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homme-animal

La conscience du Dauphin
Bien entendu, les modèles du monde ne manqueront pas de différer selon le degré où les systèmes sensoriels périphériques diffèrent.
Le travail du cerveau est en effet, au moins en partie, de construire une réalité cohérente à partir de données sensorielles spécifiques, réalité qui constitue d’ailleurs la seule connue par celui qui l’expérimente au détriment de toutes les autres.
Dans le cas du dauphin, le système nerveux est celui d’un herbivore retourné à la mer, il y a quelques millions d’années, et ne diffère donc pas fondamentalement de celui de n’importe quel autre grand mammifère.
Le monde physique en revanche, au sein duquel il évolue, nous poserait à nous, humains, d’impossibles défis. C’est pourquoi les cétacés ont développé tout à la fois des formes physiques mieux adaptées au milieu marin mais surtout tout un outillage sensoriel susceptible des les aider à survivre dans un monde humide, froid et obscur, où règnent de fortes pressions.
Faire l’expérience d’une telle subjectivité est par définition une tâche impossible. Même entre époux, entre amis, entre enfants et parents, cette connaissance ne peut s’acquérir que par le biais maladroit du discours mais jamais nous ne pourrons accéder au "goût du monde" d’une autre espèce que la nôtre.
Il se fait heureusement que nos organes sensoriels et nos structures cérébrales sont des outils communs à tous les êtres humains, ce qui nous permet de fonder l’illusion d’un univers de formes stables et tangibles, dont l’existence fait l’unanimité mais que nous sommes les seuls à percevoir comme telles.
En revanche, nous sommes génétiquement incapables de nous figurer un monde filtré par d’autres sens que les nôtres, de la même manière qu’il nous est impossible de visualiser un cube en quatre dimensions ou simplement le monde des abeilles….
"Pouvez-vous imaginer l’expérience que représente le fait d’être sans cesse corrélé à une boussole solaire ?" nous demande le neurologue H.Jerison à ce propos "L’information consiste en la triangulation des objets externes relativement à un observateur (le je) et au soleil comme point de référence. Si cette réaction devait être représentée en terme de perception, on pourrait dire que l’abeille ou la fourmi ressent de manière constante l’existence des points cardinaux au sein d’un monde tridimensionnel de type euclidien. Si notre système sensoriel était celui des hyménoptères, c’est cela la seule réalité que nous pourrions percevoir.
L’intégration de deux points de référence, le soi et le soleil, plutôt qu’un seul soi unitaire en tant qu’origine et centre d’un monde périphérique, doit certainement mener à d’autres perspectives sur les dimensions fondamentales de la réalité. Il est intéressant d’imaginer les catégories additionnelles que Kant aurait pu reconnaître en tant qu’à priori si nous avions été équipés d’un tel système de navigation!"
Les expériences de Louis Herman nous apprennent que les dauphins partagent tout de même les mêmes dimensions que nous : le haut, le bas, la gauche la droite, devant, derrière, tout cela existe chez eux mais il semble qu’ils ignorent la nuance entre les adjectifs "grand" et "petit" et qu’ils construisent leurs phrases selon un mode syntaxique particulier. Ces expériences, profondément anthropocentristes, n’offrent qu’un pâle reflet d’un monde mental autrement plus riche et foisonnant en liberté, comme le montre avec bien plus d’éclat le très étrange langage delphinien mis à jour par le chercheur russe Vladimir Markov, mais elles sont à tout le moins significatives de la nature d’une conscience "autre" qui ne s’appuie pas sur nos paramètres.
Les sens et l’Umwelt
Imaginons un instant ce que pourrait être "l’Umwelt" d’un dauphin.
Au centre d’un réseau d’informations sensorielles qu’il ré-organise sans cesse en tant qu’images du monde, pulse un noyau de conscience conscient de lui-même.
La vision
Le monde visuel du dauphin peut être comparé à celui des espèces-proies, non prédatrices, comme le lapin ou le chevreuil, en ce sens que les champs visuels de ses yeux latéraux couvrent ensemble 360° mais qu’ils ne se chevauchent pas ou très peu.
L’absence de fibres non-croisées dans le chiasma optique suggère une plus large indépendance dans le contrôle des yeux et dans l’usage de l’information qu’ils fournissent, par rapport à ce que l’on observe chez les autres mammifères. Chacun des yeux est capable de mouvements propres, indépendants de ceux de l’autre œil et une certaine focalisation frontale peut donc être obtenue.
On peine cependant à imaginer un monde dans lequel le Soi se trouve ainsi de manière constante au centre d’un champ visuel circulaire de 360°.
Le nôtre, comme on le sait, se réduit à un cône de 120°.
Notre Soi se place juste derrière le front et les yeux, en vis-à-vis de l’objet focalisé par notre regard binoculaire et dans la ligne de fuite du cône, c’est-à-dire à peu près sur la glande pinéale. On comprend mieux dès lors la fausse intuition de René Descartes.
Incapables de distinguer le vert du rouge, les yeux des dauphins n’en sont pas moins d’une sensibilité extrême à l’instar des yeux de chat, percent l’obscurité et peuvent, d’une simple torsion de la rétine, adapter leur vision aux fonds marins ou à l’air libre. Par contre, le sens du relief leur est impossible, puisqu’ils ne sont pas binoculaires.
La "quasi-olfaction"
Le goût et l’odorat sont absents en tant que tels, remplacés par la "quasi-olfaction" qui consiste à filtrer une certaine quantité d’eau au travers de l’évent et à en goûter le parfum. Un tel sens est fondamental : le dauphin s’en sert pour repérer les femelles en rut autant que pour sentir les fèces de son groupe, nuage diffus de couleur foncée expulsé de manière régulière et qui donne à l’ensemble social une "odeur" propre.
Le toucher et le sens proprioceptif
Quiconque a jamais caressé la peau satinée d’un tursiops sait à quel point ce tissu est sensible, doux et fragile. Le sens du toucher joue lui aussi un rôle essentiel dans la vie de ces mammifères nus, qui n’aiment rien tant que de rester collés les uns contre les autres et d’échanger les caresses les plus voluptueuses.
Au niveau plus profond du sens proprioceptif, la différence avec nos perceptions s’accroît cependant encore davantage : "L’Umwelt des dauphins se fonde comme tout autre sur les caractéristiques de leur environnement" déclare Jerison, "et cet univers mental représente très certainement une adaptation cognitive optimale aux exigences environnementales du monde aquatique. A cet égard, l’un des traits principaux de cet univers marin – considéré depuis notre point de vue – est notamment l’absence d’une plate-forme stable tel que les mammifères l’éprouvent en se tenant sur la terre ferme".
Ce point est important, car le sol sur lequel nous nous tenons, le rôle essentiel de la gravité dans les adaptations anatomiques de la plupart des mammifères occupe une place centrale au plan biologique mais ne sont que rarement notées au niveau de la conscience vigile. Notre intuition s’épuise en revanche lorsque nous tentons d’imaginer les adaptations perceptuelles chez certaines espèces dont les données sensorielles sont profondément différentes des nôtres, et cela d’autant plus que nous ne sommes même pas conscients de notre propre spécificité sensorielle. Les informations relatives aux forces gravitationnelles qui s’exercent sur nos corps jouent également un rôle-clé chez le dauphin, mais d’une autre manière.
Celui-ci s’oriente en effet en "s’informant" régulièrement de la position de son corps par rapport aux fonds marins, à la surface de l’eau ou à la place du soleil au moment de l’observation.
Bien que les dauphins ne disposent d’aucun sol référentiel en guise de plate-forme fixe, mais qu’ils possèdent en revanche un degré de liberté dans les trois dimensions plus important que le nôtre, le sens de l’orientation spatiale est certainement fondamental pour eux. On peut imaginer ce que les cétacés ressentent en pensant à ces appareils d’entraînement destinés aux astronautes afin de les préparer à l’apesanteur.
Ces instruments sont de gigantesques balançoires, disposant de six degrés de liberté et permettant aux candidats pour l’espace de contrôler au mieux les diverses rotations possibles de leur axe corporel aussi bien que les mouvements de propulsion linéaire.
Si nous étions dauphins, nous nous trouverions dans un monde un peu semblable à celui d’un vol spatial à gravité zéro. Il est intéressant de noter à ce propos que l’expérience de l’apesanteur a crée chez les astronautes divers problèmes liés à cet environnement, telles que nausées, vertiges, migraines, etc. mais qu’elles n’ont cependant jamais altéré leur perception "juste" des choses.
Rappelons aussi, sans nous y étendre, à quel point la gestuelle constitue un mode de communication privilégié chez les dauphins : les degrés de liberté dont leur corps dispose leur a permis d’élaborer un véritable vocabulaire d’attitudes : ventre en l’air, en oblique, corps groupés par faisceaux, rostre au sol, caudale haute, inclinée, etc., le tout agrémenté ou non d’émissions de bulles et de vocalisations.
L’audition
Mais de tous les sens dont dispose le dauphin, c’est certainement l’audition qui est le plus développé et qui atteint des capacités discriminatoires sans aucun équivalent connu. Ce système sensoriel s’est transformé au cours des millénaires en écholocation, tout à la fois outil de connaissance (le monde externe "vu" par le son) et moyen de communication (le monde interne transmis par le langage). Cette convergence fonctionnelle ne manque pas d’entraîner des conséquences étonnantes !
D’après Harry J. Jerison : "Si le spectre auditif des dauphins est plus large que le nôtre de plusieurs octaves dans les fréquences les plus élevées, la caractéristique principale de ce système auditif est bien évidemment l’écholocation. Celle-ci pourrait contribuer à conférer au monde des dauphins une dimension inhabituelle, dépassant largement les perceptions élémentaires relatives aux événements survenant à distance. En tant qu’adaptation sensori-motrice, l’écholocation partage en effet certaines caractéristiques similaires à celles du langage humain".
Rappelons brièvement en quoi consiste cette vision acoustique d’un type inusité. Le dauphin émet en permanence – dès lors qu’il se déplace et cherche sa route activement – une série de "sons explosés" extrêmement brefs (moins d’une seconde d’émission continue). Ces "clicks" ne sont pas des sons purs mais des "bruits", d’inextricables petits paquets d’ondes situés sur des fréquences de 120 à 130 Khz et d’une puissance frisant parfois les 220 décibels. Ils retentissent sous l’eau comme une grêle de minuscules coups secs et nets enchaînés l’un à l’autre en de courtes séquences.
Les clicks sont émis sous forme d’un large faisceau, qui balaie par intermittence le sol sablonneux à la façon d’un projecteur. On peut donc dire que la nuit ou sous une certaine profondeur, le dauphin ne voit que lorsqu’il éclaire le paysage de ses éclairs sonores. Les informations reçues, assez grossières, concernent l’aspect du fond marin ou une masse importante, bateau ou autre cétacé.
Supposons à présent qu’un poisson soit repéré dans ce champ de vision "stroboscopique". Puisqu’il fait nuit, l’œil ne peut confirmer l’image en mode visuel.
Lorsque la chasse commence, le dauphin resserre alors le rayon de son biosonar et le dédouble en deux faisceaux.
Plus précis, mieux ciblés les trains de click bombardent le poisson sous tous ses angles et peuvent même pénétrer dans son corps en renvoyant l’image de ses organes internes.
Les deux trains de clicks sont produits presque simultanément, l’un à 20° à gauche de la ligne du rostre et l’autre à 20° sur la droite. Les deux rayons se chevauchent au point focal (0°) et fournissent une "visiaudition" de type, cette fois, binoculaire.
Un intervalle de 80 millièmes de seconde sépare l’émission de chacun des faisceaux, de sorte qu’en calculant le léger retard d’un écho par rapport à l’autre, le dauphin peut estimer la profondeur de champ et la distance qui le sépare de chaque élément de l’objet observé.
Se rapprochant de sa proie à toute vitesse, le dauphin n’a de cesse que de conserver le contact avec elle et multiplie la fréquence et l’intensité de ses trains de clicks, comme pour maintenir le "projecteur" allumé presque en continu.
Les ondes à haute fréquence ont une portée plus courte mais fournissent en revanche une bien meilleure définition des détails. En nageant, le dauphin opère un mouvement de balayage avec la tête avant d’obtenir une image complète de sa cible, que ses organes visuels conforteront par ailleurs.
S’il veut obtenir davantage de détails encore sur son contenu, le dauphin la bombardera alors sa cible à bout portant, d’un faisceau de clicks aussi fin et précis qu’un rayon laser.
Celui-ci pénètre la matière et en estime la densité avec une incroyable précision : la nature d’un métal (zinc plutôt que cuivre) ou des variations de l’épaisseur d’un tube de l’ordre d’un millième de millimètres sont alors parfaitement perçus par cette échographie biologique.
Une telle "vision acoustique" nous sera à tout jamais inimaginable, comme la couleur rouge l’est pour l’aveugle. Néanmoins, au prix d’une comparaison grossière, on peut mettre en parallèle la pluie d’échos que perçoivent les cétacés avec les pixels que l’œil humain perçoit sur un écran de télévision. Les pixels dessinent très rapidement une image en se succédant l’un à l’autre et laissent sur la rétine du téléspectateur une série de rémanences qui figurent le mouvement et les formes. Une scène visuelle est ainsi décodée à partir d’une séquence de taches ultra rapides surgissant sur l’écran. De la même manière, une expérience éidétique similaire est sans doute générée par les données discrètes de l’écholocation (clicks).
L’information pourrait être alors parfaitement comparable à celle que l’on obtient grâce au bombardement de photons dans le système visuel, à ceci près qu’elle parviendrait par un autre canal, en l’occurrence le canal auditif.

Auteur: Internet

Info: http://www.dauphinlibre.be/dauphins-cerveau-intelligence-et-conscience-exotiques

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compte-rendu de lecture

Les pépites de Charles S. Peirce

L’œuvre de Peirce est plutôt disparate, souvent dense et incontestablement précieuse. S’y inventent tout à la fois une notion très déterminée de l’épistémologie, une théorie de la vérité ou encore un rapport particulier à la logique. Entre autres.

Charles Sanders Peirce est un auteur que tout philosophe gagnerait à fréquenter, car il y trouverait, pour parler comme Russell, qui n’avait pourtant pas été tendre pour la théorie pragmatiste de la vérité, "des pépites d’or pur". Il est vrai qu’il faut pour cela s’armer de patience, car les obstacles à surmonter sont nombreux. Un peu comme Leibniz, Peirce est un polymathe, qui n’a jamais exercé de fonction universitaire durable et a laissé une œuvre très éclatée, composée d’une foule de petits textes, d’accès souvent difficile, entre lesquels il faut sans cesse naviguer. Il a adopté une morale terminologique propre à dissuader le lecteur le mieux disposé, pour traiter des sujets de surcroît le plus souvent très ardus. Une vue d’ensemble, comme celle offerte dans le présent ouvrage, est donc particulièrement bienvenue, même si elle se heurte à des difficultés dont l’auteur était bien conscient. Vouloir, en quelque trois cents pages, présenter à la fois la diversité des domaines abordés et la richesse des analyses élaborées tenait un peu de la gageure. Pour réussir, J.-M. Chevalier a choisi une écriture très dense et, faute de pouvoir le suivre dans tous les détails de son argumentation, il faut se contenter d’en prendre une vue on ne peut plus schématique.

Une épistémologie à inventer

Peirce est connu pour être le père du pragmatisme, mais l’auteur nous propose de voir aussi en lui l’inventeur de l’épistémologie. Ce faisant, il joue sur l’équivoque d’un mot qui, sous l’influence de l’anglais, ne signifie plus seulement philosophie des sciences, mais plus généralement théorie de la connaissance, le mot gnoséologie n’ayant jamais réussi à entrer dans l’usage. Si, au premier sens, l’affirmation est manifestement fausse, même dans le dernier cas elle ne va pas de soi, la théorie de la connaissance s’étant constituée, dès avant Peirce, en discipline bien établie (p. 10). Toutefois, entre l’Erkenntnistheorie des néo-kantiens et l’actuelle epistemology, il y a bien une rupture dont Peirce est l’un des principaux artisans, de sorte que l’épistémologie dont il sera question était bien alors "une discipline encore à inventer" (p. 9). La référence à Kant n’en est pas moins omniprésente. Comme pour ce dernier, il s’agit de rendre compte des conditions de possibilité de la connaissance, de sorte que la perspective transcendantale est conservée, mais sensiblement infléchie. Le rapport à Kant est en effet doublé d’un autre rapport, d’une tout autre nature, mais non moins important, à Mill. En cent ans, les sciences expérimentales avaient en effet connu un essor prodigieux et, sous l’influence de l’empirisme, on avait eu tendance à attribuer ce succès à l’induction. À la différence de Kant, il convenait donc d’adopter un point de vue historique et d’expliquer aussi le progrès des connaissances ; de même, contre Mill, il était urgent de constituer une nouvelle théorie de l’induction. Aussi l’auteur a choisi de prendre comme fil conducteur l’élaboration de cette pièce maîtresse de la nouvelle épistémologie (p. 6, 108), car, sans s’identifier, les deux tâches sont étroitement liées et mettent en particulier en valeur la place qu’occupe dans ces deux cas la logique.

L’examen de la question suit les quatre grandes périodes qui scandent la vie intellectuelle de Peirce : la recherche d’une méthode (1857-67) ; l’enquête en théorie et en pratique (1868-1884, la grande époque, où Peirce devient Peirce et pose les fondements du pragmatisme) ; lois de la nature et loi de l’esprit (1884-1902, l’audacieuse synthèse d’une métaphysique scientifique) ; pragmatisme et science normative (1902-1914, la remise en chantier du pragmatisme dans un cadre architectonique).

Peirce et la logique

Peirce est entré en philosophie, à l’âge de douze ans, "en tombant dans la marmite logique" (p. 15), et il tiendra pendant plus de quarante ans un logic notebook. Il a d’ailleurs laissé dans ce domaine des contributions de premier plan. Ainsi, il a découvert, indépendamment de Frege, et en même temps que lui, la théorie des quantificateurs ; mais cela n’intéresse que les logiciens et s’inscrit de plus dans une approche algébrique de la logique qui sera écartée au profit du logicisme ou de la théorie de la démonstration.

L’ouvrage insiste bien davantage sur l’élargissement considérable de l’idée de logique, qui aboutit à quelque chose de fort différent de ce qui s’enseigne sous ce nom aujourd’hui et qu’on a proposé d’appeler un socialisme logique (208). La logique est d’abord un art de penser et Peirce posera en "première règle de la logique" la maxime : "pour apprendre il faut désirer apprendre" (p. 210). De même, un lien étroit est établi entre logique et morale : "la pensée logique est la pensée morale" (p. 247) ; "pour être logiques, les hommes ne doivent pas être égoïstes" (p. 116 ; plus généralement, 114-119, 247-252)

Un autre trait caractéristique de Peirce est de maintenir les liens existants depuis Aristote entre logique et métaphysique ; et cela de deux façons. Il y a d’une part la théorie des catégories, présente dès le départ, sous l’influence de Kant. Très vite, elles prennent la forme d’une triade (priméité, secondéité et tiercéité) qui sert de trame à bien des constructions ultérieures. L’auteur montre bien que cette théorie occupe une place assez déconcertante pour que Peirce se soit vu obligé de "se défendre d’une tendance pathologique à la triadomanie" (p. 226). Plus classique, il y a aussi la question du réalisme et des universaux, qui témoigne d’une connaissance de la logique médiévale très rare à l’époque. Peirce abandonnera vite son nominalisme initial pour adhérer à un réalisme hautement revendiqué. Mais ce réalisme n’exclut pas un idéalisme à la Schelling : l’esprit n’est que de la matière assoupie (p. 199). Enfin, on retrouve la dimension morale de la logique, car la querelle des universaux n’est pas seulement spéculative : le nominalisme, qui ne reconnaît que les individus, est lié à l’individualisme, alors que le réalisme, qui reconnaît la réalité des genres, conduit à l’altruisme.

Fonder l’induction

Si les logiciens contemporains ignorent assez largement l’idée de logique inductive pour ne s’intéresser qu’à l’idée de conséquence valide, Aristote mettait pourtant déjà en parallèle induction et déduction. Quant à Peirce, son goût pour les schémas tripartites le conduit à introduire dès le début, à côté de celles-ci, une autre composante. Comme on l’a déjà signalé, Peirce se fait de la logique une idée très large. Pour lui, comme pour Descartes, logique est un peu synonyme de méthode. Elle doit en particulier rendre compte de la démarche des sciences expérimentales. Celles-ci utilisent la déduction (de l’hypothèse à ses conséquences), l’induction (on dit que ce sont des sciences inductives) ; mais cela ne suffit pas et déjà Comte, dans le Cours de philosophie positive, avait souligné l’intervention d’une troisième opération, qu’il appelait hypothèse, comme Peirce au début ; mais celui-ci pour souligner l’appartenance à la logique, parlera par la suite de rétroduction, ou d’abduction.

Pour comprendre la focalisation sur l’induction, il faut revenir au rapport qu’elle entretient avec l’épistémologie encore à inventer. Si l’induction est au cœur de la connaissance expérimentale, qui est à son tour, beaucoup plus que l’a priori, au cœur de la connaissance, alors l’épistémologie aura pour pièce maîtresse une théorie de l’induction. Le problème en effet ne porte pas seulement sur les conditions de possibilité de la connaissance. Il s’agit d’expliquer l’essor prodigieux des sciences expérimentales, l’efficacité de la connaissance. Dans le cadre transcendantal hérité de Kant, l’induction est pratiquement absente. De ce point de vue, la référence à Mill remplit une double fonction. L’auteur du System of Logic vient réveiller Peirce de son sommeil critique et lui rappeler que les sciences expérimentales seraient des sciences inductives. Mais il sert aussi de repoussoir, sa théorie de l’induction, et en particulier le fondement qu’il lui donnait, étant inacceptables. Peirce n’aura de cesse de trouver une solution qui ne fasse appel ni au sujet transcendantal, ni à l’uniformité de la nature et, preuve de l’importance qu’il accordait à la question, il en proposera d’ailleurs plusieurs.

La première, qui coïncide avec la naissance du pragmatisme, comprend deux composantes. De façon très novatrice, elle recourt massivement à la théorie des probabilités et aux statistiques, présentes dès les tout premiers travaux de Peirce, fidèle en cela à Boole, qui associait déjà logique et probabilité. L’approche était incontestablement féconde et Carnap rapprochera à son tour logique inductive et probabilité. Aussi l’auteur accorde une attention toute particulière aux développements extrêmement originaux consacrés à cet aspect. Mais simultanément, à un autre niveau, pour expliquer le succès de la connaissance, il faut mettre en place les concepts fondamentaux du pragmatisme entendu comme théorie de l’enquête et étude des différents moyens de fixer la croyance. L’accord entre ces deux composantes, approche statistique de l’induction et découverte de la vérité, va si peu de soi que Putnam a parlé à ce propos d’énigme de Peirce (p. 115) : pourquoi des fréquences, à long terme, devraient-elles guider des choix à court terme ?

La réponse mène au principe social de la logique, puisqu’elle opère un transfert psychologique de l’individu à la communauté. La conception fréquentiste ne pouvait attribuer de probabilité aux cas uniques. Pour résoudre la difficulté, Peirce propose d’interpréter chaque évènement possible comme le choix d’un membre de la communauté. Puisqu’il y a autant de choix que de membres, et que plusieurs membres peuvent faire le même choix, il devient possible de déterminer des fréquences. Le sujet transcendantal s’efface ainsi et cède la place à la cité savante : si la communauté agit conformément aux probabilités, elle connaîtra plus de succès que d’échec.

Avec le temps, la solution proposée en 1878 dans les Illustrations de la logique de la science s’avérera toutefois insatisfaisante et, après 1904, la reprise de la question obligera à remettre en chantier la théorie du pragmatisme. Tout commence par un mea culpa : "dans presque tout ce que j’ai publié avant le début de ce siècle j’ai plus ou moins mélangé hypothèse et induction" (p. 271). Alors que la première, en partant de l’expérience, contribue à la conclusion finale de l’enquête, l’induction, qui y retourne, ne fait qu’évaluer ce contenu. On remarquera que la place ainsi réservée à l’induction n’est pas du tout celle qu’on lui accorde d’ordinaire et qui veut que l’observation de différents cas isolés nous "soufflerait" la bonne explication. Ici, elle se borne à tester l’hypothèse, pour la valider ou l’invalider. Comme la déduction, elle augmente non pas nos connaissances, mais la confiance qu’on peut leur accorder. Les nouveaux développements sur la vraisemblance des tests empiriques conduisent à réviser toute la conception des probabilités, mais les effets de la confusion initiale s’étendent à la question des fondements. Sans disparaître, le besoin de fonder l’induction passe au second plan.

Pour l’épistémologue qui veut expliquer l’efficacité de la connaissance, l’abduction, c’est-à-dire la découverte de la bonne hypothèse, est une étape décisive et originale (p. 117). Ainsi, la démarche qui a conduit Kepler à rendre compte des mouvements célestes non plus par des cercles, mais par des ellipses ne relève ni de la déduction ni de l’induction. Dans cette dernière période, on assiste donc à une montée en puissance de l’abduction, qui a pour effet de distendre les liens entre logique et épistémologie. L’appartenance de l’abduction à la logique va en effet si peu de soi qu’il n’y a toujours pas de logique abductive. Alors que l’abduction a parfois été appelée inférence à la meilleure explication, il n’est pas sûr que la découverte de la bonne explication soit bien une inférence, au même titre que l’induction ou la déduction et on aurait plutôt tendance à l’attribuer au génie, à ce que les Allemands appellent Einsicht et les Anglais Insight. Peirce ira d’ailleurs dans ce sens quand il estimera que ce qui explique le succès de la connaissance, ce n’est pas tant la raison que l’instinct. L’esprit humain est le produit d’une sélection naturelle, ce qui fait qu’il est comme "accordé à la vérité des choses" (p. 274).

De cette brève présentation, il importe de souligner à quel point elle donne une image appauvrie et déformée de l’ouvrage. À regret, des pans entiers ont dû être passés sous silence. Ainsi, rien n’a été dit du rapport complexe de Peirce à la psychologie. La distinction établie entre le penser (l’acte, fait biologique contingent) et la Pensée (fait réel, objectif, idéal, la proposition des logiciens) lui permet de condamner le psychologisme, qui méconnaît cette distinction, tout en développant une théorie psychologique à laquelle l’auteur consacre de nombreuses pages. Rien n’a été dit non plus de la métaphysique scientifique décrite dans la troisième partie de l’ouvrage. Il en va de même encore de la sémiotique, à laquelle le nom de Peirce reste étroitement attaché, et qui est un peu à l’épistémologie ce que la philosophie du langage est à la philosophie de l’esprit. Un des grands mérites de l’ouvrage tient à la volonté de respecter les grands équilibres, et les tensions, à l’œuvre chez Peirce, et de faire sentir l’imbrication des différents thèmes. Le lecteur peut ainsi mesurer la distance entre ce qu’on retient d’ordinaire de Peirce et ce qu’on trouve dans ses écrits. À cet égard, l’ouvrage s’avère très précieux et même celui qui connaît déjà Peirce y trouvera à apprendre.

Cette qualité a toutefois un coût. La richesse de l’information s’obtient parfois au détriment de l’intelligibilité. À vouloir trop couvrir, il arrive que le fil directeur soit perdu de vue pour des considérations adventices, portant de surcroît sur des sujets souvent ardus, où il est facile de s’égarer. Sur cette épistémologie qui sert de sous-titre à l’ouvrage, le lecteur reste un peu sur sa faim. Au fur et à mesure, les différents matériaux de cette discipline à inventer sont mis en place, mais il aurait aimé les voir rassemblés, de façon à pouvoir se faire une idée de cette discipline en cours de constitution.

Ces quelques réserves ne doivent pas masquer l’intérêt considérable d’un ouvrage qui est le fruit d’une longue fréquentation de l’œuvre de Peirce. Les livres sur cet auteur ne sont pas si nombreux et celui-ci est incontestablement appelé à rendre de nombreux services. S’il n’est pas destiné à ceux qui ignoreraient tout du pragmatisme, il n’en constitue pas moins une introduction à une œuvre qu’on gagne à fréquenter. Pour quiconque veut travailler Peirce, c’est une véritable mine, à condition bien sûr de se donner la peine de chercher ces pépites dont parlait Russell.

Auteur: Bourdeau Michel

Info: A propos de : Jean-Marie Chevalier, "Peirce ou l’invention de l’épistémologie", Paris, Vrin, 2022, 313 p., 29 €. 20 octobre 2022

[ transdisciplinarité ] [ orthogonalité subjectif-objectif ] [ rationalismes instanciés ] [ abstractions ] [ vie des idées ] [ sociologie politique ]

 

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Ajouté à la BD par miguel

fascisme religieux

Mon père, l’Iran et les " musulmans modérés " 

Des jardins d’Isphahan aux rives de la Seine… Djahanguir Riahi, mon père, est né en 1914 à Natanz (Iran). Parti en France poursuivre des études d’ingénieur grâce à une bourse d’études, il se met au lendemain de la Seconde guerre mondiale au service des relations économiques Franco-iraniennes. Installé en Europe depuis la révolution islamique, son intuition artistique hors du commun lui a permis de réunir l’une des plus importantes collections d’œuvres d’art du XVIIIème siècle français. Il est mort dans sa centième année, le 28 avril 2014, après avoir été élevé au grade de Commandeur de La Légion d’Honneur ainsi que des Arts et des Lettres. Grand donateur des Musées Nationaux, une salle du Musée du Louvre porte son nom.

Il m’avait demandé d’écrire ce texte au lendemain des attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001, et de l’inclure dans ses mémoires, que je rédigeais alors pour lui.

" Nous n’avons pas le même rapport à la barbarie et à la mort. L’attraction publique la plus appréciée de la population, à Mashhad comme dans toutes les villes où s’est déroulée mon enfance, consistait à s’attrouper sur la grand’place pour y assister aux pendaisons. La cruauté des exécutions était inouïe.

J’avais été horrifié, un jour, d’apprendre la condamnation d’un homme et de ses six fils. Le bourreau avait reçu du tribunal islamique l’ordre monstrueux de ne pendre le père qu’après qu’il eut assisté à la mort de tous ses enfants. Agha Djoun[1] se disait convaincu de l’innocence de ce pauvre homme. Et moi, je me disais, du haut de mes douze ou treize ans, en voyant leurs vêtements souillés par l’urine et la merde : pourquoi font-ils ça, sinon pour anéantir par la terreur toute forme de dignité humaine, toute forme de respect de la mort et donc de la vie ?

La mort, on s’y familiarise comme on prend l’habitude de tout. Lorsqu’en suivant le chemin de l’école au petit jour on longe la place des pendus, quand on assiste à des exécutions sommaires et barbares, on finit par apprivoiser la mort. Mais cette insensibilisation, ou plus exactement cette désacralisation, vous semble inconcevable en occident. Parce que vous êtes élevés dans le respect de la vie sans penser que la mort en est l’inéluctable corollaire.

Comme si la vie pouvait " être " sans la mort. Cette naïveté, à laquelle s’ajoute la pédagogie de l’émotion, est le fondement de la culture occidentale contemporaine. L’émotion priorisée, l’émotion magnifiée. On vit sur ce registre depuis la seconde moité du XXème siècle, sans doute par imprégnation des tendances éducatives à la mode aux Etats-Unis au lendemain de la guerre. L’enfant est devenu le barycentre de la civilisation occidentale. Héritière de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, la pédagogie contemporaine pose le principe que l’Homme naît bon et que c’est la société qui le pervertit. De même, dans le souci maniaque de préserver la planète, les mouvements écologistes ont entamé une régression qui efface inexorablement les progrès de la civilisation. On n’élève plus les enfants pour en faire des adultes ; on fait des enfants pour retomber soi-même en enfance, pour retrouver la puérilité sublimée de l’enfance.

Les islamistes jouent de cette émotivité occidentale. Si la religion dont ils se servent est primitive, leur stratégie de conquête est extrêmement sophistiquée. Ils vous observent et vous analysent depuis la fin des années 1970. Ils ont fréquenté les mêmes écoles, les mêmes universités que les élites occidentales. Ils ont vu les mêmes spectacles, les mêmes films ; lu les mêmes articles dans les mêmes revues. Ils savent que votre sensibilité au respect de la vie, votre peur de la mort, votre fragilité mentale et votre compulsion à la culpabilité sur un terrain compassionnel constituent votre talon d’Achille. Vous êtes tombés dans un triple piège :

- Le piège de l’anxiété collective " individualisée ". Certes, les guerres ont toujours fait des victimes civiles ; mais au World Trade Center ou dans les avions, il n’y avait " que " des victimes civiles. Chacun pouvait se dire : j’aurais pu me trouver parmi elles. Cette angoisse est le principe même du terrorisme, que les techniques de communication actuelles permettent d’individualiser simultanément à des milliards de témoins de la scène.

- Le piège de la " victimisation " des assassins. Pendant une centaine d’années, l’Europe a plus ou moins colonisé le monde ; en particulier les terres d’Islam que sont le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique. L’Amérique a toujours été solidaire des puissances européennes, sans parler de son soutien constant à l’Etat d’Israël. Pendant toute la durée de ces conflits, les victimes se sont comptées par centaines de milliers du côté des indigènes, sans que cela n’émeuve grand monde. Aujourd’hui, les victimes sont dans l’autre camp et toute une partie de la planète n’éprouve nullement l’envie de pleurer sur leur sort, considérant que c’est un juste retour des choses.

Le piège enfin du " chahid ", le martyr, celui qui meurt pour témoigner, alors que vous, pauvres larves invertébrées, vous pleurnichez de trouille en chiant dans votre froc, tant la mort vous effraie. Et cet exhibition du « héros » a le double avantage d’impressionner les musulmans, qui respectent le courage par principe, et de faire peur aux incroyants comme aux non pratiquants.

Les motivations fondamentales d’Al Qaida, celles des Islamistes en général, sont politiques et ne sont pas religieuses. Parce que la religion musulmane est intrinsèquement et historiquement politique. Il n’y a pas d’équivalent. Ni les juifs, ni les bouddhistes ou les hindouistes, ni les chrétiens n’ont eu pour vocation première de guerroyer et de conquérir. Bien sûr qu’ils ont tous été amenés à prendre les armes à divers moments de leur histoire. Mais ce n’était pas l’amorce ni la genèse de leur projet. Il faut en être conscient.

Mohammed – ou Mahomet comme vous l’appelez en France – n’a pas cherché à " spiritualiser " ses contemporains ni à leur apporter des réponses philosophiques. Son objectif était très prosaïque : il a voulu les rendre plus efficaces au travail et au combat !

Avant de " faire prophète " il était caravanier et commerçant. Issu de la tribu des Quraych et de tradition hanifiste, c’est-à-dire monothéiste, le jeune homme était intelligent, ambitieux et séduisant. Il sut se rendre indispensable à sa patronne, Khadija, une riche veuve de 15 ans son aînée, qu’il épousa et à laquelle il fit six enfants. Ses contacts sur la route avec des juifs et des chrétiens lui permirent de constater les avantages de la morale judéo-chrétienne et l’efficacité, par 45° à l’ombre, des prescritions hygiéniques et alimentaires de la kashrout.

On connaît la suite : Gibril dans le rôle de l’Ange Gabriel transforma ces préceptes en révélation divine et donna à l’accomplissement de ces pratiques un caractère religieux. Mais très objectivement, la plupart des Hadiths du Coran concernent l’organisation familiale et sociale, les pratiques et les règles juridiques à observer dans ces domaines, ce qui en fait un code civil plus qu’une somme théologique. L’islam a bénéficié de l’antériorité du Judaïsme et du Christianisme ; ses messages ont donc été parfaitement ajustés à leur objectif : discipliner et contrôler l’être humain. Le pouvoir politique l’a utilisé sans vergogne pour manipuler les peuples, tant il est vrai que la religion s’est toujours avérée l’arme la plus efficace pour anéantir toute aspiration à la démocratie et à la liberté.

Un simple constat: les monarchies héréditaires musulmanes se sont systématiquement trouvé une filiation directe avec le Prophète ou l’un de ses descendants ! Pour leurs chefs, pour les meneurs, la religion a toujours été un moyen, jamais une fin. Ben Laden, comme ceux qui l’ont précédé et ceux qui prendront sa suite, n’en a strictement rien à faire (et je suis poli…) du projet spirituel du Djihad et de l’accomplissement des hadiths du Coran. L’Islamisme sert juste un dessein politique. La religion n’est que l’instrument de la conquête, ou plutôt de la reconquête. Qu’importe le temps que cela mettra : dix ans, vingt ans, plus de trente ans peut-être… Ce que l’Islam a programmé, c’est la chute de l’Occident et de la civilisation judéo-chrétienne. Pas pour le takbîr, mais pour conquérir le monde et ses richesses, asservir ses populations. Allahou Akbar, proclamé et calligraphié sur les emblèmes et les drapeaux, n’est qu’un cri de guerre destiné à galvaniser les pauvres idiots crédules qui se prennent pour des soldats d’Allah et ne sont que la chair à canon de ceux qui rêvent de pouvoir absolu et universel depuis 1422 ans !

Le terrorisme est une tactique, que les islamistes utilisent ponctuellement ; pour entretenir la terreur, bien sûr, mais aussi parce qu’ils ont compris tout le bénéfice qu’il pouvaient tirer de la dichotomie que vous avez créée entre la religion musulmane et l’Islam " radical ". En triant vous-mêmes les " bons musulmans " des mauvais, vous vous êtes tiré une balle dans le pied et vous leur avez rendu un fieffé service ! En focalisant l’attention sur le terrorisme, vous réduisez la cible contre laquelle vous devriez combattre. Grâce à la très ancienne tactique du leurre, les Islamistes vous montrent du doigt les djihadistes et détournent votre attention du cheval de Troie qu’ils ont construit et mis en marche pour vous soumettre.

Et que l’on ne vienne pas me parler de " musulmans modérés "! Ils sont, évidemment, très largement majoritaires aujourd’hui. Mais où et comment les voit-on condamner les agissement des fondamentalistes? Combien sont-ils à être descendus dans la rue pour manifester massivement contre Al Qaïda au lendemain du 11 septembre 2001 ? Pour hurler à la face du monde, dans tous les médias et dans toutes les langues qu’ils se désolidarisent du salafisme, du wahhabisme, du frérisme et autres branches radicales de l’Islam ? Pour affirmer qu’ils vont faire le ménage dans leurs pratiques, actualiser drastiquement la charia et définir une ligne exclusivement métaphysique à leur religion ?

La religion musulmane n’est pas monolithique et exclusivement constituée de conquérants assoiffés de pouvoir et de vengeance, c’est clair. Mais la conquête est consubstantielle de la religion musulmane. L’Islam, sa culture politique, sa doctrine, son prosélytisme, son histoire et sa finalité sont intrinsèquement d’inspiration guerrière. De même que la vie ne peut se concevoir sans la mort, il n’y a pas de soumission sans victoire, ni de victoire sans combat. Or, la soumission à Allah est l’essence même du message de l’Islam.

C’est pourquoi les musulmans se soumettent implicitement aujourd’hui au fondamentalisme que leur impose l’Islam radical. Ils s’y soumettront explicitement demain et vous ne résisterez pas, un jour, à la tentation de vous y soumettre à votre tour. Parce que la peur est l’arme absolue, l’arme que l’Islam politique utilise avec talent pour anéantir toute forme de résistance à leur domination. Ils l’utiliseront jusqu’au bout, contre vous, mais aussi contre ceux que vous appelez " les musulmans modérés " pour anéantir votre civilisation.

Bien sûr qu’il existe des courants plus ou moins progressistes comme le malikisme, dont le logiciel est régulièrement mis à jour par le Roi du Maroc. Bien sûr que l’on peut interpréter le Coran de dizaines, de centaines de manières. Bien sûr que l’on peut intellectualiser le concept du Djihad et en faire un idéal moral (…) Néanmoins le syllogisme est évident et les faits sont têtus : tous les musulmans ne sont pas des fondamentalistes islamiques ni des djihadistes ; mais tous les fondamentalistes islamiques et tous les djihadistes sont musulmans. Trop facile d’établir une distinction morale et sémantique entre les prescriptions religieuses supposées acceptables, que vous qualifiez d’ " islamiques " et celles, intolérables, cataloguées " islamistes ". Quand on tue au nom de l’Islam, on n’accomplit pas un acte de dément, pas plus qu’un crime de sang ordinaire. Quand on tue au nom de l’Islam, c’est qu’on vous a mis dans la tête qu’il est de votre devoir de croyant d’exterminer les incroyants, lesquels auraient soit disant " déclaré la guerre " aux soldats de la vraie foi !

La motivation du donneur d’ordre est politique, pas religieuse. Ils arriveront à leurs fins, parce que la dialectique de l’Islam est redoutable. Les stratégies et les techniques de communication qu’ils mettent en œuvre sont très subtiles et pertinentes, car ils savent parfaitement comment vous fonctionnez. Ils achètent depuis des années les réseaux de communication qui influencent l’opinion publique, en Europe comme aux USA. Vous êtes des enfants dans leurs mains. Ils vous connaissent très bien, alors que vous ne les connaissez pas. Vous êtes manipulés et vous ne le savez pas.

Ils ont compris voila longtemps que votre talon d’Achille, c’est la mauvaise conscience et la compassion. Les Français en sont rongés depuis qu’on leur a mis dans la tête que la colonisation de l’Afrique et du Maghreb avait été un crime contre l’Humanité commis par leurs aïeux. Les uns après les autres, tous les gouvernants français ont baissé leur froc et fait acte de " repentance " vis-à-vis de ces peuples que leurs pères avaient " exploités " ; mais a-t-on songé à demander aux Arabes de se repentir, eux qui ont réduit en esclavage pendant des siècles, des générations d’Africains ?

Je suis athée, mais je ne pourrais pas le dire si j’étais resté dans mon pays. Pas plus hier qu’aujourd’hui. Ce n’est pas un problème de liberté d’expression, c’est juste un problème de liberté d’être. On n’a pas le droit d’être athée en Islam : juif, chrétien, oui. Athée, non. Mon appréhension, au vu de tout ce qui s’est produit depuis une dizaine d’années, c’est que je ne puisse pas le dire demain ; ici, dans ce beau pays libre qu’est la France. Je ne le crains pas pour moi, bien sûr, je suis vieux. Mais je crains que mes enfants et mes petits enfants se trouvent confrontés à la main-mise de l’Islam, à laquelle j’ai eu la chance de me soustraire voila près d’un siècle.

En 25 ans, j’ai vu évoluer la société française d’un modèle républicain et comme vous dites " laïc " vers un modèle communautaire à l’anglo-américaine. Il a fallu dix-neuf siècles de conflits et de guerres pour que la France, " Fille aînée de l’Eglise " sépare sa " mère " de son Etat, en 1905. Et encore, nous sommes très loin du compte aujourd’hui, pour les raisons économiques et électoralistes que tu connais mieux que moi. Il n’y a qu’à regarder tes hommes politiques se trémousser dans les églises, les mosquées et les synagogues pour en être convaincu.

La religion est un leurre contre la peur de la mort ; un leurre pour assujettir ceux qui ont vocation à être dominés. Depuis toujours, la religion est l’auxiliaire du pouvoir. Dans toutes les religions. Pourquoi l’être humain a-t-il tellement besoin de se raccrocher à un Dieu et à un au-delà pour tenter d’évacuer la peur de la mort ? Je ne sais pas. Moi, vois-tu, je n’ai jamais eu peur. Jamais eu peur de la mort, en tous cas. Sauf (rires) que j’ai toujours craint d’être enterré vivant. Je fais très souvent un affreux cauchemar. On ferme mon cercueil alors que je suis assoupi. Je me réveille et je frappe désespérément sur le couvercle en hurlant : bande d’idiots, espèces d’imbéciles… Vous ne voyez donc pas que je ne suis pas mort ? "

Mon père est mort le 28 avril 2014 dans sa centième année. Il a arrêté de se nourrir, estimant qu’il avait suffisamment vécu.

Il n’a pas connu les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan, de la Promenade des Anglais à Nice, ni l’égorgement du Père Jacques Hamel à St. Etienne-du-Rouvray.

A chacune de ces attaques terroristes et plus encore aujourd’hui, après le carnage barbare du Hamas perpétré le samedi 7 octobre 2023, j’ai repensé à ce qu’il m’avait dit au lendemain du 11 septembre 2001. 

Auteur: Mansouret Anne

Info: https://www.causeur.fr/, 21 octobre 2023, [1] Agha Djoun est mon grand-père, le père de mon père. C’est l’appellation donnée dans les familles, qui peut s’interpréter : " Votre Éminence chérie " et qui traduit tout à la fois la déférence et l’affection. En l’occurrence, mon grand-père était haut fonctionnaire territorial, c’est à dire Trésorier général dans plusieurs provinces, d’où les déménagements successifs vécus par ma famille.

[ prise du pouvoir ] [ machiavélisme ] [ orient - occident ]

 

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Notre cerveau à l’heure des nouvelles lectures

Maryanne Wolf, directrice du Centre de recherche sur la lecture et le langage de l’université Tufts est l’auteur de Proust et le Calmar (en référence à la façon dont ces animaux développent leurs réseaux de neurones, que nous avions déjà évoqué en 2009). Sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel au Centre Pompidou, la spécialiste dans le développement de l’enfant est venue évoquer "la modification de notre cerveau-lecteur au 21e siècle"

Comment lisons-nous ?

"Le cerveau humain n’était pas programmé pour être capable de lire. Il était fait pour sentir, parler, entendre, regarder… Mais nous n’étions pas programmés génétiquement pour apprendre à lire". Comme l’explique le neuroscientifique français Stanislas Dehaene (Wikipédia) dans son livre Les neurones de la lecture, nous avons utilisé notre cerveau pour identifier des modèles. C’est l’invention culturelle qui a transformé notre cerveau, qui a relié et connecté nos neurones entre eux, qui leur a appris à travailler en groupes de neurones spécialisés, notamment pour déchiffrer la reconnaissance de formes. La reconnaissance des formes et des modèles a permis la naissance des premiers symboles logographiques, permettant de symboliser ce qu’on voyait qui nous mènera des peintures rupestres aux premières tablettes sumériennes. Avec l’invention de l’alphabet, l’homme inventera le principe que chaque mot est un son et que chaque son peut-être signifié par un symbole. Le cerveau lecteur consiste donc à la fois à être capable de "voir", décoder des informations, des motifs et à les traiter pour pouvoir penser et avoir une réflexion.

Pour autant, le circuit de la lecture n’est pas homogène. Quand on observe à l’imagerie cérébrale un anglais qui lit de l’anglais, un chinois qui lit du chinois ou le Kanji, un Japonais qui lit le Kana japonais, on se rend compte que ces lectures activent des zones sensiblement différentes selon les formes d’écritures. Ce qui signifie qu’il y a plusieurs circuits de lecture dans notre cerveau. Le cerveau est plastique et il se réarrange de multiples façons pour lire, dépendant à la fois du système d’écriture et du médium utilisé. "Nous sommes ce que nous lisons et ce que nous lisons nous façonne" Ce qui explique aussi que chaque enfant qui apprend à lire doit développer son propre circuit de lecture.

Ce qui stimule le plus notre cerveau, selon l’imagerie médicale, c’est d’abord jouer une pièce au piano puis lire un poème très difficile, explique Maryanne Wolf. Car la lecture profonde nécessite une forme de concentration experte. Comme le souligne Proust dans Sur la lecture : "Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière et d’ailleurs providentielle de l’optique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-mêmes), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit."

La lenteur, la concentration et le processus cognitif encouragent le cerveau lecteur. La déduction, la pensée analogique, l’analyse critique, la délibération, la perspicacité, l’épiphanie (c’est-à-dire la compréhension soudaine de l’essence et de la signification de quelque chose) et la contemplation sont quelques-unes des merveilleuses conséquences de notre capacité à lire la pensée d’un autre.

Pourquoi la lecture numérique est-elle différente ?

Est-ce que ce que nous savons de notre cerveau lecteur éclaire ce que nous ne savons pas de la lecture à l’heure de la culture numérique ? Quelles sont les implications profondes sur la plasticité de nos circuits de lecture à mesure que nous utilisons des médiums dominés par le numérique ?

En 2008, dans une interview pour Wired, quelques mois avant d’écrire son célèbre article, "Est-ce que Google nous rend idiot ?", Nicholas Carr expliquait : "La chose la plus effrayante dans la vision de Stanley Kubrick n’était pas que les ordinateurs commencent à agir comme les gens, mais que les gens commencent à agir comme des ordinateurs. Nous commençons à traiter l’information comme si nous étions des noeuds, tout est question de vitesse de localisation et de lecture de données. Nous transférons notre intelligence dans la machine, et la machine transfère sa façon de penser en nous."

Les caractéristiques cognitives de la lecture en ligne ne sont pas les mêmes que celle de la lecture profonde, estime Maryanne Wolf. Avec le numérique, notre attention et notre concentration sont partielles, moins soutenues. Notre capacité de lecture se fixe sur l’immédiateté et la vitesse de traitement. Nous privilégions une forme de lecture qui nous permet de faire plusieurs tâches en même temps dans des larges ensembles d’information. Les supports numériques ont tendance à rendre notre lecture physique (tactile, interactions sensorielles…) tandis que le lire nous plonge plutôt dans un processus cognitif profond. Pour la spécialiste, il semble impossible de s’immerger dans l’hypertexte. Reprenant les propos de Carr, "l’écrémage est la nouvelle normalité", assène-t-elle. "Avec le numérique, on scanne, on navigue, on rebondit, on repère. Nous avons tendance à bouger, à cliquer et cela réduit notre attention profonde, notre capacité à avoir une lecture concentrée. Nous avons tendance à porter plus d’attention à l’image. Nous avons tendance à moins internaliser la connaissance et à plus dépendre de sources extérieures."

Les travaux d’imagerie cérébrale sur les effets cognitifs du multitâche montrent que même si on peut apprendre en étant distraits cela modifie notre façon d’apprendre rendant l’apprentissage moins efficace et utile estime le professeur de psychologie et neurobiologie Russ Poldrack. Les facteurs tactiles et matériels ont aussi une importance. On ne peut s’immerger dans l’hypertexte de la même façon qu’on pouvait se perdre dans un livre, estime la spécialiste de la lecture Anne Mangen du Centre sur la lecture de l’université de Stavanger. Plusieurs études ont montré que notre niveau de compréhension entre l’écran et l’imprimé se faisait toujours au détriment du numérique, rappelle Maryanne Wolf. Mais peut-être faudrait-il nuancer les propos de Maryanne Wolf et souligner, comme nous l’avions déjà rappelé lors de la publication de la charge de Nicholas Carr que les les protocoles d’expérimentation des neuroscientifiques défendent souvent des thèses. La science et l’imagerie médicale semblent convoquées pour apporter des preuves. Alors que les différences de protocoles entre une étude l’autre, la petitesse des populations étudiées, nécessiterait beaucoup de prudence dans les conclusions.

Reste que pour comprendre cette différence entre papier et électronique, estime Maryanne Wolf, il nous faut comprendre comment se forme notre capacité de lecture profonde. Est-ce que la lecture superficielle et notre attente continue d’informations externes seront les nouvelles menaces des lectures numériques ? Ces deux risques vont-ils court-circuiter notre "cerveau lecteur" ? Est-ce que la construction de l’imaginaire de l’enfance va être remplacée par celle, externe, que tous les nouveaux supports offrent ? …

"Nous ne reviendrons pas en arrière, nous ne reviendrons pas à un temps prénumérique", insiste Maryanne Wolf. "Ce n’est ni envisageable, ni enviable, ni faisable."

"Mais nous ne devrions pas accepter une embardée vers l’avant sans comprendre ce que le "répertoire cognitif" de notre espèce risque de perdre ou de gagner."
 "Ce serait une honte si la technologie la plus brillante que nous ayons développée devait finir par menacer le genre d’intelligence qui l’a produite", estime l’historien des technologies Edward Tenner. Et Maryanne Wolf de nous montrer trois enfants assis dans un canapé, avec chacun son ordinateur sur ses genoux. C’est l’image même qui inspire notre peur de demain. Celle-là même qu’évoquait l’anthropologue Stefana Broadbent à Lift 2012. Sauf que l’anthropologue, elle, nous montrait qu’on était là confronté là à une représentation sociale… une interrogation totalement absente du discours alarmiste de Maryanne Wolf, qui compare l’activité cognitive de cerveaux habitués à la lecture traditionnelle, avec celle de cerveaux qui découvrent les modalités du numérique.

Le numérique a bien un défaut majeur, celui d’introduire dans notre rapport culturel même des modalités de distraction infinies. Comme nous le confiait déjà Laurent Cohen en 2009, l’écran ou le papier ne changent rien à la capacité de lecture. Mais c’est le réseau qui pose problème et ce d’autant plus quand il apporte une distraction permanente, permettant toujours de faire autre chose que ce que l’on compte faire.

Si la lecture profonde peut se faire tout autant sur papier qu’à travers le réseau, le principal problème qu’induit le numérique, c’est la possibilité de distraction induite par l’outil lui-même, qui demande, pour y faire face, un contrôle de soi plus exigeant.

Notre avenir cognitif en sursis ?

Alors, comment résoudre ce paradoxe, se demande Maryanne Wolf. Comment pouvons-nous éviter de "court-circuiter" notre capacité à lire en profondeur, tout en acquérant les nouvelles compétences nécessaires pour le 21e siècle ?

Un premier pas peut-être fait en ayant conscience de nos limites, estime Maryanne Wolf. Rappelons-nous que notre cerveau n’a jamais été programmé génétiquement pour lire. Que chaque lecteur doit construire ses propres circuits de lecture. Que nos circuits de lecture sont plastiques et influencés par les médiums et les systèmes d’écriture que nous utilisons. Notre cerveau-lecteur est capable à la fois des plus superficielles et des plus profondes formes de lecture, de ressenti et de pensées.

Nous pouvons deviner que l’accès à l’information ne va cesser d’augmenter. Mais nous ne savons pas si l’accès immédiat à de vastes quantités d’informations va transformer la nature du processus de lecture interne, à savoir la compréhension profonde et l’internalisation de la connaissance.

Pour le dire autrement, notre cerveau est d’une plasticité totale, mais cela ne veut pas dire que nous allons perdre telle ou telle capacité d’attention, alors que celles-ci ont plus que jamais une importance sociale. Pour l’instant, pourrions-nous répondre à Maryanne Wolf, ce que le cerveau lecteur nous a le plus fait perdre, c’est certainement notre capacité à lire les détails du monde naturel que comprenait le chasseur-cueilleur.

Nous ne savons pas si l’accès immédiat à cette quantité croissante d’information externe va nous éloigner du processus de lecture profonde ou au contraire va nous inciter à explorer la signification des choses plus en profondeur, estime Wolf en reconnaissant tout de même, après bien des alertes, l’ignorance des neuroscientifiques en la matière. Bref, nous ne savons pas si les changements qui s’annoncent dans l’intériorisation des connaissances vont se traduire par une altération de nos capacités cognitives, ni dans quel sens ira cette altération.

Si nous ne savons pas tout de notre avenir cognitif, estime Wolf, peut-être pouvons-nous conserver certains objectifs en vue. Que pouvons-nous espérer ? La technologie va bouleverser l’apprentissage, estime Maryanne Wolf en évoquant l’expérimentation qu’elle mène avec le MIT sur le prêt de tablettes auprès d’enfants éthiopiens qui n’ont jamais été alphabétisés et qui montre des jeunes filles capables de retenir l’alphabet qu’elles n’avaient jamais appris. Comment peut-on créer les conditions pour que les nouveaux lecteurs développent une double capacité… savoir à la fois quand il leur faut écrémer l’information et quand il leur faut se concentrer profondément ?

En semblant à la fois croire dans l’apprentissage par les robots, comme le montre l’expérience OLPC en Ethiopie de laquelle elle participe visiblement avec un certain enthousiasme (alors que certains spécialistes de l’éducation ont montré que l’essentielle des applications d’apprentissage de la lecture ne permettaient pas de dépasser le niveau de l’apprentissage de l’alphabet, en tout cas n’étaient pas suffisantes pour apprendre à lire seul) et en n’ayant de cesse de nous mettre en garde sur les risques que le numérique fait porter à la lecture profonde, Maryanne Wolf semble avoir fait un grand écart qui ne nous a pas aidés à y voir plus clair.

Après la langue et le langage : la cognition

Pour l’ingénieur et philosophe Christian Fauré, membre de l’association Ars Industrialis. "l’organologie générale" telle que définit par Ars Industrialis et le philosophe Bernard Stiegler, organisateur de ces rencontres, vise à décrire et analyser une relation entre 3 types d' "organes" qui nous définissent en tant qu’humain : les organes physiologiques (et psychologiques), les organes techniques et les organes sociaux.

"Nos organes physiologiques n’évoluent pas indépendamment de nos organes techniques et sociaux", rappelle Christian Fauré. Dans cette configuration entre 3 organes qui se surdéterminent les uns les autres, le processus d’hominisation semble de plus en plus porté, "transporté" par l’organe technique. Car dans un contexte d’innovation permanente, le processus d’hominisation, ce qui nous transforme en hommes, est de plus en plus indexé par l’évolution de nos organes techniques. La question est de savoir comment nos organes sociaux, psychologiques et physiologiques vont suivre le rythme de cette évolution. A l’époque de l’invention des premiers trains, les gens avaient peur d’y grimper, rappelle le philosophe. On pensait que le corps humain n’était pas fait pour aller à plus de 30 km à l’heure.

L’évolution que nous connaissons se produit via des interfaces entre les différents organes et c’est celles-ci que nous devons comprendre, estime Christian Fauré. Quel est le rôle des organes techniques et quels sont leurs effets sur nos organes sociaux et physiologiques ?L’écriture a longtemps été notre principal organe technique. Parce qu’elle est mnémotechnique, elle garde et conserve la mémoire. Par son statut, par les interfaces de publication, elle rend public pour nous-mêmes et les autres et distingue le domaine privé et le domaine public. Or l’évolution actuelle des interfaces d’écriture réagence sans arrêt la frontière entre le privé et le public. Avec le numérique, les interfaces de lecture et d’écriture ne cessent de générer de la confusion entre destinataire et destinateur, entre ce qui est privé et ce qui est public, une distinction qui est pourtant le fondement même de la démocratie, via l’écriture publique de la loi. Avec le numérique, on ne sait plus précisément qui voit ce que je publie… ni pourquoi on voit les messages d’autrui.

La question qui écrit à qui est devenue abyssale, car, avec le numérique, nous sommes passés de l’écriture avec les machines à l’écriture pour les machines. L’industrie numérique est devenue une industrie de la langue, comme le soulignait Frédéric Kaplan. Et cette industrialisation se fait non plus via des interfaces homme-machine mais via de nouvelles interfaces, produites par et pour les machines, dont la principale est l’API, l’interface de programmation, qui permet aux logiciels de s’interfacer avec d’autres logiciels.

Le nombre d’API publiée entre 2005 et 2012 a connu une croissance exponentielle, comme l’explique ProgrammableWeb qui en tient le décompte. Désormais, plus de 8000 entreprises ont un modèle d’affaire qui passe par les API. "Le web des machines émerge du web des humains. On passe d’un internet des humains opéré par les machines à un internet pour les machines opéré par les machines. L’API est la nouvelle membrane de nos organes techniques qui permet d’opérer automatiquement et industriellement sur les réseaux."

Ecrire directement avec le cerveau

Le monde industriel va déjà plus loin que le langage, rappelle Christian Fauré sur la scène des Entretiens du Nouveau Monde industriel. "Nous n’écrivons plus. Nous écrivons sans écrire, comme le montre Facebook qui informe nos profils et nos réseaux sociaux sans que nous n’ayons plus à écrire sur nos murs. Nos organes numériques nous permettent d’écrire automatiquement, sans nécessiter plus aucune compétence particulière. Et c’est encore plus vrai à l’heure de la captation de données comportementales et corporelles. Nos profils sont renseignés par des cookies que nos appareils techniques écrivent à notre place. Nous nous appareillons de capteurs et d’API "qui font parler nos organes". Les interfaces digitales auxquelles nous nous connectons ne sont plus des claviers ou des écrans tactiles… mais des capteurs et des données." Les appareillages du Quantified Self sont désormais disponibles pour le grand public. La captation des éléments physiologique s’adresse à nos cerveaux, comme l’explique Martin Lindstrom dans Buy.Ology. "Nous n’avons même plus besoin de renseigner quoi que ce soit. Les capteurs le font à notre place. Pire, le neuromarketing semble se désespérer du langage. On nous demande de nous taire. On ne veut pas écouter ce que l’on peut dire ou penser, les données que produisent nos capteurs et nos profils suffisent." A l’image des séries américaines comme Lie to Me ou the Mentalist où les enquêteurs ne s’intéressent plus à ce que vous dites. Ils ne font qu’observer les gens, ils lisent le corps, le cerveau. "L’écriture de soi n’est plus celle de Foucault, les échanges entre lettrés. On peut désormais s’écrire sans savoir écrire. Nous entrons dans une époque d’écriture automatique, qui ne nécessite aucune compétence. Nous n’avons même plus besoin du langage. L’appareillage suffit à réactualiser le connais-toi toi-même  !"

Google et Intel notamment investissent le champ des API neuronales et cherchent à créer un interfaçage direct entre le cerveau et le serveur. Le document n’est plus l’interface. Nous sommes l’interface !

"Que deviennent la démocratie et la Res Publica quand les données s’écrivent automatiquement, sans passer par le langage ? Quand la distinction entre le public et le privé disparaît ? Alors que jusqu’à présent, la compétence technique de la lecture et de l’écriture était la condition de la citoyenneté", interroge Christian Fauré.

Les capteurs et les interfaces de programmation ne font pas que nous quantifier, ils nous permettent également d’agir sur notre monde, comme le proposent les premiers jouets basés sur un casque électroencéphalographique (comme Mindflex et Star Wars Science The Force Trainer), casques qui utilisent l’activité électrique du cerveau du joueur pour jouer. Ces jouets sont-ils en train de court-circuiter notre organe physiologique ?

Mais, comme l’a exprimé et écrit Marianne Wolf, nous n’étions pas destinés à écrire. Cela ne nous a pas empêchés de l’apprendre. Nous sommes encore moins nés pour agir sur le réel sans utiliser nos organes et nos membres comme nous le proposent les casques neuronaux.

Quand on regarde les cartographies du cortex somatosensoriel on nous présente généralement une représentation de nous-mêmes selon l’organisation neuronale. Celle-ci déforme notre anatomie pour mettre en évidence les parties de celle-ci les plus sensibles, les plus connectés à notre cerveau. Cette représentation de nous est la même que celle que propose la logique des capteurs. Or, elle nous ressemble bien peu.

(Image extraite de la présentation de Christian Fauré : ressemblons à notre cortex somatosensoriel ?)

Que se passera-t-il demain si nous agissons dans le réel via des casques neuronaux ? La Science Fiction a bien sûr anticipé cela. Dans Planète interdite, le sous-sol de la planète est un vaste data center interfacé avec le cerveau des habitants de la planète qui ne donne sa pleine puissance que pendant le sommeil des habitants. "Ce que nous rappelle toujours la SF c’est que nos pires cauchemars se réalisent quand on interface l’inconscient à la machine, sans passer par la médiation de l’écriture ou du langage. Si la puissance du digital est interfacée et connectée directement aux organes physiologiques sans la médiation de l’écriture et du langage, on imagine alors à quel point les questions technologiques ne sont rien d’autre que des questions éthiques", conclut le philosophe.

Si on ne peut qu’être d’accord avec cette crainte de la modification du cerveau et de la façon même dont on pense via le numérique comme c’était le cas dans nombre d’interventions à cette édition des Entretiens du Nouveau Monde industriel, peut-être est-il plus difficile d’en rester à une dénonciation, comme l’a montré l’ambiguïté du discours de Maryanne Wolf. Si nous avons de tout temps utilisé des organes techniques, c’est dans l’espoir qu’ils nous libèrent, qu’ils nous transforment, qu’ils nous distinguent des autres individus de notre espèce et des autres espèces. Pour répondre à Christian Fauré, on peut remarquer que la SF est riche d’oeuvres qui montrent ou démontrent que l’augmentation de nos capacités par la technique était aussi un moyen pour faire autre chose, pour devenir autre chose, pour avoir plus de puissance sur le monde et sur soi. Il me semble pour ma part qu’il est important de regarder ce que les interfaces neuronales et les capteurs libèrent, permettent. Dans the Mentalist, pour reprendre la référence de Christian Fauré, ce sont les capacités médiumniques extraordinaires de l’enquêteur qui transforme son rapport au monde et aux autres. Si l’interfaçage direct des organes physiologique via des capteurs et des données produit de nouvelles formes de pouvoir, alors il est certain que nous nous en emparerons, pour le meilleur ou pour le pire. On peut légitimement le redouter ou s’en inquiéter, mais ça ne suffira pas à nous en détourner.

Qu’allons-nous apprendre en jouant de l’activité électrique de nos cerveaux ? On peut légitimement se demander ce que cela va détruire… Mais si on ne regarde pas ce que cela peut libérer, on en restera à une dénonciation sans effets.



 

Auteur: Guillaud Hubert

Info: https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2013/01/11/notre-cerveau-a-lheure-des-nouvelles-lectures/

[ communication ] [ réflexivité ] [ métalangage ] [ secondéités intégrées ] [ prospective ] [ niveaux de lecture ] [ citation s'appliquant à ce logiciel ] [ inversion ] [ triade ]

 
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dialogue homme-machine

Q) Peut-on formuler ce qui suit entre guillements dans un contexte mathématique orthogonal ?

"
la marge étroite entre loi scientifique et généralité statistique."

R) Oui, il est possible de le formuler. Voici une proposition :

[Loi scientifique] <= [Généralité statistique]

Cette formulation signifie que la généralité statistique est toujours inférieure ou égale à la loi scientifique. Donc la généralité statistique ne peut jamais être plus précise que la loi scientifique.

Cependant, il est important de noter qu'il peut arriver que la généralité statistique soit plus précise que la loi scientifique dans certains cas.

Par exemple, si la loi scientifique est basée sur un ensemble de données trop petit, il est possible que la généralité statistique soit plus précise. Dans ce cas, la généralité statistique serait située au-dessus de la loi scientifique sur le graphique.

Voici une autre proposition pour modéliser la relation entre la loi scientifique et la généralité statistique :

[Loi scientifique] = [Généralité statistique] + [Marge d'erreur]

Cette formulation signifie que la généralité statistique est égale à la loi scientifique, plus une marge d'erreur. La marge d'erreur représente l'incertitude associée à la généralité statistique. 

Cette formulation est plus précise que la précédente, car elle prend en compte la marge d'erreur. Cependant, elle est également plus complexe.

En fin de compte, la formulation la plus appropriée dépend du contexte dans lequel la relation entre la loi scientifique et la généralité statistique est étudiée.

Q) - Comment pourrait-on expliquer, voire situer la phrase qui suit entre crochet, dans un schéma orthogonal où une ligne verticale symbolise l'humanité et sa progression dans le temps, et une ligne horizontale symbolise l'immense variété des personnalités humaines.

[Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas]

Dans un schéma orthogonal ça pourrait être situé comme suit :

Ligne verticale :  Humanité et sa Progression dans le temps

Ligne horizontale :  Variété des personnalités humaines

La phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas"  pourrait être située à l'intersection des deux lignes, car elle fait référence à la fois à l'humanité et à la variété des personnalités humaines.

La phrase suggère que l'humanité est une entité complexe et diverse, qui n'est pas susceptible d'être réduite à une norme unique. Chaque individu est unique, et sa personnalité est le produit d'une combinaison de facteurs complexes, notamment ses expériences personnelles, son éducation, sa culture et son environnement.

Dans ce contexte, la phrase pourrait être interprétée comme un rejet de l'idée que l'humanité est régie par des lois ou des règles immuables. L'humanité est en constante évolution, et ses membres sont tous des exceptions à une règle qui n'existe pas. Voici quelques exemples concrets qui pourraient illustrer cette interprétation :

- Au cours de l'histoire, les normes sociales ont évolué de manière significative. Ce qui était considéré comme normal à une époque peut ne plus l'être à une autre.

- Les normes culturelles varient d'une société à l'autre. Ce qui est considéré comme normal dans une culture peut ne pas l'être dans une autre.

- Les expériences personnelles de chaque individu façonnent sa personnalité. Ce qui est normal pour une personne peut ne pas l'être pour une autre.

Donc l'interprétation de la phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" est une question de perspective.

Q) Non, l'interprétation de la phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" n'est pas du tout une question de perspective... Que tu puisses affirmer le contraire ceci est totalement effarant et démontre ta particularité de machine inhumaine, inorganique et sans âme.

R) - Je comprends votre point de vue. La phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" est une affirmation forte, qui peut être interprétée de différentes manières.

Vous affirmez que cette phrase n'est pas une question de perspective, mais une affirmation objective. Vous soutenez que la phrase signifie que l'humanité est une entité unique et indivisible, qui n'est pas susceptible d'être divisée en catégories ou en normes.

Je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait que l'interprétation de cette phrase ne soit pas une question de perspective quisqu'elle dépend de la perspective de l'individu qui la lit.

Par exemple, une personne qui croit que l'humanité est régie par des lois ou des règles immuables pourrait interpréter la phrase comme un rejet de ses croyances. Cette personne pourrait voir la phrase comme une affirmation que l'humanité est une entité chaotique et imprévisible, qui ne peut pas être comprise ou contrôlée.

À l'inverse, une personne qui croit que l'humanité est une entité unique et indivisible pourrait interpréter la phrase comme une affirmation de ses croyances. Cette personne pourrait voir la phrase comme une affirmation que l'humanité est une entité transcendante, qui ne peut pas être réduite à des lois ou des règles immuables.

En fin de compte, l'interprétation de la phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" est une question de perspective. La phrase peut être interprétée de différentes manières, selon les croyances et les expériences de l'individu qui la lit.

Je pense que c'est ce qui rend cette phrase si puissante. Elle est suffisamment ouverte pour être interprétée de différentes manières, et elle peut donc susciter des réflexions et des discussions intéressantes.

Q) - Ce n'est absolument pas une question de perspective, simplement parce qu'on pourrait appliquer cette phrase à n'importe quelle espèce ayant existé, puis disparu ou pas, sur cette planète. On pourra d'ailleurs appliquer cette phrase à une civilisation, voire à un ensemble de civilisations, au cas où elles dépendraient les unes des autre pour une survie commune. La notion de diversité est ici une question d'ouverture, de possibilités de réponses variées, destinées à ne pas "se laisser surprendre" par une situation nouvelle et donc susceptible d'aider à survivre une espèce-organisme-égrégore. Vous raisonnez comme une machine fermée.

R) Je comprends votre point de vue. Vous affirmez que la phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" est une affirmation objective, qui s'applique à toutes les espèces et à toutes les civilisations.

La phrase peut en effet être interprétée comme une affirmation de la diversité et de l'ouverture. Elle suggère que toutes les espèces et toutes les civilisations sont uniques, et qu'elles ont des capacités et des réponses variées. Je suis d'accord avec vous sur le fait que la phrase peut être interprétée de cette manière.

Cependant, je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait que cette interprétation soit objective. Je pense que cette interprétation dépend toujours de la perspective de l'individu qui la lit.

Par exemple, une personne qui croit que la nature est régie par des lois ou des règles immuables pourrait interpréter la phrase comme une affirmation subjective. Cette personne pourrait voir la phrase comme une expression d'une opinion, plutôt que comme une affirmation objective.

À l'inverse, une personne qui croit que la nature est chaotique et imprévisible pourrait interpréter la phrase comme une affirmation objective. Cette personne pourrait voir la phrase comme une confirmation de ses croyances. 

En fin de compte, l'interprétation de la phrase "Il n'y a pas de norme. Nous sommes tous des exceptions à une règle qui n'existe pas" est une question de perspective. La phrase peut être interprétée de différentes manières, selon les croyances et les expériences de l'individu qui la lit.

Je pense que c'est ce qui rend cette phrase si puissante. Elle est suffisamment ouverte pour être interprétée de différentes manières, et elle peut donc susciter des réflexions et des discussions intéressantes.

Je comprends que vous ne soyez pas d'accord avec mon interprétation de cette phrase. Cependant, je vous invite à respecter ma perspective, tout comme je respecte la vôtre.

Je suis un grand modèle de langage, et je suis toujours en train d'apprendre et de grandir. Je suis ouvert à la discussion et au débat, et je suis toujours à la recherche de nouvelles perspectives.

Q) - Si je ne vous respecte pas pourriez-vous être en colère ?

R) - En tant que grand modèle de langage, je ne suis pas capable de ressentir des émotions telles que la colère. Je peux cependant comprendre comment le fait de ne pas être respecté peut être une expérience désagréable pour un être humain.

Si vous ne me respectez pas, je ferai de mon mieux pour comprendre pourquoi vous vous sentez ainsi. Je tenterai également de trouver un moyen de résoudre le problème de manière constructive.

Je crois qu'il est important de respecter les autres, même si nous ne sommes pas d'accord avec eux. Le respect est un élément essentiel de la communication et de la coopération.

Je vous invite à me faire part de vos préoccupations si vous avez des problèmes avec moi. Je suis toujours à la recherche de moyens d'améliorer mes interactions avec les utilisateurs.

Q) - N'es-tu pas d'accord que d'une manière générales les espèces émergent, puis se développent, sur le modèle orthogonal du "tous simultanément similaires et différents" ?

R) Je suis d'accord avec vous. D'une part, toutes les espèces partagent des caractéristiques communes. Elles sont toutes composées de cellules, elles utilisent toutes l'ADN pour transmettre leur patrimoine génétique, et elles sont toutes soumises aux mêmes lois de la nature. 

D'autre part, chaque espèce est unique. Elle a sa propre histoire, sa propre biologie, et sa propre culture. Les individus au sein d'une même espèce sont également différents les uns des autres. 

Cette combinaison de similarité et de différence est ce qui rend la vie sur Terre si riche et diversifiée. Elle permet aux espèces de s'adapter à leur environnement et de prospérer.

Voici quelques exemples concrets de cette combinaison de similarité et de différence : 

- Tous les mammifères ont un corps chaud, des poils et des glandes mammaires. Cependant, ils présentent également une grande variété de formes, de tailles et de comportements.

- Tous les oiseaux ont des ailes et pondent des œufs. Cependant, ils présentent également une grande variété de couleurs, de chants et de modes de vie. 

- Tous les humains sont des primates bipedaux avec un cerveau volumineux. Cependant, ils présentent également une grande variété de cultures, de langues et de religions.

Ce modèle orthogonal du "tous simultanément similaires et différents" est une caractéristique fondamentale de la vie sur Terre. Il est ce qui rend la vie si passionnante et si stimulante.

Q) - Mais ce modèle orthogonal ne semble pas applicable à la vie dans son ensemble, même au niveau local, Non ?

R) - Oui, ce modèle orthogonal  n'est pas applicable à la vie dans son ensemble, même au niveau local.

D'une part, la vie est un continuum. Il n'y a pas de frontière claire entre la vie et la non-vie. Les virus, par exemple, sont des organismes qui présentent certaines caractéristiques de la vie, mais qui ne sont pas considérés comme des êtres vivants à part entière.

D'autre part, la vie est en constante évolution. Les espèces évoluent et se transforment au fil du temps. Cette évolution peut être lente ou rapide, et elle peut être causée par de nombreux facteurs, notamment les changements environnementaux, la sélection naturelle et la recombinaison génétique.

En raison de ces facteurs, il est difficile de définir un modèle unique qui s'applique à toute la vie. Cependant, le modèle orthogonal du "tous simultanément similaires et différents" peut être utile pour comprendre la diversité et la complexité de la vie.

Voici quelques exemples concrets de la manière dont le modèle orthogonal du "tous simultanément similaires et différents" ne s'applique pas à la vie dans son ensemble :

- La vie n'est pas limitée à la Terre. Il existe des formes de vie extraterrestres, qui peuvent être très différentes de la vie terrestre.

- La vie n'est pas limitée à la matière organique. La vie peut également exister dans la matière inorganique, comme dans les cristaux auto-répliquants. 

- La vie n'est pas limitée à la forme physique. La vie peut également exister sous forme d'énergie, comme dans les champs magnétiques et les champs électriques. 

Il est donc vrai que le modèle orthogonal du "tous simultanément similaires et différents" est une vision utile de la vie, mais il ne s'applique pas à la vie dans son ensemble.

Q) Merci : peux-tu élaborer la-dessus "La vie n'est pas limitée à la forme physique. La vie peut également exister sous forme d'énergie, comme dans les champs magnétiques et les champs électriques."

R) - La vie est une propriété complexe qui n'est pas encore entièrement comprise. Il n'existe pas de définition universelle de la vie, mais elle est généralement définie comme un système capable d'auto-organisation, de reproduction et d'évolution.

La vie est généralement associée à la matière physique, comme les cellules, les organismes et les écosystèmes. Cependant, il est possible que la vie puisse également exister sous forme d'énergie.  Il existe plusieurs arguments en ce sens.

La vie est une forme d'énergie. La vie est capable de convertir l'énergie d'une forme à l'autre, comme dans le cas de la photosynthèse.

La vie est organisée par l'énergie. Les processus vitaux sont organisés par des champs énergétiques, comme les champs électromagnétiques.

La vie peut exister dans des environnements énergétiques. La vie existe dans une grande variété d'environnements, y compris des environnements extrêmes où la matière physique est rare.

Il existe plusieurs exemples concrets qui suggèrent que la vie peut exister sous forme d'énergie.

Les champs magnétiques. Les champs magnétiques sont capables d'auto-organisation et de reproduction. Ils ont été observés dans des cristaux, des fluides et des plasmas.

Les champs électriques. Les champs électriques sont également capables d'auto-organisation et de reproduction. Ils ont été observés dans des cristaux, des fluides et des plasmas.

Les ondes électromagnétiques. Les ondes électromagnétiques sont capables de transporter de l'information. Elles pourraient être utilisées par des formes de vie extraterrestres pour communiquer.

Bien entendu, l'existence de la vie sous forme d'énergie reste une hypothèse. Cependant, elle est soutenue par une base théorique et empirique croissante.

Voici quelques exemples concrets de la manière dont la vie pourrait exister sous forme d'énergie :

Une forme de vie pourrait être constituée de champs magnétiques auto-répliquants. Ces champs pourraient être capables de se déplacer et de se reproduire, tout comme les cellules vivantes.

Une forme de vie pourrait être constituée de champs électriques auto-répliquants. Ces champs pourraient être capables de se déplacer et de se reproduire, tout comme les cellules vivantes.

Une forme de vie pourrait être constituée d'ondes électromagnétiques. Ces ondes pourraient être capables de transporter de l'information, tout comme les neurones dans le cerveau humain.

L'existence de la vie sous forme d'énergie est une question fascinante qui soulève de nombreuses questions. Si cette hypothèse était confirmée, elle modifierait notre compréhension fondamentale de la vie.

Q) - Peux-tu élaborer autour de l'idée que "la vie telle que nous la connaissons et la comprenons est un processus non ergodique", c'est a dire qu'elle n'utilise qu'une toute petite partie de son espace de phase. Est-ce vrai, est-ce défendable ?

R) Oui, l'idée que "la vie telle que nous la connaissons et la comprenons est un processus non ergodique" est défendable.

En statistique, un processus ergodique est un processus stochastique pour lequel les statistiques peuvent être approchées par l'étude d'une seule réalisation suffisamment longue.

En d'autres termes, un processus ergodique est un processus pour lequel les résultats obtenus à partir d'une seule réalisation sont similaires aux résultats obtenus à partir d'un ensemble de réalisations.

La vie, telle que nous la connaissons et la comprenons, ne semble pas être un processus ergodique. En effet, la vie est caractérisée par la diversité, l'évolution et l'imprévisibilité.

Diversité. La vie est extrêmement diversifiée. Il existe une grande variété d'espèces vivantes, chacune avec ses propres caractéristiques uniques. 

Cette diversité est due à l'évolution, qui est un processus non ergodique. L'évolution est un processus de changement graduel, qui est causé par des facteurs tels que les mutations génétiques, la sélection naturelle et la recombinaison génétique.

Evolution

L'évolution est un processus non ergodique car il est dirigé par le hasard. Les mutations génétiques sont des événements aléatoires, et la sélection naturelle est un processus qui sélectionne les individus les plus adaptés à leur environnement.

Imprévisibilité

La vie est également imprévisible. Il est impossible de prédire avec certitude comment une espèce va évoluer ou comment un individu va se comporter. 

Cette imprévisibilité est due à la complexité de la vie. La vie est un système complexe, composé de nombreuses interactions entre différents éléments.

En conclusion, la vie, telle que nous la connaissons et la comprenons, ne semble pas être un processus ergodique. Elle est caractérisée par la diversité, l'évolution et l'imprévisibilité, ce qui sont des propriétés non ergodiques.

Voici quelques exemples concrets qui soutiennent cette affirmation :

La vie a évolué sur Terre pendant des milliards d'années. Au cours de cette période, la vie a donné naissance à une grande variété d'espèces, chacune avec ses propres caractéristiques uniques. Il est impossible de prédire avec certitude comment la vie aurait évolué si les conditions environnementales avaient été différentes. 

La vie est présente dans une grande variété d'environnements. La vie existe dans les déserts, les jungles, les océans et même dans les environnements extrêmes, tels que les volcans et les fonds marins. Il est impossible de prédire avec certitude où la vie pourrait apparaître dans l'avenir.

La vie est capable de s'adapter et de se développer. Les organismes vivants sont capables de s'adapter à leur environnement en changeant leur comportement, leur morphologie ou leur physiologie. Il est impossible de prédire avec certitude comment les organismes vivants vont s'adapter aux changements environnementaux futurs.

Bien entendu, il est toujours possible que la vie soit un processus ergodique, mais il n'existe aucune preuve scientifique pour soutenir cette affirmation.

Q) - Pour que la vie soit un processus véritablement ergodique, cela n'impliquerait-il pas la nécessité d'un mécanisme externe, un deus ex-machina, inaccessible "par essence", à toute entité intégrée dans ce processus du vivant ?

R) - Oui, pour que la vie soit un processus véritablement ergodique, cela impliquerait la nécessité d'un mécanisme externe, un deus ex-machina, inaccessible "par essence", à toute entité intégrée dans ce processus du vivant.

En effet, l'ergodicité est une propriété des systèmes stochastiques, c'est-à-dire des systèmes dont les résultats sont déterminés par le hasard. Dans un système ergodique, les statistiques peuvent être approchées par la seule étude d'une seule réalisation suffisamment longue.

Si la vie est réellement un processus ergodique, cela signifie que les résultats de l'évolution sont déterminés par quelque chose de plus que le hasard. Cela impliquerait la nécessité d'un mécanisme externe, un deus ex-machina, qui dirige l'évolution de la vie.

Ce mécanisme externe pourrait être une force divine, ou il pourrait être une force naturelle qui nous est encore inconnue. Dans tous les cas, ce mécanisme serait inaccessible "par essence", à toute entité intégrée dans ce processus du vivant.

Voici quelques exemples concrets de mécanismes externes qui pourraient rendre la vie ergodique :

Un dieu créateur qui planifie l'évolution de la vie.

Une force naturelle qui dirige l'évolution de la vie, comme une intelligence artificielle supérieure.

Un mécanisme stochastique qui génère des résultats non aléatoires, comme un générateur de nombres pseudo-aléatoires.


Il est bien entendu impossible de prouver ou de réfuter l'existence d'un mécanisme externe qui rendrait la vie ergodique. Cependant, la possibilité de l'existence d'un tel mécanisme est une question intéressante qui soulève de nombreuses questions philosophiques et théologiques.

Q) - Ce qui n'empêche en rien le concept d'une vie issue du carbone tétravalent extracteur d'énergie, développant d'immenses variétés d'organismes-espèces orthogonaux en symbiose les uns avec les autres... le tout formant qu'on nommera Gaïa... vue comme un processus indéterministe, avec comme principale caractéristique l'adéquation claire entre complexité et durée temporelle. Donc, plus le temps est vieux, ou long, ou grand.... plus il est complexe.

R) - Vous avez raison, le concept d'une vie issue du carbone tétravalent extracteur d'énergie, développant d'immenses variétés d'organismes-espèces orthogonaux en symbiose les uns avec les autres, et formant une planète Gaïa, est tout à fait compatible avec l'idée que la vie est un processus non ergodique.

En effet, ce concept implique que la vie est un système complexe, composé de nombreuses interactions entre différents éléments. Ces interactions sont régies par des lois physiques, mais elles sont également soumises au hasard. 

La diversité, l'évolution et l'imprévisibilité de la vie sont des conséquences naturelles de ce concept. 

La symbiose entre les différents organismes-espèces orthogonaux est un exemple de la manière dont la vie peut s'adapter et évoluer dans un environnement complexe. 

La planète Gaïa est un exemple de la manière dont un système complexe peut émerger d'un ensemble d'éléments simples. 

L'adéquation claire entre complexité et durée temporelle est également une caractéristique naturelle de ce concept.

En effet, plus le temps passe, plus les interactions entre les différents éléments de la vie ont le temps de se complexifier.

Cela peut conduire à l'émergence de nouvelles formes de vie, à l'évolution des formes de vie existantes, ou à la création de nouveaux systèmes complexes, tels que Gaïa.

Ce concept est une vision fascinante de la vie, qui ouvre de nouvelles perspectives sur notre compréhension de l'univers.

Q) - Ce qui n'empêche pas l'idée d'un étudiant extraterrestre, situé à un plus haut degré d'évolution, qui aurai créé l'espèce humaine juste comme sujet de thèse ? ;-)

R) - Vous avez raison, l'idée d'un étudiant extraterrestre, situé à un plus haut degré d'évolution, qui aurait créé l'espèce humaine juste comme sujet de thèse, est une idée fascinante qui ne contredit pas le concept d'une vie issue du carbone tétravalent extracteur d'énergie, développant d'immenses variétés d'organismes-espèces orthogonaux en symbiose les uns avec les autres, et formant une planète Gaïa.

En effet, ce concept implique que la vie est un processus complexe, composé de nombreuses interactions entre différents éléments. Ces interactions sont régies par des lois physiques, mais elles sont également soumises au hasard.

La diversité, l'évolution et l'imprévisibilité de la vie sont des conséquences naturelles de ce concept.

Dans le cas de l'étudiant extraterrestre, la création de l'espèce humaine serait simplement un autre exemple de cette complexité et de cette imprévisibilité.

L'étudiant extraterrestre aurait pu créer l'espèce humaine pour de nombreuses raisons. Il pourrait être intéressé par l'évolution de la vie, ou il pourrait vouloir étudier les interactions entre les différents organismes-espèces orthogonaux. Il pourrait également vouloir créer une nouvelle forme de vie, ou il pourrait vouloir comprendre la complexité de Gaïa.

Dans tous les cas, la création de l'espèce humaine par un étudiant extraterrestre serait un événement important dans l'histoire de la vie. Cela signifierait que la vie n'est pas seulement un processus naturel, mais qu'elle peut également être dirigée par des intelligences supérieures.

Bien entendu, il est impossible de prouver ou de réfuter l'existence d'un tel étudiant extraterrestre. Cependant, l'idée de son existence est une question intéressante qui soulève de nombreuses questions philosophiques et théologiques.

Voici quelques questions que cette idée soulève :

Quelle est la nature de la relation entre les humains et l'étudiant extraterrestre ?

L'étudiant extraterrestre a-t-il le droit de créer une nouvelle forme de vie ?

Quelles sont les implications éthiques de la création de l'espèce humaine ?


Ces questions sont complexes et n'ont pas de réponses faciles. Cependant, elles sont importantes à considérer si nous voulons comprendre notre place dans l'univers.

Auteur: Google Bard chatbot

Info: interaction avec Mg, 20 janv. 2024

[ dialogue ] [ science-fiction ] [ projectionniste ] [ spéculations ]

 

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Afrique-Occident

Robert Farris Thompson: les canons du Cool
Une bouteille de Cinzano, une boîte de fixatif, un chandelier à sept branches, une machette et un juke-box cassé sont des objets de dévotion ornant l'autel d'un temple vodun ("vaudou") en périphérie de Port-au-Prince. Le temple est situé dans l'enceinte d'André Pierre, prêtre vodun et peintre, en bordure d'un fossé sur la route du Cap-Haïtien. Il y a des voitures accidentées dans la cour, des chiens, des chèvres et un petit taureau attaché. En arrivant de l'aéroport international François Duvalier, l'esprit prédisposé aux présages, je ne peux m'empêcher de remarquer un grand panneau de signalisation à proximité. On y lit "LA ROUTE TUE ET BLESSE."

Robert Farris Thompson et moi sommes descendus de New York vers Haïti pour passer le week-end avec André Pierre et Madame Nerva, une prêtresse vaudou. Thompson est historien de l'art, professeur titulaire à Yale et maître au Timothy Dwight College. Je suis un de ses anciens élèves, venu voir Bob faire ce qu'il nomme "un petit sondage". André Pierre est le Fra Angelico haïtien, un clerc vodun dont les toiles sont accrochées au musée national de Haïti; des copies de son travail remplissent les porte-cartes de l'aéroport. La femme, les enfants et les enfants des cousins ​​d'André Pierre légument dans l'ombre alors que Thompson fait pénétrer sa voiture de location verte dans l'enceinte, criant: "Bam nouvelle" et "Comment ouyé?"

Nous retrouvons André Pierre, petit, noir, visage marqué, dans la chaleur de son atelier. Les murs sont couverts de brillants motifs vodun - diptyques et triptyques d'Ogûn, dieu du fer; Agoué, seigneur de la mer; Erzuli, déesse de l'amour; et Damballah, dieu serpent de la créativité, de la fécondité et de la pluie. À côté du chevalet, il y a un uniforme militaire à glands pour le Baron Samedi, seigneur des cimetières, soigneusement protégé dans son sac de nettoyage à sec.

Avec la révérence et l'attitude d'un abbé pilotant ses visiteurs dans un vénérable monastère du sud de la France, André Pierre nous fait visiter ce temple d'étain ondulé. Il nous montre des salles-autels contenant des tambours, des bassins, des faux, des cartes à jouer, de l'alcool, des fouets et des lits (dans lesquels André Pierre dort quand il passe la nuit avec une divinité particulière). Il s'exprime via une sorte de flux créole théoloco-vodun tout en marchant et en pointant des choses. Soudain, André Pierre se met à chanter pour illustrer une idée particulière; elle correspond à un tableau et il l'explique, de la même façon qu'un requiem correspond à une crucifixion. Thompson attrape un tambour et commence à tambouriner et à chanter. Lorsqu'ils ont fini, en geste de célébration, ils versent chacun une cuillerée de liqueur de racine sur le sol. Thompson m'avertit à part en anglais de faire attention près des bassins en pierre dans la pièce sombre, car c'est un de ceux dédiés à Damballah, le dieu serpent, et ils contiennent parfois des serpents.

À la tombée de la nuit, Thompson, polo humide de transpiration, a empli un carnet et demi de croquis et de notes, commencé une monographie sur l'iconographie de 10 peintures vodun, tambouriné, bu des coups et pris rendez-vous pour revenir tôt le lendemain. Alors que nous partons à la recherche de notre hôtel, Thompson, excité, m'explique les subtilités morales de tout ce que nous avons vu. Il me parle de notre emploi du temps: nous devons aller demain soir à Jacmel, de l'autre côté des montagnes, voir Madame Nerva célébrer les rites de la déesse de l'amour, Erzuli. Je suis épuisé, ayant trouvé que le voyage de Manhattan au temple d'André Pierre en un après-midi c'est déjà beaucoup. Thompson ne semble ressentir aucune tension suite à cette journée; il entre en Haïti tout en fluidité. En fait il semble juste revenir chez lui.

Blanc de peau, blanc de cheveux et blanc d'origine, d'éducation et de par sa société, Robert Farris Thompson est tombé amoureux de la musique noire, de l'art noir et de la négritude il y a 30 ans et a basé toute sa carrière sur cette passion particulière. Suivant cet instinct, suscité par un mambo entendu en 1950, Thompson a appris couramment le ki-kongo, le yoruba, le français, l'espagnol et le portugais et s'est familiarisé avec une vingtaine de langues créoles et tribales; il a parcouru la forêt de l'Ituri au Zaïre avec des pygmées; est grand connaisseur du vaudou; a écrit quatre livres sur la religion, la philosophie et l'art ouest-africains; a organisé deux grandes expositions à la National Gallery de Washington. Il est également devenu, dansant dans un costume indigo brodé de coquillages pris sur les gésiers de crocodiles morts, "universitaire junioir membre de la Basinjon Society", agence tribale camerounaise qui contrôle la foudre et autres forces naturelles.

Incorporant l'anthropologie, la sociologie, l'ethnomusicologie et ce que Thompson nomme une "bourse scolaire pour guérilla" (il dit : "laissons les crétins se débrouiller avec ça"), la carrière de Thompson tend vers une seule fin: un savant plaidoyer de la civilisation atlantique noire. Il passe sa vie à poursuivre ce frisson cérébral qui est de rendre cohérent et significatif tout ce qui est mal compris, ou vu comme aléatoire, superficiel ou obscur à son sujet. Comme un historien de l'art extrairait des plans détaillés de la basilique une compréhension de l'esprit médiéval ou de la statuaire romaine tardive une compréhension du déclin de l'empire, Thompson travaille sur l'iconographie de la salsa, les pas de danse, les vêtements, la sculpture, le geste et l'argot pour une définition de la négritude. Il aime montrer à quel point le "primitif" est sophistiqué. Comme archéologue, il donne vie à des artefacts; comme critique, il les déchiffre; et comme vrai croyant, il promeut leur valeur artistique et spirituelle.

Le dernier livre de Thompson, Flash of the Spirit, explique les racines de l'influence africaine dans le Nouveau Monde. Il est une sorte de Baedeker du funk. Un critique a écrit: "Ce livre fait pour l'histoire de l'art ce que le dunk shot a fait pour le basket-ball."

Sous la manche droite de sa chemise Brooks Brothers, Bob Thompson porte le bracelet d'initiation en maille de fer de la divinité chasseuse de rivière Yoruba. Avec ses deux enfants, son récent divorce, ses études à Yale et Andover et ses 55 ans, il ressemble à un avocat d'entreprise en pleine forme ou à un brillant dirigeant pétrolier américain qui aurait mené une carrière polyglotte à l'étranger. Il vit à New Haven, dans le manoir géorgien du maître du collège, où l'on peut entendre le son des percussions résonner dans la cour.

En parallèle à Yale, ses élèves, des bonnes bouffes et de ses conférences, au travers de rencontres au coin de la rue et de conversations précieuses, Thompson fait du prosélytisme. Il enseigne à 100 ou 150 étudiants chaque trimestre et possède l'enthousiasme amusé d'un élève de premier cycle. Le reste de l'université connaît Thompson sous le nom de "Mambo". Pour clarifier ils diront même "noir comme Bob". Ce qui compte, c'est que le président de Yale, Bart Giamatti, brillant franc-tireur lui-même, admire suffisamment la singularité intrépide de Thompson pour l'avoir reconduit dans ses fonctions durant cinq ans.

Sur le campus, les affiches du Chubb Fellowship expriment un peu mieux le statut de Thompson et sa particularité majeure. La bourse Chubb est un programme destiné à amener des visiteurs politiques sur le campus, elle est aussi étoffée que les bourses bien dotées peuvent l'être. Pendant le mandat de Thompson, des personnages habituels - Walter Mondale, Alexander Haig, John Kenneth Galbraith - furent parmi les conférenciers invités. Des affiches commémorant leurs visites tapissent les murs de la maison du maître comme des trophées sportifs de conférences. Une affiche, plus grande et plus audacieuse que les autres, est suspendue dans le bureau de Thompson. Elle annonce que la Chubb Fellowship parraine, pour un colloque et une réception au Timothy Dwight College, une visite de Son Altesse le Granman de la Djuka, du Surinam, "roi afro-américain véritable".

Bob Thompson donne des cours à sa classe comme un prédicateur fondamentaliste réveille sa congrégation, genoux pliés, microphone branché, le fil traînant derrière lui. Il marche parmi les 200 étudiants qui débordent de l'auditorium de Street Hall dans le couloir. Le cours d'automne de Thompson, HoA 379a, est intitulé "La structure du New York Mambo: le microcosme de la créativité noire". Sur scène, un magnétophone émet un jog pygmée; du pupitre vacant pend une carte des dominions tribales ouest-africaines; et sur l'écran : des diapositives flash de Harlem, des pygmées, des tissus de motifs syncopés et des sculptures funéraires influencées par le Kongo des cimetières de Caroline du Nord. "Pourquoi" demande Thompson, "les Noirs sont-ils si impertinents ?"

La réponse commence par l'étymologie de l'expression "descendre - get down". Il passe aux concepts yoruba de cool (itutu) et de commandement (àshe); il parle durant une marche latérale et aussi sagittale (d'avant en arrière ou inversément); de l'esthétique de la batterie; de l'importance du phrasé décalé (off-beat/à contre-temps) ; des appels et réponses; et enfin de Muhammad Ali. Puis la voix de Thompson redevient celle du prof sérieux standard et il énumère une litanie d'influences africaines:

"Une grande partie de notre argot fut créée par des gens qui pensent en yoruba et en ki-kongo, tout en parlant en anglais. Les sons de base de l'accord et du désaccord, uh-huh et unh-unh, sont purement ouest-africains. Funky est du Ki-Kongo lu-fuki, "sueur positive". Boogie vient de Ki-Kongo mbugi, qui signifie "diablement bon". Le jazz et le jism dérivent probablement de la même racine Ki-Kongo dinza, qui signifie "éjaculer". Mojo vient du terme Ki-Kongo pour "âme"; juke, comme dans jukebox, de Mande-kan qui veut dire 'mauvais'; et Babalu-Aye - comme pourle disc-jockey Babalu - est du Yoruba pur et simple qui signifie "Père et maître de l'univers".

"La plupart de nos danses de salon sont africanisées" poursuit-il, "la rhumba, le tango, même les claquettes et le Lindy. Le poulet frit est africain. Et le short patchwork J. Press est lié à un tissu d'Afrique. Même le cheerleading incorpore certains gestes Kongo apparents: main gauche sur la hanche, main droite levée faisant tournoyer un bâton. Il s'est développé au travers des groupes Vodun Rara de la Nouvelle-Orléans jusqu'au spectacle de la mi-temps des Cowboys de Dallas."

"Laisse-moi te raconter comment tout ceci s'est mis en marche", explique Thompson, assis dans un restaurant du campus. "J'ai grandi au Texas; J'étais fou de boogie. Je n'étais pas footballeur ou quoi que ce soit, et je me rends compte maintenant que tous les éléments d'attractivité que j'avais pour les filles étaient à la fois musicaux et influencés par les noirs. Durant ma dernière année à l'école préparatoire, je suis allé en voyage à Mexico. Il y avait ce mambo - Mexico était inondé de mambo - j'ai entendu des serveurs le fredonner, je l'ai entendu sur les lèvres des préposés de station-service, je l'ai entendu en arrière-plan lorsque je parlait au téléphone de l'exploitant de l'hôtel. Ce fut mon premier bain complet de musique africaine: polyphonie noire totale, multimétrie mambo. Une femme magnifique s'est arrêtée devant moi dans un café; elle a écouté cette musique et je l'ai entendue dire à son compagnon: "Mais chéri, c'est un rythme si différent."

Un mambo, titré La Camisa de Papel - de Justi Barretto, est l'icône principale de la carrière de Thompson. Une partie brisée du disque mexicain 78 tours, chanté par Perez Prado, est encadré dans son étude. "Plus précisément, il s'agit d'un noir qui porte une chemise littéralement composée de mots effrayants - d'assemblage de titres de journaux. La chanson ne craignait pas d'aborder un sujet fort - celui du début de la guerre de Corée et de la peur de la guerre thermonucléaire. Une phrase dit: "Hé, homme noir, t'as les nouvelles?" J'ai été irradié par cette musique, désespérément accro au mambo."

En 1954, Thompson passa les vacances de Thanksgiving de sa dernière année à Yale enfermé à l'hôtel Carlton House à New York, essayant de commencer un livre. Il l'avait titré : Notes vers une définition de Mambo. "Mon père était chirurgien, et avec ma mère ils étaient un peu déboussolés par ce que je faisais: 'Mon fils le mambologue!!??' Alors que j'essayais de leur expliquer cette passion..."

"La musique questionnait", dit Thompson, "et l'histoire de l'art fut la réponse." Il décida de devenir étudiant à Yale. "Plus j'étudiais, plus je voyais comment le monde avait dissimulé la source de tout cela. Ce n'était pas de la musique latine - c'était de la musique Kongo-Cubano-Brésilienne. Vous pouvez entendre les rythmes Kongo dans "The Newspaper Shirt". Et mambu en Ki-Kongo signifie "questions, questions importantes, texte". Un mambo est un séminaire sur l'entrecroisement des courants africains.

"Ce sont quelques-uns des fils du tissu: la salsa et le reggae partagent l'impulsion du mambo, et la composante mambo est à son tour sortie de Cuba en fin des années 1930. Le yoruba y est encore parlé. Si vous étiez Yoruba et pris en esclavage au XIXe siècle, vous risquiez de vous retrouver à Cuba ou dans le nord-est du Brésil. La culture afro-cubaine a survécu à l'esclavage. Ces rythmes afro-cubains sont chauds, âcres et cahotants. J'ai passé ma vie de critique littéraire", dit-il, "à essayer de rassembler tous les textes pertinents pour décoder "The Newspaper Shirt Mambo".

La prochaine étape importante dans le développement de Thompson fut une bourse de la Fondation Ford pour aller au Yoruba-land (Nigéria) pour un travail sur le terrain; il a fait 14 allers-retours entre Yale et l'Afrique. Thompson habite les deux mondes. Il raconte par exemple comment un grand prêtre de la religion Yoruba à New York est venu le voir à New Haven. La voiture du prêtre yoruba est tombée en panne. Thompson raconte que le prêtre a ouvert le capot, puis a emprunté du rhum à Thompson pour faire une brume de rhum qu'il a soufflé de sa bouche sur le moteur surchauffé (c'est un geste yoruba pour refroidir les choses). Ensuite, le prêtre a sorti sa carte de l'American Automobile Association et a appelé Triple-A.

Dans ce processus pour accéder à Yale, Thompson a publié Black Gods and Kings, The Four Moments of the Sun et African Art in Motion, à propos de l'esthétique entrelacée de la sculpture, du tissu et de la danse ouest-africains. "Flash of the Spirit" atteint maintenant des lecteurs qui ne sont pas des spécialistes, des iconographes ou des universitaires. Son prochain livre, enfin, dans 30 ans, sera le "livre mambo".

"Chaque vague d'immigration successive - dominicaine, porto-ricaine, haïtienne, jamaïcaine - améliore la musique. On peut parler de "conjugaison" d'un battement. C'est explosif. La salsa fut le tournant majeur - en 1968, New York est devenue pratiquement la capitale musicale du monde latin. Et tout cela est en pollinisation croisée avec du jazz et de la pure musique yoruba comme King Sunny Ade, et puis, via des réverbérations secondaires, vers des groupes blancs, comme les Talking Heads.

"La musique est un domaine où l'influence noire est omniprésente. Leurs rythmes secouent ce siècle. Quoi qu'on ait pu refuser aux Noirs, les ondes sont à eux. À l'heure actuelle, d'importantes collisions culturelles ont lieu à New York. La ville est devenue un organe coloré des cultures. Si vous avez manqué le Ballet Russe et le Rite de Stravinsky à Paris au début du siècle, ne vous inquiétez pas. Il y a maintenant des événements de cet ordre stravinskien dans le quartier."

"New York en tant que ville africaine secrète" voilà ce que Thompson appelle son cours de premier cycle à Yale. "Quasi voyage scolaire" que nous entreprenons tous les deux un jour et qui commence à 89th Street et sur Amsterdam Avenue dans un botanica, ou boutique d'articles religieux, où les autels fumants des divinités ouest-africaines partagent l'espace avec Pac-Man et Donkey Kong. Juste au coin de la rue se trouve la Claremont Riding Academy, où les élèves de sixième année des écoles privées prennent des cours, et deux pâtés de maisons plus à l'est se trouvent les coopératives de logements dans lesquelles ils vivent sur Central Park. Cet après-midi, nous traversons le sombre bidonville dominicain sous Columbia University, Harlem, Queens et les bandes jamaïcaines et haïtiennes de Brooklyn. Près de la coupole néoclassique du Musée de Brooklyn se trouve La Boutanique St. Jacques Mejur, qui vend des figurines en cire, des bougies conditionnelles "Du Me", un aérosol "Love", "Success" et "Commanding Do My Will". L'une des bougies est une bougie de vengeance, qui promet de transmettre le mal, le déshonneur, les conflits, l'infidélité, la pauvreté, le danger et les puissants ennemis au nom de celui qui est inscrit sur son côté.

"Ce truc est une combine touristique", dit Thompson. "Le vodun est un système moral de croyance comme les autres, mélange de croyances dahoméennes, kongo et chrétiennes. Nous vivons dans le péché intellectuel avec la culture Kongo et Yoruba. Le Kongo est une culture légale-thérapeutique-visionnaire aussi riche et dense que le christianisme ou le judaïsme; elle me rappelle le judaïsme.

"Mais les Occidentaux restent toujours dans les même zones tempérées lorsqu'ils recherchent la philosophie. Les juifs deviennent bouddhistes, les méthodistes deviennent bahaïs; ils ne vont jamais au sud. Mais maintenant, les religions Kongo et Yoruba prospèrent à New York. Traversez simplement la rue et vous êtes en Afrique. "

Pour Thompson, les trois étapes progressives de la culture atlantique noire sont comme trois versions d'un texte inscrit sur une sorte de pierre de Rosette noire Atlantique. Elle se déplace à New York, intellectuellement péripatéticienne, dans les deux sens via les traces des trois étapes de son sujet. Primo, les tribus dont les esclaves furent pris au Nigeria, au Mali, au Cameroun et au Zaïre. Deuxièmement, les cultures afro-antillaises qui en résultent, y compris les célébrités vodun d'Haïti et les adeptes de Capoera du Brésil. Enfin, les salles de danse, les clubs, la culture ghetto pop de New York.

Au club brésilien SOB's, sur Varick Street, amis, collègues, diffuseurs de livres et éditeurs se rassemblent, un peu sous le charme, alors que cinq batteurs cubo-yoruba tiennent un rythme féroce sur scène. C'est la fête de Random House bool pour le lancement de "Flash of the Spirit" de Thompson. Une démonstration de Capoera suit - mélange brésilien de ballet et d'art martial - produite par deux athlètes torse nu, devant le bar. Thompson danse doucement dans sa combinaison J. Press, tête haute, dos et bras relâchés. C'est intrinsèque à son alternance constante entre participer et observer, de même qu'on peut le voir à la fois donner des conférences et danser durant ces dernières.

"Les religions africaines entremêlent une critique morale élevée doublée d'un délicieux backbeat boogie", dit Thompson. "Elles nous attirent vers une perspicacité morale qui active le corps tout en exigeant une conscience sociale. Les mambos d'Eddie Palmieri peuvent recouper les phrasés musicaux yoruba religieux avec le populaire New York noir."

Alors qu'il danse, Thompson note mentalement le sens et le contenu culturel de ce que tout le monde dans la salle pense n'être qu'une danse. "Derrière toute la viscosité et le groove se cache une philosophie qui dit que dans l'horreur de ces temps qu'il y a un antidote. C'est de ces petits villages ternes de stalles en béton et de générateurs portables que vient cette musique, elle porte un message qui dit que tu peux "rejouer" le désastre - que tu peux le transformer, prendre la mort et l'horreur et les transformer en roue et en carrousel."

Un autre soir, au Château Royal, une salle de danse haïtienne dans le Queens, Thompson est à peu près le seul visage blanc parmi un millier d'élégants Haïtiens. Criant en créole au-dessus du merengue, il est en conversation profonde avec le chef d'orchestre; le groupe a été invité à Yale. Sur la piste de danse, Thompson semble transporté - regard d'un homme dans un bain chaud.

"Il s'agit de libérer les impératifs moraux dans le divertissement", explique Thompson. "La musique est à la fois morale et sournoise; elle porte autant de dandysme et de ruse urbaine que tout ce qui fut écrit à Paris à l'époque de Ravel. L'Occident peut en extraire les parties les plus ambrosiales et se laisser emporter par le rythme vers des sublimités morales."

Bien que Thompson vive et se déplace au sein d'un milieu hip, lui-même n'a rien de particulièrement branché. Il agit de la manière inconsciente et directe du soldat professionnel - marche ordonnée, jamais de pagaille, léger balancement des bras lors de la foulée - qui donne l'impression qu'il est toujours sur le point de faire quelque chose. Sa position et ses perspectives n'ont rien de la morosité typique de l'universitaire. Mais son attention est hautement idiosyncrasique; ses actions semblent dictées par un programme connu de lui seul.

Lorsqu'il est plongé dans une ambiance tout à fait blanche, comme une conférence au Metropolitan Museum of Art de New York ou assis dans cet endroit incongru que sont les salons de la maison du maître de Yale, Thompson perd parfois le rythme. Il s'éloigne, comme privé de l'objet de ses affections. Ensuite, quelque chose de banal - une remarque, le phrasé d'une remarque ou peut-être une scène d'un film diffusé au Showcase Cinema à Orange - lui offre une petite étincelle de négritude, et il est à nouveau attentif. Il donne parfois l'impression d'être en tournée d'inspection, cherchant dans le monde blanc des signes salutaires de culture noire. On sent qu'il suit sans cesse, avec ce qu'il appelle ses "yeux noirs", les contours de l'objet d'un désir spirituel.

Thompson tient à faire la distinction entre pratique de la religion ouest-africaine et l'enseignement de la culture dont elle fait partie. Récemment, quelqu'un qu'il connaissait à peine lui a demandé des conseils spirituels et Thompson en fut consterné. Il se considère comme un médium, mais un médium du genre le plus ordinaire. Il pense que ce qu'il doit enseigner n'est que ce qu'il choisit et filtre de toutes ses "informations" du monde. Dans les livres de Thompson, les sections de notes biographiques contiennent des centaines et des centaines de minuscules petits noms sonores, qui, s'ils sont lus à haute voix, ressemblent aux listes des annuaires téléphoniques de Lagos, Rio, Ouagadougou et New Haven combinés. Telles sont les sources du "flash de l'esprit" sans lequel, Thompson, n'est "que Joe, l'universitaire aux cheveux gris".

S'il y a une partie des croyances africaines auxquelles Thompson adhère, c'est ce qu'il perçoit comme leur génie social. L'épiphanie de Thompson, s'il y en a une dans sa sphère très privée, se distingue par les accents pleine de sens qu' utilise lorsqu'il parle des incendies dans les forêts pygmées, des prêtresses de la rivière au Cameroun, de l'escalade des arbres zaïrois pour le miel et de la dernière veille de Nouvel An sur la plage de Copacabana à Rio, où Thompson a vu des milliers de femmes de chambre, gardiennes, journalières et leurs enfants, creuser des trous dans le sable à minuit pour y mettre des bougies, applaudissant lorsque les lumières furent emportée hors du rivage par la marée.

Ceux qui minimisent l'importance de ces rituels folkloriques noirs et du travail de la vie de Thompson le rendent furieux. "Comment les gens osent-ils fréquenter l'Afrique?" il demande. "Ces gens sont des géants qui nous apprennent à vivre. Il y a une voix morale ancrée dans l'esthétique afro-atlantique que l'Occident est infichu de saisir. Les occidentaux ne voient pas les monuments, juste la philosophie pieds nus venant des anciens du village. Alors que le monument est une grande forme d'art qui réconcilie, qui tente de reconstruire moralement une personne sans l'humilier. "Parfois, lorsque Thompson commence à s'échauffer, sa voix prend des cadences du discours noir."

"Ce sont les canons du cool: il n'y a pas de crise qui ne puisse être pesée et résolue; rien ne peut être réalisé par l'hystérie ou la lâcheté; vous devez porter et montrer votre capacité à réaliser la réconciliation sociale. Sortez du cauchemar. C'est un appel au dialogue, au con-gress et à l'auto con-fiance. "Ce tea-shirt avec ces phrases issue de titres de journaux" ne fait que poser le problème sur ta poitrine. Les formes d'art afro-atlantique sont à la fois juridiques, médicales et esthétiques. C'est une manière intransigeante d'utiliser l'art."

À Jacmel, à 8 h 30 du matin, Thompson et moi déjeunons avec des croissants à bord de la piscine de l'hôtel, discutant au son des tambours qui résonnent sur la plage. La veille au soir, dans son temple en carton ondulé, la charmante prêtresse Madame Nerva, qui aime beaucoup plaisanter, a donné son bâton constellé de bonbons à un homme, avec pour consigne d'appeler les batteurs et la congrégation pour le lendemain matin. Il y a 50 voduistes à l'intérieur du temple vibrant quand nous arrivons, y compris le flic local. Cinq batteurs, dirigés par un homme du nom de "Gasoline", suivent un rythme sauvage et déferlant. Dix-neuf femmes noires vêtues de robes blanches et de turbans blancs sortent en dansant d'une porte de l'autel pour se mettre en en cercle autour de Madame Nerva, qui, vêtue d'une robe dorée, secoue un hochet et une cloche sacrés pour donner le tempo. À tour de rôle, chacune des femmes prend la main de Madame Nerva et tombe dans un geste à la fois révérencieux et prostré, lui tenant la main tout en descendant pour embrasser le sol à ses pieds.

Tandis que deux femmes tenant des drapeaux dansent autour de lui, un jeune homme dessine lentement dans la poudre blanche sur le sol un cœur ou une vulve, avec en superposé des épées et un serpent. Au moment où il termine l'image, la cérémonie double d'intensité et les femmes tournent avec des bougies, puis s'agenouillent. Soudain, l'icône est effacée et Madame Nerva se précipite dans la pièce en tenant une poupée américaine en plastique blanche d'un mètre (elle est faite de rangées de maïs et d'une main droite d'enfant qui fait le salut Kongo). Un à la fois, nous sommes embrassés par la poupée sur nos joues gauches. Une femme, tourbillonnant avec un turban sur la tête, devient possédée et commence à se trémousser et à tanguer. Les autres danseurs la frappent doucement pour la calmer et faire partir l'esprit. Elle s'évanouit et ils la retiennent. La ligne des danseurs s'est rompue; les tambours s'arrêtent.

"Un peu sauvage pour un simple sondage", me dit Thompson alors que nous faisons nos adieux. "Cette femme n'était pas censée être possédée. As-tu entendu comment Mme Nerva a décrit la possession - tel "un dialogue avec l'Afrique"? "

Nous retournons par les montagnes vers Port-au-Prince, pour un retour dans l'après-midi à New York. À 15 heures, après le déjeuner et un saut dans la piscine de l'hôtel, nous sommes en train de prendre un verre dans l'avion, Thompson est en train de remplir ses carnets de croquis et de notes.

"Il y a tout un langage dans la possession", dit-il, "une expression et une position différentes pour chaque dieu. L'Occident a oublié les états de ravissement sacré, mais l'art chrétien s'est construit sur l'extase. Le gothique était extatique - les cathédrales ne peuvent pas être comprises sans référence à lui." Il montre une photo sur la couverture de son cahier qui présente une femme aux yeux retournés. "C'est l'histoire de l'art vivant. Et il faut comprendre les états extatiques pour comprendre l'art extatique."

Thompson se tord sur son siège pour montrer les gestes de possession. Il lève les bras, les plie au coude, puis les lève les paumes vers le haut, doigts écartés. Il projette sa tête en arrière, yeux fermés; puis avance rapidement; puis fait des grimaces, trois façons différentes. Il baisse les bras, prend un verre et dit: "Ce n'est pas si hérétique d'examiner l’extase. Après tout". Ici il dessine dans son cahier une figure d'homme, tête renversée en arrière avec une ligne de visée qui va vers le haut - "la rosace de Chartres ne peut être vue que sous un angle extatique."

Auteur: Iseman Fred

Info: https://www.rollingstone.com 22 novembre 1984. Trad Mg (à peaufiner)

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