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barbarie

Lisez l'histoire de la croisade contre les albigeois ; lisez celle de la conquête du Mexique ; vous verrez que les croisés n'avaient pas commis moins d'horreurs dans le Languedoc que les espagnols en commirent dans l'Amérique.

Auteur: Saint-Foix Germain-François Poullain de

Info:

[ universelle ]

 

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classiques et poncifs

Pendant les guerres contre les Albigeois, les croisés assiégèrent Béziers. Leurs chefs, en montant à l'assaut, demandèrent au légat du pape ce qu'ils devaient faire, dans l'impossibilité où l'on était de distinguer les catholiques d'avec les hérétiques : "Tuez-les tous, dit le légat, Dieu connaîtra ceux qui sont à lui."

Auteur: Saint-Foix Germain-François Poullain de

Info: Essais historiques sur Paris, Hatuey

 

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guerre

Nous avons glissé, épaule contre épaule, le long des filets du cargo jusqu'à notre barge de débarquement qui se cabrait sur la Manche. Les bottes trempées d'eau de mer et de cale de chaque GI ruisselaient sur le camarade qui le précédait. A ce moment précis, j'ai compris que nous nous battons non pas pour un drapeau ou contre des tyrans, mais pour chacun de nous. Pour le temps qu'il me reste à vivre, ces étrangers suspendus tout autour de moi, ces hommes tout juste croisés, constitueront mon unique famille. Oubliez les enjeux politiques, car en tous lieux et en tous temps, la guerre fait de nous tous des orphelins.

Auteur: Anonyme

Info: dans le fragment d'une découverte à Omaha Beach en juin 1944. In L'Orphelin, Tome 1 de Robert Buettner

[ survie ] [ groupe ] [ solidarité ] [ dernières paroles ]

 

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art pictural

Son incomparable nudité blanche rayonne sur un fond de crépuscule. Ses bras musclés, les bras d'un garde prétorien accoutumé à bander l'arc et à manier l'épée, sont levés selon un angle gracieux et ses poignets liés sont croisés juste au-dessus de sa tête. Son visage est légèrement tourné vers le ciel et ses yeux grands ouverts contemplent avec une profonde sérénité la gloire céleste. Ce n'est pas la souffrance qui erre sur sa poitrine tendue, son ventre rigide, ses hanches légèrement torses, mais une lueur d'un mélancolique plaisir, pareil à la musique. N'étaient les flèches aux traits profondément enfoncés dans son aisselle gauche et son côté droit, il ressemblait plutôt à un athlète romain se reposant, appuyé contre un arbre sombre dans un jardin.

Auteur: Mishima Yukio

Info: Confessions d'un masque, p. 43. A propos du Saint Sébastien de Guido Reni, peint v. 1615. Mishima aurait eu son premier émoi sexuel à la vue de cette oeuvre.

[ maniérisme ]

 
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femme-par-homme

Je regarde ce soir une photo

De Monica Vitti dans Le désert rouge

Et c’est toi

Dans le temps

Et je ne peux rien

Contre le temps

Contre toi

Contre Monica Vitti

Contre le désert rouge

Contre

Le mélange d’inquiétude et de sensualité

La posture frileuse rêveuse

Egarée presque

Contre

La bouche entrouverte

Les cheveux blonds un peu en désordre

Les bras croisés

Contre

Le pull en cachemire

A même la peau

Et surtout contre

Ce détail qui m’attendrit entre tous

Qui me rappelle Trouville en 1984

Les manches étirées jusqu’à la paume

Car il fait encore frisquet

Dans la maison que l’on vient de rouvrir

Contre

L’odeur de sel et d’encaustique

Contre la mer tout près

Contre le transat replié dans l’entrée

Tout à l’heure tu iras mieux

Tu te se seras réchauffée

On ira à la plage

Tu liras L’été finit sous les tilleuls de Kléber Haedens

Le vent achèvera de te décoiffer

On dînera aux Vapeurs sans doute

Et je ne peux rien contre

Rien vraiment rien

Contre Monica Vitti dans le désert rouge.


Auteur: Leroy Jérôme

Info: Sauf dans les chansons. La Table ronde, 2015. Le désert rouge

[ éloge ] [ cinéma ] [ actrice italienne ] [ poème ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

définition

Que signifie vraiment "disruption" ou "disruptif" et pourquoi tout le monde en parle maintenant ?

Vous avez raison: on retrouve les mots "disruption" et ses dérivés un peu partout aujourd'hui. Ainsi on entend parler de "président disruptif", de startup qui "a pour ambition de disrupter le secteur de la douche" ou d'autres qui veulent "disrupter le chômage". En mai 2017, France Télévision expliquait au Monde que les invités mystères de l'Emission Politique, comme Christine Angot, étaient "parfois disruptifs".

Selon une défitinition présente dans le Dictionnaire de la langue française (1874) d'Emile Littré, le mot disruption signifie "rupture" ou "fracture". Pourtant on ne comprend pas trop ce que signifie "fracasser le secteur de la douche".

Si "disruption" s'est échappé du cercle restreint des cruciverbistes (les amateurs de mots croisés) pour se retrouver de manière très présente dans le vocable d'aujourd'hui, c'est surtout dû à son emploi dans le milieu de l'économie avec l'apparition de jeunes entreprises (les fameuses startups), qui ont su utiliser les outils numériques pour transformer certains marchés.

On pense notamment à Uber, Airbnb ou Netflix qui ont cassé des systèmes, qui paraissaient établis, des taxis, de l'hôtellerie ou de la location de films ou de séries, en proposant des services innovants (devenir soi-même chauffeur de sa propre voiture, louer son ou ses appartements et permettre pour un prix réduire d'accéder à des catalogues entiers de contenus culturels). Depuis tout entrepeneur qui a de l'ambition et espère connaître un succès aussi important que les entreprises citées, souhaite trouver l'idée disruptive qui lui permettra de transformer un marché pour faire table rase du passé.

En janvier 2016, la rédactrice en chef du service économie de L'Obs, Dominique Nora, avait consacré un article au "concept de "Disruption" expliqué par son créateur". Elle y faisait la recension du livre "New : 15 approches disruptives de l'innovation", signé par Jean-Marie Dru. Dans cette fiche de lecture, on apprend notamment que:

" DISRUPTION est une marque appartenant à TBWA [une important agence de publicité américaine; NDLR] depuis 1992, enregistrée dans 36 pays dont l'Union Européenne, les Etats-Unis, la Russie, l'Inde et le Japon."

Mais aussi qu'il n'a pas toujours eu un aura lié à l'entreprise:

Même en anglais, au début des années 90, le mot 'disruption' n'était jamais employé dans le business. L'adjectif caractérisait les traumatismes liés à une catastrophe naturelle, tremblement de terre ou tsunami…

Selon Jean-Marie Dru, père du concept, le terme sert d'abord à qualifier la "méthodologie créative" proposée aux clients de son agence.  Puis le professeur de Harvard, Clayton Christensen, va populariser l'expression à la fin des années 90 en parlant "d'innovation disruptive". Les deux hommes ont l'air de se chamailler sur la qualité de "qui peut être disruptif?". Dru estime que "pour Christensen, ne sont disruptifs que les nouveaux entrants qui abordent le marché par le bas, et se servent des nouvelles technologies pour proposer des produits ou services moins cher " alors que lui considère que la disruption n'est pas réservée uniquement aux startups puisque de grands groupes comme Apple ou Red Bull sont capables de "succès disruptifs".

Finalement au mileu de tous ces "disruptifs", L'Obs apporte cette définition de la disruption:

"Une méthodologie dynamique tournée vers la création". C'est l'idée qui permet de remettre en question les "Conventions" généralement pratiquées sur un marché, pour accoucher d'une "Vision", créatrice de produits et de services radicalement innovants.

Force est de constater que le marketing et les médias ont employé ces mots à tire-larigot et qu'ils peuvent être désormais utilisés dans n'importe quel contexte au lieu de "changer" ou "transformer", voire même de "schtroumpfer". Ne vous étonnez pas si votre conjoint se vante d'avoir "disrupter" la pelouse en la faisant passer d'abondante à tondue, ou d'avoir "disrupté" le fait de se laver en utilisant le shampoing au lieu du gel douche... 

Auteur: Pezet Jacques

Info: Libération, 13 octobre 2017

[ mode sémantique ] [ dépaysement libérateur ] [ accélérationnisme ] [ contre-pied ] [ contraste ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste

gilets jaunes

Cher Monsieur Macron,

Vous comprendrez que si c’est pour venir faire tapisserie le petit doigt en l’air au milieu des pitres façon BHL, Enthoven, ou des intellectuels de cour comme Patrick Boucheron, je préférerais avoir piscine ou même dîner avec François Hollande. Au moins votre invitation ajoute-t-elle un élément supplémentaire pour documenter votre conception du débat. Savez-vous qu’à part les éditorialistes qui vous servent de laquais et répètent en boucle que la-démocratie-c’est-le-débat, votre grand débat à vous, personne n’y croit ? Vous-même n’y croyez pas davantage. Dans une confidence récente à des journalistes, qui aurait gagné à recevoir plus de publicité, vous avez dit ceci : "Je ressoude, et dès que c’est consolidé je réattaque". C’est très frais. Vous ressoudez et vous réattaquez. C’est parfait, nous savons à quoi nous en tenir, nous aussi viendrons avec le chalumeau.

En réalité, sur la manière dont vous utilisez le langage pour "débattre" comme vous dites, nous sommes assez au clair depuis longtemps. C’est une manière particulière, dont on se souviendra, parce qu’elle aura fait entrer dans la réalité ce qu’un roman d’Orwell bien connu avait anticipé il y a 70 ans très exactement – au moins, après la grande réussite de votre itinérance mémorielle, on ne pourra pas dire que vous n’avez pas le sens des dates anniversaires. C’est une manière particulière d’user du langage en effet parce qu’elle n’est plus de l’ordre du simple mensonge.

Bien sûr, dans vos institutions, on continue de mentir, grossièrement, éhontément. Vos procureurs mentent, votre police ment, vos experts médicaux de service mentent – ce que vous avez tenté de faire à la mémoire d’Adama Traoré par experts interposés, par exemple, c’est immonde. Mais, serais-je presque tenté de dire, c’est du mensonge tristement ordinaire.

Vous et vos sbires ministériels venus de la start-up nation, c’est autre chose : vous détruisez le langage. Quand Mme Buzyn dit qu’elle supprime des lits pour améliorer la qualité des soins ; quand Mme Pénicaud dit que le démantèlement du code du travail étend les garanties des salariés ; quand Mme Vidal explique l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers par un souci d’équité financière ; quand vous-même présentez la loi sur la fake news comme un progrès de la liberté de la presse, la loi anti-casseur comme une protection du droit de manifester, ou quand vous nous expliquez que la suppression de l’ISF s’inscrit dans une politique de justice sociale, vous voyez bien qu’on est dans autre chose – autre chose que le simple mensonge. On est dans la destruction du langage et du sens même des mots.

Si des gens vous disent "Je ne peux faire qu’un repas tous les deux jours" et que vous leur répondez "Je suis content que vous ayez bien mangé", d’abord la discussion va vite devenir difficile, ensuite, forcément, parmi les affamés, il y en a qui vont se mettre en colère. De tous les arguments qui justifient amplement la rage qui s’est emparée du pays, il y a donc celui-ci qui, je crois, pèse également, à côté des 30 ans de violences sociales et des 3 mois de violences policières à vous faire payer : il y a que, face à des gens comme vous, qui détruisent à ce point le sens des mots – donc, pensez-y, la possibilité même de discuter –, la seule solution restante, j’en suis bien désolé, c’est de vous chasser.

Il y a peu encore, vous avez déclaré : "Répression, violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit". Mais M. Macron, vous êtes irréparable. Comment dire : dans un Etat de droit, ce ne sont pas ces mots, ce sont ces choses qui sont inacceptables. À une morte, 22 éborgnés et 5 mains arrachées, vous vous repoudrez la perruque et vous nous dites : "Je n’aime pas le terme répression, parce qu’il ne correspond pas à la réalité". La question – mais quasi-psychiatrique – qui s’en suit, c’est de savoir dans quelle réalité au juste vous demeurez.

Des éléments de réponse nous sont donnés par un article publié il y a de ça quelques jours par le Gorafi sous le titre : "Le comité de médecine du ministère de l’intérieur confirme que le LBD est bon pour la santé". On peut y lire ceci : "Christophe Castaner s’est réjoui des résultats des tests du comité de médecins et a aussitôt signé une ordonnance qualifiant de rébellion et outrage à agent toute personne qui mettrait en cause la fiabilité de cette étude". M. Macron, voyez-vous la minceur de l’écart qui vous tient encore séparé du Gorafi ? Vous êtes la gorafisation du monde en personne. Sauf que, normalement, le Gorafi, c’est pour rire. En réalité, personne ne veut vivre dans un monde gorafisé. Si donc le macronisme est un gorafisme mais pour de vrai, vous comprendrez qu’il va nous falloir ajuster nos moyens en conséquence. Et s’il est impossible de vous ramener à la raison, il faudra bien vous ramener à la maison.

Tous les glapissements éditorialistes du pays sur votre légitimité électorale ne pourront rien contre cette exigence élémentaire, et somme toute logique. En vérité, légitime, vous ne l’avez jamais été. Votre score électoral réel, c’est 10%. 10% c’est votre score de premier tour corrigé du taux d’abstention et surtout du vote utile puisque nous savons que près de la moitié de vos électeurs de premier tour ont voté non par adhésion à vos idées mais parce qu’on les avait suffisamment apeurés pour qu’ils choisissent l’option "ceinture et bretelles".

Mais quand bien même on vous accorderait cette fable de la légitimité électorale, il n’en reste plus rien au moment où vous avez fait du peuple un ennemi de l’État, peut-être même un ennemi personnel, en tout cas au moment où vous lui faites la guerre – avec des armes de guerre, et des blessures de guerre. Mesurez-vous à quel point vous êtes en train de vous couvrir de honte internationale ? Le Guardian, le New-York Times, et jusqu’au Financial Times, le Conseil de l’Europe, Amnesty International, l’ONU, tous sont effarés de votre violence. Même Erdogan et Salvini ont pu s’offrir ce plaisir de gourmets de vous faire la leçon en matière de démocratie et de modération, c’est dire jusqu’où vous êtes tombé.

Mais de l’international, il n’arrive pas que des motifs de honte pour vous : également des motifs d’espoir pour nous. Les Algériens sont en train de nous montrer comment on se débarrasse d’un pouvoir illégitime. C’est un très beau spectacle, aussi admirable que celui des Gilets Jaunes. Une pancarte, dont je ne sais si elle est algérienne ou française et ça n’a aucune importance, écrit ceci : "Macron soutient Boutef ; les Algériens soutiennent les Gilets Jaunes ; solidarité internationale". Et c’est exactement ça : solidarité internationale ; Boutef bientôt dégagé, Macron à dégager bientôt.

Dans le film de Perret et Ruffin, un monsieur qui a normalement plus l’âge des mots croisés que celui de l’émeute – mais on a l’âge de sa vitalité bien davantage que celui de son état civil –, un monsieur à casquette, donc, suggère qu’on monte des plaques de fer de 2 mètres par 3 sur des tracteurs ou des bulls, et que ce soit nous qui poussions les flics plutôt que l’inverse. C’est une idée. Un autre dit qu’il s’est mis à lire la Constitution à 46 ans alors qu’il n’avait jamais tenu un livre de sa vie. M. Macron je vous vois d’ici vous précipiter pour nous dire que voilà c’est ça qu’il faut faire, lisez la Constitution et oubliez bien vite ces sottes histoires de plaques de fer. Savez-vous qu’en réalité ce sont deux activités très complémentaires. Pour être tout à fait juste, il faudrait même dire que l’une ne va pas sans l’autre : pas de Constitution avant d’avoir passé le bull.

C’est ce que les Gilets Jaunes ont très bien compris, et c’est pourquoi ils sont en position de faire l’histoire. D’une certaine manière M. Macron, vous ne cessez de les y inviter. En embastillant un jeune homme qui joue du tambour, en laissant votre police écraser à coups de botte les lunettes d’un interpellé, ou violenter des Gilets Jaunes en fauteuil roulant – en fauteuil roulant ! –, vous fabriquez des images pour l’histoire, et vous appelez vous-même le grand vent de l’histoire.

Vous et vos semblables, qui vous en croyez la pointe avancée, il se pourrait que vous finissiez balayés par elle. C’est ainsi en effet que finissent les démolisseurs en général. Or c’est ce que vous êtes : des démolisseurs. Vous détruisez le travail, vous détruisez les territoires, vous détruisez les vies, et vous détruisez la planète. Si vous, vous n’avez plus aucune légitimité, le peuple, lui, a entièrement celle de résister à sa propre démolition – craignez même que dans l’élan de sa fureur il ne lui vienne le désir de démolir ses démolisseurs.

Comme en arriver là n’est souhaitable pour personne, il reste une solution simple, logique, et qui préserve l’intégrité de tous : M. Macron, il faut partir. M. Macron, rendez les clés.

Auteur: Lordon Fredéric

Info: sa réponse à l'invitation faite par Macron, à une centaine d'intellectuels français dans le cadre du "grand débat public " le 18 mars 2019

[ gaulois rétif ] [ révolution ] [ vacheries ]

 

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laisser-aller

Une polémique contre notre culture de surmenage et un manifeste d'être plutôt que de faire... Apprenons des paresseux.

En 1765, Jean-Jacques Rousseau passa deux mois sur une île suisse à se consacrer à "mon précieux farniente" (ne rien faire). Il traînait, ramassait des plantes, dérivait dans un bateau, s'asseyait pendant des heures pour une "Délicieuse rêverie.. Plaisamment conscient de mon existence sans me soucier de ma pensée" : une oisiveté qu'il qualifia plus tard de "bonheur le plus complet et parfait" de sa vie.

Rousseau est l'un des héros de Not Working, avec Thoreau, Emily Dickinson et un lapin nommé Rr dont Josh Cohen s'est brièvement occupé. Le livre s'ouvre sur Rr qui se balade autour de son clapier, sa sérénité insensée déclenchant chez Cohen une reconnaissance empathique de son propre "vide secret et clos", ses fréquents accès de "rêverie lapine". Comme Rousseau sur son île, Rr ne fait pas, il est, tout simplement. Sa passivité interpelle Cohen qui, à différents moments de son livre, se décrit lui-même comme un slob, un fainéant, un feignant. Enfant, on le réprimandait régulièrement pour sa paresse ; à l'âge adulte, chaque jour lui apporte son moment de farniente : "Ça arrive souvent la nuit, quand je suis affalé sur le canapé... mon livre repose face contre terre, mes chaussures enlevées ; à côté de moi se trouvent deux télécommandes, un bol de cacahuètes et une bouteille de bière à moitié vide...

Sortir de cette léthargie... Ressemble à un trouble physique, métaphysique même, une violation de la justice cosmique..." "Pourquoi devrais-je ?" La protestation enfantine est désarmante ; on s'imagine lapin intérieur de Cohen attaché à un tapis roulant ou, pire encore, transformé en lapin très différent : le lapin Duracell, dont le "mouvement d'horloge" et le "sourire aux yeux morts" en font le symbole parfait de l'acharnement de la vie moderne, sa "nerveuse et constante contrainte à agir" que Cohen n'aime pas et à laquelle il résiste.

Not Working est une polémique contre notre culture du surmenage et une méditation sur ses alternatives. "Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ?" Cohen est psychanalyste. Chaque jour son cabinet de consultation résonne d'histoires d'activité ininterrompue, d'épuisement, de dépression, de "fantasmes d'une cessation complète de l'activité". Certains de ces conteurs apparaissent dans le livre, soigneusement déguisés, en compagnie d'une foule d'autres anti-travailleurs, réels et fictifs, dont le philosophe grec Pyrrho, Homer Simpson et Cohen lui-même à différents moments de sa vie. La distribution est majoritairement masculine, regroupée en quatre "types inertiels" : le burnout, le slob (fuyard), le rêveur, le fainéant. Certains s'enfoncent dans l'inertie, d'autres, comme Cohen, y sombrent.

Il s'avère que tous sont prennent des risques, car "en résistant au travail... chacun de ces types est susceptible de tomber dans une ou plusieurs impasses" : lassitude débilitante, dépression, solitude, ennui. Le farniente, en d'autres termes, a son prix, qui peut être très élevé pour certaines personnes, y compris trois hommes dont Cohen souligne les histoires - Andy Warhol, Orson Welles et David Foster Wallace.

Warhol aspirait à ce que les stoïciens appelaient l'apathie (l'absence de passion), une nostalgie qui se traduisait par un engourdissement mécanique, un état de "ne rien être et ne rien ressentir", avec laquelle alternaient de féroces et mécaniques activités, suivies d'un effondrement inertiel : un lapin Duracell avec des batteries à plat. Welles combinait des efforts herculéens avec de longues retraites dans son lit, qui devinrent de plus en plus fréquentes à mesure que son corps et son esprit cédaient sous son style de vie de fou. L'éblouissante carrière littéraire de Foster Wallace fut ponctuée de périodes où il s'effondrait devant la télévision aux prises avec une dépression aiguë : torpeur mortelle qui prit fin par son suicide.

Cohen qualifie ces hommes différemment (Warhol le burnout, Welles le reveur, Foster Wallace le fainéant) mais ce qui frappe chez les trois, c'est comment cette fuite de l'hyperactivité vers l'inertie autodestructrice implique un mouvement vers une solitude radicale, farniente de cancéreux en isolement. La solitude fut longtemps associée à l'énervement dépressif. On disait des solitaires spirituels médiévaux qu'ils souffraient d'acédie, une paresse mélancolique de l'esprit et du corps. "Ne soyez pas solitaire, ne restez pas inactif ", conseille Robert Burton, un érudit du XVIIe siècle, dans The Anatomy of Melancholy (1621), un ouvrage extrêmement influent. La psychiatrie moderne considère la réclusivité comme pathologique et de nombreux collègues psychanalystes de Cohen sont du même avis. Il s'en défend, se tournant plutôt vers la tradition alternative de la Renaissance, qui valorise la solitude comme lieu de création.

L'analyste d'après-guerre Donald Winnicott fut un éloquent porte-parole de cette tradition. Pour Winnicott, - la créativité dépendait du maintien du contact avec le "point mort et silencieux" au cœur de la psyché - Cohen prend pour exemple la célèbre recluse Emily Dickinson, qui se retira de la société pour les "infinies limites de sa propre chambre et de son cerveau" et qui produisit une poésie à l'éclatante originalité". Renonçant à l'amour sexuel et au mariage pour l'"intimité polaire" de sa vie intérieure, "elle ne faisait rien" aux yeux du monde, alors que dans son propre esprit, elle "faisait tout", voyageant sans peur jusqu'aux extrêmes de l'expérience possible.

Dans une brillante série de textes, Cohen montre comment ce voyage intrépide a produit une poésie qui se déplace entre des images bouleversantes d'acédie et des évocations extatiques du désir non consommé, la "gloire privée et invisible" de Dickinson. Le rêve et les produits du rêve l'emportent sur l'actualité contraignante. "Pour Dickinson, rêvasser n'était pas une retraite dans l'inactivité, mais le socle de la plus haute vocation." La manière dont Cohen traite Dickinson est révélatrice. Les lâches et autres fainéants qui peuplent Not Working sont des hommes selon son cœur, mais c'est l'artiste qui est son ideal, qui dédaigne la vie du monde réel ("prose" était l'étiquette méprisante de Dickinson pour cela) au bénéfice de la vie de l'imagination.

Une artiste "ne fait rien", ne produit rien "d'utile", elle incarne en cela la "dimension sabbatique de l'être humain", la partie la plus riche de nous-mêmes. Mais est-ce que cela fait de l'artiste un "type de poids mort" ? Dans ses Confessions, Rousseau écrit "L'oisiveté que j'aime n'est pas celle du fainéant qui reste les bras croisés dans une totale inactivité", mais "celle de l'enfant sans cesse en mouvement". Le jeu n'est pas non plus un travail, mais il est tout sauf inerte. Pour Winnicott, le jeu était expérience la créative primordiale, la source de toute créativité adulte. Cohen est passionné par Winnicott, il est donc intéressant qu'il n'en parle pas, contrairement à Tracey Emin qui, lors d'une interview en 2010, décrivit les jeux d'enfants comme la source de son art.

Dans une discussion éclairante de sur My Bed d'Emin, Cohen fait l'éloge de l'œuvre pour sa représentation puissante de "l'inertie et de la lassitude". Mais contrairement à l'inertie des hommes dont il parle, Emin elle-même semble aller de force en force. Jouer est-il le secret ? Emin et Dickinson sont parmi les rares femmes qui apparaissent dans Not Working. Nous apprenons quand à leur représentation artistique de l'inertie féminine, mais sans rencontrer de femme paresseuse ou feignante. Alors que font-elle pendant que les hommes paressent ?

En regardant de plus près les paresseux préférés de Cohen - Rousseau, Thoreau, Homer Simpson - nous avons un indice. Les jours de farniente de Rousseau sont ponctués par les repas préparés par sa femme. La lessive de Thoreau était faite par sa mère. Marge Simpson fait le ménage pendant qu'Homer boit de la bière devant la télé. Quel genre de révolution faudrait-il pour mettre Marge devant la télé pendant que Homer nettoie la cuisine ? La lutte contre le surmenage existe depuis des siècles (rejointe plus récemment par des protestations féministes contre le "double travail"). Il en va de même pour les luttes pour un travail décent, décemment rémunéré, luttes que Cohen et moi aimons tous deux.

Pourtant, aujourd'hui, dans la vie réelle, les Marges se précipitent toujours de leur maison vers leur emploi au salaire minimum chez Asda. Les Homer enquillent des 12 heures de travail à la suite pour Uber. Et s'ils s'épuisent, comme beaucoup ils se retrouvent souvent dans les banques alimentaires. Que faire à ce sujet ? "Idiorythmie" était le terme de Roland Barthes pour vivre selon ses propres rythmes intérieurs, sans contrainte. Cohen veut qu'on imagine ce que serait une telle vie. Il est sceptique quand aux propositions "pour changer ça", qui n'y parviennent jamais, soutenant que si "les objectifs de la justice juridique, politique et économique ne s'occupent plus de la question de savoir ce qui fait qu'une vie vaut la peine d'être vécue, ils sont susceptibles de devenir des trucs en plus sur la déjà longue liste des choses à faire sans joie...".

Parallèlement aux droits liés au travail, nous avons besoin d'un droit au non travail, a-t-il affirmé récemment. C'est un argument utopique et pas pire pour autant, même affaibli par un rejet ironique de toute action politique en faveur du relâchement et de la paresse. Cependant Not Working n'est pas un manifeste révolutionnaire. Il s'agit plutôt d'une ré-imagination très personnelle et éloquente de nos vies en tant qu'espace de farniente dans toute son idiosyncrasie sans entraves, et d'un rappel précieux du prix exorbitant d'une existence de lapin Duracell.

Auteur: Taylor Bradford Barbara

Info: critique de "Not Working" de Josh Cohen - les bienfaits de l'oisiveté. https://www.theguardian.com. 12 janv. 2019

[ créativité ] [ insouciance ] [ flemme ] [ écrivain-sur-écrivains ] [ femmes-hommes ]

 

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nord-sud

L’Âge de la colère Parfois, après une longue attente, apparaît un livre qui écorche l’esprit du temps, brillant comme un diamant fou. Age of Anger, de Pankaj Mishra, auteur aussi du livre fondateur From the Ruins of Empire, pourrait bien en être le dernier avatar.

Pensez à ce livre comme à une ultime arme – conceptuelle – mortelle, fichée dans les cœurs et les esprits d’une population dévastée d’adolescents cosmopolites déracinés 1 qui s’efforcent de trouver leur véritable vocation, au fur et à mesure que nous traversons péniblement la plus longue période – le Pentagone dirait infinie – de guerres mondiales ; une guerre civile mondiale – que dans mon livre 2007 Globalistan j’ai appelée " Liquid War " : Guerre nomade.

L’auteur, Mishra, est un pur produit, subtil, de East-meets-West 2. Il soutient, pour l’essentiel, qu’il est impossible de comprendre le présent si nous ne reconnaissons pas la prégnance souterraine de la nostalgie du mal du pays, qui contredit l’idéal du libéralisme cosmopolite, incarné dans une " société commerciale universelle d’individus rationnels, conscients de leurs intérêts personnels ", conceptualisée par les Lumières via Montesquieu, Adam Smith, Voltaire et Kant.

Le vainqueur de l’histoire est finalement le récit aseptisé des Lumières bienveillantes. La tradition du rationalisme, de l’humanisme, de l’universalisme et de la démocratie libérale était censée avoir toujours été la norme. Il était " manifestement trop déconcertant ", écrit Mishra, " de reconnaître que la politique totalitaire cristallisait des courants idéologiques – racisme scientifique, rationalisme chauvin, impérialisme, technicisme, politique esthétisée, utopie, ingénierie sociale " qui bouleversaient déjà l’Europe à la fin du XIXe siècle. Ainsi, évoquant " le regard furtif en arrière, au-dessus de l’épaule, vers la terreur primitive ", de T.S. Eliot –, qui a finalement conduit l’Ouest à se dresser contre Le Reste du Monde –, nous devons regarder les précurseurs. Fracasser le Palais de Cristal

Entre en scène Eugène Onéguine de Pouchkine, " le premier d’une grande lignée d’hommes inutiles dans la fiction russe ", avec son chapeau de Bolivar, tenant une statue de Napoléon et un portrait de Byron, allégorie de la Russie essayant de rattraper l’Occident, " une jeunesse spirituellement déchaînée avec une conception quasi-byronienne de la liberté, encore pleine du romantisme allemand ". Les meilleurs critiques des Lumières devaient être Allemands et Russes, derniers venus à la modernité politico-économique. Deux ans avant de publier ses étonnants Carnets du sous-sol, Dostoïevski, dans sa tournée en Europe occidentale, voyait déjà une société dominée par la guerre de tous contre tous, où la plupart étaient condamnés à être perdants.

À Londres, en 1862, à l’Exposition internationale au Palais de Cristal, Dostoïevski eut une illumination : " Vous prenez conscience d’une idée colossale […] qu’il y a ici la victoire et le triomphe. Vous commencez même vaguement à avoir peur de quelque chose. " Tout stupéfié qu’il était, Dostoïevski, plutôt astucieux, a pu observer comment la civilisation matérialiste était tout autant renforcée par son glamour que par sa domination militaire et maritime.

La littérature russe a finalement cristallisé le crime de hasard comme le paradigme de l’individualité savourant son identité et affirmant sa volonté – thème repris plus tard, au milieu du XXe siècle, par l’icône de la Beat Generation William Burroughs, qui prétendait que tirer au hasard était son frisson ultime.

Le chemin avait été tracé pour que le festin des mendiants commence à bombarder le Palais de Cristal – même si, comme Mishra nous le rappelle : " Les intellectuels du Caire, de Calcutta, de Tokyo et de Shanghai lisaient Jeremy Bentham, Adam Smith, Thomas Paine, Herbert Spencer et John Stuart Mill " pour comprendre le secret de la bourgeoisie capitaliste en perpétuelle expansion.

Et ceci après que Rousseau, en 1749, a posé la pierre angulaire de la révolte moderne contre la modernité, aujourd’hui éparpillée dans un désert où les échos se répondent, le Palais de Cristal est de facto implanté dans des ghettos luisants partout dans le monde.

Le Bwana des Lumières : lui mort, Missié

Mishra crédite l’idée de son livre à Nietzsche, en commentant la querelle épique entre l’envieux plébéien Rousseau et Voltaire, l’élitiste serein – qui a salué la Bourse de Londres, quand elle est devenue pleinement opérationnelle, comme l’incarnation laïque de l’harmonie sociale.

Mais ce fut Nietzsche qui finit par devenir l’acteur central, en tant que féroce détracteur du capitalisme libéral et du socialisme, faisant de la promesse séduisante de Zarathoustra un Saint Graal attractif pour les bolcheviks – Lénine le haïssait –, le gauchiste Lu Xun en Chine , les fascistes, anarchistes, féministes et hordes d’esthètes mécontents.

Mishra nous rappelle également comment " les anti-impérialistes asiatiques et les barons voleurs américains empruntent avec empressement " à Herbert Spencer, " le premier penseur véritablement mondial " qui a inventé le mantra de " la survie du plus apte " après avoir lu Darwin.

Nietzsche était le cartographe ultime du ressentiment. Max Weber a prophétiquement décrit le monde moderne comme une " cage de fer " dont seul un leader charismatique peut permettre l’évasion. De son côté, l’icône anarchiste Mikhaïl Bakounine avait déjà, en 1869, conceptualisé le révolutionnaire coupant " tout lien avec l’ordre social et avec tout le monde civilisé […] Il est son ennemi impitoyable et continue de l’habiter avec un seul but : Détruire ".

S’échappant du " cauchemar de l’histoire " du suprême moderniste James Joyce – en réalité la cage de fer de la modernité – une sécession, viscéralement militante, hors " d’une civilisation fondée sur un progrès éternel sous l’administration des libéraux-démocrates " est en train de faire rage, hors de contrôle, bien au-delà de l’Europe.

Des idéologies, qui pourraient être radicalement opposées, ont néanmoins grandi en symbiose avec le tourbillon culturel de la fin du XIXe siècle, depuis le fondamentalisme islamique, le sionisme et le nationalisme hindou jusqu’au bolchevisme, au nazisme, au fascisme et à l’impérialisme réaménagé.

Dans les années trente, le brillant et tragique Walter Benjamin, avait non seulement prophétisé la Seconde Guerre mondiale mais aussi la fin de la partie, alors qu’il était déjà en train d’alerter sur la propre aliénation de l’humanité, enfin capable " d’expérimenter sa propre destruction comme un plaisir esthétique du premier ordre ". La version pop actuelle en live-streaming, style bricolage, comme ISIS, essaie de se présenter comme la négation ultime des piétés de la modernité néolibérale.

L’ère du ressentiment

Tissant les fils savoureux de la politique et de la littérature par pollinisation croisée, Mishra prend son temps pour poser la scène du Grand Débat entre ces masses mondiales en développement, dont les vies sont forgées par " l’histoire largement reconnue de la violence " de l’Occident atlantiste, et des élites modernes nomades (Bauman) tirant profit du rendement de la partie – sélective – du monde qui a fait les percées cruciales depuis les Lumières dans la science, la philosophie, l’art et la littérature.

Cela va bien au-delà d’un simple débat entre l’Orient et l’Occident. Nous ne pouvons pas comprendre la guerre civile mondiale actuelle, ce " mélange intense d’envie, de sentiment d’humiliation et d’impuissance post-moderniste et post-vérité ", si nous n’essayons pas de " démanteler l’architecture conceptuelle et intellectuelle des gagnants de l’histoire en Occident ", issue du triomphalisme des exploits de l’histoire anglo-américaine. Même au summum de la Guerre froide, le théologien américain Reinhold Niebuhr se moquait des " ternes fanatiques de la civilisation occidentale " dans leur foi aveugle selon laquelle toute société est destinée à évoluer exactement comme une poignée de nations occidentales – parfois – l’ont fait.

Et cela – ironie ! – tandis que le culte internationaliste libéral du progrès imitait le rêve marxiste de la révolution internationaliste.

Dans sa préface de 1950 aux Origines du totalitarisme – un méga best-seller ressuscité –, Hannah Arendt nous a essentiellement dit d’oublier la restauration éventuelle du Vieil ordre mondial. Nous avons été condamnés à voir l’histoire se répéter, " l’itinérance à une échelle sans précédent, l’absence de racines à une profondeur sans précédent ".

Pendant ce temps, comme Carl Schorske l’a noté dans son spectaculaire Fin-de-Siècle à Vienne : Politique et Culture, l’érudition américaine a " coupé le lien de conscience " entre le passé et le présent, carrément aseptisé l’Histoire, des siècles de guerre civile, de ravage impérial, de génocide et d’esclavage en Europe et en Amérique ont ainsi tout simplement disparu. Seul le récit TINA (il n’y a pas d’alternative) a été autorisé, voici comment les atlantistes, avec le privilège de la raison et l’autonomie de la personne, ont fait le monde moderne.

Entre maintenant en scène Jalal Al-e-Ahmad, né en 1928 dans le sud pauvre de Téhéran, et l’auteur de Westoxification (1962), un texte majeur de référence sur l’idéologie islamiste, où il écrit que " l’Érostrate de Sartre tire au revolver, avec les yeux bandés, sur les gens dans la rue ; le protagoniste de Nabokov précipite sa voiture dans la foule ; et l’Étranger, Meursault, tue quelqu’un en réaction à un mauvais coup de soleil ". Vous pouvez parler d’un croisement mortel – l’existentialisme rencontre les bidonvilles de Téhéran pour souligner ce que Hanna Arendt a appelé la " solidarité négative ".

Arrive ensuite Abu Musab al-Suri, né en 1958 – un an après Osama ben Laden – dans une famille de la classe moyenne dévote, à Alep. C’est Al-Suri, et non l’Égyptien Al-Zawahiri, qui a conçu une stratégie de djihad mondial sans leader dans The Global Islamic Resistance Call, basée sur des cellules isolées et des opérations individuelles. Al-Suri était le " choc des civilisations " de Samuel Huntington appliqué à al-Qaïda. Mishra le définit comme le " Michel Bakounine du monde musulman ".

Cette " syphilis des passions révolutionnaires

Répondant à cette ridicule affaire néo-hégélienne de " fin de l’histoire ", après la Guerre froide, Allan Bloom a averti que le fascisme pourrait être l’avenir ; et John Gray a télégraphié le retour des " forces primordiales, nationalistes et religieuses, fondamentalistes et bientôt, peut-être, malthusiennes ".

Et cela nous amène à expliquer pourquoi les porteurs exceptionnels de l’humanisme et du rationalisme des Lumières ne peuvent expliquer l’agitation géopolitique actuelle – de ISIS au Brexit et à Trump. Ils ne peuvent jamais arriver à penser quelque chose de plus sophistiqué que l’opposition binaire de libre et non libre ; les mêmes clichés occidentaux du XIXe siècle sur le non-Occident ; et la diabolisation incessante de cet éternel Autre arriéré : l’islam. De là la nouvelle " longue guerre " (terminologie du Pentagone) contre l’islamofascisme. Ils ne pourraient jamais comprendre, comme le souligne Mishra, les implications de cette rencontre d’esprits dans une prison de Supermax au Colorado entre l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City, l’Américain pur jus Timothy McVeigh et le cerveau de la première attaque contre le World Trade Center, Ramzi Yousef (musulman normal, père pakistanais, mère palestinienne).

Ils ne peuvent pas comprendre comment les concepteurs d’ISIS arrivent à enrégimenter, en ligne, un adolescent insulté et blessé d’une banlieue parisienne ou d’un bidonville africain et le convertir en narcissique – baudelairien ? – dandy fidèle à une cause émergente, pour laquelle il vaut la peine de se battre. Le parallèle entre le bricolage djihadiste et le terrorisme russe du XIXe siècle – incarnant la " syphilis des passions révolutionnaires ", comme l’a décrit Alexander Herzen – est étrange.

Le principal ennemi du djihad de bricolage n’est pas même chrétien; c’est le shi’ite apostat. Les viols massifs, les meurtres chorégraphiés, la destruction de Palmyre, Dostoïevski avait déjà tout identifié. Comme le dit Mishra, " il est impossible pour les Raskolnikov modernes de se dénier quoi que ce soit, mais il leur est possible de justifier tout ".

Il est impossible de résumer tous les feux croisés rhizomatiques – salut à Deleuze et Guattari – déployés à l’Âge de la colère. Ce qui est clair, c’est que pour comprendre la guerre civile mondiale actuelle, la réinterprétation archéologique du récit hégémonique de l’Occident des 250 dernières années est essentielle. Sinon, nous serons condamnés, comme des gnomes de Sisyphe, à supporter non seulement le cauchemar récurrent de l’Histoire, mais aussi son coup de fouet perpétuel.

Auteur: Escobar Pepe

Info: Février 2017, CounterPunch. Beaucoup d'idées sont tirées de son ouvrage : Globalistan, How the Globalized World is Dissolving into Liquid War, Nimble Books, 2007

[ vingt-et-unième siècle ]

 

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