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rapports humains

"Tu me le paieras !" disait une fille à son père qui l'avait empêchée de se marier à un soupirant trop bien peigné. Et elle se tua. Mais le père n'a rien payé du tout. Il adorait la pêche au lancer. Trois dimanches après, il retournait à la rivière, pour oublier, disait-il. Le calcul était juste, il oublia. A vrai dire, c'est le contraire qui eût surpris. On croit mourir pour punir sa femme, et on lui rend la liberté. Autant ne pas voir ça. Sans compter qu'on risquerait d'entendre les raisons qu'ils donnent de votre geste. Pour ce qui me concerne, je les entends déjà : "Il s'est tué parce qu'il n'a pu supporter de..." Ah ! cher ami, que les hommes sont pauvres en invention. Ils croient toujours qu'on se suicide pour une raison. Mais on peut très bien se suicider pour deux raisons. Non, ça ne leur entre pas dans la tête. Alors, à quoi bon mourir volontairement, se sacrifier à l'idée qu'on veut donner de soi ? Vous mort, ils en profiteront pour donner à votre geste des motifs idiots, ou vulgaires. Les martyrs, cher ami, doivent choisir d'être oubliés, raillés ou utilisés. Quant à être compris, jamais.

Auteur: Camus Albert

Info: La Chute

[ relatifs ] [ projections ] [ autodestruction ] [ malentendus ] [ méprises ] [ idées fausses ]

 

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gaule

Peu à peu, j'ai pris l'habitude d'entendre parler d'attentats au coin de ma rue, d'Etats européens au bord de la faillite, de plans de licenciements partout en France, de tempêtes tropicales en Méditerranée, de migrants morts échoués sur la Côte d'Azur, de gens noyés sous le seuil de pauvreté à quelques rues de la mienne. Et finalement, de foyers de rage s'allumant dans tout le pays, puis convergeant vers Paris, devenue la capitale des désirs inassouvis et des marchands de rêves inaccessibles. Ainsi, depuis cinq mois, toute l'hystérie sur laquelle reposait la société de consommation - jadis perceptible au premier jour des soldes ou aux cris stridents que les célébrités déclenchaient sur leur passage - s'est retournée contre les architectes du système. C'était assurément plus commode, quand on promettait aux gens le Ciel après la mort. Désormais, on leur serine que le paradis existe bel et bien sur terre, on l'affiche partout sur les murs et les écrans en leur jurant qu'ils pourront y accéder, s'ils le méritent. A condition de souscrire au dogme du marché, prendre part à la compétition globalisée, prier chaque jour pour une plus grande maison, une herbe plus verte et une plus large télé, se réunir tous les dimanches matin dans de grands centres commerciaux climatisés et la Réussite reconnaîtra les siens. Alors oui, quand le paradis gonfle chaque jour ses tarifs et durcit ses conditions d'entrée, je peux comprendre que certains crient à l'arnaque organisée. J'aurais sans doute pensé la même chose à leur place.


Auteur: Markov Bruno

Info: Le dernier étage du monde, 2023

[ centralisme ] [ révolte ] [ néo libéralisme ]

 

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antiféminisme

Le féminisme en demande beaucoup trop aux femmes. Le féminisme exige des femmes qu’elles sortent de la torpeur millénaire qui leur a toujours été accordée de grâce. Tout ça pour obtenir le droit d’aller voter à la grande foire démocratique et pour gagner cent euros de plus par mois, alors qu’on pourrait très bien rester une femme au foyer et se la couler douce toute la journée. J’aime pouvoir profiter des avantages que me confère le sexe faible. Pouvoir cultiver un gros cul plein de graisse, pouvoir pécho même si je ressemble à un gros thon rien que parce que la plupart des hommes sont prêts à tout pour niquer, pouvoir dire que j’ai la migraine le soir au moment d’aller me pieuter sans qu’on remette en cause ma féminité, rater ma vie professionnelle sans en faire une question personnelle, avoir des occupations ménagères toutes trouvées les dimanches pluvieux, être capable de faire l’amour plusieurs fois par jour sans fatigue (avec des hommes différents de préférence), aller préparer le repas du soir plutôt que de me faire chier devant la télé. Et si je n’ai aucune ambition, pas besoin d’en trouver une : il me suffit de pondre un gosse ou deux pour qu’on me foute la paix tout le reste de mon existence. Seulement voilà, depuis quelques temps, des mecs qui veulent nous foutre dans la même merde qu’eux ouvrent leur grande gueule de bâtards pour nous dire ce que nous, les femmes, nous devrions devenir. Ils nous disent : vous pourriez devenir tellement d’autres choses. Vous pourriez devenir des hommes, par exemple.

Auteur: Colimasson

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éloge funèbre

Roland Jaccard a mis fin à ses jours hier, lundi 20 septembre. Nombre de ses amis ont reçu un courriel matinal indiquant qu’il était sur le point de partir, qu’il tirait sa révérence. Pour moi, c’était à 8h09. Avec pour objet "Une leçon de dandysme helvétique" et les phrases suivantes dans le corps du texte : "Tu es un des seuls à m’avoir compris! Amitiés vives !"

Roland m’a fait beaucoup d’honneur. Nous n’étions peut-être pas beaucoup à l’avoir compris, mais il y en avait tout de même quelques-uns. À l’avoir compris et à l’avoir aimé. J’ai trainé un vilain pressentiment, toute la matinée, mais j’étais face à des étudiants et je me suis promis de l’appeler dès la pause de midi. Deux coups de téléphone de Gil Mihaely puis d’Elisabeth Lévy m’ont indiqué que c’était devenu inutile.

J’ai été sidéré mais pas surpris. Sidéré parce que, tout de même, la mort d’un ami, d’une de ces amitiés littéraires transformée en affection réciproque avec le temps, c’est une espèce de bloc d’abîme au creux de l’âme et des tripes, un bloc d’abîme que connaissent tous ceux qui apprennent la disparition brutale d’un être cher. 

Mais je n’ai pas été surpris : qui connaissait Roland savait que le suicide était chez lui un thème récurrent, une obsession, une porte de sortie presque rassurante. Le suicide est cette liberté terrible des stoïciens, et il y avait du stoïcien chez Roland au-delà de son hédonisme élégant, résumé ainsi par Marc-Aurèle dans Pensées pour moi-même : "Il y a trop de fumée ici, je m’en vais". Le suicide, Roland connaissait : en leur temps son père et son grand-père avaient eux aussi choisi la nuit. Il écrivait dans "Les Carnets de mon père", un de ses "Billets du vaurien" qu’il donnait chaque semaine à Causeur : "Soyons francs : nous avons aimé vivre une fois, mais nous n’aimerions pas recommencer. C’était aussi l’opinion de mon père." C’est à 80 ans que son père avait tiré sa révérence. Roland a écrit et dit, souvent, qu’il n’avait pas l’intention de le dépasser en âge. Et de fait, il allait avoir 80 ans, le 22 septembre. Quand vous aimez quelqu’un, vous ne l’écoutez pas, ou vous ne voulez pas le croire. C’est oublier que derrière la désinvolture de Roland, derrière son élégante et éternelle dégaine d’adolescent filiforme, il était d’une terrible rigueur. Il n’épargnait personne de ses sarcasmes et surtout pas lui-même. Mais on se rassure comme on peut, quand on aime. Après tout, un de ses maîtres et amis, Cioran, n’avait-il pas dans toute son œuvre parlé du suicide comme seule solution rationnelle à l’horreur du monde sans jamais passer à l’acte ? 

Non, décidément, malheureux comme les pierres mais pas surpris : lundi 13 septembre, après des mois d’absence puisqu’il avait décidé de revenir vivre dans sa ville natale, à Lausanne, depuis le début de la crise sanitaire, il était apparu à une réunion de rédaction suivie d’un pot célébrant le départ d’un des nôtres. Il paraît évident, maintenant, qu’il était venu nous dire au revoir ou plus précisément, car là encore on méconnait trop souvent à quel point celui qui faisait profession de cynisme aimait l’amitié, il avait voulu passer un peu de temps avec nous une dernière fois. De quoi ai-je parlé avec Roland pour ce qui était, sans que je le sache, une ultime rencontre ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à m’en souvenir. Je voudrais vous dire qu’il avait donné des indices implicites, ce ne serait pas vrai. Il avait son flegme habituel, son sourire oriental, son exquise courtoisie d’homme qui a perdu depuis longtemps toute illusion mais qui n’en fait pas un drame, courtoisie héritée de cette civilisation naufragée de la Mitteleuropa à laquelle avait appartenu sa mère autrichienne.

Je voudrais tout de même souligner, maintenant, son importance dans le paysage intellectuel français. Il a écrit des livres essentiels sur la psychanalyse avec laquelle il entretenait des rapports ambigus comme avec tout le reste, notamment L’exil intérieur en 1975. Il y disait d’une autre manière, ce que Debord avait cerné dans La Société du Spectacle : l’impossibilité dans le monde moderne pour les êtres de rencontrer d’autres êtres, et pire encore l’impossibilité pour l’homme de coïncider avec lui-même. Il a été aussi une des plus belles plumes du Monde comme critique des essais et surtout un éditeur hors pair aux PUF où sa collection, "Perspectives critiques", présente un catalogue de rêve. On lui doit la découverte d’André Comte-Sponville mais il a aussi publié Clément Rosset ou Marcel Conche et a assuré, à travers plusieurs autres auteurs, les noces de la philosophie et de la littérature : on y trouve ainsi les inclassables et tellement talentueux Romain Slocombe et Frédéric Pajak.

Après, d’autres le réduiront sans doute à une légende qu’il a malicieusement entretenue dans ses journaux intimes dont le monumental Le Monde d’avant (1983-1988) paru au début de l’année dont nous avons rendu compte dans Causeur. Son amitié, jamais reniée, avec Matzneff malgré les brouilles, son goût pour les jeunes filles qui ressemblaient à son idole, Louise Brooks, ou qui venait de l’Empire du Levant. Sa manière de jauger et de juger les hommes à la manière dont ils jouaient au ping-pong et aux échecs. Une de ses grandes tristesses fut d’ailleurs la fermeture pour rénovation du Lutétia, où on pouvait le trouver tous les dimanches dans les salons où il vous mettait très rapidement échec et mat. 

Au-delà de son refus de la postérité, celle qui consiste à avoir des enfants comme celle qui nous fait survivre à notre propre mort en étant encore lu dans vingt ou trente ans, le nihiliste Roland était un homme étonnamment soucieux de transmettre. Il refusait de l’admettre, il disait que je le taquinais, mais pourtant il suffit d’ouvrir un de ses livres pour avoir envie de lire les auteurs dont il parle : Cioran, bien sûr mais aussi son cher Amiel ou encore Paul Nizon. J’en oublie, forcément.

Je ne sais pas où est Roland désormais. Il se riait de mon communisme comme de mon catholicisme qui revient avec l’âge. Il n’empêche, je suis content d’avoir ses livres dans ma bibliothèque. Je vais le relire. C’est encore la meilleure des prières en même temps que le plus beau des hommages que je peux lui rendre. Le plus consolant aussi, car nous allons être un certain nombre, à Causeur et ailleurs, à avoir besoin d’être consolé.

Auteur: Leroy Jérôme

Info: Causeur, 21 sept 2021

[ eulogie ] [ écrivain-sur-écrivain ]

 
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