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judéo-christianisme

De fait, la Bible ne prône nulle part l’épanouissement du vivant, le body-building, la relaxation, les loisirs, le télé-travail, l’Internet-citoyen, la réduction du temps de travail, les trente-cinq heures, les trente-deux heures, les vingt-sept heures, les dix-huit heures, les deux heures, la disparition des heures, les vide-greniers, les pique-niques citoyens, la gymaquatique, la muscu, les randonnées en tenue fluo, les félicités électroniques, la movida hilare et les Gay Prides.

On n’y trouve aucune contribution à l’accroissement des droits des malades, du droit au logement et de celui des handicapés, des sans-fenêtres, des sans-portes ou des sans-papiers. L’épisode de Babel est une insulte à notre idéal de culture interculturelle et transfrontalière. La différence des sexes marquée à jamais, dans la Genèse, comme condition de possibilité de toute humanité (avec l’énoncé des maux différents, ou plutôt différenciés avec une extrême précision, que Dieu promet à l’homme et à la femme après l’épisode du péché : multiplication des peines de grossesse pour elle, souffrance du travail quotidien pour lui et retour à la terre par la mort), justifie la haine de tous les transgenristes, de tous les partisans du "l’un et l’autre" ou du "ni l’un ni l’autre", de tous les déligitimeurs de l’ "ordre symbolique" et de tous les apologistes du "contre-pouvoir féminin" menacé par le front réactionnaire de l’Internationale machiste.

Et, assurément, les guerres et les massacres qui sont évoqués dans l’Ecriture ont le malheur d’avoir été "réels" ; de ne pas s’être rapprochés de l’idéal "zéro mort" des guerres "parfaites" d’aujourd’hui. […]

Quant à l’hostilité vétérotestamentaire vis-à-vis de ce qui relève de l’occultisme ("Si un homme ou une femme ont en eux un esprit de divination, ils seront punis de mort, on les lapidera", etc.), elle ne peut qu’apparaître odieuse à nos esprits modernes où cohabitent si harmonieusement les inepties des cartomanciennes et les prestiges de la technique la plus ravageante.

Et je ne parle même pas du paternalisme abusif dont le Livre regorge, ni de sa prétention paranoïaque à un châtiment descendu du ciel. Ou plutôt si, j’en parle. Je ne parle que de ça : de la fonction centrale du Père dans la Bible et du caractère spécifiquement douteux de la paternité réelle, introduisant la dimension symbolique et la parole articulée (du moins jusqu’à ce que les récentes conquêtes de la science n’en finissent avec ce doute et ne rendent la paternité possiblement certaine, donc sans intérêt, en même temps que d’autres conquêtes, sociétales celles-là, annonçant la joyeuse destruction du langage articulé et le retour à l’inceste).

En tous ces domaines, et en bien d’autres, la Bible n’a cessé de se rendre antipathique. Elle n’est pas du tout glamrock. Elle ne cultive pas le maximum respect. Les démocraties terminales d’Occident, dans leur frénésie de chasser tout ce qui a pu être différent, à un degré ou à un autre, de ce qu’elles considèrent maintenant comme le devenir enviable de l’humanité, ne peuvent donc qu’être conduites à mettre en accusation ses "passages sanglants" et "contraires aux droits de l’homme". […] La part d’ombre, le flou, le louche, le tortueux, l’ambivalent, la négativité, caractéristiques il n’y a pas si longtemps de ce qu’il y avait de plus humain et de plus libre dans la condition humaine, ne sont plus que des crimes ou des infirmités.

Auteur: Muray Philippe

Info: Dans "Exorcismes spirituels, tome 3", Les Belles Lettres, Paris, 2002, pages 37 à 39

[ anti-moderne ] [ liste des griefs ] [ choc des discours ] [ révisionnisme ] [ évolution ]

 
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décadence politique

Vous avez cette espèce de porc de [François] Hollande, débordant de graisse, satisfait de lui-même, qui donne la main à cette mascarade [le concert de Black M à Verdun], très fier de sa petite provocation, parce que ces types, c’est plus fort qu’eux - on retrouve ça chez Macron -, ils ont un besoin compulsif d’insulter le petit peuple. C’est quelque chose qui est absolument central dans leur personnalité. Et pour eux, la meilleure façon de le signifier, c’est en "transgressant". Ils ont l’impression de transgresser. Ils ne transgressent rien en fait, ils sont totalement dans la ligne dominante et son idéologie. Mais ils ont l’impression au contraire de sortir des clous. Et en fait c’est une façon pour eux de se distancer du petit peuple.

Alors pour eux c’est très drôle, ils vous emballent l’Arc de triomphe. Bon, il se trouve que c’est une sépulture et on appelle ça, en bon français, une profanation. En plus, Macron décrète que vous payez pour ça. Hollande, il fait sa petite profanation. On aura probablement un autre président, [...] on aura droit à un autre truc à peu près du même goût. [...] Et ça va de plus en plus loin parce que c’est le phénomène d’entraînement. À partir du moment où le Président de la République fait ça, tous les politiciens en herbe veulent singer mais pour faire pire. Je vous donne un exemple [...] : c’est à Rouen, il y a la statue de Napoléon. [...] Et alors, le nouveau maire, une espèce de crapule de gauche, qui posait d’ailleurs un genou par terre comme une espèce de carpette lors du délire collectif à propos de Georg Floyd, ce sale nègre, camé, ayant braqué des femmes enceintes et qui est mort simplement d’overdose, ce que personne n’explique, lors de cette phase de délire collectif dans le monde occidental, ce maire de Rouen s’est mis en scène. Et alors, il est très sensible à ce que tous les dégénérés wokistes exigent [...] : il veut se débarrasser de la statue de Napoléon et à la place il veut mettre un bidule déconstruit. Une bouse qui va encore coûter une fortune bien sûr. Et d’ailleurs, ils ont fait un truc temporaire sur ce site qui est une caricature de Napoléon. Je ne sais plus comment ça s’appelle mais il y a une espèce d’artiste gauchiste qui a posé un truc qui ne ressemblait à rien, mais c’est temporaire. Ils viennent tous dégueuler. [...] Finalement, ce que ça nous enseigne, toutes ces insultes de la part de cette bourgeoisie – parce que c’est la bourgeoisie qui s’exprime – toutes ces insultes ne rencontrent pas d’opposition. Et le truc qui est vraiment nouveau, c’est que maintenant la bourgeoisie peut insulter le petit peuple, mais il le fait au nom d’une mystique de gauche. Donc contre les frontières contre le patriarcat et bla-bla-bla et pour la tolérance. Et cette bourgeoisie arrogante qui insulte le petit peuple le fait avec l’aplomb de ceux qui croient en leur domination morale et comme c’est un argument de gauche pseudo populaire, finalement le petit peuple n’ose pas répondre, parce qu’il n’a pas envie de se faire fasciser. Parce que vous savez, quand vous vous opposez, vous êtes un fasciste et un nazi, ça va très vite. Et du coup ils se taisent, ils ont peur. Parce que les autres ils ont tous les arguments. Si vous toussez parce qu’on veut enlever la statue de Napoléon, on vous traite de fasciste, ça va très vite. Et pareil avec tout. Quand les gens bronchaient par rapport à l’empaquetage de l’Arc de Triomphe, ils ont dit : ah oui, bien sûr, évidemment, les fascistes. Le petit peuple se fait fermer sa gueule. Donc il se tait, et il subit.

Auteur: Internet

Info: Transcription d'un extrait du podcast de Démocratie participative S06E40

[ violence de classe ] [ art contemporain ] [ censure ] [ écrasement moralisateur ] [ interdiction de penser ]

 

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histoire

En 1900 de l’ère chrétienne, il y avait en Europe deux sortes d’États : les monarchies de droit divin et les démocraties. Les premières, moribondes, ne faisaient que se survivre. Quant aux démocraties, elles étaient déjà discréditées. D’abord, parce qu’elles n’étaient en fait que des oligarchies financières ; ensuite, parce que la caste des politiciens censée représenter "le peuple" s’était parfaitement déshonorée par sa malhonnêteté et sa cupidité. La Première Guerre mondiale ne fit que précipiter le déclin des deux régimes.

Ce fut à la faveur de cette guerre qu’eut lieu, en 1917, la Grande Régression Bureaucratique Russe. A cette régression est attaché le nom de Lénine.

En fait, Lénine était ce que, dans toutes les langues du monde, on appelle un traître. Fils de bourgeois, comme tous les théoriciens marxistes, il avait, dès le début de la guerre, prêché la désertion, la fraternisation avec l’envahisseur, et soutenu que le seul ennemi véritable des Russes était le gouvernement russe.

Or ce gouvernement tomba, en février 1917, et fut remplacé par un gouvernement bourgeois libéral. Si ce dernier s’était maintenu, la Russie serait sans doute devenue rapidement un pays moderne, relativement prospère.

Il n’en fut pas ainsi parce que la bourgeoisie était trop faible et le peuple trop arriéré. L’armée était désorganisée. Dans les campagnes, les paysans massacraient, par familles entières, les grands propriétaires fonciers, pour leur prendre la terre. Dans les grandes villes, la réalité du pouvoir appartenait aux Soviets, ramassis de déserteurs et d’ouvriers absentéistes. Ce fut la dictature des imbéciles.

L’astuce de Lénine fut de miser à fond sur toutes les forces de dispersion. Il encouragea les paysans dans leurs génocides, et les Soviets dans leur anarchisme primaire. Il flatta grossièrement les masses, affaiblit tant qu’il put le gouvernement bourgeois par une critique systématique, destructive et stérile, en un mot il fit tout pour devenir populaire.

Le moment venu, il réunit le Congrès des Soviets. Pendant que les pauvres dupes de délégués du peuple discutaient sans fin sur des questions de théorie, Lénine lançait à l’assaut du pouvoir sa petite équipe de révolutionnaires professionnels.

Après ce coup d’État qui faisait de lui le souverain absolu de la Russie nouvelle, il lui fallait lutter contre les forces mêmes qui l’y avaient porté. C’est ce qu’il fit.

Pour obtenir la paix avec les Allemands, Lénine leur abandonne l’Ukraine. Sacrifice inutile, car la paix ne vient pas. Les exactions des paysans ont déjà provoqué le début de la guerre civile, laquelle se complique d’interventions étrangères. Ce n’est plus l’Empire qui est menacé, ce n’est plus la terre russe : c’est le petit noyau des bureaucrates marxistes. Cette fois, Lénine fera la guerre...

Mais pour faire la guerre, il faut refaire l’armée : pour refaire l’armée, il faut revenir au bon vieux militarisme, - et pour cela il faut anéantir les Soviets.

Sous les ordres de Lénine, Trotsky se charge de cette réaction. En deux ans, grâce à lui, l’armée russe reprend l’habitude du garde-à-vous, du demi-tour à droite et de l’obéissance passive. Les Soviets sont dissous, et aussitôt remplacés par les commissaires politiques, fonctionnaires dévoués au Parti, payés par le Parti, qui doivent tout au Parti, c’est-à-dire au petit groupe d’oligarques dont Lénine est le chef. [...]

Dès 1920, la clique de Lénine a gagné la guerre civile, et le pouvoir prolétarien a disparu à jamais. L’année suivante, les marins de Cronstadt se soulèveront, une fois encore, aux cris de "Vive les Soviets ; à bas le communisme !" Mais cette insurrection sera vite réprimée. Le socialisme est mort, bien mort. Ce nom ne servira plus qu’à désigner le stade suprême de l’impérialisme, c’est-à-dire la concentration de tous les capitaux aux mains de l’État-trust, de l’État-monopole, et le règne idéalisé de la bureaucratie.

Auteur: Gripari Pierre

Info: Dans "La vie, la mort et la résurrection de Socrate-Marie-Gripotard", éditions de la Table Ronde, 1968, pages 46 à 48

[ chronologie ]

 

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démocratie

La protodémocratie athénienne (bien connue en grande partie grâce à Aristote) reposait sur un principe intangible, qu'illustre parfaitement la formule de Lincoln : "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ". Le peuple était toujours à la manoeuvre et ne déléguait à l'exécutif que les tâches qu'il ne pouvait effectuer lui-même. Ce principe était garanti par l'isonomia, l'égalité devant la loi, l'isokratia, l'égalité des pouvoirs, et l'isêgoria, l'égalité de la parole. Était citoyen tout homme libre âgé de plus de vingt ans.
On estime le nombre des citoyens à 30.000, 60.000 au pic de peuplement. Les femmes, les enfants, les métèques et les esclaves étaient exclus de l'activité politique. Cette quadruple exclusive est à replacer dans son contexte historique.
L'Ekklesia, l'assemblée démocratique, exigeait un quorum de 6.000 citoyens, mais ils pouvaient être plus nombreux. Elle se réunissait tous les neuf jours en moyenne (la fréquence des séances augmentait en cas de crise) sur la colline du Pnyx, où l'on avait aménagé une tribune semi-circulaire. L'Ekklesia n'était pas une pétaudière. Elle suivait un ordre du jour strict élaboré par le Conseil des Cinq-cents (la Boulê), mais elle pouvait obliger celui-ci à insérer une affaire particulière dans l'ordre du jour de la séance suivante. Tout citoyen, quel que fût son rang, avait droit à la parole et était écouté attentivement. Le vote s'effectuait à main levée, un homme, une voix. La mission de la Boulê ne se bornait pas à encadrer les séances de l'Ekklesia et à en établir l'ordre du jour. Elle rédigeait aussi les propositions de décret ou de loi, et contrôlait étroitement le travail des autres magistrats civils et militaires (droit d'inventaire).
Les cinq cent bouleutes, cinquante par tribu, étaient tirés au sort à l'aide d'une machine, le klêrôtêrion, parmi les citoyens volontaires. Un comité vérifiait les aptitudes (procédure de la docimasie) de ces derniers. Les recalés pouvaient faire appel de la décision auprès du tribunal du peuple. Le bouleute était nommé pour un an. Un citoyen ne pouvait être mandaté plus de deux fois et jamais deux années consécutives. Pendant son temps de service, le bouleute était rémunéré (rien de mirobolant) et nourri aux dépens du contribuable.
Il y avait une présidence de l'État athénien, qui durait vingt-quatre heures. Le président ou épistate était tiré au sort parmi les cinquante prytanes du groupe tribal entré en fonction (un groupe relayait l'autre tous les trente-six jours). Chaque citoyen était susceptible de devenir un jour président. Les membres du tribunal du peuple, l'Héliée, se recrutaient également par tirage au sort, toujours parmi des volontaires.
Les trois pouvoirs, le pouvoir législatif (l'Ekklesia), le pouvoir exécutif (la Boulê) et le pouvoir judiciaire (l'Héliée), étaient séparés. Montesquieu s'en est souvenu dans L'Esprit des lois (1748). La cooptation de l'un à l'autre était rendue impossible par le tirage au sort. Les Athéniens étaient des hommes pragmatiques. Ils ne croyaient pas à la bonté naturelle de l'homme. Ils avaient compris qu'un type qui se sent la " vocation " de gouverner est précisément la dernière personne à qui l'on devrait confier le pouvoir. Même les plus vertueux succombent à son attrait. Ils inventèrent donc, pour les pouvoirs exécutif et judiciaire, un système de sélection procédurier, basé sur des examens préalables et, à certains niveaux, le hasard contrôlé (stochocratie partielle), et l'assortirent d'une clause de non-cumul et de non-renouvellement des mandats.
La démocratie athénienne encourageait l'amateurisme et se donnait les moyens de le conserver. La procédure de l'ostracisme était lancée dès lors qu'un citoyen soupçonnait un autre citoyen riche et charismatique de vouloir tirer avantage de sa position pour tenter un coup de force. La formule combine plusieurs modes de fonctionnement, mais ne les multiplie pas non plus à l'excès. Elle est relativement bien balancée. Il serait intéressant de la réévaluer à l'aune des expériences de la démocratie associative.

Auteur: Rouziès-Léonardi Bertrand

Info:

[ historique ] [ Grèce antique ] [ société ]

 

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résumé de livre

À force d’entendre les têtes plates citer en toute occasion Le Choc des civilisations de Samuel P. Huntington, j’ai voulu me faire une idée. À mesure que je progressais dans les chapitres, je me suis rendu compte que lesdites têtes plates n'avaient jamais ouvert leur bréviaire. Sans se soucier le moins du monde de son contenu, elles pensent tenir là, dans ces pages émaillées de schémas et de courbes, une sorte de rapport dans lequel un expert visionnaire fournit la preuve scientifique du péril que l’islam représente pour la civilisation occidentale. Fussent-elles allées dans leur lecture au-delà du titre, elles eussent déchanté. Le Choc des civilisations n’a rien d’un livre apocalyptique ni même d’un traité belliciste néoconservateur. Huntington entend simplement démontrer que la mondialisation du modèle techno-scientifique et consumériste occidental n’ayant pas abouti à l’homogénéisation des cultures, ni à un consensus sur la démocratie libérale, elle risque d’entraîner le réveil d'identités culturelles, et, très probablement, leurs affrontements.

Contrastant avec la brutalité marketing du titre — choisi pour trancher avec le livre de Francis Fukuyama, paru en 1992, La Fin de l’Histoire — le texte reste très prudent, son vocabulaire très politiquement correct. Huntington use du mot "conflit" plutôt que du mot "guerre", écrit "influence" au lieu de "domination", ne parle pas de terrorisme. Quant à l’islam — et à sa "résurgence" —, il ne lui consacre qu’une cinquantaine de pages dans un volume qui en contient cinq cents.

Concernant l’avenir du monde, rien n’y est affirmé, tout y est conjecturé. Le livre date de 1996. Sous un ton docte, Huntington ne fait qu’exprimer le désarroi dans lequel se trouvent, à cette époque, les "stratèges" du gouvernement des Etats-Unis. Avant la chute du Mur de Berlin, deux mondes s’affrontaient : le monde dit libre et le monde dit totalitaire. Le bloc soviétique effondré, comment la civilisation suprême redessinerait-elle la carte du monde — autrement dit, quelle place donnerait-elle ou confisquerait-elle aux Européens, aux Asiatiques, aux Africains, aux Russes, aux Arabes, aux Latino-Américains, bref, aux non-étasuniens? Telle est, n’en déplaise aux têtes plates, la seule interrogation de Huntington, interrogation qui lui permet d’avancer la thèse selon laquelle, désormais, les nations ne s’entrechoqueront plus à cause de rivalités économiques ou territoriales mais à cause de différences culturelles — ou, inversement, les nations ne se regrouperont et ne s’allieront plus contre d’autres selon des convergences stratégiques mais par affinités de mœurs et de cultes. Quand on voit les rivalités intracontinentales des pays européens, africains, latino-américains, asiatiques, rien ne semble plus fantasque que la thèse de Huntington. Que dire des nations du "monde musulman" où, plus que partout ailleurs, l’inimitié fait rage — entre sunnites et chiites, entre kurdes et turcs, entre perses et arabes, etc. — les unes et les autres soutenues par des États occidentaux et "chrétiens" eux-mêmes rivaux. Qui peut croire que c’est en raison de proximités culturelles et cultuelles que les États-Unis et Israël sont les alliés de l’Arabie saoudite, du Pakistan et de l’Égypte, la Russie l’amie de l’Iran, de la Syrie et à présent de la Turquie?

Avant de lire Huntington, je m’attendais à tomber sur un disciple de Carl Schmitt qui reprendrait la dualité ami/ennemi, or j'ai eu affaire à un sage rejeton de Kant défendant l’idée que toutes les cultures et toutes les religions — y compris, bien sûr, les diverses obédiences mahométanes —, par-delà leurs différences, ont des "valeurs fondamentales communes" et que c’est en établissant à une échelle supranationale la "règle des points communs" que les dirigeants des pays œuvreront à une Civilisation universelle. Et, pour montrer qu'un tel idéal est possible, Huntington prône in fine comme modèle la cité moderne de… Singapour ! En lisant ce dernier chapitre, je ne doutai plus qu'il y avait tromperie sur la marchandise, qu'il eût été plus honnête de la part du bon professeur Huntington d'intituler son livre: Vers la paix entre les civilisations.

Auteur: Schiffter Frédéric

Info: Publication facebook, 05.10.2021

[ idéologies ] [ géopolitiques ] [ synthèse ]

 

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développement durable

Lutter contre le nucléaire, la création d’un centre commercial, d’une rocade ou de tout autre grand projet nuisible en multipliant les comités de défense locaux, cela nous paraît une stratégie essentielle de l’écologie politique. Mais marcher vaguement "pour le climat", à l’instar des manifestations médiatiques qui se développent actuellement dans les métropoles, cela a-t-il un sens ?

Curieuse époque en effet où certains marchent, nagent, rament, pédalent, tricotent… "pour le climat" comme d’autres font des processions pour faire tomber la pluie. On pourrait néanmoins trouver sympathiques ces happenings s’il s’y tenait des propos d’un quelconque intérêt. Mais qu’y entend-on ? "Bouffe ma chatte, pas la planète", "Si y’a plus de terre, y’a plus de bière", "Pas d’climat pas d’chocolat"… Dans le même esprit, les militants d’Extinction Rebellion avaient accroché en mai dernier, sur le palais de la Bourse de Bordeaux, une banderole géante qui clamait : "Chirac, reviens !" (Pour reprendre les essais nucléaires ? Buter quelques Canaques de plus ?) Leur prétendu second degré masque mal leur indigence politique. Comme le reconnaît ingénument Greta Thunberg, l’égérie de Youth for Climate : "Mais je ne parle jamais de politique, tout ce que je dis, c’est que nous devons écouter la science. […] Nous n’avons pas l’éducation qu’il faut pour nous permettre de formuler des demandes, il faut laisser cela aux scientifiques." Quand on sait que ces mouvements sont financés par des fonds abondés par des multinationales et des multimillionnaires (le Climate Emergency Fund entre autres) pour promouvoir l’imposture de la transition énergétique (à l’échelle industrielle, les énergies renouvelables ne se substituent pas aux énergies fossiles, mais les requièrent et s’y ajoutent) et relancer une croissance verte avec le Green New Deal, on comprend mieux ce qui est en jeu et le "sens" de ces manifestations.

Parmi toutes les catastrophes en cours ou quasi achevées après deux siècles de capitalisme industriel : catastrophes écologique, culturelle, esthétique, intellectuelle, sociale, morale, politique, démographique… – sans parler de l’effondrement financier et économique qui peut nous tomber dessus à tout instant –, la catastrophe climatique est la seule à bénéficier d’un tel battage médiatique et à faire sortir tant de gens dans la rue. C’est surtout l’une des seules pour lesquelles l’ingénierie et l’industrie prétendent encore apporter des remèdes. Des remèdes technologiques bien sûr, comme si l’on pouvait soigner le mal par le mal : pulvériser des particules de soufre dans la haute atmosphère, séquestrer le carbone dans les sols, alcaliniser et fertiliser les océans avec du sulfate de fer, capter directement le CO2 de l’air pour le stocker, lancer un parasol spatial, ensemencer des nuages marins… nos savants fous ne manquent pas d’idées folles, et légitiment en passant l’énergie nucléaire, qu’ils osent nous vendre comme une "énergie propre".

Ces mises en scène d’un catastrophisme d’État sous couvert d’"état d’urgence climatique" sont-elles autre chose qu’une vaste propagande pour "l’adaptation à de nouvelles formes de survie en milieu extrême" (1) ? Avec pour corollaire une gestion totalitaire des populations, puisque "la préservation du taux d’oxygène nécessaire à la vie ne pourra être assurée qu’en sacrifiant cet autre fluide vital : la liberté (2)", comme le redoutait déjà Bernard Charbonneau il y a quarante ans.

Leur nombre élevé procure aux manifestants qui tournent en rond "pour le climat" un sentiment de puissance bien illusoire. Pour Günther Anders, "seuls travaillent à l’aide de happenings ceux qui n’ont pas de pouvoir, ceux qui n’ont pas réellement la possibilité de changer ou de détruire effectivement l’institution qu’ils combattent. Les happenings sont tous sans exception des manifestations de détresse ou de substitution et parfois même des actes de désespoir à l’aide desquels ceux qui n’ont pas de pouvoir peuvent exposer leurs revendications (3)". Les Gilets jaunes, même s’ils manifestent eux aussi leur impuissance, ont su créer des lieux de rencontre et de débat où l’on parle de politique, de démocratie directe en particulier. Ce pourrait être un premier pas vers une contre-société libre, égale et fraternelle, à condition de construire dès à présent des contre-institutions libertaires.

Car l’extinction de la vie sur terre continuera tant que nous n’aurons pas repris notre souveraineté à la toute-puissante technocratie.

Auteur: Les Amis de Bartleby

Info: Tribune parue dans la Décroissance n°165, pages 30-31, consultable sur https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2019/12/11/une-tribune-dans-la-decroissance/. Notes : 1. René Riesel, Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, EDN. 2. Bernard Charbonneau, Le Feu vert, Parangon. 3. Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme, t. 2, Fario.

[ greenwashing ] [ gesticulations collapsologiques ] [ brassage d'air ]

 

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gestion capitaliste avancée

Peut-être faudrait-il considérer le citoyen non pas simplement comme un électeur en colère, mais comme un consommateur politique pressé d'acheter.

La question de la consommation nous entraîne au coeur de la nouvelle économie, et en particulier des pratiques de la société géante Wal-Mart. Ce distributeur mondial pratiquant le discount employait 1,4 million de salariés à travers le monde en 2004 ; avec 258 milliards de dollars de recettes, il représentait "2% du PIB américain et huit fois la taille de Microsoft". Cette nouvelle société a innové sur le plan de ses fournisseurs, faisant appel à une industrie chinoise en plein essor, et dans son utilisation des technologies avancées. Selon le McKinsey Institute, Wal-Mart est l'acmé même de l'entreprise de l'arête tranchante (cutting edge), avec sa productivité assise sur une "innovation managériale continue", laquelle a concentré le pouvoir au centre du géant, a laissé les syndicats démunis, traitant sa masse de salariés comme s'il s'agissait d'employés provisoires et temporaires. Pour les consommateurs, l'attrait de ce mégalithe tient à ce qu'ils trouvent au même endroit tout ce qu'ils peuvent désirer acheter : vêtements, produits auto, alimentation, parfum, ordinateurs, etc... La centralisation du commandement paraît se refléter dans la position du consommateur qui déambule dans les allées de Wal-Mart, tous les articles étant disponibles instantanément - les habits se trouvant à quelques pas seulement des ordinateurs. Bien que ses employés, si j'en crois mon expérience, soient pour la plupart serviables, le vendeur, en tant que représentant d'une classe, a été évacué chez Wal-Mart du processus de consommation : il n'y a pas ici de médiation ni de persuasion sur le mode du face-à-face. En cela, la société ressemble aux autres bureaucraties de l'arête tranchante qui ont écrémé leur couches de personnel intermédiaires, interprétatives. La décision relative au produit discount à acheter dépend de l'image et du marketing en général.

Si absurde que cela puisse paraître, nous pourrions préciser ainsi la question sur l'économie et la politique : les gens font-ils leur marché parmi les politiciens comme ils font leurs courses chez Wal-Mart? Pour dire les choses autrement, l'emprise centralisée des organisations politiques s'est-elle accrue aux dépens de la politique des partis, locale et médiatrice? Le marchandisage des dirigeants politiques a-t-il fini par ressembler à celui de la vente de savonnettes, avec des marques aussitôt reconnaissables que le consommateur politique choisirait sur les rayonnages?

Si la réponse à toutes les questions qui précèdent est oui, le coeur de la politique devient le marketing, ce qui paraît mauvais pour la vie politique. L'idée même de démocratie requiert la médiation et discussion en face-à-face ; elle requiert la délibération plutôt que le packaging. Suivant cet axe de pensée, on observerait avec consternation que tous les artifices séducteurs de la publicité sont désormais utilisés pour vendre les personnalités et les idées des politiciens ; plus subtilement, de mêmes que la publicité rend rarement les choses difficiles à la clientèle, le politicien fait tout pour être d'achat facile.

C'est cette réponse évidente que j'entends contester. Non qu'elle soit fausse, mais le fait est que la nouvelle économie rend le marketing et la politique plus compliqués. Wal-Mart a certainement opprimé ses employés, mais ce groupe répond à un véritable besoin de la clientèle. Il faudrait être snob pour regarder de haut les produits bon marché; devrions-nous regarder de haut la politique "bon marché" ? La version politique du mégastore pourrait réprimer la démocratie locale mais permettre, comme le fait la publicité, la fantaisie individuelle ; éroder le contenu et la substance de la politique, mais stimuler l'imagination pour le changement.

Le politiquement droit n'y verra que frivolité intellectuelle. Les avatars du nouveau capitalisme ont cependant plaidé avec force que les nouvelles structures mobilisent l'imagination du changement. Il nous faut au moins garder l'esprit ouvert sur les façons dont les hommes politiques sont aujourd'hui vendus, et les institutions qui les vendent, même si cet effort pour garder l'esprit ouvert en la matière, il me faut l'admettre, m'est personnellement difficile, puisque la disparition de la politique locale, médiatrice, me paraît être une blessure fatale. Si l'économie continue de se diriger vers le modèle de l'arête tranchante, cependant, et que les idéaux politiques demeurent empreints de nostalgie, l'idéal n'est plus qu'un regret impuissant.

Auteur: Sennett Richard

Info: La culture du nouveau capitalisme

[ hard discount ] [ émergence des extrêmes ] [ inégalités ] [ analogie ] [ efficacité managériale ]

 

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intolérances

Vincent Nordon fait un post pour dire qu’il ne dira rien de ce qui se passe actuellement à Gaza. Je le comprends parfaitement. Et c’est justement parce qu’on ne peut rien dire, ou plutôt, parce que les choses sont organisées de telle sorte qu’on ne puisse rien dire.

Il y a, de fait, collusion entre la droite israélienne au pouvoir et le Hamas. Les deux ont besoin l’un de l’autre : plus l’armée israélienne détruit et tue (des innocents ou pas des innocents – mais, essentiellement, hélas, des innocents), plus le Hamas est fort. Une seule roquette d’un criminel fanatique du Hamas est rendue plus forte que toutes les opérations militaires israéliennes, à cause, justement, de la disproportion. Et ça va continuer, parce que personne n’a l’intention de dire au gouvernement israélien que ça suffit. L’existence du Hamas dépend de la guerre. Et, ça, pour une raison claire. La seule réponse aux fascistes musulmans est l’ouverture totale des frontières, la destruction de tous les murs, et le début d’une coopération économique. Cela, personne, n’en veut. Parce que ce pourrait être le début de la paix. Avec la paix viendrait la question de la démocratie : c’est-à-dire de savoir si une vie arabe vaut une vie juive, et ce qu’il en serait d’un État juif dans lequel les Arabes pourraient, un jour, avoir une majorité démographique. Parce que le problème est celui-là : si la démocratie est la démocratie de l’État juif, elle ne vaut, objectivement parlant, que pour les Juifs – et donc, qu’on le veuille ou non, qu’on proteste ou non, elle s’apparente à celle de l’apartheid : la démocratie pour les blancs, et pas pour les autres.

Israël ne tient que par la confusion créée par le gouvernement israélien entre Israël et les Juifs. Comme si les Juifs devaient obligatoirement, en tant que Juifs, être solidaires de la politique de l’État créé par des Juifs pour les Juifs. C’est aussi la confusion qu’entretiennent les organisations sionistes ou confessionnelles : critiquer Israël, ou tel ou tel aspect de la politique d’Israël, c’est mettre en cause l’existence même de l’Etat d’Israël, et donc être antisémite. Ce saut, ici, en Bretagne, nous le voyons tous les jours, à l’échelle infime du nationalisme breton : si je critique les nationalistes bretons, je suis anti-breton. Cette accusation est la base même de toute rhétorique nationaliste. Pour Israël, la monstruosité est que, derrière les accusations d’antisémitisme, il y a, réellement, la longue histoire des persécutions anti-juives, et le génocide hitlérien. Le fait d’utiliser la tragédie de l’hitlérisme pour se laver de toute critique dans l’ici-et-maintenant est, au sens strict du terme, désarmant. C’est exactement le but : on ne devrait pas pouvoir critiquer un État qui entretient Yad Vashem, et qui a accueilli à sa naissance un tel nombre de survivants de l’Holocauste. Si on le critique, on paraît, tout de suite, criminel. Et Israël peut donc continuer d’appliquer des punitions collectives pour des faits individuels, c’est-à-dire de faire ce que faisaient les bolcheviks, et, hélas… pas que les bolcheviks.

Mais la monstruosité n’est pas que celle d’Israël, loin, très loin de là. La résurgence de l’antisémitisme à travers le monde, et en France – avec, en parallèle, la montée de l’islamisme intégriste -, voilà ce à quoi nous sommes confrontés maintenant. Entre les fous furieux, assassins en puissance, en keffieh ou non, qui crient "Mort aux Juifs" dans les rues de Paris pendant des manifestations qui prétendent être solidaires de la Palestine, et les crétins israéliens qui regardent tomber les bombes sur Gaza comme on regarde un feu d’artifice, ou cette députée d’extrême-droite qui dit à la Knesset qu’il faut tuer toutes les mères de Gaza, parce qu’elles engendrent des terroristes (et qui le dit sans qu’il y ait de suite judiciaire à ce qu’elle dit) – que dire ? que faire ?

Une fois encore, même si ça ne sert à rien, proclamer le principe fondamental de la laïcité, de la non-appartenance identitaire comme seule base possible de la vie en commun. Rester, sans trop d’espoir, sur les rives de Babylone, en se rappelant la blague juive la plus courte qui existe : "C’est un Juif qui rencontre un autre Arabe…" Et se taire, les poings serrés de rage.

Auteur: Markowicz André

Info: Partages, tome 2, 20 juillet 2014. Sur un silence obligé

[ dogmes ] [ communautarismes religieux ] [ sécularisme ]

 

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pouvoir

Cela porte un nom: ploutocratie
L'interventionnisme sert à enrichir les riches et appauvrir les pauvres; le non-interventionnisme sert à enrichir les riches et appauvrir les pauvres.
Face à l'interventionnisme sans précédent des Etats pour sauver un secteur financier en échec depuis 2008, d'aucuns ont cédé à la tentation facile d'une critique libérale qui a identifié son unique coupable: l'Etat. Ainsi, l'étatisme serait le responsable de tous les maux actuels. Mais ces penseurs, hors de la réalité, ne voient que la partie du problème qui les arrange. Car la critique libérale de l'interventionnisme échoue totalement à expliquer le non-interventionnisme obstiné par lequel, l'autre moitié du temps, ce même Etat faillit entièrement dans la régulation et l'imposition de sanctions un tant soit peu opérantes contre les abus du système financier.
J'ai écrit ici en août dernier que le capitalisme de marché n'a jamais existé, car il n'existe qu'à temps partiel: uniquement quand ses promoteurs, l'élite de la finance, en retirent d'énormes profits. Et qu'il cesse d'exister quand ces derniers en retirent des pertes. Le capitalisme libéral s'avère donc aussi utopique que le communisme sous l'URSS.
Un "libre marché" subventionné
Aux Etats-Unis, lorsque la période est à l'euphorie boursière, le système se fait ultra-libéral et dérégulateur pour permettre aux acteurs des marchés de maximiser leurs gains, libres de toute contrainte réglementaire. L'Etat et les autorités de surveillance démissionnent, les standards de l'éthique s'effondrent, comme ce fut le cas aux Etats-Unis avant 2000 (crise des valeurs technologiques), avant 2002 (scandales comptables) et avant 2008 (crise des subprimes). Aux Etats-Unis, quelque 250 lois et réglementations fédérales et étatiques favorisant la protection de l'épargne ont ainsi été démantelées depuis les années 1980 à la demande des banques, ouvrant l'ère du crédit prédateur qui a mené à la crise des subprimes.
Mais lorsque la période est au krach boursier, la finance sollicite l'interventionnisme maximal de l'Etat et des banques centrales, sommés de subventionner les chantres du non-interventionnisme. Le système se fait étatiste au plus haut degré pour protéger les acteurs du "libre marché" de toute perte ou sanction, alors qu'ils ont échoué. Ainsi, quand l'Etat intervient, c'est pour enrichir les riches, et quand il s'abstient d'intervenir, c'est aussi pour enrichir les riches. Le système s'autorise à être ultra libéral à la hausse et hyper interventionniste à la baisse, opérant dans les deux cas une redistribution dans un seul sens: de la base vers le haut. Il ne s'agit donc pas d'être pour ou contre l'interventionnisme étatique, mais contre le mélange prédateur des deux, savamment organisé pour n'agir que dans l'intérêt du secteur financier. Un interventionnisme qui agirait pour sauver à la fois les banques et les plus démunis de la société serait plus défendable que le présent système. Un non-interventionnisme qui laisserait les banques faillir, et priverait aussi de protection les moins favorisés, serait plus défendable que le présent système.
Mais le système actuel, où l'élite gagne à tous les coups, porte un nom. Et ce n'est pas l'étatisme. C'est la ploutocratie (gouvernement par la classe des riches). Les Etats-Unis, modèle dominant de notre ère, ne sont pas une démocratie, mais une ploutocratie. Nous vivons en ploutocratie. Francis Fukuyama, auteur de La fin de l'histoire, a récemment écrit plusieurs essais sur la ploutocratie américaine. D'après le magazine The American Interest, les Etats-Unis, qui étaient une ploutocratie industrielle en 1890-1920, sont devenus une ploutocratie financière dès les années 1990. L'élite de la finance, lobby désormais plus puissant que celui de la défense, sponsorise aujourd'hui l'Etat afin qu'il serve ses intérêts. C'est ainsi qu'aucun dirigeant financier n'a eu à répondre des abus sans précédent de la spéculation sur les subprimes, alors que 50 millions d'Américains sont à la soupe populaire. Les amendes payées par Wall Street représentent moins de 5% des profits engrangés durant la bulle. Et des scandales outranciers comme les manipulations du taux LIBOR resteront probablement impunis. A chaque euphorie, le non-interventionnisme de l'Etat aboutit à sur enrichir les élites financières (25 gérants de hedge funds ont gagné, sur la seule année 2006, autant que le PIB de l'Islande), et à chaque crise l'interventionnisme appauvrit les pauvres: entre 1970 et 2008, le revenu de 0,1% des plus riches a progressé de 385%, tandis que le revenu de 90% de la population n'a pas bougé. L'impunité fait partie de la ploutocratie, tout comme le non-interventionnisme, dans la mesure où c'est un non-interventionnisme acheté.

Auteur: Zaki Myret

Info: 28 octobre 2012

[ fric ] [ injustice ] [ avidité ] [ société ] [ USA ]

 

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chauvinisme idiomatique

La logique des mots

Que vient faire la langue dans la géopolitique ? Comprendre la vision du monde de V. Poutine suppose qu’on s’intéresse de près à cette question, qui attire peu l’attention en Europe occidentale, à l’exception de la Catalogne.

Le russe et l’ukrainien sont des langues différentes mais proches, comme sont proches l’espagnol et l’italien, mais moins que le tchèque et le slovaque, langues officielles de deux États différents, moins encore que le serbe et le croate, pratiquement identiques.

Après des siècles d’interdiction et de répression de la langue ukrainienne dans la Russie tsariste, puis de russification des normes de l’ukrainien sous Staline, l’immense majorité des citoyens ukrainiens sont bilingues, ou du moins comprennent parfaitement l’autre langue. Beaucoup d’entre eux parlent un mélange des deux langues, appelé le surzhyk, ou passent d’une langue à l’autre en fonction des interlocuteurs ou de la situation. Il est donc impossible de faire des statistiques fiables sur la répartition des langues, même si la question de la langue fait partie des recensements de population. Le gouvernement ukrainien a peut-être été maladroit d’imposer l’ukrainien comme seule langue officielle et de transformer le russe en langue étrangère au même titre que l’anglais, ce qui a profité à la démagogie poutinienne qui a argumenté sur la "répression" dont seraient victimes les "Russes" en Ukraine. Or "les Russes" en Ukraine ne sont pas "des Russes". Une nuance sémantique fondamentale doit être prise en compte : en Europe orientale certains pays font une différence entre "nationalité" et "citoyenneté". La citoyenneté est l’appartenance à un État (définition politique, non essentielle), la nationalité est une identité ethnique (essentielle, inaliénable). La nationalité se définit, entre autres, par la langue. Sur les papiers d’identité soviétiques était inscrite la "nationalité" : russe, ouzbèque, lettone, juive, ukrainienne… En 1975 A. Soljenitsyne a été privé de sa citoyenneté soviétique, mais les sbires du KGB n’auraient jamais eu l’idée de le priver de sa nationalité russe, idée dénuée de sens. Cette double appartenance subsiste dans la Russie post-soviétique (même si elle n’est plus mentionnée sur les papiers d’identité), mais pas en Ukraine, où tous les citoyens sont ukrainiens au même titre que ceux dont la langue maternelle est le hongrois ou le roumain.

Dans cette logique du point de vue russe, les Suisses romands, parce qu’ils sont francophones, sont des citoyens helvétiques de nationalité française, qui rêveraient de réintégrer un jour la mère-patrie, comme les Tessinois des citoyens helvétiques de nationalité italienne, injustement séparés de la mère-patrie, logique irrédentiste. A l’inverse, les Bretons, les Basques et les Alsaciens sont, toujours de ce point de vue, des citoyens français, de nationalité bretonne, basque ou alsacienne.

Cette définition de l’identité, ou appartenance d’un individu à un groupe remonte à l’opposition entre la définition française jacobine, politique, de la nation, et la définition allemande, romantique, culturelle, d’où la différence entre Gemeinschaft (essentielle, naturelle) et Gesellschaft (superficielle, non essentielle) (un thème récurrent de l’idéologie völkisch au début du XXe siècle).

Toute comparaison doit être maniée avec précaution, mais une s’impose : en 1938 pour Hitler les citoyens tchécoslovaques de langue allemande étaient "des Allemands", dont le territoire (les Sudètes) devait revenir dans le giron de la nation. Pour Poutine, les citoyens ukrainiens de langue maternelle (ou principale) russe sont "des Russes" avant d’être des citoyens ukrainiens. Il est donc logique, dans cette idéologie déterministe, que le territoire où ils sont en majorité revienne à la mère-patrie, dont ils n’auraient jamais dû être séparés. Mais cette logique a un prix : le mépris total de tout choix démocratique, de toute auto-détermination, puisque, dans ces conditions, l’individu n’existe pas en dehors du groupe auquel il est censé appartenir : la "nation" au sens ethnique.

La logique des mots

Le discours de Poutine n’est pas raciste (au sens biologique), mais ethniciste. Or, au final, la différence n’est pas grande, puisque pour lui la démocratie n’est qu’une faiblesse décadente, un facteur de division, et que seul compte le déterminisme ethnique. Chauvinisme, xénophobie et mépris du droit en sont l’expression la plus manifeste.

Quant Poutine prétend défendre ce qu’il appelle "nos concitoyens" ou "nos compatriotes" opprimés en Ukraine, il est indispensable de décoder ces mots démagogiques dont le sens premier a été détourné. Considérer que l’appartenance ethnique prime sur l’appartenance citoyenne est une idéologie politique dangereuse, qui repose sur l’idée de pseudo-naturalisme, à savoir que tout russophone, quelle que soit sa citoyenneté, est en même temps redevable de son être profond à l’État russe.

La Lettonie (membre de l’UE), où réside une importante minorité russophone, sera-t-elle la prochaine cible de la reconstitution de l’Empire soviétique ? La fragile Moldavie, presque bilingue, n’est-elle pas encore plus en danger ?

Auteur: Sériot Patrick

Info: Journal Le Temps, février 2022

[ dialectes parents ]

 

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