmes terrestres.

Contemplons la suite et restont bien zens goguenards. 

Vigilants.

Auteur: Mg

Info: 10 janv. 2021

[ sémiotique ] [ pré-mémétique ] [ systèmes intelligents ]

 
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capitalisme

Les élites ne nous sauveront pas
L’attaque, qui dure depuis quatre décennies contre nos institutions démocratiques par les grandes entreprises, les a laissé faibles et largement dysfonctionnelles. Ces institutions, qui ont renoncé à leur efficacité et à leur crédibilité pour servir les intérêts des entreprises, auraient dû être notre pare-feu. Au lieu de quoi, elles chancellent sous l’assaut.
Les syndicats sont une force du passé. La presse est transformée en industrie et suscite la méfiance. Les universités ont été purgées des chercheurs dissidents et indépendants qui critiquent le néolibéralisme et dénoncent la décomposition des institutions démocratiques et des partis politiques. La radio-télévision publique et les arts ne sont plus financés et sont laissés moribonds. Les tribunaux ont été noyautés par des juges dont la carrière juridique s’est passé à servir le pouvoir des grandes sociétés, une tendance dans les nominations qui s’est poursuivie sous Barack Obama. L’argent a remplacé le vote, ce qui explique comment quelqu’un d’aussi non qualifié comme Betsy DeVos peut s’acheter un siège dans un ministère. Le parti démocrate, plutôt que de rompre ses liens avec Wall Street et les grandes entreprises, attend naïvement en coulisse de profiter d’une débâcle de Trump.
"Le plus grand atout de Trump est un parti démocrate décadent, désemparé, narcissique, inféodé aux entreprises et belliciste, m’a dit Ralph Nader lorsque je l’ai joint au téléphone à Washington. Si la stratégie démocrate est d’attendre Godot, attendre que Trump implose, nous sommes en difficulté. Et tout ce que vous dites des démocrates, vous pouvez aussi le dire de l’AFL-CIO [le principal regroupement syndical américain, NdT]. Ils ne contrôlent pas le train."
La perte de crédibilité dans les institutions démocratiques a jeté le pays dans une crise tant existentielle qu’économique. Des dizaines de millions de gens ne font plus confiance aux tribunaux, aux universités et à la presse, qu’ils voient avec raison comme les organes des élites des grandes sociétés. Ces institutions sont traditionnellement les mécanismes par lesquels une société est capable de démasquer les mensonges des puissants, de critiquer les idéologies dominantes et de promouvoir la justice. Parce que les Américains ont été amèrement trahis par leurs institutions, le régime de Trump peut attaquer la presse comme le "parti d’opposition", menacer de couper le financement des universités, se moquer d’un juge fédéral comme d’un "soi-disant juge" et dénoncer une ordonnance d’un tribunal comme "scandaleuse".
La dégradation des institutions démocratiques est la condition préalable à la montée de régimes autoritaires ou fascistes. Cette dégradation a donné de la crédibilité à un menteur pathologique. L’administration Trump, selon un sondage de l’Emerson College, est considérée comme fiable par 49% des électeurs inscrits tandis que les médias ne sont tenus pour fiables que par 39% des électeurs inscrits. Une fois que les institutions démocratiques américaines ne fonctionnent plus, la réalité devient n’importe quelle absurdité que publie la Maison Blanche.
La plupart des règles de la démocratie ne sont pas écrites. Ces règles déterminent le comportement public et garantissent le respect des normes, des procédures et des institutions démocratiques. Le président Trump, à la grande joie de ses partisans, a rejeté cette étiquette politique et culturelle.
Hannah Arendt, dans Les origines du totalitarisme, notait que lorsque les institutions démocratiques s’effondrent, il est "plus facile d’accepter des propositions manifestement absurdes que les anciennes vérités qui sont devenues de pieuses banalités". Le bavardage des élites dirigeantes libérales ["progressistes", NdT] sur notre démocratie est lui-même une absurdité. "La vulgarité, avec son rejet cynique des normes respectées et des théories admises", écrit-elle, infecte le discours politique. Cette vulgarité est "confondue avec le courage et un nouveau style de vie".
"Il détruit un code de comportement après l’autre, dit Nader de Trump. Il est rendu si loin dans cette façon de faire sans en payer le prix. Il brise les normes de comportement – ce qu’il dit des femmes, la commercialisation de la Maison Blanche, "je suis la loi"."
Nader m’a dit qu’il ne pensait pas que le parti républicain se retournera contre Trump ou envisagera la destitution, à moins que sa présidence ne semble menacer ses chances de conserver le pouvoir aux élections de 2018. Nader voir le parti démocrate comme "trop décadent et incompétent" pour contester sérieusement Trump. L’espoir, dit-il, vient des nombreuses protestations qui ont été organisées dans les rues, devant les mairies par les membres du Congrès et sur des points chauds comme Standing Rock. Il peut aussi venir des 2.5 millions de fonctionnaires du gouvernement fédéral si un nombre significatif d’entre eux refuse de coopérer avec l’autoritarisme de Trump.
"Le nouveau président est tout à fait conscient du pouvoir détenu par les fonctionnaires civils, qui prêtent serment d’allégeance à la constitution des États-Unis, et non à un président ou à une administration", écrit Maria J. Stephan, co-auteure de Why Civil Resistance Works dans le Washington Post. "L’un des premiers actes de Trump en tant que président a été un gel général du recrutement fédéral qui touche tous les nouveaux postes et les postes existants exceptés ceux liés à l’armée, à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Même avant l’investiture de Trump, la Chambre des représentants dominée par les Républicains a réinstauré une obscure règle de 1876 qui autoriserait le Congrès à réduire les salaires des employés fédéraux individuels. C’était un avertissement clair à ceux qui sont au service du gouvernement de garder le profil bas. Le licenciement très médiatisé par Trump du procureur général par intérim Sally Yates, qui a refusé de suivre l’interdiction d’immigration du président, a envoyé des ondes de choc dans la bureaucratie."
Un soulèvement populaire, soutenu à l’échelle nationale, d’obstruction et de non-coopération non violente est la seule arme qui reste pour sauver la république. Les élites répondront une fois qu’elles auront peur. Si nous ne leur faisons pas peur, nous échouerons.
"La résilience des institutions démocratiques a été encourageante – les tribunaux, les manifestations, dit Nader. Trump se retourne contre lui-même. Il outrage les gens dans tout le pays sur la base de la race, du genre, de la classe, de la géographie, de ses mensonges, ses fausses déclarations, son narcissisme, son manque de connaissances, sa désinvolture et son désir morbide de répondre aux insultes avec des tweets. Il n’est pas un autocrate intelligent. Il s’affaiblit chaque jour. Il permet à l’opposition d’avoir plus d’effet que d’ordinaire."
"La plupart des chefs d’État dictatoriaux s’occupent d’idéologies abstraites – la patrie et ainsi de suite, poursuit Nader. Il n’en fait pas beaucoup sur ce plan. Il attaque personnellement, vise bas sur l’échelle de la sensualité. Vous êtes un faux. Vous êtes un perdant. Vous êtes un escroc. Cela pique davantage les gens, en particulier lorsqu’il le fait en se basant sur le genre, la race et la religion. Donald Trump est ce qu’il y a de mieux pour le réveil démocratique."
Nader dit que Trump sera pourtant capable de consolider son pouvoir si nous subissons un nouvel attentat terroriste catastrophique ou s’il y a une débâcle financière. Les régimes dictatoriaux ont besoin d’une crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée, pour justifier la suspension totale des libertés civiles et exercer un contrôle incontesté.
"S’il y a un attentat terroriste apatride sur les États-Unis, il est capable de concentrer une quantité de pouvoir dans la Maison Blanche contre les tribunaux et contre le Congrès, avertit Nader. Il fera des boucs émissaires de ceux qui s’opposent à lui. […] Cela affaiblira toute résistance et toute opposition."
La tension entre la Maison Blanche de Trump et des segments de l’establishment, y compris les tribunaux, la communauté du renseignement et le Département d’État, a été mal interprétée comme une preuve que les élites veulent éloigner Trump du pouvoir. Si les élites peuvent établir des relations avec le régime de Trump pour maximiser leurs profits et protéger leurs intérêts personnels et de classe, elles supporteront volontiers l’embarras d’avoir un démagogue dans le bureau ovale.
L’État des grandes entreprises, ou l’État profond, n’a pas non plus d’engagement à l’égard de la démocratie. Ses forces ont évidé les institutions démocratiques pour les rendre impuissantes. La différence entre le pouvoir des entreprises et le régime de Trump est que le pouvoir des entreprises a cherché à maintenir la fiction de la démocratie, y compris la déférence polie accordée en public aux institutions démocratiques. Trump a effacé cette déférence. Il a plongé le discours politique dans les égouts. Trump ne détruit pas les institutions démocratiques. Elles avaient été détruites avant qu’il entre en fonction.
Même les régimes fascistes les plus virulents ont construit des alliances fragiles avec les élites conservatrices et d’affaires traditionnelles, qui considéraient souvent les fascistes comme maladroits et grossiers.
"Nous n’avons jamais connu un régime fasciste idéologiquement pur", écrit Robert O. Paxton dans The Anatomy of Fascism. "En effet, la chose semble à peine possible. Chaque génération de chercheurs sur le fascisme a noté que les régimes reposaient sur une sorte de pacte ou d’alliance entre le parti fasciste et des forces conservatrices puissantes. Au début des années 1940, le réfugié social-démocrate Franz Neumann a soutenu dans son classique Behemoth qu’un ‘cartel’ formé du parti, de l’industrie, de l’armée et de la bureaucratie régnait sur l’Allemagne nazie, tenu ensemble uniquement par ‘le profit, le pouvoir, le prestige et, surtout, la peur’."
Les régimes fascistes et autoritaires sont gouvernés par de multiples centres de pouvoir qui sont souvent en concurrence les uns avec les autres et ouvertement antagonistes. Ces régimes, comme l’écrit Paxton, reproduisent le "principe du chef" de manière à ce qu’il "descende en cascade le long de la pyramide sociale et politique, créant une foule de petits Führer et Duce en état de guerre hobbesienne de tous contre tous."
Les petits Führer et Duce sont toujours des bouffons. Des démagogues aussi plastronnant ont consterné les élites libérales dans les années 1930. Le romancier allemand Thomas Mann a écrit dans son journal deux mois après l’arrivée des nazis au pouvoir qu’il avait assisté à une révolution "sans idées qui la fondaient, contre les idées, contre tout ce qui est plus noble, meilleur, décent, contre la liberté, la vérité et la justice". Il déplorait que la "lie commune" ait pris le pouvoir "accompagnée de la grande joie d’une bonne partie des masses". Les élites d’affaires en Allemagne n’ont peut-être pas aimé cette "lie", mais elles étaient disposées à travailler avec elle. Et nos élites d’affaires feront la même chose aujourd’hui.
Trump, un produit de la classe des milliardaires, conciliera ces intérêts privés, parallèlement à la machine de guerre, pour construire une alliance mutuellement acceptable. Les laquais au Congrès et dans les tribunaux, les marionnettes des grandes entreprises, seront, je m’y attends, pour la plupart dociles. Et si Trump est destitué, les forces réactionnaires qui cimentent l’autoritarisme en place trouveront un champion dans le vice-président Mike Pence, qui place fiévreusement des membres de la droite chrétienne dans tout le gouvernement fédéral.
"Pence est le président parfait pour les chefs républicains qui contrôlent le Congrès, dit Nader. Il est juste hors du casting principal. Il regarde la partie. Il parle de la partie. Il joue son rôle. Il a connu la partie. Ça ne les dérangerait pas si Trump quittait sa fonction subitement ou s’il devait démissionner. […]"
Nous sommes aux stades crépusculaires du coup d’État permanent des grandes entreprises entamé il y a quarante ans. Il ne nous reste pas grand-chose pour travailler. Nous ne pouvons pas faire confiance à nos élites. Nous devons nous mobiliser pour mener des actions de masse répétées et soutenues. Attendre que l’establishment décapite Trump et restaure la démocratie serait un suicide collectif.

Auteur: Hedges Chris

Info: 12 février 2017, Source Truthdig

[ Usa ] [ vingt-et-unième siècle ]

 

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philosophie

Tout le monde a une théorie sur ce qui se passe dans notre monde. Mais beaucoup sont partielles, ou fragmentaires, ou trop simples – attribuant trop d'importance au "capitalisme", au "mondialisme", à "l'opportunisme" ou aux "conséquences imprévues". Nous devons continuer à essayer de donner un sens à l'ensemble du scénario.

Commençons par quelques grandes hypothèses sur ce qui se passe. L'hypothèse de René Guénon, esquissée pour la première fois vers 1930, était que toutes les civilisations possèdent des pouvoirs spirituels et temporels et incorporent donc en quelque sorte une tension entre les deux : mais que, pour la première fois dans l'histoire, notre modernité, à partir de  1500, a placé le temporel au-dessus de l'Eternel, le matériel au-dessus du spirituel : en bref, 'l'état' au-dessus de 'l'église'.  On a vu quelques hypothèses connexes proposées en même temps : comme celle de Julien Benda selon laquelle les clercs, ou intellectuels, avaient déplacé leur préoccupation : ainsi l'immense valeur qu'ils avaient toujours attribuée aux choses non mondaines était maintenant attribuée aux choses mondaines. C'est-à-dire que les intellectuels étaient maintenant corrompus, en quelque sorte suivistes de profits sales.

Un ami américain a récemment attiré mon attention sur certains des écrits récents d'un romancier et essayiste, Paul Kingsnorth . A l'origine anticapitaliste, il se croyait à gauche, et se retrouve aujourd'hui plus ou moins à droite. Son hypothèse est que le déclin du christianisme dans notre civilisation – déclin de l'éternel et du spirituel – coïncide et a probablement été causé par la montée de ce qu'il nomme "mythe du progrès". Le progrès, c'est la conviction que le monde, ce monde, va mieux. Ce mythe est le genre de chose que nous pouvons associer à Francis Bacon ou John Stuart Mill, ou encore Bayle, Mandeville, Voltaire, Smith, Hegel, Comte, Marx - plus ou moins tout le monde des XVIIe au XIXe siècles, sauf pour des gens un peu plus pointus comme Bossuet ou Maistre, aussi pour Burke à la toute fin de sa vie. Kingsnorth construit une vision très efficace de l'histoire sur cette hypothèse, ce qui lui permet d'expliquer pourquoi gauchistes et corporatistes s'accordent si bien aujourd'hui. Tous, dit-il, veulent du progrès. Ils contribuent tous à ce qu'il appelle la Machine.

Acceptons ces deux hypothèses. Mais je dois en ajouter un troisième, qui ajoute une complication interne à la deuxième, et rend ainsi l'ensemble du scénario un peu plus dynamique. Cela peut même expliquer pourquoi il y a tant de confusion sur ce qui s'est passé. L'hypothèse est qu'il n'y a jamais eu un seul "mythe du progrès" : la puissance du mythe du progrès était qu'il contenait un contradiction interne, comme les traducteurs de Hegel ont eu l'habitude de la nommer : une division intérieure.  Deux positions rivales en désaccord sur le comment alors même qu'elles étaient d'accord sur le quoi . Le quoi étant un présupposé absolu - quelque chose de si fondamental qu'il n'a jamais été remis en question par aucune des parties. Comme c'est toujours le cas, le désaccord au premier plan détournait l'attention de l'accord plus profond qui dominait tout à l'arrière-plan.

Ce sur quoi ils étaient d'accord, c'est que des progrès se produisaient et devaient se produire . Ce sur quoi ils n'étaient pas d'accord, c'était comment cela devait se passer. Je simplifie bien sûr ici, mais simplifier un argument en deux positions est bien moins simple que de le simplifier en une position.

D'un côté il y avait l'argument selon lequel des progrès étaient en cours, que cela nous plaise ou non. Cela se produisait à travers ce qu'Adam Smith appelait la main invisible, ou ce que Samuel Johnson appelait la concaténation secrète, ce que nous appelons parfois maintenant la loi des conséquences imprévues. C'est le processus par lequel de nombreux humains, à la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ont contribué à l'émergence d'un bien qu'aucun n'avait jamais voulu, et qu'aucun n'avait anticipé, mais qui pouvait être compris rétrospectivement.

De l'autre côté, il y avait l'argument selon lequel le progrès ne se produirait que si nous adoptions les bonnes croyances rationnelles, les bonnes vues éclairées ( iberté, égalité, fraternité, etc.), et si nous nous efforcions d'imposer au monde les politiques ou les schémas suggéré par les bonnes croyances rationnelles et les bonnes vues éclairées. Il s'agissait de mettre l'accent sur la planification plutôt que sur les conséquences imprévues : et la planification ne pouvait être efficace que si elle était effectuée par ceux au pouvoir. Ainsi, les puissants devaient être subjugués par les experts de l'illumination.

La différence entre ces deux positions est que l'une y voit un processus inconscient , l'autre y voit une impulsion consciente. Ces deux positions ont dominé le débat politique deux siècles durant : d'une part, les uns ont privilégié les marchés et l'activité privée indépendante et apparemment (mais pas réellement ou finalement) égoïste, et d'autre part, un caméralisme, un colbertisme ou un comtisme de la planification scientifique. et l'activité publique collective.

En pratique, bien sûr, les deux ont été mélangées, ont reçu des noms variés, et certaines personnes qui ont commencé d'un côté pour se retrouver de l'autre : pensez à la dérive de John Stuart Mill ou de TH Green du libéralisme au socialisme ; mais considérez également la dérive de Kingsley Amis, Paul Johnson et John Osborne dans l'autre sens. Décoller tout cela est un boulôt de dingue : il faut peut-être le laisser aux historiens qui ont la patience de le faire. Mais les historiens ont tendance à embrouiller les choses... Alors tout ça mérite quelques explications : et l'expliquer dans l'abstrait, comme je le fais ici, permet certainement d'expliquer pourquoi les libéraux ont parfois été d'un côté ou de l'autre, et pourquoi les conservateurs sont tout aussi chimériques. 

Le point de cette hypothèse est de dire que toute la politique des deux derniers siècles fut dominée par des arguments sur la question de savoir si le progrès aurait lieu dans l'observance ou dans la violation, pour ainsi dire : s'il devrait être théorisé consciemment et ensuite imposée par une politique prudente, ou si il devait survenir sans planification délibérée de telle manière que seuls les historiens ultérieurs pourraient le comprendre pleinement. Mais tout ça est terminé. Nous sommes maintenant à l'étape suivante.

Cela s'explique en partie par le fait que, comme le dit Kingsnorth, le mythe du progrès - bien qu'il ne soit pas entièrement mort - parait pratiquer ses derniers rites. Il est sans doute en difficulté depuis les années 1890, a été secoué par la Première Guerre mondiale ; mais il a subi ses chocs récents depuis les années 1970, avec la pollution, la surpopulation, la stagflation, l'ozone, le dioxyde de carbone, les prêts hypothécaires à risque, etc. Pour l'instant les mondialistes ne savent pas exactement comment concilier le cercle du désir de "progrès" (ou, du moins comment être "progressiste") tout en faisant simultanément promotion de la "durabilité". Si nous avons un mythe en ce moment c'est sûrement le mythe de la durabilité. Peut-être que les mondialistes et les localistes comme Kingsnorth constateront que, bien qu'ils soient en désaccord sur beaucoup de choses - COVID-19, par exemple - ils sont d'accord sur la durabilité.

Mais il y a quelque chose à ajouter, une quatrième hypothèse, et c'est vraiment l'hypothèse suprême. J'ai dit que pendant quelques siècles, il y avait la planification contre le laissez-faire , ou la conscience contre les conséquences imprévues - les deux essayant de trouver comment rendre le monde, ce monde, meilleur. Mais il y a autre chose. La quatrième hypothèse est que certains personnages du début du XIXe siècle entrevoyaient que les deux positions pouvaient se confondre. Hegel était l'une de ces figures ; même Marx. Il y en eut d'autres; qui sont nombreux maintenant. Fusion qui signifiait quelque chose comme ce qui suit :

Jusqu'à présent, nous avons fait l'erreur de penser que le bien peut être imposé consciemment - généralement par le biais de préceptes religieux - mais nous avons découvert, grâce à Mandeville, Smith et les économistes, que le bien peut être obtenu par des conséquences involontaires. Ce qui ne signifie cependant pas que nous devrions adopter une politique de laissez-faire : au contraire, maintenant que nous comprenons les conséquences imprévues , nous savons comment fonctionne tout le système inconscient du monde, et puisque nous savons comment intégrer notre connaissance de ceci dans notre politique, nous pouvons enfin parvenir à un ordre mondial scientifique et moral ou probant et justifié parfait.

Est-ce clair? Les Lumières écossaises ont créé l'expert empirique, qui a fusionné avec le progressiste conscient moralement assuré, pour devenir l'espoir du monde. Sans doute, la plupart d'entre nous ont abandonné les fantasmes hégéliens et marxistes de "fin de l'histoire" ou d'"émancipation", mais je pense que l'ombre de ces fantasmes a survécu et s'est achevée dans le récent majoritarisme scientifique et moral, si clairement vu depuis que le COVID-19 est arrivé dans le monde.

Si j'ai raison à propos de cette quatrième hypothèse, cela explique pourquoi nous sommes si confus. Nous ne pouvons pas donner un sens à notre situation en utilisant le vieux langage du "collectivisme" contre "l'individualisme". Le fait est qu'à notre époque post-progressiste, les experts se sentent plus justifiés que jamais pour imposer à chacun un ensemble de protocoles et de préceptes "fondés sur des preuves" et "moralement justifiés". Plus justifiés parce que combinant la connaissance de la façon dont les choses fonctionnent individuellement (par la modélisation et l'observation de processus inconscients ou de conséquences imprévues) avec la certitude sur ce qu'il est juste de faire collectivement (étant donné que les vieux fantasmes de progrès ont été modifiés par une idéologie puritaine et contraignante de durabilité et de survie, ajoutée de diversité, d'équité et d'inclusion - qui sert d'ailleurs plus d'impulsion de retenue que d'anticipation d'une émancipation du marxisme)

Ce n'est pas seulement toxique mais emmêlé. Les niveaux d'hypocrisie et d'auto-tromperie impliqués dans cela sont formidables. Les mondialistes ont une doctrine à toute épreuve dans leur politique durable qui sauve le monde, ou "durabilité". Elle est presque inattaquable, puisqu'elle s'appuie sur les plus grandes réalisations des sciences naturelles et morales. Tout ça bien sûr alimenté par une ancienne cupidité acquisitive, mais aussi par le sentiment qu'il faut offrir quelque chose en échange de leur manque de privilèges à ceux qui ont besoin d'être nivelés ; et tout ça bien sûr rend le monde meilleur, "sauve" la planète, dorant les cages des déshérités et les palais des privilégiés de la même laque d'or insensée.

Peut-être, comme l'entrevoient Guenon et Kingsnorth – également Delingpole et Hitchens – la vérité est-elle que nous devons réellement remonter à travers toute l'ère de la durabilité et l'ère du progrès jusqu'à l'ère de la foi. Certes, quelqu'un ou quelque chose doit forcer ces "élites" à se soumettre à une vision supérieure : et je pense que la seule façon de donner un sens à cela pour le moment est d'imaginer qu'une église ou un prophète ou un penseur visionnaire puisse abattre leur État - la laïcité corporate-, leur montrer que leur foi n'est qu'une idéologie servant leurs intérêts, et qu'ils doivent se soumettre à une doctrine authentiquement fondée sur la grâce,  apte à admettre la faute, l'erreur, voire le péché. Cela ne se ferait pas par des excuses publiques ou une démonstration politique hypocrite, mais en interrogeant leurs propres âmes.

Je suis pas certain que c'est ce qui arrivera, ni même que cela devrait arriver (ou que cela pourrait arriver) : mais c'est certainement le genre de chose qui doit arriver. Autrement dit, c'est le genre de chose que nous devrions imaginer arriver. Ce qui se passera sera soit du genre Oie Blanche ancienne, soit peut-être un événement inattendu style "Black Swan" (pas nécessairement une bonne chose : nous semblons trop aimer la crise en ce moment). Mais, de toute façon, une sensibilité réactionnaire semble être la seule capable de manifester une quelconque conscience de ce qui se passe.

Pour clarifier, permettez-moi d'énoncer à nouveau les quatre hypothèses sur ce phénomène :

1. A travers toutes les époques, il y a eu un équilibre entre spiritualité et  sécularisation. Dans notre modernité, la sécularité est dominante. Il n'y a que ce monde.

2. Depuis environ trois siècles, nous croyons que ce monde s'améliore et devrait s'améliorer. C'est le "mythe du progrès".

3. Il y a toujours eu des désaccords sur le progrès : certains pensaient qu'il était le fruit du hasard et de l'intérêt individuel ; d'autres pensaient qu'il ne pouvait être que le résultat d'une conception délibérée.

4. Nous ne devons pas ignorer qu'il y a eu une fusion très intelligente de ces deux positions : une fusion qui ne s'est pas évanouie avec l'évanouissement du "mythe du progrès" mais qui survit pour soutenir la politique étrange et nouvelle de ce que nous pourrions appeler le "mythe de la durabilité". Cette fusion est extrêmement condescendante et sûre d'elle-même car elle associe la certitude scientifique de ce qui s'est passé inconsciemment pour améliorer le monde à la certitude morale de ce qui devrait maintenant être fait consciemment pour améliorer le monde. Elle semble réunir individu et collectif d'une manière qui est censée rendre impossible tout renoncement.

 

Auteur: Alexander James

Info: Daily Skeptic. Quatre hypothèses sur l'élite mondiale laïque-corporatiste, 20 février 2023. Trad Mg, avec DeePL

[ état des lieux ]

 

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