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écrivain-sur-écrivain

Balzac ne refléchit pas longtemps. Chaque fois qu'on lui parle d'une affaire, c'est son imagination débridée et non sa raison calculatrice qui mène l'argumentation, et spéculer fut pour lui, sa vie durant, une jouissance, tout comme écrire et créer. Jamais Balzac n'a dédaigné, par vanité littéraire, de faire du commerce. Il était disposé à trafiquer de tout : livres et tableaux, actions de chemin de fer, terrains, bois et métaux. Son unique ambition était de dépenser ses forces et de percer, peu importe dans quel domaine et par quels moyens. Le jeune Balzac n'a qu'une volonté, la volonté d'arriver, la volonté de puissance... Et avec la même rapidité qu'il perçoit, dans la première vision artistique, toutes les intrigues et leurs dénouements, son avidité hypertrophiée découvre, dans chaque spéculation, des bénéfices par millions... Le 6 avril 1828... Balzac fait banqueroute, et trois fois banqueroute, comme éditeur, comme imprimeur et comme propriétaire d'une fonderie de caractères... Il doit à 29 ans presque cent mille francs à sa famille et à son amie... Ces cent mille francs de dettes, fruits des trois années de son activité commerciale, seront le rocher de Sisyphe qu'il remontera toute sa vie en déchirant presque ses muscles et qui toujours le précipitera à nouveau dans les abîmes. Cette première et unique faute de sa jeunesse le condamne à rester éternellement endetté; jamais ne se réalisera le rêve de son adolescence, pouvoir travailler librement, être indépendant.


Auteur: Zweig Stefan

Info: Balzac : Le roman de sa vie, pp.91 à 108

[ engrenage ]

 

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biais d'interprétation

Vous êtes sans doute au courant des usages ésotériques de la physique quantique, des thérapies parallèles et autres cures holistiques prétendument fondées sur cette théorie. Ces spéculations débridées se prévalent des lectures réalistes de la physique quantique, surinterprétées de façon extrêmement douteuse, il est vrai. Les cures holistiques prétendent se baser sur la non-séparabilité quantique, de même que la télépathie déclare s’appuyer sur les influences non-locales de type bohmien. Or, l’interprétation réflexive de la théorie quantique sape à la base cette tentative d’usage fantaisiste. Pour comprendre comment cela se fait, considérez le théorème de Bell. Selon ce théorème, il suffit de poser les deux hypothèses de localité et de réalisme pour en inférer les inégalités de Bell, qui sont violées par les prévisions quantiques et par toutes les expériences (nombreuses) qui les corroborent. La plupart des interprètes en ont conclu qu’il fallait mettre en cause la localité, ce qui a pu faire croire à un assez grand nombre de chercheurs excellents qu’il existe enfin une démonstration scientifique que le monde est un grand Tout solidaire. À partir de là, et moyennant toutes sortes d’approximations et de glissements de pensée que les chercheurs sérieux dénoncent, certains auteurs de livres destinés au grand public se sont cru autorisés à proclamer que la physique quantique nous permet de comprendre la télépathie voire la psychokinèse, ou bien qu’à travers elle "La Science" confirme les visions mystiques de l’uni-totalité. Mais le théorème de Bell n’ouvrait-il pas une deuxième possibilité, celle qui consiste à mettre en cause l’hypothèse de réalisme des propriétés microphysiques ? Si l’on opte (comme quelques auteurs ont tenté de le faire) pour cette seconde branche de l’alternative, les deux points d’appui allégués des usages ésotériques de la théorie quantique s’écroulent en même temps : (1) la théorie quantique n’est pas une description des arrière-fonds cachés du monde réel, mais seulement un dispositif cohérent de prévision des phénomènes expérimentaux ou technologiques ; et (2) il n’y a rien en elle qui impose un holisme ontologique. Vous imaginez la déception de ceux qui avaient fondé leur espoir de réenchantement du monde sur la physique quantique !

Auteur: Bitbol Michel

Info: http://www.actu-philosophia.com/Entretien-avec-Michel-Bitbol-autour-de-La-520

[ déviances interprétatives ]

 
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ode urbaine

Comme je recherchais du précis du parfait pour ma cité

Tout à coup surgit comment mais bien sûr ! son nom d’origine !

 

Ah ! vraiment j’ai compris aujourd’hui tout ce qu’il pouvait y avoir dans un nom comme plénitude liquide débridée comme musicalité autonome,

J’ai compris que c’était ce mot ancien qui convenait à ma cité

Parce que c’est un mot nidifiant dans son nid de superbes baies marines,

Qu’il est riche qu’il est tout entouré d’une doublure de voiles de voiliers de vapeurs que c’est une île de seize milles en longueur à socle compact,

Qu’elle a des rues innombrables pleines de monde de hautes structures de fer poutrelles graciles et solides qui montent en légèreté dans les hauteurs claires du ciel,

Que les marées y sont amples vives ah ! comme je les aime au coucher du soleil,

Que les courants marins coulent en tous sens qu’il y a des îlots flanqués de plus grandes îles des hauteurs des villas,

Des mâts à n’en plus finir des vapeurs côtiers tout blancs des barges des ferries des vapeurs tout noirs aux formes agréables,

Et les rues du centre-ville les maisons des affréteurs les maisons de commerce des armateurs des coutiers les rues autour du fleuve,

Ls immigrants qui n’arrêtent pas de débarquer quinze à vingt mille la semaine,

Les chariots de marchandises la masculinité de la race des conducteurs les marines visages hâlés,

Le ciel estival avec le soleil brillant au milieu et les nuages qui passent très haut,

Les neiges hivernales les clochettes des traîneaux la glace qu’on brise dans le fleuve et dont les blocs suivent dans les deux sens le courant de la marée,

Les ouvriers de la cité les maîtres bien bâtis visage ouvert qui vous regardent droit dans les yeux,

La cohue sur les trottoirs, les véhicules dans Broadway, les femmes, les boutiques, les spectacles,

Un million de personnes – quelle liberté magnifique dans les manières – quelles voix dégagées – quelle hospitalité – ce sont les jeunes gens les plus courageux les plus amicaux que je connaisse,

Ah ! cité où l’eau partout étincelle dans l’échange la hâte, cité aux clochers et aux mâts,

Cité douillettement au creux de ses baies ma cité !

Auteur: Whitman Walt

Info: Dans "Feuilles d'herbe", Mannahatta, traduction Jacques Darras, éditions Gallimard, 2002, page 623

[ poème ] [ activité trépidante ] [ diversité ] [ Manhattan ] [ enthousiasme ]

 
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intelligence artificielle

La vérité sur la soupe acronymique de l'IA (ANI, AGI, ASI)

(désambiguïser le jargon et les mythes qui entourent l'IA.)

L'IA est souvent expliquée à l'aide des catégories suivantes : intelligence artificielle étroite (ANI), intelligence artificielle générale (AGI) et superintelligence artificielle (ASI)[1]. Bien que ce cadre conceptuel étrange n'apporte aucune valeur réelle, il se retrouve dans de nombreuses discussions[2]. Si vous n'êtes pas familier avec ces catégories, considérez-vous chanceux et passez à un autre article, plus conséquent. Sinon, je vous invite à poursuivre votre lecture.

Tout d'abord, déplorer les catégorisations - comme je m'apprête à le faire - n'a qu'une valeur limitée car les catégories sont arbitrairement similaires et distinctes, en fonction de la manière dont nous classons les choses. Par exemple, le théorème du vilain petit canard démontre que les cygnes et les canetons sont identiques si l'on souhaite manipuler les propriétés à des fins de comparaison. Toutes les différences n'ont pas de sens si nous n'avons pas de connaissances préalables sur ces différences. Hélas, cet article décortique ces catégories suspectes d'un point de vue commercial.

L'intelligence artificielle étroite (ANI) est souvent confondue avec l'intelligence artificielle faible. John Searle, philosophe et professeur à l'université de Californie, a expliqué dans son article fondateur de 1980, "Minds, Brains, and Programs", que l'intelligence artificielle faible serait toute solution à la fois étroite et ressemblant superficiellement à l'intelligence. Searle explique qu'une telle recherche serait utile pour tester des hypothèses sur des segments d'esprits mais ne serait pas des esprits[3]. L'ANI réduit cela de moitié et permet aux chercheurs de se concentrer sur l'étroitesse et la superficialité et d'ignorer les hypothèses sur les esprits. En d'autres termes, l'ANI purge l'intelligence et les esprits et rend l'intelligence artificielle "possible" sans rien faire. Après tout, tout est étroit, et si l'on louche suffisamment, tout peut ressembler superficiellement à de l'intelligence.

L'intelligence artificielle générale (AGI) est la solution idéalisée que beaucoup imaginent lorsqu'ils pensent à l'IA. Alors que les chercheurs travaillent plus sur l'étroitesse et la superficialité, ils parlent de l'AGI, comme une représentation histoirique, d'une IA unique qui remonte aux années 1950, avec un renouveau au cours de la dernière décennie. L'AGI implique deux choses à propos d'une solution qui ne devraient pas s'appliquer à la résolution de problèmes centrés sur l'entreprise. Primo, un tel programme possède l'aptitude générale à l'intelligence humaine (voire toute l'intelligence humaine). Deuxio l'AGI peut résoudre des problèmes généraux ou remplir une ardoise vierge, ce qui signifie que toute connaissance d'un problème est rhétorique et indépendante d'une stratégie de résolution de ce problème[4]. Au lieu de cela, la connaissance dépend d'une aptitude vague et mal définie liée à la structure multidimensionnelle de l'intelligence naturelle. Si cela semble ostentatoire, c'est parce que c'est le cas.

La superintelligence artificielle (ASI) est un sous-produit de la réalisation de l'objectif de l'AGI. L'idée communément admise est que l'intelligence générale déclenchera une "explosion de l'intelligence" qui entraînera rapidement l'apparition de la superintelligence. On pense que l'ASI est "possible" en raison de l'auto-amélioration récursive, dont les limites ne sont limitées que par l'imagination débridée d'un programme. L'ASI s'accélère pour atteindre et dépasser rapidement l'intelligence collective de l'humanité. Le seul problème pour ASI est qu'il n'y a plus de problèmes. Quand ASI résout un problème, elle en demande un autre avec le dynamisme d'un Newton au berceau. Une accélération de ce type se demandera quelle est la prochaine étape à l'infini, jusqu'à ce que les lois de la physique ou de l'informatique théorique s'imposent.

Nick Bostrom, chercheur à l'Université d'Oxford, affirme que nous aurons atteint l'ASI lorsque les machines sont plus intelligentes que les meilleurs humains dans tous les domaines, y compris la créativité scientifique, la sagesse générale et les compétences sociales[5]. La description de l'ASI par Bostrom a une signification religieuse. Comme leurs homologues religieux, les adeptes de l'ASI prédisent même des dates précises auxquelles le second avènement révélera notre sauveur. Curieusement, Bostrom n'est pas en mesure d'expliquer comment créer une intelligence artificielle. Son argument est régressif et dépend de lui-même pour son explication. Qu'est-ce qui créera l'ASI ? Eh bien, l'AGI. Qui créera l'AGI ? Quelqu'un d'autre, bien sûr. Les catégories d'IA suggèrent un faux continuum à l'extrémité duquel se trouve l'ASI, et personne ne semble particulièrement contrarié par son ignorance. Cependant, le fanatisme est un processus d'innovation douteux.

Une partie de notre problème collectif lorsque nous parlons d'IA est que nous ancrons notre pensée dans des dichotomies prévalentes mais inutiles[6]. Les fausses dichotomies créent un sentiment artificiel qu'il existe une alternative. L'ANI, l'AGI et l'ASI suggèrent un faux équilibre entre diverses technologies en présentant plusieurs aspects d'un argument qui n'existe pas. Même si nous acceptons la définition de l'ANI et ignorons sa trivialité, l'AGI et l'ASI n'ont rien de convaincant. Mentionner quelque chose qui n'existera pas pour évaluer la technologie d'aujourd'hui avec un nom plus accrocheur comme ANI est étrange. Nous ne comparons pas les oiseaux aux griffons, les chevaux aux licornes ou les poissons aux serpents de mer. Pourquoi comparerions-nous (ou mettrions-nous à l'échelle) l'informatique à l'intelligence humaine ou à l'intelligence de tous les humains ?

Toute explication qui inclut l'AGI ou l'ASI déforme la réalité. L'ancrage est un biais cognitif dans lequel un individu se fie trop à un élément d'information initial (connu sous le nom d'"ancre") lorsqu'il prend des décisions. Des études ont montré qu'il est difficile d'éviter l'ancrage, même en le recherchant[7]. Même si nous reconnaissons que l'AGI et l'ASI sont significativement erronées ou mal placées, elles peuvent encore déformer la réalité et créer des désalignements. Nous ne devons pas nous laisser abuser par une fausse dichotomie et un faux équilibre.

L'IA ne se résume pas à trois choses. Ce n'est pas quelque chose qui s'échelonne en fonction de l'"intelligence" ou qui se range proprement dans trois catégories. Ces catégories ne délimitent pas des technologies spécifiques, ne mettent pas en évidence des domaines de recherche ou ne représentent pas un continuum où l'on commence par travailler sur l'ANI et où l'on termine avec l'ASI. Elles sont absurdes. L'IA est une chose : un objectif singulier et sans précédent de recréer l'intelligence ex nihilo. Cependant, cet objectif est en décalage permanent avec le monde des affaires.

Les objectifs commerciaux ne peuvent pas être totalisés et absorber tout ce qui les entoure, car la communication d'entreprise, qui comprend toutes les stratégies, n'est efficace que lorsqu'elle ne peut pas être mal comprise. À moins que vous n'envisagiez d'aligner votre entreprise sur l'objectif unique et sans précédent de l'IA, vous devez faire attention lorsque vous appelez vos objectifs "IA", car vous ne pouvez pas dire "IA" de nos jours si vous voulez être compris. Comme nous appelons de plus en plus de choses "IA", la tâche de communiquer un but et une direction devient encore plus difficile. Cependant, dire ANI, AGI ou ASI n'arrange pas les choses. Cela nuit à la communication. Le meilleur conseil que l'on puisse donner aux responsables techniques est d'éviter les faux continuums, les fausses dichotomies et les faux équilibres. Comme l'explique Jay Rosen, critique des médias, en empruntant une phrase au philosophe américain Thomas Nagel, "le faux équilibre est un point de vue de nulle part'".

Auteur: Heimann Richard

Info: 3 novembre 2022

[ limitation consumériste ] [ rationalisation restrictive ] [ normalisation commerciale ] [ délimitation normative ] [ bridage marchand ] [ chambre chinoise mercantile ] [ impossibilité holistique ]

 

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interprétation

Cinq adaptations "exemplaires" (littérature et cinéma)
Dès ses origines, le cinéma a tissé avec la littérature des liens contradictoires et complexes. Alors que le septième art a toujours tenté de s'affirmer comme art " autonome ", il a d'une manière constante puisé dans les classiques de la littérature pour se nourrir et s'enrichir. L'opinion commune veut qu'une adaptation cinématographique d'un texte littéraire soit vouée à être moins intéressante que l'oeuvre d'origine. Or un examen un peu attentif prouve que l'histoire du cinéma est truffée de chefs-d'oeuvre tirés de romans ou de pièces de théâtre. La question, dès lors, est de savoir comment le cinéma peut parvenir à traduire sur grand écran des oeuvres littéraires sans les trahir et en conservant sa propre singularité d'art " visuel ".
Entre littérature et cinéma, c'est une histoire immédiate. Lorsque Georges Meliès réalise, en 1902, Le voyage dans la lune, il s'inspire déjà du roman de Jules Verne De la terre à la lune. Et même lorsqu'il est encore muet, le cinéma trouve dans les oeuvres de Victor Hugo (L'homme qui rit de Paul Leni en 1928) ou d'Alexandre Dumas une inépuisable source d'inspiration.
Parce que le cinéma est parvenu à développer, au temps du muet, une grammaire et des articulations très fines, une esthétique qui n'appartient qu'à lui ; certains voient dans le passage au parlant une régression et un retour à la théâtralité, à la littérature.
Pourtant, les noces entre les deux arts s'avèrent fructueuses : les romans donnent naissance à de grands classiques de l'histoire du cinéma (citons, de manière exemplaire, Autant en emporte le vent de Victor Fleming) et les écrivains s'intéressent au septième art et passent parfois de l'autre côté de la barrière de manière ponctuelle (André Malraux réalisant Espoir en1938-39) ou plus régulière (Pagnol, Guitry, Duras et Robbe-Grillet érigeant de véritables oeuvres cinématographiques).
Au début des années 50 François Truffaut, alors jeune critique, s'en prend violemment au cinéma français " de qualité ", reprochant en particulier aux cinéastes de se contenter d'illustrer pour le grand écran des classiques du patrimoine littéraire de manière totalement académique (Le rouge et le noir d'Autant-Lara, Notre-Dame de Paris et La princesse de Clèves de Jean Delannoy, etc.). Il oppose à ce cinéma poussiéreux un cinéma à la première personne où le réalisateur serait, tel un écrivain,l'auteur d'une oeuvre personnelle et intime.
Pourtant, Truffaut comme les autres cinéastes de la Nouvelle Vague, adapteront à leur tour des oeuvres littéraires. A quel moment, peut-on dire qu'un film se contente d'illustrer platement un roman ou bien qu'il transcende son matériau d'origine pour offrir au spectateur une oeuvre cinématographique à part entière ?
La question est tellement vaste qu'un simple article ne suffirait pas à en épuiser toutes les dimensions. Alors de manière subjective, tentons de nous appuyer sur cinq films pour analyser les éléments qui entrent en compte dans le succès d'une d'une adaptation d'une oeuvre littéraire.
1- Des mots aux images : Mouchette (1967) de Robert Bresson (d'après Bernanos)
La première difficulté à laquelle se heurte un cinéaste, c'est de traduire de manière " visuelle " des mots qui sont, eux-mêmes, porteurs d'images. A vouloir se contenter uniquement des mots, on prend le risque de laisser de côté les questions de mise en scène cinématographique de ces mots et de retomber dans le piège de l'illustration académique (Cf. Germinal de Claude Berri). Du coup, les mots doivent devenir le corps même de l'oeuvre et certains vont s'y employer en procédant par accumulation (la parole qui s'emballe chez Guitry et Pagnol) ou par soustraction. Robert Bresson appartient à la deuxième catégorie. Lorsqu'il adapte Mouchette sur grand écran, il n'en est pas à sa première tentative de transposition d'une oeuvre littéraire. Il a déjà filmé Diderot (Les dames du bois de Boulogne) et Bernanos (Le journal d'un curé de campagne). Pour lui, pas question de trouver un système d'équivalences mais d'adapter les oeuvres de manière littérale (avec, par exemple, un recours à la voix-off ou des cartons). Dans Mouchette, la parole se raréfie et c'est la stylisation d'une mise en scène épurée jusqu'à l'extrême qui permet de traduire la noirceur du roman d'origine. Lorsque la petite Mouchette se suicide en roulant obstinément jusqu'à un cours d'eau, Bresson parvient à traduire l'âpreté du roman de Bernanos et nous bouleverse de manière indélébile.
2- L'anecdote : Le mépris (1963) de Jean-Luc Godard (d'après Moravia)
Une des difficultés de l'adaptation cinématographique est la question de l'anecdote. Beaucoup de cinéastes se sont contentés de prendre les romans comme de beaux scénarios. L'anecdote l'emporte sur l'invention cinématographique. C'est peut-être pour cette raison que les meilleures adaptations sont sans doute celles qui se sont appuyées sur des oeuvres littéraires mineures, permettant aux cinéastes de dépasser l'anecdote et d'injecter dans leurs films des thèmes personnels. Belle de jour de Kessel n'est pas un roman très intéressant. En revanche, Buñuel en a fait un chef-d'oeuvre du cinéma, une oeuvre totalement énigmatique et opaque où l'onirisme et l'ironie sont de mises. De la même manière, il est couramment admis que les films d'Hitchcock comme Rebecca et Les oiseaux sont supérieurs aux romans de Daphné du Maurier qui les ont inspirés.
A l'origine du Mépris, il y a un roman de Moravia que les connaisseurs s'accordent à trouver médiocre (j'avoue ne pas l'avoir lu) mais le plus important n'est pas dans l'anecdote mais dans la manière dont Jean-Luc Godard parvient à la transplanter sur son propre territoire : le cinéma, le mythe et les questions que le taraudent toujours : l'amour, la trahison, le malentendu...
3- La réappropriation : Shining (1980) de Stanley Kubrick (d'après Stephen King)
Toujours dans le même ordre d'idée, les romans regroupés parfois sous l'étiquette " mauvais genre " (la série noire, le fantastique, la science-fiction, l'érotisme...) furent de formidables réservoirs à récits pour les cinéastes. Certains écrivains de polars, comme Raymond Chandler, furent également scénaristes pour Hollywood. Parmi les auteurs contemporains oeuvrant dans le fantastique, Stephen King fut sans doute l'écrivain le plus adapté au cinéma, pour le meilleur (Dead Zone de Cronenberg, Carrie de De Palma, Stand by me et Misery de Rob Reiner...) ou pour le pire (Firestarter de Lester, Peur bleue...).
Avec Shining, nous nous trouvons face à un cas intéressant car il est évident que Stanley Kubrick trahit l'oeuvre originale (King ne s'est pas entendu avec le cinéaste et détestait cette adaptation) mais il se la réapproprie de manière totalement personnelle et livre un des plus beaux films d'épouvante jamais tourné. Avec ce film, le cinéaste tente de réaliser LE film d'horreur définitif (comme il cherchera à réaliser LE film de guerre absolu avec Full Metal Jacket) et nous offre une oeuvre mentale où l'espace de l'hôtel et du jardin qui l'entoure devient la projection d'un cerveau atteint par la folie.
4- Le style : Le temps retrouvé (1999) de Raoul Ruiz (d'après Marcel Proust)
Un des problèmes majeurs auxquels se heurtent les cinéastes projetant d'adapter une oeuvre littéraire, c'est celui du style. Si, au cinéma, l'anecdote importe moins que la mise en scène et le style du réalisateur ; il est évident que l'intérêt d'un livre tient avant tout à son style et non pas à son " histoire ".
C'est sans doute pour cette raison que certains grands stylistes n'ont jamais été adaptés au cinéma, que ce soit Céline ou James Joyce qui ne fut adapté que pour son récit le plus " classique " (Gens de Dublin par John Huston en 1987). Même si certaines tentatives maladroites ont été effectuées, certains romans conservent la réputation d'être inadaptables, que ce soit Belle du seigneur de Cohen ou A la recherche du temps perdu de Proust. Contrairement à ce que l'on entend parfois, Proust a fait l'objet de quelques adaptations cinématographiques. Parfois catastrophiques (le très académique Un amour de Swann de Schlöndorff avec Alain Delon en 1984), parfois intéressantes (La captive de Chantal Akerman), ces transpositions restèrent néanmoins assez éloignées de l'univers de l'écrivain. Dans Le temps retrouvé, c'est le caractère extrêmement mouvant de la mise en scène qui frappe. Ruiz a recours aux effets qu'il affectionne depuis toujours : juxtaposition du zoom et du travelling dans des directions opposées, décors mobiles, amples mouvements de caméra donnant la sensation d'un univers extrêmement fluctuant et éphémère. Grâce à ses partis pris de mise en scène, le cinéaste parvient à nous loger au coeur même de la tête de l'écrivain qui revient, à la veille de sa mort, sur son existence et son oeuvre, comme si tout était désormais écrit. Le film est donc à la fois une oeuvre cinématographique et une traduction assez juste de l'univers évanescent de Proust. Pour transposer à l'écran un écrivain au style unique, il fallait un styliste de la caméra !
5- Les limites : Salo ou les 120 journées de Sodome (1975) de Pier Paolo Pasolini (d'après Sade)
Dernier écueil auquel se heurte le cinéma : les limites de la représentation. Lorsque Apollinaire évoque un " soleil cou coupé " ou que Breton nous entraîne à sa suite dans un Paris mystérieux et poétique dans Nadja, on a du mal à concevoir quelles images photographiques pourraient traduire la poésie de ces mots et les gouffres imaginaires qu'ils entrouvrent.
Réaliste par essence, l'image cinématographique se heurte à certaines limites que ne connaissent pas les mots. Lorsqu'il s'agit de violence ou de sexe, il paraît littéralement impossible de montrer ce que les mots peuvent parfois dire. Une adaptation fidèle d'American psycho de Brett Easton Ellis serait tout bonnement insoutenable.
De la même manière, on imagine mal un film qui suivrait scrupuleusement les descriptions du marquis de Sade. Pourtant, le grand écrivain fut maintes fois adaptés au cinéma, de manière classique et édulcoré comme dans le Justine de Claude Pierson ou de manière plus originale (mais " soft ") dans Marquis de Sade : Justine de Jess Franco.
Lorsqu'il entreprend de filmer Les 120 journées de Sodome, Pasolini sort de sa " trilogie de la vie " où il exaltait les sens et une sexualité débridée en s'appuyant sur des oeuvres littéraires du passé (Les mille et une nuits, Le Décaméron de Boccace et Les contes de Canterbury de Chaucer). Mais ce qu'il voit autour de lui le rend pessimiste et il cherche désormais à dénoncer les excès du consumérisme dans lesquels s'inscrit la prétendue " libéralisation des moeurs ". Il choisit d'adapter Sade qu'il transpose à l'époque fasciste. Là encore, la réappropriation qu'il se permet de l'oeuvre du divin Marquis est une sorte de " trahison " mais elle lui permet de transgresser les limites de la représentation. On a vu des films beaucoup plus " pornographiques " ou même plus violents mais le style glacial de Pasolini confère à cette oeuvre un caractère éprouvant et en fait un des films les plus effrayants jamais tourné.
Il y aurait sans doute beaucoup d'autres choses à dire sur ces liens paradoxaux entre le cinéma et la littérature mais ces quelques idées jetées de manière maladroite ici ont déjà pris beaucoup de place. Il ne vous reste plus qu'à vous laisser réagir et à vous inciter à citer des adaptations que vous trouvez réussies...

Auteur: Internet

Info: Dr Orlof, http://drorlof.over-blog.com/

[ texte ] [ image ]

 

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boomers vs wokes

Kompromat à la française - Pour avoir réussi un coup de maître – faire signer 50 artistes pour défendre Gérard Depardieu – Yannis Ezziadi est à son tour lynché. Cette affaire restera un cas d’école de la mécanique de la Terreur qui veut en finir avec toute singularité.



Pouvez-vous expliquer ces blagues ? Dans le brouhaha malveillant orchestré autour de la tribune de 50 artistes et assimilés pour Depardieu et de son auteur, notre ami Yannis Ezziadi, cette question que lui a adressée Marine Turchi dit la vérité la plus profonde de toute cette affaire (et de pas mal d’autres).



Dans le monde rêvé des néo-féministes en particulier et des wokistes en général, tout passe au hachoir de l’esprit de sérieux : l’art, la littérature, le sexe (abaissé à un ennuyeux pacte contractuel) et l’humour lui-même, prié de participer à la rééducation des masses boomeuses et dépravées.



Pour bien faire comprendre la dangerosité du gars, il me faut reproduire quelques-unes de ces plaisanteries citées à comparaître. Pour vous, c’est cadeau. D’abord, il y a cette citation de Courteline, postée en 2013 (les fouilleurs de poubelles numériques sont consciencieux):  L’homme est le seul mâle qui batte sa femelle. Il est donc le plus brutal des mâles, à moins que, de toutes les femelles, la femme soit la plus insupportable. Le petit malin (il avait 22 ans), avait assorti la citation de ce commentaire :  Je vais me faire lyncher, mais c’est tellement drôle.  Plus grave, car sortie du cerveau malade de l’auteur, cette blague de février 2021 : Pour les accusations de violences sexuelles, heureusement, ce ne sera pas comme pour le Covid. Une fois que la majorité des hommes aura été accusée de viol et d’inceste, ils seront peut-être protégés par l’immunité collective. C’est le seul espoir… Espoir fortement déçu. Si ça vous a fait marrer, votre compte est bon : vous êtes un défenseur des violences sexistes-et-sexuelles et un amateur de violences conjugales. Ou le contraire.



Vous avez le droit de rire, à condition que ce rire ne soit jamais traversé de mauvaises pensées. J’aimerais bien savoir à quoi sert l’humour s’il n’est pas le sauf-conduit de nos mauvaises pensées, le refuge du négatif. Si ça se trouve, nos mangeuses d’hommes n’ont jamais de mauvaises pensées. Les pauvres. Et pauvres de nous. Le règne de la positivité, du premier degré, de la transparence est ce qui s’apparente le plus au meilleur des mondes. C’est-à-dire à l’enfer.



Mais je reviens à mes moutons, en l’occurrence au bouc. Pour ceux qui l’ignorent, Marine Turchi, qui officie à Mediapart, est à la nouvelle terreur féministe ce que Vychinski était au stalinisme. Procureur implacable, elle est capable d’écouter des dizaines d’heure du Masque et la plume , pour révéler qu’on y a dit 32 fois salope ou entendu 41 blagues sexistes (les chiffres sont fantaisistes). Il faut lui reconnaître  une certaine conscience professionnelle. Turchi monte ses dossiers. Et bien sûr, elle donne la parole à l’accusé, parole qui se retrouve généralement noyée entre les témoignages accusatoires. Turchi exerce sa charge avec une certaine froideur, alors qu’Ariane Chemin, qui requiert au Monde, semble animée par la passion de nuire. Mais les deux, formées à l’école Plenel, ont le même talent pour construire et imposer un récit totalement fantasmé des faits qu’elles évoquent. En l’occurrence, elles ont réussi à faire passer l’initiative d’un franc-tireur baroque et flamboyant pour une opération d’extrême droite, orchestrée par "la galaxie Bolloré " pour faire main basse sur le monde de la culture – galaxie, ça vous a un petit air Guerre des étoiles, bien contre mal etc. Ces affabulations complotistes ont suffi à déclencher une chasse à l’homme.



Pour les historiens qui étudieront le totalitarisme sans goulag (analysé par Mathieu Bock-Côté dans son dernier livre) et se demanderont comment des peuples cultivés ont pu se laisser déposséder de leurs libertés sans la moindre contrainte militaire ou physique, l’affaire de la pétition Depardieu sera un cas d’école. Un modèle d’efficacité de la mécanique de la terreur.



Premier acte : panique au quartier général.



Cinquante-six artistes et producteurs dénoncent le lynchage de Depardieu. Un bras d’honneur à la loi du Milieu. Un artiste peut à la limite se taire (bien que cela soit parfois suspect). Mais s’il l’ouvre, il n’a qu’un droit : celui d’énoncer les poncifs du progressisme prêchi-prêcheur, en commençant par quelques génuflexions devant la révolution #metoo. S’il veut cocher toutes les cases, il peut lutter contre la loi scélérate sur les retraites (Bosser jusqu’à 63 ans, jamais !), dénoncer les crimes climatiques des riches et des ploucs, manifester (dans son salon) pour l’accueil des migrants. Cependant, s’il n’a pas le temps de dispenser sa compassion à tout-va, une cause contient toutes les autres, la lutte contre l’extrême droite. C’est la formule magique, la carte du Parti. Qui, en plus d’offrir à son détenteur la considération de France Inter lui permet de bosser.



Sans la sortie d’Emmanuel Macron, qui a déclaré quelques jours plus tôt que Depardieu faisait la fierté de la France, l’affaire en serait peut-être restée là. Du reste, sans l’encouragement présidentiel, les signataires auraient certainement été moins nombreux et moins titrés. Cette fois, il ne s’agit pas des sans-grades de l’intermittence du spectacle, ni de réacs estampillés, mais de stars. Certaines sont sur le retour ou en fin de carrière (ce qui permettra à d’élégants plumitifs de calculer l’âge moyen des signataires), d’autres sont inconnus, mais il y a aussi des comédiens bankables, dont les noms aident à monter un film.



C’est bien ce qui enrage le clergé médiatico-culturel, habitué à voir ses excommunications et proscriptions appliquées sans protestations. La volaille qui fait l’opinion sent le danger : sous peine de voir son pouvoir d’intimidation ébranlé, il lui faut frapper fort. On peut compter sur la police politique.



Acte II. On discrédite le message.



C’est simple : il n’y a qu’à saucissonner le texte en lui faisant dire ce qu’il ne dit pas – que Depardieu a tous les droits, y compris de cuissage. Peut-être y a-t-il des maladresses de rédaction, le texte n’établissant pas assez clairement la différence entre des accusations de viol et des blagues obscènes. Reste que 55 personnes l’ont signé en connaissance de cause – le seul à avoir longuement essayé d’introduire des modifications a été Yvan Attal qui, malgré ces désaccords, a maintenu sa signature. Des agents, des avocats l’ont lu, beaucoup ont dissuadé leurs clients de signer, d’autres ont approuvé des deux mains.



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Que ce texte choque, c’est naturel, mais pas pour les raisons invoquées par les milices vigilantes qui sévissent dans les égouts numériques. Le scandale c’est que des artistes puissent adopter le point de vue de l’art plutôt que celui de la morale. Qu’ils affirment clairement que le génie de l’artiste leur importe plus que les agissements de l’homme – cela ne signifie pas que l’un excuse les autres. L’histoire retiendra-t-elle de Picasso qu’il a mal traité ses femmes ou été un artiste de génie ? La réponse à cette question dépendra de l’issue de la guerre idéologique entre les déconstructeurs et les héritiers. En attendant, ce ne sont pas des hommes déconstruits qui ont fait l’histoire de l’art. Ni l’histoire tout court.



Les maîtresses d’école[1] qui surveillent le débat public n’entendent rien à cette grammaire qui échappe aux cadres rigides structurant leur pensée. Elles se contentent de distribuer froncements de sourcils et coups de règles aux signataires. Ils n’ont pas un mot pour les victimes (qui sont en réalité des plaignantes), preuve qu’ils sont solidaires des agresseurs, violeurs et autres pédophiles. Ces premières sommations entraînent déjà quelques défections, sur le mode " J’avais mal lu " voire " J’ai signé sans lire ". Mais croyez-le bien je pense tous les jours aux violences contre les femmes.



Acte III. On brûle le messager.



Là, on ne rigole plus. La hauteur de l’affront exige une victime expiatoire. Après les préliminaires, se met en branle une mécanique proprement totalitaire, de celles qui broient les individus pour la bonne cause. Dans les sacristies médiatiques, on découvre avec fureur que le diablus ex machina de cette sorcellerie est un quasi inconnu (sauf pour les heureux lecteurs de Causeur et les afficionados). Voilà un type qui prétend avoir, avec ses petits bras, convaincu des vedettes comme Bertrand Blier, Carole Bouquet ou Pierre Richard de prendre la défense d’un homme que Le Monde et Mediapart ont pourtant condamné à la mort sociale.



Il faut lui donner une leçon, à lui et à tous ceux qui l’ont suivi. Leur faire passer l’envie de récidiver. On s’intéresse donc à sa personne, débitée en tranches avec encore plus de malveillance que son texte. De ce point de vue, l’article d’Ariane Chemin mérite la médaille d’or de la dégueulasserie journalistique. Avec quelques micro-bouts de vérité, elle dresse un portrait totalement mensonger intitulé : À la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires. Non seulement il écrit dans Causeur, mensuel dépeint, selon les médias ou les jours, comme d’extrême droite, conservateur, ultra-conservateur ou réactionnaire, mais Chemin souligne qu’il est ami avec Sarah Knafo et Eric Zemmour et qu’il fait la fête avec votre servante. À l’évidence, pour Chemin, l’amitié ne saurait tolérer la divergence. Quant à nos fêtes, elle doit s’imaginer qu’on y récite des horreurs racistes et sexistes affublés de chapeaux pointus. Nous passons en effet d’excellentes soirées à rire, nous disputer, boire, manger, danser, chanter et rire encore. Tout ce rire, c’est suspect, chef. Surtout entre gens qui ne pensent pas la même chose.



Les articles d’Ezziadi sont passés à la même moulinette diffamatoire. Le texte magnifique dans lequel il démonte la mécanique complotiste qui lui a retourné le cerveau à l’âge de 18 ans devient une preuve à charge : le gars est un « dieudonniste repenti » (ce qui signifie dieudonniste toujours). Sa charge contre Jean-Paul Rouve qui joue Matzneff en monstre et se dit fier de ne rien comprendre à son personnage est présentée comme une défense de l’écrivain à nymphettes. Pour sa défense, Ezziadi cite Bruno Ganz qui, dans la Chute, campait un Hitler diablement humain et fut honoré pour cela. Certains en concluent sans doute qu’en prime, il est nazi. Son reportage sur l’islamisation rampante de Nangis, paisible ville de Seine et Marne fait de lui un adepte de " la théorie complotiste-extrême-droite du Grand remplacement " sans que quiconque se donne la peine de réfuter les faits qu’il décrit – et pour cause. Et quand il affirme, sur LCI, que les hommes ont peur, son interlocutrice, une péronnelle blonde à l’air méchant, le toise, semblant penser qu’ils ont bien raison d’avoir peur, toi le premier. Les ligues de vertu avaient fabriqué un monstre avec Depardieu. En une semaine, elles accouchent d’une nouvelle figure du mal et du mâle à abattre.



Acte IV. La litanie des autocritiques.



Pour nombre de signataires, la pression morale et financière est insupportable. Ils n’ont pas l’habitude des flots de haine et d’injures qui s’abattent sur eux. Leurs agents les engueulent, ils se font pourrir par leurs neveux woke lors des dîners de famille, des directeurs de théâtre, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs menacent à mots couverts. Ils doivent lâcher l’ennemi du Parti sous peine d’être purgé avec lui. Certains, honteux de leur propre reculade, se retirent sur la pointe des pieds, parfois après avoir adressé en privé à Ezziadi un signe amical – je suis désolé mais je n’ai pas le choix. Jacques Weber pleurniche, écrivant curieusement que sa signature était un  " autre viol  " – son respect de la présomption d’innocence aura duré deux semaines. D’autres en rajoutent dans l’adoration de la Révolution, braillent comme des pourceaux, jurant qu’ils ont été trahis, manipulés, envoutés par un petit comploteur d’extrême droite. Puisque Le Monde le dit, il ne leur vient même pas à l’esprit de se poser une question. Comme me l’écrit Jonathan Siksou, " si Ariane Chemin ou BFM avait dit que Yannis était une table à roulettes ou un pélican, tout le monde le croirait ". Ils ont signé parce qu’ils croyaient que le vent avait tourné. Ils se replacent naturellement dans le sens du vent.



Le plus inquiétant est que la machine à détruire s’en prenne à un jeune homme qui n’a aucun pouvoir, sinon celui de son grand charme et du plaisir que ses amis prennent à sa compagnie. Contrairement aux consœurs qui peuvent encore briser des carrières et réduire des hommes au chômage sur la seule foi d’accusations (les femmes ne mentent jamais), Yannis Ezziadi ne peut nuire à personne. Il a effectivement monté son attentat contre la bienséance avec sa seule force de conviction. Il s’est pendu au téléphone, d’abord avec les amis, puis les amis d’amis, chacun des signataires a donné ses contacts, certains, dit « oui » puis « non » en fonction de leurs dîners de la veille.



Il n’est guère étonnant que ce dandy fantastiquement drôle qui peut pleurer de bonheur en écoutant un opéra ou en regardant une corrida enrage les vestales fanatiques de la religion des femmes et tous ceux qui, terrifiés, psalmodient derrière elles. Yannis Ezziadi possède quelque chose que ces esprits policiers haïssent parce qu’ils y ont renoncé. Cela s’appelle la liberté.



Epilogue. Le Parti a toujours raison.



Les tricoteuses féministes ont réduit au silence tous ceux qui auraient pu, qui auraient dû, se lever contre ce procès de Moscou. Beaucoup se taisent par peur d’être à leur tour soupçonnés, donc condamnés. On peut le comprendre mais ils ont tort. Pour peu qu’ils aient une sexualité vaguement débridée (quoique parfaitement légale), ils finiront, eux aussi, par être arrêtés un matin, même sans avoir jamais rien fait. Si toutes les stars de la tribune Depardieu avaient tenu bon et adressé un grand bras d’honneur aux maitres-chanteurs, le rapport de forces aurait changé. Un peu de courage ne nuit pas.



Oui, il y a des raisons d’avoir peur. L’inquisition a gagné une bataille. Si demain, plus personne n’ose sortir des clous de la bienséance, si nous acceptons docilement que Polanski, Depardieu et tant d’autres soient brûlés en place publique, que leurs œuvres soient bannies des écrans et des mémoires, elle règnera sur nos esprits. Quand on a peur de dire ce qu’on pense, on finit par avoir peur de penser.



[1] Des deux sexes mais le féminin pour tout le monde est ici parfaitement justifié

Auteur: Lévy Elisabeth

Info: Causeur, 4 janvier 2024

[ pouvoir sémantique ] [ Gaule ] [ parisianisme ]

 

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Ajouté à la BD par Le sous-projectionniste