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La mort telle qu'elle n'avait jamais été vue
L'embrasement final du cerveau mis en lumière par l'expérience de Jens Dreier est-il à l'origine de l'apparition de cette intense lumière blanche que les personnes ayant fait une expérience de mort imminente disent avoir vue briller au bout d'un mystérieux tunnel? Cela, l'étude ne le dit pas.
Une expérience réalisée dans une université berlinoise a permis de visualiser ce qui se passait dans le cerveau d'un mourant au moment fatidique. Et les résultats, inédits, sont étonnants. Cérébralement parlant, la mort est moins une extinction qu'un ultime embrasement électrique.
C'est la grande, la fatidique question : que se passe-t-il dans notre cerveau - et donc dans notre esprit, dans notre conscience - à la minute de notre mort ? La réponse, jusqu'ici, paraissait hors d'atteinte de l'investigation scientifique : personne n'est jamais revenu de l'autre rive pour témoigner de ce qu'il avait vu et ressenti au moment de passer de vie à trépas.

Certes, il y a bien ces récits troublants recueillis sur les lèvres de celles et ceux qui ont frôlé la mort de près. Regroupés sous l'appellation d'"expériences de mort imminente" (EMI), ils sont pris très au sérieux par une partie de la communauté des neuroscientifiques qui les répertorie et les décortique, comme le fait l'équipe du Coma Science Group à l'université de Liège (lire ci-dessous).

Mais, par définition, les survivants dont l'expérience a été reconnue comme authentique EMI après évaluation sur l'échelle de Greyson (du nom du psychiatre américain Bruce Greyson, qui l'a proposée en 1983) ont échappé à la mort. Ils n'en ont vu que l'ombre. La mort elle-même et ce qu'elle provoque dans le cerveau du mourant demeurent entièrement nimbés de mystère. Du moins était-ce le cas jusqu'à cette année...

Dans une étude publiée par la revue "Annals of Neurology" qui a fait sensation - et qui fera sans doute date dans l'histoire encore toute récente de la thanatologie -, le professeur en neurologie expérimentale à l'université Charité de Berlin, Jens Dreier, détaille l'expérience extraordinaire à laquelle son équipe et lui se sont livrés sur neuf patients. Ces neuf personnes, toutes entrées en soins intensifs à la suite de blessures cérébrales, faisaient l'objet d'un monitorage neurologique lourd, plus invasif qu'un simple électroencéphalogramme.

"Il s'agit d'une technique non conventionnelle, qui permet d'enregistrer l'activité électrique du cerveau, y compris à de très basses fréquences, de l'ordre de 0,01 hertz", explique Stéphane Marinesco, responsable du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Les basses fréquences émises par le cerveau ont du mal à traverser le scalp, ce qui les rend indétectables aux appareils d'électroencéphalogramme dont les électrodes sont placées sur le cuir chevelu. Dans le système de monitorage dont étaient équipés les patients du service du Pr Dreier, les électrodes étaient placées à l'intérieur du crâne, et même sous la dure-mère, cette membrane rigide qui entoure le cerveau et la moelle épinière.

Le cerveau, un vaste mystère qui reste à élucider
Cet accès aux très basses fréquences, correspondant à une activité électrique lente, a été la fenêtre qui a permis à Jens Dreier et son équipe de visualiser ce qui se passait dans le cerveau de personnes en train de mourir. Pour leur expérience, les neuroscientifiques allemands ont simplement demandé aux familles, une fois devenu évident que le patient ne survivrait pas à son accident, l'autorisation de poursuivre l'enregistrement jusqu'au bout. Et même un peu au-delà du "bout", c'est-à-dire de la mort cérébrale, ce moment à partir duquel un classique électroencéphalogramme n'enregistre plus aucune activité cérébrale et que l'Organisation mondiale de la santé considère comme le critère médico-légal du décès.

Vague de dépolarisation
Qu'ont montré les enregistrements réalisés à la Charité de Berlin ? Quelque chose de tout à fait fascinant, jusque-là inédit, et qui devrait peut-être amener les spécialistes à reconsidérer leur définition du décès et de son moment exact. Ce phénomène cérébral, indique l'étude, survient entre 2 et 5 minutes après l'ischémie, moment où les organes (dont le cerveau) ne sont plus alimentés en sang et donc en oxygène. Et il dure lui-même une petite dizaine de minutes. On peut l'assimiler à une sorte d'incendie électrique qui s'allume à un bout du cerveau et, de là, se propage à la vitesse de 50 microns par seconde dans tout l'encéphale avant de s'éteindre à l'autre bout, son oeuvre de destruction accomplie. Les neuroscientifiques parlent de "vague de dépolarisation".

Pour maintenir le "potentiel de membrane" qui lui permet de communiquer avec ses voisins sous forme d'influx nerveux, un neurone a besoin d'énergie. Et donc d'être irrigué en permanence par le sang venu des artères qui lui apporte l'oxygène indispensable à la production de cette énergie sous forme d'adénosine triphosphate (ATP). Tout le travail de Jens Dreier a consisté à observer ce qui se passait pour les neurones une fois que, le coeur ayant cessé de battre et la pression artérielle étant tombée à zéro, ils n'étaient plus alimentés en oxygène.

"L'étude a montré que les neurones se mettaient alors en mode 'économie d'énergie'", commente Stéphane Marinesco. Pendant les 2 à 5 minutes séparant l'ischémie de l'apparition de la vague de dépolarisation, ils puisent dans leurs réserves d'ATP pour maintenir leur potentiel de membrane. Pendant cette phase intermédiaire, au cours de laquelle le cerveau est littéralement entre la vie et la mort, celui-ci ne subit encore aucune lésion irréversible : si l'apport en oxygène venait à être rétabli, il pourrait se remettre à fonctionner sans dommages majeurs.

Réaction en chaîne
Mais cette résistance héroïque des cellules nerveuses a ses limites. A un moment donné, en l'un ou l'autre endroit du cerveau, un premier neurone "craque", c'est-à-dire qu'il dépolarise. Les stocks de potassium qui lui permettaient de maintenir son potentiel de membrane étant devenus inutiles, il les largue dans le milieu extra-cellulaire. Il agit de même avec ses stocks de glutamate, le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau.

Mais, ce faisant, ce premier neurone initie une redoutable réaction en chaîne : le potassium et le glutamate par lui libérés atteignent un neurone voisin dont ils provoquent aussitôt la dépolarisation ; à son tour, ce deuxième neurone relâche ses stocks et provoque la dépolarisation d'un troisième, etc. Ainsi apparaît et se propage la vague de dépolarisation, correspondant à l'activité électrique lente enregistrée par le système de monitorage spécifique utilisé à la Charité de Berlin. Le "bouquet final" du cerveau sur le point de s'éteindre définitivement.

Il est d'autres circonstances de la vie où l'on observe des vagues de dépolarisation, un peu différentes en ceci qu'elles ne sont pas, comme ici, irréversibles. C'est notamment le cas dans les migraines avec aura, naguère appelées migraines ophtalmiques, car elles s'accompagnent de symptômes visuels qui peuvent être de simples distorsions du champ visuel, mais aussi, parfois, l'apparition de taches lumineuses, voire de véritables hallucinations assez similaires à celles rapportées dans les EMI.

L'embrasement final du cerveau mis en lumière par l'expérience de Jens Dreier est-il à l'origine de l'apparition de cette intense lumière blanche que les personnes ayant fait une expérience de mort imminente disent avoir vue briller au bout d'un mystérieux tunnel ? Cela, l'étude ne le dit pas. Mais l'hypothèse ne paraît pas indéfendable. ,

Auteur: Verdo Yann

Info: Les échos.fr, 25/11 à 17:23

[ cessation ] [ disparition ]

 

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sciences

36'000 sexes, mais à deux, c'est mieux pour les biologistes de l'évolution, le sexe est un mystère - et le binôme mâle-femelle un paradoxe. Explications sur l'origine des genres.
"L'émergence des genres reste un problème déroutant en biologie, lance Lukas Schärer, spécialiste de l'évolution de la reproduction à l'Université de Bâle. Nous ne comprenons pas encore tout à fait le sexe."
Car la présence de deux sexes amène un désavantage immédiat: elle réduit de moitié la probabilité de rencontrer un partenaire de reproduction. "Avoir deux genres n'est pas seulement une mauvaise stratégie; c'est la pire", renchérit Laurence Hurst, biologiste à l'Université de Bath (G.B.) et l'un des spécialistes mondiaux de l'évolution de la reproduction. Avec un seul genre - ou une multitude -, nous pourrions nous reproduire avec tout le monde.
La reproduction sexuée présente des avantages évidents sur le plan de l'évolution (voir encadré plus bas). Mais qui dit sexe ne dit pas forcément mâle et femelle: il est tout à fait possible de fusionner deux cellules similaires. "Il faut distinguer deux étapes, précise Laurence Hurst. D'abord, on doit pouvoir expliquer l'émergence de deux types de gamètes (les cellules reproductrices, ndlr) qui - tout en restant morphologiquement identiques - ne peuvent fusionner que l'un avec l'autre. Un deuxième niveau concerne leur différenciation en gamètes mâles et femelles, qui sont non seulement distincts, mais également différents." "Des théories existent, ajoute Lukas Schärer, mais leur démonstration univoque par des expériences fait encore défaut."
La faute aux mitochondries
Dans les années 1990, Laurence Hurst a proposé une piste pour élucider la première étape: un seul genre favoriserait des mutations potentiellement nuisibles. "En fusionnant, les gamètes ne combinent pas seulement les informations génétiques contenues dans leur noyau, mais partagent aussi leurs mitochondries (responsable de fournir la cellule en énergie, ndlr), explique le biologiste anglais. Comme celles-ci évoluent indépendamment du noyau, il n'est pas certain que les mitochondries dominantes, qui par exemple se reproduisent plus rapidement que les autres, s'avèrent également bénéfiques à la cellule et à l'individu."
Une solution à ce problème serait procurée par l'émergence de deux types de gamètes (appelés "+" et "-"), dont un seul est capable de transmettre ses mitochondries. On réduit ainsi les probabilités d'avoir des mutations mitochondriales délétères à la cellule. Afin de propager les types de mitochondries bénéfiques à l'individu, il y aurait un avantage évolutionniste à ce que seuls les différents types de gamètes puissent fusionner entre eux.
"Notre thèse est appuyée par des observations faites sur des protozoaires ciliés, poursuit Hurst. Ceux qui se reproduisent par fusion et mélangent leurs mitochondries ont deux genres alors que d'autres, qui ne font qu'échanger leur noyau sans partager leurs mitochondries, possèdent non pas deux mais des centaines de genres distincts. On observe le même phénomène chez les champignons: ils n'échangent que leur noyau, et certains possèdent jusqu'à 36'000 sexes." Avoir exactement deux sexes servirait ainsi à filtrer les mitochondries.
A quoi ressemble l'acte de chair lorsqu'on a plusieurs genres? "Les deux partenaires doivent être d'un genre différent, répond Lukas Schärer. Au niveau des probabilités, un nombre élevé de sexes se rapproche de l'absence de genre de plusieurs façons, car on peut se reproduire avec à peu près tout le monde. L'existence de genres protège les individus de l'auto-fertilisation, qui est dangereuse car elle expose souvent des mutations délétères." De nombreux sexes, donc, pour éviter la consanguinité.
La naissance du mâle
Mais pourquoi les + et les - se sont-ils ensuite différenciés en "mâles" et "femelles"? Dans les années 1970, le biologiste Geoff Parker a proposé un mécanisme évolutionniste. Des mutations ont changé la taille des cellules reproductives. Graduellement, deux types d'individus ont été sélectionnés, qui produisent soit des spermatozoïdes petits, nombreux et de valeur limitée, soit des oeufs gros, rares et précieux. Les premiers peuvent être produits en très grand nombre, ce qui augmente la probabilité de rencontre. Grâce à leur grande taille, les seconds ont davantage de chances d'être fécondés et peuvent fournir une grande quantité de matière au zigote (obtenu par la fusion des gamètes), ce qui améliore ses chances de survie. "L'évolution de l'anisogamie (des gamètes de tailles différentes, ndlr) a eu lieu plusieurs fois au cours de l'évolution et ceci de manière indépendante", rappelle Brian Charlesworth, professeur de biologie évolutionnaire à l'Université d'Edimbourg. "L'anisogamie a probablement moins de chance d'évoluer dans des espèces plus petites, car l'avantage procuré par un grand oeuf joue un rôle plus faible", note Lukas Schärer.
Reste encore la différentiation au niveau de l'individu: pourquoi la plupart des animaux comprennent des mâles et des femelles - au lieu de favoriser l'hermaphrodisme? Ce dernier s'accompagne du risque d'autofertilisation et des problèmes dus à la consanguinité, mais atténue la difficulté de trouver un partenaire. Cet avantage pourrait être un facteur déterminant chez les plantes: incapables de se déplacer, elles sont en grande majorité hermaphrodites. Au contraire des animaux, qui eux ont les moyens de partir chercher l'âme soeur.
Les bienfaits du sexe
Le but de la chair, c'est de mélanger pour mieux s'adapter. En combinant les gènes des deux parents, la reproduction sexuée permet de sélectionner les bonnes mutations et de purger les mauvaises. "Des expériences avec des levures modifiées pour se reproduire asexuellement ont montré qu'elle s'adaptent moins rapidement aux changements de l'environnement, détaille Laurence Hurst de l'Université de Bath (G.B.). On a pu observer que certaines espèces capables d'utiliser les deux modes de reproduction favorisent la voie sexuée lorsqu'elles se voient soumises à des pressions de l'environnement." Une fois le danger passé, elles retournent au sexe en solitaire - également favorisé lorsque la rencontre d'un partenaire s'avère trop difficile.
Le kamasutra de la Nature
Entre des bactéries échangeant du matériel génétique et des champignons possédant des milliers de sexes, la Nature ne montre aucun tabou. Les hermaphrodites simultanés tels que la majorité des plantes et escargots possèdent les appareils génitaux mâles et femelles, alors que les hermaphrodites séquentiels (certains poissons et crustacés) changent de sexe au cours du temps. Les êtres hétérogames (amibes sociales, micro-crustacés, algues) peuvent alterner entre reproduction asexuée et sexuée. On a observé que les femelles d'un certain nombre d'animaux (dont le dragon du Komodo et le requin marteau) peuvent parfois se passer de mâle pour se reproduire par parthénogenèse lorsque rencontrer l'âme soeur s'avère trop difficile. Les polyploïdes, eux, ne possèdent pas des paires de chromosomes comme la plupart des animaux sexués, mais de multiples copies: une espèce de salamandre n'a que des femelles possédant leurs chromosomes en triple. Elles se reproduisent par "cleptogénèse", en volant des spermatozoïdes de variétés voisines.
80 millions d'années sans sexe: un scandale évolutionnaire
Même si les premiers êtres vivants unicellulaires comme les bactéries se sont toujours reproduits de manière asexuée, "la plupart des êtres multicellulaires asexués ont évolué à partir d'espèces sexuées, note Brian Charlesworth de l'Université d'Edimbourg. Ils n'ont pas eu le temps de se diversifier et sont normalement d'origine récente." La découverte que des invertébrés aquatiques asexués appelés bdelloidés ont survécu quelque 80 millions d'années fut qualifiée de "scandale évolutionnaire" par le biologiste John Maynard Smith. Autre particularité, ces invertébrés pratiquent une forme d'hibernation: face à une pression environnementale, ils peuvent sécher et entrer en animation suspendue. En 2008, une étude d'Harvard apporte un élément de réponse: lorsqu'ils se réveillent, les bdelloidés incorporent l'ADN étranger se trouvant à proximité. Même pour les êtres asexués, le mélange des gènes semble incontournable pour survivre.

Auteur: Saraga Daniel

Info: Largeur.com, 25 mai 2011

[ couple ] [ reproduction ]

 

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infox

Avons-nous une information économique indépendante? Cet ouvrage est un guide sans complaisance pour comprendre l’était réel de l’économie — inflation, chômage, propriété, retraites, contenus sponsorisés — loin du chichi et du marketing.

Si vous avez fait le plein d’essence dernièrement, vous avez vu la pompe indiquer 130, voire 140 francs suivant la taille de votre réservoir. Pourtant, votre coût de la vie est mal reflété par les statistiques de l’inflation. Celle-ci était déjà une réalité de votre quotidien avant le Covid et avant la guerre en Ukraine, mais l’indice officiel ne vous renseignait que peu sur votre pouvoir d’achat.

L'immobilier s'est envolé

Depuis quelques années, vous avez sans doute constaté que les prix de l’immobilier ont fortement augmenté en Suisse. Vous aurez noté que certes, les taux hypothécaires s’affichent au plancher, à 1%, mais que les jeunes couples peinent à emprunter à la banque pour acquérir un bien à 1 million, s’ils gagnent moins de 180'000 francs. Peut-être avez-vous vu passer le fait qu’en Suisse, la part des ménages propriétaires de leur logement est tombée de 48% à 37% sur la décennie. Ailleurs, les problématiques sont similaires. En France, le logement ne pèse que 6% dans l’indice calculé par l’Insee, alors que chez une partie des locataires, la part des loyers est de 20% du budget et chez une partie des propriétaires, le remboursement des emprunts s’élève à 25% du budget.

Les primes maladies en forte hausse

Vous avez peut-être aussi vu que les primes maladie en Suisse se sont envolées (de 70%) alors même que l’inflation officielle était donnée à 0%, entre 2008 et 2018, et que les salaires n’ont pas été ajustés en conséquence. Vous avez peut-être cherché l’indice des primes maladie de la Confédération, calculé séparément, mais vous avez vu que même lui traduit mal l’impact beaucoup plus fort des hausses de primes sur les bas revenus que sur les hauts revenus, et que son utilité s’avère limitée.

Vous aurez peut-être vu que le nombre de ménages subventionnés pour payer l’assurance maladie a doublé depuis 1996, ce qui peut étonner dans un pays aussi riche que la Suisse. Le nombre de bénéficiaires a augmenté deux fois plus vite que la population, et le montant du subside moyen versé par assuré a triplé depuis 1996.

Et l'inflation, dans tout ça?

Une statistique de l’inflation qui, dans les pays développés, n’informe pas sur le coût de la vie, car elle exclut à peu près tout ce qui monte (assurances, logement, bourse, et dont l’indice étroit exclut l’alimentation et l’énergie): qu’est-ce que cela apporte, à part une image lustrée, peu en phase avec le quotidien de millions de ménages et peu propice à une adaptation des salaires?

Vous avez peut-être constaté que vos avoirs de 2ème pilier n’avaient pas beaucoup bénéficié de l’envolée phénoménale de la bourse ces dix dernières années. La priorité des caisses de pension a été d’alimenter les réserves pour longévité, et c’est tant mieux, mais ça met à mal le lieu commun qui veut que "quand la bourse monte, on est tous gagnants".

Les salariés, grands perdants du siècle

Vous saviez peut-être qu’à cotisations égales, les assurés d’aujourd’hui toucheront 30% moins de deuxième pilier que les générations précédentes. Et que la part de la population directement exposée à la bourse via des portefeuilles d’investissements ne dépasse pas les 10% aux Etats-Unis et probablement aussi en Europe, confirmant que la bourse n’est pas une richesse collective et que la stagnation des salaires a détérioré le pouvoir d’achat de ceux, largement majoritaires, qui dépendent exclusivement de ce revenu.

Peut-être avez-vous également noté que les chiffres du chômage en Suisse, donnés à 2,5%, n’incluent pas les inactifs et les fins de droit, sortis des statistiques, et ne tiennent pas compte du phénomène de sous-emploi, des CDD chez les jeunes ou du chômage des seniors, qui sont en nette hausse.

Dans cet ouvrage il est question de tous ces chiffres qui minimisent les aspects moins reluisants de notre économie, et dont j’observe la faible valeur informative depuis deux décennies de journalisme économique.

Les fake news économiques, un fléau moderne

Tout cela pour dire que la désinformation économique existe dans les pays développés. Les statistiques officielles sont aussi enjolivées, parfois: les déficits budgétaires européens ont été retouchés par tous les pays de l’UE, et pas seulement par la Grèce. On fait dire beaucoup de choses à une statistique de PIB, alors que sa croissance est souvent surestimée par une inflation calculée trop bas.

On publie le chiffre initial du PIB, puis sa version révisée et plus correcte vient plus tard ; mais seul le chiffre initial, souvent trop flatteur, sera largement diffusé. Un PIB devrait être complété par nombre d’indicateurs démographiques et de développement humain si l’on veut avoir une image réaliste de la performance d’un pays.

Du côté corporate, lorsqu’on lit un rapport annuel d’entreprise, on comprend vite que tant de transparence va nous noyer. Parfois, certains rapports annuels font 500 pages, et pourtant, l’essentiel n’y figure pas toujours, ou n’est pas facile à trouver. Les comptes de Credit Suisse ne disaient rien de l’exposition au fonds spéculatif Archegos, qui lui a valu une perte de 5 milliards.

Les comptes d’UBS ne disaient pas un mot de l’exposition aux subprimes américains, qui a duré des années et a constitué une part majeure des profits du groupe. Chez la plupart des multinationales, beaucoup trop de pages technico-légales noient l’information pertinente des comptes, et encore plus de pages sur la responsabilité sociale et environnementale assomment le lecteur par un marketing qui confine dans certains cas au greenwashing. C’est pourquoi j’ai voulu attirer l’attention des lecteurs, à travers cet ouvrage ici résumé, sur les nombreuses imperfections de l’information économique et financière.

Comment bien s'informer aujourd'hui en matière économique?

De nombreux autres exemples sont abordés dans le livre, et notamment le cas des fuites des paradis fiscaux divulgués par des consortiums de journalistes sur la base de sources anonymes, la question du financement des médias et des conflits d’intérêts potentiels, la manipulation des cours de l’or et ses conséquences, les campagnes de désinformation orchestrées par des agences de propagande de plus en plus actives, l’essor du marketing et de la publicité qui ne pose nul problème en soi, sauf quand ces contenus pénètrent l’information économique indépendante, et aussi l’essor des entreprises en tant que médias, avec des moyens démultipliés, et la question de l’indépendance de l’information.

Comment bien s’informer aujourd’hui en matière économique? Cet ouvrage sans complaisance se veut un guide face à toutes ces façons qu’a l’information, dans les pays développés, de se brouiller, de se diluer, de s’embellir, de perdre son indépendance, son objectivité, son utilité sociale et son rôle au service de l’intérêt public. La politisation des chiffres et l’embellissement des statistiques officielles sont souvent masquées par l’extrême mathématisation des indices.

On croirait qu’il s’agit de sciences dures, apolitiques, alors qu’en réalité, derrière chaque chiffre, il y a des postulats et des choix de société. Mieux s’informer sur l’état réel de nos sociétés, recouper les informations, n’a jamais été aussi primordial. Après avoir lu cet ouvrage, vous ne prendrez plus les statistiques officielles ou les concepts à la mode pour argent comptant. Et c’est tout ce que je vous souhaite. 

Auteur: Zaki Myret

Info: Désinformation économique, février 2022, éditions Favre. https://www.blick.ch/

[ idées fausses ] [ hyperinflation ] [ contrevérités ] [ euphémismes ] [ pouvoir informationnel ] [ soft power financier ] [ Helvétie ] [ dissimulation ]

 

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citation s'appliquant à ce logiciel

Toute émergence "qui réfléchit" ne peut être que consensuelle. 

Le moi, je, ego incarné, de même que la race (espèce) auquel il appartient, doivent nécessairement développer un univers "accepté" dans ses grandes lignes. Pour l'espèce ça semble aller de soi ; sans cela pas de signes entre les sexes pour la reproduction. Et, pour les races-communautés plus complexes (évoluées?) comme la nôtre : pas de langages communs, musique, mathématiques, beaux-arts, codes informatique, sciences... 

Pour l'individu, l'idée semble moins aisée à comprendre. Parce qu'intuitivement la "singularité" qu'il représente apparait via certains détails (variantes) qui semblent - et ne sont - pas décisifs pour la survie de l'espèce. Ainsi des graines des arbres. Mais il y a bien un consensus individuel, intime, destiné à la survie personnelle et à la reproduction, qui est recherche d'un équilibre, autant interne qu'avec les autres. 

Ces moyens termes, collectifs et singuliers (qui tendent vers la complexité) semblent indiquer quelques pistes, si on veut bien user du recul de notre mémoire collective. 

Primo, rien de temporellement fixe (terme à la mode : durable) à quoi s'accrocher. Sauf si un "équilibre solide" est installé entre biotope et individus-espèce (pensons aux requins, entre autres exemples). 

Secundo, existent une adaptabilité et une curiosité incessantes chez l'homme, qui avec le temps semblent occuper toujours plus les activités cérébrales de l'individu, lui-même infime et singulière émergence - initiatico-spirituelle souvent -, qui "ouvre" le monde tout en le perpétuant. 

Tertio. De ce continu phénomène d'évolutions/adaptations, on pourra constater, et probablement modéliser, toutes sortes de décalages évidents, nécessaires, à plein d'échelles et de niveaux. Dissonnances fines qui peuvent aller jusqu'à des ruptures de compréhension-communication entre : générations, époques, genres/sexes, habitudes, manières de voir, etc. De là beaucoup de malentendus et conflits, et donc une grande nécessité de tolérance et d'amour. 

Alors, pour faire marcher ensemble les consensualités intriquées du grand univers objectif avec les singularités subjectives, autrement dit concilier nos indéniables solipsismes avec le plus de niveaux possible que présente le cosmos matrice insondable, on entrevoit un principe orgonomique de l'ordre de l'adaptation pragmatique. Stephen Wolfram va jusqu'à affirmer que quelques règles simples (un code source) pourraient sous-tendre tout ceci. Pourquoi pas.

En termes linguistiques on pourra tenter d'affiner la définition de ce principe orgonomique par l'ajouts de vocables comme effort, collaboration solidaire, amour, chance/hasard, curiosité, survie, etc. 

Et puis, en tout dernier, se pointe le mot "esprit". On ne peut entrevoir ce concept qu'en fin de chaine. En effet l'esprit - ou réflexion un peu continue -, s'articule lui-même sur le maniement de mots/concepts (quasi-esprits de Peirce), eux-mêmes péniblement émergés d'une évolution lexicologique somme toute très récente et souvent retraçable. Analyses, pensées, élaborations abstraites... souvent aussi appuyées sur d'autres idiomes comme les mathématiques.  

Au-delà des listes et autres inventaires, l'écriture et les signes permettent donc - finalement - de raisonner et réfléchir... et  "commencer à" s'extraire, à s'élever un tout petit peu pour tenter de mieux voir. 

On se demande dès lors comment et pourquoi certains penseurs, gourous et autres religieux, qui "moulinent à la parole", décrétent que l'Esprit est à la source de tout, alors qu'il ressemble plus à une conquête pour ce qui nous concerne. Infinitésimale.

En rappelant par honnêteté qu'il y a belle lurette que les grecs anciens ont établi que le langage (logos) était l'instrument de la raison. Et puis : issue de l'invraisemblable fatras du kabbalisme et des traditions sumériennes, vient la théologie chrétienne où, d'un coup d'un seul le "Logos" est employé pour désigner la deuxième personne de la Trinité chrétienne. En bref Jésus, le Christ, prend le même sens que "verbe, parole". L'origine de cette désignation étant formalisée bien a postériori ainsi dans la Bible : "Au commencement était la Parole, et la Parole (logos) était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, etc". (Évangile selon Jean, chapitre 1). Cet Évangile de Jean affirme donc que Dieu parle, sa parole est son hypostase, sa Parole créatrice est aussi puissante que Lui-même : Il est Sa Parole, etc... Ce concept de la parole de Dieu comme hypostase de Dieu même est commun à plusieurs religions, mais pour l'auteur de l'évangile, ce qui est original et unique à la chrétienté est que cette parole, hypostase, qui est Dieu même, est devenue homme et a habité parmi les hommes : "Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père." (Évangile selon Jean, chapitre 1, 14)

Arrêtons là et contentons-nous de prendre ce paragraphe comme une extraordinaire démonstration de langage performatif. Très très très performatif, au vu de la puissance et de la place prise par le judéo-christianisme en début de 3e millénaire. 

Mais assez : revenons à notre idée de départ, celle de l'invraisemblable mélange de consensus/échelles/êtres/univers/etc. que nous pouvons constater et de sa préhension par notre entendement. Entendement développé via nos signes/écrits, mémorisés et intégrés dans notre mémoire collective. Ce qui amène beaucoup de gens à vouloir croire que l'humain est "au-dessus", élu... Supérieur... Il bénéficierait d'un esprit d'ordre surnaturel, divin, astralement dessiné. Essence orgonomique que d'autres imaginent comme quelque chose de l'ordre du fluide vital, énergie subtile issue d'un autre espace (dimension), dotée pour le coup de capacités/pouvoirs au-delà de nos possibilités de modélisation, etc.

Avançons-nous un peu pour affirmer que ce fameux Esprit, à la lumière de nos faibles connaissances, ressemble beaucoup plus à la version "manipulation de signes" par des cerveaux tardivement accouché de l'évolution, qu'à une émergence extraordinaire, divine et miraculeuse. Surtout si on s'amuse à comparer ces manipulations aux merveilleuses complexités et aux presqu'insondables développements de la vie biologique.

Ici FLP pointe le bout de son nez et, avec l'aide de C.S. Peirce - unique penseur ayant développé une approche solide et cohérente en ce domaine -, propose un outil, souple, puissant et collectif qui permet (en français, humblement et à sa manière) d'explorer-rechercher-bidouiller langage et sémantique, ces dispositifs de signes aptes à traiter tout et son contraire, aptes à passer du mirage absolu au plus cru des réalisme - en mélangeant les deux. Mais aussi inaptes, de par leur nature immobile (un fois une pensée écrite, et donc arrêtée - et si on veut bien nous excuser cette énorme lapalissade) à véritablement traiter notre support réel, la vie, ce mouvant embrouillamini qui se permet de mélanger sans discontinuer les échelles, vitesses, sentiments, etc. 

Pour revenir sur terre on dirait bien que les résultats de ce magnifique entendement humain nous amènent plutôt, en ces années de pandémie Co-vid,  vers un abrutissement drastique de forces de vie humaines de moins en moins sollicitées à cause des "progrès" techniques et médicaux. Sans parler du genre de biocratie sanitaire qui en découle. Pensez : tout récemment encore l'occident se battait contre l'acharnement thérapeuthique, affolé par la poussée démographique et le vieillissement des populations. Aujourd'hui on dirait qu'il s'auto-asphyxie pour sauver les personnes âgées. 

Mais soyons positifs et rassurons-nous. Ce ralentissement aura permis à la planète de respirer, et aussi de s'unifier - contre le covid. Unification qui pourrait mettre en parallèle biologie et communications humaines à l'échelle de la planète et ainsi procéder à un développement-consolidation de signes communautaires, càd de mêmes terrestres.

Contemplons la suite et restont bien zens goguenards. 

Vigilants.

Auteur: Mg

Info: 10 janv. 2021

[ sémiotique ] [ pré-mémétique ] [ systèmes intelligents ]

 
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fausse viande

La Décroissance : Pour vous, l'abolition de l'élevage fait le jeu du capital : il y a une collusion d'intérêts entre ceux qui la prônent et la science, l'industrie, les start-up des biotechnologies, les investisseurs qui se saisissent du marché en plein essor des substituts alimentaires...

Jocelyne Porcher: [...] Ce qui se développe aujourd'hui, le véganisme, la revendication d'en finir avec l'élevage, cela sert des intérêts économiques. L'agriculture cellulaire qui arrive, en collusion avec les défenseurs des animaux au nom d'une agriculture sans élevage, s'inscrit dans la continuité du processus d'industrialisation de la production alimentaire. On passe de la production de matière animale à partir d'animaux à la production de matière animale sans les animaux, avec les mêmes acteurs : c'est-à-dire la science, l'industrie, la banque. [...] Avec l'agriculture cellulaire, on change le niveau d'extraction : au lieu d'extraire la matière animale à partir de la vache, du cochon, etc., l'extraction se fait à un niveau plus resserré, au niveau de la cellule. On est bien dans la même logique de pensée, complètement inscrite dans le système capitaliste. Ce qui explique à la fois le soutien financier accordé aux associations véganes, type L214, qui reçoit directement de l'argent d'une fondation américaine et qui a une surface médiatique sans commune mesure avec ce qu'elle fait réellement, c'est-à-dire de la communication au service d'une agriculture sans élevage. [...]

LD : En quoi consiste la viande "propre" que les start-up veulent produire ?

JP : Mark Prost, un des premiers biologistes a avoir travaillé là-dessus, celui qui a présenté le premier hamburger in vitro en 2013, disait : "La viande in vitro est 100% naturelle, la seule différence c'est qu'elle est produire en dehors de la vache..." C'est ça l'idée: ils considèrent que la vache, ce n'est que de la ressource de matière animale. [...] L'idée de certaines start-up, c'est de faire l'équivalent du produit industriel en se passant d'animaux : selon eux, la multiplication de cellules de poulet va donner la même chose que le poulet qu'on achète actuellement dans les supermarchés, au moins visuellement...

LD: On a l'impression qu'ils n'en sont qu'au stade expérimental. Ce marché est-il appelé à grandir ?

JP: [...] Il y a des milliards investis là-dedans, des dizaines de start-up qui se développent, le potentiel du marché est énorme, non seulement en ce qui concerne la viande in vitro, mais aussi l'ensemble des substituts: le faux lait, les faux oeufs, le faux cuir... le faux tout. D'un point de vue technique, ce qu'on réussit à faire dans un incubateur, on peut réussir à le faire dans cent incubateurs. [...] Après il y a le volet sanitaire : ce sera peut-être un peu plus compliqué de garantir l'innocuité de ces produits. Mais aux Etats-Unis, cette viande in vitro est déjà autorisée à la vente, comme si c'était un produit ordinaire. La deuxième limite, c'est le consentement des gens à manger ces produits. C'est pourquoi, en plus de l'aspect production, les start-up des biotechnologies font un travail de fond pour préparer les consommateurs, construire la demande. De ce point de vue, des associations comme Peta aux Etats-Unis, L214 en France et Gaïa en Belgique, préparent vraiment le terrain pour que le marché des substituts se développe.

LD: Pour vendre ces substituts, l'industrie des biotechnologies affirme qu'elle oeuvre pour un monde meilleur. Vous, au contraire, vous montrez qu'elle signe le triomphe de la société industrielle et technicienne.

JP : Non seulement c'est l'industrialisation complète du vivant, mais c'est aussi la réduction de la vie au vivant. [...] On produit un amas de cellules qui se multiplient, c'est du vivant biologique, mais il n'y a pas de vie. C'est effectivement le triomphe de la technique, en tant qu'elle est complètement mortifère. Je le dis en citant Michel Henry, qui l'explique dans son livre La Barbarie : le triomphe de la technique sur la vie, c'est une destruction de la vie même, des affects, de la culture, du lien, de tout ce qui fait que la vie, c'est autre chose que du vivant.

LD: Le mouvement de la "libération animale" a l'air plus implanté dans les métropoles que dans les campagnes. Est-ce que vous pensez que ce type de préoccupation relève d'une civilisation très urbanisée comme l'est la nôtre, hors-sol, où on n'a plus de contact avec la terre, l'élevage et la production alimentaire en général ?

JP : Quand on est dans un milieu rural où il y a encore des vaches dans les champs, où les gens peuvent encore croiser des agriculteurs, des éleveurs, avoir un rapport à la vie et à la mort, les revendications d'en finir avec l'élevage passent beaucoup moins facilement que dans un milieu urbain, où les gens sont complètement déconnectés de la production, de ce que c'est qu'un champ, une prairie, de ce qui fait la relation de travail entre les humains et les animaux, et plus largement entre les agriculteurs et la nature. [...] Toute la propagande abolitionniste leur dit qu'élevage et production animale, c'est pareil. Ils sont dans la compassion, l'émotion. Des visions d'animaux maltraités leur arrivent sur leurs smartphones, et ils ont des réactions binaires : "la viande c'est mal, c'est affreux, je n'en mange plus." [...]

LD: Marx ironisait au XIXe sur les bourgeois qui se préoccupaient de protection animale mais qui ne se souciaient pas de la dégradation des conditions de vie dans les cités industrielles. Dans votre livre, vous notez aussi qu'une certaine protection animale, contemporaine de l'industrialisation et de l'urbanisation, parle de "bien-être animal" en dépolitisant la question.

JP : C'est aussi ce qu'a souligné l'historien Maurice Agulhon à la suite de Marx : le fait qu'au XIXe siècle, la protection animale vise d'abord à pacifier les classes populaires, avec l'hypothèse que la violence commise envers les animaux est de leur fait, et qu'au-delà couve le risque d'une violence contre l'ordre social, contre la bourgeoisie. Toute cette bourgeoisie, qui tient les transformations sociales, veut pacifier les mœurs après les révolutions de 1830 et 1848. Et l'un de ses moyens, c'est de pacifier les rapports envers les animaux, avec l'idée qu'il y a une violence atavique des classes populaires contre les animaux, que les gens ordinaires sont des brutes épaisses qu'il faudrait maîtriser, former, éduquer, civiliser. La loi Grammont, votée en 1850, [...] condamne le cocher qui malmène son cheval, mais pas le bourgeois propriétaire de la mine où descendent des chevaux et des enfants. On condamne la violence des personnes, des paysans, des ouvriers, mais on ne remet pas en cause les énormes bouleversements qu'engendre l'industrialisation [...] : la violence inouïe contre les enfants, les femmes et les hommes, mais aussi contre les animaux qui sont tous prolétarisés. Aujourd'hui, les défenseurs du "bien-être animal" sont toujours dans cette vision individuelle et dépolitisée : il suffit de voir une association comme PETA appeler à éduquer les gens, les rendre moraux, en leur donnant de la viande in vitro s'ils tiennent absolument à en manger, alors qu'elle occulte complètement les rapports sociaux et l'organisation du travail pensée par la bourgeoisie. Pourtant, la question, c'est bien la place des animaux dans les rapports sociaux, la violence faite aussi bien aux humains qu'aux animaux. Dans les porcheries industrielles par exemple, les gens subissent les mêmes conditions de vie au travail que les bêtes : on est enfermé du matin au soir, dans la poussière, le bruit, les odeurs infectes, c'est le même univers concentrationnaire pour les uns et pour les autres.

Auteur: Porcher Jocelyne

Info: Dans "La décroissance" N°165, décembre 2019, pages 26-27

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décadence

FORT MCMURRAY, LE TROU DU CUL DU MONDE.
Avant de lire ces quelques lignes, il faut mettre de côté la sensibilité et la compassion pour les gens qui ont perdu leur maison. Sans coeur, aussi immonde que ça puisse paraître, il faut faire abstraction de ces vies chamboulées. Il y a parfois des événements ironiques dans la vie. Des situations qui nous permettent de penser autrement, en perspective, à quelque chose de plus grand.
FortMcMurray : Un court séjour chez Maurice
J'ai déménagé à Fort McMurray en 2009. Comme plusieurs autres canadiens, je cherchais un moyen facile de faire de l'argent. Un salaire de 100,000$ par année, c'était attrayant pour un jeune de 19 ans tout juste gradué du Cégep. "Je vais placer de l'argent de côté, payer mes dettes d'études, et je reviendrai au Québec avec un gros char". C'est la même pensée qui traverse l'esprit de milliers de jeunes canadiens à chaque année. Il n'en fallait pas plus pour nous attirer! Mon ami et moi étions déjà en route pour le trou du cul du monde: Fort McMurray.
Jamais auparavant je n'avais vu autant de pick-ups! Que ce soit dans les rues, les entrées de maisons ou le stationnement du Walmart, il y en avait partout. À Fort McMurray, il y a plus de concessionnaires que d'organismes communautaires, de bibliothèques et d'écoles mis ensemble.
On se le répétait, bientôt, nous allions être riches! Quelques nuits difficiles à dormir dans notre vieille caravan, le temps de trouver un emploi... et le tour est joué!
Quelques jours plus tard, nous avions trouvé une chambre à louer chez une famille de Québécois. Le visage de Fort McMurray, c'était cette famille de la Beauce. Ils avaient déclaré faillite, ils étaient sans ressources et sans moyens. Pour eux, avec leurs deux adolescents, "Le Mac" c'était leur dernier espoir.
Ces Beaucerons n'avaient aucune éducation, toute la famille était obèse, à chaque soir ils commandaient du poulet frit ou de la pizza. Les caisses de Coca-Cola et de Molson Canadian faisaient partie intégrante de la décoration. Bref, une famille colonisée, des truckers de Fort.
Maurice nous demandait 1000$ pour une petite chambre avec deux lits simples. 1 pied séparait les deux lits, on s’entendait péter. Ça allait faire la job! Une maison fièrement achetée 500,000$ par les propriétaires, payé par les chambreurs, nous étions 8! Maurice nous l'avait bien dit: "Le Québec c'est de la marde, jamais j'aurais pu m'acheter une grosse cabane là-bas".
Même après une faillite, c'est très facile de trouver un prêteur dans le Mac, surtout avec un revenu de 100,000$ pour chauffer un camion ou ramasser les ordures.
Maurice allait faire fortune, il était en train de construire 4 nouvelles petites chambres au sous-sol pour les prochains arrivants, il planifiait s'acheter une deuxième maison. Maurice avait des rêves.
Ça ne faisait même pas un mois que nous étions là qu'il augmenta notre loyer à 1,200$ par mois. Si l'on refusait, nous devions quitter le lendemain matin. C'est ce qu'on a fait, salut mon cher Maurice!
À Fort McMurray, il fait toujours gris, les gens boivent beaucoup d'alcool. Cette ville connaît un grave problème de prostitution, de jeu et de drogue. Pour la plupart, des gens peu éduqués qui veulent s'enrichir rapidement, c'est un mélange toxique pour n'importe quelle société. En investissant dans cette ville éloignée, le Canada participe au génocide intellectuel d'une nation.
Comme au Far West, les hommes se promènent en pick up neuf, le menton bien haut, c'est ça la vie. Il y a souvent des bagarres, les gens consomment beaucoup de drogue pour oublier l'ennui, beaucoup de drogue.
Lorsque j'ai commencé à travailler comme agent de sécurité sur une mine, tout le monde avait un seul but: faire fortune sans études en se renseignant le moins possible sur le monde autour. La sélection naturelle renversée.
Fort McMurray, c'est le paradis de l'individualisme et de la bêtise. Jean Chrétien nous l'a dit, c'est ça le plus meilleur pays au monde.
Je me sentais comme dans un livre de Orwell, une société sans culture, sans personnalité, un objectif commun: dépenser son argent dans les bars, les voitures et sur les tables de Blackjack du Boomtown.
C'est là-bas que j'ai rencontré Ashley, une trentenaire de l'Ontario venue habiter à Fort McMurray pour payer ses dettes exubérantes. Elle était là depuis seulement 4 mois, sa première décision fut d'emprunter 50,000$ pour s'acheter une Mustang de l'année. Flambette! Comment vas-tu payer tes dettes Ashley? "Pas grave, avec mon gros salaire, je vais finir par tout payer".
Ces rencontres et constatations furent des événements catalyseurs pour moi. Quant à ma perception de l'économie et de la société canadienne. Je ne me suis jamais senti autant différent, autant Québécois.
Dernièrement, j'ai entendu des politiciens dire à quel point nous devrions être fiers de Fort McMurray. Non, il y a aucune raison d'être fier de Fort McMurray. Il m'est arrivé souvent de penser que cet endroit allait exploser, être abandonné ou même bruler avec tout ce pétrole qui lui sortait par les oreilles.
Non seulement, c'est une tragédie environnementale, mais c'est aussi un poison pour le progrès humain. Lorsqu'on investit dans le pétrole, on détruit des milliers d'âmes créatives. Au lieu d'étudier et participer au progrès, des milliers de jeunes vont mourir là-bas; pour quelques dollars additionnels. Le coût de renonciation pour le Canada est énorme. Ça prend de l'imagination et du cran pour faire autrement.
Nous l'aurions peut-être notre grande innovation, notre grand succès commercial, notre voiture électrique, si ce n'était pas du pétrole. Nous l'aurions peut-être notre indépendance énergétique, notre belle utopie scandinave.
Lorsqu'on fait le choix facile du pétrole, au nom de la productivité, au nom du développement économique, on enterre des futurs scientifiques, on intensifie notre déclin. L'ère des hydrocarbures est révolue au moment où nous devrions investir dans l'économie du 21ème siècle.
Après ce feu, pourquoi reconstruire? Pourquoi réinvestir des milliards de dollars à Fort McMurray. Selon plusieurs études dont celle du National Energy Board, les ressources pétrolières seront totalement épuisées en 2050 et le baril de pétrole restera sous la barre de 100$ jusqu'en 2040. C'est un pari trop risqué.
Fort McMurray n'amène aucune innovation, aucun progrès social, aucune matière grise. Fort McMurray enrichit les concessionnaires et les compagnies de construction, tout cet argent est jeté à la poubelle.
Ce feu remet les choses en perspectives. Je vais vous le dire franchement, Fort McMurray, c'est le trou du cul du monde.
Reconstruire, pourquoi?
Aussi cru que ça puisse paraître, je ne reconstruirais rien, je laisserais le courant naturel des choses faire son oeuvre, le feu de Fort McMurray, c'est l'opportunité de nous sortir des hydrocarbures. Pourquoi dépenser plusieurs milliards, encore, dans une industrie destinée à mourir? Pour stimuler la productivité et le PIB par la dette? Pour créer des emplois dans la construction? Pour épuiser une ressource de moins en moins rentable dans un endroit qui n'existera plus dans 40 ans?
Dans un monde idéal ce serait le moment de recommencer sur de nouvelles bases, dans un monde meilleur il serait temps de relocaliser et former ces gens dans l'économie du 21 ème siècle. Ce feu est une grande ironie.
Monsieur Trudeau, vous avez tout un défi devant vous. Faire le choix facile de l'économie du pétrole et perpétuer cette tradition toxique. Ou alors faire le choix du progrès humain. La balle est dans votre camp.
(Ecrit quelques heures plus tard) Ne méprenez pas mes propos, je suis triste pour les gens éprouvés dans cette tragédie, mais je suis de ceux qui croit que ce malheur en cache un autre bien plus important.

Auteur: Hotte Jean-François

Info: 8 MAI 2016, suite à un gigantesque incendie qui a détruit une partie de cette ville

[ fric ] [ abrutissement ]

 

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physique fondamentale

On m’a dit que je gaspillais mon temps 

Malgré son emploi du temps surchargé du à son prix Nobel de physique 2022 partagé avec l’Américain John F. Clauser et ­l’Autrichien Anton Zeilinger, le physicien nous a reçus et livré un entretien inédit sur ses recherches, avec la passion qui l’anime.

AM - Vous venez de recevoir le prix Nobel de physique 2022 pour vos travaux sur l’intrication qui ont permis d’appréhender le cœur de la théorie quantique. Avant de nous expliquer vos recherches, pouvez-vous nous donner un aperçu de la "physique quantique" ?

AA - La physique quantique a été développée au début du XXe siècle pour rendre compte des propriétés du monde microscopique : les atomes, les électrons… Ce que la physique classique n’arrivait pas à faire. À la fin du XIXe siècle, on savait, par exemple, que la matière était formée de charges positives et négatives qui s’attirent. Mais pourquoi, alors, cette matière ne s’effondrait-elle pas sur elle-même ? La physique classique ne pouvait apporter aucune explication.

Pour le comprendre, il a fallu recourir à la physique quantique, notamment à l’un de ses premiers concepts : la dualité onde/particuleAinsi, un objet, par exemple la lumière, que nous décrivons comme une onde, doit aussi être considérée comme formée de grains, à savoir les photons. Réciproquement, des objets dont nous pensons que ce sont des particules – un électron, un atome, un neutron – doivent aussi, dans certaines circonstances, être considérés comme des ondes. C’est la base de ce qu’on appelle "la première révolution quantique". Cela a permis de comprendre la stabilité de la matière, la conduction du courant électrique ou la façon dont la matière émet ou absorbe la lumière.

Et puis dans les années 1940-1960, ce fut l’invention du transistor et du laser qui s’appuyaient sur cette théorie quantique. Ces deux technologies n’ont pas été élaborées par un bricoleur dans un garage en Californie, mais par les plus grands physiciens de l’époque qui ont eu des prix Nobel. Une fois qu’on a le transistor, on a les circuits intégrés à la base des ordinateurs.

AA - Et qu’appelle-t-on deuxième révolution quantique ?

AA - Elle a été lancée par un article d’Albert Einstein, de Boris Podolsky et de Nathan Rosen en 1935. Ils découvrent dans les équations mathématiques de la physique quantique des états où deux particules qui ont interagi, mais qui n’interagissent plus, semblent continuer à former un tout inséparable. C’est ce que l’on appellera l’"intrication". Dès le début, le physicien Niels Bohr s’était opposé aux conclusions d’Einstein. Son homologue John Bell a alors proposé, en 1964, de faire des expérimentations pour trancher la discussion.

Il a ensuite fallu plusieurs décennies pour que les autres physiciens réalisent la portée des travaux de Bell. Quand j’ai commencé ma thèse en 1974, nombre d’entre eux pensaient que l’intrication n’était pas différente de la dualité onde/particule. Puis, on a pris conscience de sa nouveauté. C’est pourquoi je parle d’une "deuxième révolution quantique", d’abord sur le plan de la recherche fondamentale, mais également sur les nouvelles applications que cela a suscitées, comme la cryptographie ou les ordinateurs quantiques.

AM - Comment a-t-on validé ce phénomène "d’intrication" ?

AA - Il fallait créer une paire de photons et une méthode pour montrer que, même éloignés, les deux photons demeuraient corrélés. Le photon, c’est de la lumière et la lumière a une polarisation. Un polariseur est un instrument d’optique qui a deux sorties associées à l’orientation de son axe : tout l’objet du test est de regarder comment les résultats dépendent de cette orientation. Si les polariseurs sont parallèles, vous avez une corrélation parfaite, vous trouvez les mêmes résultats des deux côtés. Imaginez que je lance deux pièces à 10 mètres de distance l’une de l’autre, ça a l’air aléatoire, mais si j’ai pile d’un côté, j’ai pile de l’autre, et si j’ai face d’un côté, j’ai face de l’autre. C’est la corrélation prévue pour les photons intriqués. Et cette corrélation est si forte qu’on ne peut en rendre compte que par la physique quantique.

AM - Quelles expériences ont été réalisées pour établir cette intrication ?

AA - La première expérience a été faite par John Clauser et Stuart Freedman en 1964. Celles que j’ai faites dix ans plus tard et celles qu’Anton Zeilinger a effectuées seize ans après moi ont des niveaux de raffinement différents, mais portent sur des objets identiques : il s’agit de deux photons émis par la même source et qui s’éloignent l’un de l’autre dans des directions opposées. J’ai mis cinq ans à fabriquer ma source. J’ai commencé en 1974 et les premières paires de photons intriqués ont été obtenues vers 1979-1980. Pour ce faire, je prends des atomes, je tape dessus avec des lasers, je les "excite" de façon contrôlée, et ils n’ont pas d’autre choix que d’émettre les deux photons dont j’ai besoin.

Après l’émission des photons et avant leur détection, il faut que les deux polariseurs soient éloignés l’un de l’autre et que leur orientation soit déterminée au dernier moment afin qu’ils ne s’influencent pas. Ainsi, mes deux polariseurs sont distants de 6 mètres de la source et je change leur orientation pendant le temps de vol des photons qui est de 20 nanosecondes… Comment tourner un appareil en 20 milliardièmes de seconde ? C’est impossible, mais j’ai eu l’idée de construire une espèce d’aiguillage capable de le faire et l’expérience a réussi.

AM - D’où vient votre passion pour la physique ?

Je suis originaire du village d’Astaffort (Lot-et-Garonne) à une époque où les champs étaient labourés avec le cheval ou les bœufs, mais j’étais fasciné par le moindre objet technique, par exemple les outils des artisans. Je me souviens de la visite, à Fumel, d’un haut-fourneau qui fournissait de la fonte transformée en tuyaux comme ceux que j’avais vu poser dans mon village pour installer l’eau courante. À l’école primaire, les instituteurs et institutrices faisaient ce que l’on appelait des "leçons de choses". J’étais aussi un grand lecteur de Jules Verne.

Arrivé au lycée d’Agen, je me réjouissais à l’idée de faire de la physique-chimie, mais on ne commençait qu’en seconde. J’ai eu alors un professeur formidable, Maurice Hirsch, qui nous faisait des expériences extraordinaires. Il a décuplé mon intérêt pour la physique et m’a enseigné des méthodes que j’ai conservées toute ma vie.

AM - Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient se lancer dans votre discipline ?

AA - Il est clair qu’il y a un problème de moyens financiers. La loi de programmation de la recherche fait des propositions intéressantes, mais quand on regarde les budgets associés, ils sont inférieurs à ce que l’Académie des sciences avait estimé être le minimum pour que la recherche française puisse rester au niveau des concurrents étrangers. Les crédits de base, y compris ceux de l’Agence nationale de la recherche, sont décevants, même s’ils ne sont pas négligeables. Heureusement, on peut obtenir des crédits européens pour des projets innovants jugés au meilleur niveau, mais seul un petit nombre de chercheurs peut en bénéficier.

On me demande souvent si, aujourd’hui, on pourrait faire la même chose que ce que j’ai fait dans les années 1970-1980. Certainement pas de la même façon, mais un chercheur titulaire peut se lancer dans un projet de recherche original. Au pire, sa carrière sera freinée mais, moi aussi, je courais ce risque. Comme j’avais un poste permanent, je pouvais me lancer dans une recherche à long terme sans craindre de perdre mon emploi d’enseignant-chercheur.

On m’a dit que je gaspillais mon temps, que mon sujet n’avait aucun intérêt, mais je gardais mon emploi. Il en est toujours de même. Si un scientifique du CNRS ou de l’université se lance dans une recherche ­désapprouvée par les comités, il peut persévérer s’il accepte un certain retard de carrière. Bien sûr, si au bout de dix ans son travail n’a débouché sur rien, il doit se remettre en cause, les comités n’avaient peut-être pas tort.



 

Auteur: Aspect Alain

Info: Interviewé par Anna Musso pour https://www.humanite.fr, 8 Novembre 2022

[ nano-monde ]

 

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transposition linguistique

La théorie de la traduction est très rarement - comment dire ? - comique. Son mode de fonctionnement est celui de l'élégie et de l'admonestation sévère. Au XXe siècle, ses grandes figures étaient Vladimir Nabokov, en exil de la Russie soviétique, attaquant des libertins comme Robert Lowell pour leurs infidélités au sens littéral ; ou Walter Benjamin, juif dans un Berlin proto-nazi, décrivant la tâche du traducteur comme un idéal impossible d'exégèse. On ne peut jamais, selon l'argument élégiaque, reproduire précisément un vers de poésie dans une autre langue. Poésie ! Tu ne peux même pas traduire "maman"... Et cet argument élégiaque a son mythe élégiaque : la Tour de Babel, où la multiplicité des langues du monde est considérée comme la punition de l'humanité - condamnée aux hurleurs, aux faux amis, aux applications de menu étrangères. Alors que l'état linguistique idéal serait la langue universelle perdue de l'Eden.

La théorie de la traduction est rarement désinvolte ou joyeuse.

Le nouveau livre de David Bellos sur la traduction contourne d'abord cette philosophie. Il décrit les dragons de la Turquie ottomane, l'invention de la traduction simultanée lors du procès de Nuremberg, les dépêches de presse, les bulles d'Astérix, les sous-titres de Bergman, etc.... Il propose une anthropologie des actes de traduction. Mais à travers cette anthropologie, c'est un projet beaucoup plus grand qui émerge. Les anciennes théories étaient élégiaques, majestueuses ; elles étaient très sévères. Bellos est pratique et vif. Il n'est pas éduqué par l'élégie. Et c'est parce qu'il est sur quelque chose de nouveau.

Bellos est professeur de français et de littérature comparée à l'université de Princeton, et également directeur du programme de traduction et de communication interculturelle de cette université (où, je dois le préciser, j'ai déjà pris la parole). Mais pour moi, il est plus intéressant en tant que traducteur de deux romanciers particulièrement grands et problématiques : le Français Georges Perec, dont l'œuvre se caractérise par un souci maniaque de la forme, et l'Albanais Ismail Kadare, dont Bellos traduit l'œuvre non pas à partir de l'original albanais, mais à partir de traductions françaises supervisées par Kadare. La double expérience de Bellos avec ces romanciers est, je pense, à l'origine de son nouveau livre, car ces expériences de traduction prouvent deux choses : Il est toujours possible de trouver des équivalents adéquats, même pour une prose maniaquement formelle, et il est également possible de trouver de tels équivalents dans une langue qui n'est pas l'original de l'œuvre. Alors que selon les tristes théories orthodoxes de la traduction, aucune de ces vérités ne devrait être vraie.

À un moment donné, Bellos cite avec une fierté légitime un petit exemple de sa propre inventivité. Dans le roman de Perec "La vie : Mode d'emploi" de Perec, un personnage se promène dans une arcade parisienne et s'arrête pour regarder les "cartes de visite humoristiques dans la vitrine d'un magasin de farces et attrapes". Dans l'original français de Perec, l'une de ces cartes est : "Adolf Hitler/Fourreur". Un fourreur est un fourreur, mais la blague de Perec est que cela ressemble aussi à la prononciation française de Führer. Donc Bellos, dans sa version anglaise, traduit à juste titre "fourreur" non pas par "furrier", mais comme ceci : "Adolf Hitler/Lieder allemand". Le nouveau jeu de mots multiphonique de Bellos est une parodie, sans aucun doute - et c'est aussi la traduction la plus précise possible.

Les conclusions que ce paradoxe exige sont, disons, déconcertantes pour le lecteur vieux jeu. Nous sommes habitués à penser que chaque personne parle une langue individuelle - sa langue maternelle - et que cette langue maternelle est une entité discrète, avec un vocabulaire manipulé par une grammaire fixe. Mais cette image, selon Bellos, ne correspond pas aux changements quotidiens de nos multiples langues, ni au désordre de notre utilisation des langues. L'ennemi philosophique profond de Bellos est ce qu'il appelle le "nomenclaturisme", "la notion que les mots sont essentiellement des noms" - une notion qui a été amplifiée dans notre ère moderne d'écriture : une conspiration de lexicographes. Cette idée fausse l'agace parce qu'elle est souvent utilisée pour soutenir l'idée que la traduction est impossible, puisque toutes les langues se composent en grande partie de mots qui n'ont pas d'équivalent unique et complet dans d'autres langues. Mais, écrit Bellos, "un terme simple comme 'tête', par exemple, ne peut être considéré comme le 'nom' d'une chose particulière. Il apparaît dans toutes sortes d'expressions". Et si aucun mot en français, par exemple, ne couvre toutes les connotations du mot "tête", sa signification "dans un usage particulier peut facilement être représentée dans une autre langue".

Cette idée fausse a toutefois une très longue histoire. Depuis que saint Jérôme a traduit la Bible en latin, le débat sur la traduction s'est dissous dans l'ineffable - la fameuse idée que chaque langue crée un monde mental essentiellement différent et que, par conséquent, toutes les traductions sont vouées à l'insuffisance philosophique. Dans la nouvelle proposition de Bellos, la traduction "présuppose au contraire... la non-pertinence de l'ineffable dans les actes de communication". En zigzaguant à travers des études de cas de bibles missionnaires ou de machines linguistiques de la guerre froide, Bellos élimine calmement cette vieille idée de l'ineffable, et ses effets malheureux.

On dit souvent, par exemple, qu'une traduction ne peut jamais être un substitut adéquat de l'original. Mais une traduction, écrit Bellos, n'essaie pas d'être identique à l'original, mais d'être comme lui. C'est pourquoi le duo conceptuel habituel de la traduction - la fidélité et le littéral - est trop maladroit. Ces idées dérivent simplement de l'anxiété déplacée qu'une traduction essaie d'être un substitut. Adolf Hitler/Fourreur ! Une traduction en anglais par "furrier" serait littéralement exacte ; ce serait cependant une ressemblance inadéquate.

En littérature, il existe un sous-ensemble connexe de cette anxiété : l'idée que le style - puisqu'il établit une relation si complexe entre la forme et le contenu - rend une œuvre d'art intraduisible. Mais là encore, cette mélancolie est mélodramatique. Il sera toujours possible, dans une traduction, de trouver de nouvelles relations entre le son et le sens qui soient d'un intérêt équivalent, voire phonétiquement identiques. Le style, comme une blague, a juste besoin de la découverte talentueuse d'équivalents. "Trouver une correspondance pour une blague et une correspondance pour un style", écrit Bellos, "sont deux exemples d'une aptitude plus générale que l'on pourrait appeler une aptitude à la correspondance de modèles".

La traduction, propose Bellos dans une déclaration sèchement explosive, plutôt que de fournir un substitut, "fournit pour une certaine communauté une correspondance acceptable pour une énonciation faite dans une langue étrangère." Ce qui rend cette correspondance acceptable variera en fonction de l'idée que se fait cette communauté des aspects d'un énoncé qui doivent être assortis de sa traduction. Après tout, "on ne peut pas s'attendre à ce qu'une traduction ressemble à sa source sur plus de quelques points précis". Une traduction ne peut donc pas être bonne ou mauvaise "à la manière d'une interrogation scolaire ou d'un relevé bancaire". Une traduction s'apparente davantage à un portrait à l'huile". Dans une traduction, comme dans toute forme d'art, la recherche est celle d'un signe équivalent.

Et pour les habitants de Londres ou de Los Angeles, ce démantèlement des mythes autour de la traduction a des implications particulières. Comme le souligne Bellos, ceux qui sont nés anglophones sont aujourd'hui une minorité de locuteurs de l'anglais : la plupart le parlent comme une deuxième langue. L'anglais est la plus grande interlangue du monde.

Je pense donc que deux perspectives peuvent être tirées de ce livre d'une inventivité éblouissante, et elles sont d'une ampleur réjouissante. Le premier concerne tous les anglophones. Google Translate, sans aucun doute, est un appareil à l'avenir prometteur. Il connaît déjà un tel succès parce que, contrairement aux traducteurs automatiques précédents, mais comme d'autres inventions de Google, il s'agit d'une machine à reconnaissance de formes. Il analyse le corpus des traductions existantes et trouve des correspondances statistiques. Je pense que les implications de ce phénomène n'ont pas encore été suffisamment explorées : des journaux mondiaux aux romans mondiaux... . . . Et cela m'a fait imaginer une deuxième perspective - limitée à un plus petit, hyper-sous-ensemble d'anglophones, les romanciers. Je suis un romancier anglophone, après tout. Je me suis dit qu'il n'y avait aucune raison pour que les traductions d'œuvres de fiction ne puissent pas être faites de manière beaucoup plus extensive dans et à partir de langues qui ne sont pas les langues d'origine de l'œuvre. Oui, j'ai commencé à caresser l'idée d'une future histoire du roman qui serait imprudemment internationale. En d'autres termes : il n'y aurait rien de mal, pensais-je, à rendre la traduction plus joyeuse. 


Auteur: Thirlwell Adam

Info: https://www.nytimes.com/2011/10/30. A propos du livre : Le côté joyeux de la traduction, Faber & Faber Ed. Texte traduit à 90% par deepl.com/translator

 

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bornages notionnels

Q) - Peux-tu expliquer autrement cette phrase "le vivant est considéré comme non ergodique par qu'il n'explore qu'une toute petite partie de son espace de phase."

R) - L'idée de base de cette phrase est que la vie est un système complexe, avec de nombreuses possibilités. Cependant, la vie n'explore qu'une petite partie de ces possibilités. Il existe un nombre infini de combinaisons possibles de gènes, de protéines, de cellules, d'organismes et d'écosystèmes. Cependant, la vie n'a exploré qu'une petite partie de ces possibilités.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, la vie est limitée par les lois physiques. Les lois physiques déterminent quelles combinaisons de gènes et de protéines sont possibles. 

Deuxièmement, la vie est limitée par les ressources disponibles. Les ressources disponibles limitent le nombre d'organismes qui peuvent vivre dans un environnement donné. 

Troisièmement, la vie est limitée par le hasard. Le hasard joue un rôle important dans l'évolution, car il peut conduire à des mutations génétiques qui peuvent donner naissance à de nouvelles formes de vie. 

En raison de ces limitations, la vie n'explore qu'une petite partie de son espace de phase. Cela signifie que les résultats de l'évolution sont imprévisibles.

Q) - Merci. Peux-tu expliciter "espace de phase" en terme électrique

R) - En termes électriques, l'espace de phase est l'ensemble des états possibles d'un système électrique. Il est décrit par un ensemble de variables, telles que la tension, le courant, l'inductance, la capacité et la résistance.

Q) - Dans mon esprit "espace de phase" correspond aussi à "bande passante"

R) Oui, il y a une certaine similitude entre l'espace de phase et la bande passante.

En termes électriques, la bande passante est la plage de fréquences qu'un système électrique peut transmettre sans distorsion.

L'espace de phase, quant à lui, est l'ensemble des états possibles d'un système électrique.

La bande passante peut être considérée comme une restriction de l'espace de phase. En effet, un système électrique ne peut pas transmettre des fréquences qui dépassent sa bande passante.

Par exemple, un filtre coupe-bas ne peut transmettre que des fréquences inférieures à sa fréquence de coupure.

Dans ce cas, la bande passante du filtre est une restriction de l'espace de phase du signal qui est transmis par le filtre.

Cependant, il existe également des différences entre l'espace de phase et la bande passante.

L'espace de phase est un concept plus général que la bande passante. Il peut être utilisé pour décrire le comportement de tout système, pas seulement des systèmes électriques.

La bande passante, quant à elle, est un concept plus spécifique. Il est utilisé pour décrire le comportement des systèmes électriques qui transmettent des signaux.

En conclusion, l'espace de phase et la bande passante sont deux concepts liés, mais qui ne sont pas identiques. L'espace de phase est un concept plus général, tandis que la bande passante est un concept plus spécifique.

Q) - Merci. Ce sont deux termes qui parlent des limites de concepts issus du réel : quel pourrait être un un concept encore plus général dans cet ordre d'idées

R) - Un concept encore plus général dans cet ordre d'idées pourrait être celui de limite de l'appréhension.

Ce concept désigne l'idée que notre capacité à comprendre le monde est limitée par notre propre nature. Nous sommes des êtres finis, avec des sens limités, et notre compréhension du monde est nécessairement biaisée par nos propres expériences et nos propres perspectives.

Par exemple, notre compréhension de la physique est limitée par nos propres instruments de mesure. Nous ne pouvons pas observer des particules subatomiques directement, et notre compréhension de la matière est donc nécessairement basée sur des modèles mathématiques. 

De même, notre compréhension de la vie est limitée par nos propres sens. Nous ne pouvons pas voir les bactéries ou les virus, et notre compréhension de la biologie est donc nécessairement basée sur des extrapolations à partir des organismes que nous pouvons observer.

Enfin, notre compréhension de la société est limitée par nos propres expériences. Nous ne pouvons pas comprendre les cultures qui sont très différentes de la nôtre, et notre compréhension du monde social est donc nécessairement biaisée par nos propres valeurs et nos propres normes. 

Le concept de limite de l'appréhension est important car il nous rappelle que notre compréhension du monde est toujours imparfaite. Nous devons être conscients de cette limite pour éviter de tomber dans le piège de l'absolutisme ou de l'essentialisme.

Voici quelques autres concepts qui pourraient être considérés comme encore plus généraux que les deux que vous avez mentionnés :

L'incomplétude : L'idée que nous ne pouvons jamais connaître toute la vérité sur le monde.

L'incertitude : L'idée que nous ne pouvons jamais être sûrs de nos connaissances.

La relativité : L'idée que la vérité est relative à notre point de vue.

Notre compréhension du monde est toujours imparfaite et est toujours sujette à évolution.

Q) - Il y a aussi les limitations apportées pas nos propres systèmes de codages : langages, écritures, musique, mathématiques.... Qui paraissent bien faibles par comparaison avec les possibilités de développement que montrent les mémoires génétiques sur base 4.

R) - 
Oui, c'est vrai. Nos systèmes de codage sont limités par notre propre nature. Nous sommes des êtres humains, avec un cerveau qui a évolué pour nous permettre de survivre et de nous reproduire dans notre environnement. Nos systèmes de codage sont donc adaptés à cette tâche, mais ils ne sont pas adaptés à la compréhension du monde dans toute sa complexité.

Les mémoires génétiques, quant à elles, sont codées sur une base 4. Cela signifie qu'elles peuvent coder un nombre beaucoup plus grand de combinaisons que les langages, les écritures, la musique ou les mathématiques, qui sont tous codés sur une base 2.

Cette différence de base permet aux mémoires génétiques de coder des informations beaucoup plus complexes. Par exemple, elles peuvent coder des informations sur la structure et la fonction des organismes, sur les interactions entre les organismes et sur l'environnement. 

Ces informations sont essentielles à la vie. Elles permettent aux organismes de se développer, de s'adapter et de survivre. 

Par conséquent, il est probable que les mémoires génétiques soient plus puissantes que nos propres systèmes de codage. Elles nous permettent de comprendre le monde dans une mesure qui nous est inaccessible. 

Cependant, il est important de noter que les mémoires génétiques ne sont pas parfaites. Elles sont également limitées par les lois de la physique et par les contraintes de l'évolution. 

Par exemple, les mémoires génétiques sont limitées par la taille de l'ADN. L'ADN est une molécule très longue, mais elle a une taille finie. Cela signifie que les mémoires génétiques ne peuvent pas coder une quantité infinie d'informations. 

De même, les mémoires génétiques sont limitées par les contraintes de l'évolution. L'évolution est un processus lent et progressif. Il est donc difficile pour les mémoires génétiques de coder des informations qui sont très différentes de celles qui ont été transmises par les générations précédentes. 

Malgré ces limitations, les mémoires génétiques sont un outil puissant qui nous permet de comprendre le monde. Elles nous permettent de comprendre la vie dans toute sa complexité et sa beauté.

Q) - D'autant qu'une bonne partie des fonctions de ces mémoires - le junk adn par exemples - nous échappent.

R) - Oui, c'est vrai. Une bonne partie des fonctions des mémoires génétiques nous échappent, notamment l'ADN non codant, également appelé ADN poubelle.

L'ADN non codant représente environ 98 % du génome humain. Il s'agit de séquences d'ADN qui ne codent pas pour des protéines.

Pendant longtemps, l'ADN non codant a été considéré comme inutile. Cependant, des recherches récentes ont montré que l'ADN non codant joue un rôle important dans la régulation de l'expression des gènes.

L'ADN non codant peut jouer un rôle dans la régulation de l'expression des gènes de plusieurs façons. Il peut servir de sites d'attachement pour les protéines qui régulent l'expression des gènes. Il peut également servir de matrice pour la transcription des ARN non codants, qui jouent également un rôle dans la régulation de l'expression des gènes.

L'ADN non codant peut également jouer un rôle dans d'autres processus biologiques, tels que la réparation de l'ADN, la réplication de l'ADN et l'intégration de l'ADN viral.

Cependant, nous ne comprenons pas encore entièrement les fonctions de l'ADN non codant. Il reste encore beaucoup de recherches à faire pour comprendre ce rôle important. Elle pourront nous aider à mieux comprendre le fonctionnement des cellules et des organismes. Elles pourraient également nous aider à développer de nouvelles thérapies pour les maladies génétiques.

Auteur: Google Bard chatbot

Info: 19 janv 2024

[ délimitations conceptuelles ]

 

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mondialisation

Les erreurs de l'État impérial mondial et les erreurs des autres
On m'a fait remarquer que les bizarreries de la réconciliation sans vérité que j'ai rencontrées aux Philippines eu égard à l'importance persistante de la famille Marcos, malgré le discrédit généralisé de la période où elle était aux commandes (1965-1986), n'est pas aussi étrange qu'il y paraît.
Après tout, Jeb Bush a récemment annoncé son intention de briguer la présidence des États-Unis en 2016, et George W. Bush, malgré sa présidence déplorable, est considéré comme un atout politique. Il s'active à faire campagne et à récolter des fonds en faveur de son jeune frère. Aux Philippines, contrairement aux États-Unis, il y a eu une rupture politique provoquée par le mouvement Pouvoir du peuple, qui a écarté le clan Marcos du pouvoir et a porté directement à la présidence Corey Aquino, la veuve de Benigno Aquino Jr., l'opposant à Marcos assassiné. Même aujourd'hui, ce triomphe populiste est célébré comme un jour de fierté nationale pour le pays, et Benigno Noynoy Aquino III siège au palais de Malacañang comme le président élu du pays. Pourtant, les réalités politiques aux Philippines, comme aux États-Unis, sont plus connues pour leur continuité avec un passé discrédité que pour les changements qui rejettent et surmontent ce passé.
Barack Obama agissait dans un contexte politique certes différent aux États-Unis lorsqu'il a mis de côté les allégations bien fondées de criminalité adressées à l'équipe au pouvoir pendant la présidence de Bush, affirmant prudemment que le pays devait regarder vers l'avant et non derrière lorsqu'il s'agit de la responsabilité pénale de ses anciens dirigeants politiques. Bien sûr, c'est l'opposé de ce qui a été fait avec les dirigeants allemands et japonais survivants après la Deuxième Guerre mondiale avec les procès largement acclamés de Nuremberg et de Tokyo [ainsi qu'avec Saddam Hussein et Muammar Khadafi, NdT] ; et cela ne peut pas devenir la norme aux États-Unis par rapport aux crimes des gens ordinaires, ni même à l'égard des crimes louables des lanceurs d'alerte du genre de ceux attribués à Chelsea Manning, Julian Assange et Edward Snowden. Une telle impunité sélective semble être le prix que les démocraties impériales paient pour éviter la guerre civile dans le pays, et préférable à une unité obtenue par des formes autoritaires de gouvernement.
Pour cette seule raison, l'approche moralement régressive d'Obama de la responsabilité est politiquement compréhensible et prudente. L'Amérique est polarisée, et la partie la plus frustrée et la plus en colère des citoyens embrasse la culture de l'arme à feu et reste probablement ardemment en faveur de la sorte de militarisme et de ferveur patriotique qui avait été si fortement mise en avant pendant la présidence Bush.
Des pensées dans ce sens m'ont conduit à une série de réflexions plus larges. Les erreurs que font les Philippines, certes épouvantables en termes de droits humains, sont au moins principalement confinées dans les limites territoriales du pays et font des victimes parmi leurs propres citoyens. A titre de comparaison, les erreurs de politique étrangère commises par les États-Unis font des victimes principalement chez les autres, bien qu'ils en fassent souvent payer le prix, en même temps, aux Américains les plus marginaux et les plus vulnérables. Comme société, beaucoup regrettent les effets de la guerre au Vietnam ou de la guerre d'Irak sur la sérénité et l'estime de soi de la société américaine, mais en tant qu'Américains, nous ne faisons que rarement, sinon jamais, une pause pour déplorer les immenses pertes infligées à l'expérience sociétale qu'ont vécue ceux qui vivent sur ces lointains champs de bataille de l'ambition géopolitique. Ces sociétés victimes sont les récepteurs passifs de cette expérience destructrice, et possèdent rarement la capacité ou même la volonté politique de riposter. Telle est l'asymétrie des relations impériales.
On estime qu'entre 1,6 et 3,8 millions de Vietnamiens sont morts pendant la guerre du Vietnam en comparaison des 58 000 Américains. Des proportions similaires sont présentes dans les guerres d'Afghanistan et d'Irak, même sans considérer les perturbations et les destructions endurées. En Irak, depuis 2003, on estime qu'entre 600 000 et 1 millions d'Irakiens ont été tués et que plus de 2 millions ont été déplacés dans le pays, et que 500 000 Irakiens sont encore réfugiés en raison de la guerre, tandis que les États-Unis ont perdu quelque chose comme 4 500 membres de leur personnel combattant. Les statistiques du champ de bataille ne doivent pas nous aveugler sur le caractère absolu de chaque décès du point de vue de leurs proches, mais elles révèlent une dimension centrale de la distribution des coûts humains relatifs de la guerre entre un gouvernement qui intervient et la société cible. Ce calcul de la mort au combat commence à raconter l'histoire de la dévastation d'une société étrangère : les dangers résiduels qui peuvent se matérialiser dans la mort et des blessures mutilantes longtemps après que les armes se sont tues, à cause des munitions létales non explosées qui tapissent le pays pour des générations, la contamination du sol par l'agent Orange et les ogives contenant de l'uranium appauvri, sans oublier les traumatismes et les nombreux rappels quotidiens de souvenirs de guerre sous la forme des paysages dévastés et des sites culturels détruits laissés en héritage.
Selon presque tous les points de vue éthiques, il semblerait qu'une certaine conception de la responsabilité internationale devrait restreindre l'usage de la force dans des situations autres que celles autorisées par le droit international. Mais ce n'est pas la manière dont le monde fonctionne. Les erreurs et les actes répréhensibles qui se produisent dans une guerre étrangère lointaine sont rarement reconnus, ils ne sont jamais punis et jamais aucune compensation n'est offerte. Paradoxalement, seuls les dirigeants de ces territoires sont tenus de rendre des comptes (par exemple Saddam Hussein, Slobodan Milosevic et Mouammar Kadhafi). Le gouvernement des États-Unis, et plus précisément le Pentagone, a pour principe de dire au monde qu'il ne recueille aucune donnée sur les victimes civiles associées à ses opérations militaires internationales. En partie, il y a une attitude de déni, qui minimise les épreuves infligées aux pays étrangers et, pour une autre partie, il y a le baume d'une insistance officielle sous-jacente que les États-Unis font tous les efforts possibles pour éviter les victimes civiles. Dans le contexte des attaques de drones, Washington soutient avec insistance qu'il y a peu de victimes civiles, mesurées par le nombre de décès, mais n'admet jamais qu'il y a un nombre bien plus important de civils qui vivent ensuite dans la terreur intense et permanente d'être visés ou involontairement frappés à mort par un missile errant [pas errant pour tout le monde, malheureusement, NdT].
Compte tenu des structures étatiques et impériales de l'ordre mondial, il n'est pas surprenant que si peu d'attention soit portée à ces questions. Les erreurs d'un État impérial mondial ont des répercussions matérielles bien au-delà de leurs frontières, tandis que les erreurs d'un État normal résonnent à l'intérieur du pays comme dans une chambre d'écho. Les torts de ceux qui agissent pour l'État impérial mondial sont protégés des regards par l'impunité de fait liée à leur force, tandis que les torts de ceux qui agissent pour un État normal sont de de plus en plus sujets à des procédures judiciaires internationales. Lorsque c'est arrivé après la Deuxième Guerre mondiale, cela s'est appelé justice des vainqueurs ; lorsque cela arrive aujourd'hui, en particulier avec la jurisprudence borgne de la légalité libérale, c'est expliqué en référence à la prudence et au réalisme, à la nécessité d'être pragmatique, de faire ce qu'il est possible, d'accepter les limites, d'accorder un procès équitable à ceux qui sont accusés, de dissuader certaines tendances aux dérives dangereuses.
Cela ne changera pas jusqu'à ce que l'une de ces deux choses se produise : soit la mise en place d'une instance mondiale pour interpréter et appliquer le droit pénal [ce tribunal existe, le TPI, mais les US ont obtenu une dérogation pour eux-mêmes (sic!), NdT], soit une modification considérable de la conscience politique des États impériaux mondiaux par l'internalisation d'un ethos de responsabilité envers les sociétés étrangères et leurs habitants. Cette description des progrès nécessaires du droit et de la justice devrait nous faire prendre conscience à quel point de telles attentes restent utopiques.
Actuellement, il n'y a qu'un seul et unique État impérial mondial, les États-Unis d'Amérique. Certains suggèrent que les prouesses économiques de la Chine créent un centre rival de pouvoir et d'influence, qui pourrait être reconnu comme un second État impérial mondial. Cela semble erroné. La Chine peut être plus résiliente et elle est certainement moins militariste dans sa conception de la sécurité et de la poursuite de ses intérêts, mais elle n'est pas mondiale, ni ne mène de guerres lointaines. De plus, la langue, la monnaie et la culture chinoises ne jouissent pas de la portée mondiale de l'anglais, du dollar américain et du capitalisme franchisé. Indubitablement, la Chine est actuellement l'État le plus important dans le monde, mais sa réalité est en accord avec les idées du Traité de Wesphalie relatives à la souveraineté territoriale, tandis que les États-Unis opèrent mondialement dans toutes les régions pour consolider leur statut d'unique État impérial mondial. En effet, le premier État de ce type dans l'histoire du monde.

Auteur: Falk Richard

Info: 30 mars 2015, Source zcomm.org

[ USA ] [ géopolitique ]

 

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